(Paru dans « Pasicrisie. Recueil général de la jurisprudence des cours de Belgique. Troisième série. Cours de Belgique. 1869. IIème partie. Arrêts des cours d’appel »)
(page 207) La loi pénale ne considère comme provocateur que celui qui, à l'aide d'un des moyens qu'elle a déterminés (article 66 du code pénal), a directement provoqué de commettre tel crime ou tel délit.
En conséquence, ne peut être puni comme provocateur celui qui, en excitant les passions par des discours tenus dans des lieux publics ou par des écrits vendus ou distribués, n'a été que la cause de certains crimes ou délits, sans avoir par ces moyens directement excité à commettre ces méfaits déterminés.
Les attaques dirigées en chaire par le ministre d'un culte contre un arrêté communal prescrivant d'inhumer, à l’avenir, dans un nouveau cimetière, ne constituent pas des délits politiques
(Le ministère public - C. Vandeputte, Takkens et consorts)
La cour d'appel de Gand, chambre des mises en accusation, sur le rapport fait par M. l'avocat général De Paepe, en cause de Frédéric Vandeputte, Virginie Takkens, Camille Van Overschelde, Jules Depoorter, Honoré Vandenberghe et Amand van Eecke ;
Vu les pièces du procès dont lecture a été donnée par le greffier, en présence de M. l'avocat général, ainsi que le réquisitoire écrit et signé par ce dernier, dont la teneur suit :
Le procureur général près la cour d'appel de Gand,
Vu les pièces de l'instruction concernant :
1° Le complot formé en 1868, à Saint-Genois, dans le but de porter la dévastation dans cette commune ;
2° L'incendie qui a détruit, dans la nuit du 11 au 12 juillet 1868, à Saint-Genois, deux meules de froment appartenant à Désiré Glorieux ;
(L'acte énumère dix-sept méfaits de même nature, consistant en dévastations, incendies, etc.)
Vu l'ordonnance rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Courtrai, à la date du décembre 1868;
Attendu qu'à la suite des décisions prises par le conseil communal de Saint-Genois le 26 février et le 23 avril 1861, le 14 septembre 1862, le 13 février et le 29 décembre 1863 ; des arrêtés royaux du 12 juillet 1862 et du 14 septembre 1863 et de l'arrêté de la députation permanente du conseil provincial de la Flandre occidentale, en date du 21 janvier 1863, le bourgmestre de la commune de Saint-Genois ordonna le 9 mai 1868 qu'à partir du 9 juin suivant, les inhumations auraient lieu dans le nouveau cimetière ;
Attendu que l'évêque de Bruges refusa de bénir ce cimetière, à moins que la propriété n'enfût transmise à la fabrique d'église ;
Attendu qu'après le premier enterrement dans le nouveau cimetière, l'évêque de Bruges, par un mandement du 12 juin 1868, ordonna que « aussi longtemps et chaque fois que l'arrêté de faire enterrer les chrétiens défunts dans le soi-disant nouveau cimetière sera appliqué, aussi longtemps et chaque fois aussi les corps ne seront point reçus à l'église, el il n'y aura ni prières ni cérémonies religieuses ;
Attendu que ce mandement fut lu en chaire le dimanche suivant ;
Attendu que les incendies et les dévastations de récoltes qui ont été commis depuis dans la commune de Saint-Genois, sont des actes de vengeance exercés contre les membres de l'administration communale qui ont pris part à l'établissement du nouveau cimetière, contre leurs proches parents et contre les personnes qui approuvé leur conduite ;
Attendu que ces crimes et ces délits, dirigés exclusivement contre les adversaires des prétentions de l'évêque, ont été inspirés par une pensée unique, sont le résultat d'un concert ou d'un complot ;
Attendu que si l'information fournit quelques indications sur les promoteurs ou les instigateurs de ce complot, ces indices sont, quant présent, insuffisants pour les mettre en prévention, ainsi que l’a déjà reconnu à (page 208) l’égard des plus compromis, la chambre du conseil du tribunal de Courtrai ;
Attendu que Frédéric Vandeputte, vacher à Coygbem ; Virginie Takkens, veuve de Pierre More, journalière à Saint-Genois ; Camille Van Overschelde, cordonnier à Saint-Genois et Jules Depoorter, sabotier à Saint- Genois, ont servi d'instrument aux auteurs de ce complot ;
Attendu qu'il y a des indice suffisants pour mettre en accusation :
