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La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes d’histoire contemporaine
THONISSEN Joseph - 1861

J.J. THONISSEN, La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Etudes d’histoire contemporaine (tome I)

(Deuxième édition (« soigneusement revue, continuée jusqu’à l’avènement du ministère de 1855 et précédée d’un essai historique sur le royaume des Pays-Bas et la révolution de septembre »), paru à Louvain en 1861, chez Vanlinhout et Peeters. Trois tomes)

Chapitre II. L’invasion hollandaise (août 1831)

2. 1. Les préparatifs militaires de la Hollande

(page 55) Déçu des espérances que l'intervention de la Conférence de Londres lui avait fait concevoir, Guillaume forma le dessein d'en appeler aux armes. La nation hollandaise pénétra les intentions du monarque et s'y associa avec une ardeur patriotique qu'il est impossible de ne pas admirer.

Epuisé par les armements de terre et de mer, le trésor hollandais pouvait difficilement subvenir aux. dépenses nouvelles que l'invasion de la Belgique allait occasionner ; mais le dévouement de toutes les classes de la nation vint en aide à l'administration des finances. On eut recours à des expositions d'objets d'art, à des concerts, à des collectes. Le roi mit une partie de ses trésors à la disposition de l'armée, et cet exemple donné du haut du trône trouva de nombreux imitateurs. Bientôt les dons patriotiques furent tellement considérables que le journal officiel dut ajouter à ses feuilles toute une série de suppléments, quoique l'on se bornât à mentionner les noms des donateurs et le montant de la somme offerte.

Les services personnels accompagnaient les sacrifices pécuniaires. Dans toutes les parties du royaume, les gardes communales mobilisées (schuttery) s'exerçaient au maniement des armes et montraient les dispositions les plus favorables. Des milliers de volontaires, sortis de toutes les classes de la société, vinrent grossir les rangs de l'armée. Marchant sur les traces des jeunes libérateurs de l'Allemagne, les élèves des universités s'organisèrent en corps de chasseurs, et les dames de Groningue, d'Utrecht et de Leyde leur offrirent des drapeaux couverts de nobles devises. Un membre de l'opposition parlementaire, M. Van Dam van Ysselt, leva et équipa à ses frais tout un bataillon de tirailleurs. A la fin de juillet, les forces hollandaises, y compris 35,000 hommes (page 56) de gardes communales mobilisées, présentaient un effectif de plus de 80,000 soldats parfaitement équipés et longuement exercés au service de campagne, Sous l’habile direction du prince Frédéric, l'organisation de l'armée s'était faite avec un plein succès. Les états-majors, composés d'officiers expérimentés, étaient au grand complet. Grâce au système d'exclusion pratiqué à l'égard des Belges, les cadres des armes spéciales, et surtout ceux de l'artillerie, étaient à peu près restés ce qu'ils étaient avant la révolution. L'infanterie avait reçu dans ses rangs un nombre considérable de Suisses et d'Allemands, la plupart vieux soldats. Dans les cadres de la cavalerie, les mercenaires du Hanovre avaient comblé les vides produits par le départ des Belges. Le service des munitions, des subsistances et des hôpitaux ne laissait rien à désirer. Plusieurs mois de séjour dans les camps avaient développé l'esprit militaire. Lorsque, le 25 juillet, le roi présenta le prince d'Orange au corps d'armée réuni aux environs de Breda, le cri en avant ! s'unit, sur toute la ligne, aux acclamations qui saluaient énergiquement le chef de la famille royale.

Forte de 46,000 hommes d'infanterie, de 4,000 de cavalerie et de 5,000 artilleurs, non compris les garnisons de Maestricht et de la citadelle d'Anvers, l'armée spécialement destinée à l'invasion de la Belgique occupait une position des plus heureuses. Placée entre la Meuse et l'Escaut, sa droite était protégée par la citadelle d'Anvers, tandis que son extrême gauche trouvait un appui dans Maestricht fortement occupé. Les places de Berg-op-Zoom, de Bois-le-Duc et de Breda garantissaient ses derrières. En. face d'elle s'étendaient de vastes plaines, sans forteresses, sans rivières importantes, sans aucun de ces obstacles naturels qui entravent la marche d'une armée envahissante. La capitale de la Belgique était à trois journées de marche des avant-postes.

A la fin de juillet, la première division, commandée par le général Van Geen, se trouvait en avant de Chaam et formait la droite. La deuxième, placée sous les ordres du duc Bernard de Saxe-Weimar, était cantonnée à Alphen pour former le centre droit et l'avant-garde. La . troisième, confiée au général Meyer, occupait les environs d'Eersel et formait le centre gauche. La quatrième, composée en grande partie de gardes communales et ayant à sa tête le général Cort-Heiligers, formait l'extrême gauche, à Eindhoven et à Valkensweert. La cavalerie, sous le commandement supérieur du général Trip, était fractionnée en deux (page 57) brigades, l'une de cavalerie légère destinée à seconder le mouvement en avant, l’autre de grosse cavalerie agissant en réserve ((Note de bas de page : Dans son Histoire politique et militaire de la Belgique, M. Huybrecht publie le tableau suivant des forces composant l'armée active de la Hollande (Suit détail non repris pour l’édition numérisée). (…) Total de l'infanterie et de la cavalerie : 51,950. M. Huybrecht ajoute que la division de Zélande, composée de trois régiments d'infanterie de ligne et d'un régiment de gardes communales, comptait 9,000 hommes, Il porte à environ 10,000 hommes la garnison de Maestricht. Il ne donne pas le chiffre de l'artillerie ; mais il évalue l'ensemble des forces Hollandaises à 80,000 hommes (p, 132-138)).

Indépendamment de ces forces imposantes, les Hollandais avaient dans l'Escaut une flotte composée d'un vaisseau de ligne, de quatre frégates, de trois corvettes, d'une bombarde, d'un bateau à vapeur et de seize chaloupes canonnières. Cette flotte portait trois cent quatre-vingt-seize canons et deux mortiers. Enfin, pour compléter leurs avantages et porter au comble les dangers qui menaçaient leurs adversaires, les régiments hollandais, cantonnés sur la rive gauche de l'Escaut et dans les îles de la Zélande, étaient prêts à envahir les Flandres.

2. 2. Les carences militaires belges

La situation militaire de la Belgique était loin d'être aussi favorable.

Des documents officiels prouvent que la partie active de notre armée ne dépassait pas de beaucoup, à la fin de juillet, le chiffre de 40,000 hommes (Note de bas de page : Tous les détails relatifs au nombre, à l'organisation et à l'instruction de nos troupes se trouvent au chap. IV. Nous nous bornons à signaler ici un petit nombre de faits dont la connaissance est indispensable pour l'intelligence des événements).

(page 58) Cette infériorité numérique n'était pas le seul de nos désavantages.

Les officiers belges de l'armée des Pays-Bas étaient presque tous rentrés dans leur patrie. Obéissant à la volonté nationale, ils avaient renoncé à des avantages certains, à des positions péniblement acquises, pour confier leur avenir aux hasards d'une révolution qui était loin d'avoir triomphé de tous les obstacles. Malheureusement leur nombre ne pouvait suffire aux vastes cadres tracés par le gouvernement provisoire. Comme tous leurs compatriotes, nos soldats avaient souffert du système d'exclusion que nous avons déjà rappelé ; et, pour comble de malheur, c'était surtout dans les armes spéciales que les Hollandais avaient obtenu la préférence. Bon gré, mal gré, il fallut admettre les officiers des volontaires dans l'armée régulière.

L'élément révolutionnaire, prédominant ainsi dans les cadres, ne tarda pas à produire ses fruits naturels. A part quelques exceptions, les majors, les colonels, les généraux improvisés, dédaignant une science qu'ils ne possédaient pas, affectaient de mépriser la stratégie et les précautions qu'elle commande. « A quoi bon, » disaient-ils, « ces études arides, ces précautions méticuleuses ? Ce n'est pas à l'aide de manœuvres savantes que le peuple a triomphé au Parc, à Lierre, à Berchem, à Walhem et dans les murs d'Anvers. Les généraux ont rendu les forteresses à des bandes marchant en désordre. » Nos succès de septembre avaient inspiré une confiance excessive. On exaltait les exploits des volontaires, on dépréciait les services des troupes de ligne, fomentant ainsi une jalousie funeste entre deux corps placés sous le même drapeau. Les efforts des chefs qui voulaient établir la subordination échouaient contre les clameurs de la tribune et de la presse. Les officiers se dénonçaient les uns les autres au gouvernement et dans les journaux. La discipline était à peu près nulle (Note de bas de page : « Il y avait alors parmi nous, dit M. de Gerlache, des gens qui prétendaient tout dater de la révolution de 1830, tout renouveler en fait de tactique militaire, comme en fait de gouvernement ; qui méprisaient les traditions consacrées par l'expérience ; qui, sans avoir jamais paru devant l'ennemi, en auraient remontré à César et à Napoléon, parce qu'ils avaient vu le champ de bataille des quatre journées." (Histoire du Royaume des Pays-Bas, 3e éd., t. II, p. 496.)

Sous le rapport de l'administration et des armements, l'état de l'armée n'était pas moins déplorable. L'artillerie n'avait ni les pièces ni les attelages nécessaires. Les soldats étaient mal nourris et mal armés. La (page 59) solde ne se payait pas toujours avec régularité. Un homme dont la responsabilité a été engagée dans les événements de 1831, l'intendant Dufaure, fait lui-même cet aveu significatif : « Au moment où les hostilités commencèrent, l'armée était sans administration. Le ministère n'ayant pourvu à rien, il n'y avait ni entreprise de vivres, ni administration des substances. Il n'y avait ni parc, ni moyens de transport ; la troupe n'avait aucun matériel de campagne. » (Réponse au Mémoire du général Daine, p. 8)

Les seules forces réelles de l'armée consistaient dans son patriotisme et son courage.

Deux corps étaient particulièrement exposés aux coups de l'ennemi, L'un, portant le nom beaucoup trop pompeux d'armée de la Meuse, était placé sous le commandement du. général Daine et avait son quartier général à Hasselt ; l'autre, portant le nom tout aussi peu modeste d'armée de l'Escaut, avait à sa tête le général de Tieken de Tenhove, dont le quartier général était établi à Schilde, sur la route d'Anvers à Turnhout.

Au moment de l'attaque, le corps de Daine comptait environ 12,000 hommes d'infanterie et 700 de cavalerie, avec 24 pièces de canon attelées. Au lieu de concentrer cette petite armée, de la rompre aux manœuvres, de la plier à la discipline, on l'avait disséminée sur une étendue de vingt-cinq lieues, de Venloo à Berck-la-Ville et de Looz à Oostham. Vers le milieu de juillet, deux bataillons du 2e de ligne étaient à Venloo sous les ordres du colonel Dufresnel , à dix-huit lieues du quartier-général ; le 5e régiment de chasseurs, fort de 1,400 hommes, occupait Brée, Weert et Ruremonde, sous le commandement du colonel Vandenbroeck. Une compagnie du 1er régiment de chasseurs à pied était cantonnée à Peel ; le reste du régiment était échelonné depuis Looz jusqu'à Herderen. Un bataillon du 11e régiment se trouvait à Bilsen, un autre à Diepenbeek, un troisième à Hasselt. Un bataillon du 10e régiment était cantonné à Zonhoven, un bataillon du 2e occupait Cortessem (Mémoire au Roi, par le général Daine, p. 8 ; édit. In-4°) (Note de bas de page : Cet éparpillement de nos forces n'était pas le fait de Daine ; il avait agi d'après les ordres du ministère de la guerre. Dans un autre chapitre (IV), nous verrons que le général avait plusieurs fois demandé l'autorisation de faire camper ses troupes).

Sans généraux de brigade, sans état-major complet, sans munitions, sans magasins, sans autres vivres que ceux qu'il obtenait du (page 60) patriotisme des habitants du Limbourg, Daine avait fatigué les ministres de ses demandes et de ses plaintes. En présence des accusations auxquelles il a été en butte et qui pèsent encore sur sa mémoire, l'équité nous fait un devoir de dire que ses réclamations furent aussi nombreuses que pressantes. Le 30 juin, il écrivit au baron de Failly, ministre de la guerre : « ... Si la reprise des hostilités est le vœu du pouvoir, je suis obligé de vous déclarer que je ne suis pas en mesure de faire la guerre de manière à assurer de l'honneur et des succès à nos armes. On m'a promis 63 caissons d'infanterie, un parc d'approvisionnement, je n'ai rien reçu. L'ambulance n'est pas même attelée ; les renforts que l'on m'a promis n'arrivent pas ; je n'ai ni vivres, ni munitions de guerre, ni magasins ; les avancements que j'avais demandés et que l'on m'avait promis, pour exciter le zèle, l'émulation et un dévouement plus grand de la part de mes troupes, n'arrivent pas : bref, ma position au 1er juillet est la même que celle que j'avais au 22 janvier, à part l'envoi d'une batterie de 12 que je viens de recevoir après cinq mois d'attente. » Dans la même lettre, il insistait vivement pour que du moins le commandement de la cavalerie fût confié à un officier général (Mémoire au Roi, p. 70).

