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Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge
JUSTE Théodore - 1850

Théodore JUSTE, Histoire du Congrès national ou de la fondation de la monarchie belge (tome II)

(Paru en 1850 à Bruxelles, chez Librairie polytechnique d’Aug. Decq, 1850. 2 tomes (premier tome : Livres I et II ; second tome : Livre III))

Livre III. La Régence

Chapitre XI

Rappel de lord Ponsonby et du général Belliard. Causes de leur départ

(page 231) La veille du départ des commissaires belges pour Londres, la conférence adressa (6 juin) à lord Ponsonby l'ordre de quitter immédiatement Bruxelles, et de communiquer cette détermination au général Belliard.

Cette résolution avait été prise par la conférence à la suite des informations, qui lui avaient été adressées de Bruxelles par lord (page 232) Ponsonby jusqu'à la date du 4, et de deux notes émanées des plénipotentiaires du roi des Pays-Bas. Par la première, ils demandaient d'être informés officiellement des résolutions prises par le gouvernement belge, relativement aux bases de séparation arrêtées par la conférence ; en d'autres termes, ils exigeaient la rupture de toutes relations entre la Belgique et la conférence, conformément aux protocoles antérieurs. Par la seconde note, ils protestaient contre la lettre que lord Ponsonby avait adressée le 27 mai à M. Lebeau, notamment en ce qui concernait la cession éventuelle du grand-duché de Luxembourg. « Lord Ponsonby, disaient les plénipotentiaires hollandais, s'est arrogé un droit qu'il ne peut avoir reçu de personne. Il a flatté l'esprit envahissant de l'insurrection par des espérances fallacieuses ; il a enfin attaqué les droits inaliénables du roi par des engagements diamétralement opposés au langage uniforme tenu soit à la Haye, soit ici par les organes de Sa Majesté. Le roi se tient à l'acte de séparation proposé par les cinq puissances, et accepté par lui sans réserve ; l'art. 2 de cet acte reconnaît explicitement le grand-duché comme possession de la maison de Nassau. Il n'est donc pas facile de concevoir qu'il puisse y avoir question pour cette souveraineté d'une négociation qui, même après l'acceptation pure et simple par la Belgique des bases de séparation, se trouverait encore environnée des plus graves difficultés, attendu que ce grand-duché forme pour le roi et les princes de sa maison une substitution à ses États héréditaires d'un prix inestimable à ses yeux. »

La conférence répondit à la première note que, d'après les informations reçues de Bruxelles, les Belges ne s'étaient pas placés envers les cinq puissances, par l'acceptation des bases de séparation, dans la position où se trouvait à leur égard le roi des Pays-Bas, qui avait pleinement adhéré à ces mêmes bases ; que lord Ponsonby était définitivement rappelé ; que le général Belliard (page 233) avait reçu du gouvernement du roi des Français l'ordre de quitter Bruxelles dès que lord Ponsonby en partirait, et que la conférence s'occupait des mesures que pourraient réclamer les engagements contractés envers le roi des Pays-Bas par les cinq grandes puissances.

A la seconde note, la conférence répliqua que, étrangère à la lettre de lord Ponsonby, elle ne pouvait que se référer au protocole du 21 mai. « Cet acte, disait-elle, pose trois principes : le premier, que les arrangements qui auraient pour but d'assurer à la Belgique la possession du grand-duché de Luxembourg seraient des arrangements de gré à gré ; le second, que cette possession ne pourrait être acquise que moyennant de justes compensations ; le troisième, que les cinq puissances ne feraient aux parties intéressées la proposition de cet échange qu'après l'adhésion des Belges aux bases de séparation fixées par la conférence et déjà adoptées par le roi des Pays-Bas. » La conférence ajoutait : « Ces principes sont et seront toujours ceux des cinq puissances. Ils n'entravent nullement les déterminations de S. M. le roi des Pays-Bas. Loin de porter atteinte à ses droits, ils en attestent le respect, et ne tendent qu'à amener, s'il se peut, à la faveur des équivalents que Sa Majesté jugerait pouvoir accepter, et sur la base d'une utilité réciproque, des arrangements dont l'unique but serait d'assurer les intérêts qui tiennent à cœur au roi, et l'affermissement de la paix, qu'appellent au même degré ses vœux et ceux des cinq puissances. »

Le 11 juin, lord Ponsonby et le général Belliard quittèrent presque en même temps Bruxelles ; le premier prit la route de Calais, le second celle de Paris.

Il avait fallu toute l'énergie du diplomate anglais pour lui faire supporter une position devenue intolérable. Tandis qu'il était en Belgique l'objet des attaques les plus passionnées, tandis que l'opposition le signalait comme l'implacable adversaire de la révolution (page 234) de septembre, la conférence l'accusait de montrer trop de condescendance pour le gouvernement issu de cette révolution. On donnait pour prétexte à son rappel le décret du 2 juin par lequel le congrès, au lieu d'adhérer aux bases de séparation, avait autorisé le ministère à ouvrir de nouvelles négociations ; mais la véritable cause, c'était que lord Ponsonby n'avait pas exécuté les dernières instructions de la conférence, qui lui enjoignaient de notifier au gouvernement du régent les protocoles du 10 et du 21 mai. Il était en disgrâce auprès des représentants des cours absolutistes, qui trouvaient trop douce sa fameuse lettre du 27 mai. Plusieurs semaines s'écoulèrent avant que la conférence, éclairée par les faits, rendit justice à l'habilité et à la loyauté de l'homme qu'elle avait chargé de la mission la plus délicate (Note de bas de page : Le gouvernement britannique le récompensa en lui donnant la riche ambassade de Constantinople).

Le cabinet français manifeste l'intention de rompre toutes relations officielles avec la Belgique ; les représentations de M. Lehon changent cette résolution

Le gouvernement français, conformément à son système politique, était resté uni à la conférence. Le général Belliard avait reçu l'ordre formel de quitter Bruxelles dès que lord Ponsonby en partirait.

(Note de bas de page ) Le jour même où le général Belliard quittait Bruxelles, M. Sébastian ! lui adressait la dépêche suivante : « J'apprends avec la plus vive surprise que vous avez cru pouvoir prendre sur vous de prolonger de dix jours le délai que la conférence avait accordé aux Belges pour adhérer à ses résolutions, et qu'elle avait fixé au 1er de ce mois. Celle démarche m'a paru d'autant plus extraordinaire, que vos instructions, souvent renouvelées, vous prescrivent d'appuyer les démarches du représentant de la conférence. Ma lettre du 31 mai vous prescrit du quitter Bruxelles en même temps que lord Ponsonby si le refus des Belges d'adhérer aux décisions de la conférence lui en imposait la nécessité. Je m'empresse de vous renouveler cet ordre de la manière la plus positive ; et si, lorsque cette dépêche vous parviendra, l'obstination des Belges avait obligé lord Ponsonby à se retirer, vous devriez quitter aussi Bruxelles immédiatement, et sans adresser au gouvernement belge aucune espèce de communication écrite. » (Fin de note).

Le conseil des ministres avait décidé en même (page 235) temps, conformément au protocole du 10 mai, qu'il y avait lieu de rompre toutes relations officielles avec la Belgique. M. Lehon fut informé le 9 juin de cette résolution, à laquelle il opposa aussitôt des objections puissantes et suggérées par une appréciation éclairée des intérêts du gouvernement français. Les ministres parurent surtout frappés de cette observation que la conférence avait agi ex abrupto en exécution de protocoles qui, n'ayant jamais été notifiés ni au gouvernement belge, ni au Congrès, n'avaient aucune existence certaine ni pour l'un ni pour l'autre ; qu'il y aurait donc précipitation et légèreté de la part des ministres français d'imiter la conférence de Londres dans un excès aussi grave et aussi évident. Le conseil résolut, en conséquence, mais après une longue discussion, d'ajourner la rupture déjà annoncée. Du reste, la réflexion fit bientôt reconnaître au cabinet français les fausses voies dans lesquelles il était prêt à entrer à l'exemple de la conférence. La baisse des fonds, le langage irrité des hommes influents de tous les partis, et quelque agitation intérieure semblèrent rendre plus d'énergie au gouvernement.

