Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Essai historique et politique sur la révolution belge
NOTHOMB Jean-Baptiste - 1833

Jean-Baptiste NOTHOMB, Essai histoire et politique sur la révolution belge

(Première édition parue en 1833 à Bruxelles, seconde édition en 1834. Quatrième édition parue à Bruxelles en 1876 avec une « Continuation » par Théodore JUSTE)

Chapitre XIX

Convention conclue entre la France et la Grande-Bretagne le 22 octobre 1832. - Convention conclue entre la Belgique et la France le 10 novembre 1832. - Blocus maritime. - Deuxième intervention française. - Siége de la citadelle d'Anvers. - Adresses des Chambres belges

(page 312) Le principe déposé dans le protocole du 1er octobre 1832 serait peut-être resté stérile, si la Belgique ne s'était empressée de s'en prévaloir pour déclarer les négociations rompues et pour réclamer l'exécution du traité par l'emploi de la force ; cette sommation fut rédigée le 5 octobre, et notifiée à la France le 6, à la Grande-Bretagne le 8. L'état des négociations est nettement résumé dans cette pièce, ainsi conçue :

« Le soussigné, ministre des affaires étrangères de S. M. le roi des Belges, ayant rendu compte à son souverain de l'état des négociations ouvertes à Londres, et principalement des nouveaux actes intervenus depuis que le plénipotentiaire belge a été muni des pouvoirs nécessaires pour entrer directement en relation avec le plénipotentiaire hollandais, a reçu l'ordre de faire la déclaration suivante.

« Le gouvernement de S. M. le roi des Belges s'étant adressé, sous la date du 12 et du 13 juin, aux cabinets des Tuileries et de St-James, pour réclamer (page 313) l'exécution des engagements contractés par le traité du 15 novembre, reçut pour réponse que la Conférence s'occupait des moyens propres à amener sans délai ce résultat.

« Fort de cette assurance et de l'approbation donnée, par la note de la Conférence du 11 juin, au plan de conduite qu'il s'est tracé, le gouvernement belge comptait sur un dénouement prochain de difficultés trop longtemps prolongées, lorsque la Hollande donna subitement aux négociations une direction nouvelle et inattendue.

« Le cabinet de La Haye, en paraissant s'offrir à négocier un arrangement direct avec le gouvernement belge, avait fait croire à l'existence d'un moyen pacifique dont il restait encore à user ; en arrêtant ainsi la Conférence et en donnant le change à l'opinion, il était parvenu à rejeter sur la Belgique la responsabilité des retards.

« C'est ce qui engagea le roi des Belges à se départir, momentanément, de la résolution de ne prendre part à aucune négociation avant l'évacuation du territoire belge. En conséquence, des mesures furent arrêtées par Sa Majesté pour ouvrir une négociation directe, à l'effet de s'assurer, d'une manière certaine, s'il était possible d'obtenir un arrangement, à l'amiable, avec la Hollande.

« L'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire du roi des Belges, à Londres, fut muni, le 18 septembre, de pleins pouvoirs à l'effet de négocier, conclure et signer un traité direct avec le plénipotentiaire de S. M. le roi des Pays-Bas ; le plénipotentiaire belge, en instruisant la Conférence de sa nouvelle (page 314) mission, déclara, par une note du 20 septembre, que le roi des Belges entendait ne porter aucune atteinte ni aucun préjudice à ses droits, qu'il se réservait, si la négociation directe restait sans résultat, de réclamer l'exécution des engagements contractés par chacune des cinq cours.

« Le gouvernement de S. M. le roi des Belges ne tarda pas à acquérir la connaissance de la note adressée à la Conférence par le plénipotentiaire néerlandais, sous la date du 20 septembre, ainsi que du résultat des travaux auxquels les plénipotentiaires des cinq cours se sont livrés dans leurs réunions des 24, 25 et 26 du même mois. Il a puisé dans ces documents la conviction que le gouvernement néerlandais ne saurait être amené par les voies ordinaires de la négociation à un rapprochement direct avec la Belgique, et que tout espoir de conciliation étant devenu illusoire, il ne reste plus qu'à envisager la question belge sous ce point de vue. Dans cet état de choses, le gouvernement français reconnaîtra sans doute qu'il est dans les devoirs du soussigné de protester, au nom de son souverain, contre toute mesure qui pourrait encore laisser ouverture à des négociations dont une longue expérience a démontré la stérilité, soit qu'elles aient été tentées par l'action simultanée et réunie des cinq cours représentées à la Conférence, soit qu'elles l'aient été par l'action séparée de quelques unes d'entre elles. Ces dernières n'ont plus à se faire illusion sur leur influence auprès du cabinet de La Haye, surtout après l'échec éprouvé par le comte Orloff, dans la mission toute bienveillante dont il avait été chargé par la cour de Russie. Des (page 315) efforts nouveaux resteraient, comme par le passé, inefficaces, et n'auraient évidemment pour résultat que de prolonger des délais préjudiciables, non seulement à la Belgique, mais à l'Europe entière qu'ils tiennent en suspens : le désarmement général étant, en quelque sorte, attaché à la solution de la question belge.

« Le temps est donc venu de mettre à exécution un traité revêtu depuis cinq mois de la sanction commune des cinq cours et dont l'inaccomplissement expose la paix de l'Europe à des dangers croissants et continuels. Au delà du nouveau refus du gouvernement hollandais, il n'y a plus, pour arriver à ce résultat, que l'emploi des forces matérielles, car on ne peut supposer que les puissances admettent un ajournement indéfini, qui porterait la plus grave atteinte à l'ordre public européen, et qu'après deux ans de laborieuses négociations, un traité solennellement ratifié reste sans exécution.

« En conséquence, le soussigné a reçu l'ordre formel de son souverain, de réclamer du gouvernement de S. M. le roi des Français (de Sa Majesté britannique) l'exécution de la garantie stipulée par l'article 25 du traité du 15 novembre 1831 conclu avec la Belgique. Les circonstances requièrent des mesures vigoureuses et efficaces. Le soussigné ose espérer que le gouvernement français (britannique) n'hésitera pas à les prendre, en exécution des engagements contractés envers la Belgique.

« Le soussigné prie S. Exc. le ministre secrétaire d Etat de S. M. le roi des Français (de Sa Majesté britannique) au département des affaires étrangères, de mettre la présente déclaration sous les yeux du Roi son (page 316) auguste maître, et saisit cette occasion d'offrir à Son Excellence, etc.[1]

« (Signé) GOBLET.

« Bruxelles, le 5 octobre 1832. »

(Note de bas de page de la quatrième édition) Ne voulant affaiblir aucun des engagements contractés par les puissances, le gouvernement belge fit part à la Conférence collectivement, à Londres, et à l'Autriche et à la Prusse séparément à Vienne et à Berlin, de la démarche faite par la note du 5 octobre près de la France et de la Grande-Bretagne; la note adressée à la Conférence par M. Van de Weyer porte la date du 11 octobre; la note remise au prince de Metternich par le baron de Loe est datée de Vienne, 21 octobre, la note remise à M. Ancillon par le général de Mercx est datée de Berlin, 20 octobre. Ces notes restèrent sans réponse.

