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Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge
JUSTE Théodore - 1850

Théodore JUSTE, Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge (tome I)

(Paru en 1850 à Bruxelles, chez Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850. 2 tomes (premier tome : Livres I et II ; second tome : Livre III))

Livre premier. Le gouvernement provisoire

Chapitre IV

Caractère et signification des élections pour le Congrès

(page 67) Les élections pour le Congrès s'étaient faites dans toutes les provinces, sans amener nulle part ni conflit ni perturbation. On eût dit qu'au lieu d'être en pleine crise révolutionnaire, le pays se trouvait dans une situation régulière, tant il se montrait éloigné de toute pensée de désordre et d'anarchie. Si l'on excepte le déplorable assassinat commis à Louvain, le 2 novembre, par une multitude égarée, aucun crime n'avait souillé la révolution belge. Le peuple était, à la vérité, vivement excité contre la Hollande, mais il manifestait la plus grande confiance dans le patriotisme du gouvernement provisoire et dans la sagesse de l'assemblée nationale, qui allait consolider la révolution. Les élections reflétèrent les sentiments populaires ; elles furent non seulement anti-orangistes dans la plupart des localités, mais (page 68) elles témoignèrent, en outre, que le pays était ennemi de toute exagération.

Aucune classe n'avait obtenu la prépondérance ; toutes avaient fourni des représentants. La vieille noblesse allait s'asseoir à côté des jeunes publicistes ; le clergé et le commerce, le barreau et l'agriculture, la magistrature et l'industrie, allaient se confondre sur les mêmes bancs. Trois générations se donnaient rendez-vous à Bruxelles pour fixer les destinées de la patrie. Parmi les députés se trouvaient M. Jean-François Gendebien et M. Eugène Van Hoobrouck de Mooreghem, qui. dans leur jeunesse, avaient fait également partie du congrès belge de 1790 ; d'autres, M. le baron Beyls et M. P. de Thier avaient été membres du conseil des Cinq-Cents, sous le Directoire, et du Corps législatif sous l'Empire. Venaient ensuite d'anciens membres des états généraux du royaume des Pays-Bas : MM. de Gerlache et le baron de Sécus, chefs de l'ancienne opposition catholique ; Ch. Lecocq et Ch. Lehon, bourgmestre de Tournai ; Pirson, bourgmestre de Dînant ; le comte d'Arschot, le baron de Stassart, qui avait été préfet de La Haye sous l'Empire ; le comte de Celles, qui avait été préfet d'Amsterdam à la même époque, puis ambassadeur de Guillaume ler à Rome et signataire du concordat de 1827 ; le baron Surlet de Chokier, que la révolution allait bientôt élever si haut ; enfin, MM. de Muelenaere, Ch. de Brouckere, le comte Duval de Beaulieu, Barthélemy, de Langhe et le comte Clément de Renesse-Breidbach.

