(Paru en 1850 à Bruxelles, chez Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850. 2 tomes (premier tome : Livres I et II ; second tome : Livre III))
(page 114) On se préparait à la guerre. Mais pour faire la guerre, il faut non seulement des soldats, il faut aussi des généraux. Les soldats les plus braves sont comme frappés d'impuissance s'ils n'ont pas confiance dans leurs chefs. Or, des soupçons graves avaient plané sur plusieurs officiers généraux qui s'étaient distingués dans les premiers combats de la révolution ; d'un autre côté, par suite du système d'exclusion que le gouvernement hollandais avait fait prévaloir, il était devenu impossible d'organiser convenablement les armes spéciales. Le cadre des officiers du génie était complet, mais on manquait d'officiers d'artillerie, parce (page 115) que, sous le gouvernement précédent, les Hollandais seuls étaient admis à l'École militaire de Breda ; sur cent Belges qui se présentaient pour entrer dans cette institution, à peine en recevait-on trois ou quatre. Voulant combler la lacune qui se faisait sentir dans les rangs supérieurs de l'armée, M. Nothomb, conjointement avec dix-neuf de ses collègues, avait déposé une proposition tendant à l'admission au service belge d'officiers supérieurs étrangers jusqu'à la paix. Le but de ce décret était non de forcer le gouvernement à prendre un général en chef étranger, mais seulement de l'autoriser à choisir une ou plusieurs illustrations militaires, si l'intérêt du pays le commandait. M. Van de Weyer rappela que la révolution belge de 1790 avait été trahie par un général étranger, le Prussien Schœnfeld ; il soutint ensuite que le projet était inconstitutionnel, c'est-à-dire en opposition avec l'art. 6 de la Constitution, qui ne peut s'appliquer qu'à des cas individuels. D'autres membres soutinrent, au contraire, que, par les mots cas particuliers employés dans la Constitution, il ne faut pas entendre des cas individuels, mais bien des circonstances particulières. « Ne nous montrons pas si difficiles, dit M. Lebeau ; sachons nous plier aux circonstances. Eh ! messieurs, lorsque les Américains combattaient pour leur liberté, ont-ils repoussé de leurs rangs l'illustre la Fayette ? Ont-ils repoussé les Rochambeau, les Ségur et tant d'autres noms illustres ? Lorsque Byron, lorsque Fabvier se sont présentés aux Grecs, le sénat de la Grèce, par une susceptibilité nationale ridicule, a-t- il refusé le secours de leurs bras ? Messieurs, tous les amis de la liberté sont nos frères. Accueillons-les quand ils viennent verser leur sang pour la plus noble des causes. » « — Du sein de la guerre, répondit M. Van de Weyer, surgiront des talents : les grandes gloires de l'empire français sortirent des derniers rangs de l'armée. La Belgique n'est pas stérile en valeur, en capacité et en courage. L'amour de l’indépendance et de la (page 116) patrie donnera une noble émulation à tous nos braves... Dans notre armée, telle quelle est composée actuellement, nous avons pu distinguer des chefs habiles et dignes en tout de se mettre à la hauteur de la cause que nous défendons ; de même que, dans cette assemblée, des talents nouveaux et jusqu'ici inconnus ont trouvé l'occasion de briller. Laissons aux hasards de la guerre le soin de nous désigner ceux qui seront dignes de conduire nos phalanges à la victoire. »
Plusieurs députés, même parmi les plus influents, partageaient les doutes de M. Van de Weyer sur la constitutionnalité du décret. Aussi la section centrale jugea-t-elle nécessaire de le modifier : pour rester dans les termes de la Constitution, elle fixa le nombre et détermina l'emploi des officiers étrangers à appeler dans l'armée belge. Le gouvernement devait être autorisé à employer jusqu'à la paix les officiers étrangers dont la désignation suit : 1°un général en chef et trois officiers supérieurs ; 2° dans l'artillerie : un colonel, trois chefs de bataillon, douze capitaines et vingt lieutenants et sous-lieutenants. Ces officiers pourraient, à la paix, demeurer au service de la Belgique, s'ils obtenaient, à raison de leurs services, des lettres de naturalisation. L'article 124 de la Constitution était rendu applicable aux étrangers qui tenaient du gouvernement provisoire les grades qu'ils occupaient dans l'armée ; ils étaient maintenus et admissibles à des grades supérieurs de la même manière que les Belges.
Après des débats très vifs et parfois orageux, ce décret fut adopté, le 11 avril, par quatre-vingts voix contre quarante-deux. Les promoteurs de ce décret et le ministère lui-même avaient pensé au lieutenant général Lamarque pour lui conférer le commandement en chef de l'armée belge ; niais un scrupule très vif arrêta bientôt le gouvernement et le fit renoncer à ce projet. Il se souvint que le lieutenant général Lamarque s'était montré plutôt partisan de la réunion de la Belgique à la France que de l'indépendance (page 117) absolue de nos provinces. En résumé, le gouvernement ne put pas faire usage (et nous dirons plus tard pourquoi) de l'autorisation qui lui avait été accordée par le Congrès.