Le gouvernement belge ne pouvait admettre qu'aucune des puissances pût se considérer comme dégagée de l'obligation résultant des notes du 15 octobre 1831, annexées aux vingt-quatre articles; il fit déclarer, dans chacune de ces trois notes, que s'il s'était adressé à la France et à la Grande-Bretagne seulement, c'est parce que l'éloignement des lieux rendait impossible, de la part des cours de Saint-Pétersbourg, de Vienne et de Berlin, la coopération immédiate, nécessaire à une époque aussi avancée de l'année.

Cette pensée était exprimée en ces termes dans les notes remises au prince de Metternich et à M. Ancillon: « Si Sa Majesté ne s'est pas également adressée à S. M. l'empereur d'Autriche (le roi de Prusse), c'est que l'éloignement des lieux eût rendu impossible tout concours immédiat, et que tout nouveau retard à une époque aussi avancée de l'année eût été préjudiciable au repos de l'Europe; le roi des Belges, en s'adressant à ses alliés, qui depuis longtemps avaient fait les préparatifs nécessaires, n'a prétendu méconnaître ni infirmer aucun des engagements résultant pour l'Autriche (la Prusse) du même traité du 15 novembre. »

Cette démarche, faite dans des circonstances aussi irritantes, prouve que le gouvernement belge avait la conscience de son droit.

Ces pièces se trouvent dans le Recueil de Paris, t. II, p. 82 et suivantes, et dans le rapport fait aux Chambres belges, le 16 novembre 1832. (Fin de la note)

Dans cette conjoncture décisive, il importait de renforcer l'action du gouvernement, et le Roi parvint à compléter le ministère ; le 20 octobre, MM. Lebeau et Rogier s'associèrent au général Goblet, en acceptant, (page 317) l'un le portefeuille de l'intérieur, l'autre celui de la justice. Le nouveau cabinet se constitua sous des conditions précises et rigoureuses ; ces conditions furent exposées dans une note qui, le même jour, fut transmise à MM. Le Hon et Van de Weyer, et notifiée, le 23, aux gouvernements de France et de la Grande-Bretagne, après avoir fait l'objet de communications verbales.

Cette note se terminait ainsi :

« Le nouveau ministère n'a consenti à subir la responsabilité de sa position, qu'avec la ferme résolution d'accomplir les grands devoirs qu'elle lui impose. Le malaise intolérable du pays, la résistance chaque jour plus prononcée du gouvernement néerlandais et la saison avancée à laquelle nous touchons, ne permettent plus au gouvernement belge de laisser subsister des doutes sur le terme où commencera pour lui, à défaut de l'intervention des puissances, l'impérieuse obligation d'employer ses propres forces.

« C'est par ces motifs et dans ce but que le ministre plénipotentiaire de S. M. le roi des Belges a l'honneur de confirmer à S. Exc. M. le duc de Broglie la déclaration qu'il lui a faite, que son gouvernement sera dans l'impossibilité absolue de prolonger l'attente dans laquelle il se trouve au delà du 3 novembre prochain ; que si ce jour arrive sans que la garantie stipulée ait reçu son exécution, ou au moins un commencement d'exécution, Sa Majesté se verra dans la nécessité de prendre possession par ses propres forces du territoire belge encore occupé par l'ennemi.

« Telle est donc la condition d'existence du nouveau ministère : évacuation du territoire pour le 3 novembre, (page 318) ou commencement actif d'exécution, soit par l'action des puissances, soit par celle de l'armée nationale. Il ne peut se soutenir au delà de ce terme si l'une ou l'autre de ces deux hypothèses ne se réalise pas ; ce n'est là de sa part ni une volonté arbitraire, ni un vain engagement ; c'est la loi irrésistible de sa position ; c'est celle qu'imposent aujourd'hui en Belgique à tout ministère, quel qu'il soit, l'état intérieur du pays et la force des choses.»

(Note de fin de page de la quatrième édition) Le général Goblet et ses deux nouveaux collègues, en arrêtant ces instructions, se lièrent par une espèce de compromis conçu en ces termes:

« Le général Goblet donne lecture des instructions destinées à être transmises aux envoyés du gouvernement à Paris et à Londres; il annonce que ces instructions ont reçu l'approbation du Roi.

« Il est décidé que les conditions énoncées dans ces instructions sont invariables, qu'elles constituent un engagement pris réciproquement par les membres du conseil; que, par conséquent, si au 3 novembre la France et la Grande-Bretagne ne sont pas sorties de l'inaction, le conseil proposera au Roi de reprendre immédiatement les hostilités, et que si Sa Majesté ne croit pas pouvoir adopter ce parti, les ministres résigneront leurs portefeuilles.

« Il est convenu que ces instructions seront annexées au présent procès-verbal.

« Bruxelles, le 21 octobre 1832.

« (Signe') GOBLET, LEBEAU, CH. ROGIER. » (Fin de la note)

Depuis le mois de juin, les armements belges avaient été poussés à un degré extraordinaire, et, sans jactance, le gouvernement pouvait poser aux puissances garantes le dilemme : Le traité sera exécuté par vous ou par nous ; choisissez.

La volonté exprimée, le 1er octobre, par la France et la Grande-Bretagne, prit une forme définitive dans la convention conclue à Londres, le 22 octobre, par le (page 319) prince de Talleyrand et lord Palmerston ; sur l'invitation de S. M. le roi des Belges, il fut décidé que les deux puissances procéderaient à l'exécution du traité du 15 novembre, conformément à leurs engagements ; que l'évacuation territoriale formerait un commencement d'exécution ; que les gouvernements de Hollande et de Belgique seraient requis d' opérer réciproquement cette évacuation pour le 12 novembre ; que la force serait employée contre celui de ces gouvernements qui n'aurait pas donné son consentement pour le 2 novembre ; que notamment,en cas de refus de la Hollande, l'embargo serait mis sur les vaisseaux hollandais, et que le 15 novembre, une armée française entrerait en Belgique pour faire le siége de la citadelle d'Anvers.

Cette convention fut ratifiée le 27 octobre et, le même jour, la sommation adressée à la Belgique et à la Hollande, pour requérir l'évacuation, fut expédiée ; elle fut signifiée à La Haye le 29 octobre, par le marquis d'Eyragues et M. Jerningham ; à Bruxelles le 30, par sir Robert Adair et le comte de La Tour-Maubourg.

Voici le texte de la sommation adressée à la Belgique :

« Le soussigné, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de S. M. le roi des Français près S. M. le roi des Belges, a reçu l'ordre de faire connaître à M. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, la détermination que vient de prendre S. M. le roi des Français, d'accord avec Sa Majesté britannique.