Il dut alors convenir que l'ajournement, en quelque sorte arraché par M. Lehon, n'était pas moins utile à la France qu'à la Belgique. Pendant que l'on négociait à Londres, un des membres du cabinet du Palais-Royal dit à M. Lehon que le maintien de son caractère officiel exerçait une heureuse influence sur la conférence. « La menace du drapeau tricolore, d'une part, et les relations d'amitié avec la Belgique, malgré le départ de Bruxelles des agents de la conférence ou des personnes réputées telles, donnent à réfléchir, ajoutait-il, aux conséquences de vos coups de tête. »

MM. Devaux et Nothomb, à Londres. Détails sur les négociations qui aboutissent aux préliminaires de paix dits des dix-huit articles. Intervention efficace du prince Léopold en faveur de la Belgique

Les deux commissaires du régent, MM. Devaux et Nothomb, (page 236) étaient arrivés à Londres le 7 juin, à onze heures. Ils lurent aussitôt le Courrier qui, dans un article semi-officiel, annonçait le rappel de lord Ponsonby, ajoutant que le prince Léopold avait assisté à la réunion de la conférence où cette grave résolution avait été prise. Cette nouvelle atterra les deux négociateurs ; ils craignirent qu'elle ne provoquât la dissolution immédiate du ministère belge et l'insuccès de la combinaison à laquelle il avait attaché son existence. Ils demandèrent immédiatement une entrevue au prince ; elle fut fixée au lendemain, à une heure. Les deux négociateurs s'y rendirent, soucieux, préoccupés, se reportant, par l'imagination, au delà du détroit, et partageant l'anxiété de leurs concitoyens qui s'agitaient, incertains de leur sort.

Le prince Léopold connaissait déjà M. Devaux, qui avait suivi à Londres, à la fin du mois de mai, la première députation belge ; il avait pu apprécier la haute raison, le jugement calme, la droiture, le tact parfait de ce citoyen éminent. Son jeune collègue, transporté sur un théâtre digne de sa rare intelligence, allait y paraître avec les avantages que lui donnaient une étude profonde des questions diplomatiques et les ressources d'un esprit déjà rompu aux affaires les plus épineuses. Le prince témoigna d'abord aux négociateurs combien il était touché des sympathies qu'il avait rencontrées en Belgique et de la manière dont l'avait traité même la minorité du Congrès. Repoussant ensuite avec indignation l'imputation du Courrier, il dit aux négociateurs qu'il était étranger au dernier acte de la conférence ; qu'elle s'était d'ailleurs bornée à rappeler lord Ponsonby, assimilant le décret adopté par le Congrès le 2 juin à une nouvelle protestation contre les protocoles, mais qu'elle comptait néanmoins sur des négociations ultérieures. — « Vous m'avez « envoyé, poursuivit-il, des hommes de beaucoup d'esprit, de beaucoup de patriotisme ; mais jusqu'à présent, personne n'a (page 237) pu m’indiquer une base (appuyant sur ce mot). » - M Nothomb, qui avait garde le silence, prit alors la parole. — « Le prince Léopold, dit-il, doit-il se rendre en Belgique sans arrangement préalable avec la conférence ou après un arrangement ? « C'est la première question à examiner. Je crois qu'il faut un arrangement préalable ; le roi nouveau pourrait être désavoué par les puissances qui ne seraient pas liées avec lui et qu’il aurait momentanément tirées d'embarras. » - Après avoir développé cette opinion, il reprit : - « II faut donc un arrangement ; quel peut-il être ? La Belgique ni la conférence ne peuvent se rétracter formellement ; la conférence ne peut pas rétracter le protocole du 20 janvier, ni la Belgique sa protestation solennelle contre cet acte. Il faut chercher une issue en faisant, dans l'intérêt de la Belgique, une nouvelle édition des protocoles. » M. Nothomb expliqua le véritable sens du décret du 2 juin, dont il était un des auteurs. Ce décret avait été principalement destiné à neutraliser l'impression produite par la fameuse lettre de lord Ponsonby et à faciliter l'élection du prince ; il faisait entrer la révolution belge dans un nouvel ordre de choses : jusqu'ici le Congrès s'était tenu purement et simplement à la protestation contre les protocoles du 20 et du 27 janvier ; maintenant, sans lacérer cette protestation, on pouvait songer à un arrangement amiable. M. Nothomb avait recherché, par une étude patiente, si les protocoles mêmes n'offriraient pas une ressource inattendue, inespérée pour la Belgique. Il avait consigné ses vues sur ce sujet dans un mémoire, que M. White s'était chargé de remettre au prince Léopold. Cet écrit traitait de l'interprétation de l'art. 4 du protocole du 20 janvier, relativement aux enclaves.

(Note de bas de page) « Une étude approfondie des bases de séparation avait fait découvrir dans cet acte des conséquences qui, on peut le supposer, avaient échappé à ceux-là mêmes qui en étaient les auteurs ; la conférence avait posé au profit de la Hollande le principe du poslliminii de 1790 ; la Hollande l'avait accepté. Que la conférence, en posant ce principe, que la Hollande, en l'acceptant, n'en aient pas vu toute la portée, n'importe. Le texte était là ; il existait indépendamment du sens qu'on avait pu y attacher ; il était devenu la loi des parties. On avait cru qu'en 1790 la république de Hollande avait possédé en entier le territoire désigné sous la dénomination moderne de provinces septentrionales ; c'était une erreur historique : la Hollande avait, en 1830, réclamé les provinces septentrionales et, de plus, les possessions qu'elle avait eues dans le Limbourg, en 1790 ; or il se trouvait que le principe qui lui rendait ces dernières possessions lui en enlevait d'autres au cœur même des provinces septentrionales... » ( Essai historique et politique sur la révolution belge, chap. XI.) (Fin de la note)

M. Nothomb, reprenant les idées développées (page 238) dans son mémoire, exposa lui-même devant le prince, avec une lucidité qui éclairait les points les plus obscurs, comment, si la conférence ne s'entêtait pas sur la forme, le protocole même du 20 janvier pouvait, par l'échange des enclaves, donner à la Belgique le Limbourg tout entier. Il démontra en même temps qu'il fallait avant tout la certitude que le Luxembourg demeurerait à la Belgique moyennant une indemnité pécuniaire. Le prince, qui avait écouté très attentivement ces explications, parut comme soulagé ; sa figure épanouie manifestait sa satisfaction : il avait entrevu une issue. Il engagea les négociateurs à donner les mêmes explications à lord Palmerston et à lord Grey.

Cependant l'horizon politique n'avait pas cette sérénité qui aurait pu rassurer et encourager les représentants du gouvernement belge. A la veille de perdre définitivement les anciennes provinces méridionales du royaume des Pays-Bas, la Hollande avait de nouveau mis en avant le projet de les démembrer pour les partager avec la France et la Prusse ; et ce projet fatal souriait aux représentants de ces deux puissances à Londres. La conduite du prince de Talleyrand surtout pouvait faire naître les (page 239) craintes les plus sérieuses ; c'était lui qui exigeait le plus fortement l'adhésion entière et formelle du gouvernement belge aux protocoles, afin de pousser sans doute au désespoir les provinces dont on méditait le démembrement ! Dans ce système, le partage semblait le meilleur moyen d'empêcher en Belgique une restauration, d'où devait résulter pour la France la nécessité d'une guerre que l'état effervescent de l'Europe ordonnait de prévenir.

On montrait la France relevée de l'humiliation des traités de 1815 par l'acquisition de deux ou trois beaux départements ; et la maison d'Orléans conquérant une immense popularité après qu'elle aurait payé, au moyen de cette dot, sa récente élévation. Du reste, on paraissait convaincu que l'Autriche était trop absorbée par les mouvements de l'Italie et trop mal en finances pour s'opposer au démembrement de la Belgique ; quant à la Russie, elle y acquiescerait volontiers, croyait-on aussi, par intérêt pour la maison d'Orange.