On se souvient que quelques membres de l'assemblée avaient déposé une proposition qui devait se convertir en déclaration de guerre contre le roi de Hollande. Dans la séance du 12, le Congrès écarta cette proposition, parce qu'elle empiétait sur les prérogatives du pouvoir exécutif. Il écarta pareillement, et pour les mêmes motifs, le projet de décret relatif aux poursuites judiciaires à exercer contre les auteurs ou instigateurs des scènes de pillage et de dévastation. Il restait une troisième proposition par laquelle on réclamait des mesures répressives pour assurer l'exécution du décret relatif à l'exclusion de la maison de Nassau. Le Congrès arrêta qu'une commission serait chargée de rédiger un projet de décret sur la presse et sur le rétablissement du jury, avec des modifications telles que ce décret ne pourrait froisser les libertés constitutionnelles.
Le Congrès aborde enfin la proposition la plus importante, celle qui réclamait sa dissolution et la convocation des chambres. Une contre-proposition ayant été déposée par M. Nothomb, la discussion est ouverte sur cette question générale : Le Congrès doit-il se dissoudre ?
M. l'abbé de Haerne, prenant le premier la parole, n'a pas de peine à démontrer que le Congrès n'a pas rempli complètement sa mission, puisque son œuvre doit être couronnée par le choix du chef de l'État. Il démontre ensuite combien il serait dangereux et ridicule de convoquer les chambres, de leur confier le pouvoir législatif, tout en réservant au Congrès le pouvoir constituant. Cet arrangement ferait échouer immanquablement les meilleures combinaisons. M. Isidore Fallon soutient que le Congrès a épuisé son mandat. « Ce mandat, dit-il, est dans l'arrêté du 4 octobre 1830. Le Congrès n'en a pas reçu d'autre, et ce (page 118) mandat ne dit pas un mot de l'élection du chef de l'État. Il est tout à fait spécial, et le Congrès, tel que les élections populaires l'ont composé sous la foi de cet arrêté, n'a reçu d'autre pouvoir que de former la Constitution de l'État et de la rendre exécutoire. Ainsi l'élection du chef de l'État ne pouvait lui appartenir que comme accessoire de son mandat ; que pour autant qu'il fût possible d'y procéder avant l'achèvement complet et la mise a exécution de la Constitution, qui était l'objet principal et unique de sa mission. Aujourd'hui, ce mandat est accompli, puisque la Constitution peut être mise à exécution dans toutes ses parties, et même en ce qui concerne l'élection du chef de l'État... Dans un pareil état de choses, prenons garde, en réservant plus longtemps au Congrès cet acte important à la consolidation de notre indépendance et à l'affermissement de nos institutions, qu'on puisse un jour l'attaquer d'inconstitutionnalité ou d'usurpation de pouvoir... » M. Devaux fait remarquer que si, dans l'arrête du 4 octobre, il n'est pas question du choix du chef de l'État, c'est parce que, à cette époque, on ne savait pas quelle serait la forme de gouvernement qui serait adoptée par la Belgique, et qu'il n'appartenait pas au gouvernement provisoire de décider si le pays se constituerait en république ou en monarchie. Il signale ensuite les obstacles qui s'opposent à des élections générales, dans l'état où se trouve le pays. Lorsque le Luxembourg est menacé, dit-il, et lorsque Maestricht est encore au pouvoir des Hollandais, les chambres, quand même on parviendrait à procéder aux élections, les chambres répondraient-elles aujourd'hui aux besoins du pays ? M. Devaux signale encore les difficultés qu'il y aurait à donner au gouvernement l'activité et l'unité nécessaires en temps de révolution, si le pouvoir législatif du Congrès était fractionné en deux corps, dont les nuances d'opinions devaient nécessairement être différentes, puisqu'ils se composeraient d'éléments (page 119) divers, et que cette différence même était le but de l'institution des deux chambres. Il ajouta qu'on oubliait une chose très importante, c'est que la révolution n'était pas encore close ; que la Constitution avait été faite, non pas pour régir la révolution, mais pour régir le pays quand il serait définitivement constitué : en mettant en vigueur une partie de la Constitution, le Congrès avait fait à cet égard tout ce qu'il pouvait faire. Dans un moment où le gouvernement, dit-il encore, s'efforce de hâter la solution définitive du sort du pays, conférer le soin de cette solution à des chambres nouvelles dont, au dehors surtout, les dispositions pourraient paraître incertaines tant que leur réunion n'avait pas eu lieu, ce serait entraver toute espèce de négociation et prolonger considérablement le provisoire dont on veut sortir.