Ledit Frédéric Vandeputte, comme auteur des faits rappelés ci-dessus sub n°11, 12, 15 et 16 ;
Ladite Virginie Takkens, comme auteur des rappelés sub n° 12, 15, 16 et 17, ou au moins comme complice du fait rappelé sub n°16 ;
Ledit Camille Van Overschelde, comme auteur du fait rappelé sub n°14 ;
Et ledit Jules Depoorter, comme auteur du fait rappelé sub n°6 ;
Attendu que les faits mis à leur charge, à l’exception du n°12, sont qualifiiés crimes par la loi ;
Attendu que le fait sub n°12 ne constitue qu'un délit, mais que ce délit est connexe aux autres faits ;
Attendu que ces faits n'ont pas été qualifiés d'une manière satisfaisante dans l'ordonnance de la chambre du conseil de Courtrai ;
Attendu qu'Amand Van Eecke, vicaire à Saint-Genois. a été l’agent le plus actif pour enflammer les passions, exciter les haines contre ceux dont les propriétés ont été, depuis, incendiées ou dévastées ;
Que dans ce dessein il a eu recours à la parole et à la presse ;
Qu'au cours de l'année 1868, ses sermons ont été souvent des attaques contre l’acte de l'autorité communale qui a ordonné les inhumations dans le nouveau cimetière ;
Que le dimanche 28 juin 1868, le vicaire Van Eecke prit pour sujet de son sermon la destruction de Sodome el de Gomorrhe par le feu du ciel ; que d'après la déposition de nombreux témoins et sa propre déclaration, il a dit alors que des événements déplorables se passaient à Saint-Genois ; que c'était épouvantable que de voir enterrer les morts comme des bêtes en terre non bénite ; que tôt ou tard Saint-Genois serait punie de ces abominations ; qu'elle serait détruite par les flammes comme Sodome et Gomorrhe ; qu'il espérait être conduit par un ange hors de Saint-Genois avant l'heure du Châtiment, comme Loth l'avait été hors de Sodome avant sa destruction ;
Que le 4 juillet suivant, dans le n°209 du journal intitulé : 't Jaer 30 imprimé à Bruges par Vandenberghe-Denaux, le vicaire Van Eecke a publié un article où il désigne à la haine de leurs concitoyens les personnes qui ont aidé à l'établissement du nouveau cimetière et où il associe l'idée d’incendie à leurs noms ; qu'après avoir prétendu que les enterrements se font désormais à Saint-Genois suivant le culte luthérien et qu'une nouvelle secte s'y est formée, il raconte, dans cet article, qu'il a vu en rêve un incendie dévorant une maison située au hameau Vierabeele, et les ministres de la nouvelle secte, le père Auguste, le père Edouard, le père Désiré, le père Victor, le père Isidore et le père Garibaldi, faisant de vains efforts pour l'éteindre ;
Que pour qu'on ne pût pas se méprendre sur les personnes ainsi signalées à l'animadversion publique, il en a lui-même donné l'explication dans un autre article inséré dans le même numéro ; qu'il y avertit le public que les principaux personnages qui ont joué un rôle dans l’établissement du nouveau cimetière sont Désiré Glorieux, ancien bourgmestre ; Auguste Mullie, bourgmestre actuel ; Edouard Delebecque, échevin et Victor Devos, conseiller communal ;
Que l'imprimeur du 't Jaer 30 attribue également au vicaire Van Eecke, son correspondant habituel, mais avec moins de certitude, le manuscrit n'ayant pas été retrouvé, l'article publié le 14 juillet 1868, dans le n°210, où, cherchant à soulever la population de Saint-Genois contre l'administration communale, on s'écrie, dans le débordement de la violence : Nous enlèverons les cadavres de nos frères du cimetière non bénit ;
Attendu que le sermon du vicaire Van Eecke sur Sodome et Gomorrhe, avec les articles ci-dessus rappelés du 't Jaer 30, ont été la cause déterminante des incendies et des dévastations qui ont eu lieu à Saint-Genois ; Qu'en effet, la conclusion naturelle en était que les personnes qui ont pris part à l'établissement du nouveau cimetière devaient être punies par l'incendie et la dévastation de leurs propriétés ;
Que déduisant cette conséquence, les promoteurs des événements de Saint-Genois ont cherché des instruments qui ont réalisé la prédiction du ministre de Dieu ;
Attendu qu'il reste à examiner si la provocation établie à charge du vicaire Van Eecke a eu le caractère voulu par la loi pour devenir punissable ;
