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Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge
JUSTE Théodore - 1850

Théodore JUSTE, Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge (tome I)

(Paru en 1850 à Bruxelles, chez Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850. 2 tomes (premier tome : Livres I et II ; second tome : Livre III))

Livre premier. Le gouvernement provisoire

Chapitre VI

Ni la France ni la Belgique n'inclinaient vers la république en 1830

(page 108) Le 19 novembre, le Congrès aborda la discussion de la proposition relative à la forme du gouvernement, discussion de laquelle dépendait l'avenir du pays. Continuée dans les séances du 20 et du 22, elle offrit un immense intérêt par le talent, la franchise ou la véhémence des orateurs. La solution cependant ne pouvait être douteuse. On a déjà vu que la Belgique en 1830 n'inclinait pas plus que la France vers la forme républicaine, vers la démocratie pure.

La France n'avait pas renversé le trône de Charles X pour le remplacer par la république ; non, ce n'était point la haine de la royauté qui avait amené la chute des Bourbons aînés : c'était l'enthousiasme pour la monarchie constitutionnelle, méconnue, faussée, violentée par la restauration. La société française ne (page 109) demandant rien au delà de la sincérité du gouvernement représentatif, la république ne pouvait lutter contre le prince qui promettait de fonder le trône sur le principe de la volonté nationale. La république était impraticable, car, à l'exception de quelques jeunes gens qui formaient la cour de Lafayette à l'hôtel de ville. (Note de bas de page : Quelques jeunes gens semblaient trouver dans la république un prix de leur courage qui plaisait à leur imagination : mais ils étaient incertains ; mais ils ne savaient si cette république était proposable, si elle serait acceptée ; ils n'avaient avec eux qu'un seul personnage, bien grand il est vrai, M. de Lafayette, mais M. de Lafayette irrésolu, hésitant entre ses souvenirs et sa raison, penchant par ses souvenirs vers le gouvernement américain, ramené par sa raison au gouvernement monarchique, et si facile à décider pour ce dernier qu'il reçut le lendemain Louis-Philippe a bras ouverts. » La Monarchie de 1830, par M. A. THIERS, page 21), personne ne voulait remonter jusqu'en 1792. Le 22 décembre 1830, Armand Carrel publiait dans le National cet aveu significatif : « L'intérêt de la population de Paris comme celui de la France entière, c'est la conservation de la royauté de 1830, parce qu'on ne peut rien mettre à sa place, parce qu'elle seule peut garantir à la France et sa grande unité politique et sa grande unité territoriale ; la démocratie absolue nous armerait et nous diviserait les uns contre les autres. »

Ce que nous venons de dire de la France, nous pouvons le dire également de la Belgique. La révolution de septembre, pas plus que celle de juillet, n'avait été dirigée contre la royauté. Ce n'était point non plus l'amour de la république qui avait armé le peuple belge ; c'était la haine de la domination hollandaise. Pendant les quinze années que dura l'asservissement des Belges, protestèrent-ils une seule fois contre la monarchie représentative ? Non ; dans les pétitions, dans la presse, à la tribune, ils demandaient le redressement des griefs dont ils étaient victimes, l'amélioration (page 110) de la loi fondamentale, la pratique franche et sincère du gouvernement représentatif, mais jamais ils n'avaient songé à détruire le pouvoir héréditaire. Le mot « république » n'avait point paru sur les bannières du peuple dans les journées de septembre, et du moment où il fut prononcé par M. de Potter, celui-ci perdit immédiatement son influence sur la foule. Elle avait compris instinctivement qu'appuyer ce vœu, c'était perdre le fruit de son héroïque labeur, anéantir dans l'anarchie, et peut-être dans une résistance impossible contre l'étranger, la nationalité à peine reconquise. De même qu'en France, la république avait l'inconvénient de ne reposer que sur une impuissante minorité et d'être impraticable. Comme le disait M. Alex. Gendebien, elle eût péri de consomption peu de jours après son avènement ; et alors on eût pu ajouter : Malheur à la Belgique !