Des députés, cédant à la lassitude, se plaignaient de la longueur d'une session qui durait depuis cinq mois ; on leur opposa la persévérance du congrès américain et des assemblées françaises. M. Hélias d'Huddeghem rappela que le congrès des États-Unis d'Amérique avait duré deux ans ; réuni à Philadelphie au mois de septembre 1774, il n'avait mis la dernière main à l'acte de confédération que le 4 juillet 1776. M. Nothomb signala la durée et l’immensité des travaux des assemblées de la révolution française. La Constituante avait siégé vingt-huit mois et avait rendu plus de deux mille décrets ; la Législative avait siégé onze mois et demi et avait rendu plus de quinze cents décrets ; la Convention avait siégé trente-sept mois et promulgué douze mille décrets. « Nous ne sommes pas dans des circonstances moins graves, ajouta l'orateur ; les cabinets se sont aussi coalisés contre nous, et les protocoles de Londres valent bien le manifeste de Brunswick... Nos concitoyens nous ont investis de la plénitude des pouvoirs sociaux ; ils nous ont revêtus de la puissance constituante, ils nous ont dit de fonder la (page 120) nationalité de la Belgique ; ils nous ont, en un mot, confié la révolution tout entière de septembre. Reportez vos regards sur la carrière que nous avons parcourue, voyez les événements qui se préparent, qui nous pressent et nous menacent ; et dites si, au point où en sont les choses, notre mission est accomplie ? La révolution est-elle close, alors que de toute part on se demande avec anxiété : Comment finirons-nous la révolution ? La nationalité de la Belgique est-elle fondée, alors qu'on nous conteste un tiers de notre territoire, un tiers de nos concitoyens, un tiers de la patrie ?... Il arrive quelquefois que la lassitude vient affaiblir les ressorts des âmes les plus puissantes et les plus actives, que de sinistres pressentiments viennent détruire les plus belles illusions de la vie... Gardons-nous de céder a cette lassitude, à ces pressentiments. Restons ; remplissons notre mission Ce n'est pas la veille du combat qu'il faut choisir pour déserter le poste. Réservons-nous de prononcer notre dissolution le lendemain du jour où la nouvelle sainte-alliance aura prononcé la sienne. » M. Ch. Rogier combat aussi, avec entraînement, ceux qui voudraient déserter le poste d’honneur où les a placés la confiance de la nation « Une révolution comme la nôtre, dit-il, une révolution terrible qui, rejetant loin d'elle peuple et roi qui nous opprimaient, a rompu tous les traités, mis en émoi tous les cabinets, remis en question toute la politique européenne, une révolution pareille ne peut être l'ouvrage d'un jour. Ayons donc patience, courage, espoir. Si l'enfantement a été pénible, douloureux, ne voyez-vous pas dans l'avenir l'œuvre grandir, se fortifier, devenir votre orgueil et votre gloire ? Les événements se pressent d'ailleurs avec tant de rapidité, et, disons-le, messieurs, avec tant de bonheur, que la révolution pourra être close à une époque rapprochée ; mais agissons comme si sa fin n'était pas prochaine : sachons montrer, avec une confiante résignation (page 121) devant les faits accomplis, une nouvelle persistance dans l'accomplissement de nos devoirs. »
L'assemblée, chargée des destinées de la Belgique, refusa de décréter son suicide, le suicide de l'indépendance et de la nationalité du pays ; elle refusa de livrer la révolution aux attaques et aux entreprises des partis démagogique et orangiste. En effet, les orangistes ne cachaient pas que, au moyen des élections générales, ils avaient l'espoir de voir triompher leurs espérances et d'accomplir une restauration. Un ex-membre du Congrès avait énoncé formellement cette opinion dans un journal d'Anvers, et cette feuille ajoutait comme commentaire : « L'espérance des hommes de bien et des véritables patriotes est dans l'anéantissement des résultats de la révolution. »
Le Congrès décida d'abord, à l'unanimité moins cinq voix, qu'il ne fixerait pas dès ce jour l'époque de sa dissolution. Il adopta ensuite la résolution suivante : « Le Congrès se séparera immédiatement après avoir délibéré sur les projets à l'ordre du jour ; sauf le cas d'urgence qui pourrait survenir, le Congrès s'ajournera indéfiniment jusqu'a la convocation que pourra faire son président ou le régent. »
Il restait encore à statuer d'une manière plus précise sur la proposition de M. Nothomb relative à l'étendue de la mission de l'assemblée constituante et aux nouvelles élections. Le Congrès décréta que, à partir du 16 avril, la session serait prorogée sans ajournement fixe ; que le président actuel de l'assemblée aurait le droit de convoquer le Congrès ; que, à chaque place de député qui deviendrait vacante, il serait pourvu par un titulaire et un suppléant ; que les élections auraient lieu conformément aux arrêtés des 10, 12 et 16 octobre 1830 ; qu'elles se feraient aux jours indiqués par le gouvernement et dans le plus bref délai, d'après les listes qui avaient été arrêtées pour l'élection du Congrès ; enfin que la réunion des électeurs pour la nomination des (page 122) membres de la chambre des représentants et du sénat aurait lieu à une époque à déterminer ultérieurement par le Congrès.
L'assemblée, ayant épuisé son ordre du jour dans cette séance même (14 avril) par l'adoption des mesures les plus urgentes pour l'administration de l'État, anticipa sur le congé. Cependant des interpellations, qui résumaient la situation, furent adressées préalablement au ministère. On le questionna sur les préparatifs de défense du Luxembourg et sur l'état des relations extérieures.