Que, quelque funestes qu’aient été les suites de cette provocation, c'est un devoir (page 209) d'élucider ce point, en contenant la légitime indignation que son odieuse conduite inspire, sans écouter le désir qu'elle fait naître naturellement de l'atteindre par la loi pénale ;
Attendu qu'aux termes de l'article 66 du code pénal, « sont punis comme auteurs d'un crime ou d'un délit... ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publies... soit par des écrits imprimés ou non et vendus ou distribués, auront provoqué directement à le commettre... » ;
Que la provocation publique est punissable, quelque forme qu'elle prenne, même celle d'un simple conseil, pourvu qu'elle soit directe ;
Que cette condition est considérée comme une précieuse garantie pour la liberté de la parole et la liberté de la presse ; que ces libertés étant des organes nécessaires à la vie d'une nation libre, plutôt que d'en gêner l’exercice, on a préféré tolérer quelques abus ; que ces abus, du reste, sont largement compensés par l'impulsion féconde que ces impriment à la civilisation ;
Que déjà, sous la pression de l'opinion publique. le gouvernement du royaume des Pays-Bas, modifiant son projet primitif, consentit à insérer dans l'article premier de la loi du 16 mai 1829, que la provocation publique à un crime ou à un délit ne serait réputée acte de complicité qu'autant qu'elle aurait été directe ;
Que la qualification de directe ajoutée au mot « provocation » avait pour but de prévenir les procès de tendance que permettait l'article de la loi française du 17 mai 1819 ;
Que, suivant cette loi, encore en vigueur en France, pour que le provocateur soit puni, il n'est pas nécessaire qu'il ait voulu ni même entrevu le crime ou le délit qui a été le résultat de sa provocation : il suffit qu'en excitant les passions, il ait été la cause d'un crime ou d'un délit. (Traité des délits et de la parole, de l'écriture et de la presse, par Chassan, 2ème édition ; paris, t. I, p. 335) ;
Que cette complicité fictive, créée en France pour servir de frein à ceux qui, à tout hasard, sans en calculer les conséquences, appel aux passions, n'a pas moins été repoussée par le décret sur la presse du 21 juillet dont l'article premier reproduit l'article premier de la loi du 26 mai 1829 ;
Que le nouveau code pénal, en rangeant les provocateurs parmi les auteurs du crime ou du délit a mieux encore manifesté qu'ils ne peuvent être punis que quand on rencontre dans leur chef la condition de tout crime et de tout délit, savoir une résolution criminelle correspondant au fait prévu par la loi pénale ;
Que cette volonté du législateur, qui ressort déjà du texte, a été encore clairement exprimée dans le cinquième rapport de M. Haus ;
Qu'en effet, on y lit : « Les attaques dirigées contre le gouvernement ou contre des particuliers. la censure des actes de l'autorité publique. le blâme déversé sur les personnes qui en sont investies, l'excitation de sentiments de haine, l'expression du désir de voir s'accomplir un bouleversement politique ou un attentat contre la personne ou coutre les propriétés d'un particulier, en un mot, la provocation indirecte, quelque coupable qu'elle soit en elle-même, ne tombe point sous l'application de l'article 89 du projet ; Cette provocation peut être un crime ou un délit sui generis ; elle ne constitue pas un acte de participation morale à l'action criminelle qui a été commise (Nypels, Commentaire du code pénal belge, I, page 145, n°342) ;
Que le législateur n'a fait, du reste, que suivre la doctrine des criminalistes les plus distingués ;
Qu'ainsi, suivant Rossi, il est évident que la provocation doit être spéciale, c’est-à-dire consister dans les efforts directs d'un individu pour que d'autres individus exécutent un crime déterminé et prévu par la loi pénale. (Traité du droit pénal, livre II, chapitre 36);
Que sous l'ancienne jurisprudence, qui punissait d'une manière générale le conseil de commettre un crime, le provocateur n'était puni de la même peine que l'auteur que s'il avait conseillé directement le crime ; Quando, dit Farinacius, immediatz consulit ipsum delictum (quaest. CXXIX, n°95) ;