Au surplus, les sections du Congrès s'étaient généralement prononcées en faveur de la monarchie constitutionnelle représentative, sous un chef héréditaire ; dix membres seulement avaient manifesté des vœux pour la république, avec un président électif. Toutefois, cette minorité, pour faire illusion sur sa faiblesse numérique, se multiplia dans la lutte parlementaire. Aussi cette lutte fut-elle très animée, très instructive.

Débats sur la forme du gouvernement. Ce que la majorité entendait par la monarchie constitutionnelle

Les intentions libérales des membres de la majorité ne pouvaient être méconnues. En adoptant, pour le salut du pays, la forme monarchique, ils étaient bien décidés à lui donner pour base non l'oppression, mais la liberté la plus large et la plus complète. M. de Pélichy, qui prit le premier la parole, exprima cette idée en disant qu'il voterait pour une république monarchique. « Élevons, disait M. Destriveaux, un roi sur un trône national ; donnons-lui d'une main la couronne et, de l'autre, l'acte qui renferme les conditions de son pouvoir et les garanties de nos libertés.» M. le vicomte Ch. Vilain XIIII alla plus loin : « L'hérédité, dit-il, est le seul, l'unique privilège que je désire (page 111) conserver à la royauté ; il faut que tous les autres lui soient enlevés, et particulièrement l'inviolabilité, mensonge inséré dans toutes les constitutions modernes, et partout foulé aux pieds. » M. Leclercq avait déjà démontré que la république n'était en rapport ni avec les traditions, ni avec les mœurs, ni avec les habitudes sociales de la Belgique ; que, d'un autre côté, la monarchie représentative présentait toutes les garanties de liberté et placerait la nation dans un ordre de choses où le progrès était non seulement possible, mais illimité. « Les Belges sont braves, dit-il en terminant, ils sauraient tout sacrifier plutôt que de s'avilir en passant sous le joug de l'étranger, ou en abandonnant à leur exigence les droits que l'homme ne peut jamais aliéner ; mais il ne faut pas s'exposer de gaieté de cœur à devoir recourir à ces extrémités cruelles, et tel serait le désastreux effet de l'établissement d'une république : nos institutions ne seraient plus en rapport avec celles d'aucune des nations de l'Europe ; leurs gouvernements trembleraient à la vue des séductions de l'exemple ; ces séductions agiraient et seraient pour nous une sauvegarde, si le temps d'agir leur était laissé. Mais avant que les peuples ne se fussent reconnus et entendus, la guerre serait peut-être au milieu de nos campagnes. Pour moi, j'aime la liberté ; sans elle, à mes yeux, il n'y a point de bonheur assuré en ce monde ; mais je ne la place pas dans une seule espèce d'institution. Plusieurs peuvent la garantir, et je ne choisirai pas celle qui ferait peser sur ma tête la grande responsabilité d'une guerre, dont la suite serait peut-être l'anéantissement de ma patrie et du nom belge. » M. Nothomb indiqua les conditions d'existence de la Belgique, et son discours promettait un homme d'État Le jeune orateur (il avait alors vingt-cinq ans) put affirmer, avec raison, que la question était déjà irrévocablement résolue par des faits hors de la portée des délibérations du Congrès. « Lorsqu'une révolution a atteint son but, il faut, dit-il, (page 112) qu'elle s’arrête, si elle va au delà, c'est une nouvelle révolution qui commence. En adoptant la forme monarchique, vous aurez clos la révolution ; en proclamant la république, vous en ouvrirez une nouvelle. Les Belges ont fait la guerre à la Hollande et à sa dynastie ; ils ne sont point hostiles au principe monarchique. Ce n'est point pour la république qu'ils ont combattu dans les journées de septembre ; ce serait, après l'action, supposer un but que personne n'avait avant l'action. Il n'y a pour la Belgique, séparée de la Hollande, que deux modes d'existence : il faut qu'elle essaye de se réunir à la France ou qu'elle constitue une monarchie sous un prince de son choix, fût-il indigène en désespoir de cause. Nous avons unanimement repoussé la première hypothèse, il ne nous reste que la deuxième. La république ne serait qu'une transition. Burke a dit en 1792 que la France traverserait la république pour passer sous le despotisme militaire ; je prédirais avec autant d'assurance la destinée de la Belgique républicaine : nous traverserions la république pour tomber sous la domination étrangère. »