L'absence de généraux de brigade à l'armée de la Meuse était d'autant plus regrettable que Daine lui-même était loin de réunir les qualités que réclame le commandement. Vieux soldat, doué d'une incontestable bravoure, mais malheureusement dépourvu de science stratégique, il pouvait tout au plus remplir le rôle d'un général de division en sous-ordre. D'un autre côté, des méfiances mal justifiées lui faisaient repousser les conseils de plusieurs officiers distingués qui se trouvaient à la tête des régiments. Le colonel L'Olivier, le plus ancien de son grade et à ce titre destiné à prendre au besoin le commandement en chef, était tenu dans l'ignorance la plus complète des démarches et des projets de son général. Sous prétexte de ne pas abaisser son autorité devant ses colonels, Daine se jetait souvent dans les bras des subalternes. Parfois des ordres étaient donnés en son nom, sans qu'il en soupçonnât l'existence. On était mécontent les uns des autres ; la confiance disparaissait et le désordre régnait au quartier général (Note de bas de page : Réponse au Mémoire du général Daine, par le colonel L'Olivier, p.2. Suivant un état de situation, communiqué par M. Ch. de Brouckere au colonel Huybrecht, et que celui-ci a publié dans son Histoire pol. et milit. de la Belgique (Pièces justificatives, n°XXXVIII) l'armée de la Meuse comptait, au 1er juillet 1831, 12,292 hommes d'infanterie, 780 de cavalerie, 298 d’artillerie, et 326 sapeurs-mineurs. Ces chiffres ne concordent pas avec ceux que M. Huybrecht a consignés dans le corps de son livre (p. 142)).

(page 61) Examinons maintenant les forces et la position de l'armée de l'Escaut.

Quinze jours avant l'invasion, l'armée de Tieken, cantonnée dans la province d'Anvers, comptait tout au plus 15,000 hommes disponibles. A part l'état-major, qui offrait incontestablement des garanties plus sérieuses, tout ce que nous avons dit de l'armée de la Meuse s'applique à l'armée de l'Escaut. Dédaignant de faire un tableau de fantaisie, nous laisserons à Tieken lui-même le soin de nous signaler la faiblesse et l'éparpillement de ses troupes. Dans une lettre écrite à Daine le8 juillet 1831, trois semaines avant son entrée en campagne, il dit à son collègue : « Depuis mon départ de Bruxelles je n'ai reçu aucune espèce de renfort. Vous savez qu'une armée d'observation devait m'être envoyée successivement jusqu'à concurrence de 10,000 hommes, dont 2,000 de troupes de ligne et 8,000 de garde civique, pour former le blocus de la citadelle d'Anvers, garder la ville et l'étendue des côtes de l'Escaut qui sont garnies de batteries ; vous savez que vous et moi devions avoir chacun 15,000 combattants. Eh bien ! je n'ai pas reçu un seul homme de renfort, et il s'en faut de beaucoup que j'aie 15,000 hommes en tout. Ainsi, avec ce peu de ressources, je garde Anvers, j'occupe trois villages sur la rive gauche de l'Escaut, je garde les batteries des côtés sur la rive gauche et je forme le blocus de la citadelle. Je m'étends en outre depuis Wilmerdonck et les villages avoisinants, jusqu'à Turnhout, Casterlé et Gheel. La chaussée depuis Anvers est échelonnée par mes troupes jusqu'à West-Wezel ; je m'étends le long » de la frontière depuis West-Wezel, Loenhout, Meer, Minderhout, Wortel, Merxplas, Turnhout, Casterlé et Cheel... Je n'ai que deux batteries d'artillerie, tandis que l'ennemi a ses principales forces dans les environs de Tilburg, Breda, Berg-op-Zoom et Roosendael, et qu'il est plus que probable, s'il tente la moindre des choses, que ce sera sur Anvers. » (Note de bas de page : Daine reproduit cette lettre dans son Mémoire au Roi sur les opérations de l'année de la Meuse, p. 40) A ce tableau saisissant nous n'ajouterons qu'une seule (page 62) réflexion, c'est que Tieken, pas plus que Daine, ne possédait les qualités requises chez un général en chef. Après avoir été l'un des officiers les plus brillants de l'Empire, il s'était retiré du service dans les dernières années du royaume des Pays-Bas. L'âge et une longue inactivité avaient usé son énergie et ses forces. De tout cc qu'il était jadis, Tieken n'avait conservé que son patriotisme, son dévouement et son courage. Il n'avait d'ailleurs jamais commandé qu'en sous-ordre. Placé à la tête d'un corps d'armée, il manquait à la fois d'études théoriques et d'expérience (Note de bas de page : D'après l'état de situation déjà cité, l'armée do l'Escaut comptait, le 15 juillet 1831, 15,276 hommes d'infanterie, 1,426 de cavalerie, 622 d'artillerie, et 318 sapeurs. mineurs. Après l'ouverture des hostilités, on y ajouta une brigade de gardes civiques commandés par le général Van Coeckelherghe).

En jetant un coup d'œil sur les cantonnements des deux armées, l'homme le plus étranger aux opérations militaires doit éprouver un sentiment mêlé de surprise et d'indignation. Daine s'étend de Venloo à Merck-la-Ville. Les détachements de Tieken se prolongent d'Anvers à Gheel. De Berck-la-Ville à Gheel, il y a donc une étendue de plusieurs lieues complétement dégarnie de troupes. Il ya une aile gauche et une aile droite, sans centre ! Le point le plus important de la ligne était sans défense (Note de bas de page : Diest n'était pas fortifié à cette époque) ! Comment expliquer cette négligence qui tient du vertige ? Comment ne s'est-on pas aperçu que l'ennemi, pénétrant par cette trouée et se portant. en masse sur Diest., pouvait s'opposer à la jonction des armées de l'Escaut. et de la Meuse, culbuter le corps de Daine, se porter sur Saint-Trond et prendre la grande route de Liége à Bruxelles ?

La faute n'est imputable ni à Daine, ni à Tieken ; elle pèse de tout. son poids sur le département de la Guerre. Dès le 31 mars, Daine avait écrit au Régent : « L'ennemi a concentré ses forces, et s'il vient se placer hardiment entre l'armée qui se trouve dans la province d'Anvers et ta mienne, il peut ravitailler Maestricht ET NOUS BATTRE SÉPAREMENT avant que nous ayons pu nous rejoindre, parce que partout il nous sera supérieur et que nous sommes disséminés, dispersés même, sur une ligne d'opération trop étendue... Mes sotdats sont braves ; mais que pourraient-ils contre des forces triples ? Je ne redoute pas les chances des combats, MAIS JE CRAINS D'ÊTRE DÉSHONORÉ, parce que l'on attend beaucoup de moi avec des moyens nuls (Mémoire au Roi, p. 65). » En remettant cette (page 65) dépêche, un aide de camp de Daine (Note de bas de page : Le capitaine Capiaumont, aujourd'hui général de division) insista fortement sur la nécessité de rapprocher les deux armées et de placer à Diest un corps intermédiaire. Le baron de Chokier lut la lettre du général et dit au porteur : « Daine croit donc que l'ennemi oserait percer notre ligne... Il n'oser'ait pas ! » - « Mais s'il osait, » répondit l'officier, « que ferions.nous ? » Le Régent le regarda fixément, haussa les épaules et se retira !

Ne recevant pas de réponse, Daine s'adressa le 6 juillet à son collègue de l'armée de l'Escaut, pour le prier de faire occuper Diest et les environs par un corps intermédiaire ; mais Tieken, ayant. lui-même des troupes insuffisantes, fut forcé de repousser la demande. De guerre lasse et voyant son flanc gauche découvert, Daine envoya deux bataillions et un escadron à Tessenderloo et à Beeringen. C'était une barrière insuffisante que les colonnes ennemies devaient aisément briser au passage, mais il n'était pas possible de détacher du centre de la petite armée de la Meuse un plus grand nornbre de troupes.

2.3. La rupture de l’Armistice et la question de l’appel à la France

Tel était l'état des choses lorsque plusieurs indices peu équivoques vinrent prouver que les Hollandais s'apprêtaient à franchir nos frontières. Le 26 juillet, après une revue faite par le roi Guillaume, le prince Frédéric data de son quartier général de Breda une proclamation belliqueuse, dans laquelle, sans annoncer en termes exprès l'invasion de la Belgique, il disait cependant à ses troupes : « Marchant sous la protection du Dieu qui a si souvent sauvé la Hollande et. sa dynastie, vous saurez combattre de manière à ajouter encore quelques pages brillantes aux annales des Pays-Bas. » Quatre jours plus tard, le prince d'Orange prit lui-même le commandement de l'armée néerlandaise.

En Belgique on doutait toujours. Les uns croyaient de bonne foi que la Hollande n'oserait pas rompre une suspension d'armes proposée par la Conférence de Londres, garantie par les grandes puissances et expressément acceptée par le roi des Pays-Bas ; les autres, ignorant l'état réel de notre armée, et se faisant étrangement illusion sur l'importance des forces hollandaises, répétaient que nos anciens frères du Nord se garderaient bien de venir chercher de nouveaux désastres dans nos provinces. Le souvenir des journées de septembre suffisait pour rassurer ces optimistes.

Les doutes furent bientôt levés. Le 2 août, vers onze heures et demie (page 64) du matin, au milieu des fêtes qui célébraient sa présence, le roi des Belges reçut à Liége une dépêche du général de Tabor. Elle renfermait la copie d'une lettre par laquelle le baron Chassé dénonçait, pour le 4 août, à neuf heures et demie du soir, la suspension d'armes existant entre la garnison belge de la ville et la garnison hollandaise de la citadelle d'Anvers, Le roi s'attendait à recevoir un avertissement analogue de la part du prince d'Orange ; mais il ne tarda pas h apprendre que celui-ci, sans dénoncer l'armistice, sans déclaration de guerre, sans aucun des ménagements que commande le droit des gens, avait franchi la frontière, deux jours avant le terme fixé par le général Chassé (Note de bas de page : La lettre du général hollandais figure à l'Appendice (L. A.)).

La nouvelle de l'invasion provoqua chez nous des sentiments bien divers. Les journalistes y virent un événement des plus heureux, et cette opinion était partagée par la .classe moyenne et les officiers subalternes. Avec cette confiance excessive, qui est malheureusement un des défauts du caractère national, les masses ne doutaient pas du triomphe de l'armée belge. On disait que cette fois nos soldats ne s'arrêteraient plus au milieu de leurs succès. Nos armes allaient mettre un terme aux intrigues de Guillaume et aux protocoles de la Conférence de Londres ! Pourquoi, s'écriait le Courrier belge, n'irions-nous pas dans la capitale de l'ennemi proclamer la déchéance des Nassau et rétablir la vieille république des Provinces-Unies (Note de bas de page : V. à l'Appendice deux articles empruntés au Courrier belge ct au Courrier des Pays-Bas (L. B.))

Mais les hommes initiés aux secrets de la situation militaire, les esprits réfléchis, qui savent ce que vaut l'enthousiasme d'une armée indisciplinée, alors surtout que les chefs ne brillent ni par le mérite ni par l'expérience, ne partageaient point cette confiance aveugle. Sans désespérer .de l'avenir du pays, ils étaient loin d'être rassurés sur le résultat de la campagne. Le roi Léopold, qui venait de passer en revue les armées de l'Escaut et de la Mense, n'avait que trop remarqué l'insuffisance des cadres et l'inexpérience des troupes. Tout en conservant son calme, sa dignité et son courage, il manifestait des appréhensions fondées. « Encore, disait-il, si j'avais pu consacrer quelques mois à l'organisation de l'armée, je ne craindrais pas la lutte. Peut-être faudrait-il s'en féliciter ; l'armée et le pays s'attacheraient par un succès (page 65) à leur nationalité naissante et au chef qui aurait combattu à leur tête ; mais être pris ainsi au dépourvu, cela est malheureux. » (Histoire du Congrès national, par Th. Juste, t. II, p. 288.)

M. Lebeau, récemment sorti du ministère, avait repris ses fonctions d'avocat-général à la cour d'appel de Liége. Le roi le fit appeler et l'interrogea sur l'état de l'armée. M. Lebeau ne dissimula pas la vérité ; il dit franchement sa pensée tout entière. « L'armée ne manque ni d'ardeur, ni de courage, dit-il. La garde civique est animée d'un vif sentiment national. Mais je ne puis cacher que, malgré les efforts louables et persévérants des divers officiers supérieurs qui ont dirigé le département de la Guerre depuis la révolution, l'armée nouvelle doit, dans mon opinion, laisser beaucoup à désirer sous le rapport de l'organisation. Nous sommes trop près d'une révolution qui a relâché les liens de toute subordination et de toute discipline, pour que l'armée ne s'en ressente pas profondément. De là un grand obstacle à sa réorganisation. Ajoutez-y l'incertitude sur l'issue de cette même révolution, l’incertitude qui jusqu'ici a dû exercer une fâcheuse influence sur l'esprit de l'armée. Quant à la garde civique, je la crois capable de faire des prodiges derrière des remparts, des barricades, ou retranchée dans des maisons, si l'ennemi osait s'engager dans les rues de nos villes ; mais peu exercée, organisée très-incomplètement, je la crois incapable de soutenir un choc en plaine et de résister à la cavalerie et à l'artillerie » ( Juste, ibid., p. 288 et 289)

La position du roi était vraiment perplexe. Réclamer les secours de l'étranger, placer notre indépendance sous l'égide des baïonnettes françaises, c'était humilier l'orgueil national et porter à notre réputation militaire une atteinte grave, sinon irréparable. D'un autre côté, confier le sort du pays à une armée insuffisante pal' le nombre, peu exercée et peu disciplinée, c'était marcher au devant d'une défaite probable, c'était exposer la Belgique à la dernière des humiliations, l'occupation de sa capitale par une armée hollandaise. Cette seconde alternative était d'autant plus redoutable que le parti orangiste, renforcé de cette tourbe d'intrigants que le succès a toujours le privilège d'attirer, eût pu se livrer des démonstrations propres à tromper les puissances étrangères sur les sentiments réels des Belges.