Que seulement il faut admettre, comme l'a dit M. d'Anethan dans son rapport au sénat sur le livre du code pénal, que celui qui provoque à un acte est censé agir par la main de l'individu ainsi provoqué, et lui abandonner le choix comme l'exécution des moyens que nécessiteront les circonstances pour atteindre le but de la provocation (Nypels, ouvrage cité, l, page 296, n• 42) ;
Attendu que si l'on applique ces règles au sermon prononcé par le vicaire Van Eecke sur le sort dc Sodome et Gomorrhe, ainsi qu'aux articles insérés dans le n°209 de 't Jaer 30 du 4 juillet 1868, on y trouve une (page 210) provocation qui, punissable ailleurs, ne l'est point en Belgique ;
Que la provocation contenue dans son sermon est indirecte : il annonce comme inévitable pour les habitants de Saint-Genois une punition par le feu du ciel, sans exciter directement à commettre des incendies ni former un complot pour dévaster la commune ;
Que la provocation contenue dans les articles du n°209 du journal 't Jaer 30 n’est pas moins indirecte, puisque l'auteur se borne à mêler au récit d'un incendie les noms des personnes sur lesquelles il appelle particulièrement la haine de ses lecteurs ;
Que si, dans l'état des esprits à Saint-Genois, ces provocations indirectes étaient aussi dangereuses que des provocations directes, le vicaire Van Eecke n'en reste pas moins exempt de toute responsabilité pénale, la résolution méchante qui l'a fait agir n'ayant pas pris la forme prévue par la loi ;
Que ces provocations indirectes l’exposent seulement à la responsabilité civile envers les victimes, en vertu de l’article 1382 du code civil, qui oblige tout citoyen à réparer le préjudice causé à autrui par sa faute ;
Attendu que si le n°210 du t’ Jaer 30 contient une excitation directe à la violation de sépulture, elle n'a point été suivie d'effet et partant elle échappe à toute répression ;
Attendu que, défendant de contredire le prêtre dans l'exercice de son ministère (article 143 du code pénal), la loi a dû, à moins de conspirer sa propre ruine, exiger que le prêtre respectât dans son discours les actes de l'autorité publique ;
Que le vicaire Van Eecke a méconnu cette condition de la protection spéciale que la loi lui accorde comme ministre du culte ;
Attendu que les attaques qu'il a dirigées, comme ministre du culte, contre l'acte de l'autorité communale qui a ordonné les inhumations dans le nouveau cimetière, sont punies de peines correctionnelles par l'article 268 du code pénal ; Que ces attaques contre un acte de pure administration ne constituent pas un délit politique (cour de Bruxelles, 8 mars 1845, Pas., 2, 251) ;
Que ces attaques, quoique ayant eu une influence décisive sur les crimes et les délits commis à Saint-Genois, ne s'y rattachent cependant par aucun lien de connexité légale ;
Vu les articles 512, 513, 514, 51, 52, 66, 67, 69, 80, 125, 535, 268 du code pénal et les articles 229, 231, 230, 226 et 227 du code d'instruction criminelle ;
Requiert qu'il plaise la chambre d'accusation :
I. Annuler l'ordonnance de prise de corps décernée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Courtrai, à la date du 31 décembre 1868, contre 1° Frédéric Vandeputte, etc. ;
Il. Décerner une nouvelle ordonnance de prise de corps contre lesdits Frédéric Vandeputte, Virginie Takkens, Camille Van Overschelde et Jules Depoorter ;
Contre ledit Frédéric Vandeputte et ladite Virginie Takkens, comme accusés d'avoir volontairement mis le feu (a), pendant la nuit du 2 au 3 août 1868, à Saint-Genois. à une récolte d'avoine coupée appartenant à Emile Seynaeve, etc. ;
Par suite, renvoyer lesdits Frédéric Vandeputle, de ces divers chefs, devant la cour d'assises de la Flandre occidentale ;
III. Renvoyer ledit Amand Van Eecke au tribunal de police correctionnelle de Courtrai, comme prévenu d'avoir, au cours de l'année 1868, à Saint-Genois, à diverses reprises. étant ministre du culte catholique, dans l'exercice de son ministère, directement attaqué, par des discours prononcés eu assemblée publique, l'acte de l'autorité communale qui a ordonné les inhumations dans le nouveau cimetière de cette commune,
Et IV. Dire qu'il n'y a pas lieu de suivre, hic et nunc, les autres préventions admises par ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de Courtrai en date du 31 décembre 1868.
Fait le 26 janvier 1869.
Pour le procureur général, L'avocat général, (Signé) Polydore de Paepe.
