(Continuation parue en 1834 à Bruxelles, dans la troisième édition des Essais…)
Convention du 21 mai 1833 et levée des mesures coercitives
(page 37) Les négociations suspendues à Londres depuis la remise de la note de M. van Zuylen van Nyevelt du 26 février, furent reprises par M. Dedel, qui, .sous la date du 23 mars, communiqua un projet de convention, au prince de Talleyrand et à lord Palmerston.
Nous ne nous arrêterons qu'aux dispositions principales des projets et contre-projets qui ont précédé la signature de la convention du 21 mai.
Dans le premier projet du 23 mars, M. Dedel proposait de conclure un armistice jusqu'au 1 er août 1833, en demandant l'évacuation, par les troupes belges, des endroits qu' elles n’occupaient pas le 1er novembre 1832, sur les rives de l'Escaut., depuis la Pipe de Tabac , jusqu'au dessous du village de Doel et du fort Frédéric-Henri.
Dans leur réponse du 2 avril, le prince de Talleyrand et lord Palmerston insistèrent sur la nécessité d'un armistice indéfini, en soutenant, d'ailleurs, que la suspension d'armes de novembre 1830 devait être, au besoin, considérée comme subsistant ; ils firent remarquer qu'il était impossible d'exiger l'abandon d'une partie des rives de l'Escaut par les Belges, puisque le principe du statu quo territorial devait être réciproque, (page 38) et que les territoires à évacuer devaient définitivement appartenir à la Belgique.
M. Dedel exposa longuement, dans sa note du 16 avril, les motifs de son projet, en proposant toutefois un changement de rédaction, qui consistait à rétablir, relativement à la cessation des hostilités et à la navigation de l'Escaut, l'état des choses tel qu'il avait existé avant le 1er novembre 1832, rédaction qui eût tout laissé dans le vague ; la cessation des hostilités n'eût point été garantie, car, dans cette note, M. Dedel soutenait que toute suspension d'armes formelle avait cessé depuis le 25 octobr'e 1831 ; la navigation de l'Escaut n'eût point été garantie, car, dans la dépêche du 25 février 1833, le baron Verstolck van Soelen avait insinué que le gouvernement néerlandais s'était, aux termes du protocole n° 9, du 9 janvier 1831, réservé le droit d'établir, même avant tout arrangement définitif, un péage équivalent à celui qui existait, selon lui, en 1814.
(Note de bas de page de la quatrième édition) Il faut bien le reconnaître, c'est la République française qui, par le traité du 3 floréal .an III, a exigé de la République batave l'ouverture de l'Escaut et qui a détruit l'article 14 du traité de Munster que Joseph II, après une tentative qui lui a fait peu d'honneur, avait été obligé de respecter. Depuis cette époque et nommément à la chute de l'Empire, l'Escaut était-il, sinon soumis de fait, au moins sujet de droit à un péage ? Aucun péage ne fut perçu jusqu'à l'an X. Un décret .du 30 floréal de cette année établit sur toutes les rivières de la République française un droit de navigation intérieure et ce décret fut appliqué à l'Escaut dont les deux rives appartenaient à la France. A la chute de l'Empire, la perception de tout péage cessa sur l'Escaut; aucun péage ne fut rétabli après la création du royaume-uni des Pays-Bas. En 1817, on essaya de percevoir sur l'Escaut l'ancien tol zélandais, ce qui excita les plus vives réclamations ; après deux mois, la perception fut abandonnée. En résumé, sauf cette tentative de si courte durée et sauf la période française de l'an X à 1814, aucun péage n'a été perçu sur l'Escaut. Après 1830, le gouvernement néerlandais n'en a pas moins soutenu que de droit le péage avait toujours été dû. Il est à remarquer que, d'après le décret du 30 floréal an X, le péage avait une destination spéciale: il devait être employé à l'entretien des chemins de halage et à des ouvrages d'art utiles à la navigation. (Voyez le discours de M. Nothomb du 18 mai 1819, p. 248-9 du recueil.) La Conférence a du reste tenu compte de la renonciation de la Hollande à l'article 14 du. traité de Munster en comprenant implicitement la continuation de l'ouverture de l'Escaut parmi les avantages de navigation et de commerce évalués à 600,000 florins de rente annuelle par le protocole n° 48 du 6 octobre 1831. C'est dans le même ordre d'idées qu'une rente annuelle de 400,000 florins a été exceptée du transfert en 1842 par l'article 63 du traité de La Haye du 5 novembre de cette année, capitalisation bénévolement concédée depuis au prix de 18,800,000 francs. La capitalisation du péage en 1863 avait valu au trésor néerlandais 17,141,640 florins ; la Hollande a donc battu monnaie avec l'Escaut ; non seulement les. puissances garantes du traité de Londres du 19 avril 1839, mais tous les États maritimes signataires du traité de Bruxelles du 16 juillet 1863 sont compétents pour exiger que la liberté de l'Escaut soit une vérité. (Fin de la note).