(page 66) Le recours à l'intervention française était en définitive le parti le plus sage. Huit ou dix jours devaient se passer avant que les Français pussent se trouver en ligne de bataille aux environs de Bruxelles. Or, les armées belge et hollandaise étant déjà en présence, ces huit jours suffisaient pour laisser aux événements le temps de se dessiner. Si les Belges obtenaient des avantages, on pouvait arrêter la marche des Français. Si le sort des armes leur était contraire, l'armée auxiliaire arrivait au moment opportun.

Ces considérations ne pouvaient échapper à l'esprit éclairé de Léopold. Après quelques instants de réflexion, il chargea M. Lebeau de transmettre à M. Lehon, notre ambassadeur à Paris, l'ordre de demander officiellement l'assistance d'une armée française, Le roi quitta Liége le 2 août, à neuf heures du soir. Il arriva à Bruxelles le lendemain, à quatre heures du matin. Les ministres attendaient son retour avec impatience. Ils s'étaient bornés à prier M. Lehon de porter le fait de l'invasion à la connaissance du gouvernement français. M. Van de Weyer avait été chargé de faire la même notification à Londres.

Les membres du cabinet n'étaient pas favorables à l'idée d'admettre le secours d'une armée française. Aux termes de l'article 121 de la Constitution, aucune troupe étrangère ne peut occuper ou traverser le territoire qu'en vertu d'une loi. Celte loi n'existait pas, et le Congrès qui, jusqu'à la convocation des Chambres possédait éventuellement le pouvoir législatif, n'était pas réuni. Les ministres se prévalaient de cette considération pour repousser l'appel des Français, non seulement comme déshonorant pour l'armée, comme inutile au point de vue de la défense du territoire, comme dangereux sous le rapport de nos relations avec les gouvernements étrangers, mais encore comme une violation manifeste de la Constitution. Ils partageaient plus ou moins les illusions des journalistes. Rassurés par les événements de septembre, ils attendaient des merveilles du concours de la garde civique et d'une levée en masse.

Heureusement pour l'avenir du pays, le roi sut résister à ces instances. Il fit remarquer que la demande d'intervention était éventuelle et non absolue ; que l'entrée des Français n'aurait lieu qu'en cas de nécessité, et qu'alors les Chambres s'empresseraient de couvrir d'un bill d'indemnité un acte destiné à sauvegarder l'indépendance nationale. (page 67) Le roi fit en même temps réclamer le secours d'une flotte anglaise (Note de bas de page : On trouve à ce sujet des détails intéressants dans l'Histoire de la révolution belge de M. White, t. III , p. 141 et 142. M. Nothomb dit (p. 178, 2e éd.) qu'aucune demande de secours ne fut faite à la Grande-Bretagne. L'existence de cette demande est cependant à l'abri de toute controverse. Lord Palmerston l'annonça officiellement à la Conférence dans sa séance du 6 août 1831 (Papers relative to the affairs of Belgium, A. p. 82). Le Moniteur belge, dans son numéro du 11 août 1831 , avoue que le roi n'avait pas hésité à appeler la France et l'Angleterre au secours de la Belgique. Enfin M. White (Histoire de la révolution belge, t. III, p. 142) rapporte le même fait comme le tenant de la bouche du roi Léopold. Dans la 3e édition de l'Essai (p. 186), M. Nothomb se borne à dire que la lettre de M. Lebeau à M. Lehon ne fut pas transmise à Londres).

2.4. La proclamation royale et la situation d’Anvers

Résolu à partager les dangers de nos soldats, Léopold partit de Bruxelles dans la matinée du 4 août, après avoir adressé à la nation la proclamation suivante :

« Belges !

« En prenant possession du trône, où la volonté nationale m'a appelé, je disais en m'adressant aux représentants de la Belgique : " Si, malgré tous les sacrifices pour conserver la paix, nous étions menacés de guerre, je n'hésiterais pas à en appeler au courage du peuple belge, et j'espère qu'il se rallierait tout entier à son chef pour la défense du pays et de l'indépendance nationale. " Ces paroles, je les adresse aujourd'hui à la nation entière.

« Sans déclaration préalable, les ennemis ont subitement repris les hostilités, méconnaissant à la fois les engagements qui résultent de la suspension d'armes et les principes qui régissent les peuples civilisés.

« Ils n'ont pas reculé devant la plus odieuse violation du droit des gens, et par la surprise ils ont voulu se ménager quelques avantages momentanés. Ce sont les mêmes hommes que vous avez vaincus en septembre ; ils apparaissent au milieu des populations paisibles, précédés par la dévastation et l'incendie.

« Forts du sentiment de notre droit, nous repousserons cette agression inopinée, nous opposerons la force à la force.

« Déjà une fois vous avez vaincu la Hollande ; vous avez commencé la révolution. par la victoire, vous la consoliderez par la victoire. (page 68) Vous ne serez pas infidèles à vos glorieux souvenirs ; vos ennemis vous attendent aux lieux déjà une fois témoins de leur défaite.

« Chacun de vous fera son devoir.

« Belge comme vous, je défendrai la Belgique.

« Je compte sur la garde civique, sur l'armée, sur le courage et le dévouement de tous.

« Je me rends à mon poste.

« J'y attends tous les Belges à qui la patrie, l'honneur et la liberté, sont chers. »

« Bruxelles, 4, août 1831.

« LÉOPOLD. »

L'appel du Roi fut entendu. Dans les villes et dans les campagnes, la garde civique prit les armes. Les routes se couvrirent de milliers de volontaires, marchant à l'ennemi avec cette ardeur généreuse que le patriotisme, joint au mépris du danger, peut seul inspirer. La nation avait foi en elle-même, la gloire de septembre était intacte, et le mot fatal de trahison n'avait pas encore retenti dans les masses. A l'aspect de cet admirable élan, les plus timides osaient espérer la victoire.

Comme les troupes hollandaises occupaient encore la citadelle d'Anvers, l'un des premiers soins de Léopold fut de préserver cette ville des horreurs d'un deuxième bombardement. Il y porta son quartier général dans la soirée du 4 août.

On se figure sans peine le désordre et la terreur qui régnaient dans cette malheureuse cité, où le souvenir de la funeste nuit du 28 octobre permettait de prévoir toutes les catastrophes. La ville avait été mise à l'abri d'un coup de main ; on avait dressé des batteries, construit des redoutes, élevé des barricades, percé des meurtrières ; une proclamation du gouverneur civil, M. Rogier, avait engagé les habitants à garnir les fenêtres et les toits de ces projectiles redoutables déjà connus de l'ennemi : mais que pouvaient toutes ces mesures de précaution contre les bombes d'un ennemi abrité derrière des retranchements inabordables ?

Le lendemain de la dénonciation de l'armistice, le général de Tabor s'était empressé d'offrir au général hollandais Chassé ,commandant de la citadelle, la neutralité de la ville ; mais cette proposition avait (page 69) été rejetée avec hauteur. « Vous pensez, disait Chassé, que la ville d'Anvers doit être hors du champ de bataille ; mais il faudrait pour cela qu'elle fût hors de votre position, qu'elle ne vous offrît ni logements, ni subsistances, ni arsenaux, ni magasins. Si la part que la population d'Anvers prit aux combats d'octobre et la manière dont elle sacrifia mes troupes n'avaient pas placé cette ville dans une position particulière, votre proposition serait admissible au sujet d'un ennemi venant de l'extérieur, qui s'en prendrait seulement à la citadelle au-dehors de la ville ; mais, dans ce cas-ci, vous l'occupez et vous en tirez vos principales ressources... Comment pourrais-je être tenu à respecter la ville ?.. Si l'utilité du service du roi amène l'emploi de tous les moyens d'agression et d'expugnation qui sont en mon pouvoir contre la ville d'Anvers, aucune menace ne me détournera d'en faire usage conformément aux lois de la guerre » (Correspondance de Chassé. - Courrier de la Meuse du 5 août 1831). Ainsi les propriétés, les richesses, les monuments et les chefs-d'œuvre de la métropole du commerce et des arts étaient à la merci d'un général étranger, que la défaite avait aigri et dont l'énergie sauvage n'était pas un mystère !

Des scènes d'une inexprimable confusion suivirent la réponse de Chassé ; la panique s'accrut par les précautions mêmes que l'administration était obligée de prendre. Ce fut avec une véritable terreur qu'on vit placer sur des charrettes et diriger sur Louvain 800 malades recueillis dans les hôpitaux. Les mêmes impressions se manifestèrent lorsque les orphelins et les autres pensionnaires des hospices sortirent en cortége, s'acheminant tristement vers les villages de l'intérieur. Les pompiers de Gand, de Malines et de Bruxelles, arrivés la veille avec de nombreuses pompes à incendie, n'annonçaient que trop l'imminence du danger. A chaque instant on voyait accourir des troupes de paysans échappés à grand'peine des polders inondés, entraînant leur bétail, pleurant leurs désastres et grossissant dans leur terreur le nombre et les progrès des ennemis. Il n'en fallait pas tant pour qu'une partie notable de la population se précipitât vers les portes, emportant ses valeurs les plus précieuses. Lorsque le roi arriva aux abords de la place, des milliers de femmes et d'enfants couvraient la route.

Dans la nuit du 4 août, le général Belliard, ministre plénipotentiaire (page 70) de France près le roi des Belges, essaya vainement de fléchir Chassé et d'obtenir une prolongation de l'armistice pour la ville. De même qu'au général de Tabor, il lui fut répondu que les droits de la guerre légitiment l'emploi de tous les moyens de destruction que réclament les besoins de l'attaque ou de la défense. L'ambassadeur fit une seconde tentative dans la matinée du lendemain, et cette fois le noble vétéran de l'Empire fut plus heureux. Il ébranla la fermeté du général hollandais, en déclarant que la France et les autres grandes puissances avaient pris Anvers sous leur protection, et qu'elles demanderaient un compte sévère de l'incendie d'une ville de commerce qui avait spontanément offert de conserver sa neutralité. Chassé ne voulut pas, il est vrai, renouveler l'armistice ; mais il s'engagea à suspendre les hostilités jusqu'à ce qu'il eût reçu de nouvelles instructions du gouvernement de La Haye (Note de bas de page : Quatre jours après, le 8 août, le baron Chassé informa le général Belliard que le gouvernement hollandais refusait de renouveler l'armistice ; mais il fit en même temps annoncer au général de Tabor que la ville n'avait rien à craindre, aussi longtemps que la garnison hollandaise de la citadelle ne serait pas forcée d'user de représailles. La ville ne fut pas inquiétée).

2.5. Les opérations jusqu’au 4 août 1831

Rassuré sur le sort d'Anvers, le roi porta, le jour même, son quartier général à Malines. Là il se fit rendre compte des positions occupées par les Hollandais, démêla rapidement leurs projets, et transmit à nos généraux des ordres qui pouvaient encore sauver l'armée nationale.

Afin de masquer leurs desseins et d'opérer des diversions au profit de l'armée du prince d'Orange, les Hollandais avaient, le 2 et le 3 août, simultanément menacé les frontières de toutes nos provinces qui touchent à la Hollande. Le général de Kock, qui commandait ]a division militaire de la Zélande et dont le quartier général était à Yzendyke, avait fait envahir les communes au nord de Gand et de Bruges. Sur les rives de l'Escaut, ]es soldats de la flotte s'étaient emparés du fort à moitié ruiné de Sainte-Marie. Plus loin, la garnison hollandaise de Liefkenshoeck avait percé ]es digues du vaste polder de Sainte-Anne et saccagé le village de Calloo. Des colonnes mobiles, principalement composées de gardes communales de la Gueldre et de la Hollande méridionale, s'avançaient de Berg-op-Zoom pour venir attaquer nos avant-postes au nord d'Anvers. Enfin, à l'autre extrémité (page 71) du pays, la division du général Cort-Heiligers était entrée dans la province de Limbourg, tandis que le général Dibbets faisait sortir de fortes colonnes de Maestricht. Le glaive était décidément tiré.

Nous ne dirons rien des engagements partiels qui furent sans influence décisive sur le résultat de ]a campagne ; mais nous suivrons pas à pas la marche des corps placés sous le commandement immédiat du prince d'Orange (Note de bas de page : Pour les engagements qui eurent lieu dans les Flandres, on peut consulter l'ouvrage de M. Rodenbach (Episodes de la révolution dans les Flandres ; Brux., Haumann, 1833, in-18). Pour les opérations du corps placé sur la rive droite de la Meuse, sous le commandement du colonel Vandenbroeck, on trouve des renseignements complets dans l'Histoire politique et militaire de la Belgique, par Huybrechts, p. 201 et suiv.).

Le 2 août, première journée de cette funeste campagne de dix jours, les divisions hollandaises cantonnées dans le Brabant septentrional reçurent l'ordre de se porter en avant. Leurs premiers mouvements s'opérèrent avec succès. La 1e division (général Van Geen) franchit la frontière, repoussa un poste avancé des Belges jusqu'en arrière de Merxplas, et prit position en avant de BaerIe-Hertog, ayant ses avant-postes à Zondereygen et Baerle-Brugge. La 2me division (duc de Saxe-Weimar), débouchant par Poppel et Weelde, poussa ses avant-postes jusqu'à Ravels. Sur les derrières de ces deux corps, la cavalerie et l'artillerie de réserve s'étaient avancées sous les ordres du général Post, pour venir bivouaquer en avant d'Alphen.