M. l'avocat général et le greffer s'étant retirés, adoptant les motifs du ministère public dans le réquisitoire ci-devant transcrit, annule l'ordonnance de prise de corps décernée en cause par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Courtrai en date du 31 décembre 1868 ; en décernant une nouvelle, ordonne que : Frédéric Vandeputte, âgé de 28 ans, etc. ; En conséquence, renvoie les prédits Frédéric Vandeputte, Virginie Takkens, Camille Van Overschelde et Jules Depoorter en état d'accusation devant la cour d'assises de la Flandre occidentale, siégeant à Bruges, (page 211) comme suffisamment prévenus des faits mis respectivement à leur charge ;
Renvoie le nommé Amand Van Eecke, vicaire à Saint-Genois, au tribunal de police correctionnel de Courtrai, comme prévenu d’avoir, au cours de l'année 1868, à Saint-Genois, à diverses reprises, étant ministre du culte catholique, dans l’exercice de son ministère, directement attaqué, par des discours prononcés en assemblée publique, l’acte de l'autorité communale qui a ordonné les inhumations dans le nouveau cimetière de cette commune ;
Dit qu'il n'y a pas lieu de suivre, hic et nunc pour les autres préventions admises par l’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de Courtrai en date du 31 décembre 1868, notamment en ce qui concerne Honoré Vandenberghe,
Du 26 janvier 1869. Cour de Gand. Chambre des mises en accusation.
(Remarque du webmaster : Les incendiaires, rejugés, ont été condamnés à des peines allant de 15 à 5 ans de réclusion.
(Pour sa part, le vicaire Van Eeecke a été rejugé sur la base de l’infraction prévue à l’article 268 du code pénal mais à cette fois, perdu son recours en appel (voir ci-dessous)
Cité par la « Belgique Judiciaire », 1869, p. 1151
A la séance du {0 août 1869, la Cour a prononcé l'arrêt suivant :
« Attendu que les faits pour lesquels l’appelant a été renvoyé. par arrêt de la chambre des mises en accusation, en date du 26 janvier dernier, devant le tribunal correctionnel de Courtrai, constituent. s'ils sont prouvés, des infractions prévues et punies par l'article 268 du code pénal :
« Attendu que l’appelant a décliné la compétence de la juridiction correctionnelle, en soutenant que tout fait qui tombe sous l'application de l'article précité est essentiellement et par lui-même un délit politique. dont la connaissance appartient au jury, aux termes de l’article 98 de la Constitution ;
« Attendu que ce soutènement est inadmissible ; qu'en effet, le législateur, en édictant l'article du code pénal, a voulu non seulement garantir l'ordre politique contre les attaques des ministres des cultes, mais encore, et surtout. a eu pour but d'assurer la paix ou la tranquillité publique que ces attaques tendent toujours à troubler, principalement dans les communes rurales ; qu'aussi cet article, qui dans le code est placé sous le titre IV, relatif aux crimes et délits contre l'ordre public, réprime d'une manière générale les attaques directement dirigées par les ministres des cultes, dans l’exercice de leur ministère, par des discours prononcés en assemblée publique, contre tout acte de l'autorité publique ;
« Attendu que si, parmi ces actes, il en est qui, à raison du pouvoir ou de l'autorité dont ils émanent et à raison de leur objet, régissent les intérêts généraux du pays, et partant sont empreints d’un caractère politique, il en est d'autres qui, ne concernant que des intérêts provinciaux, communaux ou individuels, ne constituent que des mesures d’administration ou de police et sont tout à fait étrangers à l'ordre politique ;
« Attendu que les attaques dirigées par les ministres des cultes contre cette dernière espèce d’actes, dans les conditions déterminées par l'article 268 précité, ne sauraient être considérées comme formant par elles-mêmes des délits politiques ;
« Qu'en effet, d'après le sens juridique des termes de la Constitution, par délits politiques, on ne peut entendre que les délits perpétrés contre l'ordre politique, et qui tendent à renverser, à changer ou à troubler cet ordre ;
« Attendu qu'étant démontré que les attaques dont il s'agit dans l’article 268 du code pénal ne constituent pas toutes, essentiellement et par elles-mêmes ; des délits politiques, il importe d'examiner quel est le caractère de l'acte qui, d’après la prévention, a été l’objet des attaques de l’appelant ; en d’autres termes. si cet acte appartient à l’ordre politique ou simplement à l'ordre administratif ; qu'en effet, ces attaques devront être considérées comme des délits politiques ou comme des délits non politiques, selon que l'acte sera reconnu appartenir à l'un ou à l'autre de ces ordres ;