Le ministre de la guerre déclara que les troupes qui devaient se rendre dans le Luxembourg étaient en marche ; que le gouvernement avait pris des mesures pour la défense du grand-duché ; que cette défense serait forte et telle qu'elle devait être. De son côté, M. Lebeau fit connaître qu'il n'avait encore reçu aucune réponse officielle aux dépêches qu'il avait expédiées pour avoir des renseignements positifs sur les décisions de la conférence de Londres ; qu'il avait mandé au comte d'Arschot que s'il n'était promptement reçu officiellement, il eût à revenir. Il ajouta qu'il était informé de bonne source que le cabinet français interposait une médiation très active, très amicale, dans tout ce qui concernait la Belgique près de la conférence de Londres. « Nous possédons, dit-il, la protection puissante de la France, et si elle a donné son adhésion aux protocoles, elle ne l'a fait que pour se ménager des négociations ultérieures, qui détruiront les bruits sinistres qui avaient été répandus. Soyez convaincus, comme je le suis moi-même, que tout espoir n'est pas perdu pour l'entière garantie de nos droits, de notre indépendance ; la France n'a pas souscrit sans esprit de retour ; appuyons-nous avec confiance sur cette nation grande et généreuse ; évitons tout ce qui pourrait nous séparer d'elle ; la sympathie de la nation et de son gouvernement nous est irrévocablement acquise, sachons-leur une vive reconnaissance, et témoignons-la par une semblable affection. » Ces paroles inattendues produisirent une certaine (page 123) agitation dans l'assemblée. Elle augmenta lorsque le ministre fit allusion à la violente accusation lancée, dans la séance du 7 avril, par M. de Robaulx, contre le roi Louis-Philippe. Cette sortie avait donné lieu à une énergique protestation de l'organe le plus accrédité du ministère français et à des plaintes venues de haut lieu (Note de bas de page : Voici comment s'exprimait, dans son numéro du 12 avril 1831, le Journal des Débats : «... Dans le discours de M. de Robaulx, il y a quelques insultes contre le roi des Français. Nous ne voulons pas y répondre. Nous rappellerons seulement à M. Lebeau, ministre des affaires étrangères de Belgique, que c'était a lui de relever ces insultes et de venger la dignité du roi, qui a fait qu'il y a dans le monde un régent, des ministres, une tribune, un gouvernement enfin à Bruxelles. Quelques paroles de respect en échange d'une patrie, était-ce trop cher ? Son silence est une ingratitude : c'est de plus une faute politique, car, qui soutiendra la Belgique si ce n'est nous ? Si M. Lebeau connaît en Belgique un autre patronage que le nôtre qu'il puisse donner à son pays, nous consentons à ne plus regarder son ingratitude que comme de l'habileté ; sinon que sera-ce ? »). M. Lebeau déclara, au nom du ministère belge, qu'il n'avait jamais entendu s'associer à la sortie en question, ni en partager les principes. M. du Robaulx ayant demandé pourquoi le ministère usait si tardivement du droit de réfutation, M. Lebeau avoua qu'il avait cédé peut-être un peu trop au premier mouvement que lui causa l'adhésion inattendue de la France au protocole du 20 janvier. « N'oublions pas cependant, ajouta-t-il, que nous avons besoin de l'amitié de la France. N'allons donc pas nous aliéner son gouvernement et méconnaître les usages parlementaires. »
Ce n'était pas sans hésitation que le gouvernement français avait donné son adhésion à l'acte de la conférence qui déterminait les limites de la Hollande et de la Belgique. Le prince de Talleyrand avait reçu l'ordre de communiquer aux plénipotentiaires réunis à Londres des observations sur le protocole du 19 février. (page 124) Tout en reconnaissant que le grand-duché de Luxembourg, sous la souveraineté de la maison de Nassau, devait rester compris dans la Confédération germanique, le gouvernement français voulait en distraire le duché de Bouillon pour le donner à la Belgique ; en outre, il ne trouvait pas assez équitables les bases arrêtées pour la répartition de la dette entre les deux parties de l’ancien royaume des Pays-Bas ; enfin, il protestait contre tout principe qui consacrerait un droit d'intervention armée dans les affaires intérieures des différents Etats de l'Europe. Dans leur réunion du 17 mars, les plénipotentiaires d'Autriche, de la Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie, répondirent que les réserves faites par le gouvernement français relativement au duché de Bouillon, étaient en dehors de la question principale de la séparation de la Hollande d'avec la Belgique, et avaient rapport tout au plus à des détails d'exécution ; en ce qui concernait la dette, ils objectèrent que l'arrangement critiqué par le gouvernement français n'était qu'une proposition faite pour être discutée entre les parties intéressées ; enfin, ils déclarèrent que la conférence n'avait admis dans ses protocoles l'emploi de la force que pour faire cesser les hostilités et pouvoir en empêcher la reprise, ajoutant que le gouvernement français s'était offert a concourir par ses forces navales à l'accomplissement de cet objet. Les plénipotentiaires déclarèrent aussi que les cours dont ils étaient les représentants croiraient sans doute manquer à leur devoir et compromettre leur dignité, ainsi que l'intérêt général de l'Europe, si elles ne s'opposaient de toutes leurs forces à tout empiétement de la part de la Belgique sur le territoire hollandais. Ils étaient également convaincus que si la Belgique tentait une invasion en Hollande, ou des conquêtes sur elle, le gouvernement français jugerait comme eux que, dans un tel état de choses, les cinq puissances seraient appelées à donner à la Hollande toute l'assistance nécessaire pour maintenir son indépendance (page 125) et défendre l'intégrité de son territoire. Du reste, aucun des protocoles de la conférence ne donnait lieu, d'après eux, à l'application d'une intervention armée dans les affaires intérieures de la Belgique, pas même dans le cas d'une guerre civile ; cas que le gouvernement français semblait cependant envisager, ajoutaient-ils, comme une circonstance qui l'autoriserait à une intervention armée de sa part dans les affaires intérieures de ce pays. Ils rappelaient enfin que le gouvernement français avait également manifesté le dessein d'exercer cette intervention dans le cas de l'élection du duc de. Leuchtenberg.
