Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge
JUSTE Théodore - 1850

Théodore JUSTE, Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge (tome I)

(Paru en 1850 à Bruxelles, chez Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850. 2 tomes (premier tome : Livres I et II ; second tome : Livre III))

Livre premier. Le gouvernement provisoire

Chapitre XIII

Le protocole du 7 février 1831 excluant les candidatures du duc de Nemours et du duc de Leuchtenberg

(page 260) Ignorant l'arrêt irrévocable prononcé par les puissances et ne pouvant croire que Louis-Philippe montrerait cette haute abnégation (page 261) dont l’histoire offre de si rares exemples, l'assemblée nationale de Belgique se montra pleine de confiance, après le départ des députés chargés d'offrir une seconde couronne à la maison d'Orléans. Du reste, les premières lettres reçues par le comité diplomatique annonçaient que l’acceptation n'était pas douteuse. Le Congrès consacra donc les séances qui suivirent l'élection du duc de Nemours à l'achèvement de l'œuvre constitutionnelle. Mais lorsque la Constitution du royaume de Belgique eut été votée par acclamation le 7 février, l'impatience et l'anxiété qui tourmentaient le pays réagirent sur les dispositions de l'assemblée. Déjà plusieurs députés avaient momentanément abandonné leur poste. Le bureau de l’assemblée les invita, au nom de la patrie, à revenir sans retard à Bruxelles. Il importait, en effet, de se presser autour du gouvernement provisoire dans la nouvelle crise qui allait bientôt éclater.

Le 9 février au soir, lord Ponsonby remit au comité diplomatique un protocole arrêté par la conférence de Londres, le 7, et conçu dans les termes suivants :

« Protocole, n°15, de la conférence tenue au Foreign-Om'ce, le 7 février 1831.

« Présents : les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie.

« Le plénipotentiaire de France a ouvert la conférence par une déclaration, portant que le gouvernement de S. M. le roi des Français, regardant comme découlant de la teneur du protocole n°11, du 20 janvier 1831, la résolution, déjà antérieurement annoncée par le roi, de refuser la souveraineté de la Belgique pour le duc de Nemours, si elle lui était offerte par le Congrès de Bruxelles, et qu'informée que cette offre allait effectivement avoir lieu, S. M. le roi des Français avait chargé son plénipotentiaire de réitérer sous ce rapport ses déclarations précédentes, qui sont invariables.

(page 262) « Les plénipotentiaires ont décide que cette communication serait consignée au présent protocole et ont pris ensuite en considération le cas où la même offre de souveraineté serait faite au duc de Leuchtenberg. Ayant unanimement reconnu que ce choix ne répondrait pas à un des principes posés dans le protocole n°12, du 27 janvier 1831, qui porte que le souverain de la Belgique doit nécessairement répondre aux principes d'existence de ce pays lui-même, et satisfaire par sa position personnelle à la sûreté des États voisins, les plénipotentiaires ont arrêté que si la souveraineté de la Belgique était offerte par le Congrès de Bruxelles au duc de Leuchtenberg, et si ce prince l'acceptait, il ne serait reconnu par aucune des cinq cours. »

Les reproches adressés au comité diplomatique par suite du protocole du 7 février 1831