Mais ce projet, qui seul aurait pu anéantir le nom belge, fut énergiquement combattu tant à Londres qu'à Paris même. Le prince de Saxe-Cobourg appuya vivement les représentations des commissaires belges contre un plan destructif de cet équilibre européen, jusqu'alors placé sous la sauvegarde de la Grande- Bretagne. Il fut également déjoué à Paris. Averti par les commissaires du régent à Londres et stimulé par M. Lebeau, M. Lehon dénonça formellement au gouvernement français la connivence de son ambassadeur à la cour de Saint-James avec ceux qui complotaient le partage de la Belgique. Les protestations fermes et loyales de M. Lehon neutralisèrent les manœuvres de M. de Talleyrand, et le projet de partage fut définitivement abandonné par le gouvernement français lorsqu'il put se convaincre qu'il ne réussirait jamais à obtenir la participation de l'Angleterre. Le prince de Talleyrand, reçut bientôt l'ordre de rester uni au cabinet britannique pour contrebalancer les efforts hostiles de ceux (page 240) qui auraient voulu empêcher la solution pacifique de la question belge.

M. Casimir Périer déclara à M. Lehon que sa politique était tellement nette et les instructions données au prince de Talleyrand tellement précises, qu'il y aurait trahison si ce qu'on lui imputait était vrai. Peut-être M. de Talleyrand, jaloux d’illustrer la fin de sa carrière, ne se renfermait-il pas dans l'horizon du ministère Périer ; peut-être y avait-il chez lui deux hommes, l'agent du ministère Périer et le diplomate célèbre qui s'élevait au-dessus de ce ministère et des difficultés du moment qui l'absorbaient. Quoi qu'il en soit, M. Casimir Périer attribuait les idées de l'ambassadeur français, quant au démembrement de la Belgique, à l'opinion que l'on s'était formée à Paris comme à Londres que, à défaut du prince Léopold, il ne restait plus pour la Belgique d'autre alternative que la réunion ou le partage. Or, comme le gouvernement français repoussait le premier moyen, parce qu'il emportait avec lui la guerre, le prince de Talleyrand, dans l’incertitude qui avait suivi l'élection du prince Léopold, avait pu, disait le premier ministre, s’occuper du partage comme de la conséquence probable d’une invasion armée de la part de la Hollande.

La France n'entendait consentir, à tout événement, à aucune restauration ni semi-restauration en Belgique ; mais, d'un autre côté, elle n'entendait pas non plus soutenir les Belges s’ils attaquaient la Hollande. De concert avec l'Angleterre et la Prusse, elle devait, dans ce cas, agir hostilement contre la Belgique ; dans ce cas aussi, le partage pouvait devenir un résultat de l'occupation. Du reste, les troupes destinées à pénétrer au besoin dans nos provinces étaient désignées, et dix jours devaient suffire pour les réunir sur les frontières du pays.

Le gouvernement du régent désirait vivement que l'avènement du roi des Belges pût s'accomplir avec la conservation de l'intégrité (page 241) du territoire fixé par la Constitution. Le jour même où il avait pris possession du portefeuille des affaires étrangères, M. Lebeau écrivait au ministre belge à Paris : « Quant au territoire, si on nous en enlève large comme la main, rien ne s'arrangera. Toute idée de démembrement fait fermenter les têtes et bouillonner le sang. Je crois que notre indépendance au prix « d'un village du Luxembourg, du Limbourg ou de la Flandre zélandaise, serait énergiquement repoussée. » M. Lebeau était donc résolu à défendre jusqu'à la dernière extrémité l'intégrité territoriale et à ne reculer que devant un obstacle invincible. On a vu que les membres du Congrès, successivement chargés à Londres des intérêts de la Belgique, avaient reçu pour instructions de faire les plus grands efforts a l'effet de conserver l'intégrité du territoire. Indépendamment de la sympathie que tout Belge ressentait pour ses concitoyens du Limbourg et du Luxembourg, M. Lebeau devait naturellement craindre que la popularité du nouveau roi ne reçût quelque atteinte du démembrement de deux provinces que l'opinion réputait partie intégrante du nouvel État. L'honneur de la révolution, aussi bien que son propre intérêt, engageait donc le ministre des affaires étrangères à se constituer le défenseur du Limbourg et du Luxembourg. Ne devait-il pas sentir que le prix du service qu'il allait rendre à son pays s'effacerait pour longtemps devant une douloureuse séparation, dont on l'accuserait peut-être d'avoir froidement médité le projet ? Ne devait-il pas prévoir tout le parti que la malveillance et la calomnie tireraient d'un pareil événement pour le peindre auprès de populations consternées, rendues injustes par le malheur, comme un trafiquant d'âmes, comme un ambitieux cupide, sacrifiant tout à la combinaison qui devait lui servir de piédestal ? Combien le triomphe qu'il recherchait avec ses amis ne leur eût-il pas semblé plus beau, plus pur, plus digne d'envie, s'ils avaient pu épargner a la Belgique la perte d'un seul village dans le Limbourg (page 242) et le Luxembourg ! Cette victoire complète leur échappa, ils durent reconnaître que s'ils persistaient dans une lutte inégale contre l'Europe, s'ils demeuraient inflexibles en face de la conférence, ils allaient vouer leur pays à des calamités sans fin. Ce fut sous le poids de cette pénible conviction qu'ils se décidèrent à sacrifier momentanément leur popularité à la raison d'État, au salut public.

Par son décret du 2 juin, le Congrès avait autorisé le gouvernement à ouvrir des négociations pour terminer toutes les questions territoriales au moyen de sacrifices pécuniaires, et à faire des offres formelles dans ce sens.

Ces offres ne purent être faites à la conférence ; car elle était déterminée à ne pas se départir des bases de séparation consignées dans les protocoles. Les membres de la conférence, qui paraissaient le plus favorables à la Belgique, proposaient de laisser à la Hollande le Limbourg entier, de Venloo à Maestricht, moins l'arrondissement de Hasselt, en échange du Luxembourg. Les deux commissaires du régent se récrièrent énergiquement contre cette proposition ; mais tous leurs efforts pour conserver la Belgique du Congrès échouèrent. En dehors de cette mission, ils étaient sans pouvoir. Toutefois, en présence des résolutions mêmes que la conférence déclarait immuables, ils crurent pouvoir encore être utiles à leur pays. Le mémoire rédigé par M. Nothomb indiquait les ressources que le protocole du 20 janvier 1831 pouvait offrir à la Belgique relativement aux enclaves. Il servit de base à un projet d'arrangement, primitivement conçu chez le prince Léopold. Ce plan embrassait la rive gauche de l'Escaut, le Luxembourg et le Limbourg : il était fondé sur le principe fondamental du protocole du 20 janvier qui assignait à la Hollande le statu quo de 1790, et à la Belgique tout ce qui était en dehors de ce statu quo. Les négociateurs voulaient abandonner le territoire sur la (page 243) rive gauche de l'Escaut, parce que ce territoire appartenait à la Hollande avant 1790, et en outre parce que les habitants ne s'étaient pas associés à la révolution. Mais, d'autre part, ils exigeaient que la conférence assurât immédiatement la possession du Luxembourg à la Belgique moyennant une indemnité pécuniaire, ou sinon qu'elle décidât que la question luxembourgeoise resterait séparée de la question belge-hollandaise. Enfin, les négociateurs cherchaient à conserver la totalité ou la presque totalité du Limbourg par l’échange des enclaves. Ils ne contestaient pas que Venloo et cinquante-trois villages, compris dans la province de Limbourg, appartenaient avant 1790 à la république des Provinces-Unies ; mais ils proposaient d'acquérir ce territoire par la cession des enclaves que la Belgique possédait dans les provinces septentrionales, que ces enclaves eussent appartenu aux Pays-Bas autrichiens, au duc de Clèves, à l'électeur palatin ou à des seigneurs féodaux. Il suffisait, dans le système des négociateurs, que la Hollande ne pût fournir une preuve affirmative pour que le territoire contesté fît retour à la Belgique.