Après avoir pris connaissance de cette réponse, M. le comte Sébastiani annonça verbalement, le 4 avril, à M. Lehon, que le gouvernement français venait d'adhérer au protocole de la conférence de Londres, en date du 20 janvier 1831, concernant les limites projetées pour le nouvel État belge. Par des notes du 11 et du 14 avril, M. Lehon pria le ministre français de vouloir bien lui faire connaître cette adhésion d'une manière officielle, et de lui faire savoir en même temps si le gouvernement français avait apporté quelques modifications, conditions ou réserves aux dispositions de ce protocole. M. Sébastiani répondit officiellement, le 15, que le gouvernement français avait donné son adhésion au protocole de la conférence de Londres, et il exprimait l'opinion qu'il était dans l'intérêt essentiel des Belges d'y adhérer eux- mêmes. « Cet acte, disait-il, a consacré le principe de l’indépendance de la Belgique, de son admission dans la grande famille des États européens, et il doit ainsi lui assurer, sans aucune contestation possible à l'avenir, la jouissance de tous les droits qui résultent de cette position. Il a, en outre, établi sa neutralité, et par cela même, il lui garantira une paix durable, à la faveur de laquelle la Belgique pourra, en toute sécurité, développer les nombreux éléments de richesse et de prospérité qu'elle doit à la rare fécondité de son sol et au génie industrieux (page 126) de ses habitants. Le gouvernement français, dont les sentiments de bienveillance et d'amitié pour les Belges ne sauraient être révoqués en doute, appelle de tous ses vœux un avenir aussi heureux, et il croit donner une preuve nouvelle de ces sentiments en leur conseillant d'adhérer, sans restriction comme sans délai, au protocole du 20 janvier dernier. »
Ce fut dans la conférence tenue au Foreign-Office le 17 avril, que M. le prince de Talleyrand déclara officiellement d'ordre exprès du roi son maître, que la France adhérait au protocole du 20 janvier 1831 ; qu'elle approuvait entièrement les limites indiquées dans cet acte pour la Belgique ; qu'elle admettait la neutralité ainsi que l'inviolabilité du territoire belge ; qu'elle ne reconnaîtrait de souverain de la Belgique qu'autant que ce souverain lui-même aurait pleinement accédé à toutes les conditions et clauses du pacte fondamental du 20 janvier 1831, et que, d'après ces principes, le gouvernement français considérait le grand- duché de Luxembourg comme absolument séparé de la Belgique, et comme devant rester sous la souveraineté et dans les relations que lui avaient assignées les traités de 1815. Cette déclaration, dit le protocole, fut reçue par les plénipotentiaires des quatre cours avec une satisfaction unanime et sincère.
A la suite de cette communication, la conférence arrêta le même jour les propositions finales qu'elle aurait à faire à la Belgique, et en même temps elle voulut donner à la France un témoignage de la confiance qu'inspiraient les dispositions manifestées par le gouvernement du roi Louis-Philippe en faveur de la paix générale. Dans une réunion, à laquelle n'assistait pas le plénipotentiaire français, les représentants de l'Autriche, de la Grande-Bretagne, de la Prusse et de la Russie, portèrent leur attention sur les forteresses construites aux frais des quatre cours depuis l'année 1815, dans le royaume des Pays-Bas. Les plénipotentiaires furent unanimement d'opinion que la situation nouvelle (page 127) où la Belgique serait placée, et sa neutralité reconnue et garantie par la France, devaient changer le système de défense ; que, d'ailleurs, l'inviolabilité unanimement admise du territoire belge offrait une sûreté qui n'existait pas auparavant : qu'enfin, une partie de ces forteresses, construites dans des circonstances différentes, pourraient désormais être rasées. En conséquence, les plénipotentiaires arrêtèrent éventuellement qu'à l'époque où il existerait en Belgique un gouvernement reconnu par les puissances qui prenaient part aux conférences de Londres, il serait entamé entre les quatre cours et ce gouvernement une négociation à l'effet de déterminer celles desdites forteresses qui devaient être démolies (Note de bas de page : Ce protocole ne fut communiqué au prince de Talleyrand que le 14 juillet 1831. Il est au nombre des pièces imprimées par ordre de la chambre des communes d'Angleterre (27 juillet 1831).