Dès le lendemain, 10 février, communication de ce protocole fut demandée au Congrès par MM. Osy et Lebeau. M. Van de Weyer répondit que les membres du comité diplomatique avaient été unanimement d'avis qu'il fallait renvoyer à lord Ponsonby le nouveau protocole. « C'est aussi là ce que nous avons fait, ajouta-t-il. Nous avons de plus déclaré à lord Ponsonby que le Congrès, le comité diplomatique, le gouvernement provisoire, n'avaient à recevoir des communications que de la députation belge à Paris. Le renvoi immédiat du protocole me semble pleinement justifié par la décision du Congrès. Le Congrès a élu le duc de Nemours ; le Congrès a envoyé une députation à Paris pour offrir la couronne au fils de Louis-Philippe ; c'est donc de cette députation seule que nous avons à recevoir une réponse, parce qu'elle seule peut nous faire connaître officiellement la résolution de Louis-Philippe. J'ajouterai que ces députés ont reçu des notes en quelque sorte officielles, qui les engagent à n'ajouter aucune foi aux documents qui pourraient leur arriver concernant l'acceptation ou le refus du cabinet français. Qu'on juge par là de la croyance que mérite le protocole du 7 février, dont lord Ponsonby est porteur. Que le Congrès attende donc (page 263) avec confiance la réponse de nos députés, et que, dans l'intervalle, il se montre calme et ferme, afin de ne point répandre dans la nation une inquiétude qui pourrait avoir les plus graves résultats. » Plusieurs membres, peu satisfaits de cette explication, firent entendre que le comité diplomatique n'avait pas agi avec toute la prudence désirable. « Je n'ai appuyé aujourd’hui la demande de communication, dit M. Jottrand, qu'afin de savoir jusqu'à quel point nos agents ont pu se laisser tromper dans la question relative au choix du duc de Nemours. » — « On menace d'une terrible responsabilité, répondit M. Van de Weyer, quelques-uns d'entre nous qui, sous l'empire de leur conscience, ont provoqué à l'élection du duc de Nemours... Mais nous ne redoutons point l'investigation de notre conduite. Nous ne reculons devant aucune responsabilité quelconque. Fort d'un dévouement de six mois, fort de la pureté de mes intentions, je saurai repousser d'odieuses attaques et prouver que moi aussi je suis homme d'honneur. » (On applaudit.) — « M. Van de Weyer a certes eu le droit, dit M. Lebeau, de provoquer à la nomination du duc de Nemours, et je suis loin de lui contester la sincérité de ses opinions ; mais j'ai le droit, à mon tour, de penser que le comité diplomatique a été trompé, ainsi que le gouvernement provisoire ; j'ai le droit de penser que tous deux ont puisé les cléments de leur conviction dans une source suspecte et impure... » — « On a dit, réplique M. Van de Weyer, que le comité diplomatique avait puisé les éléments de sa conviction dans une source impure. Il nie semble, messieurs, qu'une conviction qui a été partagée par la moitié de cette assemblée ne peut reposer que sur des motifs respectables. » —Enfin, M. Nothomb coupe court à ce débat en (Note de bas de page : Après avoir gardé longtemps le silence sur les moyens qui avaient été employés pour rallier le gouvernement provisoire à la candidature du duc de Nemours, M. Van de Weyer se justifia eu les faisant connaître au Congrès dans la séance du Ier juin 1831. « Lors de l'élection de M. le duc de Nemours, c'est moi, dit-il alors, qui ai reçu les lettres confidentielles, c'est moi qui les ai communiquées, et ce n'est pas sur la foi seule dé ces lettres que l’élection a été faite ; c'est sur la déclaration de deux envoyés de France que M. le duc de Nemours accepterait, que le Congrès a pris sa décision. J'ai eu foi dans les assurances do M. le marquis de Lawoestine ; et, si j'ai gardé le silence, si je n'ai point repoussé les accusations que l'on a faussement fait peser sur moi, c'est que je n’ai pas voulu qu'elles retombassent sur une tête couronnée. ») (page 264) annonçant qu'il avait fait partir un courrier pour Paris, à l'effet de réclamer des députés du Congrès et de M. de Celles une réponse catégorique dans les deux fois vingt-quatre heures.

Les incertitudes croissantes quant à l’acceptation de Louis-Philippe et les premières propositions alternatives

Le Congrès reçut enfin, le 12, communication d'un rapport émané de sa députation. C'était une dépêche de M. Surlet de Chokier, datée de Paris, le 10 février. Il parlait d'abord des conférences que les députés avaient eues avec M. le comte Sébastiani, et il ne dissimulait pas que des difficultés graves, presque insurmontables, paraissaient s'élever au sujet de l'acceptation. « Le plus grand obstacle, disait-il, est la crainte d'une guerre générale que cette acceptation pourrait allumer, guerre devant laquelle la France ne reculerait pas s'il s agissait d'intérêts où son honneur, sa dignité, son indépendance, se trouveraient compromis, mais qui serait en France peu populaire, si elle n'était soutenue que pour des intérêts de famille et de dynastie. » M. Surlet rendait compte ensuite des entrevues particulières que la députation avait eues avec Louis-Philippe et de l'intérêt que le prince portait aux Belges. « Chacun de nous, dans ces différents entretiens, a pu se convaincre, disait-il, que le roi était surtout arrêté parla crainte d'être accusé de cette ambition égoïste qui portait Napoléon à établir les membres de sa famille sur des trônes étrangers ; il ne veut pas qu'on l'accuse d'avoir, (page 265) pour couronner son fils, allumé une guerre que tout annonce de plus en plus devoir être imminente, s'il acceptait notre proposition. » Toutefois, M. Surlet de Chokier ajoutait que la députation, n'ayant pas encore la réponse officielle du roi, il ne fallait point regarder le refus comme chose certaine et arrêtée.

