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Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge
JUSTE Théodore - 1850

Théodore JUSTE, Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge (tome I)

(Paru en 1850 à Bruxelles, chez Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850. 2 tomes (premier tome : Livres I et II ; second tome : Livre III))

Livre II. La Constitution

Chapitre II

Le Congrès respecte les grands principes sociaux proclamés par l'assemblée constituante de 1789. Suppression définitive des trois ordres : les Belges sont égaux devant la loi

(page 322) Une ère nouvelle s'est ouverte pour la société européenne du jour où l'assemblée constituante de 1789 renversa les barrières élevées par la féodalité, et conservées par le despotisme, entre les habitants du sol commun, entre les fils de la même patrie. L'assemblée constituante proclama, sur les débris du vieux monde, que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ; que les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune ; que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinction que celle des vertus (page 323) et des talents ; que toutes les contributions doivent être réparties entre tous les citoyens également en proportion de leurs facultés ; que les mêmes délits doivent être punis des mêmes peines, sans aucune distinction de personnes. « Ces grandes et belles vérités. » disait Napoléon sur le rocher de Sainte-Hélène, «doivent demeurer à jamais, tant nous les avons entrelacées de lustre, de monuments, de prodiges ; nous en avons noyé les premières souillures dans des flots de gloire : elles seront désormais immortelles ! »

Respectant les grands principes qui sont devenus les colonnes de l'architecture sociale, le Congrès belge donna également pour base à son œuvre l'égalité des citoyens devant la loi ; et il ajouta qu'il n'y a plus dans l'Etat de distinction d'ordres, afin de constater qu'il se séparait formellement de l'ancien régime. En effet, cette disposition avait été présentée par M. le baron Beyts afin d'abolir pour jamais la distinction féodale des trois ordres, rétablie par la loi fondamentale de 1815. Tous les nobles ne se rallièrent pas à cette proposition ; mais elle fut appuyée par les plus influents, et sanctionnée par une majorité telle, qu'on ne put concevoir aucun doute sur les sentiments démocratiques qui animaient l'assemblée.

Lorsque la Belgique était gouvernée par des souverains résidant à Madrid ou à Vienne, les efforts des nationaux devaient tendre naturellement à repousser les étrangers de toutes les fonctions publiques. Cette défiance légitime, consacrée par les anciennes chartes du pays, s'était encore accrue, sous le dernier gouvernement, par suite de la prédilection qu'il n'avait cessé de manifester pour les habitants des provinces du nord. Il y eut en 1830 réaction, et cette réaction trouva d'éloquents interprètes au Congrès. M. Forgeur demanda que l'assemblée ne se contentât point de proclamer que les Belges seuls sont admissibles aux emplois civils et militaires ; il aurait voulu, en outre, qu'elle ne permit pas à la (page 324) loi d'établir des exceptions. « Exigeons, disait-il, la naturalisation de ceux qui voudront obtenir des emplois en Belgique. Nous ne devons pas accueillir ceux qui ne veulent pas perdre leur nationalité. Prenons-y garde : si, au lieu de choisir un roi parmi les Belges, nous élisions un prince étranger, nous courrions le risque de voir presque toutes les places occupées par des étrangers ; dès le moment que vous auriez permis à la loi de faire des exceptions, il suffirait au prince de saisir un moment favorable pour avoir la loi, et par cela seul que vous auriez ouvert une fois la porte aux étrangers, vous les verriez monopoliser les emplois publics. » Plusieurs membres objectèrent que, avec cette restriction absolue, on se priverait de gaieté de cœur de tous les talents étrangers, même de ceux dont le pays ne pouvait se passer ; que notamment, si la Constitution apportait des entraves à l'introduction des étrangers dans le professorat, elle porterait un coup funeste à l'instruction publique. « Il y a dans la science, dit M. Lebeau, des noms qui appartiennent a tout le monde ; il y a des hommes cosmopolites appartenant à la civilisation tout entière, et non à telle ou telle nation. Faut-il leur fermer la Belgique ? » M. Lebeau ajouta que, sous l'ancien gouvernement, le pouvoir exécutif avait la nomination à tous les emplois, sans responsabilité ; mais que désormais il n'en serait plus ainsi : la responsabilité ministérielle empêcherait le retour des abus dont on s'était plaint avec justice. L'assemblée n'adopta pas l'exclusion absolue des étrangers demandée par M. Forgeur ; mais, d'un autre côté, elle se garda bien de favoriser leur introduction dans les emplois publics. Après avoir proclamé l'admissibilité exclusive des Belges aux emplois, elle décida, sur la proposition de M. Raikem, que des exceptions ne pourront être établies en faveur des étrangers que par une loi et pour des cas particuliers.

Liberté individuelle : Nécessité du décret judiciaire d'arrestation, droit et jugement, inviolabilité du domicile

Le Congrès sanctionna ensuite, sans discussion, les garanties (page 325) précieuses inscrites dans l'ancien droit public des provinces belges : les garanties de liberté individuelle, d'inviolabilité du domicile, de décret judiciaire d’arrestation (Note de bas de page : « La Constitution du Brabant veille à la liberté personnelle comme à la propriété des biens, et les assure toutes deux. Un ordre arbitraire ne peut pas priver un citoyen de sa liberté. Sa demeure est sacrée ; s'il est soupçonné d'un crime, les officiers de la justice ne peuvent pas entrer dans sa maison pour le saisir, sans se faire assister par deux magistrats. On ne peut pas le retenir en prison sans raison. D'abord après sa détention, il a le droit de faire venir ses juges, pour qu'ils déterminent s'il y a des motifs suffisants pour le détenir... » (SHAW, Essai sur les Pays-Bas autrichiens, p. 22.) — Les habitants des autres provinces jouissaient des mêmes garanties. « Il suffit de parcourir, même superficiellement, les anciens monuments de la législation, pour se convaincre que le citoyen belge, dans toutes les provinces (des Pays-Bas autrichiens), comme au pays de Liége, était maître de sa personne et de sa maison. » (Etudes sur les anciennes Constitutions nationales, par Ch. FAIDER, p. 160)). M. de Robaulx avait proposé une disposition portant que la résistance serait de droit en cas de violation de domicile. Tout en admettant le principe, le Congrès estima que l'application par la force brutale pourrait donner lieu à de graves inconvénients. Il était donc préférable que le citoyen, lésé par un abus de pouvoir, demandât aux tribunaux la réparation qui lui était due. Les anciennes chartes de la Belgique proclamaient que les citoyens devaient être traités par droit et sentence ; le Congrès, fidèle à cette noble tradition, décréta que nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu'elle prescrit ; et, comme corollaire du même principe, que nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi.