Analyse des principaux discours prononcés par les députés républicains

Mais il est temps de faire connaître les arguments que faisait valoir la minorité. Un député d'Audenarde, M. Camille Desmet, commença par dire qu'il réservait son opinion sur la question de l'hérédité jusqu'à la discussion du paragraphe de la Constitution relatif au choix du chef de l'État. M. Seron parut ensuite à la tribune pour plaider avec franchise, avec talent, avec conviction, la cause de la république. Il dit qu'il voulait un gouvernement représentatif conforme à la nature des choses, qui tendit au bonheur des hommes, qui protégeât les bons contre les méchants ; où la loi fût au-dessus de la volonté de l'homme, où la volonté de l'homme ne fût jamais substituée à la volonté de la loi. Jusque-là, c’était la monarchie républicaine aussi bien que la démocratie absolue que M. Seron préconisait. Il s'éleva ensuite contre le luxe et la prodigalité des cours, vanta la simplicité républicaine, et (page 113) conclut en demandant : 1° que le peuple belge adoptât le gouvernement républicain ; 2° que le chef du pouvoir exécutif fût élu par un Congrès ; 3° que le terme de ses fonctions ne pût excéder dix années. Quant à l'Europe monarchique, l'austère M. Seron ne s'en inquiétait point ; il se flattait que les peuples se lèveraient pour soutenir la République belge, si elle courait quelque danger. M. de Thier déclara se rallier aux opinions émises par M. Seron. Un autre témoin du grand drame de 1789, M. Pirson, annonça qu'il revenait franchement à la république, qui avait été la pensée de son jeune âge ; que pourtant il ne serait pas ennemi d'une monarchie avec des institutions fondées sur la liberté et le progrès de la raison humaine. A côté de ces vieillards, qui revenaient à l'idole de leur jeunesse, à côté des contemporains de l'Assemblée constituante et de la Convention, apparut un prêtre catholique, qui, de même que l ' Avenir, où il puisait ses principales idées, subordonnait tout à l'indépendance de l'Église. « On nous représente la République française, dit l'abbé de Haerne, comme le type de tout État démocratique ; mais la République française n'était qu'une république de nom ; c'était le plus affreux despotisme, le despotisme populaire. Et quelles sont les causes qui ont amené cette anarchie qu'on décorait du beau nom de liberté ? Je pourrais vous en citer plusieurs, mais la principale cause fut indubitablement le despotisme gallican décrété par Louis XIV, despotisme dont on a prévu et prédit les conséquences dès son origine. C'est ce système qui a rendu la religion solidaire de tous les actes arbitraires exercés par ce monarque et ses successeurs, parce que le clergé, ainsi que la noblesse de France, avait trempé dans ce système tyrannique. Voilà la cause première de cette terrible révolution qui a bouleversé la France et l'Europe. Les peuples ne connaissent pas ce juste milieu que nous trace la raison ; quand on les opprime, ils se soulèvent, et ils oppriment à leur tour leurs oppresseurs ; alors (page 114) plus de mesure, plus de frein ; tous les droits sont méconnus. Mais le gallicanisme existe-t-il dans la même intensité ? Non, il est ruiné en principe chez nos voisins mêmes, et n'existe plus que d'habitude. Chez nous, les opinions gallicanes n'ont jamais prévalu, et il n'y a pas de danger qu'elles y gagnent jamais. Nous sommes catholiques, et rien que catholiques ; nous voulons la liberté pour tous et en tout : et nous ne sommes pas d'avis, en consacrant le despotisme, d'appeler sur nos têtes l'anathème et l'exécration des peuples. On craint qu'en nous érigeant en république, nous ne donnions à la France un mauvais exemple. Mais formons une bonne république, qui respecte tous les droits, toutes les libertés, et alors nous donnerons à la France, non pas un exemple funeste, mais un exemple utile et digne d'être suivi ; par là, nous éviterons peut-être à la France une secousse dont nous ressentirions nécessairement le contrecoup... Représentant d'une nation entièrement catholique, c'est pour elle que je demande la république... Croyez-vous que les faveurs passagères que les catholiques obtiendront sous le gouvernement constitutionnel soient comparables aux avantages qu'ils recueilleraient infailliblement de la république ? Croyez-vous que les évêques pourront communiquer librement avec le saint-siége, sans devoir subir aucun octroi ou placet royal ? Croyez-vous qu’ils placeront tous leurs sujets comme bon leur semble et sans consulter le vent de la cour ? Pensez-vous qu'ils seront affranchis de tout concordat et de toutes ces restrictions à la liberté religieuse extorquées au souverain pontife ? Pensez-vous que le clergé cessera d'être à la solde de l'État et qu'il jouira du droit d'acquérir comme toute autre corporation ou association ? Pensez-vous que les sociétés religieuses pourront s'établir et s'organiser sans se soumettre au contrôle inquisitorial du gouvernement ? Pensez-vous que la liberté d'enseignement sera entière et dégagée de toutes (page 115) formalités restrictives et soupçonneuses ? En un mot, pensez-vous que, sous un gouvernement monarchique constitutionnel représentatif, la séparation de l'Église et de l'État pourra s'opérer complètement ? Je ne le pense pas, moi ; mais, quoi qu'il en soit, cette séparation existerait de fait sous la république. Voyez les États-Unis ! »