« L'inutilité reconnue des efforts si souvent renouvelés pour arriver, par la voie des négociations, à l'acceptation et à l'exécution du traité relatif aux Pays-Bas, conclu à Londres le 15 novembre 1831, les oblige à (page 320) adopter la seule mesure qui leur reste pour mettre fin à un état de choses dont la durée, plus longtemps prolongée, pourrait compromettre la paix de l'Europe. Ils se voient donc contraints, par les considérations ci-dessus mentionnées et par les engagements qu'ils ont contractés, de procéder immédiatement, par les moyens qui sont en leur pouvoir, à obtenir l'évacuation respective des territoires qui se trouvent occupés par celle des deux puissances à laquelle ils ne doivent plus appartenir.

« En conséquence, le soussigné est chargé de demander que S. M. le roi des Belges veuille bien faire connaître si elle consent à faire évacuer, le 12 du mois (page 321) de novembre prochain, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent ~ ainsi que les portions de territoir qui ne font pas partie du royaume de Belgique ; et, dans le cas où une réponse formelle et satisfaisante à cet égard ne serait pas faite le 2 du mois de novembre prochain, le soussigné doit déclarer que toutes les mesures nécessaires seront prises pour amener ce résultat.

« Le soussigné saisit cette occasion, etc.

« (Signé) comte DE LA TOUR-MAUBOURG. »

La sommation faite à la Belgique par l'ambassadeur britannique était conçue dans les mêmes termes.

La sommation adressée à la Hollande par les deux gouvernements ne présentait que la différence suivante dans la conclusion :

« En conséquence, le soussigné est chargé de demander que S. M. le roi des Pays-Bas veuille bien faire connaître si elle consent à faire évacuer, le 12 du mois (page 321) de novembre prochain, la citadelle d'Anvers, les forts et les lieux qui en dépendent ; et dans le cas où une réponse formelle et satisfaisante à cet égard ne serait pas faite, le 15 du mois de novembre prochain, le soussigné doit déclarer que des forces de terre et de mer seraient mises en mouvement par les deux gouvernements de France et d'Angleterre, et si le 15,du mois de novembre prochain l'évacuation de la citadelle d'Anvers, des forts et lieux qui en dépendent, n'était pas complétement effectuée par les troupes néerlandaises, toutes les mesures nécessaires seraient prises pour amener ce résultat. »

Le gouvernement belge avait donné avis à la Conférence collectivement, et à la Prusse individuellement, de la démarche qu'il avait faite, le 5 octobre, auprès de la France et de la Grande-Bretagne ; ces deux cours communiquèrent aux trois puissances du Nord la convention du 22 octobre et adressèrent au cabinet de Berlin en particulier la proposition suivante :

(Note de bas de page : Cette communication fut faite le 27 octobre, immédiatement après l'échange des ratifications. Dans la lettre d'envoi, lord Palmerston et le prince de Talleyrand se réfèrent au protocole du 1er octobre et aux réserves y exprimées. Les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse se bornèrent à accuser la réception de la convention, en réitérant les regrets que leur inspirait cette détermination. Les plénipotentiaires de Russie ajoutèrent à leur accusé de réception la déclaration qu'ils se retiraient de la Conférence. (Papers relative to the affairs of Belgium, n° 47-52, B. 1re partie (Recueil de Paris, 1. II, p. 161-163.)

« Londres, le 30 octobre 1832.

« Les soussignés, l'ambassadeur de S.M. le roi des Français et le secrétaire d'État de S. M. le roi du (page 322) Royaume-uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, se référant à la teneur de la convention qu'ils ont eu l'honneur de communiquer à M. le ministre plénipotentiaire de S. M. le roi de Prusse, et dans le but d'accélérer la conclusion d'un arrangement définitif entre la Hollande et la Belgique, prient Son Excellence de soumettre à sa cour la proposition suivante :

« Le territoire belge une fois affranchi des troupes néerlandaises, le roi des Belges se trouvera dans l'obligation de faire évacuer les territoires, places et lieux dans le Limbourg et dans le grand-duché de Luxembourg, qui, d'après les termes du traité du 15 novembre 1831, doivent appartenir à S. M. le roi des Pays-Bas, grand-duc de Luxembourg. Comme il serait cependant contraire aux stipulations renfermées dans ledit, traité de faire remettre ces territoires au roi des Pays-Bas avant que les conditions attachées à leur possession aient été remplies, les soussignés sont chargés de proposer au gouvernement de Sa Majesté prussienne de faire occuper provisoirement les territoires, places et lieux ci-dessus mentionnés, et de les garder en dépôt jusqu'à ce que le roi des Pays-Bas ait formellement accepté et pris l'engagement de remplir les conditions attachées à leur possession par le traité du 15 novembre 1831.

« Les soussignés se flattent que la cour de Berlin verra dans la présente démarche une preuve manifeste de la confiance qu'inspirent à leurs gouvernements sa politique éclairée et son amour pour la paix.

« Les soussignés sont prêts à signer avec le plénipotentiaire de S. M. le roi de Prusse tout acte qui pourrait (page 323) être nécessaire pour donner à l'arrangement proposé le caractère formel et rassurant que les circonstances exigent.

« Les soussignés ont l'honneur, etc.

« (Signé) TALLEYRAND , PALMERSTON. »

Cette proposition ne fut pas acceptée par la Prusse, qui crut ne pouvoir, même indirectement, s'associer aux mesures coercitives physiques ; les conditions mêmes mises à cette proposition ne rencontrèrent aucune objection : il est donc constaté, par un document officiel, que, dès le 30 octobre, il entrait dans les vues des puissances de ne mettre le roi Guillaume, conformément à la note du 11 juin, en possession de Venloo, de la rive droite de la Meuse et de la partie allemande du Luxembourg, qu'après qu'il aurait adhéré aux arrangements territoriaux et à toutes les stipulations qui s'y rattachent.

(Note de bas de page de la quatrième édition) Le baron de Bulow répondit à la proposition du 30 octobre par une note datée du 3 décembre et portant que l'occupation dans les formes proposées ne paraissait pas conforme à l'attitude prise par le cabinet de Berlin. (Papers Relative to the affairs of Belgium, B. 1re partie, n° 62.) (Note de la 3e édition.)

Le recueil officiel de Paris pourrait faire croire que le refus du gouvernement prussien n'a point été aussi formel; le baron de Bulow se borne d'abord à accuser la réception de la proposition du prince de Talleyrand et de lord Palmerston; cette réponse provisoire est insérée dans le Recueil de Paris, 1. Il, p. 208; on renvoie ensuite au protocole de la 4e séance de la Diète germanique, du 8 novembre 1832, protocole rapporté p. 129-143 du même volume. Il est à remarquer que l'occupation dont il est question dans ce protocole n'a rien de commun avec la proposition faite à Londres; dans le protocole de Francfort il s'agit de l'occupation de la partie du grand-duché de Luxembourg entre la place fédérale et Trèves, par les troupes prussiennes, au nom de la Diète germanique, par mesure de représailles, à la suite de l'arrestation de M. Antoine Pescatore; dans la proposition de Londres, il s'agit de l'occupation de la partie du grand-duché de Luxembourg réservée au roi grand-duc par le traité du 15 novembre et par mesure de sequestre, toujours il est vrai par les troupes prussiennes; mais dans le premier cas, la Prusse n'eût fait que remplir un devoir fédéral; dans le second, elle se fût associée à la France et à la Grande-Bretagne pour l'exécution forcée du traité du 15 novembre. L'élargissement de M. Pescatore, le 23 novembre, rendit sans objet l'acte de représailles projeté par le protocole de la Diète du 8 du même mois; le refus fait à la France et à la Grande- Bretagne par la Prusse n'a d'autre motif que celui qui est énoncé dans la note du baron de Bulow, du 3 décembre, note qui se trouve également dans le Recueil de Paris, t. Il, p. 211.