Consécration du droit de propriété. Défense d'établir la peine de la confiscation des biens. Abolition de la mort civile

Le droit de propriété est inséparable de la liberté ; il forme le plus bel apanage, et il est comme la sanction de l'égalité. Sous le régime féodal, le seigneur était propriétaire originaire de tous les biens situés dans le ressort de sa souveraineté ; sous la monarchie (page 326) absolue, le roi, s'attribuant la prétention du seigneur féodal et personnifiant l'Etat, se déclarait le propriétaire suprême des biens de ses sujets. « Vous devez être bien persuadé, disait Louis XIV dans son instruction au Dauphin, que les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens qui sont possédés, aussi bien par les gens d'Église que par les séculiers, pour en user en tout comme de sages économes. » Le droit régalien de Louis XIV, revendiqué en faveur de l'État par quelques-uns des acteurs les plus célèbres de la première révolution française, ne prévalut pas dans la Convention nationale malgré les efforts de Robespierre : il fut remplacé par une théorie libérale et démocratique. On reconnut que l'État n'est pas le propriétaire suprême ; que le droit individuel est le seul vrai, le seul légitime, le seul rationnel. « L'État n'a sur la propriété que les droits attachés au commandement politique. Comme souverain, il a droit à l’impôt, comme administrateur suprême, il fait des lois pour régler dans un sens favorable à l'intérêt général l'usage des propriétés privées. Mais ces lois ne sont que des lois de protection et de garantie ; le législateur n'intervient pas comme maître de la chose ; il agit comme arbitre et régulateur pour le maintien du bon ordre et de la police. Delà cette conséquence, que la propriété privée est sacrée ; que le souverain lui-même doit la respecter ; qu'il ne peut déposséder un propriétaire que pour cause d'utilité publique et moyennant indemnité » (TROPLONG, De la propriété d'après le Code civil, chap. XX, XXI, XXV, XXVI.). Tels furent les principes conservateurs introduits dans l'empire français par le Code civil, conservés dans la loi fondamentale de 1815, et sanctionnés par le Congrès belge dans l'art. 11 de la Constitution.

(page 327) Entraîné par les sentiments les plus nobles, le Congrès défendit d'établir, dans le royaume, la peine de la confiscation des biens, peine immorale qui frappe l'innocent comme le coupable, en réduisant à l'indigence, non seulement le condamné, mais sa famille. Prenant, dans le même ordre d'idées, une initiative glorieuse, le Congrès abolit la mort civile, comminée par le Code civil français comme la conséquence immédiate d'une autre peine. L'attention publique avait été vivement attirée sur ce déplorable legs du passé par l'arrêt de la cour des pairs du 21 décembre 1830 qui, après avoir condamné le prince de Polignac à la prison perpétuelle sur le territoire continental du royaume de France, le déclarait mort civilement ! M. Beyts fit ressortir avec succès le caractère monstrueux d'un châtiment qui, suivant les expressions de l'illustre Rossi, frappait directement et essentiellement les non-coupables, qui attachait à une fiction les conséquences les plus déplorables, et par laquelle on décidait qu'avait cessé d'être père, fils, mari, parent, celui qui, en dépit de toutes les aberrations humaines, n'en restait pas moins père, époux, fils, parent, ayant comme tels des liens naturels, des devoirs et des droits qu'aucune puissance ne saurait détruire ni paralyser.

Séparation de l'Eglise et de l'État. Influence exercée en Belgique par le journal L'Avenir (Lamennais)

Le Congrès introduisit sur le continent une autre innovation : l’indépendance de l'Église et sa séparation complète de l’État. Quoique l'opposition belge eût familiarisé, dès 1828, les esprits avec ce grand principe, il donna pourtant lieu à des débuts très vifs lorsque le moment fut venu de l'inscrire dans le nouveau droit public de la nation.

Tous les libéraux ne pensaient pas de même ; il y avait des nuances dans ce parti, et elles se manifestaient principalement lorsqu'il s'agissait de l'Église. D'autre part, le parti catholique n'offrait pas non plus une homogénéité complète. Certes, on distinguait parmi les catholiques beaucoup d'hommes éclairés et sincères, mais il s'en trouvait aussi qui avaient (page 328) plus de peine à se détacher des anciennes traditions et à glorifier tout à coup ce qu'ils n’avaient cessé d anathématiser. Pour ramener et rassurer ces derniers, il fallut l'immense ascendant que M, l'abbé de Lamennais, alors à l'apogée de sa gloire, exerçait sur le monde catholique. Il venait de fonder, avec quelques disciples enthousiastes, un journal qu'il intitula l'Avenir, et qui était destiné à conserver en Belgique, à introduire en France, à propager partout, les idées nouvelles qui avaient rapproché dans les Pays-Bas des partis jusqu'alors profondément divisés. Fidèles à leur devise : Dieu et la liberté, les rédacteurs de l'Avenir, foulant aux pieds les doctrines gallicanes et tous les débris du despotisme, s'étaient proposé de démontrer que la religion catholique devait repousser l'appui de la force matérielle, étendre son influence par le libre choc des opinions, et en faire sortir enfin l'immuable vérité qui dompterait l'anarchie intellectuelle et morale à laquelle la société était livrée (Note de bas de page : Le premier numéro de l'Avenir parut le 16 octobre 1830. Les rédacteurs étaient : MM. F. de Lamennais, H. Lacordaire, P. Gerbet, Rohrbacher, prêtres ; C. de Coux, vicomte Ch. de Montalembert, A. Daguerre, Harel du Tancrel, A. Bartels, Waille. — Comme preuve du succès que les publications de M. de Lamennais et de ses disciples avaient eu Belgique, M. Bartels rappelle, dans ses Documents relatifs a la révolution belge, que le recueil des articles de l’Avenir était réimprimé à Louvain, sous la forme d'un recueil mensuel, pour quatre mille abonnés. - Pour les rassurer entièrement, M. de Robiano de Borsbeke annonça, dans une lettre publiée par les journaux le 26 novembre 1830, qu'il était autorisé a déclarer que M. l'abbé de Lamennais désavouait de la manière la plus formelle plusieurs opinions qu'on lui attribuait, comme d'incliner à la république pour la Belgique, on de lui souhaiter d'être réunie à la France.). L'influence exercée par l'Avenir sur les catholiques belges et sur les délibérations même du Congrès, est un fait incontestable. Il faut donc faire connaître plus amplement des doctrines qui trouvaient de nombreux défenseurs au sein de l'assemblée nationale de Belgique.