L'adhésion du gouvernement français au protocole du 20 janvier, après avoir attristé le Congrès belge, devait également soulever de vives tempêtes au sein de la chambre des députés. Elle était alors saisie de la demande d'un crédit éventuel de cent millions pour faire face à la situation. Dans la séance du 12 avril, M. Mauguin, après avoir rappelé que le gouvernement avait abandonné la Pologne et l'Italie, lui reprocha de vouloir abandonner également la Belgique, nonobstant l'engagement formel contenu dans la dépêche signée par M. Sébastiani le 1er février. Tout semble donc aboutir, s'écria-t-il, à une invasion concertée, et peut-être à un partage ! Dans sa réponse, M. Sébastiani oublia la modération et la mesure qui font à la tribune la force réelle des représentants du pouvoir. Vivement irrité contre quelques orateurs du Congrès de Bruxelles et contrarié par les manifestations belliqueuses de l'Association nationale, parce qu'elles n'étaient pas sans écho en France, le ministre des affaires étrangères (page 128) s'éleva avec colère contre l'exaltation des patriotes belges. « La « France, dit-il, ne s engage à la suite de personne, ni à la suite de l'Italie, ni à la suite de la Belgique. Et, à propos de la Belgique, quelle est aujourd'hui sa situation ?... Une association, traînant à sa suite le meurtre et le pillage, y domine le gouvernement. Cette association prétend qu'elle nous conduira à la guerre malgré nous. Non, la France ne se traînera pas misérablement à la suite de ces brouillons... La France est conduite par des principes de justice, d'honneur et de raison ; elle a déjà beaucoup fait pour la Belgique ; elle est prête à faire beaucoup encore. Mais croit-on soutenir ici l'honneur et la dignité de la France, quand on emprunte le langage de quelques orateurs, de quelques écrivains belges, qui s'expriment sur la France avec un langage qu'on réprimerait dans un autre temps ? Pour nous, notre langage à l'égard de la Belgique sera toujours le même. Elle a encore besoin de nous ; nous la protégerons ; elle trouvera en nous à la fois des intentions bienveillantes et une volonté inébranlable » Cette sortie, qui devait naturellement exciter une vive et légitime indignation en Belgique, fut relevée avec énergie le lendemain par le général Lamarque. « Des paroles hautaines et de colère ne conviennent pas, dit-il, au ministre d'un grand roi, à l'organe d'une grande nation. Les traits qu’il a lancés ont d'ailleurs frappé à faux. Ce n'est pas un tas de brouillons qui proteste dans la Belgique contre les protocoles de Londres, qui veut qu'on n'en sépare pas la rive gauche de l’Escaut et le Luxembourg ; mais c'est la nation belge tout entière qui réclame l'exécution des promesses solennelles contenues dans une dépêche de notre gouvernement... »
Alors M. Casimir Périer parait lui-même à la tribune pour accuser la Belgique d'ingratitude et nier les droits qu'elle prétend avoir sur le Luxembourg. « C'est par nous, dit-il, que la Belgique a vu reconnaître son indépendance, au moment même où elle faisait (page 129) sa conquête, et résoudre ainsi en quelques jours une question pour laquelle la France a combattu de longues années. — De ce que nous avons fait pour elle, faut-il conclure que nous devions plus faire encore, et qu'elle doive traîner la France a la remorque ? On pourrait le croire en écoutant ses orateurs. — Toutefois, la prétention est bien étrange. Est-ce donc pour la Belgique seule que la France a fait ce qu'elle a fait ? Non, c'est pour elle-même. Elle reste donc et seul juge de ses intérêts, et seule maîtresse de ses actions. Elle ne s'est point mise aux ordres d'un État qui ne doit qu'à elle ce que les siècles lui avaient refusé : la faculté d'être par lui-même. Qu'il songe à la conserver par le rétablissement de l'ordre intérieur, par le respect des lois, du droit des gens, de l'humanité ; qu'il veille à ne pas offrir à l'Europe le spectacle d'une sanglante anarchie, et alors il pourra élever la voix, et réclamer la protection des nations sages et libres. — La question du Luxembourg est fort simple. Aux termes des traités, ce pays appartient à la maison de Nassau, et ses forteresses à la Confédération germanique. C'est là l'état légal des choses, et la France l'a reconnu en novembre. Le ministère, où ne siégeaient d'ailleurs que deux des membres du cabinet actuel, a dû respecter le texte formel de traités, qui, cette fois, intéressaient la sûreté de plusieurs États. Telle est la situation constatée ; elle doit l'être maintenant, et elle le sera . Mais notre intention est qu'elle le soit d'un commun accord et par l'action unanime de toutes les puissances. Notre espérance est conforme à notre intention. Cette politique est celle d'un État libre et puissant, qui n'a délégué à personne le droit de maîtriser sa conduite, qui fait la guerre ou la paix pour son compte ; qui se gouverne enfin, et ne se laisse pas gouverner. J'ai souvent entendu reprocher à la restauration d'adopter tantôt la politique russe, tantôt la politique anglaise. Serions-nous tombés si bas qu'il nous fallut donner maintenant à la France la politique belge ? (page 130) Non, non ; nous voulons une politique française. Il est temps que la France n'appartienne qu'à la France. — Ne vous y trompez pas, c'est