Le protocole n° 45 de la Diète, du 29 novembre 1832, est également étranger à la proposition de Londres et n'est pas à sa place sous la rubrique où il est rapporté, p. 210: du 1. II. (Voyez la dernière note du présent chapitre, p. 336.)

L'auteur, en reproduisant textuellement la proposition faite à la Prusse par la France et la Grande-Bretagne, avait pour but de prouver que cet acte, connu du cabinet belge, n'excluait aucune des garanties stipulées par le traité du 15 novembre; il existe un autre document plus formel et qu'on ne pouvait divulguer alors; c'est une note adressée par M. Van de Weyer à lord Palmerston sous la date du 18 novembre 1832, en vertu d'instructions antérieures à l'ouverture des chambres belges, note qui se termine par les considérations suivantes: « Il importe que les mesures à prendre aient un caractère rassurant pour les habitants qui cessent d'être Belges. Il faudra que les fonctionnaires soient à l'abri d'une réaction pour avoir accepté des emplois au service du gouvernement belge, et que l'on règle la validité des actes passés par les notaires ou autres officiers ministériels, ainsi que des jugements rendus par les tribunaux depuis septembre 1830, la perception des impôts, l'administration communale et les rapports de douanes, dans la province même entre les parties démembrées. V. S. sentira que ces questions ne peuvent se résoudre que par une convention préalable, et que toute cession antérieure à la signature d'un pareil arrangement devient impossible. Tant que ces points ne seraient point formellement garantis, l'occupation d'une partie quelconque du territoire belge actuel par une autre puissance ne présenterait qu'une source de troubles pour l'avenir. »

Cette note a été imprimée pour la première fois dans le Recueil de Paris, t. II, p. 208-210.

Le gouvernement prussien refusa donc de s'associer même indirectement aux mesures coercitives par le sequestre de la partie du grand-duché de Luxembourg réservée au roi grand-duc; il pensa que l'occupation de la partie comprise entre Grevenmacher et la place fédérale, proposée comme acte de représailles et de .précaution, était une mesure grave, digne d'un examen plus approfondi. (Protocole n° 4B, du 29 novembre 1832); il se borna à placer un corps d'observation entre le Rhin et la Meuse, et fit part de cette mesure à la Diète qui l'approuva dans sa séance du 6 décembre 1832; la marche de ce corps d'armée vers le Rhin et la Meuse renouvela pour un moment dans le public toutes les craintes de guerre générale; le protocole explicatif du 6 décembre ne fut publiée par le Journal de Francfort qu'après la reddition d'Anvers.

Cette note, en constatant les intentions du ministère belge, si obstinément méconnues, sert aussi à compléter les notions sur l'attitude prise par les trois puissances du Nord et la Diète germanique, durant la période des mesures coercitives. (Fin de la note

(page 324) Le 2 novembre, à minuit, le ministère belge répondit en ces termes à la sommation qui lui avait été faite :

« Le soussigné, ministre des affaires étrangères de S. M. le roi des Belges, a eu l'honneur de recevoir la note en date du 30 octobre dernier, par laquelle M. le comte de La Tour-Maubourg, envoyé extraordinaire et (page 325) ministre plénipotentiaire de S. M. le roi des Français (S. Exc. sir Robert Adair, ambassadeur de Sa Majesté britannique, en mission extraordinaire) lui fait connaître la détermination que vient de prendre le Roi, son auguste maître, d'accord avec Sa Majesté britannique (d'accord avec S. M. le roi des Français), pour arriver à l'acceptation et l'exécution du traité relatif aux Pays-Bas, conclu à Londres le 15 novembre 1831.

« Le soussigné s'est empressé de mettre cette note sous les yeux de son souverain, et il a reçu l'ordre de déclarer :

« Que S. M. le roi des Belges consent à faire évacuer, le 12 de ce mois, et même à une époque plus rapprochée, la place de Venloo, les forts et lieux qui en dépendent, ainsi que les portions de territoire qui ne font pas (page 326) partie du royaume de Belgique, en même temps que le gouvernement belge entrera en possession de la citadelle d'Anvers, ainsi que des forts et lieux situés sur les deux rives de l'Escaut qui font partie du territoire assigné à ce royaume par le traité du 15 novembre.

« Le soussigné saisit cette occasion de renouveler, etc.

« (Signé) GOBLET. »

(Note de bas de page de la quatrième édition) Cette note, qui souleva de si violentes discussions dans le sein de la Chambre des représentants, ne fut signée qu'à l'expiration du terme fatal, le 2 novembre à minuit, et après de longues hésitations. La sommation faite au gouvernement belge sous la date du 30 octobre ne pouvait s'entendre que d'une évacuation réciproque et simultanée ; pour ne laisser aucun doute, le général Goblet exprima cette condition dans sa réponse.

Le chevalier Adair et le comte de La Tour-Maubourg ne crurent pouvoir accepter cette note qu'ad referendum, et en accusèrent la réception en ce sens le 3 novembre ; ce ne fut que le 12 qu'ils l'acceptèrent définitivement en la déclarant satisfaisante. Dans les débats de l'adresse, l'on crut devoir taire cette particularité qui prouvait que le ministère belge était loin d'avoir agi avec légèreté, mais qui aurait pu exposer les légations de France et de la Grande-Bretagne aux récriminations de la tribune et de la presse.

Les notes du 3 et du 12 novembre ont été imprimées pour la première fois dans le Recueil de Paris, t. II, p. 173 et 174, et ne se trouvent pas dans le Recueil de Londres, qui ne contient que la lettre d'envoi à lord Palmerston et la réponse de ce ministre, 2" partie, n° 55 et 56. (Fin de la note)

La réponse du gouvernement hollandais à la sommation des deux cabinets porte également la date du 2 novembre ; elle est négative.

Dès le 7, l'embargo fut mis sur les vaisseaux hollandais dans les ports de France et de la Grande-Bretagne, et les flottes combinées firent voile pour les côtes de la Hollande. (Note de bas de page : La décision relative à l'embargo fut arrêtée en conseil à Londres le 6, et à Paris le 7 novembre et notifiée au gouvernement belge le 13. Le gouvernement néerlandais prit des mesures de représailles par un arrêté en date du 16 novembre; M. Dedel, en notifiant cet arrêté à lord Palmerston par sa note du 18, déclara que son gouvernement se réservait ses droits à une indemnité. (Recueil de Paris, t. II, p. 277-279, où l'on trouve le texte de toutes ces pièces, à l'exception de la note adressée au gouvernement belge.))