(Note de bas de page) D'après ce système, la Belgique pouvait revendiquer : la part de souveraineté exercée dans Maestricht, en 1790, par le prince-évêque de Liége ; la part de souveraineté exercée, en 1790, dans le marquisat et la ville de Berg-op-Zoom, par l'électeur palatin ; les petites villes de Huyssen et Sevenaar, avec le village de Malbourg, et leur territoire (dans la Gueldre), qui faisaient partie, en 1790, du duché de Clèves ; le village d'OEffelt (dans le Limbourg septentrional), qui appartenait aussi au roi de Prusse, comme duc de Clèves ; le village de Boxmeer (dans la même province), qui appartenait en toute souveraineté au comte S'Heerenberg ; la seigneurie de Ravenstein, qui appartenait en toute souveraineté à l'électeur palatin ; le comté de Meghen (dans le Brabant septentrional), qui était un fief de la cour féodale de Brabant, à Bruxelles ; dans la même province, la commanderie et la seigneurie souveraine de Gemert, qui appartenait à l'Ordre Teutonique ; enfin, Hilvarenbeck, grand bourg a deux lieues de Bois-le-Duc, et dont dépendaient trois villages, parce qu'il appartenait pour moitié, en 1790, à la maison de Korte. (Fin de la note).

(page 244) La majorité de la conférence, vaincue par les efforts des représentants belges, trouva dans ce système un prétexte suffisant pour modifier ses premières décisions sans paraître y renoncer. D'un côté, on désirait faciliter l'avènement du prince Léopold ; de l'autre, on voulait mettre fin à une crise inquiétante. Sans se lier en rien, sans engager d'aucune manière leur gouvernement, M.M. Devaux et Nothomb eurent communication officieuse des propositions que la conférence se montrait disposée à rédiger. Leurs énergiques représentations, secondées par l'active influence du prince de Saxe-Cobourg, contribuèrent grandement à améliorer le texte et la portée des préliminaires de paix que la conférence proposa enfin à la Belgique et à la Hollande.

Ce succès, car on peut bien donner ce nom à l'ensemble des concessions obtenues de la conférence, ce succès fut le résultat des importantes négociations dont nous allons continuer le récit. Il s'agissait de fixer les destinées de la Belgique par l'avènement du prince Léopold ; il s'agissait de faire reconnaître par l'Europe la Belgique indépendante et le roi qu'elle s'était choisi. Malgré la gravité des circonstances, les représentants du gouvernement belge ne se présentèrent pas en suppliants devant les ministres des grandes puissances ; ils firent valoir avec fierté les droits de leur patrie ; ils défendirent ses intérêts avec intelligence ; ils réussirent à obtenir de la conférence sinon une rétractation formelle de l'arrêt qu'elle avait prononcé antérieurement, du moins des modifications considérables aux décisions déclarées naguère encore définitives et irrévocables.

Dès le 9 juin, les deux négociateurs avaient eu avec lord Palmerston une entrevue de trois heures, dans laquelle ils lui avaient expliqué le sens du décret voté par le Congrès le 2, et (page 245) cherché à faire prévaloir l'intégrité territoriale de la Belgique. Ils demandèrent que la question luxembourgeoise fût séparée de la question belge ; que l'arrangement à intervenir pour le Luxembourg fût abandonné à la Confédération germanique et au roi des Belges, lequel, malgré le statu quo, serait reconnu immédiatement, si la question du Limbourg était décidée. Cette déclaration obtenue de la conférence, les envoyés du gouvernement belge pourraient entrer en négociations en portant tous leurs efforts et toutes leurs ressources sur le Limbourg seul. M. Devaux montra quel devait être en cela le rôle de l'Angleterre ; il soutint que le ministère anglais pouvait prendre une espèce d'initiative, et qu'il devait donner aux Belges l'appui que leur prêtait autrefois la France.

Lord Grey, que les commissaires belges virent le lendemain, émit d'abord l'opinion qu'il fallait adhérer aux bases de séparation, sauf les arrangements ultérieurs ; les négociateurs se montrèrent inflexibles. Le prince Léopold avait engagé M. Nothomb à exposer à Sa Seigneurie le système des enclaves. Lord Grey était attentif, mais ne comprenait pas la portée sérieuse de ce système. Pour rendre sa déduction plus saisissante, M. Nothomb posa cette question : « Si, en 1790, Amsterdam n’avait pas appartenu à la république des Provinces-Unies, à qui appartiendrait Amsterdam d'après les art. 1 et 2 du protocole du 20 janvier ? » Lord Grey fut obligé de répondre : « A la Belgique. » Ouvrant alors un ancien atlas, M. Nothomb montra les enclaves de Sevenaar et de Huyssen qui, en 1790, n'appartenaient pas à la république des Provinces-Unies, mais au duché de Clèves (Prusse). Lord Grey s'écria : « La conférence n'a pas vu toute la portée du principe qu'elle a posé ; mais c’est fait, soyez discret, et revoyez le prince. En effet, vous pouvez créer une situation nouvelle et tout à fait imprévue. »

M. le baron de Bulow, représentant de la Prusse à la conférence, (page 246) que les négociateurs visitèrent le 11, voulait une adhésion préalable et immédiate au protocole du 20 janvier. Les négociateurs insistèrent, au contraire, sur l'intérêt qu'aurait la Prusse rhénane de voir les Belges maîtres de la Meuse et d'entretenir avec eux, par une autre voie que le Rhin, un commerce de transit ; ils insistèrent de nouveau pour la mise hors de cause de la question du Luxembourg. Dans cette entrevue avec l'ambassadeur de Prusse, il fut surtout question de Maestricht. M de Bulow prétendait que cette ville avait appartenu en entier en 1790 à la république des Provinces-Unies. M. Nothomb, qui s'était muni de tous les documents, n'eut pas de peine à établir à l'évidence que la souveraineté de Maestricht était avant 1790 indivise entre la république des Provinces-Unies et l'évêque de Liége. Toutefois M, de Bulow n'en convint que dans la conférence tenue le 23 juin au Foreign-Office ; alors il proposa lui-même la rédaction qui devint l'art. 4 du traité des dix-huit articles. Ce fut là une immense concession.

Le 11 juin aussi, tandis que M. Devaux se trouvait chez le prince Léopold à Marlborough-House, M. Nothomb avait une nouvelle conférence avec lord Palmerston au Foreign-Office. Sa Seigneurie parla de nouveau de l'échange du Luxembourg contre la plus grande partie du Limbourg. Le négociateur belge répondit que c'était impossible. Il demanda une explication du protocole du 21 mai, qu'il qualifia d'amère dérision, de piège dressé au prince Léopold, aux Belges et peut-être aux ministres anglais. Il insista pour la mise hors de cause de la question du Luxembourg. « Ce préalable est indispensable, disait-il, pour que le gouvernement belge puisse ouvrir une négociation sur le Limbourg sans craindre de nouvelles embûches. » On vint annoncer que tous les ministres plénipotentiaires étaient arrivés. M. Nothomb voulut se retirer. Lord Palmerston le pria de résumer leur conversation, ce que le négociateur belge crut devoir refuser ; lui-même prit (page 247) alors la plume et écrivit une note qui portait en substance : « J'ai vu les commissaires belges : leurs pouvoirs dérivent de l'art 2 du décret du 2 juin, ils ne peuvent en avoir de plus étendus. Le gouvernement belge, d'après les lettres du général Belliard et de lord Ponsonby, regardait la question du Luxembourg comme déjà réduite à une question d'argent, et s'étonne de l'interprétation donnée au protocole n° 24 (le protocole du 21 mai). »

Le 14 juin, après de nouvelles entrevues avec le prince Léopold et les deux principaux membres du cabinet britannique, ceux-ci admirent le système des enclaves comme base d'une négociation nouvelle, Une conversation, que les négociateurs eurent le même jour avec M. de Wessenberg, ambassadeur d'Autriche, leur prouva que la conférence était pressée d'en finir ; qu'elle cherchait un expédient, une issue pour reconnaître le prince Léopold.