(page 329) Après avoir déclaré qu ils tenaient par le fond de leurs entrailles à l'unité, caractère essentiel de l'Église catholique, et qu ils abhorraient la plus légère apparence et l’ombre même du schisme, les rédacteurs de l'Avenir repoussaient avec dégoût les opinions qu'on appelle gallicanes, parce que, opposées à lu tradition, réprouvées par l’autorité la plus haute qui existe parmi les chrétiens, elles consacrent l'anarchie dans la société spirituelle et le despotisme dans lu société politique. Ils demandaient la liberté de conscience ou la liberté de religion, pleine, universelle, sans distinction comme sans privilège, et par conséquent, en faveur des catholiques, la totale séparation de l'Église et de l'État. « Naturellement, disaient-ils, la société religieuse et civile, l'Église et l'État sont inséparables ; ils doivent être unis comme l'âme et le corps : voilà l'ordre. Mais il peut arriver que, les croyances se divisant, il se forme dans le même État, en quelque manière, plusieurs sociétés spirituelles, et dès lors l'Etat, ne pouvant s'identifier avec l'une sans rompre avec les autres et les traiter en ennemies, il s'ensuit d abord que chacune d'elles tendant, pour ainsi dire, à se constituer extérieurement ou à faire dans l'Etat un autre État, la guerre de croyances ou d'opinions devient une guerre politique et civile permanente ; et, en second lieu, que chaque opinion ou chaque croyance prévalant tour à tour, elles finissent par être toutes opprimées successivement. La force remplaçant la discussion, au lieu de s'éclairer, on s'irrite ; les passions s’exaltent ; on ne s'écoute même plus : l'anarchie devient interminable. Le remède, l'unique remède, à un mal si grand, est de laisser cette guerre spirituelle se poursuivre et se terminer par des armes purement spirituelles... La vérité est toute-puissante. Ce qui retarde le plus son triomphe, c'est l'appui que lu force matérielle essaye de lui donner, c'est l'apparence même de la contrainte dans le domaine essentiellement libre de la conscience et de la raison, (page 330) c’est la violence brutale qui viole et profane le sanctuaire de l'âme où Dieu seul a le droit de pénétrer. Nul ne doit compte de sa foi au pouvoir humain, et la maxime contraire, directement opposée au catholicisme dont elle ruine la base, n'a jamais produit, toutes les fois qu'on l'a vue apparaître, que de sanglantes divisions, des calamités et des crimes sans nombre ; elle a évoqué des enfers les duc d'Albe et les Henri VIII... Nous croyons fermement que le développement des lumières modernes ramènera un jour non seulement la France, mais l'Europe entière à l'unité catholique, qui, plus tard et par un progrès successif, attirant à elle le reste du genre humain, le constituera, par une même foi, dans une même société spirituelle. Toutefois, nous devons le dire hautement, nulle liberté possible pour l'Église qu'à une condition, qui l'arrêtera peu sans doute, la suppression du salaire que l’État accorde annuellement au clergé. Quiconque est paye dépend de qui le paye. C’est ce qu'ont bien senti les catholiques d'Irlande, qui toujours ont repoussé cette servitude que le gouvernement anglais a plusieurs fois essayé de leur imposer. La Providence ne délaisse point ceux qui se confient en elle. Le zèle créera des ressources immenses. Plus le prêtre montrera de désintéressement, d'abnégation de soi-même, plus les offrandes de la charité viendront au-devant de ses besoins, et du premier de tous, celui de soulager les misères dont le secret est chaque jour déposé dans son sein. Ministres de celui qui naquit dans une crèche, et mourut sur une croix, remontez à votre origine ; retrempez-vous volontairement dans la pauvreté, dans la souffrance, et la parole du Dieu souffrant et pauvre reprendra sur vos lèvres son efficacité première. Sans aucun autre appui que cette divine parole, descendez, comme les douze pêcheurs, au milieu des peuples, et recommencez la conquête du monde. »

Les conséquences naturelles : de la séparation de I’Eglise et de (page 331) l’État étaient, pour les rédacteurs de l’Avenir : la libre communication avec Rome sans que les évêques rencontrassent un intermédiaire officiel entre eux et le pape ; l'indépendance absolue du clergé dans l'ordre spirituel, ce qui excluait l'influence que le gouvernement avait exercée jusqu'alors sur le choix des évêques ; la liberté d'enseignement, parce que, disait l'Avenir, elle est le droit naturel et, pour ainsi dire, la première liberté de la famille, parce qu il n'existe sans elle ni de liberté religieuse, ni de liberté d'opinions ; la liberté d'association, parce que partout où il existe soit des intérêts, soit des opinions, soit des croyances communes, il est dans la nature humaine de se rapprocher et de s'associer, parce que c'est là encore un droit naturel ; enfin, la liberté de la presse. « La presse, disait encore l'Avenir, ce n'est à nos yeux qu'une extension de la parole ; elle est, comme elle, un bienfait divin, un moyen puissant, universel, de communication entre les hommes et l'instrument le plus actif qui leur ait été donné pour hâter les progrès de l'intelligence générale. On peut en abuser sans doute ; qui ne le sait ? Mais on abuse aussi de la parole, et le premier de ces abus n'est pas, quoi qu'on en dise, plus a redouter que l'autre, et peut-être moins. Ayons foi dans la vérité, dans sa force éternelle, et nous réduirons de beaucoup et ces précautions soupçonneuses et ces vengeances contre la pensée, qui n'ont jamais étouffé une erreur, et qui souvent ont perdu le pouvoir en l'endormant dans une niaise confiance et dans une fausse sécurité. » Pour couronner ces réformes et pour féconder le terrain où toutes ces libertés doivent fructifier, l’Avenir demandait le développement et l’extension du principe d'élection ainsi que l'affranchissement des administrations provinciales et communales, au lieu du système de centralisation légué par l'empire

Par son langage si éloquent et ses tendances démocratiques, l'Avenir avait excité un véritable enthousiasme, surtout parmi (page 332) les jeunes prêtres ; mais quelques-unes de ses doctrines rencontraient aussi une forte résistance dans le sein même de son parti. La plupart des journaux catholiques, tant en France qu'en Belgique, combattirent énergiquement l’idée de restituer à l’État la dotation qu'il accordait au clergé depuis la suppression de la dîme et la vente des biens ecclésiastiques.