(Note de bas de page Le 11 février, M. Surlet de Chokier adressa à M. de Gerlache, vice-président du Congrès, une lettre particulière, dans laquelle il lui disait : « Vous avez dû voir, par notre dépêche en date d'hier, que nous avions peu d'espoir d'obtenir l'assentiment de la France en faveur de l'élection du duc de Nemours ; le protocole du 7 février, dont vous avez sans doute maintenant connaissance, ne laisse plus de doute à cet égard, et l'exclusion formelle du duc de Leuchtenberg doit également ne laisser aucun regret à ceux qui croyaient que celte élection pouvait être une combinaison favorable à notre patrie. Mais il y a une différence entre les résultats de ces deux élections, et qui n'échappera pas à la sagesse du Congrès, c'est que l'élection du duc de Nemours, quoique non acceptée par la France, n'en a pas moins été de notre part envers elle un acte qui a singulièrement contribué à resserrer les liens d'amitié entre la France et la Belgique, et à nous assurer en toute occasion son alliance et sa puissante protection tant contre nos ennemis du dehors que contre ceux du dedans, qui tenteraient d'exciter des troubles et de faire naître la guerre civile. Nous en avons reçu les assurances les plus formelles tant de la bouche même du roi que de ses ministres ; tandis que l'élection du duc de Leuchtenberg nous eût indubitablement aliéné l'amitié de la France sans nous concilier celle des autres puissances, qui ont toutes concouru avec elle à prononcer son exclusion... Ne craignons pas les réactions intérieures, elles sont sans force réelle au dedans et sans appui au dehors. Déjà la France et l'Autriche se sont prononcées d'une manière positive contre toute combinaison qui tendrait à ramener une restauration eu Belgique. L'Angleterre et la Prusse, sans se prononcer d'une manière aussi formelle, y adhèrent indirectement en ne s'en éloignant pas, en conseillant même d'appeler au trône de la Belgique un prince qui contracterait une alliance avec une princesse de France. Les ministres d'Angleterre et de Prusse en ont parle dans ce sens à plusieurs d'entre nous ; car quoique ces puissances ne nous soient pas aussi dévouées que la France, elles ne veulent pas voir notre belle patrie déchirée par la guerre civile... Toutes les puissances de l'Europe veulent la paix et ne permettront pas qu'elle soit troublée ni compromise par les intrigues de quelques malveillants... » Cette lettre a vu le jour, pour la première fois, dans l'excellent recueil publié par M. Huyttens, sous le titre de : Discussions du Congrès national de Belgique, t. III,, p. 617) (Fin de la note).

(page 266) La lecture de cette dépêche avait été écoutée dans un douloureux silence. Lorsqu'elle fut achevée, M. Lebeau déposa immédiatement une proposition ayant pour objet la nomination d'un lieutenant général du royaume, chargé, en attendant l'élection d'un roi, d'exercer les pouvoirs du chef de l'État, tels qu'ils étaient déterminés et dans les formes prescrites par la Constitution. Cette démarche avait été suggérée à M. Lebeau par les plus sérieuses considérations. Le gouvernement provisoire, excellent pour une époque de crise, et dont la formation, dans les journées de septembre, avait été un acte de courage et de patriotisme, le gouvernement provisoire, déjà affaibli par la retraite de M. de Potter, usé par plusieurs mois de pouvoir dans des circonstances où l'autorité s'use si vite, ne suffisait plus aux besoins et aux inquiétudes du pays. Il fallait un pouvoir nouveau, plus concentré, se rapprochant davantage du pouvoir exécutif, tel que la Constitution venait de l'instituer. Du reste, le gouvernement provisoire, comme nous le verrons, avait lui-même le sentiment de cette situation.

Quant au comité diplomatique, après avoir reçu la dépêche de M. Surlet de Chokier, il reporta son attention sur le prince de Capoue. « Il a fallu, écrivit-il le 12 février à M. de Celles, que nous eussions une lueur d'espérance, pour éviter les fâcheux résultats d'une si déplorable hésitation. Les assurances données pour le cas où le Congrès ferait choix du prince de Naples produisent peu d'effet, tant que nous ne voyons pas d'une manière officielle que cette élection nous garantirait en effet, les (page 267) avantages promis en ce qui concerne nos limites, la dette, le Limbourg, la rive gauche de l'Escaut et le grand-duché. On tiendrait beaucoup aussi à des déclarations officielles sur le mariage du prince de Capoue avec une princesse, fille de Louis-Philippe, ainsi que sur l'article de la résistance du roi des Français à tout projet de restauration du prince d'Orange. »

L’irritation du Congrès à cette nouvelle

Mais déjà il était trop tard pour éviter les résultats que devaient inévitablement produire les hésitations du gouvernement français. Elles annonçaient un refus humiliant pour la nation, et surtout pour le Congrès dont on avait surpris la confiance ! L'irritation était générale, et la polémique des journaux se ressentait de cette disposition menaçante des esprits. «Sont-ce bien, disait le Courrier des Pays-Bas du 14 février, les dépositaires de la gloire de Juillet, de la gloire de l'Empire, de la République et de la vieille monarchie française, qui gouvernent la France ? Ils tremblent, ils proclament la peur comme raison d'État, les hommes à qui le grand peuple a confié la puissance et l'honneur national. Et ils osent mêler à leur cri de frayeur le nom de Napoléon ! Napoléon abdiquait, et ne consentait pas le déshonneur de la France. Et vous, ministres du roi des Français, vous lui conseillez de ne pas répondre à l'appel d'un peuple libre, aux sympathies des Belges, aux vœux d'anciens Français ! Et vous lui conseillez le refus, parce que les ennemis de la France commandent le refus ! Et la France obéit, la France refuse, la France a peur ! » Tel était le langage que le désappointement et la dignité nationale offensée inspiraient aux patriotes modérés, aux monarchistes. Les autres, criant à la trahison, voulaient recourir à une résolution extrême. Le 14 février aussi, la Société des Amis de l'indépendance nationale se constitua à Bruxelles, sous la présidence de M. de Potter. Les membres de cette société (ils étaient cinquante lors de l'adoption des statuts) déclarèrent s engager sur l'honneur à employer tous les moyens (page 268) légaux, et à ne reculer devant aucun sacrifice personnel : 1° pour assurer le maintien de l'indépendance nationale ; 2° pour rendre irrévocable l'exclusion des Nassau ; 3° et, comme seul moyen réel et praticable d'atteindre ce double but, pour provoquer et faire consacrer par le pouvoir constituant l'adoption de la forme républicaine, et l'élection d un chef de l'État indigène et pour un temps déterminé.