Le gouvernement provisoire allait être représenté au Congrès par M. Sylvain Van de Weyer, élu à Bruxelles ; M. Ch. Rogier, élu à Liége ; M. Alex. Gendebien, qui avait opté pour Mons, et M. Félix, de Mérode qui, élu dans trois localités, avait opté pour Maestricht. Son frère, Werner de Mérode, avait obtenu les suffrages des électeurs de Soignies. Treize membres du clergé étaient envoyés à l'assemblée nationale ; tous avaient été élus dans les (page 69) Flandres, à Malines ou à Louvain ; on distinguait dans cette députation ecclésiastique l'abbé Boucqueau de Villeraie, l'abbé Defoere, ancien rédacteur du Spectateur belge ; l'abbé Wallaert, curé de Beveren ; l'abbé Joseph Desmet, professeur au séminaire de Gand, et un jeune vicaire de Bruges, l'abbé de Haerne, plein d'enthousiasme pour les doctrines que Lamennais et Lacordaire soutenaient dans l'Avenir. Parmi les hommes nouveaux qui ne tardèrent point à se signaler au premier rang, nous devons nommer M. Lebeau, élu à Huy ; M. Paul Devaux, élu à Bruges ; M. J.-B. Nothomb, élu à Arlon, à Grevenmacher et à Marche. Les électeurs de Hasselt avaient envoyé au Congrès M. le chevalier de Theux de Meylandt ; ceux de Liége avaient donné leurs suffrages à MM. Raikem, Leclercq, de Behr et Destriveaux ; M. F. Dubus était le collègue de MM. Ch. Lehon et Lecocq dans la députation de Tournai ; M. Forgeur le collègue de M. Lebeau dans la députation de Huy. On remarquait encore MM. F. Meeus et Jottrand, élus à Bruxelles ; Ch. Vilain XIIII et Destouvelles, élus à Maestricht ; Van Meenen, élu à Louvain ; H. de Brouckere, élu à Ruremonde ; Ch. Liedts, élu à Audenarde ; J. Delehaye, élu à Gand ; E. d'Huart, élu a Virton ; enfin, les deux députés républicains de Philippeville, M. Seron, qui, par son costume et son rude langage, rappelait les modes et les idées de la fin du XVIIIe siècle, et M. de Robaulx, si mobile, si agressif, si véhément. Bref, de l'urne électorale étaient sortis les noms de la plupart des hommes qui ont figuré depuis lors sur la scène politique de notre pays ; ils avaient été désignés par les électeurs soit comme membres du Congrès, soit comme suppléants. Plusieurs de ces derniers ne furent pas appelés à siéger ; d'autres, mais en petit nombre, crurent devoir refuser le mandat qui leur était offert.

Ouverture de l’assemblée nationale. Discours prononcé par M. de Potter

Le 10 novembre arriva, et cent cinquante-deux députés se trouvèrent réunis à Bruxelles, dans l'ancien palais des états (page 70) généraux, pour constituer l'assemblée nationale. Ils étaient présidés par M. Jean-François Gendebien, doyen d'âge. Le bureau était place sur l'estrade où l'on voyait autrefois le trône ; deux drapeaux tricolores flottaient au-dessus ; et les armes du royaume des Pays-Bas étaient remplacées par le lion belge, portant la lance surmontée du drapeau de la liberté. A midi, le roulement des tambours, le son des cloches et les salves de l'artillerie annoncèrent l'ouverture de la séance. Bientôt parurent les membres du gouvernement provisoire, accompagnés des chefs des différents comités, des généraux et officiers supérieurs de l'armée et de la garde civique. Accueillis par des applaudissements enthousiastes, ils vinrent se placer au bas de l'estrade et devant le bureau. En sa qualité de doyen d'âge du gouvernement provisoire, M. de Potter avait été chargé de prononcer le discours d'ouverture.