L'archevêque de Malines fait connaître au Congrès les vœux du clergé belge

Du reste, le Congrès belge ne tarda point à connaître les vœux du clergé national. Le 17 décembre 1830, il fut donné lecture d'une lettre, par laquelle l'archevêque de Malines engageait l'assemblée à garantir à la religion catholique cette pleine et entière liberté, qui seule pouvait assurer son repos et sa prospérité. Les divers projets de constitution qui avaient été publiés jusqu'à ce jour étaient loin, suivant M. le prince de Méan, d'avoir suffisamment assuré cette liberté. « L'expérience d'un demi-siècle a appris aux Belges, disait-il, qu il ne suffit point de leur donner en général l'assurance qu'ils pourront exercer librement leur culte ; car cette assurance leur était donnée dans l'ancienne constitution brabançonne, elle leur était donnée dans le concordat de 1801, elle était encore dans la loi fondamentale de 1815 ; et, cependant, que d'entraves leur culte n'eut-il pas à subir ! que de vexations n eut-il pas à essuyer sous les différents gouvernements qui s'étaient succédé pendant cet espace de temps ! » Le prélat avait la ferme confiance que le Congrès, composé de mandataires d'une nation éminemment religieuse, saurait empêcher à jamais le retour de ces maux ; au surplus, il ne réclamait pour les catholiques aucun privilège : une parfaite liberté avec toutes ses conséquences, tel était l'avantage que les catholiques voulaient partager avec tous leurs concitoyens. « Bien que, par ses deux arrêtés du 16 octobre 1830, le gouvernement provisoire, continuait M. le prince de Méan, ait affranchi le culte catholique de toutes les entraves mises à son exercice, et lui ait accordé cette liberté dans toute son étendue, il est cependant indispensable de la consacrer du nouveau (page 333) dans la Constitution, afin d'en assurer aux catholiques la paisible et perpétuelle jouissance. Les stipulations qui devraient y être consignées à cet effet me paraissent être les suivantes : D'abord, il est nécessaire d'y établir que l'exercice du culte catholique ne pourra jamais être empêché ni restreint. Faute de cette stipulation, on ferma, sous le gouvernement précédent, des églises et des chapelles, où l'exercice public du culte était nécessaire, et où certes il n'entraînait ni inconvénient ni danger pour la tranquillité publique. Si, à l'occasion ou au moyen du culte, des abus se commettent, les tribunaux doivent en poursuivre les auteurs ; mais il serait injuste d'interdire le culte même, puisque la peine rejaillirait toujours sur des innocents, et bien souvent n'atteindrait pas les coupables. Mais la condition essentielle et vitale, sans laquelle la liberté du culte catholique ne serait qu'illusoire, c'est qu'il soit parfaitement libre et indépendant dans son régime, et particulièrement dans la nomination et l'installation de ses ministres, ainsi que dans sa correspondance avec le saint-siège. Rien n'est plus juste ; car il est absurde de dire qu'une société quelconque est libre, si elle ne peut se régir à son gré, ni choisir et établir librement ceux qui doivent la diriger ; et quel plus dur esclavage peut-on imposer à un culte que de le contraindre à n'avoir pour chefs que des personnes agréables à ceux qui peuvent même être ses plus cruels ennemis ? C'est évidemment fournir à ceux-ci un moyen sûr de l'affaiblir et de le détruire, en écartant les capacités, ou en privant les fidèles de pasteurs pendant un long espace de temps, comme l'expérience ne l'a que trop prouvé... La religion a une connexion si intime et si nécessaire avec l'enseignement, qu'elle ne saurait être libre si l’enseignement ne l’est aussi. Le Congrès consacrera donc, je n'en doute pas, la liberté pleine et entière ; il écartera à cet effet toute mesure préventive, et il confiera aux tribunaux le soin de poursuivre (page 334) les délits des instituteurs ; mais, j'ose le prier de stipuler spécialement que les établissements consacrés à l'instruction et à l'éducation des jeunes gens, destinés au service des autels, seront placés exclusivement sous la direction et la surveillance des supérieurs ecclésiastiques. Cette disposition pourra d'abord paraître inutile, parce qu'elle n'est qu'une conséquence immédiate et nécessaire de la liberté du culte ; mais les catholiques ont été si injustement entravés, si cruellement vexés à ce sujet sous les gouvernements précédents, qu'ils ne sauraient se rassurer contre le retour de ces oppressions, si cette stipulation ne se trouve dans le nouveau pacte... Les obstacles que les gouvernements précédents ont mis au droit qu'ont les hommes de s'associer pour opérer le bien, et qui pesaient particulièrement sur les associations religieuses et de bienfaisance des catholiques, font généralement désirer à ceux-ci que la liberté de s'associer, déjà rétablie par le gouvernement provisoire, soit confirmée dans la Constitution, et qu'il soit assuré aux associations des facilités pour acquérir ce qui est nécessaire à leur existence. Enfin, les traitements ecclésiastiques sont un dernier objet que je prends la confiance de recommander à la sollicitude du Congrès. L'État ne s'est approprié les biens du clergé qu'à charge de pourvoir convenablement aux frais du culte et à l'entretien de ses ministres ; l'art. 1er de la loi française du 2 novembre 1789 l'atteste. Le saint-siège, de son coté, n'en a ratifié l'aliénation pour le bien de la paix, que sous la stipulation expresse que le gouvernement se chargerait d'accorder un traitement convenable aux ministres du culte, comme les art. 13 et 14 du concordat de 1801, ainsi que les bulles y relatives, en font foi. En assurant donc les traitements ecclésiastiques et les autres avantages dont l'Église a joui sous le gouvernement précédent, le Congrès fera un acte de justice et raffermira la paix publique. Afin de prévenir (page 335) d'injustes préférences et d'empêcher surtout que, du chef de ces traitements, aucun agent du pouvoir exécutif ne puisse gêner le libre exercice du culte en exerçant une influence illégale sur les opinions et la conduite des ecclésiastiques, ce dont il existe des exemples très récents, il faudrait que la répartition de ce secours fût fixée par la loi. » Il résulte de ce document très important que, sauf la dotation à laquelle il ne croyait pas pouvoir renoncer, l'archevêque de Malines réclamait, pour le clergé belge, l'indépendance absolue que l'Avenir demandait aussi, et qui se trouvait d'ailleurs en germe dans les manifestes de l'Union de 1829. L'archevêque espérait que le Congrès adopterait d'un commun accord les dispositions qu'il avait signalées, afin d'assurer aux catholiques le libre exercice de leur culte. « Vous remplirez ainsi tous les cœurs de joie, disait-il aux membres de l'assemblée nationale ; vous acquerrez des titres incontestables à l'éternelle reconnaissance de vos concitoyens, et vous aurez la satisfaction d'avoir rempli le principal mandat qu'ils vous ont confié, parce que vous aurez consolidé la liberté à laquelle ils attachent le plus de prix, celle de pouvoir pratiquer librement la religion de leurs ancêtres. » (Note de bas de page : Celte pièce pouvait être considérée comme le testament de M. le prince de Méan. Il mourut le 13 janvier 1831).

Proclamation de la liberté des cultes. Vifs débats sur la question de la séparation de la puissance civile et de l'autorité religieuse

Le comité de Constitution, nommé par le gouvernement provisoire, avait proposé la rédaction suivante : « La liberté des cultes et celle des opinions en toute matière sont garanties. L'exercice public d'aucun culte ne peut être empêché qu'en vertu d'une loi, et seulement dans les cas où il trouble l'ordre et la tranquillité publique. » La majorité de toutes les sections avait approuvé cette rédaction ; la minorité réclamait une liberté absolue pour l'exercice public des cultes. La section centrale s'était ralliée unanimement à l'avis de la majorité ; elle avait pensé (page 336) que l'être moral, le culte, devait être responsable, tout comme l'individu, de ses actes devant la loi, et que, dans les communes dont les habitants professent plusieurs religions, la nécessité de l'intervention de la loi ne pouvait être mise en doute. Toutefois, sur la proposition d'un membre, elle avait décidé qu'elle ajouterait une disposition destinée à prévenir l'intervention du pouvoir dans la nomination des ministres des cultes, ainsi que dans la correspondance des prêtres catholiques avec Rome. Cette disposition avait été arrêtée à la majorité de dix voix contre neuf. Les dissidences que révélait le rapport de la section centrale devaient naturellement se produire dans la discussion publique. Dès l'ouverture des débats (21 décembre 1830), M. Van Meenen proposa l'amendement suivant : « La liberté des cultes et celle de manifester ses opinions en toute matière sont garanties, sauf la répression des délits commis au moyen, à l'occasion, ou sous prétexte de l'usage de ces libertés. » M. de Gerlache se leva le premier pour appuyer cet amendement et combattre la mesure préventive contenue dans la rédaction de la section centrale. Il lui paraissait d'autant plus important d'amender cet article, qu'il était évidemment dirigé, disait-il, contre la religion de la majorité des Belges, contre le catholicisme. « Nous ne sommes qu'une nation de quatre millions d'hommes, ajouta-t-il, mais nous avons sous la main un moyen facile et infaillible de nous agrandir aux yeux de l'Europe et de la postérité : c'est de devancer les autres nations en fait de liberté ; c'est de montrer que nous l'entendons mieux que celles qui se vantent de l'emporter sur toutes les autres ; que cette France, par exemple, si grande, si glorieuse, et cependant si retardée encore en fait de véritable tolérance, qu’il semble que la liberté ne soit qu'une arme offensive dans les mains du plus fort. » M de Gerlache fut vivement soutenu par MM. de Sécus père, Pélichy, de Theux, l'abbé de Foere et l'abbé Van Crombrugge. Des libéraux de diverses (page 337) nuances se joignirent aux catholiques. « Je repousse, dit M Lebeau, l'article proposé par la section centrale dans l'intérêt non d'une religion de majorité, mais des religions de minorité. Le culte, comme être moral, ne peut être poursuivi non plus que la presse et l'enseignement ; la loi ne peut atteindre que des individualités, des faits spéciaux. » — « C'est surtout, dit M. de Muelenaere, en faveur de cette minorité de nos concitoyens qui ne professe pas la religion catholique, que nous devons repousser la disposition qui nous est présentée par la section centrale. A une époque où, dans un pays voisin, on nous accuse déjà d’être sous l'influence d'un parti, gardons-nous de donner des inquiétudes à cette minorité, et ne permettons pas qu'on puisse nous supposer des arrière-pensées. Hâtons-nous donc de tranquilliser toutes les consciences, et consacrons sans aucune restriction le principe éminemment conservateur de l'entière liberté des cultes. » M. de Robaulx soutint la même opinion dans le but de rendre plus complète la séparation des cultes et de la puissance civile. Il résultait, au surplus, des explications données par les orateurs qui se montraient partisans de la rédaction de la section centrale, que l'on était d'accord pour proclamer la tolérance la plus large, ainsi que pour assurer toute liberté à l'exercice des cultes ; sur ce dernier point, le dissentiment se restreignait à l'interprétation d'un principe accepté. La rédaction suivante, devenue l'art. 14 de la Constitution, fut enfin adoptée sans opposition : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toutes matières sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'exercice de ces libertés. »