Déjà la veille, M. de Potter avait, dans une pétition, engagé le Congrès à décréter la forme républicaine. Par suite du refus certain de Louis-Philippe, il n'y avait plus, suivant M. de Potter, que trois alternatives pour la révolution : le démembrement, le prince d'Orange ou la république. Lecture de cette pétition ayant été donnée dans la séance du 14. M. de Robaulx s'empara de l'idée de M. de Potter et voulut la réaliser sans retard. Il déposa la proposition suivante :

« Le Congrès national décrète :

« I. La république est proclamée en Belgique.

« II. Le pouvoir exécutif est exercé par un président belge, élu, à la majorité absolue, par les deux chambres réunies.

« III. Le président est nommé pour trois ans ; il est immédiatement rééligible.

« IV. La première élection sera faite par le Congrès dans les trois jours à partir du présent décret.

« V. Tous décrets ou dispositions contraires à la présente sont rapportés. »

M. de Robaulx monte à la tribune pour développer sa proposition ; mais aussitôt M. Legrelle demande la question préalable, alléguant que cette proposition était contraire au décret par lequel le Congrès avait proclamé que la Belgique serait régie par une monarchie constitutionnelle. M. de Robaulx répond que, dans une assemblée constituante, la question préalable était inadmissible ; que le Congrès était juge souverain et en possession de (page 269) se réformer lui-même. M. Delehaye objecta la décision prise récemment par le Congrès sur les pétitions qui demandaient la réunion à la France ; et M. Osy rappela le mauvais accueil fait à M. Maclagan lorsqu'il avait voulu parler en faveur du prince d'Orange. Il était donc démontré que le Congrès ne voulait pas se déjuger ni renverser les principes qu'il avait solennellement décrétés. Après une discussion assez vive, la question préalable fut adoptée.

Dévastation de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois et de l'archevêché de Paris ; effet produit en Belgique par cet événement

Le sort de la Belgique se décidait alors à Paris. Les députés du Congrès belge, arrivés le 6 février dans cette ville, n'avaient eu qu'à se louer de l'accueil presque fastueux du gouvernement français. Ils furent logés, aux frais de l'État, à l'ancien hôtel Monaco appartenant à S. A. R. Madame Adélaïde d'Orléans, et servis par des personnes attachées à la maison du roi. Le 8, la députation, ayant été reçue officiellement par M. le comte Sébastiani, demanda au ministre des affaires étrangères de solliciter pour elle une audience solennelle du roi des Français, en insistant pour que le jour fût aussi rapproché qu'il serait possible. Toutefois son impatience ne fut pas satisfaite ; elle eut, à la vérité, plusieurs entrevues particulières avec le roi, mais la réponse officielle se fit longtemps attendre.

Le cabinet français était divisé. Une fraction, qui trouvait dans le duc d'Orléans un appui énergique, penchait pour l'acceptation ; l'autre approuvait la politique plus prudente que le roi était décidé à suivre. Presque tous les journaux conseillaient le refus : les organes du mouvement pour ne pas augmenter la puissance de la nouvelle dynastie ; les feuilles légitimistes par haine contre la branche cadette de la maison de Bourbon ; les journaux doctrinaires par crainte de la guerre. L'élection à une seule voix de majorité, les dangers de toute espèce qui environneraient le gouvernement du jeune roi, menacé par les orangistes et par les adversaires de la domination française, ces raisons et d'autres encore (page 270) étaient alléguées également pour déconseiller l'acceptation. Quelques journaux cependant auraient voulu que le gouvernement français bravât l'Europe, mais ce n'était pas tant l'avènement du duc de Nemours qu'ils avaient en vue que la réunion pure et simple de la Belgique à la France. Du reste, les organes les plus respectables de l'opinion publique étaient d'accord pour infliger un blâme sévère aux auteurs de la déception dont allait être victime une nation trop confiante.