Le lendemain, 3 août, l'armée hollandaise s'avança vers Turnhout sur trois colonnes. A la droite du prince, la 1re division partit à quatre heures du matin de Merxplas et prit position près du village de Vosselaer, en travers de la chaussée de Turnhout à Anvers ; on avait joint à cette division la brigade de cavalerie légère et trois batteries d'artillerie volante. La 2me division occupa la ville, après avoir repoussé quelques détachements ennemis. En même temps la 5me division (général Meyer) s'emparait, sur la gauche, des villages d'Arendonck et de Hethy. La cavalerie et l'artillerie de réserve s'avancèrent jusqu'à Ravels.

Des mouvements peu considérables remplirent la journée du 4 août. Conservant son quartier général à Turnhout, le prince d'Orange envoya la 2me division prendre position à Gheel. Elle fut remplacée à Turnhout par la 1re division, à l'exception d'une brigade qui conserva sa position (page 72) de la veille à Vosselaer, sur la route d'Anvers. La 5me division fut dirigée sur Moll, et la brigade de grosse cavalerie du général Post, avec l'artillerie de réserve, s'établit à Casterlé.

Notre territoire était envahi, mais l'armée hollandaise avait chèrement payé ce premier succès. Surprise dans ses cantonnements et accablée par le nombre, la brigade d'avant-garde de l'armée de l'Escaut, commandée par le général Niellon et forte tout au plus de 1800 hommes avec trois pièces d'artillerie, avait opposé une héroïque résistance. A Baerle-Brugge, un poste de 400 Belges osa tenir tête à la division du général Van Geen, et pendant plusieurs heures cette poignée de braves arrêtèrent la marche de l'ennemi. Nos soldats se conduisirent avec la même bravoure dans le village de Ravels, où Niellon déploya des talents militaires que sa vie antérieure n'avait pas fait présager. A la vérité, il dut céder le terrain, mais il le fit avec honneur et se replia vers le centre de l'armée de Tieken, après avoir forcé l'ennemi lui-même à rendre hommage à la valeur de nos troupes.

Le prince d'Orange profita de son séjour à Turnhout pour répandre à profusion la proclamation suivante :

« AUX HABITANTS DES PROVINCES QUE DOIT OCCUPER L'ARMÉE DE S. M. LE ROI DES PAYS-BAS.

« A la tête de l'armée nationale des Pays-Bas, je me suis porté sur votre sol. Je viens tranquilliser les habitants paisibles de ces provinces sur le but de cet acte d'hostilité.

« Aucun désir de conquête ou de vengeance n'anime l'armée ou son chef.

» Le roi, mon père, m'envoie sans aucun autre but que celui d'obtenir des conditions justes et équitables pour la séparation entre les provinces qui lui sont restées fidèles et celles qui se sont soustraites » à sa domination.

« Nous faisons la guerre pour accélérer l'établissement d'une paix durable.

« Aux habitants tranquilles du territoire sur lequel je me trouve maintenant, je garantis protection et sûreté ; je promets mon appui à ceux qui sont portés pour la bonne cause.

« S'il arrivait qu'il fut commis quelque désordre, inconvénient (page 73) toujours inévitable de la part d'une armée nombreuse, toute plainte faite par l'habitant sera accueillie par les chefs militaires. Une punition sévère sera la conséquence immédiate de la preuve du délit.

« Donné au quartier général, le 2 août 1831.

« GUILLAUME, Prince d'Orange. »

Pendant que, dans les communes envahies, les uns accueillaient cette proclamation avec indifférence , les autres avec dédain et tous avec une méfiance peu déguisée, le roi des Belges, revenu d'Anvers à son quartier g6néral de Malines, s'efforçait de découvrir le plan de campagne des Hollandais. Qu'allait faire le prince d'Orange ? Tenterait-il un coup de main sur Anvers, avec l'appui de la garnison de la citadelle et des marins de l'escadre ? Marcherait-il sur Bruxelles par Lierre et Malines ?

Se jetterait-il avec toutes ses forces sur l'armée de l'Escaut, puis sur l'armée de la Meuse, afin de les battre l'une après l'autre ? ou bien, profitant de la large trouée si imprudemment laissée dans notre ligne de défense, se porterait-il hardiment entre les corps de Tieken et de Daine, pour débusquer celui-ci de ses positions et marcher ensuite sur Bruxelles, par Saint-Trond, Tirlemont et Louvain ?

Les opérations des deux premiers jours laissaient subsister tous les doutes ; mais il n'en était pas de même des mouvements en avant qui s'effectuèrent, dans l'après-midi du 4, de Vosselaer à Turnhout et de cette ville à Gheel et à Moll. En les combinant avec la marche de Cort-Heiligers sur la province de Limbourg, on devait présumer que Daine allait recevoir le choc de toutes les forces hollandaises.

Bientôt le doute ne fut plus possible.

2.6. Le plan de jonction des armées de la Meuse et de l’Escaut

Le 5 août, les desseins du prince d'Orange furent dévoilés. La 1re division (Van Geen) quitta Turnhout pour aller occuper Gheel et Casterlé. La 2° division, sous les ordres du duc de Saxe-Weimar, se porta en avant sur Diest, d'où quelques cavaliers de l'armée de Daine se retirèrent à son approche ; de sorte que le duc put s'établir sans résistance dans la ville et aux environs, depuis le village de Sichem sur la gauche jusqu'à la commune de Haelen sur la droite. En même temps la 5° division (Meyer), pénétrant dans le Limbourg par Quaedmechelen et Oostham, repoussa les faibles postes de l'armée de Daine (page 74) cantonnés dans ces villages et vint établir son quartier général à Beeringen (Note de bas de page : M. Durant (Dix jours de campagne, p. 127) dit que les Belges avaient rassemblé à Beeringen des forces considérables. En réalité, toute la résistance se réduisit à une dizaine de coups de fusil tirés par trois ou quatre gardes civiques du canton. M. Durant pouvait se dispenser de parler des succès obtenus dans cette vive et brillante affaire. Un bataillon d'infanterie belge s'était retiré à l'approche de l'ennemi).

Dès ce moment, la direction à imprimer aux armées de la Meuse et de l'Escaut ne pouvait plus être l'objet d'une discussion sérieuse.

Il fallait ordonner à Daine de faire un mouvement en avant vers la ville de Diest, pendant que Tieken, exécutant de son côté un mouvement dans la même direction, se jetterait sur les derrières des divisions hollandaises attaquées en front par son collègue. En exécutant ces mouvements avec promptitude et vigueur, on pouvait rendre la position du prince d'Orange d'autant plus critique que les milliers de volontaires qui accouraient au quartier général du roi eussent suffi pour inquiéter les ailes, harceler les convois et troubler les communications de l'ennemi.

Léopold ne tarda pas à prendre son parti. Non-seulement il fît transmettre à Daine et à Tieken l'ordre de se rapprocher dans la direction de Diest ; mais, afin d'accélérer la marche de l'armée de la Meuse, il envoya à Hasselt le général de Failly, que l'indignation publique avait forcé de déposer le portefeuille de la guerre.

L'ordre adressé le 5 août au général Daine, et dont l'inexécution a causé en grande partie nos désatres de 1831, était ainsi conçu : « L'armée de la Meuse se mettra en mouvement le 6 août, s'il est possible, pour se porter sur Diest et Sichem, et le jour suivant, 7 du même mois, sur Westerloo. Si l'ennemi occupait quelqu'une de ces positions, il en serait chassé de vive force ; s'il ne s'y trouvait pas, le général Daine se porterait avec ses forces sur Gheel, où il continuerait à agir. conjointement avec le corps d'armée, que commande le général de division Tieken de Tenhove, qui a l'ordre de ne commencer une attaque sérieuse que lorsqu'il entendra la canonnade de l'armée du général Daine. En conséquence, ce dernier général emploiera tous les moyens possibles de faire connaître au général Tieken le progrès de ses mouvements (Note de bas de page : Dans plusieurs relations on donne à cet ordre la date du 4 août. C'est une erreur. Il y a eu deux ordres, l'un du 4, l'autre du 5 ; et, qui plus est, dans l'intervalle, il y avait eu un contre-ordre. Daine a fourni cette preuve à la dernière évidence (Voy. pour ces détails le chap. IV)).

(page 75) Plein de confiance dans l'énergie de Daine, le roi prit de son côté les mesures nécessaires. Réunissant les gardes civiques et les volontaires qui se trouvaient dans le voisinage, il se mit en route pour établir son quartier général à Aerschot, après avoir ordonné à Tieken de marcher vers la même ville. Tieken obéit, et la jonction s'opéra le 8, au village de Westmeerbeek. Depuis la veille au soir, la brigade d'avant-garde, vigoureusement conduite par Niellon, était arrivée à Veerle, à une lieue et demie de Diest (Note de bas de page : En lisant attentivement les documents officiels, on s'aperçoit que Tieken, tout en obéissant au roi, avait agi avec une lenteur désespérante. Le 6 août, à midi, il reçut l'ordre de se mettre en route, afin d'arriver à Diest dans la soirée du 7. Il mit son corps en mouvement à 6 heures, pour s'arrêter, avec la colonne principale, à Lierre, à trois petites lieues d'Anvers. Le lendemain, 7 août, il s'arrêta à Westmeerbeek. Il mit vingt-quatre heures, pour franchir une distance de sept lieues, entre Anvers et Westmeerbeek).

L'armée de l'Escaut, qui avait conservé toute sa force morale, accueillit le roi avec un enthousiasme qui rappelait les premiers jours de notre indépendance. Les troupes montraient des dispositions tellement favorables que, le jour même, Léopold écrivit au général Belliard pour le prier d'arrêter la marche de l'armée française qui arrivait à notre secours. La lettre de Sa Majesté est un document historique qu'on nous saura gré de reproduire.

« Aerschot, le 8 août 1831.

« Mon cher général,

« Je suis arrivé ici d'assez bonne heure. j'ai pris 1,500 gardes civiques de différents cantons et 20 gendarmes, et je me suis dirigé avec toutes les précautions militaires vers Westmeerbeek assez près de Westerloo. Là j'ai eu le bonheur de me réunir avec Tieken. Ce général, que j'ai amené ici, a à peu près 13,000 hommes sous les armes. J'ai été reçu par la troupe, qui était fatiguée à mort, avec les acclamations et une joie extrême. Je pense partir d'ici demain matin, pour enlever Montaigu et marcher vers Daine, qui paraît avoir eu des succès, avec environ 17,000 hommes et une vingtaine de canons.

(page 76) « Je respire à présent, ayant ce bon gros bataillon qui est animé du meilleur esprit.

« Les circonstances se trouant si favorables, je crois qu'il est urgent d'arrêter le mouvement du maréchal Gérard : le sentiment est extrêmement fort dans l'armée, et je le trouve naturel, de combattre sans secours étranger.

« Je pense que, pour la bonne harmonie entre les puissances, il est absolument désirable de ne faire marcher le maréchal que lorsque l'urgence des circonstances le demandera.

« Veuillez me croire, mon bien-aimé comte, toujours votre sincèrement dévoué ami

« LEOPOLD. »

En effet, le lendemain 9 août, le roi ordonna un mouvement en avant pour débusquer l'ennemi de la position de Montaigu et se rapprocher de l'armée de Daine. Tout semblait présager une journée heureuse. Rivalisant de courage et d'ardeur, la garde civique, les troupes de ligne et les volontaires entonnaient des chants patriotiques et saluaient la présence du roi de longues et chaleureuses acclamations. De temps en temps on s'arrêtait et tous gardaient le silence, pour prêter l'oreille aux sons lointains du canon de l'armée de la Meuse ; on s'étonnait du calme profond qui continuait de régner à l'horizon. Tout à coup, à onze heures du matin, un courrier, parti la veille de Liége, apporte une sinistre nouvelle, Daine avait désobéi aux ordres du roi ! L'armée de la Meuse, frappée d'une terreur panique, après avoir deux fois triomphé des premières colonnes de l'ennemi, s'était jetée en désordre sur la route de Hasselt à Liége ! Le Limbourg tout entier était envahi, et le prince d'Orange se dirigeait, par St-Trond, vers le centre du Brabant !

Avant d'aller plus loin, il importe de rappeler de quelle manière ces déplorables événements s'étaient accomplis.

2.7. La débacle de l’armée de la Meuse

Aussitôt que Daine eut reçu l'avis de la marche agressive de l'armée hollandaise, il avait donné à toutes les troupes disponibles l'ordre de se réunir sur un plateau élevé, à un quart de lieue en avant de Zonhoven, à droite de la chaussée de Hasselt à Bois-le-Duc. Flanquée de marais et de bois, accessible d'un seul côté et abondamment pourvue d'eau, cette position était excellente comme poste de défense et de résistance ; (page 77) mais, clans les circonstances où l'on se trouvait, elle offrait un grand inconvénient, en ce sens que Daine, au lieu de rétrécir la trouée qu'il avait signalée dans notre ligne, l'élargissait d'une lieue (Note de bas de page : Il est vrai que, si Daine avait obtempéré à l'invitation du baron de Failly, ministre de la Guerre, la trouée eût été encore beaucoup plus large. De Failly voulait placer le camp au vi1lage de Mechelen, à trois lieues plus loin sur la droite. Hasselt et tout le Limbourg eussent été à découvert (Voy. le chap. IV et le Mémoire au Roi, p. 58 et 59)).

Quoi qu'il en soit, afin de prévenir les surprises, trois bataillons , une demi-batterie et cinquante chasseurs à cheval furent échelonnés sur la route de Bois-le-Duc, depuis Hechtel jusqu'à Zonhoven, Ces dispositions venaient d'être prises lorsque la division hollandaise de Cort-Heiligers, composée aux trois quarts de gardes communales mobilisées, pénétra dans le Limbourg, par le village de Lommel. Après avoir perdu deux jours à diriger des reconnaissances dans la direction de Neerpelt , Overpelt et Hamont, le général ennemi vint, dans l'après-midi du 5 août, attaquer nos avant-postes au vil1age de Hechtel.