Les craintes si hautement manifestées par l'abbé de Haerne sur l'asservissement éventuel de l'Église, dans le cas où la forme monarchique serait adoptée, n'étaient nullement partagées par la majorité de ses coreligionnaires. Les opinions républicaines de M. de Haerne trouvaient un appui dans le Journal des Flandres, organe de cette fraction du clergé qui avait adopté avec enthousiasme les doctrines de Lamennais et de Lacordaire ; mais elles ne purent recruter des prosélytes ailleurs. La majorité des catholiques croyait sinon à la perpétuité, du moins à la sincérité de l'union conclue avec les libéraux, et elle ne pouvait suspecter leurs intentions en présence des actes du gouvernement provisoire et du projet de Constitution présenté par un comité, où les libéraux étaient également en majorité. Bref, à l'exception de quelques jeunes prêtres qui exagéraient encore les doctrines de l’Avenir, car ce journal ne combattait point le pouvoir héréditaire, les catholiques croyaient que l'indépendance de l'Église pouvait parfaitement se concilier avec la monarchie représentative. Aussi M. l'abbé de Haerne, prêchant la république, se vit-il en quelque sorte isolé au Congrès ; aucun membre de son parti ne se leva pour le soutenir ; après lui, ce fut un partisan des doctrines philosophiques du XVIIIe siècle, ce fut M. de Robaulx qui vint reproduire les principaux arguments de M. Seron. Pour conclure, il demanda l'appel au peuple, quelle que fût la forme de gouvernement adoptée par le Congrès.