Pendant que la question belge occupait si vivement le gouvernement et l'opinion publique en France, Paris était le théâtre d'événements déplorables. Une réaction furieuse venait d'éclater contre les légitimistes, qui avaient exaspéré le peuple par des manifestations provocantes. Le 14 février, la vieille basilique de Saint-Germain-l'Auxerrois avait été dévastée ; le 15, l'archevêché fut mis à sac. « Rien de plus étrange que l'aspect de Paris durant cette journée. Partout les croix chancelaient au dôme des églises ; partout les fleurs de lis étaient effacées. La Seine charriait des monceaux de papiers, des étoles, des matelas, des linges blancs figurant des hommes qui se noient. Penchés sur leurs bateaux, des pécheurs recueillaient çà et là les débris du catholicisme insulté, et de tous côtés on se pressait vers les ponts pour jouir de ce spectacle... On était en plein carnaval : aux émotions de l'émeute se mêlaient toutes les extravagances du mardi gras ; le pavé des quartiers opulents résonnait sous la roue des équipages ; les masques couraient tumultueusement par la ville. Le soir, tout Paris fut illuminé. Sur le point où l'archevêché s'élevait la veille, il n'y avait plus que des ruines. » (Louis BLANC, Histoire de Dix Ans, chap. VIII) Un des membres de la députation belge, M. l'abbé Boucqueau de Villeraie, avait été un moment confondu parmi les proscrits. Comme il traversait la rue du Bac, revêtu du costume (page 271) ecclésiastique, il fut insulté, et il n'échappa aux violences de la populace qu'en s'écriant qu'il était Belge et en montrant sa cocarde. Aussitôt le peuple lui donna des marques de respect, qui prouvaient le regret d'une méprise.

Ces scènes avaient eu un grand retentissement en Belgique. Elles augmentèrent les anxiétés de ce grand nombre de catholiques, qui considéraient presque comme une calamité pour leur religion l'avènement d'un prince français ; elles brisèrent aussi les dernières espérances du comité diplomatique. En présence des hésitations de Louis-Philippe, quelques membres du comité n'étaient pas éloignés, comme nous l'avons dit, de soutenir la candidature du prince de Capoue. Mais, après la dernière tentative des légitimistes, ils supposèrent que la nation française ne verrait plus sans trouble un frère de la duchesse de Berry, un oncle du jeune duc de Bordeaux, s'établir à Bruxelles et porter un sceptre qui pourrait protéger les exilés d’Holyrood. Il fallut donc renoncer aussi à cette candidature, si Louis-Philippe n'accordait pas le duc de Nemours aux vœux du Congrès.

Louis- Philippe refuse officiellement la couronne de Belgique pour son fils duc de Nemours

La résolution officielle du roi des Français allait être connue. La députation belge avait été avertie qu'une audience solennelle lui serait accordée, le 17 février, au Palais-Royal. Elle fut reçue au pied du grand escalier par les aides de camp du roi, introduite dans la salle du trône, et présentée au monarque par le ministre des affaires étrangères. Louis-Philippe était sur son trône, debout et découvert, ayant à sa droite le duc d'Orléans et à sa gauche le duc de Nemours. La reine, la princesse Adélaïde et les autres membres de la famille royale, les ministres et les officiers du palais étaient rangés autour du trône. M. Surlet de Chokier, président du Congrès belge, s'adressa au roi en ces termes :

« SIRE,

« Organe légal du peuple belge, le Congrès souverain, dans sa (page 272) séance du 5 février, a élu et proclamé roi S. A. R. Louis-Charles-Philippe d'Orléans, duc de Nemours, fils puîné de Votre Majesté, et nous a confié la mission d'offrir la couronne à Son .Altesse Royale dans la personne de Votre Majesté, son tuteur et son roi

« Cette élection, qu'ont accueillie les acclamations d'un peuple libre, est un hommage rendu a la royauté populaire de la France et aux vertus de votre famille : elle cimente l'union naturelle des deux nations, sans les confondre ; elle concilie leurs vœux et leurs intérêts mutuels avec les intérêts et la paix de l'Europe, et, donnant à l'indépendance de la Belgique un nouvel appui, celui de l'honneur français, elle assure aux autres États un nouvel élément de force et de tranquillité.

« Le pacte constitutionnel sur lequel repose la couronne de la Belgique est achevé. La nation, reconnue indépendante, attend avec impatience et le chef de son choix et les bienfaits de la Constitution qu'elle a jurée. La réponse de Votre Majesté comblera son attente fondée et notre juste espoir. Son avènement a prouvé qu'elle connaît toute la puissance d'un vœu véritablement national, et la sympathie de la France nous est un gage de sa vive adhésion aux suffrages de la Belgique.

« Nous remettons en vos mains, sire, le décret officiel de l'élection de S. A. R. le duc de Nemours, et une expédition de l'acte constitutionnel arrêté par le Congrès. »

M. Surlet de Chokier, ayant donné lecture du décret d'élection, s'avança vers le trône et remit au roi le discours qu'il venait de prononcer, le décret et une expédition de la Constitution belge. Louis-Philippe, s'étant couvert, prononça d'une voix altérée et en s'arrêtant a plusieurs reprises, le discours suivant :

« MESSIEIRS,

« Le vœu que vous êtes chargés de m'apporter au nom du (page 273) peuple belge, en me présentant l'acte de l'élection que le Congrès national vient de faire de mon second fils, le duc de Nemours, pour roi des Belges, me pénètre de sentiments dont je vous demande d'être les organes auprès de votre généreuse nation. Je suis profondément touché que mon dévouement constant à ma patrie vous ait inspiré ce désir, et je m'enorgueillirai toujours qu'un de mes fils ait été l'objet de votre choix. Si je n'écoutais que le penchant de mon cœur et ma disposition bien sincère de déférer au vœu d'un peuple dont la paix et la prospérité sont également chères et importantes à la France, je m'y rendrais avec empressement. Mais, quels que soient mes regrets, quelle que soit l'amertume que j'éprouve à vous refuser mon fils, la rigidité des devoirs que j'ai à remplir m'en impose la pénible obligation, et je dois déclarer que je n'accepte pas pour lui la couronne que vous êtes chargés de lui offrir.