Nos soldats, qui avaient reçu l'ordre de se replier lentement sur Houthalen, défendirent le terrain pied à pied, avec un dévouement admirable. On remarqua surtout l'intrépidité du bataillon des Tirailleurs de la Meuse commandé par le major Lecharlier. Disséminés à droite et à gauche de la route, chaque arbre, chaque fossé, chaque buisson devenait pour ces braves un retranchement d'où ils faisaient pleuvoir la mort dans les rangs ennemis. Aujourd'hui encore, après un intervalle de trente années, les habitants de la Campine limbourgeoise se plaisent à citer cent traits de bravoure de ces héroïques volontaires. Grâce à eux aux soldats du 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs, ce ne fut qu'après cinq heures de combats que Cort-Heiligers réussit à pénétrer dans le village de Houthalen.

Le lendemain, 6 août , à sept heures du matin, la scène changea d'aspect. Le 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs à pied prit position entre les dernières maisons du village. Les Tirailleurs de la Meuse se jetèrent eh avant, aux deux côtés de la chaussée de Bois-le-Duc. Le lieutenant Fonsny, commandant la section d'artillerie, mit ses pièces en batterie, attendit l'ennemi à 500 pas, et son feu bien dirigé fit tomber des files entières dans les rangs pressés des Hollandais, Du haut du plateau où elle avait établi son bivouac, l'armée de la (page 78) Meuse contemplait en frémissant les péripéties de cette lutte inégale. De vieux capitaines, qui avaient gagné l'épaulette sur les champs de bataille de l'Empire, demandaient en pleurant la permission de conduire leurs soldats au secours de leurs compagnons d'armes. Inquiet et sombre, Daine repoussait ces nobles instances. N'ayant aucune donnée certaine sur les forces de l'ennemi, il craignait, disait-il, de se fourvoyer. Sept mille hommes étaient là, l'arme au bras et demandant à combattre (Note de bas de page : Il importe de remarquer que l'armée de la Meuse ne se trouvait pas tout entière au camp. Il faut en décompter la garnison de Hasselt, la garnison de Tongres, le corps du général Vandenbroek sur la rive droite de la Meuse et les troupes postées en avant de Maestricht).

Aussi timide dans le commandement que valeureux dans l'action, Daine finit cependant par envoyer au combat un bataillon du 2e régiment et deux compagnies de voltigeurs du 11e. C'était trop peu pour rendre la journée décisive, mais c'était assez pour repousser l'ennemi du village de Houthalen. Les Belges reprirent aussitôt l'offensive. Divisés en trois colonnes, ils attaquèrent l'ennemi au pas de course, aux cris mille fois répétés de Vive Le Roi ! Vivent les Belges ! Le village fut emporté à sept heures du soir, et les Hollandais, laissant une foule de morts et de blessés sur le terrain, se retirèrent en désordre à deux lieues du champ de bataille. L'attaque avait été tellement vive que le colonel de Villers (Belge de nation) fut tué d'un coup de baïonnette par un chasseur du bataillon des Tirailleurs de la Meuse. Un ordre trouvé sur cet officier supérieur apprit à Daine que, depuis deux jours, il se trouvait en face de la division de Cort-Heiligers. Jusqu'à cc moment il l'avait complétement ignoré (Note de bas de page : Plusieurs actes de bravoure ont signalé cet épisode de la campagne. Le capitaine Raikem, aide de camp de Daine, et un officier de cuirassiers, le lieutenant Meuret, traversèrent les marais situés entre le camp et le village, à la tête de 2e cuirassiers, et mirent en fuite la grand'garde de l'ennemi).

Ce fut le 6 août, pendant le combat de Houthalen, à six heures du soir, que le général de Failly parvint à remettre à Daine l'ordre que le roi avait donné la veille et que nous avons, transcrit ci-dessus. Au lieu d'obéir avec cette promptitude qui est une des vertus du soldat ; au lieu d'apprécier en chef d'armée les avantages incontestables que présentait une marche de flanc vers l'armée de l'Escaut (page 79), Daine reçut l'injonction royale avec des murmures et des plaintes. « On me donne, dit-il, l'ordre de passer sur le ventre de 21,000 hommes qui se trouvent à Diest, s'il est possible, sans compter le corps de 10,000 hommes que je bats, et sans s'inquiéter si j'ai une livre de pain et de viande pour nourrir mes 9,000 hommes, dans un pays aussi accidenté que celui de Diest, ayant en face et sur mon flanc droit des forces imposantes. On doit laisser à un général commandant une armée les coudées franches. Mon plan est depuis longtemps arrêté de porter la guerre dans le Brabant septentrional, dont la population nous est acquise ; de nourrir la guerre par la guerre ; de relever le moral des Belges en les faisant aller en avant ; d'obliger les forces ennemies à rétrograder pour défendre leur sol, et, faisant tête de colonne à gauche, de rejoindre le général de Tieken, après avoir porté la terreur dans le Brabant septentrional. » (Note de bas de page : Mémoire au Roi, p. 15. M. Huybrecht page 181, invoque le Journal du colonel Fonson, que j'ai publié dans les Bulletins de la Société scientifique ct littéraire du Limbourg (t. IV, p.115 et suiv,), pour prétendre que Daine a reçu l'ordre du roi entre dix et onze heures du matin. .J'ai lieu de croire que l'affirmation de Daine est rigoureusement : conforme à la vérité, - Le colonel Fonson, en sa qualité de chef de l'état-major de l'armée de la Meuse, pouvait sans doute savoir tout ce qui se passait ; mais il importe de remarquer que son Journal a été rédigé plusieurs mois après les événements, et que, plus d'une fois, on y trouve les expressions suivantes : Si je puis bien me rappeler,.. A ce qu'on m'a dit depuis... D'ailleurs, le texte du journal ne s'exprime pas d'une manière positive sur l'heure à laquelle l'ordre a été remis).

Si Daine ne s'était pas donné la peine de publier lui-même cette étrange réponse, on serait tenté de l'écarter comme impossible. Daine qui, placé à la tête d'une armée de 9,000 hommes, laisse peser sur trois de ses bataillons et deux compagnies de voltigeurs tout le poids de l'attaque ; Daine qui, de crainte de se fourvoyer, n'ose pas même envoyer un escadron de cavalerie pour seconder ces braves qui mettent en fuite toute une division hollandaise, Daine veut marcher en avant et porter la guerre dans le Brabant septentrional ! Il reste immobile en présence d'une division de gardes communales, et il veut aller braver les garnisons de Bois-le-Duc, de Berg-op-Zoom et de Breda, outre la réserve que l'ennemi avait prudemment laissée sur ses derrières ! Et comment qualifier cette singulière prétention qui (page 80) consiste à imposer au roi l'obligation de laisser à tout général de division les coudées franches ?

Daine devait et pouvait obéir. En partant le 7, au lever du soleil, il lui était possible d'arriver le même jour en vue de Diest, par Beeringen et Tessenderloo. C'était une distance de cinq lieues à franchir, et les circonstances étaient favorables. La veille, le général hollandais Meyer avait quitté Beeringen pour aller prendre position à Herck-la-Ville, laissant ,.entre lui et la route à parcourir par Daine, une distance de trois lieues, un pays entrecoupé de ruisseaux et de bois, la rivière le Demer et les marais du Schuelens-Broeck. Cort-Heiligers, à la vérité, avait profité de la nuit pour réunir ses régiments à Heusden, mais le combat de la veille avait assez .prouvé que cette division de gardes communales était peu redoutable.

Que Daine se sentit embarrassé au moment où le général de Failly lui communiqua les ordres du roi, on le conçoit sans peine ; mais comment expliquer ses appréhensions en présence d'un fait qui se passa le lendemain et que Daine lui-même rapporte en ces termes : « Le 7, de bonne heure, voulant avoir des nouvelles de l'ennemi, j'envoyai une forte reconnaissance d'infanterie et de cavalerie dans la direction de Houthalen....., sous les ordres de mon aide de camp Capiaumont : » cet officier s'assura de la retraite et atteignit l’ennemi près de Zolder ; il était en désordre, se dirigeant sur Beeringen et Diest. Les chemins étaient jonchés de morts et de bagages ; la terreur était dans ses rangs. » - Si l'ennemi se retirait en désordre ; si la terreur régnait dans ses rangs, pourquoi ne pas se jeter sur ses derrières, achever sa déroute et marcher sur Diest ? (Note de bas de page : Mémoire au Roi, p. 16. Nous avons appris de source certaine que le capitaine Capiaumont était sorti du camp avec la conviction qu'il allait être suivi par toute l'armée. Il avait vivement engagé Daine à se diriger vers l'armée de l'Escaut par Beeringen et Tessenderloo. Le général changea d'avis pendant l'absence de son aide de camp).

Il est vrai que cette marche en avant, entre les divisions de Cort-Heiligers et de Meyer, n'était pas exempte de danger. En apprenant le mouvement offensif de Daine, le prince d'Orange pouvait donner à Meyer l'ordre de repasser le Demer, par les chemins qu'il avait suivis la veille pour se rendre à Herck-la-Ville. Alors, attaquees en face par une brigade de Van Geen, sur leur flanc gauche par Meyer, (page 81) sur leur flanc droit par Cort-Heiligers, pendant que la division du duc de Saxe-Weimar se serait ébranlée pour entraver les mouvements de l'armée de l'Escaut, les troupes de Daine étaient exposées à subir des pertes terribles. Mais si l'armée de la Meuse n'était pas assez aguerrie pour subir cette épreuve décisive, son général avait un autre parti à prendre. L'ordre du 5 août prescrivait, il est vrai, de prendre le chemin de Diest ; mais si les abords de cette place étaient trop fortement occupés par l'ennemi, Daine devait en informer le roi et marcher sur St-Trond et Tirlemont, pour se diriger de là, selon les circonstances, sur Aerschot ou Louvain. Le roi se serait empressé de modifier son plan de campagne, et la jonction des armées de l'Escaut et de la Meuse eût pu s'opérer dans la journée du 8 août.

Au lieu d'opter pour l'un de ces deux partis, Daine ne quitta son camp de Zonhoven que le lendemain à dix heures du matin, et se dirigea sur Hasselt, afin d'y prendre la route conduisant à Diest par Curange, Kermpt, Berbrouck , Herck-la-Ville et Haelen. Arrivée à Hasselt à midi, l'armée n'en sortit qu'à trois heures.

De toutes les combinaisons imaginables, celle qui reçut la préférence de Daine était incontestablement la plus malheureuse, l'om s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'œil sur les positions occupées par l'armée hollandaise. Le 7 août, la 1e division (Van Geen) avait une brigade à Diest, où le prince d'Orange avait établi son quartier général ; une autre brigade de cette division se trouvait à Haelen, avec quatre batteries d'artillerie de réserve et la brigade de cuirassiers commandée par le général Post. En avant de ces troupes, à moitié chemin de Diest à Hasselt, la 3e division (Meyer) occupait Herck-la-Vil1e et Berbrouck ; on lui avait adjoint la brigade de cavalerie légère sous les ordres du général Boreel. A droite, la 2e division (duc de Saxe-Weimar) s'était portée en avant et avait pris position à Saint-Trond dès une heure de l'après-midi. A gauche, la division de Cort-Heiligers, que Daine avait battue la veille, s'était concentrée à Heusden (Note de bas de page : Dans son Mémoire sur les opérations de l'armée de la Meuse, Daine soutient que l'entrée de Saxe-Weimar à Saint-Trond lui fut seulement annoncée à neuf heures du soir. II nous est difficile d'admettre cette explication. A trois heures de l'après-midi, les fuyards de Saint-Trond arrivaient déjà à Hasselt. Le quartier général était donc seul dans l'ignorance des événements !)

(page 82) En avançant sur la route de Hasselt à Diest, Daine avait donc 20,000 hommes en front et 10,000 sur chacun de ses flancs. Et ce n'est pas tout ! Une brigade hollandaise pouvait sortir de Maestricht, culbuter le petit nombre de Belges qui se trouvaient devant la forteresse, s'emparer de Tongres et couper la retraite.

Ce fut dans ces déplorables conditions que, vers trois heures du soir, les 10,000 hommes de Daine sortirent de Hasselt. A cinq heures et demie, ils arrivèrent en vue du village de Kermpt, où déjà l'avant-garde était aux prises avec la cavalerie légère de Boreel et les avant-postes de Meyer. Cette avant-garde, commandée par le colonel Bouchez et composée de trois bataillons d'infanterie, de deux escadrons de chasseurs et d'une section d'artillerie, avait débouché de Curange, dans la direction de Kermpt, vers une heure. Elle y fut successivement rejointe par le reste de l'armée, et là, comme à Houthalen, nos soldats firent preuve d'une incontestable bravoure. Aux deux côtés de la route, nos voltigeurs reprirent à la baïonnette plusieurs hectares de bois appartenant à la forêt de Herkenrode. Quelques bataillons se jetèrent bravement au centre du village de Kermpt, et tachèrent de s'établir au cimetière, pendant que nos tirailleurs harcelaient l'ennemi partout où se montraient ses colonnes. Les guides et trois escadrons du 2e régiment de chasseurs exécutèrent des charges aussi heureuses que bien conduites. Quelques pièces d'artillerie sous le commandement du lieutenant-colonel Vandamme, placées en avant des maisons, portèrent le ravage dans les rangs hollandais, qu'elles foudroyaient dans trois directions. La victoire sourit une seconde fois à la petite armée de la Meuse. La cavalerie de Boreel finit par s'enfuir en désordre, pendant que l'infanterie hollandaise profitait de l'obscurité pour se retirer en arrière de Berbrouck. Nos troupes, exténuées par la chaleur, les privations et les fatigues, bivouaquèrent sur le champ de bataille, avec l'espoir de marcher le lendemain à la rencontre de l'armée de l'Escaut (Note de bas de page : V. à l'Appendice, le fragment intitulé : Combat de Kermpt (L. C.)).