La véhémence de M. de Robaulx lui valut un rappel à l'ordre et une réplique fort éloquente de M. Forgeur. «Vous avez entendu, (page 116) dit celui-ci, un langage inusité, le langage des passions. On a cherché un appui hors de cette enceinte. On vous a montré dans l'avenir vos décisions annulées ; on vous a contesté votre mandat ; on a refusé de vous reconnaître comme pouvoir constituant ; on a traité avec une espèce de dédain tous les orateurs qui, à cette tribune, ont défendu la monarchie représentative. On s'est obstiné avec une véritable mauvaise foi à ne comprendre aucun de leurs arguments ; on vous a parlé de cette jeunesse toute républicaine qui a fait la révolution... Par mon âge, par mes sentiments, par mes études, j'appartiens à cette génération nouvelle dont on vous a parlé. Je viens protester en son nom à cette tribune. La république n'a qu'une faible minorité dans la nation, ainsi que dans cette assemblée. Cette génération ne regarde pas le progrès comme incompatible avec le repos. Elle veut, comme on vous l'a dit, ce gouvernement qui associe la stabilité et le mouvement. La monarchie, telle que nous l'entendons, est bien préférable à la république, qui ne serait que le régime de quelques turbulentes incapacités (Note de bas de page : L’année suivante, à la même époque, M. THIERS écrivait : « Cette monarchie, nous l'avons voulue, nous la voulons encore, non par un goût d'esclave pour un État où l'on dépend d'un homme, mais par intelligence d'un système admirable où, sous la dépendance apparente d'un homme, on ne dépend que de la loi ; par l'intelligence d'un système où tout est prévu, réglé, et auprès duquel la république n'est qu'une ébauche incomplète et insuffisante, très en arrière de la civilisation et de l'art de gouverner les peuples. » La Monarchie en 1830, p. 59). La progression sera continue, mais sans secousse. Nous aurons toutes les garanties d'ordre et de liberté. L'hérédité réduira au silence toutes les ambitions, ou les forcera à descendre dans une sphère inférieure. Je ne sais si la législature se composera de deux chambres. Quoi qu'il en soit, il y aura une représentation nationale directement élue. Pas de (page 117) redressement de griefs, pas de subsides, sera la loi suprême. Le chef de l'État n'aura qu'un pouvoir neutre ; il rectifiera l'action de tous les pouvoirs. L'exécution sera dans le ministère ; si le ministère est inhabile, il sera privé des moyens de gouvernement ; s'il est coupable, il sera puni. Chaque commune, chaque province s'administrera elle-même par les hommes de son choix. Voilà la monarchie comme nous l'entendons, comme l'entendent tous ceux qui ont l'intelligence des temps et à qui l'histoire et les faits ont appris quelque chose. »

Réponses de MM. Forgeur, Blargnies, Lebeau, Devaux, Alexandre Gendebien

M. Forgeur excita le courroux des républicains, mais ne les convainquit point. M. Fransman, député d'Alost, s'efforça de prouver que la république pouvait seule maintenir l'indépendance de la Belgique ; que seule, elle pouvait donner un ressort au génie et au commerce, à l'industrie et aux arts. « Tant qu'il y aura des rois, ajouta-t-il, il y aura des esclaves, et point de véritable liberté. » M. Delwarde, autre député d'Alost, expliqua ce que la minorité entendait par la république, et, en vérité, cette république se rapprochait beaucoup de la monarchie belge, telle qu'elle fut définitivement constituée l'année suivante. M. Delwarde voulait le pouvoir exécutif conféré à un président par la voie de l'élection ; le pouvoir législatif résidant dans une chambre de députés, et le système électoral à peu près tel que le gouvernement provisoire avait commencé à l'établir. MM. Lardinois et David, députés de Verviers, s’étaient joints aux républicains. M. David ne cacha point que s'il préférait la république, c'est parce que cette forme présentait le moins d'obstacles à une réunion avec la France. M. Camille Desmet fit ensuite la même déclaration : il avait adopté la république comme état transitoire, pour faciliter la réunion. Pouvait-on mieux justifier la prophétie de M. Nothomb ?

Parmi les orateurs qui démontrèrent les avantages de la monarchie constitutionnelle, dans son application à la Belgique, on (page 118) distingua MM. Blargnies, Lebeau et Devaux. M. Blargnies rappela que le peuple belge ne s'était pas soulevé contre la Hollande en haine du pouvoir héréditaire ; les événements même qui avaient précédé la révolution prouvaient que le peuple belge voulait la monarchie constitutionnelle, dont il réclamait la pratique loyale et sérieuse, et qu'il ne voulait pas la république ; il ne pouvait la vouloir, parce qu'il ne la connaissait point, et qu'il ignorait si elle assurerait son bonheur. Les deux autres orateurs réduisirent à leur juste valeur les arguments produits par la minorité, en démontrant qu'il serait impossible d'acclimater dans le pays les institutions américaines que l'on vantait sans cesse, que le système fédératif serait plus ruineux que le système monarchique, et qu'il n'y avait enfin aucune analogie entre l'ancien régime et celui qui était réclamé par les progrès du la civilisation.