« Attendu que l'acte dont il s'agit n'est autre qu’un arrêté du bourgmestre de Saint-Genois, pris le 9 mai 1868, portant suppression du cimetière de la commune, à partir du 9 juin suivant, et ordonnant de faire, à partir de cette date, les inhumations dans le cimetière nouveau ;
« Attendu que cet arrêté, œuvre d'une simple autorité communale, ne saurait, sous aucun rapport, être considéré comme appartenant à l'ordre politique; qu’il ne constitue qu'un acte de pure administration, qu’une mesure locale prise à la suite de décisions d'autorités compétentes et en vertu du décret impérial du 23 prairial an XII, dans l'intérêt et pour les besoins de la commune qu'il concerne ; qu'ainsi l’appelant a pu attaquer cet arrêté, comme il est prévenu de l'avoir fait, sans commettre un délit nécessairement politique ;
« Mais attendu que l'appelant prétendant que si les attaques qui lui sont reprochées ne constituent pas, essentiellement et par elles-mêmes, des délits politiques, au moins les circonstances dans lesquelles elles se sont produites leur impriment ce caractère, il est nécessaire d’examiner la valeur de ce soutènement ;
« Attendu, à cet égard, qu'il est généralement reconnu que les faits qui, comme ceux dont il s'agit dans l'espèce, sont des délits contre l'ordre public ne portant pas eux-mêmes un caractère politique, peuvent prendre ce caractère et devenir des délits politiques par suite des circonstances particulières dans lesquelles ils ont été commis ; et qu'il y a lieu. par conséquent, d'apprécier les circonstances invoquées par l'appelant et résultant, d'après lui, de l’arrêt de renvoi et du réquisitoire du ministère public, dont cet arrêt a adopté les motifs ;
« Attendu que ces circonstances sont les suivantes :
« 1° Les attaques se rapportent à des difficultés survenues entre l'autorité laïque de Saint-Genois et l'autorité ecclésiastique, à l'occasion de l'établissement d'un nouveau cimetière dans cette commune ;
« 2° Ces attaques ont été dirigées non seulement contre l'arrêté du bourgmestre du 9 mai 1868, mais elles l'ont été aussi, du moins indirectement, contre une série de décisions du conseil communal de Saint-Genois, de 1861, 1862, 1863, contre un arrêté de la députation permanente du 24 janvier 1863. et contre deux arrêtés royaux des 24 juillet et 17 septembre 1863, tous actes ayant pour objet la suppression de l'ancien cimetière catholique appartenant à la fabrique de l'église de Saint-Genois et l’établissement du cimetière communal nouveau ;
3° Le mobile de l’appelant était la défense du culte catholique, la sauvegarde da ce qu’il croyait être les droits de sa communion religieuse ; son but, l'obtention, au moyen d’une manifestation, du retrait de l'arrêté du 9 mai, soit par l'autorité elle-même qui l'avait pris, soit par l'éloignement de cette autorité à l'aide de l'élection
« Et attendu que ces circonstances, en les admettant toutes comme énoncées dans l'arrêt de renvoi ou dans le prédit réquisitoire ne sont pas de nature à ôter aux faits qui font l’objet de la prévention le caractère qu'ils ont par eux-mêmes ; qu'au contraire, elles prouvent à toute évidence que ces faits, s’ils sont établis, n’ont pas même été posés dans un dessein politique ; qu'ils n'ont été commis que dans un esprit d'hostilité contre des actes de simple administration prétendument opposés ou préjudiciables à des intérêts religieux ; qu'ils n'ont pas en rien porter atteinte à l'ordre politique et qu'ils ne constituent. en réalité, que des délits ordinaires, spéciaux si l’on veut, mais à coup sûr non politiques et dont la connaissance, ainsi que l'a décidé le jugement a quo, n'appartient qu'au correctionnel ;
« Par ces motifs. la Cour déclare l’ appel non fondé, le met à néant ; confirme le jugement dont appel et condamne aux frais d’appel, taxés ... ; fixe à huit jours la durée de la contrainte par corps pour le recouvrement de tous les frais auxquels il est condamné...
« (Du 10 août 1869) »
(Remarque du webmaster : Le vicaire Van Eecke s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Son pourvoi a été rejeté par décision du 2 novembre 1869 (voir Gustave BELTJENS, Les codes belges annotés. Code civil, interprété par les décisions des justices de paix, etc., Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1881, p. 125, n°17)