Lorsque les négociateurs eurent fait connaître leurs vues à M. de Wessenberg (mise hors de cause de la question du Luxembourg ; négociation pour le Limbourg), l'ambassadeur d'Autriche leur dit à plusieurs reprises, en regardant la carte déployée devant eux : « Vous ne pouvez céder le cours de la Meuse. » Il paraissait reconnaître, dans cette entrevue officieuse, qu'il était impossible d'établir une contiguïté de territoire entre Maestricht et Venloo, au profit de la Hollande. L'un des négociateurs rappela ce qui s'était passé sous Joseph II après le traité de Fontainebleau. Ce traité stipulait aussi la contiguïté de territoire ; Joseph II s'y refusa. Le gouvernement belge voulait suivre la même politique.

Les négociateurs belges reconnaissaient donc la nécessité de dégager avant tout la question du Luxembourg. Le 14, ils avaient remis au prince une note purement confidentielle et privée sur cet objet. C'était le résumé de leurs conversations. Le prince devait s'en (page 248) servir comme d'un guide et conférer sur cette pièce avec lord Palmerston, sans dire de qui il la tenait et sans s'en dessaisir Cette note était conçue en ces termes :

« Le protocole du 21 mai, n°24, avait le double but : 1° de faciliter l'adhésion des Belges au protocole du 20 janvier 1831 ; 2° de faciliter l'acceptation de S. A. R. le prince Léopold.

« La rédaction de ce protocole, loin d'atteindre ce but et de diminuer les difficultés, les a, au contraire, augmentées et compliquées davantage.

« En effet, en n'énonçant pas expressément que, dans la négociation pour le Luxembourg, il ne s'agira pour la Belgique que d'une indemnité pécuniaire, on se servant au contraire du mot équivoque de compensations, on fait croire aux deux parties que la conférence a en vue un échange de territoire, c'est-à-dire l'échange du Luxembourg contre une grande partie du Limbourg.

« De là, pour la Belgique, situation pire que sous le protocole du 20 janvier, et confusion de la question du Limbourg et du Luxembourg, questions toutes distinctes, de nature et de caractère tout différents, dont la solution peut devenir facile si on les isole l'une de l'autre, mais qui, confondues, sont insolubles.

« Le protocole du 21 mai, s'il faut l'entendre dans le sens d'un échange territorial, est un acte plus onéreux que le protocole du 20 janvier 1831 . En effet, d'après le protocole du 20 janvier, la Hollande ne peut réclamer dans le Limbourg que la moitié de Maastricht, cinquante-trois villages épars dans la province et la petite ville de Venloo. D'après le protocole du 21 mai, elle réclamerait, à titre d'échange contre le Luxembourg, la majeure partie du Limbourg, enlèverait à la Belgique tout commerce de transit avec l'Allemagne, et s'assurerait ainsi un monopole au préjudice, non seulement de la Belgique, mais (page 249) de l'Angleterre, de l'Allemagne et surtout des provinces rhénanes.

« Les difficultés, loin d'être aplanies, comme le voulait la conférence, sont donc plus grandes qu'avant le protocole du 21 mai.

« Quel est aujourd'hui le moyen de les diminuer ?

« C'est que la conférence donne du protocole du 21 mai une explication ou interprétation dans l’un ou l'autre des deux sens suivants :

« 1° Qu'elle déclare que par le mot compensations, on a entendu des indemnités pécuniaires ; ou bien : 2° qu'elle déclare que la question luxembourgeoise, étant en dehors de la question belge-hollandaise, restera aussi en dehors des protocoles.

« A ce sujet, il faut bien remarquer combien sont différentes de nature la question belge-hollandaise et la question luxembourgeoise.

« Les parties, dans la première question, sont la Belgique et la Hollande ; dans la seconde, ce n'est ni la Hollande ni le roi de Hollande, mais, d'une part, l'ancien grand-duc, la maison de Nassau, la Confédération germanique ; et, d'autre part, la Belgique. Ce n'est plus là un litige entre la Belgique et la Hollande, car la Hollande n'y est pour rien. La question du Luxembourg est donc d'une tout autre nature que la question belge-hollandaise. Elle peut en être entièrement séparée, logiquement même elle le doit.

« Quel a été le but des cinq puissances à l'égard de la Belgique et de la Hollande ? Reconnaissant la nécessité d'une séparation complète entre ces deux nations, les cinq puissances ont voulu poser les bases de séparation entre l'une et l'autre ; elles ont déterminé d'après quel principe serait tracée la ligne qui devait désormais séparer le territoire de la Hollande de celui de la Belgique ; c’est-à-dire la limite du nord de la Belgique et du sud de la Hollande. Or la question du Luxembourg, quelle (page 250) soit décidée dans un sens ou dans l'autre, ne change rien à cette limite. Encore une fois, ce n'est point une question qui concerne les bases de séparation entre les deux nations, car la nation hollandaise n'est pour rien dans la question du Luxembourg ; c'est une possession contestée entre la Belgique et l'ancien grand-duc, qui ne concerne pas plus la question belge-hollandaise, que ne le ferait une possession contestée entre la Belgique et la Prusse, ou entre la Belgique et la France, ou toute autre puissance étrangère.

« Les puissances n'ayant voulu que poser les bases de séparation entre les deux peuples, il est juste et logique de se borner à la limite du nord de la Belgique qui, seule, concerne les deux peuples, et de laisser la contestation du Luxembourg se décider ultérieurement entre les parties qu'elle concerne, c'est-à-dire le futur roi des Belges et l'ancien grand-duc.

« Que la question du Luxembourg soit donc distraite de la question belge-hollandaise, comme étant d'une nature différente ; que, par ce moyen, la question de la limite à tracer entre les territoires belge et hollandais soit dégagée de toute autre, et puisse être consentie isolément par les deux parties ; que la décision de la question du Luxembourg soit ainsi différée jusqu'après l'avènement du futur roi des Belges.

« Que le statu quo soit maintenu dans le Luxembourg durant le litige.

« Que le maintien du statu quo ne soit pas un obstacle à la reconnaissance immédiate du roi des Belges.

« Une pareille déclaration serait de nature à faire disparaître les plus grandes difficultés de la question belge, qui, se trouvant réduite à la contestation relative à la limite du nord, serait susceptible d'une solution prompte et satisfaisante. »

L'ajournement de cette solution maintenait l'Europe dans un état d'inquiétude et d'irritation, qui était désastreux pour la France et (page 251) l'Allemagne aussi bien que pour la Hollande et la Belgique. Or le prince Léopold plaçait les puissances entre le refus absolu de la couronne de Belgique ou l'acceptation à telles conditions. Ce que la conférence craignait par-dessus tout, c'était précisément le refus du prince, l'impossibilité d'une solution pacifique de la question belge. Le 15, le prince, d'accord avec les négociateurs, avait présenté son ultimatum à la conférence ; il consistait dans les huit premiers articles des bases de séparation du 20 janvier, modifiés ou expliqués dans le sens le plus favorable aux Belges ; ce système maintenait la conservation du Luxembourg, et, quant au Limbourg, aboutissait, au pis aller, à la perte de Venloo.

(Note de bas de page) Pour apprécier la portée de cet ultimatum, il faut avoir sous les yeux le texte du protocole du 20 janvier 1831 (voir t. I, p. 230). Le prince proposait les bases suivantes :

ART. Ier (du protocole du 20 janvier 1831. - Admis).

ART. II. (Admis avec la rédaction suivante) : « La Belgique sera formée de tout le reste des territoires qui avaient reçu la dénomination de royaume des Pays-Bas dans les traités de 1815, quelle qu'en soit l'origine.

« La question du grand-duché de Luxembourg, distincte de la question belge-hollandaise, donnera lieu à des négociations ultérieures, et le statu quo actuel sera maintenu dans le grand-duché durant le litige. »

N.B. En donnant à la Hollande le statu quo de possession de 1790, il en résulte que la Belgique a droit, dans Maestricht, à la part de souveraineté qui n'appartenait pas à la république des Provinces-Unies, en 1790.

ART. III. (Admis.) - Il sera stipulé à cette occasion ce quo le congres de Vienne avait déjà décidé, la libre navigation du Rhin. De même, la libre navigation des eaux intérieures, comme le canal du Gand à Terneuze, le Zuid-Willems-Vaart et autres, avec réciprocité. On stipulera, en outre, des procédés équitables pour les écluses.

L'article relatif à la liberté de la navigation dus fleuves recevra immédiatement son exécution.