(Note de bas de page) « Ce devoir de punir les infractions aux lois du pays n'a rien d'incompatible avec le principe de la liberté des cultes sainement entendu. Aussi longtemps que la législature se renferme dans le cercle de ses attributions constitutionnelles, ses prescriptions doivent être respectées par tous ceux qui foulent le sol national, quel que soit le caractère religieux ou autre dont ils se trouvent investis. » Constitution belge annotée, par M..THONISSEN (Hasselt, 1844), p. 49. — Des publicistes ont émis l'opinion, el parmi eux M. Thonissen, que l'on ne pourrait plus appliquer en Belgique l’article 201du Code pénal, ainsi conçu : « Les ministres des cultes qui prononceront, dans l'exercice de leur ministère et en assemblée publique, un discours contenant la critique ou censure du gouvernement, d'une loi, d'une ordonnance royale ou de tout autre acte de l'autorité publique, seront puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans. » Mais aujourd'hui il n'est plus possible de contester l'existence entière des mesures répressives des abus qui pourraient naître de l'usage de la liberté inscrite dans l'article 14 de la Constitution : la cour de Bruxelles, pur son arrêt du 14 juin 1845, a proclamé le maintien de l'art. 201 et suiv. du Code pénal. (Fin de la note).

Rejet d'un amendement proposé par M. Defacqz pour maintenir la prédominance de la puissance civile

(page 338) Pour compléter ces principes de tolérance, M. Defacqz proposa de décréter que nul ne pourrait être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte religieux. Il voulait, en un mot, que la tolérance, qui paraissait être dans les esprits, eût sa base dans la loi fondamentale ; son amendement avait pour but de garantir la liberté des cultes que le Congrès venait de proclamer. « Car la liberté, disait-il, ne consiste pas seulement à pouvoir faire ce qu'on veut, mais elle consiste surtout à pouvoir s'abstenir de ce qu'on ne veut pas faire. Pour que la liberté soit entière en matière de religion, il faut donc qu'on puisse non seulement professer librement son culte, mais encore rester étranger au culte d'autrui. » L'amendement de M. Defacqz fut adopté à l'unanimité ; et, sur la proposition de M. Seron, le Congrès décréta en outre que nul ne serait contraint à observer les jours de repos d'un culte religieux.

Dans la séance du 22 décembre, le congrès aborda l'examen de la disposition complémentaire proposée par la section centrale en ces termes : « Toute intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque est interdite. » Sept (page 339) amendements avaient été déposés, et ils tendaient tous à renforcer la séparation de la puissance civile et de la puissance ecclésiastique. Un huitième amendement, présenté par M. Defacqz, obtint la priorité ; bien différent des autres, il avait pour objet la suppression de l'article additionnel de la section centrale. « Il faut, dit M. Defacqz, que tous les cultes soient libres et indépendants, mais il faut aussi que la loi civile conserve toute sa force ; il faut plus, il faut que la puissance temporelle prime et absorbe en quelque sorte la puissance spirituelle, parce que la loi civile étant faite dans l'intérêt de tous, elle doit l'emporter sur ce qui n'est que de l'intérêt de quelques-uns. » Prenant pour exemple le mariage, l'orateur demande s'il faut laisser aux prêtres la faculté de donner la bénédiction nuptiale à tous ceux qui la réclameraient, avant que la loi civile n'ait cimenté leur union ; s'il faut ouvrir une source intarissable de désordres dans la société ? Pour justifier ses craintes, M. Defacqz rappela ce qui s'était passé à la chute de l'empire français Un arrêté du prince souverain des Pays-Bas, eu date du 21 octobre 1814, avait statué que tout catholique, qui voudrait contracter un mariage civil, devrait se pourvoir d'une déclaration du curé, portant qu'il n'existait aucun empêchement canonique. Cette concession ayant donné lieu de la part du clergé à des exigences intolérables, une ordonnance du 7 mars 1815 rapporta l'arrêté du 21 octobre 1814, et le remplaça par la disposition suivante : « L'art. 54 de la loi du 18 germinal an X sur l'organisation des cultes, ainsi que les art. 199 et 200 du Code pénal, et toutes autres dispositions qui exigent que le mariage devant l'officier de l'état civil soit préalable à la bénédiction nuptiale, sont abrogés ; néanmoins l'acte de mariage devant l'officier de l'état civil établira seul la légitimité des enfants, les droits entre les contractants comme époux et les autres effets civils. » Cet arrêté, qui avait pour but de concilier les prérogatives de la loi civile et les intérêts de (page 340) la religion, n arrêta point les abus ; dans plusieurs provinces, et notamment dans le Hainaut, de nombreux mariages furent contractés devant le curé sans recevoir la sanction de l'officier de l'état civil ; on entendit des prêtres exprimer l'opinion que le mariage civil était opposé aux dogmes de la religion catholique, et d'autres s'écrier publiquement que le mariage civil était une innovation diabolique ! Enfin les abus devinrent si criants que le gouvernement sentit la nécessité d'y mettre un terme ; un arrêté du 10 juin 1817 rétablit les dispositions du Code pénal mal à propos abrogées (Note de bas de page : Il n'est pas hors de propos de rappeler que sept années plus tard. en 1824, dans un mandement qui eut un grand retentissement, M. de Clermont-Tonnerre, cardinal-archevêque de Toulouse, demandait une modification au Code et formait le vœu de voir les registres de l'état civil remis dans les mains du clergé. Le ministère Villèle, bien qu'il ne cessât de favoriser les prétentions du parti sacerdotal, crut devoir déférer le mandement de l'archevêque de Toulouse au conseil d'État comme un cas d'abus ; et, après de vives discussions, le conseil ordonna la suppression de celle lettre pastorale. (Voy. Histoire de la Restauration, âr Capefigue, 4e partie, liv. III.)). M. Defacqz blâma l'arrêté du 16 octobre 1830, par lequel le gouvernement provisoire, en faisant disparaître toute entrave à l'exercice des cultes, avait aboli à son tour les dispositions conservatrices du Code pénal.

