(Première édition parue en 1833 à Bruxelles, seconde édition en 1834. Quatrième édition parue à Bruxelles en 1876 avec une « Continuation » par Théodore JUSTE)
Ouvertures de nouvelles négociations – Suspension d’armes limitée – Etat de la question belgo-hollandaise après la campagne du mois d’août 1831
(page 229) La Conférence avait, dès le 25 juillet, invité les deux gouvernements à ouvrir une nouvelle négociation ; le gouvernement hollandais y avait consenti le 1er août, en même temps que, par une duplicité peut-être sans exemple dans l'histoire, il donnait le signal des hostilités en Belgique ; le gouvernement belge s'était refusé à négocier, exigeant de la Hollande l'adhésion préalable aux dix-huit articles, destinés à servir de bases communes.
« Le Congrès national de la Belgique, disait M. de Muelenaere dans sa note du 28 juillet, a, par son décret du 9 juillet, purement et simplement adopté les dix-huit articles qui lui avaient été proposés par la Conférence comme préliminaires de paix. Ce décret, que les cinq puissances ont provoqué, renferme toutes les conditions de l'existence politique du pays ; c'est la loi fondamentale de l'État en tout ce qui concerne ses relations extérieures.
« Telle est la position où le gouvernement du Roi a été placé par le Congrès, du consentement de la Conférence.
(page 230)« Le gouvernement du Roi ne saurait sortir de cette position qu'en se mettant en contradiction avec la loi même de son institution et en s'exposant à être désavoué par le Congrès ou par les Chambres.
« L'article 18 des préliminaires de paix porte que « ces articles, réciproquement adoptés, seront convertis en traité définitif». Il ne peut donc être question du traité définitif qu'après l'adoption réciproque des dix-huit articles et, dans l'état actuel des choses, l'envoi des plénipotentiaires accrédités près de la Conférence serait sans objet. Cet envoi pourrait se faire si, comme le prévoit l'article 17, les parties, après l’adoption mutuelle des propositions, réclamaient les bons offices que les cinq puissances se sont réservé de leur prêter.
« Les difficultés qui peuvent s'élever rentrent dans les détails de l'exécution et s'aplaniront facilement dès que le gouvernement hollandais se sera placé, par l'acceptation pure et simple des préliminaires, dans la même position que le gouvernement belge. »
La Belgique aurait probablement persisté dans cette première résolution, si les événements inattendus du mois d'août n'étaient venus rompre le cours ordinaire des choses.
(Note de bas de page de la quatrième édition : 'auteur de l'ouvrage La Belgique et la révolution de juillet, M. De Bécourt, p. 303 et 304, est disposé à ne voir dans la fin de non-recevoir opposée par la note du 28 juillet qu'une subtilité de légiste et à croire que la Belgique n'eût pu s'abstenir longtemps de prendre part aux négociations, quand même les événements du mois d'août ne seraient pas survenus. Nous pensons que la réouverture des négociations, malgré le gouvernement belge, eût été l'abandon des dix-huit articles, abandon impossible avant les désastres du mois d'août; la Belgique, d'ailleurs, a su plusieurs fois se maintenir dans l'inaction diplomatique la plus absolue.)
Ce fut aussi avant les événements du mois d'août, le 29 juillet1831, que le ministère belge transmit les dix-huit articles au prince de Hesse-Hombourg, gouverneur militaire de la forteresse de Luxembourg pour la Confédération germanique: démarche que le même écrivain qualifie de faute assez grave, p.307. C'était mettre la Diète germanique en demeure, en lui notifiant l'acte constitutif de la nouvelle monarchie; la Conférence de Londres hésitant à taire cette notification, le gouvernement belge osa prendre une initiative qui, avant les désastres du mois d'août, ne pouvait étonner personne. (Fin de la note)
La Conférence ayant réitéré sa demande, le gouvernement belge ne pouvait qu'y satisfaire ; le (page 231) 22 août, des pleins pouvoirs furent expédiés à M. Van de Weyer, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté britannique.
La Conférence pensa qu'il était nécessaire de rétablir en même temps, du consentement formel des parties, la suspension d'armes, dont l'existence était mise en doute par la Hollande ; par son protocole du 23 août, elle arrêta les conditions d'une suspension d'armes de six semaines : la Hollande y souscrivit immédiatement ; la Belgique demanda des explications, en soutenant que la suspension d'armes du mois de novembre 1830 existait de droit. La Conférence donna quelques explications et considéra la réponse du gouvernement belge comme une adhésion. Cette suspension d'armes fut prorogée du 10 au 25 octobre, et ce deuxième terme expira sans nouvelle prorogation.
(Note de bas de page de la troisième édition) La convention du 21 mai 1833 a stipulé un nouvel armistice indéfini.
(Voyez l'Appendice, chap. III.) La suspension d'armes de six semaines a été précédée de l'échange des prisonniers belges et hollandais, échange réglé par le protocole n° 40, du 10 septembre 1831. Les prisonniers hollandais, en y comprenant les militaires arrêtés en septembre et en octobre 1830, étaient en plus grand nombre que les prisonniers belges; néanmoins, le gouvernement belge consentit à l'échange; il réclama vainement, par une note remise à la Conférence le 11 octobre 1831, le renvoi des Belges au service militaire des Indes, renvoi qui eût offert une compensation.