la dépendance qu'on vous conseille, lorsqu'on vous montre tous les peuples qui vous appellent et qui vous engagent dans leurs querelles. Ce qu'on vous propose, c'est de capituler vos armées au service des insurgés dans tous les pays ; c'est d'en faire la garde soldée de toutes les insurrections. Est-ce ainsi, je le demande, que l'on entend l'indépendance nationale ? La tribune où je parle est notre légitime conseillère ; nous écouterons toujours ses avertissements, mais qu'il nous soit permis de nous étonner que l'opposition, qui se montre si jalouse de l'honneur national, ait oublié de s'offenser du langage étrange d'une tribune qui ne s'est élevée qu'à l'ombre de la nôtre. Comment n'est-il venu à la pensée d'aucun des honorables orateurs auxquels je réponds de se séparer, au moins par quelques mots et sur quelques points, de ceux qui commentent si étrangement à Bruxelles notre révolution de juillet ! Ils s'accordent avec eux sur la question du Luxembourg ; il faut espérer pourtant qu'ils ne sont pas également d'accord sur toutes les autres questions. Quoi qu'il en soit, messieurs, croyez-nous, l'affaire du Luxembourg ne porte pas la guerre dans son sein. Aucun intérêt sérieux, aucun engagement antérieur, aucune prévision légitime, ne nous oblige à recourir aux armes. La guerre est une chose qu'il faut vouloir quelquefois, mais désirer, jamais. Nous persistons à désirer et à vouloir la paix... »
Les paroles du président du conseil furent loin de calmer l'opposition. Par l'organe de MM. de Tracy et Odilon Barrot, elle déclara solennellement que le ministère avait méconnu, avait calomnié la nation belge. « Il y a quelque imprudence, dit M. de Tracy, à traiter avec tant de dédain et peut-être avec tant de légèreté une nation voisine qui, travaillée par les intrigues les plus perfides et au moment de tomber entre les mains (page 131) de ses ennemis, éprouve un élan national... Le gouvernement belge a senti que ce n'était pas sur les orangistes qu’il devait s'appuyer ; et c'est à tort qu'on l'accuse d'être le jouet d'un tas de brouillons. Ce peuple a suivi notre exemple, et nous l'abandonnons ! J'éprouve quelque peine à entendre sans cesse répéter que si la Belgique est indépendante, c'est à la protection de la France qu'elle le doit. C'est, au contraire, l'insurrection des Belges qui a couvert nos frontières. . . » Cette réplique éloquente fit réfléchir le gouvernement ; il recula. M. Sébastiani vint expliquer ses paroles et rétracter celles qui avaient paru outrageantes pour la Belgique. « On nous accuse, dit-il alors, d'avoir calomnié un peuple voisin. Non, messieurs, nous savons que ce peuple est digne de toute notre estime, et il obtiendra de nous un constant appui ; mais cet appui, nous le refusons à des brouillons qui s'efforcent d'asservir le gouvernement de leur pays, et qui veulent substituer l'anarchie à l'autorité des lois. Justes envers tous, nous ne confondons pas avec ces hommes la partie saine, pure et noble de la nation belge. »
Le débat fut ensuite transporté à la chambre des pairs. La politique du gouvernement à l'égard de la Belgique y rencontra pour adversaire. M. le comte de Montalembert. Mal renseigné sur les dispositions des Belges, M. de Montalembert reprocha au ministère de les avoir repoussés lorsqu'ils désiraient se jeter dans le sein de la France ; il lui reprocha en outre de les tromper de nouveau par son adhésion au protocole qui leur enlevait le Luxembourg (Note de bas de page : M. le comte de Montalembert mourut le 21 juin 1831, et la dignité de pair de France passa à son fils, qui était alors poursuivi, conjointement avec M. l'abbé Lacordaire et M. Decoux, pour avoir ouvert, sans l'autorisation de l'Université, une école libre, rue des Beaux-Arts, à Paris). La réponse de M. Sébastiani fut cette fois digne d'un (page 132) homme d'État. Tout en déclarant que l'adhésion de la France au protocole du 20 janvier était définitive, le ministre dissipa courageusement une des illusions de ses compatriotes ; il démontra non seulement que la majorité du peuple belge ne voulait pas abdiquer sa nationalité, mais encore que l'annexion, désirée par M. de Montalembert, serait désastreuse pour la France. « L'orateur a parlé, dit-il, de notre politique à l'égard de la Belgique, politique qu'il a qualifiée de tortueuse et de perfide. Il a prétendu que le peuple belge s'était offert à nous ; qu'il dépendait de nous de réunir à la France de nouvelles provinces ; que non seulement l'Europe y aurait donné son consentement, mais qu'elle aurait même favorisé cette réunion. Messieurs, la Belgique s'est offerte à nous par le vœu isolé de quelques individus ; était-ce un motif suffisant pour opérer une réunion, qui, malgré les assertions de l'orateur, nous conduisait à une guerre générale, et sur le continent, et sur la mer ? Je prie la chambre d'avoir à cet égard quelque confiance en mes paroles. Mais alors même que cette réunion n'eût pas rencontré d'obstacles, je doute qu'elle eût été conforme à l'intérêt de la France. La force de la France, messieurs, cette force si imposante, si respectée d'un bout à l'autre de l'Europe, consiste principalement dans l'homogénéité des éléments qui composent son territoire. A quoi faut-il attribuer la faiblesse des autres États ? A