(page 39) Dans leur réponse du 22 avril, le ministre anglais et l'ambassadeur français soutinrent que la suspension d'armes limitée, conclue, en septembre 1831, avec la Belgique, n'avait pas révoqué les engagements indéfinis contractés envers les cinq puissances en novembre 1830 : cette assertion présente un intérêt historique qui nous engage à citer ce passage de la note :
« Les soussignés doivent rappeler au gouvernement néerlandais que, quoique les cinq puissances aient consenti à un armistice défini, quant au temps, leur intention, comme le prouvent tous les actes de la Conférence, n'a jamais été d'admettre que, lorsque le terme fixé pour la durée de l'armistice serait expiré, on permettrait à la Hollande et à la Belgique de reprendre les hostilités ; et, pour preuve de cette assertion, les soussignés n'ont autre chose à faire qu'à se référer à la note, (page 40) annexe D au protocole n° 49, adressée par la Conférence aux plénipotentiaires des Pays-Bas, dans laquelle les plénipotentiaires des cinq puissances établissent qu'ils ne peuvent que « déclarer ici leur ferme détermination de s'opposer, par tous les moyens en leur pouvoir, au renouvellement d'une lutte qui, devenue aujourd'hui sans objet, serait pour les deux pays la source de grands malheurs et menacerait l'Europe d'une guerre générale, que le premier devoir des cinq puissances est de prévenir. »
« Les cinq puissances ne se sont jamais départies, depuis, de cette détermination : elles l'ont même fréquemment et unanimement répétée dans leurs actes subséquents.
« Mais si les cinq puissances ont, au mois d'octobre 1831, jugé inutile de requérir du gouvernement néerlandais l'engagement d'un armistice renouvelé et illimité, c'est qu'elles ont senti qu'il dépendait d'elles d'en prolonger la durée par leur déclaration. et d'en venger la rupture par les armes.
« Les gouvernements de France et de la Grande-Bretagne pourraient sans doute, en ce moment, suivre la même marche et assurer la continuation de l'armistice par une déclaration au gouvernement hollandais, dans laquelle ils annonceraient que la violation de cet armistice serait considérée comme un acte d'hostilités contre les deux puissances. .
«. Si les deux gouvernements n'emploient pas ce moyen et préfèrent que l'armistice soit le résultat d'un consentement mutuel, ce n'est assurément pas qu'ils doutent du pouvoir qu'ils ont de faire respecter (page 41) l'indépendance et la neutralité de la Belgique, garanties par eux ainsi que par l'Autriche, la Prusse et la Russie ; mais c'est parce qu'ils regardent la marche qu'ils ont adoptée comme plus conciliante et plus pacifique, et, par conséquent, comme conduisant mieux au but vers lequel leur politique les a constamment dirigés.