M. Lebeau fit ensuite ressortir les dangers qui résulteraient pour la liberté générale de la proclamation de la république en Belgique. « Pour nous Belges, placés au milieu de l'Europe, il est, dit-il, une considération qui, à elle seule, déterminerait mon vote en faveur de la monarchie, c'est le vif intérêt que m'inspire le sort des autres nations continentales. Un orateur a pensé que nous favoriserions la civilisation politique de l'ancien monde en décrétant la république. Je pense, moi, que nous ne saurions faire aux peuples non encore affranchis un plus funeste présent. Que ceux-là mêmes qui placent la république au-dessus de la monarchie, et qui la croient possible chez nous, y réfléchissent bien ! Si vous déclarez la liberté et la monarchie inconciliables, vous proclamez par cela seul qu'entre les cabinets et les peuples du continent, c'est guerre à mort. La proscription de la royauté étant le terme avoué de la lutte, la royauté est avertie. Elle étouffera tout symptôme de vie politique, parce qu'elle y verra le présage de sa perte. Au lieu de (page 119) trouver les trônes disposés à s'entendre avec le pays, comme le fait depuis près d'un siècle et demi la royauté anglaise, vous leur imposez la loi d'être inexorables, vous les condamnez à porter dans leur défense l'énergie du désespoir, et c'est par la famine, la banqueroute, l'anarchie, le sang et le feu, que la république doit triompher. »

M. Devaux défendit aussi son opinion avec une haute raison et une grande puissance de logique. Il combattait la république, parce que la monarchie offrirait les mêmes libertés en délivrant la nation des chances de troubles et de désordres de la république. La monarchie constitutionnelle représentative, telle qu'il l'entendait, c'était la liberté de la république, avec un peu d’égalité de moins dans les formes peut-être, mais avec une immense garantie d'ordre, de stabilité, et par conséquent de liberté de plus dans les résultats. La forme monarchique offrait, en outre, moins de chances de domination étrangère. « Si nous formions un État fort par lui-même et fort contre tous, dit l’orateur, nous pourrions ne pas porter nos regards au delà de nos frontières ; mais pour un État d'aussi peu d'étendue que le nôtre, cerné par les trois grandes puissances, française, anglaise et prussienne, la question des rapports avec l'étranger est d'une gravité immense ; elle l'est moins peut-être encore dans le présent que dans cet avenir dont les vicissitudes nous échappent. Aucun système de gouvernement ne favorise l'intervention étrangère autant que la république : les passions des partis rendent indifférents sur les moyens : triompher est tout pour eux. Il est presque impossible qu'ils ne finissent sinon par s’allier ouvertement, tout au moins par sympathiser et s'unir secrètement chacun suivant ses intérêts, l'un avec telle puissance vaincue, l'autre avec une puissance rivale. C'est une vérité dont l'histoire des républiques fait foi presque à chaque page... La monarchie est le rempart le plus sûr que (page 120) notre liberté puisse opposer dans l'avenir à l'intervention et à la domination des étrangers : en premier lieu, parce que dans une monarchie les partis n'atteignent presque jamais cette violence et cet aveuglement extrême auxquels ils s'abandonnent si facilement dans une république ; en second lieu, parce que le pouvoir du monarque est une barrière qui, de toute sa force et de celle de la nation même, résiste à la domination de l'étranger. Je ne parle point ici d'un roi de restauration ; j en reconnais trop les dangers. Je sais qu'une dynastie à laquelle nous aurions rendu moins qu'elle n'avait autrefois pourrait, sous l'influence de ses regrets et de ses opiniâtres souvenirs, soumettre à l'intervention étrangère la puissance qui lui reste, dans l'espoir de recouvrer celle qu'elle a perdue. Mais je parle d'une dynastie jeune, que nous aurions faite tout ce qu'elle sera, à qui nous aurons fait tout gagner et rien perdre, qui ne trouvera rien à regretter dans ses souvenirs, et qui ne pourrait retourner vers le passé qu'aux dépens de son pouvoir et de son existence même... Ce n'est pas tout de l'intervention armée ; d'autres vous ont déjà parlé de celle des intrigues. Quelles agitations ne causeraient-elles pas chez nous ? Les États-Unis, tout séparés qu'ils sont par l'Océan des puissances européennes, ne peuvent, dit-on, lors de l'élection de leur président, se soustraire aux intrigues de l'Angleterre. Car l'élection d'un président est le triomphe d'un parti sur un autre, c'est le triomphe du parti guerrier ou du parti pacifique, du parti fédératif ou du parti démocratique, du parti favorable au système des prohibitions commerciales ou à celui de la liberté du commerce, triomphe qui, dans chaque circonstance, est favorable ou contraire aux intérêts de l'étranger. Que sera-ce donc dans notre Belgique qui n'est pas isolée des grandes puissances, mais qui touche à leurs frontières, dont chaque grande ville a une population d'étrangers, que les étrangers peuvent traverser (page 121) dans tous les sens en quelques jours, chez nous qui avons avec les États des grandes puissances le contact le plus immédiat, les rapports les plus faciles et les plus fréquents, et qui, en inclinant vers l'une d'elles, faisons pencher de son côté le système de l'équilibre européen ? Est-il difficile de prévoir que notre sort serait pire que celui de l'ancienne Pologne ? A chaque élection d'un président, à chaque fois que le pouvoir aurait chance de passer d'un parti à un autre, toutes les influences des étrangers, celle de leur diplomatie, de leur police, de leurs clubs, de leurs sociétés populaires et autres, ne viendraient-elles pas s'agiter et se combattre dans notre sein ? Toutes les séductions ne seraient-elles pas mises en jeu, toutes les faiblesses, tous les vices exploités, peut-être la vieille probité belge forcée de succomber à tant d'efforts, ou tout au moins notre tranquillité et nos plus chers intérêts mis à chaque instant en péril ? » L'orateur s'attachait ensuite à démontrer que les Belges devaient se garder d'alarmer la France, qui était alors leur seul soutien. Or, proclamer la république, c'était inquiéter, irriter, repousser cet unique allié. « Quand j'aperçois en France, d'un côté, pour la république, quelques hommes inconnus, et que je vois de l'autre les hommes les plus distingués de toutes les générations, les gardes nationales, et le républicain Lafayette lui-même, déclarant la république impossible dans la France actuelle, j'avoue, ajoutait M. Devaux, que sur cette question de fait et toute française je me range de l'avis de ces derniers, et ne crois pas faire en cela acte d'humilité trop grande. Je me dis, de plus, que si la république est impossible en France, tenter directement ou indirectement de l'y introduire, donner de l'appui et une force nouvelle à ceux qui le voudraient, c'est tenter d'y introduire une longue anarchie et avec elle ce qui la suit, le despotisme qui, après une grande anarchie, est seul assez fort pour ramener l'ordre !... »