« Au nom du peuple belge, dit-il, le gouvernement provisoire ouvre l'assemblée des représentants de la nation. Ces représentants, la nation les a chargés de l'auguste mission de fonder sur les bases larges et solides de la liberté, l'édifice du nouvel ordre social, qui sera pour la Belgique le principe et la garantie d'un bonheur durable. » L'organe du gouvernement provisoire rappelle ensuite comment la loi fondamentale, rejetée par les notables belges, avait été non seulement imposée par la Hollande, mais encore inobservée dans ses dispositions essentielles. « Les consciences violées, dit-il ; l'enseignement enchaîné ; la presse condamnée à n'être plus que l'instrument du pouvoir, ou forcée au silence ; la substitution arbitraire du régime des arrêtés au système légal établi par le pacte social ; le droit de pétition méconnu ; la confusion de tous les pouvoirs, devenus le domaine d'un seul ; l'imposition despotique d'un langage privilégié ; l'amovibilité des juges, abaissés au rôle de commissaires du pouvoir ; l'absence complète de la garantie de la publicité et (page 71) de celle du jury ; une dette et des dépenses énormes, seule dot que nous eût apportée la Hollande, lors de notre déplorable union ; des impôts accablants par leur hauteur et plus encore par leur répartition tout impopulaire, toute au détriment des classes indigentes ; des lois toujours votées par les Hollandais pour la Hollande seulement, et toujours contre la Belgique, si inégalement représentée aux anciens états généraux ; le siége de tous les grands corps constitués et de tous les établissements importants fixé dans cette même Hollande ; la scandaleuse distraction des fonds spécialement destinés à favoriser l'industrie, et enfin la plus révoltante partialité dans la distribution des emplois civils et militaires, par un gouvernement aux yeux duquel la qualité de Belge était un titre de réprobation ; en un mot, la Belgique entière traitée comme une province conquise, comme une colonie ; tout nécessitait une révolution, la rendait inévitable, en précipitait l'époque. » La révolution éclate ; le peuple triomphe, et le fruit de sa victoire, c'est l'indépendance. Déjà proclamée par le gouvernement provisoire, il appartient au Congres de constituer cette indépendance et de la consolider à jamais. Le gouvernement provisoire, né de la nécessité, a dû s'efforcer de pourvoir aux premiers, aux plus urgents besoins de l'État. A-t-il réussi à préparer pour la Belgique un avenir de force et de prospérité ? « Nos actes, vous les connaissez, » poursuit M. de Potier, et la nation, nous osons l'espérer, les a ratifiés. L'impôt odieux de l’abatage aboli ; une entière publicité rendue aux procédures criminelles ; l'institution du jury promise, et de nouvelles garanties assurées aux prévenus devant les cours d'assises ; l'abolition de la dégradante punition de la bastonnade ; les élections populaires des bourgmestres et des régences,, et l’élection directe des députés au Congrès national ; plus de directions générales de police, plus de haute police ; affranchissement de l'art dramatique ; abolition de la loterie ; (page 72) publicité des comptes et des budgets des communes ; et finalement liberté pleine et entière pour la presse, pour l'enseignement, pour les associations de toute espèce et pour les opinions et les cultes, désormais délivrés de toute crainte de persécution, de tout danger de protection : voilà, messieurs, les principaux titres avec lesquels le gouvernement provisoire s'offre devant la nation et ses représentants. Des relations avec l'étranger nous n'avons pas cru devoir en établir dans les circonstances où se trouvaient et la nation et nous-mêmes. Nous savions d'ailleurs, à n'en pouvoir douter, et nous pouvons vous en donner l'assurance positive, que le principe de non-intervention serait strictement maintenu à notre égard. Nous jugeâmes donc que la libre Belgique devait fonder son indépendance par ses propres forces, toujours prêtes à se tourner contre quiconque voudrait entraver ce droit sacré. Depuis que nous avions pris cette résolution, nous avons reçu, des cinq grandes puissances, des communications récentes et officielles dont nous sommes heureux de pouvoir vous faire part en ce jour solennel : ces communications confirment pleinement les assurances précédemment données, et nous font espérer, avec la cessation prochaine des hostilités, l'évacuation, sans condition aucune, de tout le territoire de la Belgique. Messieurs, vous allez achever et consolider notre ouvrage. Fondez l'édifice de notre prospérité future sur les principes de la liberté de tous, de l'égalité de tous devant la loi, et de l'économie la plus sévère. Que le peuple soit appelé à profiter de notre révolution ! Les charges de l'Etat diminuées dans la proportion de ses vrais besoins ; le salaire des fonctionnaires publics réduit de manière à ne plus être que la juste indemnité du temps et des talents qu'ils consacrent à la patrie ; enfin la suppression des emplois inutiles et de ces nombreuses pensions, récompenses trop souvent accordées à la servilité, nous mettront à même de (page 73) consommer l'œuvre de notre régénération nationale. Et nous, messieurs, en quelque position que nous soyons places, nous soutiendrons de tous nos vœux, de tous nos moyens, de tous nos efforts, cette œuvre patriotique, trop heureux, après son entier succès, de nous confondre dans les rangs de ce peuple qui aura, tout à la fois, vaincu et assuré les bienfaits de la victoire ! Au nom du peuple belge, le Congrès national est installé. »

Ce discours, empreint d'un mâle patriotisme, fut vivement applaudi ; le passage diplomatique avait fait surtout une heureuse impression.