leur formation vicieuse, hétérogène ; à cet amalgame d'États et de provinces opéré le plus souvent contre le vœu des peuples. L'espoir d'une séparation entretient dans leur sein des causes continuelles de lutte et de désordre. Ces causes, messieurs, n'existent pas pour la France. Aucun de nos départements n'aspire à se séparer du grand corps national. Croyez-vous, « messieurs, qu'en Autriche, en Prusse, en Russie, il existe la même homogénéité, la même identité de sang, d'intérêts, de besoins ? Gardons-nous donc d'altérer cette union de nos (page 133) provinces ; nous devons être éclairés à cet égard par la triste expérience que nous avons faite ! Nous avons été les maîtres du Piémont. Quand la fortune nous est devenue contraire, le Piémont s'est séparé de nous. Nous l'avons possédée aussi cette Belgique, et qui de nous a oublié, messieurs, quelle impatience elle témoignait, en 1814, de briser le lien qui l'unissait à la France ? L'on veut savoir quelle est notre politique à l'égard de la Belgique. Messieurs, elle est claire et précise : la France a donné son adhésion pleine et entière au protocole du 20 janvier. Elle a engagé la Belgique à suivre son exemple. Elle a cru qu'il était de son devoir de donner ce conseil à un peuple allié, pour lequel sa vive sollicitude s'est hautement manifestée. Telle est notre politique ; elle n'admet point d'arrière-pensée. Dès lors rien de tortueux, rien de perfide ; et lorsque nous donnons à nos amis des conseils que nous croyons sages et conformes à leurs vrais intérêts, nous avons lieu d'espérer qu'ils les recevront avec affection et déférence. »
Enfin, le roi Louis-Philippe, en venant prononcer le 20 avril la prorogation de la session de 1830, fit connaître très explicitement la politique pacifique qu’il voulait embrasser et conséquemment le désir qu'il avait de cesser les armements extraordinaires exigés par la situation. Il manifestait en même temps la volonté de garantir l’indépendance de la Belgique. « Mes ministres, dit-il, vous ont constamment entretenus de l'état de nos relations diplomatiques, et vous avez eu connaissance des circonstances qui m'ont déterminé à faire des armements extraordinaires ; comme moi, vous en avez reconnu la nécessité, et vous partagerez de même mon désir sincère de la voir cesser promptement. Les assurances que je reçois de toutes parts des dispositions pacifiques des puissances étrangères me donnent l'espérance que leurs armées et la nôtre pourront être bientôt réduites aux proposions de l'état de paix ; mais en attendant (page 134) que les négociations entamées aient acquis le développement nécessaire pour rendre cette réduction possible, l'attitude de la France doit être forte, et nous devons persévérer dans les mesures que nous avons prises pour la faire respecter ; car la paix n'est sûre qu'avec l'honneur. — Notre appui et le concours des grandes puissances de l'Europe ont assuré l'indépendance de la Belgique et sa séparation de la Hollande. Si j'ai refusé de me rendre au vœu du peuple belge, qui m'offrait la couronne pour mon second fils, c'est que j'ai cru que ce refus m'était dicté par les intérêts de la France aussi bien que par ceux de la Belgique elle-même. Mais ce peuple a des droits particuliers à notre intérêt, et il nous importe qu'il soit heureux et libre. »
Suivant le désir exprimé par le général Belliard, alors à Paris, le secrétaire de la légation française à Bruxelles s'empressa de communiquer le discours royal au régent de la Belgique. M. Surlet de Chokier le lut avec avidité ; mais, d'après le silence qu'il gardait, et d'après sa physionomie devenue plus soucieuse, il était facile de voir que le langage du roi ne répondait pas à ce qu'il eût désiré. Il se borna à dire : « Le discours ne contient que des choses vagues. » Puis il quitta brusquement cette conversation pour parler des armements du Luxembourg, de la situation du pays, de la volonté inébranlable des Belges de conserver l’intégrité du territoire national et de résister, même par les armes, aux injonctions arbitraires de la conférence. « La Belgique est tranquille, dit-il, je fais tous mes efforts, j'emploie toute, mon autorité à y tout concilier. Pour n'effaroucher aucune susceptibilité, je me tiens à l'écart, n'agissant que lorsque je ne puis m'en dispenser, mais je vous avoue que je ne saurais admettre que nous devons nous soumettre aux protocoles. Si l'on me pousse à bout, je me démettrai de mes fonctions : qu'arrivera-t-il ? On me remplacera par un homme du mouvement (page 135) ; que sais-je ? par la république peut-être. La population veut marcher en avant ; elle se battra avec fanatisme, et rien ne l'arrêtera. Les Français ne cessent de manifester leur sympathie pour notre cause, ils ne nous abandonneront pas, aucune puissance ne pourra les arrêter ; comme on ne pourrait pas non plus empêcher les Belges de voler au secours de la France, si, ce qui n'est pas supposable, elle devait se trouver engagée dans une guerre sans la Belgique... Je le répète, il faut que nous sortions de cet état d’incertitude, et de suite ; l'explosion autrement sera terrible ; le général Belliard connaît assez le pays, la disposition des esprits, pour être à même d'éclairer parfaitement le gouvernement. Puisse sa voix être écoutée ! ... »