(page 327) L'article 3 de la convention du 22 octobre portait que l'armée française n'entrerait sur le territoire belge que lorsque le roi des Belges en aurait préalablement exprimé le désir ; le 8 novembre, M. le comte de La Tour-Maubourg porta officiellement cette stipulation à la connaissance du gouvernement belge ; le 9, le ministre des affaires étrangères répondit que le roi des Belges, en vertu de la garantie qu'il avait été obligé d'accepter, exprimait le désir de voir les troupes françaises entrer en Belgique. (Note de bas de page : Une loi du 1er octobre 1831 accordait au gouvernement le droit, jusqu'à la paix, d'autoriser l'entrée et le séjour de troupes étrangères en Belgique. (Moniteur belge, n°110) .)

Les conditions de l'entrée et du séjour de l'armée française furent réglées par une convention particulière datée du 10 novembre ; le cabinet français avait demandé que les frais extraordinaires de l'expédition fussent supportés par la Belgique ; le gouvernement belge refusa de souscrire à cette condition : l'article fut retranché ; toutefois, en signant la convention, le comte de La Tour-Maubourg fit une réserve de ce chef ; le général Goblet répondit par une contre-réserve.

(Note de bas de page de la quatrième édition) Le deuxième volume du Recueil de Paris, p. 213-230, renferme plusieurs pièces importantes et inédites relatives à la négociation de la convention du 10 novembre 1832.

Le premier projet de convention fut présenté par le plénipotentiaire français, sous la date du 28 octobre; relativement aux frais de l'expédition, il renfermait un article 8 et dernier ainsi conçu: « Les frais extraordinaires résultant du séjour momentané de l'armée française sur le territoire belge seront à la charge de la Belgique, et l'on prendra pour base et pour règle à cet égard les arrangements auxquels ont donné lieu l'expédition française envoyée l'année dernière au secours de ce royaume. » ,

Le 31 octobre, le ministre belge remit un contre-projet en sept articles ; il justifiait en ces termes le retranchement absolu du 8e article du projet français: « Le traité du 15 novembre, disait-il, a été imposé à la Belgique; les puissances co-signataires lui en ont garanti l'exécution; ce n'est qu'en présence de cette nécessité et de cette garantie que la Belgique a pu se résigner aux sacrifices exigés d'elle. Maintenant qu'elle est à même de tirer de ses propres ressources les moyens de faire exécuter un traité auquel elle aurait librement concouru, comment prétendre lui faire payer les frais d'une expédition ayant pour objet d'amener l'exécution d'un traité qu'elle n'a accepté qu'en cédant à une loi impériale ; ce serait augmenter au delà de tout ce qu'il est possible de calculer la somme des sacrifices matériels déjà offerts par la Belgique à la paix de l'Europe; lorsque ses forces militaires se trouvent sur le pied de guerre le plus respectable, elle consent à les laisser dans l'inaction, ajoutant ainsi aux sacrifices matériels, si nombreux et si douloureux, un sacrifice moral nouveau plus douloureux encore. »

Les autres observations du ministre belge portaient sur des détails purement militaires.

Le plénipotentiaire français, après en avoir référé à Paris, fut autorisé à supprimer l'article concernant le remboursement des frais d'expédition, en signifiant une réserve de ce chef ; le ministre belge n'accepta cette réserve qu'en opposant une contre-réserve ; cette réponse, qui porte la même date que la convention, est de nature à être invoquée par la Belgique pour se mettre à l'abri de toute réclamation.

Dans sa note, le plénipotentiaire français déclare « que bien que dans cette convention il ne soit rien statué relativement aux dépenses extraordinaires qui seront occasionnées par l'expédition, le gouvernement français n'entend cependant pas renoncer à réclamer plus tard le remboursement desdites dépenses, se réservant au contraire expressément le droit de faire valoir contre la Belgique, en tout temps et en toute circonstance, les réclamations qui auraient leur source dans les frais extraordinaires qu'aurait entraînés le séjour de l'armée française sur le territoire belge. » Dans sa contre-note, le ministre belge répond « qu'il s'en réfère purement et simplement aux engagements résultant du traité du 15 novembre 1831, dont les stipulations ont été imposées à la Belgique et dont l'exécution a été garantie au roi des Belges par S. M. le roi des Français, conjointement avec LL. MM. l'empereur d'Autriche, le roi du royaume-uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, le roi de Prusse et l'empereur de toutes les Russies. »

Ainsi qu'il a été depuis affirmé à la Chambre des représentants par M. Nothomb, alors ministre de l'intérieur, en réponse à M. Guizot, la créance n'a été reconnue dans aucune circonstance. Le second Empire s'est abstenu de toute réclamation.

Le blocus maritime et le sequestre des vaisseaux capturés entraînaient également des frais extraordinaires de la part tant de la France que de la Grande-Bretagne; de ce chef il n'a jamais été soulevé de réclamation à la charge de la Belgique, les deux puissances exécutrices n'ayant fait encore que remplir leurs devoirs européens. (Fin de la note)

(page 328) Le gouvernement hollandais, de son côté, n'était pas resté inactif ; le cabinet de Berlin se prêta à la rédaction (page 329) d'un nouveau projet destiné à être substitué à celui de lord Palmerston, et le roi Guillaume y adhéra en exigeant quelques modifications nouvelles ; le plénipotentiaire hollandais à Londres, désespérant de réussir auprès du ministre des affaires étrangères, lord Palmerston, crut devoir s'adresser directement, dans les journées du 12 et du 13 novembre, au premier ministre, lord Grey ; ces tentatives ne devaient pas arrêter le cours des choses : il était trop tard. (Note de bas de page de la quatrième édition : Le thème prussien et la correspondance engagée à ce sujet entre lord Grey et le baron van Zuylen van Nyevelt se trouvent dans les quatre recueils, et notamment dans le Recueil de La Haye, t. III, p. 262 et 320.)

Le 15 novembre au matin, l'armée du Nord, sous le commandement du maréchal Gérard, franchit la frontière ; le 19, elle se trouva sous les murs d'Anvers.

(Notes de bas de page) l n'est peut-être pas sans intérêt de faire mention d'un incident assez singulier; le gouvernement français fit diriger par Arlon sur la Belgique deux convois de munitions de guerre, les 13 et 14 décembre. Par une note, datée du 23 décembre, la Diète germanique demanda au baron Alleye de Cypreye, ministre de France à Francfort, des éclaircissements sur ce fait ; le ministre de France donna ces éclaircissements par une note du 2 janv1er, où il est dit que le gouvernement français, en sa qualité de signataire et de garant du traité du 11novembre, peut, à certains égards, envisager autrement qu'on ne le fait à Francfort la question sur laquelle est basée la réclamation; deux autres notes furent encore échangées et laissèrent l'affaire dans le vague. (Note de la 3e édition.)