« Par suite de cet arrêté, poursuivit M. Defacqz, plusieurs prêtres ont cru pouvoir donner la bénédiction nuptiale avant que le mariage ne fut contracté devant l'officier de l'état civil. Qu'est-il arrivé ? C'est que, depuis cette époque, presque tous les couples qui, dans les campagnes, ignorent les avantages attachés à l'observation de la loi civile, se présentent à l'église, sans être passés par la municipalité... Voyez quel désordre va produire un pareil état de choses ! La femme ainsi mariée ne pourra jamais se parer devant la loi du titre de femme légitime ; (page 341) elle pourra voir son époux, son époux à qui elle se croyait unie pour jamais, former une seconde union, et tandis qu'elle sera considérée comme une vile concubine, ses enfants seront des bâtards aux yeux de la loi. De là, division, haine entre les enfants d'un même père ; ordre régulier de succession interverti, procès, troubles dans les familles, ébranlement des fortunes ; en un mot, atteinte portée à l'ordre public : et en remontant à la source du mal, on reconnaît qu'il dérive de ce que l'on a procédé, avant la solennité civile, à une cérémonie religieuse qui pouvait aussi bien s'accomplir après... » L'orateur montre ensuite les inconvénients qui peuvent résulter de l'abstention absolue du pouvoir temporel dans la nomination des ministres du culte, même de ceux rétribués par le trésor de l'État. « Sans doute, dit-il, je ne veux pas que le pouvoir civil nomme aux fonctions de l'Église, je ne veux pas même qu'il ait sur ces fonctions la moindre influence ; mais si je veux une parfaite indépendance pour le pouvoir spirituel, il faut, par nécessité, que le pouvoir temporel ait la sienne : alors les prêtres doivent renoncer à leurs traitements ; sans cela il pourrait arriver que le trésor salarierait les ennemis du gouvernement ; bien plus, il pourrait se voir obligé de salarier des individus étrangers au pays ; il est vrai que, dans ce cas, si le gouvernement avait la faiblesse de payer, il serait quelque chose de plus que bénévole... Dans quel dédale nous allons être jetés en adoptant l'article de la section centrale ! Songez-y bien, messieurs, nous attaquons l'ordre social dans sa base, nous jetons la division dans les familles ; en un mot, nous organisons le désordre. Retranchons-le donc ; n'enlevons pas au pouvoir civil une intervention qu'exige l'intérêt général, et gardons-nous de trancher d'un seul coup une foule de questions qui méritent un examen sérieux.»

Le premier adversaire que rencontra M. Defacqz fut M. de Robaulx ; celui-ci le combattit non dans l'intérêt exclusif de la (page 342) religion catholique, mais pour conserver les principes de l'union ; il valait mieux, suivant lui, supporter des abus que d'attenter à la liberté. M. de Gerlache monta ensuite à la tribune pour prendre hautement la défense des intérêts catholiques. Il commença par établir que l'article proposé par la section centrale était nécessaire. « C'est une chose fort triste à confesser, dit-il, mais c'est une vérité attestée par l'histoire, qu'il ne suffit pas de décréter législativement certains droits pour les faire respecter. Ne se souvient-on pas que cette assemblée constituante qui la première avait proclamé hautement et formellement la liberté religieuse la renversa bientôt en décrétant la constitution civile du clergé ? Comme s'il appartenait au pouvoir civil de constituer le clergé et de tracer la ligne qui le sépare des autres pouvoirs ! » M. de Gerlache rappela ensuite les .persécutions exercées contre le clergé catholique par le gouvernement des Pays-Bas, malgré les principes de tolérance inscrits dans la loi fondamentale. Venant enfin aux abus signalés par M. Defacqz, il ne pensait point qu'ils dussent faire fléchir le principe proclamé par le gouvernement provisoire. « Il faut que la liberté soit égale pour tout le monde, poursuivit-il. La puissance civile peut marier qui bon lui semble, par exemple, un homme lié par des vœux religieux, un prêtre, un capucin ! Il y a mieux : elle ne peut refuser de les marier. Eh bien ! nous demandons que le ministre du culte soit absolument placé dans la même position ; qu'il soit libre, enfin, d'obéir à ses lois comme le magistrat civil ! Mais les prêtres, a-t-on ajouté, sont payés par l'État, donc l'État a le droit d'intervenir. C'est une grande question que celle de savoir quelles sont les obligations que contracte le clergé en réclamant un traitement. Ce n'est pas ici le lieu d'agiter cette espèce de problème politique. Mais je n'hésite pas a le dire par anticipation, puisqu'on m'y invite, la question du traitement du clergé est, en d'autres termes, celle-ci : Importe-t-il à la (page 343) société qu'il y ait, ou non, une religion dans la société ?... » — « Si vous adoptez le principe de M. Defacqz, ajouta l'abbé de Foere, ne détruirez-vous pas d'une main ce que vous érigerez de l'autre ? Au surplus, les partis extrêmes ont été la perte de tous les États, de tous les gouvernements qui les ont adoptés. Si vous les sanctionnez aujourd'hui, vous rompez l'union, et vous déposez dans la Constitution même, qui ne doit renfermer que des bases d'institutions stables, vous y déposez le germe d'une nouvelle révolution. Les catholiques ne consentiront jamais à ce qu'aucun des principes essentiels de la religion soit sacrifié a des prétentions exclusives. »

M. Jottrand commença par déclarer qu'il croyait au progrès, à l'esprit de sagesse, à la tolérance du clergé. En 1813, il y avait en Belgique un parti, qui depuis s'est fondu dans toute la nation, mais qui alors réagissait contre l'oppression des lois françaises dont il avait eu particulièrement à se plaindre. La réaction était plus ou moins passionnée ; de là les abus dont M. Defacqz avait parlé, et qui provoquèrent l'arrêté de 1817. M. Jottrand exprima l'opinion que l’on aurait mieux fait peut-être d'attendre de la force des choses que les abus disparussent sans retour. Du reste, le pays était plus avancé qu'en 1815 ; tout le monde, croyait-il, était d'accord sur la véritable portée de la loi civile et sur l'autorité qu'elle possède seule de régler l'état des citoyens. Mais autant il était opposé au principe de la suprématie de l'État sur l'Eglise, dans un siècle ou l'on est obligé de les séparer totalement, autant il repoussait les moyens de transaction de la nature de ceux que venait de proposer M. l'abbé de Foere sur la question du mariage civil et du mariage religieux. Accorder aux ministres des différents cultes la faculté d'attacher au mariage religieux la force du mariage civil, ce serait empêcher tous les citoyens, qui ne professent aucune religion, de jamais obtenir pour leurs mariages la forme qui doit les rendre valides aux yeux de la loi.

(page 344) Un discours imprudent allait donner plus de vivacité à ce grave débat. Cédant à ses convictions, M. de Theux s'exprima en ces termes : « Les hommes qui ont proclamé au commencement de notre révolution le principe large de l'indépendance des cultes se sont montrés à la hauteur de leur siècle et ont prouvé qu'ils concevaient bien les changements qui se sont opérés depuis dans les relations du pouvoir civil et du pouvoir religieux. Il nous faut vivifier le principe que le gouvernement provisoire a posé. M. Defacqz a dit qu'en matière mixte, la loi civile doit avoir la prééminence sur la loi religieuse, parce que la loi civile est faite du consentement de tous. Cette maxime est pernicieuse, parce que la première difficulté est de décider ce qui est de nature mixte ; et qui le décidera ? Les inconvénients allégués par M. Defacqz, pour ce qui regarde le mariage, sont insignifiants en comparaison des inconvénients du système contraire. Au reste, en favorisant seulement le mariage civil, on tombe dans l'abus grave d'autoriser les alliances purement civiles qui sont scandaleuses... (Des murmures se font entendre.) On a allégué le concubinage aux yeux de la loi civile, qui résultera de la permission absolue de se marier devant l’Église. .Mais l’Église répondra en alléguant le divorce civil qui fera des bigames aux yeux de la religion ; le divorce dont les effets déplorables... » (Des murmures plus violents interrompent l'orateur.)