« Mon premier devoir est de consulter avant tout les intérêts de la France, et, par conséquent, de ne point compromettre cette paix que j'espère conserver pour son bonheur, pour celui de la Belgique et pour celui de tous les Etats de l'Europe, auxquels elle est si précieuse et si nécessaire. Exempt moi-même de toute ambition, mes vœux personnels s'accordent avec mes devoirs. Ce ne sera jamais la soif des conquêtes ou l'honneur de voir une couronne placée sur la tête de mon fils qui m'entraîneront à exposer mon pays au renouvellement des maux que la guerre amène à sa suite, et que les avantages que nous pourrions en retirer ne sauraient compenser, quelque grands qu'ils fussent d'ailleurs. Les exemples de Louis XIV et de Napoléon suffiraient pour me préserver de la funeste tentation d'ériger des trônes pour mes fils, et pour me faire préférer le bonheur d'avoir maintenu la paix à tout l'éclat des victoires que, dans la guerre, la valeur française ne manquerait pas d'assurer de nouveau à nos drapeaux.

(page 274) « Que la Belgique soit libre et heureuse ! qu'elle n oublie pas que c'est au concert de la France avec les grandes puissances de l'Europe qu'elle a dû la prompte reconnaissance de son indépendance nationale ! et qu'elle compte toujours avec confiance sur mon appui pour la préserver de toute attaque extérieure ou de toute intervention étrangère ! Mais que la Belgique se garantisse aussi du fléau des agitations intestines, et qu'elle s'en préserve par l'organisation d'un gouvernement constitutionnel qui maintienne la bonne intelligence avec ses voisins, et protége les droits de tous en assurant la fidèle et impartiale exécution des lois. Puisse le souverain que vous élirez consolider votre sûreté intérieure, et qu'en même temps son choix soit pour toutes les puissances un gage de la continuation de la paix et de la tranquillité générale ! Puisse-t-il se bien pénétrer de tous les devoirs qu'il aura à remplir ! Et qu'il ne perde jamais de vue que la liberté publique sera la meilleure base de son trône, comme le respect de vos lois, le maintien de vos institutions et la fidélité à garder ses engagements, seront les meilleurs moyens de la préserver de toute atteinte, et de vous affranchir du danger de nouvelles secousses.

« Dites à vos compatriotes que tels sont les vœux que je forme pour eux, et qu'ils peuvent compter sur toute l'affection que je leur porte. Ils me trouveront toujours empressé de la leur témoigner, et d'entretenir avec eux ces relations d'amitié et de bon voisinage qui sont si nécessaires à la prospérité des deux États. »

Les sentiments du père avaient cédé, mais non sans combat, aux devoirs que s imposait le monarque. Des larmes roulaient dans tous les yeux. Après avoir achevé son discours, Louis-Philippe descendit de son trône et s'approcha des membres de la députation auxquels il adressa successivement des paroles pleines de bienveillance et de bonté.

(page 275) Le Congrès apprit le refus officiel de Louis-Philippe dans la séance du 21 février. En présence des membres de la députation revenus de Paris, il fut donné lecture de la dépêche de M. Surlet de Chokier, renfermant le discours du roi des Français. Cette lecture achevée, M. Surlet de Chokier monta lui-même à la tribune et s'exprima en ces termes : « Quoique le but de notre mission n'ait pu être rempli, j'ai pourtant la satisfaction de vous annoncer que notre présence à Paris a ranimé la sympathie entre la nation belge et la nation française. On nous a considérés et traités comme des frères, comme des hommes qui ont combattu pour la même cause, celle de l’indépendance et de la liberté. Quant à notre indépendance, dans tous les entretiens que nous avons eus, soit avec les ministres de Louis-Philippe, soit avec d'autres grands personnages, soit avec Sa Majesté elle-même, nous avons fait connaître la ferme résolution où nous sommes de ne jamais consentir à perdre cette indépendance pour laquelle la nation belge a si vaillamment combattu dans les journées de septembre. De plus, nous avons été reçus comme souverains indépendants, comme les représentants d'un peuple allié ; nous avons été comblés de marques d'amitié par le roi, par la famille royale, par toutes les personnes qui sont admises à son conseil ou dans son intimité, et ces marques d'affection s'adressaient non seulement à nous, mais à la nation belge tout entière. Le roi, surtout, messieurs, nous a exprimé, à différentes reprises, tout l'intérêt qu il porte à la cause belge, qu'il considère comme la sienne. Il nous a assuré que nous pouvions toujours compter sur sa protection et son appui, et en parlant ainsi, Sa Majesté était l'organe de toute la nation française. Lorsque nous prîmes congé de Louis-Philippe, il s'approcha de moi, me prit par la main et me dit : M. Surlet, c'est à la nation belge que je donne la main ; dites-lui, à voire retour, qu'elle compte sur moi, et (page 276) que je l'engage surtout à rester unie. Et nous sentions combien les circonstances nous faisaient une nécessité d’être unis. L'union fait notre force. Si jamais nous perdions de vue ce principe conservateur, il faudrait nous attendre à être envahis, morcelés, démembrés. Pour prévenir tant de désastres, je vous réitère, messieurs, la prière de continuer à veiller, avec un zèle toujours égal, au maintien de nos libertés et des lois qui les garantissent, et de ne point vous dissoudre avant d'avoir assuré et d'avoir assis sur des bases stables la prospérité de la patrie. » Des applaudissements unanimes accueillirent cette patriotique allocution.