Cet espoir ne devait pas se réaliser. Aux derniers coups de feu, Daine s'était rendu à Hasselt, d'où il transmit, à onze heures. du soir, l'ordre d'opérer un mouvement rétrograde. En effet, malgré l'avantage qu'on venait de remporter, c'était le seul parti à prendre ; les événements du lendemain ne l'ont que trop prouvé. Une faute en avait (page 83) entraîné une autre. Le matin, un mouvement en avant pouvait conduire l'armée aux portes de Diest ; le soir, une pointe sur Kermpt n'était qu'un acte de folle témérité. C'était faire couler le sang belge en pure perte (Note de bas de page : Nous venons de dire que l'ordre d'opérer le mouvement rétrograde a été expédié de Hasselt. Le fait est incontestable. Daine se trompe en affirmant, dans son Mémoire au Roi, qu'il a passé la nuit au champ de bataille. M. Huybrecht (p. 185) se trompe de son côté, quand il affirme que Daine, avant de quitter Kermpt, donna l'ordre de battre en retraite aussitôt que la nuit serait venue. Le Journal du colonel Fonson, sur lequel M. Huybrecht s'appuie, dit positivement que les ordres furent expédiés de Hasselt après onze heures du soir.)

Quoi qu'il en soit, le mouvement rétrograde s'opéra avec la lenteur qu'on aura déjà remarquée dans la marche de Zonhoven à Kermpt. A trois heures du matin, les troupes étaient réunies aux portes de Hasselt. A neuf heures, elles défilaient encore dans les rues de la ville ! L'armée marchait en désordre. Fantassins, cavaliers, voitures, chevaux de main, fourgons ; tout allait pêle-mêle. Aucun intervalle n'était laissé entre le corps principal et l'arrière-garde. Les soldats, qui ne se rendaient pas compte des motifs d'une retraite après deux combats où ils avaient repoussé l'ennemi, disaient hautement qu'ils étaient trahis par leur général ; et, il faut l'avouer, un grand nombre d'officiers subalternes partageaient cette triste conviction. Le peu de discipline que possédait l'armée de la Meuse avait disparu avec la confiance dans la capacité et l'intégrité du chef. Il était évident que nos troupes, jusque-là si courageuses et si fermes, allaient désormais céder au premier choc.

La catastrophe ne se fit pas attendre.

Le 8 août, au lever du soleil, la 2e division hollandaise (duc de Saxe-Weimar) avait quitté Saint-Trond et s'était portée en avant sur Hasselt, afin d’envelopper Daine du côté de Saint-Trond et de Tongres. En même temps, les troupes de l'aile gauche, sous les ordres de Cort-Heiligers, s'avançant par Heusden et Zonhoven, marchaient vers Hasselt du côté de Bois-le-Duc. Enfin le prince d'Orange lui-même, s'étant placé à la tête de la 5° division (Meyer) , à laquelle il avait joint 48 pièces de canon, traversa les villages de Kermpt et de Curange, sans rencontrer d'autre résistance qu'un feu de tirailleurs, engagé par les volontaires du bataillon commandé par le major Lecharlier. (page 84) A huit heures du matin, Daine se trouvait déjà enveloppé de trois côtés ! La route de Hasselt à Tongres était libre encore : il s'y jeta, Le prince d'Orange ignorait lui-même tous les avantages que ces manœuvres habiles lui avaient procurés. Il croyait que Daine voulait l'attendre à Hasselt, ou même venir tenter une nouvelle attaque dans la direction de Diest. Il fut bientôt détrompé. Un parlementaire qu'il avait envoyé à Hasselt vint lui apprendre que les derniers soldats de l'armée de la Meuse venaient de se retirer par la porte de Tongres.

Profitant habilement de cette nouvelle imprévue, le prince ordonna, au général Boreel de traverser Hasselt au trot avec sa brigade de cavalerie et une demi-batterie d'artillerie légère, La manœuvre fut exécutée avec vigueur, et ses résultats eussent été bien plus déplorables encore, sans l'héroïsme de deux lanciers belges appartenant à un peloton qu'on avait chargé d'observer les mouvements de l'ennemi. Au lieu de se diriger au galop vers notre arrière-garde, ces deux braves se jetèrent sur le premier escadron de hussards hollandais, au moment où il débouchait dans la rue de Tongres, le mirent en désordre et arrêtèrent ainsi, pendant plus de dix minutes, le mouvement de la brigade entière. Entourés d'ennemis, l'un d'eux succomba criblé de blessures ; l'autre, tombé de cheval, se précipita dans une maison, s'enfuit par les toits et réussit à se soustraire à toutes les recherches (Note de bas de page : On affirme à Hasselt que ce brave ne reçut jamais de récompense. - Il ne faut pas confondre cet épisode avec un autre que rapportent les journaux du temps. Au moment où les Hollandais occupaient déjà la Grand'place de Hasselt, quelques lanciers belges, séparés de l'arrière-garde, traversèrent au galop plusieurs détachements ennemis et réussirent à regagner l'armée de Daine par des chemins détournés).

Boreel rencontra l'arrière-garde de Daine à une demi-lieue de Hasselt, à l'entrée du village de Wimmertingen. Au deuxième coup de canon, notre cavalerie se jeta sur l'infanterie, et le fatal sauve qui peut ! retentit dans tous les rangs. Ce fut en vain que les officiers s'efforcèrent de rétablir l'ordre et d'organiser au moins un simulacre, de résistance. Les soldats jetaient leurs armes et fuyaient, en désordre à droite et à gauche de la route. Ainsi qu'il arrive toujours dans ces déplorables circonstances ; la panique gagna de proche en proche, et bientôt l'armée tout entière se précipita sur Cortessem, criant à (page 85) la trahison, méconnaissant la voix des chefs et maudissant son général. Les Hollandais nous prirent 5 pièces de 6, 2 obusiers, 7 caissons d'artillerie, un nombre considérable de fusils, plusieurs chariots d'objets d'équipement et 500 prisonniers de toutes armes. Nos pertes eussent été bien plus grandes si, au lieu de s'arrêter aux dernières maisons de Wimmertingen, Boreel eût vigoureusement poussé la poursuite (Note de bas de page : Afin de donner une idée de la manière dont la guerre se faisait alors en Belgique, nous avons transcrit à l'Appendice (L. D.) un fragment du rapport du lieutenant d'artillerie Hippert).

Que se passa-t-il ensuite ? Nous sommes en présence de deux versions contradictoires. S'il faut ajouter foi au rapport du colonel L'Olivier, on parvint à réunir une faible partie de l'armée et à mettre quelques pièces en batterie, un peu au delà de Cortessem, et l'on attendit l'ennemi pendant trois heures sans avoir occasion de tirer un coup de fusil (Réponse au Mémoire de Daine, p. 5). Si l'on doit s'en l'apporter à Daine, les choses se seraient passées d'une manière beaucoup plus belliqueuse. « Le désordre, dit-il, se propagea dans toute la colonne pendant environ dix minutes. Aidé de quelques braves officiers qui exposèrent cent fois leur vie pour sauver l'honneur belge, je parvins à rallier mes troupes, et, faisant volte-face, je courus placer 4 pièces d'artillerie sous les ordres du major Kessels et du capitaine Gantois sur la chaussée en avant de Cortessem. Les cuirassiers sous les ordres du lieutenant-colonel Delobel se mirent en bataille à la gauche de la route ; de nombreux tirailleurs se jetèrent derrière les haies en avant du village. Pendant ce temps, l'armée se formait sur une position favorable ; le bataillon du major Breuer tenait la droite, le bataillon de mon aide de camp Capiaumont mon extrême gauche ; les bataillons des majors de Zantis, Patou et Borremans, et l'artillerie sous les ordres du lieutenant-colonel Vandamme, étaient au centre. La cavalerie sous les ordres du colonel Spaye était placée sur les ailes. L'ennemi parut et fut accueilli par le feu de la batterie de douze qui fit bientôt taire le sien ; son infanterie se jeta en désordre à droite et à gauche de la route ; la place n'était pas tenable, tant mon artillerie était admirablement servie. Je restai quatre heures en place, offrant en vain le combat à l'ennemi. Il était alors (page 86) 3 heures de l'après-midi ; j'opérai ma retraite en échelons sur Tongres, où j'arrivai à 6 heures du soir, sans que l'ennemi eût osé me poursuivre » (Note de bas de page : Mémoire au Roi, p. 25. Deux officiers-généraux, dont la parole doit inspirer toute confiance et qui se trouvaient sur les lieux, m'ont affirmé que la version de Daine est à tous égards conforme à la vérité).

Il est assez indifférent de savoir laquelle de ces deux versions mérite la préférence. Ce qui est malheureusement incontestable, c'est que, nonobstant l'absence de poursuite de la part des Hollandais, les débris de l'armée de la Meuse, précédés de milliers de fuyards isolés, arrivèrent à Liége dans un indicible désordre.

2.8. La bataille pour Louvain

Telles étaient les déplorables nouvelles que le Roi des Belges apprit, à l'entrée du village de Rillaert, au moment où, plein de confiance dans la valeur de notre jeune armée, il dirigeait les colonnes qui marchaient à l'attaque de Montaigu.

Supérieur au malheur et conservant le calme qui ne doit jamais abandonner un général en chef, Léopold ordonna immédiatement un mouvement en arrière sur Louvain. Ce mouvement était désormais le seul moyen de préserver Bruxelles. Placés en avant d'une ville importante, les Belges pouvaient espérer, au moins, que leurs efforts arrêteraient les progrès de l'ennemi jusqu'à l'arrivée des troupes auxiliaires françaises, que le général Belliard avait appelées aussitôt qu'il eut appris la déroute de Daine (Note de bas de page : La nouvelle lui était parvenue quelques heures après la lettre du roi que nous avons reproduite ci-dessus , p. 75. Le général appela ses compatriotes sans attendre de nouvelles instructions. Nous y reviendrons). En conséquence, le 10 au soir, l'armée de l'Escaut établissait ses bivouacs au nord de Louvain, ayant ses ayant-postes sur les hauteurs qui avoisinent le village de Bautersem. Le lendemain apparurent les premières colonnes de l'armée hollandaise.

Le jour qui suivit la défaite de Daine, le prince d'Orange, croyant que les débris de l'armée de la Meuse s'étaient concentrés à Tongres, s'apprêtait à marcher sur cette ville, lorsqu'il apprit que le général Boecop venait d'y entrer avec une partie de la garnison de Maestricht, sans avoir rencontré de résistance. Une marche en avant sur Louvain pouvant, dès lors, s'exécuter sans inconvénient, le prince transporta son quartier général à Saint-Trond et ensuite à Tirlemont, laissant dans le Limbourg la division de Cort-Heiligers et les troupes de Boecop, pour surveiller Liége, et Venloo.

(page 87) Dans l'après-midi du 11 août, toutes les forces disponibles de l'armée hollandaise avaient pris position dans l'arrondissement de Louvain. La 2me brigade de la 5me division (Meyer) occupait Tirlemont ; la 1e brigade de la même division était à Cumptich, avec une forte avant-garde à Bautersem. A droite, dans la direction d'Aerschot, la 1re division (Van Geen) occupait Winghe-Saint-Georges et les environs. A gauche, la 2me division (Saxe-Weimar), cantonnée à Bossut, surveillait les routes de Namur et de Wavre à Louvain. Le moment décisif approchait.

Un diplomate anglais, M. White, a tracé un triste tableau de la contenance des troupes belges qui allaient recevoir le choc des trois divisions hollandaises. A l'entendre, un sombre pressentiment avait affaibli l'énergie des officiers. L'état-major semblait accablé du danger de la situation. Le désordre était complet et inextricable. Les règles les plus élémentaires de la défense étaient méconnues. Les précautions les plus nécessaires étaient négligées. Les gardes civiques et les volontaires fuyaient dans toutes les directions, jetant leurs armes et donnant à la troupe de ligne le plus funeste exemple. On essaierait en vain de décrire la confusion qui régnait à Louvain. A l'exception du roi, de M. de Brouckere et de quelques autres, les fonctionnaires civils et militaires avaient perdu le courage en même temps que la confiance.

Il y a beaucoup d'exagération dans ce tableau. Que l'unité désirable manquât dans le commandement ; que la promptitude dans l'exécution des ordres se fît parfois désirer ; que des soupçons de trahison se fussent glissés dans l'esprit de quelques officiers ; que la discipline fût loin d'être idéale ; que l'organisation des cadres fût incomplète et défectueuse ; que des volontaires, cessant de croire à la puissance magique de la blouse, eussent repris le chemin de leurs communes ; qu'un certain désordre régnât dans les rues et aux portes de Louvain, tout cela peut être admis par l'historien impartial. Mais s'ensuit-il que l'armée commandée par le Roi ne fût plus qu'un assemblage incohérent de bandes armées ? une multitude incapable de résister à des troupes régulières ? Tout homme impartial répondra négativement. Les régiments de l'armée de l'Escaut étaient restés dignes du nom d'armée. S'ils durent céder le terrain à des adversaires triples en nombre ,ils luttèrent du moins avec une incontestable valeur et (page 88) conservèrent intacte l'antique réputation de bravoure nationale (Note de bas de page : Une partie de la garde civique a seule mérité le blâme que M. White déverse sur l’armée tout entière ; mais il est juste de remarquer que la garde n'avait pas même reçu un simulacre d'organisation, au moment de la rupture de l'armistice (Voyez le chapitre IV). On a beaucoup trop généralisé les reproches encourus par une partie de la milice citoyenne. Plusieurs compagnies rendirent des services signalés. Une colonne de 1,200 hommes, commandés par le comte de T'Serclaes (aujourd'hui gouverneur de la province de Limbourg), fut constamment en face de l'ennemi, depuis le 7 Aoùt jusqu'à l'arrivée de l’armée française).