Les forces de l'armée d'expédition n'étaient point déterminées par la convention du 20 novembre 1832; une nouvelle division ayant reçu l'ordre d'entrer en Belgique vers la fin de novembre, le seul ministre belge encore en fonctions, celui de la guerre, protesta contre cette mesure comme inutilement onéreuse au pays ; le ministre de France à Bruxelles se borna à répondre qu'elle n'était contraire à aucun engagement. (Voyez t. II du Recueil de Paris, p. 241-243.) (Note de la 4e édition.) (Fin des notes)

(page 330) Il était d'une haute importance pour le gouvernement belge que la ville d'Anvers fût sauvée ; le salut de cette ville n'était possible qu'autant que le siége de la citadelle serait purement extérieur ; un siége purement extérieur n'était possible qu'avec l'inaction des Belges dans l'intérieur de la ville, et l'intervention étrangère. Les opérations militaires devaient donc prendre ce caractère extraordinaire propre à assurer la neutralité de la ville ; pour le roi des Belges le problème était là : obtenir la citadelle sans exposer la ville. Ce problème fut résolu ; et ce qu'on avait plaisamment appelé la stratégie doctrinaire sauva la première cité commerciale de la Belgique. Ce résultat suffirait pour justifier l'appel de l'étranger, si, d'ailleurs, il n'avait été la conséquence impérieuse d'engagements antérieurs, imposés au pays.

(Note de bas de page de la quatrième édition : Un fait sur lequel l'auteur n'a point assez insisté, c'est que les deux puissances exécutrices ne se considéraient pas comme en état de guerre avec la Hollande, ce qui exigeait une singulière réserve de langage.

Dans un ordre du jour adressé à l'armée sous la date du 15 novembre, le ministre de la guerre, baron Evain, expliquant les motifs de l'intervention française et de l'inaction militaire de la Belgique, disait entre autres:

« Le refus obstiné de la Hollande de retirer ses troupes derrière les limites que les traités lui ont assignées était un acte permanent d'hostilité envers les grandes puissances de l'Europe. » Cette phrase pouvant faire considérer les mesures coercitives comme constituant un état de guerre, sir Robert Adair protesta contre ces expressions dans une note remise au général Goblet le 17 novembre, et le comte de La Tour-Maubourg adhéra le lendemain à cette protestation. .

Ces notes sont insérées p. 238 et 239 du 2e vol. du Recueil de Paris, et manquent dans le Recueil de Londres.

Le gouvernement prussien, dans l'exposé fait à la Diète germanique pour annoncer la marche de l'armée d'observation et consigné au protocole no 46, du 6 décembre 1832, déclara, en parlant des mesures coercitives, qu'une telle entreprise ne saurait, dans le cas d'une résistance de la part de la Hollande, s'imaginer sans guerre. (Fin de la note)

(page 331) Les opérations militaires, ainsi circonscrites, devenaient plus difficiles et plus dangereuses ; le terrain, à une époque aussi avancée de l'année, offrait les plus grandes difficultés ; le courage et la science parvinrent à surmonter tous les obstacles ; l'armée de la France de juillet montra qu'elle n'avait pas dégénéré de l'armée de l'Empire ; nous laissons à l'histoire le soin de recueillir les détails de ce beau fait d'armes. Le 23 décembre, le général Chassé consentit à capituler ; le gouvernement hollandais avait, dans les derniers jours d'octobre, placé les deux petits forts de Lillo et de Liefkenshoek sous un commandement particulier ; le maréchal Gérard en demanda la reddition en même temps que celle de la citadelle d'Anvers et des positions qui en dépendent, consentant à mettre la garnison hollandaise en liberté à cette condition. Le roi Guillaume refusa d'accéder à cette double proposition ; le général Chassé effectua la délivrance de la citadelle et des forts placés sous son commandement, et se constitua prisonnier. Les Belges occupèrent immédiatement la citadelle d'Anvers et les forts voisins ; le roi Guillaume restant en possession de Lillo et de Liefkenshoek, le gouvernement belge se vit (page 332) libéré de l'obligation d'évacuer, pour le moment, les parties hollandaises du Limbourg et du Luxembourg. Cet état de choses étant avantageux à la Belgique, l'armée française dut regarder sa tâche comme achevée. (Note de bas de page : Le ministère belge avait vu de bonne heure quel parti il pouvait tirer de la position particulière où il avait plu au roi Guillaume de placer Lillo et Liefkenshoek, et, dès le 10 décembre 1832, les envoyés belges à Londres et à Paris avaient reçu l'ordre de ne pas insister, le cas échéant, sur la reddition de ces deux forts.)

Nous n'avons pas voulu interrompre, par des réflexions, le récit des faits ; l'Europe entière a assisté, attentive, haletante, au siége d'Anvers ; c'est que l'Europe savait qu'un événement extraordinaire allait s'accomplir. Dans cette Belgique, où s'étaient vidées tant de querelles politiques, devait se résoudre de nouveau une question de suprématie sociale : les deux principes qui divisent le monde venaient se heurter au pied de la citadelle d'Anvers. La France avait reçu la mission de dire au roi de Hollande, au nom de la révolution de 1830 : « Tu reculeras » ; et le roi de Hollande n'était que la personnification d'un système ; il le sentait et, par là, il se croyait invincible. La foudre populaire brise les trônes en trois jours ; la catastrophe est soudaine et rapide ; ici on met un mois à frapper le coup. La vieille Europe absolutiste s'émeut, elle proteste : protestation qui, restant sans effet, n'est qu'un aveu d'impuissance et un hommage rendu au principe vainqueur. Solennel spectacle : un des plus beaux spectacles qui soient dans l'histoire moderne : ce n'est pas seulement une ville qui change de maître, ce ne sont pas quelques pans de murailles qui s'écroulent ; des principes sont là sur la brèche. La France avait, depuis (page 333) quarante ans, fait de grandes choses ; elle les avait faites en hostilité avec l'Europe ; cette fois, ce n'est plus un désir de conquête qui la précipite au dehors ; la révolution de juillet se dresse de toute sa hauteur, elle veut prouver au monde qu'elle sait remplir ses engagements et exiger que d'autres remplissent les leurs ; appuyée sur l'Angleterre, elle dit à l'Europe : J'ai pour moi vos propres engagements ; vous n'avez pas le droit d'arrêter mon bras.

Que ne puis-je m'abstenir de rappeler ce qui se passait parmi nous à la vue de ces grands résultats ! Ou bien, que ne puis-je écrire : Liée par des engagements irrévocables, la Belgique a silencieusement subi l'intervention étrangère, trop sage pour en nier la nécessité, trop fière pour s'en réjouir ; elle n'a pas fait retentir les airs d'impuissantes clameurs ; elle ne s'est pas consumée en de stériles récriminations ; elle ne s'est pas livrée aux inspirations du désespoir ; elle a regardé la nécessité en face et ne l'a pas outragée sur son passage.