ART. IV ET V. – L'échange des enclaves sera facultatif et, entendant, le statu quo de 1790 sera maintenu. L’évacuation de la citadelle d'Anvers et des forts belges aura lieu immédiatement comme résultat de l'établissement du statu quo de 1790.

ART. VI. (Admis.) - La neutralité ne donnerait aux cinq puissances ni le droit ni la prétention de s'immiscer dans les affaires intérieures du pays.

ART. VII. (Admis.) - Cet article n'ôterait point à la Belgique la liberté de se faire justice des actes d'agression que ses voisins pourraient se permettre.

ART. VIII. (Admis.) - Les cinq puissances déclareraient, en termes positifs, n'avoir point l'intention d'intervenir dans aucune autre affaire entre la Belgique et la Hollande, autrement que par bons offices.

Déclarer que pourvu que le Congrès belge adopte les dispositions de ce traité, les cinq puissances reconnaissent le roi élu par les Belges. (Fin de la note)

Il (page 252) s'agissait, en un mot, d'obtenir des puissances la reconnaissance immédiate du roi des Belges, en ne faisant que très peu de concessions et des concessions compatibles avec la dignité du pays. Il s'agissait d'établir sur des bases honorables et sûres l'indépendance de la Belgique, et de la soustraire à la tutelle de la conférence.

On aura remarqué que les négociateurs belges s'étaient abstenus de toutes démarches auprès des plénipotentiaires de la cour de Russie. Ils avaient compris que ces démarches seraient inutiles ou dangereuses ; inutiles, puisque ces plénipotentiaires étaient décidés à accepter ce qui leur serait présenté au nom de la conférence ; dangereuses, car ils auraient pu initier aux secrets de la négociation les représentants du gouvernement hollandais. Ceux-ci n'avaient pas participé et ne participèrent point à cette négociation, pourtant décisive ; soit inattention, soit quiétude poussée jusqu'à l'indifférence, ils ne se doutèrent même pas du revirement qui s'opérait dans la conférence, grâce aux efforts incessants des commissaires du gouvernement belge, secondés par la grande influence dont jouissait le prince Léopold.

Les membres de la députation du Congrès, qui avait suivi à (page 253) Londres les commissaires du régent, n'avaient pu remplir jusqu'alors leur mission. Le prince Léopold leur avait témoigné combien il était touché de l’acte solennel qui lui déférait le trône de Belgique ; mais en même temps il avait exprimé le regret de ne pouvoir encore les recevoir officiellement. Il avait ajouté qu’il allait consacrer tous ses efforts à obtenir de la conférence des résolutions nouvelles plus en harmonie avec celles du Congrès et le vœu du pays, et il les avait engagés à voir, de leur côté, les plénipotentiaires des cinq cours et les membres du cabinet anglais. Cette première audience, dit un des témoins, produisit une impression telle sur les membres de la députation, dont plusieurs arrivaient avec des préventions défavorables, que tous s'écrièrent, en sortant, que Léopold était le roi qui convenait à la Belgique.

Les députés du Congrès restèrent cependant étrangers à la négociation dont étaient chargés exclusivement MM. Devaux et Nothomb.

(Note de bas de page) Cette situation suscita quelques rivalités. Nous avons dit précédemment que le régent, ne voyant de salut pour la Belgique que dans une combinaison française, avait longtemps résisté avant de laisser entrer simultanément dans le conseil MM. Lebeau et Devaux. Lorsqu'il s'agit de mettre à exécution le décret adopté, le 2 juin, par le Congrès, M. Lebeau dut exiger du régent que MM. Devaux et Nothomb fussent chargés de la négociation ; ce dernier fut nommé malgré le régent qui, inspiré par certaines influences, le trouvait trop jeune et trop compromis dans la question du Luxembourg. Mais à peine M. Nothomb fut-il à Londres, qu'il reçut subitement (le 10 juin) un ordre de rappel. L'honorable collègue de M. Nothomb blâma vivement cet acte : « J'ai reçu hier la lettre relative à M. Nothomb, » écrivit-il au ministre des affaires étrangères. « Les bras me sont tombés. M. Nothomb est, à mon avis, l'homme qui connaît le mieux les détails des questions diplomatiques qu'il s'agit de résoudre dans ce moment ; je dirai même que c'est le seul en Belgique qui les connaisse bien, il vous suffirait d'une ou deux entrevues pour reconnaître combien ses connaissances positives sont indispensables. Je suis sûr qu'il a, depuis que nous sommes ici, jeté plus de jour sur les questions qu'on ne l'a fait en plusieurs mois. Écarter M. Nothomb d'une telle négociation est chose si absurde, si inconcevable pour moi que, si elle se réalise, je suis décidé à partir de Londres par la même voiture que lui, et de plus à me retirer à l'instant d'un ministère qui n'a pas la force ou le bon sens de faire prévaloir les intérêts du pays sur les puériles susceptibilités de quelques commères. - La froideur entre nous et trois ou quatre membres de la députation est chose dont il ne faut pas plus s'inquiéter que nous qui n'avons pas l'air de nous en apercevoir, quoique nous nous trouvions toute la journée au milieu d'eux. Cela s'usera facilement... » L'ordre de rappel, surpris à la religion du ministre des affaires étrangères, resta sans exécution, et ne tarda pas à être révoqué. (Fin de la note).

Elle était conduite avec autant de discrétion que de (page 254) tact et d’habileté. Ce ne fut que le 17 juin, au soir, que les commissaires du régent se décidèrent à communiquer le projet de transaction, c'est-à-dire l'ultimatum du prince Léopold, aux membres de la députation, sous le plus grand secret et à condition qu'il n'en serait rien écrit a Bruxelles. Ce secret fut religieusement gardé ; même, dans la longue et tumultueuse discussion des préliminaires de paix, pas un mot ne vint trahir les deux négociateurs.

Les commissaires du gouvernement correspondaient avec le ministre des affaires étrangères. Plusieurs membres de la députation du Congrès correspondaient avec le régent et avec le bureau de l'assemblée. Le président de la députation s'était empressé de faire connaître au régent les bonnes dispositions dans lesquelles il avait trouvé le prince Léopold. De son côté, le régent décrivit dans sa correspondance l'état du pays. « Je vois, disait-il, que les ministres anglais tiennent à la reconnaissance du protocole du 20 janvier ; et s'ils y persistent, ce sera un obstacle insurmontable à amener les négociations à bonne fin. Le refus de s'expliquer, d'une part, si l'on obtiendra les objets contestés au moyen de (page 255) sacrifices pécuniaires, et de l'autre, la proposition d'un échange du Limbourg contre le Luxembourg, proposition nouvelle, et que l'on dirait faite tout exprès pour élever de nouveaux obstacles, tout cela, dis-je, me rend triste, parce que je n'entrevois pas encore une fin bien prochaine à nos affaires, et je crains que nous ne puissions en sortir que par un moyen violent... Le 30 juin approche, et s'il n'y a pas de solution pour cette époque, on mettra le feu aux poudres... La minorité et le parti qui est opposé à l'élection du prince emploieront tous les moyens pour arriver à leurs fins... »

État de la Belgique. Armements. Opposition de l’Association nationale contre le ministère. Efforts du parti français

Le Congrès aurait dû se réunir dès le 7 juin ; il ne se trouva en nombre suffisant pour délibérer que six jours après, c'est-à- dire le 13. Il entendit en comité secret un rapport du ministre de la guerre sur les forces militaires de la Belgique. Le gouvernement s'efforçait de les mettre sur un pied respectable. Dès le 13 avril, le premier ban de la garde civique de la province de Luxembourg avait été mobilisé ; un arrêté du 7 juin ordonna la mobilisation du premier ban de la garde civique dans toutes les autres provinces. Le 18, il fut enjoint aux miliciens de la levée de 1831 de rentrer sous les drapeaux le 5 juillet. Un arrêté du même jour partagea en quatre corps les troupes mobilisées dans chacune des divisions militaires ; ces quatre corps devaient prendre les dénominations d'armée de la Meuse, d'armée de l'Escaut, d'armée des Flandres, et d'armée du Luxembourg.