Le 11 août, au matin, l'armée belge était établie en avant de Louvain dans le meilleur ordre, depuis la droite de la route de Tirlemont jusqu'à la route de Diest. Les troupes se mirent en marche vers midi ; le roi, toujours à l'avant-garde, dirigeait lui-même les reconnaissances. Arrivés sur les hauteurs au delà de Lovenjoul, nos tirailleurs rencontrèrent l'ennemi, et les vedettes lancées vers Bautersem furent accueillies par la fusillade de l'avant-garde de la 3e division hollandaise (Meyer).

Voulant s'emparer du village, le roi transmit à l’armée qu’il avait laissée à une demi-lieue en arrière, l'ordre de se de s'échelonner sur la route.

L'ennemi reçut nos soldats par une fusillade nourrie, que secondait le feu de deux pièces d'artillerie braquées sur la chaussée ; mais cette résistance vigoureuse ne suffit point pour arrêter l'avant-garde des Belges. Après une demi-heure de combat, Bautersem était en leur pouvoir, et une batterie d'artillerie légère, établie de manière à battre le chemin en arrière du village, fit éprouver aux Hollandais des pertes considérables. Ceux-ci s'enfuirent en désordre jusqu'au delà de Roosbeek.

Ce brillant fait d'armes releva la force morale de l'armée belge. L'exemple donné par le roi avait électrisé le soldat. Constamment à la tête de la colonne, malgré les instances des officiers qui l'accompagnaient, Léopold avait rempli en même temps les devoirs du général et la tâche du soldat. Aussi le succès des opérations de la journée faisait-il concevoir des espérances qui, hélas ! ne devaient pas se réaliser.

Le 12, à la pointe du jour, la brigade du général Niellon avait pris position sur la gauche de notre ligne. Le reste de l'armée se trouvait à cheval sur la chaussée de Tirlemont à Louvain, à la hauteur du (page 89) village de Lovenjoul. Une brigade de gardes civiques de Bruxelles, de Namur et de Mons, commandée par le général Van Coekelberghe, était postée un peu en arrière sur la gauche, entre le corps principal et la brigade Niellon.

A quatre heures du malin, les trois divisions hollandaises s'ébranlèrent à la fois. La première (Van Geen), à laquelle on avait joint la brigade de grosse cavalerie, s'avança de Winghe-St-Georges et vint se placer en face de la brigade de Niellon. La troisième, conduite par le prince d'Orange, attaqua le village de Bautersem, pendant que la deuxième, sous le commandement du duc de Saxe-Weimar, marchant de Bossut à Corbeek, manœuvrait pour passer la Dyle et se jeter sur nos derrières.

L'attaque des Hollandais commença sur la route de Tirlemont. Placé sur la chaussée en arrière de Bautersem, le prince d'Orange lança ses tirailleurs ; mais ceux-ci, repoussés au centre par la mitraille de trois pièces braquées sur la route, bornèrent bientôt leurs attaques à nos flancs, où ils furent accueillis par une résistance non moins opiniâtre. Notre artillerie, servie à souhait, jetait ses boulets jusque dans le groupe d'officiers supérieurs qui entouraient le prince d'Orange et son frère, le prince Frédéric. Le premier eut un cheval tué sous lui, au moment où, pour détruire l'obstacle qui l'arrêtait au centre, il faisait avancer sa cavalerie et son artillerie légère.

Malheureusement des nouvelles défavorables arrivèrent de notre gauche. Aux prises avec toute la division Van Geen, Niellon avait en vain lutté avec courage ; infanterie, artillerie, cavalerie, tout était inférieur en nombre aux forces des agresseurs. Débordée de toutes parts, sa brigade avait été forcée de battre en retraite.

Ce mouvement rétrograde détermina nécessairement celui de toute la ligne. Il était d'autant plus impossible de se maintenir à Bautersem, que le duc de Saxe-Weimar, ayant complétement tourné notre droite, passait en ce moment la Dyle à Corbeek, en arrière de Louvain, et allait s'emparer des routes de Namur, de Tervueren et de Bruxelles.

Il suffit de lire les relations hollandaises pour avoir la conviction que la retraite de Bautersem à Louvain ne ressemblait en rien à une déroute. Luttant contre des ennemis triples en nombre, ayant leurs deux flancs débordés, les Belges n'en disputèrent pas moins le terrain pied à pied, jusqu'à ce qu'ils fussent protégés par les batteries (page 90) établies en avant des boulevards de Louvain. Niellon ripostait vaillamment sur la gauche ; la brigade du général Clump luttait sur la droite ; malgré le vide produit par la désertion de quelques compagnies de garde civique, le centre, où commandait le général Van Coeckelberghe, se retirait avec autant d'ordre que les accidents du terrain le permettaient. Toujours au milieu du feu, le roi se portait alternativement aux endroits les plus périlleux et dirigeait les mouvements avec autant de calme que de science stratégique.

A défaut de succès, l'honneur de nos armes était sauf (Note de bas de page : D’après un relevé publié par le journal officiel de La Haye, les Hollandais auraient eu, depuis le commencement jusqu'à la cessation des hostilités, 112 tués et 547 blessés. Nous avons interrogé une foule d'officiers des armées de l'Escaut et de la Meuse, nous nous sommes rendu sur les lieux pour recueillir des renseignements auprès des habitants, et nous devons déclarer que nous n'avons pas rencontré un seul homme qui consente à croire à l'exactitude de ces chiffres. L'opinion générale est que, de part et d'autre, on a dissimulé l'importance des pertes).

2. 9. La prise de Louvain et l’intervention française

Afin de ne pas interrompre le récit des opérations militaires, nous avons gardé le silence sur des événements importants, accomplis pendant la marche de l'armée hollandaise. Avant d'aller plus loin, il importe de combler cette lacune.

On se rappelle que le roi, avant son départ de Liége, avait chargé M. Lebeau de transmettre à M. Lehon l'ordre de demander officiellement l'assistance d'une armée française. M. Lehon reçut la lettre de M. Lebeau le 4 août, à huit heures du matin. Il avait reçu la veille, à sept heures du soir, la dépêche de M. de Meulenaere qui le chargeait de porter le fait de l'invasion à la connaissance du cabinet des Tuileries.

En présence de cet événement si grave, le ministère Périer, qui se trouvait en dissolution, se reconstitua, et l'intervention française fut immédiatement résolue. Le jour même, on transmit à l'ambassadeur de France à La Haye l'ordre de déclarer que son gouvernement, s'étant porté garant de l'exécution du traité des dix-huit articles, aurait au besoin recours aux armes pour obtenir l'évacuation du territoire belge. Un supplément extraordinaire au Moniteur universel parut avec les lignes suivantes :

« Le roi de Hollande a dénoncé l'armistice et a annoncé la reprise des hostilités pour ce soir à neuf heures. (Note de bas de page : Il ya ici une erreur. Depuis deux jours le prince d'Orange avait franchi la frontière belge. L'erreur provient de ce que le gouvernement français envisageait la lettre de Chassé comme une dénonciation absolue de l'armistice, tandis que le général ne s'était préoccupé que de la ville d'Anvers).

« Ce matin le roi a reçu une lettre du roi des Belges, qui lui demande le secours d'une armée française.

« Le roi a reconnu l'indépendance du royaume de Belgique et sa neutralité, de concert avec l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse et la Russie, et, les circonstances étant pressantes, obtempère à la demande du roi des Belges. Il fera respecter les engagements pris d'un commun accord avec les grandes puissances.

« Le maréchal Gérard commande l'armée du Nord qui marche au secours de la Belgique, dont la neutralité et l'indépendance seront maintenues ; et la paix de l'Europe troublée par le roi de Hollande sera consolidée. »

Ces paroles étaient dignes du gouvernement d'un grand peuple. Courageuses et fermes, elles disaient à l'Europe que les efforts et les intrigues seraient impuissants contre une nationalité que la France avait placée sous son égide ; nobles et généreuses, elles annonçaient aux Belges que leur indépendance et leurs droits de nation resteraient sans atteinte ; conciliantes et modérées, elles enlevaient aux puissances étrangères tout prétexte à des récriminations, à des jalousies, à des inquiétudes.

L'armée française fut bientôt réunie 11 la frontière. Là elle attendit un nouvel appel de la Belgique.

Cet appel arriva, le 9 au soir. Sans attendre les ordres ultérieurs du roi des Belges, le général Belliard, ainsi que nous l'avons dit, avait expédié un courrier aussitôt qu'il eut appris la déroute de Daine.

Dans la matinée du 10, les Français sortirent de leurs cantonnements et entrèrent en Belgique. La droite déboucha de Givet sur Namur ; le centre marcha de Maubeuge et de Valenciennes sur Bruxelles ; la gauche se dirigea de Lille sur Tournay et les Flandres.

L'armée, forte de 50,000 hommes, se composait de 4 régiments d'infanterie légère, 12 régiments d'infanterie de ligne, 6 régiments de cavalerie légère, 6 régiments de grosse cavalerie, 13 batteries d'artillerie à cheval ou montées, 3 batteries non montées, 6 compagnies du génie, 1 compagnie de pontonniers et 12 compagnies du train (page 92) des équipages. Les jeunes ducs d'Orléans et de Nemours se trouvaient dans ses rangs.

La marche de cette armée auxiliaire fut tellement rapide que le 12, vers deux heures de l'après-midi, le duc d'Orléans arriva à Bruxelles, à la tête d'une brigade d'avant-garde, pendant que le général de La Woëstine traversait Wavre avec une autre brigade de cavalerie.

Ces faits s'accomplissaient au moment où les Belges, après l'abandon de Bautersem, disputaient au prince d'Orange les villages de Lovenjoul et de Corbeek-Loo, sur la route de Louvain.

Il est évident que les Hollandais ne pouvaient songer à lutter à la fois contre les Belges et les Français. L'arrivée de ces derniers allait rendre leur retraite inévitable. Désormais le sang des combattants était répandu sans motif et sans avantage.

L'ambassadeur d'Angleterre, sir Robert Adair, arrivé à Bruxelles dans l'après-midi du 9, s'était rendu au quartier général du roi, afin de tenir son gouvernement. au courant des événements militaires.

Informé de l'arrivée des Français et voulant arrêter l'effusion du sang, sir Adair envoya un parlementaire, lord William Russell, aux avant-postes hollandais, pour demander une suspension d'armes, jusqu'à l'arrivée de la réponse du cabinet de La Haye aux communications de celui des Tuileries. Le prince d'Orange répondit à lord Russell qu'il n'écouterait aucune proposition avant d'être arrivé dans les murs de Louvain, où il avait résolu de se rendre. Il ordonna cependant à un aide de camp du prince Frédéric, le major Seva , d'accompagner le parlementaire anglais, pour s'assurer de l'approche des troupes françaises.

Cet envoi du major Seva était un acte de duplicité indigne du caractère chevaleresque et des nobles antécédents du prince. Depuis la veille, il avait reçu du cabinet de La Haye l'avis officiel de l'entrée des Français en Belgique. Depuis la veille encore, il avait reçu de son père l'ordre de reprendre le chemin de la frontière. Un autre Nassau, Guillaume III, roi d'Angleterre, livra bataille ayant le traité de Nymègue dans sa poche. Le prince d'Orange en fit à peu près autant dans les plaines de Louvain. Il ambitionnait l'honneur de conduire ses troupes dans l'ancienne capitale du Brabant (Note de bas de page : C'est M. de Groveslins qui a révélé ce fait entièrement ignoré en Belgique. Dans son livre intitulé Notices et souvenirs biographiques du comte Van der Duyn de Maasdam et du baron de Capellen (St-Germain-en-Laye, H. Picault, in-8), il reproduit le fragment suivant, emprunté aux Souvenirs de M. de Capellen : « Le prince d'Orange, en parlant des évènements de 1831 et de la campagne des dix jours, et sur l'observation qu'on lui fit qu'on avait fait trop ou trop peu, me dit que, s'il avait obéi à la lettre aux ordres reçus de son père, il ne se serait pas permis l'affaire de Louvain, ayant alors déjà dans sa poche l'ordre de battre en retraite, ce qu'il n'avait cependant communiqué à personne qu'à son frère le prince Frédéric ; mais qu'il avait cru pouvoir se permettre ce délai dans l'exécution de cet ordre, parce que, d'après ses calculs, il ne pouvait pas encore rencontrer l’armée française. » (Loc. cit., p. 295, en note). »)

(page 93) Les Hollandais continuèrent donc leur mouvement en avant. Les corps commandés par le prince d'Orange et Meyer occupaient les routes de Tirlemont et de Diest, et bientôt leurs boulets arrivèrent à Louvain. La division du duc de Saxe-Weimar, après avoir passé la Dyle, interceptait les routes de Namur, de Tervueren et de Bruxelles. La route de Malines allait être coupée à son tour, lorsque sir Robert Adair prit le parti de faire lui-même une seconde tentative auprès du général en chef des forces hollandaises. Traversant l'espace qui séparait les combattants, bravant la fusillade qui continuait sans égards pour le drapeau blanc qu'un officier belge portait devant l'ambassadeur, ce noble vétéran de la diplomatie, allant trouver le prince d'Orange au milieu de ses tiraiI1eurs, lui fit connaître que des dépêches, arrivées de La Haye à l'ambassade française de Bruxelles, annonçaient que le roi des Pays-Bas avait expédié à ses troupes l'ordre de se retirer à l'arrivée des Français, Après de longues discussions, sir Adair obtint une suspension d'armes à condition que les Belges évacueraient Louvain et abandonneraient la ville à l'armée hollandaise.