M. Forgeur monte à la tribune et, dans une improvisation chaleureuse, soutient avec énergie la suprématie nécessaire de la loi civile dans la question du mariage. « D'abord j'ai pensé, dit-il, que la liberté des cultes devait être entière, sans entraves, et que l'Etat ne devait pas s'immiscer dans les affaires de religion ; je le pense encore, mais je ne pense pas que cette règle soit si générale qu'elle ne souffre aucune exception, et s il est vrai que la loi civile fût froissée par la loi religieuse dans une circonstance donnée, j'aime mieux apporter quelque (page 345) restriction à la liberté religieuse, parce que je ne crois pas devoir mettre au-dessus des intérêts de tous ce qui n'est fait que dans l'intérêt de quelques-uns. Déclarer que toute intervention du magistrat ou de la loi, dans les affaires d'un culte, est interdite, c'est déclarer une chose qui peut être utile sous certains rapports, mais qui, certainement, a son caractère dangereux. Entend-on par là autoriser le mariage religieux avant le mariage civil ? Eh bien ! c'est renverser la puissance paternelle, porter la division dans le sein des familles, et livrer la société à une dissolution complète... »

M. l'abbé de Haerne ne fut pas moins énergique en soutenant une tout autre opinion. « On prétend, dit-il, que ce n'est pas entraver la liberté religieuse que de défendre le mariage religieux avant le mariage civil. Je répondrai d'abord que dans le cas où il existerait des empêchements civils qui n'existeraient pas aux yeux de l'Église, vous forceriez l'Eglise à reconnaître ou à respecter ces empêchements. La liberté est donc violée par ce seul fait. Il y a plus ; une fois que l'État a le droit de dominer la société religieuse en un point, il peut la dominer dans tous les points, il peut l'absorber, la détruire. Il faut la liberté pour tous et en tout. Si cet état ne plaisait pas au futur gouvernement, on ferait bien de nous en avertir. Alors la question changerait ; nous nous placerions sur un autre terrain pour défendre nos droits et nos libertés... » M. Nothomb fut l'organe du jeune libéralisme qui voulait introduire en Belgique la séparation complète de l'Eglise et de l'État, grande innovation qui exerçait déjà une si heureuse influence sur l'état social de la république des États-Unis de l'Amérique du Nord, où elle avait étendu l'empire de la religion en même temps qu'elle éloignait le clergé de la lutte des partis.

(Note de bas de page) « A mon arrivée aux États-Unis, ce fut l'aspect religieux du pays qui frappa d'abord mes regards. A mesure que je prolongeais mon séjour, j'apercevais les grandes conséquences politiques qui découlaient de ces faits nouveaux. J'avais vu parmi nous l'esprit de religion et l'esprit de liberté marcher presque toujours en sens contraire. Ici, je les retrouvais intimement unis l'un à l'autre : ils régnaient ensemble sur le même sol. Chaque jour, je sentais croître mon désir de connaître la cause de ce phénomène. Pour l'apprendre, j'interrogeai les fidèles de toutes les communions ; je recherchai surtout la société des prêtres qui conservent le dépôt des différentes croyances et qui ont un intérêt personnel à leur durée. La religion que je professe me rapprochait particulièrement du clergé catholique, et je ne tardai point à lier une sorte d'intimité avec plusieurs de ses membres. A chacun d'eux, j'exprimais mon étonnement et j'exposais mes doutes : je trouvai que tous ces hommes ne différaient entre eux que sur des détails ; mais tous attribuaient principalement à la complète séparation de l'Église et de l'État l’empire paisible que la religion exerce en leur pays. Je ne crains pas d'affirmer que, pendant mon séjour en Amérique, je n'ai pas rencontré un seul homme, prêtre ou laïque, qui ne soit tombé d'accord sur ce point. Ceci me conduisit à examiner plus attentivement que je ne l'avais fuit jusqu'alors la position que les prêtres américains occupent dans la société politique. Je reconnus avec surprise qu'ils ne remplissent aucun emploi public, Je n'en vis pas un seul dans l'administration, et je découvris qu'ils n'étaient pas même représentés au sein des assemblées. La loi, dans plusieurs Etals, leur avait fermé la carrière politique ; l'opinion, dans tous les autres. Lorsque, enfin, je vins à rechercher quel était l'esprit du clergé lui-même, j'aperçus que la plupart de ses membres semblaient s'éloigner volontairement du pouvoir, et mettre une sorte d'orgueil de profession a y rester étranger. Je les vis se séparer avec soin de tous les partis, et en fuir le contact avec toute l'ardeur de l'intérêt personnel... » (ALEXIS DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, t. III.) (Fin de la note)

« Partisan (page 346) de l'union qui a précédé notre révolution, dit M. Nothomb, je saisis avec empressement l'occasion de défendre ce fait qui a amené de si grands résultats, et qu il s'agit aujourd'hui de ratifier dans notre Constitution. Si l'article de la section centrale est rejeté, l'union aura été une tactique, et non un (page 347) principe, un piége et non un acte de bonne foi, une trêve passagère et non un progrès social »