Élection du président du Congrès. M. Surlet de Chokier

Le lendemain, le Congrès forma son bureau. Les catholiques avaient offert leurs suffrages pour la présidence à M. de Gerlache, comme récompense du dévouement qu'il avait montré dans les grandes luttes de 1825 et de 1829, en combattant le despotisme exercé sur les cultes et l'enseignement. Les libéraux et les unionistes, croyant qu'il n'était pas prudent d'accepter des l'origine la prédominance d'un parti, se partageaient entre deux autres anciens membres des états généraux, M. Surlet de Chokier et M. de Stassart, qui professaient un libéralisme modéré. M. de Gerlache refusa le fauteuil, et indiqua lui-même M. Surlet à ses amis ; il fut néanmoins maintenu sur les rangs (Histoire du royaume des Pays-Bas, par M. DE GERLACHE, 2e édition, t. II, p. 90) Au premier tour de scrutin, sur 170 votants, M. Surlet de Chokier obtint 51 voix ; M. de Gerlache 51 ; M. de Stassart 50. Au second tour, M. Surlet obtint 63 voix ; M. de Gerlache 62 ; M. de Stassart 43. Personne n'ayant encore obtenu la majorité absolue, un scrutin de ballottage eut lieu entre M. Surlet et M. de Gerlache. Le premier obtint 106 voix ; le second, 61. M. Surlet de Chokier fut en conséquence proclamé président du Congrès, et réélu ensuite de mois en mois jusqu'à son élévation à la régence.

(page 74) Né à Liége en 1767, M. Surlet de Chokier avait vu passer la République, qui l'avait contraint à se dépouiller de son titre de baron, l'Empire, qui l'avait admis dans le Corps législatif de 1812 à 1814, et le royaume des Pays-Bas dont il avait voulu prévenir la chute par des avertissements pleins de bon sens et de modération. Évincé des états généraux en 1818, il y était rentré en 1828 et s'était placé dans l'opposition libérale, où il brillait surtout par l'originalité spirituelle de ses reparties. Doux, affable, tolérant, dépourvu d'ambition, nul n'était plus propre à calmer les tempêtes parlementaires et à conserver dans le Congrès les principes de l’union. Bourgmestre de la commune de Gingelom, près de Saint-Trond, il n'aspirait point à sortir de cette modeste position ; mais les électeurs du Limbourg, dont il s'était depuis longtemps concilié les sympathies, firent un appel à son dévouement et vinrent l'arracher à la ferme où il se livrait avec passion à l'agriculture.

On compléta le bureau par l'élévation de MM. de Gerlache et de Stassart à la vice-présidence. MM. Liedts, Ch. Vilain XIIII, Nothomb et Forgeur, furent nommés secrétaires. Le Congrès arrêta ensuite son règlement d'ordre intérieur. Une des dispositions portait que les votes seraient émis à haute voix sur toutes les questions. Cette mesure, courageuse et pleine de franchise, était digne de la loyauté traditionnelle du caractère belge.

Le gouvernement provisoire, ayant donné sa démission, le Congrès l'invite à conserver le pouvoir exécutif. M. de Potter, qui avait refusé de s'associer à la démarche de ses collègues, se retire de la scène politique