« Les soussignés, dans leur note du 2 courant, se sont opposés à la durée limitée de l'armistice, proposée par le gouvernement hollandais ; ct les raisons qu'ils ont données, pour s'y opposer, leur paraissent tellement concluantes, qu'ils attendaient avec confiance que des pouvoirs seraient envoyés à S. Exc. M. Dedel, pour consentir à un armistice indéfini, si toutefois le gouvernement néerlandais jugeait convenable de continuer la négociation. Leur attente a donc été singulièrement trompée, en trouvant sur ce point même, dans la note du 16 de ce mois, une proposition encore plus sujette à objection que celle qu'ils ont déclaré être inadmissible.
« Le gouvernement néerlandais propose aujourd'hui de rétablir, par rapport à la cessation des hostilités, l'état de choses qui existait avant le mois de novembre 1832.
« Maintenant, quel était cet état de choses et à quel égard serait-il calculé pour offrir une sûreté suffisante au maintien de la paix ?
« Il est vrai que, pendant l'année qui a précédé le mois de novembre dernier, il y avait, en point de fait, une cessation prolongée d'hostilités. Mais il est également vrai que, pendant cette même époque, le roi des Pays-Bas soutint invariablement qu'il n'était lié par (page 42) aucun armistice et qu'il était libre de recommencer les hostilités toutes les fois qu'il pourrait trouver convenable de le faire ; tandis que les cinq puissances, de leur côté, sans discuter le droit abstrait de S. M. le roi des Pays-Bas, lui déclarèrent simplement que, s'il exerçait ce droit, elles en considéreraient l'exercice comme un acte d'hostilités contre elles-mêmes.
«( Est-ce là un état de choses que le roi des Pays-Bas peut sérieusement proposer de rétablir par une convention formelle ? Le but de conventions entre les États est de constater un accord et non un différend. »
Cette discussion prouve que le gouvernement belge avait eu raison de s'opposer, par sa note du 27 août 1831, à la conclusion d'un armistice limité, en soutenant qu' elle invaliderait les engagements indéfinis résultant de la suspension d'armes de novembre 1830.
M. Dedel, dans une note du 16 mai, contesta l'exactitude de la partie en quelque sorte historique de la note du 22 avril. Il abandonna la proposition relative à l'évacuation d'une partie des rives de l'Escaut ; alléguant que la reconnaissance de la neutralité de la Belgique ne pouvait appartenir, par sa nature, qu'au traité définitif, il offrit de stipuler en ces termes la cessation des hostilités :
« Tant que les relations entre la Hollande et la Belgique ne seront pas réglées par un traité définitif, Sa Majesté néerlandaise s'engage à ne pas recommencer les hostilités avec la Belgique et à laisser la navigation de l'Escaut entièrement libre. »
Cette rédaction avait été proposée par le cabinet de Berlin à celui de La Haye ; il en résultait implicitement (page 43) un armistice indéfini : le territoire belge devenait inviolable pour la Hollande, comme si la neutralité de la Belgique était reconnue.
Le gouvernement belge, qui avait été initié à tous les détails des négociations, s'était propose de subordonner son consentement à deux conditions qui, d’abord, auraient pu soulever de graves difficultés et qui, réservées pour le moment où les objections principales auraient disparu, devaient prendre un caractère secondaire.
1 ° Le grand-duché de Luxembourg n'avait point été formellement compris dans la première suspension d'armes, conclue en novembre 1830, ni même dans l'armistice du 15 décembre de la même année. Ce défaut de mention expresse avait laissé le grand-duché dans une situation difficile à définir, même en présence des déclarations échangées avec le prince de Hesse-Hombourg, le 20 mai 1831.
2° Le gouvernement hollandais avait invoqué le protocole n° 9, du 9 janvier 1831, pour soutenir qu'il aurait pu, même avant l'arrangement définitif, percevoir sur l'Escaut un péage équivalent à celui qui, de droit ou de fait, existait en 1814. En déclarant que la navigation de l'Escaut était rétablie aux termes du protocole du 9 janvier 1831, on aurait laissé ouverture à cette prétention de la Hollande ; comme réellement il n'avait point été perçu de péage ni exigé de visite depuis le 20 janvier 1831 jusqu'au 1er novembre 1832, le gouvernement belge demanda qu'on s'en rapportât au statu quo de cette dernière époque, et non à celui de 1814.