L'orateur développe ensuite le principe que défendent les catholiques et cette fraction du parti libéral à laquelle il appartient. « Nous sommes arrivés, poursuit-il, à une de ces époques qui ne reviennent pas deux fois dans la vie des peuples ; sachons en profiter. Il dépend de nous d'exercer une glorieuse initiative et « de consacrer sans réserve un des plus grands principes de la civilisation moderne. Depuis des siècles, il y a deux pouvoirs aux prises entre eux, le pouvoir civil et le pouvoir religieux ; ils se disputent la société, comme si l'empire de l'un excluait celui de l'autre. L'histoire entière est dans ce conflit que nous sommes appelés à faire cesser, et qui provient de ce qu'on a voulu allier deux choses inconciliables. Il y a deux mondes en présence : le monde civil et le monde religieux ; ils coexistent sans se confondre ; ils ne se touchent par aucun point, et on s'est efforcé de les faire coïncider. La loi civile et la loi religieuse sont distinctes ; l'une ne domine pas l'autre ; chacune a son domaine, sa sphère d'action. M. Defacqz a franchement déclaré qu'il veut que la loi civile exerce la suprématie, il pose nettement le principe qui lui sert de point de départ. Nous adoptons un principe tout opposé : nous dénions toute suprématie à la loi civile, nous voulons qu'elle se déclare incompétente dans les affaires religieuses. Il n'y a pas plus de rapport entre l'Etat et la religion qu'entre l'État et la géométrie. Comme partisans de l'une ou de l'autre opinion religieuse, vous êtes hors des atteintes de la loi ; elle vous laisse l'existence absolue de la nature. MM. Defacqz et Forgeur ont cité des lois, des autorités qui appartiennent à un système que nous repoussons. C'est le régime de Louis XIV, le régime de Bonaparte. Ne relevons pas un système qui gît dans la poudre du passé. Voici donc un autre point de départ : séparation absolue des deux (page 348) pouvoirs. Ce système est une innovation. Nous l'avouons. Il exige une indépendance réciproque ; l'article de la section centrale n'exprime pas cette réciprocité, et c'est en ce sens que je demanderai une rédaction plus complète. Maintenant que le principe est connu, j'en énoncerai les principales conséquences. Celle qui se produit immédiatement est la suivante : plus de concordat. Deux pouvoirs qui n'ont rien de commun ne peuvent négocier entre eux. La deuxième conséquence est la non-intervention du gouvernement dans la nomination des chefs religieux, à quelque degré de l'ordre hiérarchique qu'ils appartiennent. Le chef de l'État doit s'abstenir d'intervenir dans le choix des évêques, comme le pape s'abstient d'intervenir dans le choix de nos gouverneurs de provinces. La troisième conséquence est que, pour tout genre de correspondance, de publication, le clergé reste dans le droit commun ; les prêtres écriront à leurs chefs supérieurs, même résidant en pays étrangers, ils publieront leurs actes sans les soumettre à un placet. Si ces écrits rendus publics renferment quelque chose de séditieux, les lois pénales ordinaires les atteindront comme tout autre écrit. On ne s'est pas occupé de ces trois premières conséquences ; une opinion seule agite cette assemblée ; elle est relative au mariage. M. Forgeur vous dit qu'il ne faut pas abandonner à la discrétion des particuliers un acte aussi important que celui du mariage, qu'il faut mettre la puissance paternelle à l'abri de ses propres écarts, qu'il faut prendre des précautions contre l'ignorance des classes inférieures. Hier, vous avez établi que l'exercice des cultes sera libre, sauf la répression des délits. Aujourd'hui on vous demande de consacrer le système préventif dans certains cas. Serez-vous inconséquents à ce point ? Toutes les raisons alléguées par M. Forgeur s'appliquent avec autant de force à la liberté de la presse, à la liberté d'enseignement, au droit d'association. Pour vous mettre à l'abri des écarts des (page 349) classes inférieures, qu'on dit si ignorantes, il faut aussi proscrire ou restreindre toutes ces libertés. On vous a fait le tableau des abus que l'arrêté du gouvernement provisoire, en date du 16 octobre, a occasionnés... Dans le passage d'un ordre de choses à un autre, des abus sont inévitables ; mais l'opinion publique s'éclairera promptement. Le principe n'est pas hors de la portée du vulgaire dans son application au mariage : le mariage religieux ne produit pas d'effet civil, il ne règle ni la filiation ni les droits de succession. Ces idées sont populaires même dans nos campagnes... Je terminerai en répétant qu’il nous est donné de prendre une honorable initiative Quel que soit le sort que l'avenir nous réserve, si nous ne sommes destinés qu'à passer, marquons notre passage par un grand principe, proclamons la séparation des deux pouvoirs, et donnons un exemple qui ne sera pas sans influence sur la civilisation européenne et sur la législation des autres peuples. » D'autres membres du parti libéral, tout en se montrant également partisans de l'indépendance complète de l'Église, croyaient cependant qu'il était indispensable d'établir une restriction relative au mariage. M. Beyts fit observer que cette restriction était si peu contraire à la vraie liberté religieuse, que le pape Pie VII, dans le concordat de 1801, avait consenti à ce que les prêtres ne pussent donner la bénédiction nuptiale qu'après que les parties auraient prouvé qu'elles s'étaient conformées à la loi civile.

Dans la séance du 23 décembre, M. Ch. de Brouckere démontra que l'exercice de toutes les libertés pouvait et devait être limité dans l'intérêt de la société. « L'union, telle qu'elle s'est formée en 1828, n'est plus indispensable, dit-il ; cependant nous voulons tous la liberté : mais est-ce une liberté sans limites ? Elle n'est pas possible ; il faut que chacun consente à voir ses libertés restreintes, car la charte fondamentale doit être fondée (page 350) sur des sacrifices réciproques ; elle ne doit pas être une charte hypocrite et mensongère ; toutes les libertés doivent être garanties : la liberté individuelle, parce que le premier besoin de l'homme est de pouvoir agir à son gré dans tout ce qui lui est personnel ; la liberté d'enseignement, parce qu'elle tient à la liberté de conscience, au bien des familles, à l'autorité paternelle ; la liberté de la presse qui garantit les deux autres. Mais toutes ces libertés admettent des restrictions ; la liberté religieuse est aussi le premier besoin de l'homme, mais il faut qu'elle soit restreinte comme les autres pour le maintien de la société, qui doit veiller à sa conservation aussi bien que l'homme doit veiller à la sienne. »

Quatre ecclésiastiques prirent successivement la parole pour combattre tant cette limitation que la suprématie préconisée par M. Defacqz. M. l'abbé Verbeke conjure l'assemblée de rester fidèle à la devise de l'union : « Liberté pour tous et en tout. » M. l'abbé Verduyn déclare que, en venant siéger au Congrès, il avait cru que l'état d'ilotisme politique auquel la domination hollandaise s'était efforcée de réduire le clergé avait cessé pour jamais. « Si les auteurs de la funeste dissension qui peut-être a éclaté parmi nous, nous ont franchement expliqué leur pensée, ajoute-t-il. s'ils ne nous ont pas caché le sort qu'ils appelaient sur nous, en demandant que nous fussions exclus de la loi commune et refoulés dans le régime des préventions ; d'un autre côté, la réponse a été franche et loyale, et nous espérons, pour l'honneur du nom belge, qu'elle triomphera, dans cette assemblée patriotique... La liberté nous est plus chère que la vie ; jamais nous ne consentirons qu'on nous l'arrache une seconde fois... jamais nous ne nous croirons vaincus aussi longtemps que nous sentirons battre notre cœur au nom de Dieu et de la liberté ; aucun sacrifice ne nous coûtera jamais pour conquérir notre indépendance, parce que nous savons que l'estime (page 351) est à ce prix, et que nous ne pouvons rien pour le bonheur des hommes si nous ne possédons leur estime. » — « Nous voulons la séparation entière de l'Église et de l'Etat, dit l'abbé Joseph Desmet, nous voulons la liberté religieuse d'une manière réelle, afin que dans notre Belgique aussi, la Constitution soit une vérité ; c'est pour cette liberté, la plus sacrée de toutes, que nous avons combattu ; ce sera au Congrès à décider si on veut encore l'ajourner et s'exposer aux conséquences terribles que cet ajournement doit entraîner. » M. l'abbé Boucqueau de Villeraie fit ressortir la discrétion avec laquelle l'épiscopat avait usé de l'arrêté du 16 octobre 1830, pris spontanément par le gouvernement provisoire. « Les chefs catholiques, dit-il, ont regardé cet arrêté comme un hommage éclatant que le gouvernement provisoire de la Belgique rendait au principe de la liberté et de l'indépendance du culte, et connue un gage assuré de la marche franchement libérale que le gouvernement se proposait de suivre dans cette matière importante ; mais en même temps les évêques se sont concertés pour régler la ligne de conduite qu'ils suivraient uniformément dans tous les diocèses, et, après les plus mûres délibérations, ils ont résolu unanimement de maintenir vis-à-vis de leurs inférieurs, comme règle ordinaire, la marche suivie jusqu'à présent, c'est-à-dire que le contrat civil continuerait à précéder la bénédiction nuptiale, et que la marche contraire ne serait que l'exception à la règle ordinaire. »

L'amendement de M. Defacqz, ayant été mis aux voix, fut rejeté par cent onze membres et soutenu par cinquante-neuf. (Note du webmaster : Une note de bas de page reprend la liste nominative des votes émis. On renvoie à cet égard à la partie consacrée aux textes intégral des séances du Congrès national). (page 352) Des applaudissements accueillirent ce résultat. Pour la première fois, depuis la réunion du Congrès, on constatait une grave (page 353) dissidence entre les catholiques et une certaine fraction du libéralisme.