Le Congrès étant constitué, il fallait déterminer le rôle du gouvernement provisoire. Cette grave question avait préoccupé la magistrature révolutionnaire pendant qu'elle délibérait sur le discours d'installation de l'assemblée nationale. Il fut enfin résolu qu'elle remettrait ses pouvoirs temporaires au Congrès, qui allait servir d'organe légal à la nation ; elle voulait prouver ainsi son désintéressement et donner l'exemple du respect et de l'obéissance envers la souveraineté populaire, régulièrement manifestée et représentée. M. de Potter seul combattit cette (page 75) détermination. Ne tenant pas son mandat du Congrès national, il ne devait ni ne pouvait, disait-il, le résigner entre ses mains ; antérieur au Congrès, le gouvernement provisoire, devait, suivant lui, exécuter les décisions de la majorité de l'assemblée nationale, tout en se conservant entièrement indépendant d'elle ; sa mission était enfin d'exercer un pouvoir modérateur du Congrès, de défendre le Congrès contre le Congrès lui-même. C'eût été tenir l'assemblée nationale en suspicion et provoquer des conflits dangereux entre deux pouvoirs, qui eussent été d'abord rivaux pour devenir bientôt ennemis. Aussi les arguments de M. de Potter ne convainquirent-ils point ses collègues ; ils maintinrent leur résolution.

Dans la séance du 12, le président du Congrès annonce une communication importante de la part du gouvernement provisoire. M. Ch. Rogier, ayant été immédiatement introduit, donne lecture d'un acte conclu en ces termes : « Le gouvernement provisoire, ayant reçu notification de la constitution du Congrès national, vient remettre à cet organe légal et régulier du peuple belge le pouvoir provisoire qu'il a exercé depuis le 24 septembre 1830, dans l'intérêt et avec l'assentiment du pays. Il dépose sur le bureau du président la collection des actes et arrêtés que la nécessité des circonstances l'a déterminé à prendre. »

(Note de bas de page) Cette déclaration portait les signatures de MM. F. de Mérode, Ch. Rogier, Jolly, Alex. Gendebien, F. de Coppin, J. Vanderlinden. MM. Van de Weyer et d'Hooghvorst étaient absents de Bruxelles. M. d'Hooghvorst écrivit au Congrès, le 15, qu'il avait acquiescé aux résolutions prises le 12 par ses collègues ; M. Van de Weyer, à son retour de Londres, fit la même déclaration.

La lettre suivante, adressée le 15 novembre par M. de Potter à ses collègues, indique le rôle qu'il voulait conserver, ainsi que les motifs de sa retraite :

« MESSIEURS,

« Depuis plusieurs jours, nous discutions la question de la démission à donner au Congrès national par le gouvernement provisoire.

« Sûrs, disiez-vous, d'être confirmés, vous vouliez, en offrant de vous retirer, prouver au Congrès et au pays votre désintéressement.

« Outre les autres accusations graves, vous m'accusiez d'ambition, parce que je paraissais, prétendiez-vous, vouloir rester au pouvoir, même malgré les représentants de la nation.

« Vous vous trompiez, messieurs, et je le prouve aujourd'hui à ma manière, c'est-à-dire, en me retirant, réellement sans espoir aucun de confirmation.

« Mes motifs, à moi, sont que je crois le Congrès national un corps purement constituant, exclusivement appelé par le gouvernement provisoire pour fonder notre nouvel ordre social et pour instituer le pouvoir définitif qui présidera aux destinées de la Belgique. Le gouvernement provisoire était, à mes yeux, un pouvoir antérieur au Congrès, en dehors du Congrès, et nécessairement neutre entre le peuple et la représentation nationale ; un pouvoir qui, en cette qualité, avait convoqué le Congrès lui-même,d'après un mode qu'il avait déterminé et dont l'existence du Congrès était le résultat ; un pouvoir enfin dont la tache était d'exécuter les décisions de la majorité de cette assemblée, tout en se conservant néanmoins, et avant tout, entièrement indépendant d'elle. Il fallait que ce pouvoir demeurât entier, jusqu'à ce que le pouvoir définitif le remplaçât ; car alors, et alors seulement, ses fonctions venaient à cesser ; mais aussi elles cessaient de plein droit.

« Chaque fois qu'une assemblée souveraine se trouve seule en la présence de la minorité, rien n'est plus facile à celle-ci, pour peu qu'elle veuille chercher un appui au dehors et dans les masses, que de renverser cette majorité, et avec elle l'assemblée elle-même : dès ce moment, une révolution commence, et une révolution terrible ; elle parcourt toutes les phases de l'anarchie ; elle traîne à sa suite le despotisme, et, ce qui est bien pis encore, la contre-révolution.