Le gouvernement provisoire propose d'instituer une régence et démarches entreprises auprès du prince de Ligne

Immédiatement après, le gouvernement provisoire fit donner lecture d'une proposition tendant à nommer un pouvoir exécutif dans les termes de la Constitution. Depuis qu'il ne lui restait plus de doutes sur la décision du cabinet français, le gouvernement provisoire avait résolu de se retirer et d'instituer une régence.

Mais avant d'établir cette nouvelle autorité, qui devait être également temporaire, il convenait sans doute de rechercher s'il ne se présentait point de combinaisons plus favorables à l'affermissement immédiat de la nationalité belge.

On se rappelle que plusieurs membres du Congrès et une partie de la presse s'étaient prononcés, à diverses reprises, en faveur d'un prince indigène. Cette opinion, qui s'était affaiblie par la mort du comte Frédéric de Mérode, et que les candidatures des ducs de Nemours et de Leuchtenberg avait complément écartée, reparut avec une force nouvelle après le refus de Louis-Philippe. MM. Lebeau, Nothomb et Duval de Beaulieu eurent presque en même temps la pensée de placer le prince de Ligne à la tête de l'Etat. Il importait de prendre sans retard une résolution. L'essai malheureux que l'on venait de faire a Paris avait jeté le découragement dans tous les esprits, et il avait eu pour résultat de (page 277) faire renaître les espérances des partisans de la maison de Nassau. L'armée, que le choix d'un souverain eût soutenue, était activement travaillée par des émissaires ; les grandes villes, centres d industrie ou de commerce, penchaient de nouveau, les unes pour la réunion à la Hollande, les autres pour la réunion à la France ; enfin, le parti républicain, trop peu nombreux pour prévaloir, était néanmoins assez énergique, au milieu du découragement des masses et aidé par les agents de la propagande française qui affluaient à Bruxelles, pour susciter des troubles et donner aux grands cabinets l'idée déjà mise en avant par plusieurs d entre eux d'un partage de la Belgique. Cette situation, pleine de dangers, ne pouvait se prolonger sans exposer la révolution à périr.

Il était bien naturel que, dans cette crise, on songeât au chef d'une des plus anciennes et des plus illustres familles de la Belgique, au petit-fils du célèbre feld-maréchal qui, par ses actions guerrières et surtout par ses écrits, avait donné au nom qu'il portait un éclat européen. La supériorité du prince de Ligne, dans l'ordre aristocratique, était acceptée par la noblesse belge, qui n'eût pas aisément subi un plébéien, moins encore peut-être un de ses égaux. Il devait plaire au clergé comme chef d'une maison connue pour professer ouvertement le dogme catholique ; ses relations avec la famille impériale d'Autriche et avec plusieurs souverains de l'Allemagne lui assuraient de bonnes dispositions auprès des cours du Nord ; sa candidature n'avait rien d'hostile à la France ; enfin, l'Angleterre, qui redoutait par-dessus tout la fusion de la Belgique avec la nation française, eût sans doute prêté son concours bienveillant à un tel choix. On pouvait espérer également l'adhésion de l'opinion populaire. Le prince avait des qualités qui plaisent à la fois à l'aristocratie et aux masses ; il était plein de franchise et d'affabilité. On regrettait, sans doute, qu'il n'eût pas pris une part directe à la révolution, qu'il eût mis (page 278) en avant sa qualité de chambellan de l'empereur d'Autriche pour décliner une mission officielle qui lui était offerte par les autorités révolutionnaires. Tout le monde, cependant, ne devait pas lui savoir mauvais gré de cette réserve. Du reste, on se souvenait aussi que, avant les journées de septembre, il s'était associé aux députations envoyées près des princes de la maison de Nassau pour traiter du redressement des griefs ; qu'il avait même dit à Vilvorde, le 31 août 1830, aux princes menaçant de marcher sur Bruxelles avec l'armée, que, pour pénétrer ainsi dans la capitale, il faudrait commencer par passer sur son corps.