Cependant l'Association nationale avait chargé son comité directeur de se rendre auprès du régent pour le prier de renvoyer son ministère auquel on reprochait, pour principal grief, de ne pas se préparer à la guerre. Le régent avait répondu qu'il serait au moins convenable d'attendre jusqu'au 30 juin. Des députés de la minorité du Congrès l'avaient également pressé de rompre avec ses ministres. On désignait, comme pouvant les remplacer avantageusement : MM. Alex. Gendebien, Tielemans, Ch. de (page 256) Brouckere et le général le Hardy de Beaulieu. Comprenant les devoirs de sa haute position, le régent objecta que le ministère ne pouvait se retirer que devant un vote de la majorité du Congrès. La plus grande anxiété régnait dans le pays ; quoique tranquille à la surface, il était profondément agité par des excitations factieuses. Le parti orangiste répandait des proclamations dans lesquelles la restauration de Guillaume Ier était ouvertement réclamée ; le parti réunioniste prenait la résolution d'arborer le drapeau français en même temps qu'il aurait fait détruire le monument de Waterloo. La garnison de Liége avait été sur pied pendant quarante-huit heures pour empêcher une manifestation qui pouvait avoir les conséquences les plus graves ; et la magistrature communale avait décrété que des couleurs étrangères portées par un individu quelconque seraient regardées comme un fait séditieux. Des mesures de précaution avaient également fait avorter le complot dirigé contre le monument de Waterloo, tandis que le gouvernement donnait satisfaction a des susceptibilités respectables. En effet, le ministre de l'intérieur informa les gouverneurs que les modifications amenées par la révolution dans les relations politiques de la Belgique s'opposaient à ce que l'anniversaire de la bataille de Waterloo fût encore célébré par des fêtes et des solennités. « Que le Te Deum du 18 juin reste aboli (disait un des organes du parti national), pourvu que le lion de Waterloo demeure debout, et continue pour les nations voisines à servir de témoignage de notre volonté et de notre courage à défendre l'indépendance de la Belgique contre tout agresseur injuste. » Pour agiter les populations, mille bruits alarmants étaient répandus par les fauteurs d'anarchie ; tantôt c’étaient les Prussiens qui étaient entrés à Maastricht ; d'autres fois c'étaient les troupes de la Confédération qui avaient envahi le Luxembourg. Cependant cette tactique ne produisit pas l'effet qu'en attendaient ceux qui l'avaient mise un usage. Le bon sens (page 257) du peuple faisait justice de ces manœuvres anarchiques. L'indiscipline des volontaires créait des dangers plus graves. « Hier, depuis huit heures du soir jusqu'à une heure après minuit « (écrivait, le 12 juin, le régent à M. de Gerlache) j'ai reçu d'Anvers trois avis différents, pour me prévenir que, contrairement à mes ordres les plus formels, l'on continue les travaux d'attaque contre la citadelle. Le ministre de la guerre a fait partir pendant la nuit un officier pour réitérer les ordres de cesser les travaux. Mais à quoi sert de commander, quand on n'obéit pas ? Ainsi je prévois que l'on commencera la guerre partout a la fois et malgré moi... »

Les dispositions pacifiques et conciliantes prévalaient à Londres. Un dernier obstacle avait été surmonté par les commissaires du régent. A l'ultimatum du prince Léopold, M. de Bulow avait voulu opposer un projet d'après lequel la Belgique aurait donne une adhésion conditionnelle au protocole du 20 janvier. Ce projet eût enlevé au gouvernement belge la possibilité de se soustraire à la domination de la conférence et de négocier directement avec la Hollande sur les enclaves et les dettes. La conférence, constituée en permanence, eût veillé à l'exécution du traité et fait payer à la Belgique la dette par anticipation. Elle aurait déclaré la Belgique indépendante, en lui interdisant pour longtemps encore l'exercice de l'indépendance. Le prince Léopold repoussa énergiquement ce projet ; il voulait que les arrangements du moment fussent tels qu'ils ne liassent pas à tout jamais les Belges dans l'avenir. Le projet de M. de Bulow ayant été rejeté le 19 juin, la conférence entra enfin dans les vues des commissaires du régent. (Note du webmaster : Le livre de Th. JUSTE reprend, en note de bas de page, le projet de de Bulow. Il n’est pas reproduit dans cette version numérisée. Cette même note se termine pas la considération suivante : M Nothomb a fait connaître, dans son Essai historique et politique sur la Révolution belge (3e édition, p. 173), les progrès de la négociation au 19 juin et la rédaction que présentait alors le projet conçu chez le prince Léopold. Ce projet fut encore améliore dans quelques parties, et augmenté de plusieurs articles. Il n'en avait que onze au 19 juin ; le texte définitif en contint dix-huit.))

Ouverture du parlement anglais ; discours de Guillaume IV. Les chefs des torys et les chefs des whigs exposent leurs vues sur la question belge à la chambre des lords

(page 258) Le 21 juin, Guillaume IV, ouvrant le parlement chargé d'accomplir la reforme attendue par la Grande-Bretagne, avait laissé entrevoir la solution prochaine de la question belge.

« Les discussions qui ont eu lieu sur les affaires de la Belgique, disait-il, ne sont pas encore arrivées à une conclusion ; (page 259) mais l'accord le plus complet continue à subsister entre les puissances dont les plénipotentiaires ont figuré dans les conférences de Londres. Le principe qui a présidé à ces conférences a été celui de la non-intervention dans les droits du peuple belge à régler ses affaires intérieures, et à établir son gouvernement (page 260) d'après les bases qu'il regarde comme les plus propices à assurer son bonheur futur, son indépendance, et sous la seule condition, condition sanctionnée par les coutumes des nations, et fondée sur les principes du droit public, que l'exercice de ce droit incontestable ne portera nulle atteinte à la sécurité des États voisins. »

Quatre jours après, ce passage du discours du trône devint le texte d'une discussion remarquable qui s'engagea, à la chambre des lords, entre les chefs des torys et les chefs des whigs, lord Aberdeen, lord Grey et le duc de Wellington.

Lord Aberdeen ouvrit le débat. « Les ministres de Sa Majesté ont parlé sans trop de défiance du maintien de la paix, dit-il. En rapprochant ces paroles des circonstances connues et patentes, je ne puis que concevoir quelques alarmes pour l'honneur de ce pays. En voyant la manière pompeuse dont le ministère a constamment exprimé son désir de la paix depuis qu'il est au pouvoir, les puissances étrangères pourraient peut-être se persuader que l'Angleterre n'est pas préparée à la guerre. Je ne m'occuperai pas de savoir si cette conduite était la plus propre à assurer le maintien de la paix. Le noble comte qui est à la tête du gouvernement conviendra qu'une politique également pacifique avait été adoptée par ses prédécesseurs ; mais le dernier ministère possédait l'incalculable avantage de la confiance que les puissances de l'Europe faisaient toutes reposer sur la personne du duc de Wellington, et cette confiance a peut-être égalé les services rendus par lui sur le champ de bataille. La première question que j'adresserai aux ministres porte sur les négociations relatives aux affaires de la Belgique. Le gouvernement a exposé ses principes. Ce principe est celui de la non-intervention, et la détermination de respecter en tout le droit des gens et la loi des nations. J'adhère à ce principe ; car ainsi expliqué et limité, il ne peut être sujet à contestation (page 261) Aucune nation ne s'arroge le droit d'intervenir dans les affaires d'un autre peuple que sous le prétexte des dangers qui la menacent elle-même. Or toutes les puissances jalouses d'intervenir effectivement ont toujours fait exactement ce que vient de faire la conférence de Londres. Elles se sont constituées juges du degré de danger qui les menaçait et du degré d'intervention qu'elles voulaient exercer. Il n'y a pas de principe plus élastique que celui-là. Mais que serait-il avenu, par exemple, si la Belgique s'était constituée en république ? D'ailleurs, la France n'a-t-elle pas refusé au Congrès belge le droit d'élire un souverain de la famille Bonaparte ? Mon intention n'est pas d'en faire un reproche direct à la France, mais bien de montrer combien est souple ce principe de non-intervention sur lequel on a basé la politique européenne ; car si la conduite de la France n'est pas de l'intervention, il faut convenir que c'est au moins de la quasi-intervention. J'avoue que je ne connais pas toutes les transactions qui ont eu lieu à cet égard, mais je ne puis que concevoir des alarmes sérieuses sur l'effet qu'elles doivent produire relativement à nos relations avec la Hollande et avec les autres puissances de I Europe. La conférence a d'abord posé les articles de la séparation de la Belgique et de la Hollande ; ils ont été déclarés irrévocables et soumis à l'acceptation sans condition des parties. Le roi de Hollande, dans son désir de maintenir la paix de l'Europe, les a acceptés ; mais le Congrès belge les a repoussés, et n'a rendu qu'injures et mépris aux puissances qui les avaient dictés. Le devoir des puissances était alors de protéger le roi de Hollande : au lieu de cela, plusieurs de ces articles irrévocables ont été révoqués ; un terme a été fixé aux négociateurs pour quitter Bruxelles si l’ultimatum n'était pas accepté. Une lettre comminatoire a été écrite pour prolonger les délais. Dans tout (page 262) cela je ne vois pas que les intérêts du roi de Hollande aient été consultés. Les dangers de cette transaction deviendront beaucoup plus graves si le trône de la Belgique est occupé par un prince allie à l'Angleterre. L'effet probable en sera que, si l'on surmonte (ce que j'ignore) les obstacles qui s'opposent à l'élévation de ce prince, notre position sera aggravée vis-à-vis de la Hollande, et le danger de la guerre n'en sera que plus imminent. Ceci doit donner matière à de graves considérations. La conférence, tout en reconnaissant le droit des Belges de se constituer, aurait pu respecter davantage les intérêts de la Hollande ; car nul pays n'a plus de titres à la sympathie de ce pays-ci. »