Mais, hélas ! il ne devait point en être ainsi ; la tribune législative ne consentit point à être muette ; elle ne voulut point se taire au milieu des armes. (Note de bas de page de la quatrième édition : Dans la séance du 21 novembre 1832, M. Nothomb justifia l'emploi des mesures coercitives, p. 60 du Recueil des discours.)

L’intervention étrangère est-elle nécessaire et légale ? Telle était la question de responsabilité qui semblait attendre les ministres à la barre des Chambres ; cette question, soulevée un moment, fut bientôt abandonnée ; les engagements étaient trop positifs, trop notoires. Mais (page 334) il surgit une autre question qui, de secondaire, devint. principale : Le gouvernement a-t-il consenti à l'évacuation des territoires que le traité sépare de la Belgique, sans assurer aux populations la garantie de l'amnistie, et à la Belgique même la jouissance de tous les avantages inhérents aux arrangemens territoriaux ? Ne devait-il point exiger l'adhésion préalable.. pleine et entière) du roi Guillaume au traité du 15 novembre ? Oui, dit-on, le ministère abandonne les territoires sans aucune garantie ni pour les habitans, ni pour la Belgique ; lisez la note du 2 novembre : le consentement qu'elle donne est absolu.

Oui, le ministère devait exiger préalablement l'adhésion du roi Guillaume au traité, car l'article 24 porte que l'évacuation aura lieu après l'échange des ratifications du traité à intervenir entre les deux pays ; où est le traité ratifié par le roi de Hollande ?

C'est en vain que les ministres répondent qu'il existe, outre la note du 2 novembre, d'autres actes dont la publication serait intempestive, mais dont ils attestent l'existence sous leur responsabilité ; c'est en vain que le ministre des affaires étrangères déclare à plusieurs reprises (Note de bas de page : Séances du 21 et du 23 novembre 1832.), qu'en signant la note du 2, il avait la certitude que l'évacuation ne se ferait pas sans les garanties nécessaires, énoncées dans la note du 11 juin ; que si cette condition n'a pas été formellement exprimée dans la note du 2 novembre, c'est qu'elle résulte de l'ensemble des engagements ; et que, par une réponse moins précise et moins catégorique, on courait risque de faire naître de nouveaux retards.

(page 335) C'est en vain encore que les ministres répondent que l'article 24 du traité ne pouvait s'entendre que d'une adhésion volontaire, pure et simple ; que cet article, par suite du refus du roi Guillaume et des réserves, restait sans application ; que les Chambres l'avaient ainsi jugé, en mai 1832, en appuyant le principe de l'évacuation préalable.

A Dieu ne plaise que je veuille diminuer la juste douleur que devaient exciter l'intervention étrangère, l'inaction forcée de l'armée nationale et l'abandon prochain de populations si dignes d'être belges : à cet égard il n'y a eu, et il ne devait y avoir, qu'unanimité dans les Chambres comme dans le pays.

Les ministres avaient demandé un jugement à la représentation nationale ; après avoir laborieusement amené des résultats si longtemps attendus et si souvent proclamés impossibles, après avoir remporté une si grande victoire dans les cabinets, ils se croyaient sûrs de la victoire devant les Chambres ; ils se flattaient d'obtenir une éclatante approbation, et bientôt ils furent réduits à appuyer l'ajournement des débats, à réclamer un déni de justice : insigne faveur qui leur fut accordée par 44 membres de la Chambre des représentants, et refusée par 42. (Note du webmaster : l’exemplaire papier reprend nominativement les votes exprimés. Cette énumération n'est pas reprise dans la présente version numérisée. C'était le 27 novembre ; plus calme, le Sénat (page 336) avait mieux apprécié la situation politique ; mais tout en appuyant à la presque unanimité le gouvernement, il n'était pas parvenu à neutraliser l'effet du vote de la Chambre des représentants ; les ministres crurent devoir offrir leur démission au Roi ; le 28, la tranchée fut ouverte devant Anvers ; le 29, le premier coup de canon, dont on ne savait pas encore la portée, vint retentir jusqu'à Bruxelles. Sans gouvernement, en présence d'une armée étrangère, les populations belges donnèrent une nouvelle preuve de sagesse et de moralité ; un mois se passa entre les craintes d'anarchie et les craintes de guerre générale.

A la suite de nombreuses et inutiles tentatives faites par le Roi pour former un nouveau cabinet, les ministres démissionnaires consentirent, le 16 décembre, à reprendre leurs portefeuilles.

(Note de bas de page de la quatrième édition) En même temps que le traité du 15 novembre recevait un commencement d'exécution, le ministère obtenait un autre résultat, depuis longtemps attendu.

M. Thorn, gouverneur de la province de Luxembourg, pour le roi des Belges, détenu à Luxembourg depuis le 17 avril 1832, vit cesser sa captivité le 23 novembre; cet honorable magistrat aurait été, dès le mois de mai, rendu à la liberté, si l'on avait tenu compte de la position exceptionnelle où se trouve une partie de la province de Luxembourg, par suite du traité du 13 novembre 1831.

Les individus qui, en décembre 1831, avaient pris part aux armements ayant pour objet de replacer immédiatement sous la domination du roi grand-duc la partie de la province qui ne doit pas appartenir à la Belgique, aux termes du traité du 15 novembre, devaient-ils être considérés comme des accusés ordinaires, sous l'empire du droit commun de la Belgique?

Telle est la question que faisait naître l'arrestation de M. Thorn dans ses rapports avec l'affaire de la bande Tornaco.

Le précédent ministère l'avait résolue affirmativement.

Traduits devant le jury de Namur, les accusés présents furent acquittés le 12 septembre 1832.

La condition principale mise à l'élargissement de M. Thorn était donc implicitement accomplie.

Mais le ministère public crut devoir faire des réserves, au nom du gouvernement, contre les accusés contumaces.

On demanda la révocation de ces réserves.

Les choses en étaient arrivées là lorsque M. d'Huart (depuis ministre des finances), commissaire du district de Grevenmacher, opéra de son chef l'arrestation de M. Pescatore.

Le nouveau ministère, appréciant le véritable état de cette question, consentit à mettre en liberté M. Pescatore et à considérer comme non avenues les réserves faites contre les accusés contumaces.

Dès lors, il n'exista plus d'obstacle à l'élargissement de M. Thorn. (Note de la 1re édition.)

Cette affaire n'a été qu'un incident du grand drame qui occupait le monde, incident auquel l'auteur n'a consacré qu'une note très succincte; on peut aujourd'hui en dire davantage.

Les nombreuses pièces relatives à cette affaire, qu'il faut rappeler plutôt comme un embarras que comme un événement, ne sont réunies dans aucun recueil; les plus intéressantes sont celles qui ont précédé le dénouement et qui servent à l'expliquer; on les trouve dans le second volume du Recueil de Paris, p. 89-150, et dans le troisième du Recueil de La Haye.