Fallait-il souscrire à cette exigence ? N'était-il pas plus convenable de défendre Louvain jusqu'à l'arrivée de l'armée française ? Aujourd'hui encore les opinions sont divisées.

Il importe de ne pas se faire illusion. Louvain pouvait être défendu, mais celte défense n'était pas aussi facile qu'on se l'imagine. Disséminée sur une surface considérable, privée de remparts sur la majeure partie de son périmètre, entrecoupée de vastes champs qu'un mince fossé d'octroi séparait de la campagne, dominée par des hauteurs dont le duc de Saxe-Weimar allait s'emparer, la ville était exposée à recevoir de toutes parts les projectiles incendiaires de l'ennemi. (page 94) Persister à défendre Louvain, c'était placer cette ville dans l'éventualité d'une destruction totale. Or, il eût fallu courir cette chance terrible, sans avoir en vue d'autre but, d'autre avantage, que de préserver la cité d'une occupation de quelques heures, les Français devant arriver le lendemain.

Le roi avait trop de sagesse pour assumer cette immense responsabilité. Il chargea le général Goblet de signer la capitulation et prit la route de Malines, la seule qui ne fût pas encore interceptée par l'armée hollandaise. Les circonstances étaient pressantes, car, au moment où le roi, entouré de quelques officiers et de quatre gendarmes, sortit par la porte de Malines, l'avant-garde de Saxe-Weimar, ignorant la suspension d'armes et ayant complétement tourné la ville, se montrait sur les hauteurs qui dominent la route. Il fallut même essuyer le feu des tirailleurs ennemis. Quelques instants après, la ville était entièrement investie (Note de bas de page : V. les termes de la capitulation à l'Appendice (L.E.)).

Le 13 août à midi, en vertu de la capitulation conclue la veille, les troupes de Niellon remirent à la brigade de la 3e division hollandaise les portes et les boulevards de Louvain. A deux heures, le prince d'Orange et le prince Frédéric y entrèrent à la tête de l'état-major général. La population se montra respectueuse, mais froide. Avertis de l'arrivée des troupes françaises, les orangistes, si courageux et si bruyants la veille, s'abstenaient avec soin de démonstrations devenues compromettantes.

A peine arrivé, le prince d'Orange adressa à ses troupes la proclamation suivante :

« Frères d'armes,

« Vous avez rempli mon attente. J'ai eu raison de me fier à votre intrépidité, à votre indomptable courage. J'apprécie la patience avec laquelle vous avez supporté les fatigues et les privations qui accompagnent les marches en présence de l'ennemi.

« Grande est votre récompense. Votre victoire est complète.

« Après une marche d'à peine dix jours, nous sommes au cœur de la Belgique.

(page 95) « Deux fois nous rencontrâmes l'ennemi, d'abord à Hasselt, puis à Louvain ; c'en fut assez pour battre deux armées belges et les mettre en déroute.

« Hier et aujourd'hui nos avant-postes étaient à deux lieues de Bruxelles, et il n'existe plus d'armée belge qui puisse empêcher notre entrée dans la capitale (Note de bas de page : Il y a ici de l'exagération. L'armée commandée par le Roi Léopold avait perdu quelques centaines d'hommes, mais elle n'était pas détruite).

« Le roi mon père a appris avec joie la nouvelle de la victoire que nous avons remportée à Hasselt. Il témoigne par ma voix sa satisfaction particulière aux troupes de toutes armes qui prirent part à ce combat et aux précédents, et réunirent leurs efforts pour anéantir cette armée qui, sous le nom d'armée de la Meuse, se vantait d'être invincible.

« Nous avons rempli notre tâche. Nous avons fait ce que le roi et la patrie réclamaient de nous. Nous avons vaincu l'ennemi que nous étions venus combattre.

« C'est avec honneur que nous retournons vers nos anciennes frontières. Une nombreuse armée française s'avance en Belgique. Ses avant-postes touchent aux nôtres.

« Nous retournons à nos frontières par suite d'un arrangement conclu entre notre souverain et le roi des Français.

« Louvain, le 15 août 1831.

« GUILLAUME, Prince d'Orange »

Les événements postérieurs n'offrent qu'une importance secondaire.

Deux jours avant son entrée à Louvain, le prince d'Orange avait reçu des instructions positives. Le cabinet de La Haye, « considérant l'armée française comme représentant la Conférence de Londres, » faisait cesser les hostilités, par déférence pour les souverains dont La France était censée manifester les intentions (Durant, Dix jours de campagne, p. 162). En conséquence, le jour même, le prince conclut avec le général Belliard, ambassadeur de France à Bruxelles, une convention réglant le mode d'évacuation du territoire belge. Depuis le matin, les vedettes françaises étaient en face de celles des Hollandais, à Cortenberg, à Grez et à Tervueren.

(page 96) Le mouvement rétrograde, commencé le 14, s'exécuta avec lenteur. Suivis d'étape en étape par les troupes françaises ; les Hollandais arrivèrent, dans l'après-midi du 20, aux frontières du Brabant septentrional.

On se demandait avec inquiétude quelle position les Français allaient prendre en Belgique. S'empresseraient-ils de retourner sur leurs pas ? Occuperaient-ils la Belgique jusqu'à l'évacuation des forts de l'Escaut ? Auraient-ils recours à la force contre la garnison hollandaise de la citadelle d'Anvers ? Ces questions, débattues entre le général BeIliard et sir Adair, troublèrent un instant les bonnes relations qui avaient constamment existé entre les deux ambassadeurs ; mais le désintéressement de la France eut bientôt dissipé ce nuage. Le 18 août, 20,000 hommes reçurent l'ordre de rentrer immédiatement en France. Les derniers corps, restés en Belgique à la demande du roi Léopold , commencèrent leur mouvement de retraite le 20 septembre. Le 30 du même mois, le territoire belge était entièrement évacué (Note de bas de page : V. les protocoles, n° 33 et 41. Recueil de pièces diplomatiques, publié à La Haye, t. l, p. 208, et t. II, p. 30).

Il nous reste à raconter un incident survenu pendant la campagne et dont les journaux hollandais ont beaucoup abusé.

On savait qu'une sourde fermentation régnait à l'île de Java. Ma]gré les précautions les plus minutieuses, les événements de Bruxelles y avaient été promptement connus, et les Belges, qui formaient la grande majorité de l'armée, parlaient de s'entendre avec les chefs indigènes pour expulser l'ennemi commun et s'emparer de l’île au nom du peuple belge, Les inquiétudes du gouvernement de La Haye n'étaient plus un mystère, lorsque des navires venant de l'Inde apportèrent à Londres la nouvelle d'un soulèvement des troupes belges et étrangères à Java. Les équipages de ces navires donnaient les détails les plus circonstanciés sur la marche et le succès de cette révolution militaire.

Cette nouvelle parvint au roi Léopold dans la soirée du 8 août. II en informa aussitôt le ministre de l'Intérieur, et celui-ci, pour fortifier l'énergie morale de la nation, fit insérer au Moniteur l'avis suivant :

« Le ministre de la Guerre m'informe du quartier général d'Aerschot, que le roi a reçu ce matin, par voie de l'Angleterre, la nouvelle que (page 97) les troupes stationnées dans l'île de Java s'étant mises en insurrection, les Belges se sont emparés de l'autorité et ont établi un gouvernement au nom de la nation belge. Toute l'île est soumise au nouveau gouvernement » (Note de bas de page : Cet avis portait la signature du ministre de l'Intérieur, Ch. de Brouckere (Moniteur du 10 août 1831. L'avis suivant fut placardé dans les rues de Bruxelles et de Louvain : « Le roi d'Angleterre annonce à l'instant à notre souverain que les Belges qui se trouvaient à Batavia se sont emparés du gouvernement de l'île de Java et que ce gouvernement a été reconnu par les naturels. Bruxelles, le 9 août 1831, à dix heures du matin. Le gouverneur du Brabant, F. DE COPPIN. »)

La nouvelle était fausse, mais le roi et ses ministres avaient agi avec une incontestable bonne foi. En Angleterre, l'annonce du soulèvement de l'armée de Java avait trouvé au ministère des affaires étrangères la même créance qu'au quartier général d'Aerschot. Comment d'ailleurs supposer aux ministres belges l'idée absurde d'annoncer une révolution aux colonies, avec la certitude de devoir le lendemain démentir l'avis de la veille ?

Un pamphlétaire français, momentanément au service du cabinet de La Haye, a eu le courage de s'emparer de cet incident pour jeter l'outrage et la calomnie à la face du roi des Belges. « Que faisait, dit-il, ce prince Léopold, couronné par un Congrès et portant dans sa royauté improvisée les destins de cet Etat chancelant ? Il recevait de son ambassadeur à Londres, le sieur Van de Weyer, une nouvelle ridicule, un bruit vague, accueilli de la bouche du premier venu et auquel, pour exciter l'esprit public, on s'efforçait de donner une valeur officielle. Une révolution, disait-on, a éclaté à Java, les Hollandais sont chassés de cette immense colonie que les Belges tiennent désormais en leur possession.. ! C'est avec des contes de cette nature que le nouveau roi des Belges faisait oublier à ses sujets les désastres de la veille et leur préparait des consolations chimériques contre le coup réel qui devait bientôt les frapper ». Il n'est pas nécessaire de répondre à ces diatribes (Dix jours de campagne, par Ch. Durant, p. 149 et 150).

Le roi revint à Bruxelles dans la matinée du 16 août. Là aussi le découragement et le désordre avaient régné pendant son absence.

(page 98) La défaite de Daine et la marche rétrograde de Tieken avaient promptement dissipé toutes les illusions. Une terreur réelle s'était substituée à l'exaltation belliqueuse des premiers jours. Les inquiétudes étaient d'autant plus vives que le duc de Saxe-Weimar se trouvait à la té te de l'avant-garde ennemie. Constamment en butte aux insultes et aux railleries de la presse belge, calomnié dans sa vie militaire et dans sa vie privée, le duc était de tous les généraux hollandais celui qui avait le plus d'outrages à venger. On connaissait la violence de son ressentiment ; on savait que, depuis son entrée en Belgique, il n'avait cessé de proférer des menaces contre ceux qu'il appelait les rebelles et les traîtres de Bruxelles.

La capitale était à peu près dégarnie de troupes. Quelques brigades de gendarmerie, une centaine d'artilleurs et la garde civique sédentaire étaient les seules forces qu'on pût opposer à la division ennemie qui se trouvait à trois lieues des boulevards. Le découragement avait envahi tous les rangs de l'administration. Le conseil des ministres et le conseil communal délibéraient, mais n'agissaient pas, parce que tous les éléments d'une résistance sérieuse leur faisaient défaut. Depuis plusieurs jours les partisans de la maison d'Orange manifestaient publiquement leurs espérances. Croyant désormais la restauration inévitable, préparant des adresses, organisant des banquets, ils agissaient avec une audace telle que le gouvernement crut devoir proférer des menaces par l'organe du journal officiel (Note de bas de page : «Le gouvernement a acquis la certitude que la maison déchue a encore des intelligences nombreuses dans quelques localités, à Bruxelles entre autres. Des personnes suspectes ont reparu depuis quelque temps dans cette ville. Plusieurs ont déjà pris la sage résolution de l'abandonner de nouveau. Le gouvernement est sur ses gardes, les orangistes, au moindre mouvement, éprouveront la rigueur des lois. » (Moniteur du 9 août.))

Quelques canons avaient été placés à l'avenue de la porte de Louvain, au bois de Linthout, au faubourg de Namur et dans le voisinage du parc. Une batterie mobile était prête à se diriger, au premier signal, vers les points les plus menacés. Mais ces moyens de défense, manifestement insuffisants, n'avaient produit d'autre résultat que d'accroître la panique. L'énergie révolutionnaire avait disparu ; le prestige de la blouse s'était évanoui aux premiers revers de nos troupes. Bien des hommes compromis dans les événements des dix derniers mois fuyaient ou se ménageaient une retraite.

(page 99) Un seul magistrat municipal, le bourgmestre Rouppe, manifestait un courage à la hauteur des périls qui menaçaient la cité. Il voulait sonner le tocsin, relever les barricades de septembre et lutter à mort jusqu'à l'arrivée des Français ; mais les habitants les plus notables s'opposaient vivement à ce projet : ils croyaient à bon droit que les Hollandais, au lieu de s'engager une seconde fois dans les rues de Bruxelles, débuteraient cette fois par un bombardement général. On parlait déjà de capitulation, lorsque les baïonnettes françaises, brillant sur les hauteurs de Hal, vinrent rétablir la confiance.

Après avoir raconté les événements de la campagne, nous allons, dans les chapitres suivants, rappeler l'impression qu'ils produisirent en Hollande, en Belgique et au sein de la Conférence de Londres (Note de bas de page : V. à l'Appendice les bulletins de l'armée du prince d'Orange (L. G.).)