Malgré la conclusion de la nouvelle suspension d'armes, les deux gouvernements continuèrent, celui de Hollande les inondations dans les Polders, et celui de la Belgique les retranchements sur l'Escaut. La Conférence ordonna la cessation des inondations dans les Polders et des travaux sur l'Escaut. (Protocole n° 38, du 1er septembre 1831.) En considérant la suspension d'armes indéfinie de novembre 1830 comme subsistant, la suspension d'armes de six semaines devenait une inconséquence. C'est ce que le cabinet de Bruxelles a prétendu, se référant aux anciens engagements, violés et non anéantis par la reprise des hostilités en août 1831.
La nouvelle suspension d'armes étant expirée le 25 octobre 1831, sans prorogation, quel est l'acte qui, avant la convention du 21 mai 1833, s'opposait à la reprise des hostilités?
Il faut répondre qu'il n'existait plus d'acte de ce genre, à moins qu'on ne regarde, avec le cabinet de Bruxelles, les engagements de novembre 1830 . comme restés en vigueur.
La Conférence a senti la nécessité de revenir à cette opinion, comme l'atteste, entre autres, l'extrait suivant du protocole n° 59, du 4 mai 1832 :
« En prenant la résolution de remplir cette tâche importante, la Conférence a reconnu qu'avant de s'en acquitter et pour en assurer le succès, elle avait à rappeler le principe sur lequel se sont établies ses déterminations, dès le jour même où elle s'est constituée; à faire connaître encore une fois le ferme dessein des cinq cours de s'opposer par tous les moyens en leur pouvoir au renouvellement d'une lutte entre la Hollande et la Belgique; à annoncer enfin que les cinq cours continuent à être garantes de la cessation des hostilités et à se croire obligées de n'en pas admettre la reprise en vertu des plus solennels engagements et des intérêts d'un ordre supérieur qui leur sont confiés. Pénétrés de cette obligation, les plénipotentiaires déclarent que ces déterminations des cinq cours, à l'égard de la cessation des hostilités entre la Hollande et la Belgique, sont telles qu'elles viennent d'être exprimées ci-dessus. » (Fin de la note).
(page 232) Ce fut donc sous l'influence des malheurs du mois d'août et de la suspension d'armes limitée que s'ouvrirent les nouvelles négociations ; pour en apprécier le résultat, replaçons-nous au point de départ de chaque partie.
La Conférence avait successivement rédigé les bases (page 233) de séparation du 27 janvier et les dix-huit articles préliminaires de paix du 26 juin.
La Hollande avait, le 18 février, accepté les bases de séparation ; la Belgique les avait rejetées.
La Belgique avait, le 9 juillet, accepté les dix-huit articles ; la Hollande les avait rejetés.
La Hollande n'était liée envers la Conférence que dans le sens des bases de séparation.
La Belgique ne l'était que dans le sens des dix-huit articles.
Dans l'esprit de la Conférence, ces deux actes pouvaient se concilier ; .dans l'esprit de chaque partie, ils étaient inconciliables.
La Hollande interprétait les bases de séparation de manière à annuler les dix-huit articles.
La Belgique expliquait les dix-huit articles en répudiant les bases de séparation non avenues.
Ces interprétations avaient élevé entre les deux actes une incompatibilité absolue.
La Hollande avait dit à son plénipotentiaire : Vous ne sortirez pas des bases de séparation.
La Belgique au sien : Vous ne sortirez pas des dix-huit articles.
A chaque partie la Conférence avait dit : Acceptez ceci ; je vous en garantis l'exécution.
Il n'y avait pas de contrat entre la Belgique et la Hollande, mais deux conventions rendues inconciliables, l'une entre la Conférence et la Belgique, l'autre entre la Conférence et la Hollande.
Le fait principal attaché à l'acception de l'un et de l'autre acte était accompli.
(page 234) Le roi des Pays-Bas avait reconnu la séparation de la Belgique d'avec la Hollande sous les conditions exprimées dans les bases de séparation ; la Conférence avait pris acte de cette reconnaissance et se trouvait dans l'impossibilité de remplir les engagements qu'elle avait contractés envers le roi Guillaume.
Le prince Léopold avait accepté la couronne sous les conditions exprimées dans les dix-huit articles ; il avait pris possession du trône et la Conférence était dans l'impossibilité de remplir les engagements contractés envers le roi Léopold.
Nous ferons ressortir en peu de mots les différences principales que présentaient les deux actes, soit par la nature de leur rédaction, soit par l'interprétation des parties.
Les bases de séparation et les dix-huit articles avaient un principe commun, exprimé par l'article 1er : Les limites de la Hollande comprennent tous les territoires, places, villes et lieux qui appartenaient à la ci-devant république des Provinces-Unies des Pays-Bas en 1790.