Après s'être mis d'accord sur les moyens de donner de la consistance à la nouvelle combinaison, M. Lebeau et ses deux collègues résolurent de se rendre au château de Bel-OEil, pour faire une tentative auprès du prince de Ligne. Arrivés à Ath, ils apprirent que le prince, qu'ils croyaient à Bel-OEil, se trouvait au château du Rœulx, résidence de son parent, le prince de Croy-Solre. Cette nouvelle fit sur le comte Duval une fâcheuse impression. «— J'augure mal, dit-il, de cette circonstance. J'aurais désiré rencontrer le prince dans son château, seul, livre à lui-même, et non dans la résidence d'un légitimiste français très prononcé, dont le contact a pu modifier beaucoup les dispositions de son parent envers la révolution belge, et dont la présence gênera d'ailleurs nos communications. »

Cependant les trois membres du Congrès se remirent en route et arrivèrent vers le milieu de l'après-midi au château du Rœulx. Le comte Duval, voisin de campagne du prince de Ligne, les y devança de quelques minutes pour annoncer ses collègues et essayer de bien disposer le prince. Dès que MM. Lebeau et Nothomb eurent rejoint le comte Duval, celui-ci leur annonça que, selon toute apparence, ses prévisions n'étaient que trop fondées Ils furent reculs par le prince avec cette politesse bienveillante qui le distingue ; mais ils remarquèrent avec surprise que la (page 279) princesse de Ligne, née comtesse de Conflans, appartenant à une famille légitimiste française, et M. de Croy restaient au salon, comme pour défendre le prince contre la démarche des députés belges. Le prince demanda d'abord aux députés quels étaient leurs projets, leurs chances de succès, ce qu'ils savaient des dispositions des cabinets étrangers envers la combinaison dont ils venaient l'entretenir. Les députés lui dirent aussitôt qu'ils n'avaient mission de personne, qu'ils n'avaient pris conseil que de la situation du pays et de leur sollicitude pour le triomphe de la révolution et pour la consolidation de l'indépendance belge, si heureusement recouvrée. Ils ajoutèrent que chacun reconnaissait que le gouvernement provisoire était au terme de sa mission ; que les esprits voulaient un pouvoir exécutif plus concentré ; qu'on réclamait un chef unique provisoire, en attendant qu'on pût faire choix d'un souverain ; que les uns parlaient d'une régence et les autres d'une lieutenance générale ; qu'ils étaient partisans de cette dernière combinaison, et qu'ils venaient demander au prince l'autorisation de le proposer pour lieutenant général du royaume. Quant aux chances de succès, ils firent observer que M. Lebeau ayant mis en avant la candidature du duc de Leuchtenberg, inconnu en Belgique, ce candidat avait réuni presque la majorité des suffrages, et qu'il eût obtenu presque l'unanimité sans la concurrence d'un prince français ; qu'un tel résultat attestait un besoin vivement senti de choisir un chef, et que ces dispositions s'étaient beaucoup fortifiées encore par l'échec qu'on venait de subir. Les députés dirent aussi que la proposition d'une régence ou d'une lieutenance générale ayant été accueillie favorablement, le nom du prince ne pouvait être mis en avant sous de meilleurs auspices, et qu'ils avaient tout lieu de croire que l'opinion s'y rallierait à l'instant,

Le prince demanda si, au moins, on ne pourrait pas lui laisser le temps de consulter les grandes puissances. Les députés répondirent (page 280) qu'après la déception dont le Congrès venait d'être l'objet à Paris, le moment serait mal choisi pour proposer de nouvelles négociations ; qu'il y avait urgence à prendre un parti ; qu'en acceptant la lieutenance générale, le prince ne préjugeait rien sur la résolution à prendre ultérieurement, qu'il pourrait alors pressentir les dispositions des cabinets auxquels il présenterait sa détermination comme le moyen le plus assuré de maintenir l'ordre dans le pays. Ils terminèrent en lui faisant observer que s'il y avait quelque danger à courir, c'était là un moyen de popularité qui offrait la plus brillante perspective ; qu'une fois proclamé lieutenant général de la Belgique par le Congrès national, la transition au trône devenait facile, comme un exemple récent l'avait démontré, et qu'après tout, la possibilité de saisir la couronne de Belgique valait bien qu'on s'associât à quelques dangers, que ce n'était pas là ce qui pouvait faire hésiter un homme de cœur comme le prince. Celui-ci était visiblement ébranlé ; mais la princesse de Ligne se montra moins femme ambitieuse qu’épouse craintive. Elle s'interposa entre le prince et les députés, l'engageant vivement à refuser. Le prince persista, pour colorer son refus, à demander le temps de consulter les grandes puissances. De leur côté, les députés persistèrent à représenter ce délai comme impossible et ce recours comme une atteinte à l'indépendance et à la dignité nationales. La négociation fut ainsi rompue assez brusquement ; et, après cette tentative infructueuse, il ne restait plus qu'à se rallier à la proposition du gouvernement provisoire.