(page 44) Ces deux conditions firent l'objet d'un article explicatif qui fut communiqué par le prince de Talleyrand et lord Palmerston au plénipotentiaire hollandais, et agréé par lui.
La convention fut signée le 21 mai, ratifiée le 29 mai, notifiée le 1er juin au plénipotentiaire belge, M. Van de Weyer, et acceptée, le 10, par le cabinet de Bruxelles.
(Note de bas de page de la quatrième édition) Par une note en date du 30 mai, les plénipotentiaires de France et de la Grande-Bretagne communiquèrent la convention du 21 mai, dont les ratifications avaient été échangées la veille, aux plénipotentiaires d'Autriche, de Francc et de Russie, en appelant leur attention sur l'article 5. Ceux-ci répondirent le 4 juin qu'ils étaient persuadés que leurs cours apprendraient avec satisfaction le rétablissement des relations amicales entre la France, la Grande-Bretagne ct le roi des Pays-Bas, et qu'elles se prêteraient avec plaisir à, concourir à la solution prompte et définitive de la négociation hollando-belge. (Recueil de Paris, t. Il, p. 377, texte de la note du prince de Lieven.) (Fin de la note).
Dans la note contenant son adhésion, le gouvernement belge eut soin de déclarer qu'il ne regardait la convention nouvelle que comme la continuation et la confirmation de l'ancien armistice indéfini, déclaration que le ministre des affaires étrangères, M. Goblet, réitéra dans le rapport fait aux Chambres le 14 juin.
Le jour même de l'échange des ratifications, les ordres furent donnés pour la levée du blocus maritime, la reddition des navires saisis et la mise en liberté des prisonniers hollandais. (Note de bas de page de la quatrième édition : Le texte de l'ordre du conseil de Sa Majesté britannique pour la levée de l'embargo du 29 mail 1833, se trouve p. 288, t. II du Recueil de Paris.)
La Chambre, élue à la suite de la dissolution, ouvrit sa session le 7 juin ; l'adresse en réponse au discours du trône fut discutée pendant six séances consécutives, (page 45) du 18 au 25 juin. Les débats portèrent sur quatre objets :
1 ° La question extérieure dans ses rapports avec la convention du 21 mai ; (Note de bas de page de la quatrième édition : Dans le discours prononcé le 20 juin 1833, M. Nothomb se borna à défendre la convention du 21 mai, qui comblait tous ses vœux en justifiant toutes ses prévisions.. P. 81 du Recueil des discours.)
2° La dissolution de la dernière Chambre ;
3° La destitution de quelques agents de l'administration à l'époque des élections ; .
4° Les excès commis à Gand et. à Anvers contre les journaux orangistes.
Bien que la convention du 21 mai eût obtenu l'assentiment général, l'opposition présenta cet acte comme attentatoire au traité du 15 novembre, et comme préjudiciable au pays.
Elle essaya de saisir l'assemblée d'une question évidemment en dehors des délibérations parlementaires, et seulement du domaine de la critique publique et de l'histoire ; ne pouvant nier le droit de dissolution, écrit dans la Constitution, elle blâma l'usage qui en avait été fait contre la dernière Chambre.
Elle contesta au gouvernement le droit de destituer ses agents pour des motifs puisés dans leur conduite comme députés ou comme électeurs.
Enfin, elle reprocha au ministère d'avoir excité ou toléré des désordres à Gand et à Anvers.
Un amendement tendant à blâmer le ministère du chef de la dissolution et des destitutions, fut écarté par (page 46) la question préalable à la majorité de 54 voix contre 37[5] ; l'ensemble de l'adresse fut adopté par 76 voix contre 14. (Note du webmaster : l’édition papier contient en note de bas de page l’énumération des votes nominatifs. Cette énumération n’est pas reprise dans la présente version numérisée)
L'adresse du Sénat avait été votée, dans la séance du 10 juin, à l'unanimité.