Il résulte d'une lecture impartiale de ces pièces:

1° Que le roi grand-duc mit pour conditions à la libération de M. Thorn l'élargissement des individus arrêtés à la fin de l'année 1830 et le désistement de toute poursuite envers les contumaces (Note verbale du 7 mai 1832, Recueil de La Haye, t. III, p. 32);

2° Qu'il y eut désaccord entre la Diète de Francfort et la Conférence de Londres; que la Diète adhéra à la proposition du roi grand,duc. (Protocoles du 7 et du 30 mai 1862, Recueil de La Haye, t. III, p, 64); que laConférence crut pouvoir demander l'élargissement préalable de M. Thorn (Protocoles n° 60, 62, 66, 68 du 11 mai, du 29 mai, du 15 juin, du 13 juillet 1832);

3° Que le premier ministère du roi Léopold s'en tint purement et simplement à l'opinion de la Conférence, croyant qu'il serait contraire aux lois et à la dignité nationale de consentir aux conditions proposées par le roi grand-duc et la Diète;

4° Que les individus arrêtés ayant été, le 12 septembre, déclarés non coupables aux assises de Namur comme criminels d'État, M. de Muelenaere crut atteindre le but en promettant qu'ils ne seraient point retenus comme prisonniers de guerre, et en s'abstenant de se prononcer sur l'action en contumace dirigée contre les individus non arrêtés (Note du 12 septembre);

5° Que cette explication paraissant insuffisante, le général Goblet, peu de jours après son entrée au ministère, alla plus loin en chargeant M. Van de Weyer d'annoncer à la Conférence la cessation de toute arrestation et de toute poursuite (Note du 12 octobre);

6° Que l'on attendait le résultat de cette nouvelle démarche, la plus complète qui eût été faite jusque-là, lorsque M. Antoine Pescatore fut arrêté le 19 octobre;

7° Que déjà la Diète, dans une séance du 11 octobre, avait reconnu que, d'après ce qui s'était passé, il y avait lieu de mettre M. Thorn en liberté, si le gouvernement belge déclarait qu'il ne retenait plus aucun individu par représailles;

8° Que la Diète, ayant reçu dans sa séance du 25 octobre communication de l'arrestation de M. Pescatore, demanda son élargissement préalable, en suspendant sa résolution du 11 octobre concernant l'élargissement de M. Thorn;

9° Qu'en effet, M. Pescatore fut élargi le 23 novembre, au matin ; que la déclaration concernant les individus, tant acquittés que contumaces, fut réitérée immédiatement ; que le même jour, au soir, M. Thorn fut élargi ; que ces mesures, se succédant avec une si grande rapidité, ne furent connues qu'en même temps et purent être présentées par les journaux belges et français comme un échange.

Des renseignements particuliers nous autorisent à ajouter que le colonel Prisse, envoyé à Luxembourg pour y concerter ses mesures avec les autorités fédérales, avait reçu pour instruction de ne se dessaisir de M. Pescatore que sur l'assurance au moins verbale que M. Thorn serait restitué dans la même journée, assurance qu'il obtint sous la foi de l'honneur militaire.

Néanmoins, M. Pescatore étant mis en liberté sans réserve, et M. Thorn dirigé vers Arlon sous la garde fédérale, le colonel Prisse fut encore obligé de déclarer que si l'arrestation de M. Pescatore avait été commencée ou tentée dans le rayon stratégique, on rechercherait, aux termes des lois, les auteurs de ces faits; déclaration conditionnelle soit par sa nature, soit par ses termes, et qui ne se s'appliquait nullement à l'auteur du fait principal consommé à Grevenmacher.

Plusieurs de ces circonstances, défavorables au gouvernement belge, à la Conférence et surtout aux cabinets de Paris et de Londres, ne restèrent point inconnues; les journaux hollandais et allemands ont eu soin de les faire ressortir. C'était pour les partisans du roi Guillaume comme une consolation, une compensation des mesures coercitives; pourquoi leur envier le triomphe des petites choses?

Il n'est pas sans intérêt de rétablir les faits dont l'enchaînement a dû échapper au public, habitué à ne s'attacher qu'au résultat; nous compléterons ce résumé par l'extrait suivant du protocole de la Diète germanique du 8 novembre : « M. le président déclare qu'il ne peut que regretter qu'après l'assurance donnée à Londres le 12 octobre par les Belges, que dans le moment actuel aucun individu appartenant au. grand-duché de Luxembourg ne se trouve en état d'arrestation ou d'accusation, la libération immédiate du ci-devant avocat Thorn ait éprouvé un nouveau retard par suite de l'arrestation d'Antoine Pescatore, effectuée le 19 octobre; M. le président croit devoir faire une mention spéciale de cette circonstance, attendu que la faute du retard qu'éprouve la libération de M. Thorn retombe uniquement sur les autorités belges. » Il nous reste à nous demander ce qui serait advenu si le gouvernement belge avait refusé l'élargissement préalable de M.. Pescatore.

Bien des lecteurs admettront la rectification que nous venons de faire au détriment de la Belgique et rejetteront la réponse que nous allons donner au détriment de la Diète.

Qu'eût fait cette assemblée?

Des notes, et rien de plus.

D'abord, comment croire que la Diète eût fait en faveur d'un sujet ce qu'elle était en demeure de faire depuis deux ans en faveur du souverain?

Les mesures coercitives elles-mêmes ne devaient point arracher l'Allemagne à sa prudente inaction.

En second lieu, il existe des actes qui répondent en quelque sorte des intentions de la Diète pour l'éventualité que nous supposons; dans sa séance du 8 novembre, sur la demande du gouverneur militaire de la place de Luxembourg, le comité diétal avait proposé, par mesure de représailles et de précaution, de faire occuper par les troupes prussiennes le territoire de Wasserbillig à Luxembourg; dans la séance du 29 novembre, sur les observations de l'envoyé de Prusse, elle décida que la proposition exigeait, un examen plus approfondi, et que, jusqu'à nouvelle instruction, aucun changement ne serait effectué dans le rayon de la place. (Ce protocole ne se trouve pas dans le Recueil de La Haye; il est inséré dans le Recueil de Paris, p. 210, t. II.) .

Tout se serait donc passé en négociations; il y aurait eu deux victimes, deux hommes des plus honorables, calculant, l'un à Luxembourg, l'autre à Namur, les chances de délivrance personnelle au milieu des événements européens qui se préparaient.

Ainsi que nous l'avons démontré dans la note p. 323 à 32 ; ci-dessus, l'occupation de la route stratégique de Luxembourg à Wasserbillig n'avait rien de commun avec la proposition du sequestre de la partie du grand-duché qui devait être restituée. (Fin de la note)

(page 337) Pour être juste, nous ajouterons que le ministère avait commis une faute en invitant les Chambres à se prononcer sur des résultats encore incomplets : c’est ce qu’il (page 338) reconnut en demandant l'ajournement de la discussion ; mais, ici, il était en droit de compter sur l'unanimité des Chambres, dont l'intérêt était même de rester passives (page 339) devant des événements à la fois inaccomplis et inévitables.