Ce principe posé, les deux actes différaient dans les points suivants :
1° Les bases de séparation avaient confondu dans une même négociation la question belge-hollandaise et la question belge-luxembourgeoise ; les dix-huit articles avaient séparé ces deux questions, en les considérant comme l'objet de deux négociations distinctes ;
2° Les bases de séparation avaient formellement dénié à la Belgique tout droit sur le grand-duché de Luxembourg ; les dix-huit articles semblaient regarder la question comme douteuse, en admettant une nouvelle (page 235) négociation et en maintenant les Belges dans la possession provisoire ;
3° Les bases de séparation avaient attribué à la Belgique tout ce qui, en 1790, n'avait pas appartenu à la Hollande, mais sans déduire les conséquences de ce principe ; les dix-huit articles énonçaient une conséquence très importante en admettant que la Belgique avait droit, dans la ville de Maestricht, à la part de souveraineté qui, en 1790, n'appartenait pas à la Hollande ;
4° Les dix-huit articles renfermaient des dispositions nouvelles sur la navigation de l'Escaut, des eaux intermédiaires entre ce fleuve et le Rhin, et des canaux ;
5° Les dix-huit articles avaient admis le partage des dettes d'après leur origine ; les bases de séparation avaient proposé un partage, par compensation y plus avantageux à la Hollande.
En dehors des deux actes, la Belgique et la Hollande s'étaient chacune formé un système qu'elles voulaient imposer à .la Conférence.
La Hollande existe en vertu d'une nationalité qui date de la grande révolution religieuse du XVIe siècle, qui périt dans la grande révolution politique du XVIIIe et qui renaquit dans les derniers jours de 1813, anticipant sur la restauration européenne.
La Belgique existe par la révolution de 1830 ; elle n'a pas de nationalité ancienne parfaite à invoquer ; c'est la volonté actuelle qui a fait un peuple particulier et compact des habitants des Pays-Bas autrichiens, de la principauté de Liége et d'autres contrées qui, administrativement avaient eu une existence commune sous la domination française ou hollandaise.
(page 236) La Hollande demandait que le fait ancien, tel qu'il existait en 1790, fût maintenu.
La Belgique demandait que le fait nouveau, créé en 1830, fût reconnu.
Que répondre à la Hollande, qui invoquait les principes du droit public, les maximes qui régissent, entre nations, la souveraineté territoriale ; qui, les traités à la main, revendiquait sur l'insurrection son ancien territoire, acquis par de longues guerres, acquis par les travaux de deux siècles ?
Que dire à la Belgique, qui invoquait ce qu'il y a de plus sacré au monde : la volonté de l'homme ; cette volonté que l'insurrection de 1830 avait proclamée à la face du ciel et de la terre ? Vous remontez jusqu'à l'année 1790, vous considérez le pays comme une espèce de palimpseste ; vous cherchez laborieusement la couche primitive ; vous descendez dans ce nouvel Herculanum.
Pour faire revivre les anciennes limites, il faudrait ressusciter les hommes d'alors. La génération de 1790 n'est plus et comment ferez-vous comprendre aux générations contemporaines, qui vivent tout entières du présent, qu'une communauté civile d'un demi-siècle n'est rien, en droit public, et qu'elles doivent rétrograder à 1790 pour trouver les conditions de leur existence politique ?
Si, des limites, nous passons aux dettes, la même opposition se reproduit, mais les rôles sont intervertis.
Le droit des gens a toujours considéré les dettes d'un peuple comme l'accessoire, la charge de son sol ; il serait facile de citer un grand nombre de cas où ce (page 237) principe a reçu son application, et notamment à la Belgique. (Note de bas de page : Voyez les traités de Campo-Formio, art. 4, et de Lunéville, art. 8)
Il y avait donc corrélation entre les dettes et les limites ; ce sont les deux termes d'une même proposition.
Cependant la Hollande disait : Je veux reprendre mes anciennes limites et ne veux pas reprendre mes anciennes dettes en entier.
La Belgique disait : Je veux m'approprier une partie de l'ancien territoire hollandais et ne veux rien supporter dans les anciennes dettes hollandaises.
La Hollande voulait le partage des territoires sur le pied de 1790, le partage des dettes sur le pied de 1830.
La Belgique, le partage des territoires sur le pied de 1830 et celui des dettes sur le pied de 1790.
Dans le partage des dettes, la Hollande prétendait représenter les provinces septentrionales du ci-devant royaume des Pays-Bas ; dans le partage des territoires, l'ancienne république.
Dans le partage des dettes, la Belgique voulait représenter les Pays-Bas autrichiens ; dans le partage des territoires, les provinces méridionales du ci-devant royaume.
Nous venons de résumer en quelques lignes tout ce qu'on a écrit sur les différends de la Belgique et de la Hollande :
Il y avait de part et d'autre vice de logique ; le temps de le dire est venu.
(page 238) De toute nécessité, le même principe devait présider au partage des territoires et à celui des dettes, soit qu'on remontât à l'année 1790, soit qu'on s'arrêtât à 1830.
(Note de bas de page de la quatrième édition : Au grand étonnement de l'assemblée, M. Nothomb indiqua cette corrélation entre le partage des territoires et celui des dettes dans la séance du Congrès belge du 4 juillet 1831. Voyez le Recueil des discours, p. 26.).