« C'est l'histoire de la Convention nationale de France, de l'empire français et de la restauration des Bourbons.

« Je désirais que ce ne fût pas celle de la Belgique.

« Comme membre du comité central, je me sentais la mission d'exercer un pouvoir modérateur du Congrès, de défendre le Congrès contre le Congrès lui-même.

« Ce sont là, messieurs, vous le savez, les principaux arguments que j'ai fait valoir auprès de vous pour vous empêcher de commettre une faute qui me semblait irréparable, et que la patrie peut-être, et l'histoire, sans nul doute, nous reprocheraient un jour.

« Vous avez cru devoir passer outre. Je ne m'en plains pas et je vous laisse la responsabilité de votre décision. Voici la mienne, elle est irrévocable :

« Je ne tenais pas mon mandat du Congrès national. Je ne devais donc ni ne pouvais le résigner entre ses mains. Ce mandat est devenu nul, suivant moi, dès l'instant que vous avez investi le Congrès, comme vous venez de le faire par votr

e démission, de tous les pouvoirs réunis et confondus.

« Agréez, je vous prie, la mienne, ainsi que l'assurance, etc.

« DE POTTER

« Bruxelles, le 13 novembre 1830 » (Fin de la note)

M. Rogier, ayant déposé sur le bureau le recueil des actes du gouvernement provisoire, se retire. Un silence complet suit cette communication. La discussion est ouverte sur la question de (page 76) savoir quelle mesure le Congrès doit prendre. « Il ne peut y avoir de vacance pour le pouvoir exécutif, dit M. de Stassart. Il faut le déléguer sur-le-champ. Je ne connais personne de plus digne de cette délégation que les membres de l'ancien gouvernement provisoire. » Cette proposition est accueillie par les applaudissements de l'assemblée et des tribunes. Le Congrès, après avoir voté des remercîments au gouvernement provisoire, (page 77) décide que le pouvoir exécutif sera délégué aux personnes qui composaient ce gouvernement. Le bureau est chargé de leur notifier cette résolution ainsi conçue : « Le Congrès national, appréciant les grands services que le gouvernement provisoire a rendus au peuple belge, nous a chargés de vous en témoigner et sa vive reconnaissance et celle de la nation dont il est l’organe ; il nous a chargés également de vous manifester son (page 78) désir, sa volonté même, de vous voir conserver le pouvoir exécutif jusqu à ce qu il y ait été autrement pourvu par le Congrès. » Le gouvernement provisoire fit immédiatement la réponse suivante : « Le gouvernement provisoire, soumis à la volonté nationale, continuera d'exercer le pouvoir exécutif jusqu'à ce que le Congrès l'ait remplacé par un pouvoir définitif. Il est heureux et fier de se voir confirmer dans ses hautes et difficiles fonctions par l'assentiment du Congrès national. » (Note de bas de page : Cette pièce portait, comme la précédente, les signatures de MM. Ch. Rogier, président du jour, Alex. Gendebien, F. de Mérode, Jolly, Vanderlinden et de Coppin.)

M. de Potter adressa le lendemain sa démission à ses collègues pur une lettre motivée, qu'il communiqua au Congrès. M. de Potter témoignait au Congrès combien l’avait surpris la prompte décision de l'assemblée sur la démission donnée, au nom du gouvernement provisoire, par quelques membres de ce corps, dont tous n'avaient pas signé cette même démission, et cela sans avoir provoqué une explication sur les raisons qui avaient déterminé tant la signature des uns que le refus ou l'absence de la signature des autres. Il fut donné lecture de cette lettre dans la séance du 15, et l'assemblée passa à l'ordre du jour, sans que cet incident fît surgir une seule réclamation. La révolution était entrée dans une phase nouvelle.