(page 122) L'opinion, exprimée avec laconisme par M. Alex. Gendebien, fit aussi une grande impression. Il commença par déclarer que, dans son opinion personnelle, la république était le meilleur des gouvernements, et qu'il croyait assez connaître le caractère de ses concitoyens pour pouvoir dire qu'ils étaient dignes de vivre sous un régime républicain. Mais il ajouta que, dans la position où la Belgique se trouvait placée, la république, si on l'établissait, n'aurait pas trois mois d'existence.

Le Congrès adopte la monarchie constitutionnelle représentative, sous un chef héréditaire

Ces débats mémorables, où la froide raison triompha d'illusions pompeuses mais décevantes, ces débats qui empêchèrent le suicide de la révolution, furent clos le 22. Cent soixante et quatorze membres votèrent pour la monarchie constitutionnelle représentative, sous un chef héréditaire ; treize votèrent pour la république. Ces treize membres furent : MM. Seron et de Robaulx, députés de Philippeville ; Lardinois, David et de Thier, députés de Verviers ; l'abbé de Haerne, député de Thielt ; Jean Goethals, député de Courtrai ; Camille Desmet, député d'Audenarde ; Fransman et Delwarde, députés d'Alost ; Goffint, député de Mons ; de Labeville, député de Namur, et Pirson, député de Dinant.

Le Congrès écarta ensuite, par la question préalable, la proposition de M. de Robaulx, tendant à soumettre à l'appel du peuple cette décision constituante, souveraine et définitive.