L'illustre chef du cabinet whig répondit à son noble adversaire : « Lord Aberdeen a dit que le gouvernement actuel était fondé sur le principe fastueusement annoncé du maintien de la paix. Sans doute, le gouvernement avait la plus vive anxiété pour la conservation de la paix, mais je ne sache pas que l'on ait mis aucune ostentation dans cette annonce. Le maintien de la paix a été le but de la tâche que s'était proposée et que se propose encore l'administration. Nous en convenons volontiers, et quoique dans l'état actuel de l'Europe je ne sois pas autorisé à parler du maintien de la paix avec confiance, cependant je dois dire que je l'espère encore. Je ne récuse aucunement l'hommage rendu aux services du duc de Wellington ; j'admets l'importance de ses services ; mais si lord Aberdeen veut parler des arrangements de l'Europe, auxquels le noble duc et le comte lui-même ont eu une part considérable, j'en appelle à l'état actuel de l'Europe comme étant le meilleur commentaire du mérite de ces arrangements. Le noble comte a donné son assentiment au principe de la non-intervention, puis il l'a explique de manière à le réduire à l'inefficacité la plus déplorable. Si, par exemple, les Belges avaient établi une république, les (page 263) puissances, selon le noble comte, auraient eu le droit d'intervenir. Je n'adhérerai jamais à aucune intervention fondée sur de pareils motifs. Ensuite le noble comte a parlé de l'intervention qui aurait eu lieu sous le rapport du choix d'un souverain. Le droit du peuple de la Belgique d'élire son monarque était indisputable ; mais c'était avec cette limite que le droit serait exercé de manière à ne point compromettre la paix et le bien-être des nations voisines. Je serais prêt, si les particularités pouvaient être rendues publiques, à justifier la part que le gouvernement e Sa Majesté a prise dans tous le cours de la négociation par rapport à la Belgique. Je ne prétends pas anticiper sur l'état des négociations touchant les droits du roi des Pays-Bas et les intérêts européens qui s'y rattachent ; mais je puis exprimer ma conviction que l'on trouvera des moyens pour conserver intacts tous les intérêts importants. Quant à l'élection d'un illustre personnage, lorsque je songe à la modération et a la sagesse qui le caractérisent, je pense que, si l'effet de cette élection était consommé, il en résulterait autant d'honneur que d'avantage pour ses sujets. Un tel événement, s'il avait lieu, n'aurait pas été amené par l'influence anglaise ; et Son Altesse Royale, après être montée sur le trône, ne tarderait pas à montrer qu'elle n'est ni anglaise, ni française, mais seulement et entièrement belge... «

Le duc de Wellington intervint ensuite dans le débat, et s'exprima en ces termes « Je crois devoir répondre aux observations qu'on a faites sur la politique du cabinet anglais, à l'époque où j'étais premier ministre. Lord Grey s'est plaint des embarras au milieu desquels il s'est trouvé lors de son entrée au ministère. Personne ne connaît mieux que moi les embarras d'une telle position, mais je désire bien qu'on sache que ce n'est ni à moi ni à aucun de mes collègues qu'il faut les attribuer. Il faut les attribuer aux malheureux événements de juillet, d'août (page 264) et de septembre. Ces événements, il n'était possible pour personne de les empêcher, excepté pour les souverains dans le royaume desquels ils ont éclaté. Les ministres de Sa Majesté à cette époque n'ont pas cependant applaudi à ces événements. Ils prévoyaient les difficultés et les malheurs qu'ils allaient faire naître ; ils adoptèrent un plan spécial pour ces nouvelles circonstances, et je vois avec plaisir que lord Grey depuis son entrée au ministère n'en a pas suivi d'autre, et jusqu'à ce jour cela lui a fort bien réussi. Il faut que le passé nous guide un peu dans notre conduite a venir. Il a toujours été de la politique de l'Angleterre d'empêcher la France de s'emparer de la Belgique, et personne n'a plus soutenu ce principe que lord Grey et lord Holland. Lord Londonderry avait ainsi jugé les choses, et toutes les négociations, tous les traités conclus par lui avec tant de peine, n'avaient que ce seul but, garantie nécessaire du repos de l'Europe. Quelle a été la conséquence de ce système ? Ce pays-ci et l'Europe ont joui, depuis 1814, bien entendu à l'exception des cent-jours, d'une paix profonde. Cette tranquillité a été interrompue par les événements de juillet en France, d'août et de septembre en Belgique. Je ne m'explique pas sur ces événements ; je me bornerai à dire que je suis profondément convaincu que l'état de choses renversé par ces événements était le meilleur pour les peuples et en même temps le plus propre au maintien de leur tranquillité intérieure et de la paix en Europe. Malheureusement cette position ne peut se retrouver en ce moment. Les puissances de l'Europe ont été appelées à intervenir en Belgique ; un armistice a été proposé entre les deux nations en hostilité, et depuis ce moment ont commencé les difficultés prévues par l'ancien ministère. J'approuve entièrement toutes les mesures adoptées à celte époque, afin d'assurer à la Belgique une sécurité que l'Europe a droit d'exiger. Je conjure lord Grey de (page 265) persévérer et de marcher d'accord avec la France et ses alliés. En agissant ainsi, nul doute qu'il ne surmonte tous les obstacles, et qu'il n'arrive à l'arrangement définitif des affaires de l'Europe, au grand avantage de son pays et à son grand honneur. »

La conférence entre dans les vues des commissaires belges

L'accord des puissances allait se manifester par la consécration solennelle de l'indépendance de la Belgique. Le 23 juin, il y avait eu au Foreign-Office une nouvelle entrevue entre les commissaires du régent et lord Palmerston, les ambassadeurs de Prusse et d'Autriche. Cette conférence, qui se prolongea de midi jusqu'au soir, fut décisive. M. de Bulow admit à son tour le système des enclaves et reconnut la légitimité des droits que la Belgique faisait valoir sur Maestricht.

Sur ces entrefaites, M. de Talleyrand, ayant reçu de Paris les nouvelles instructions dont nous avons parlé, donna un grand repas auquel il invita les négociateurs belges. Lorsque M. Nothomb entra, il le prit à part, et s'appuyant familièrement sur son épaule, lui dit : « Il faut en finir ; vous savez que je signerai tout ce qui nous sera présenté de la part du prince Léopold. »

Il serait donc inexact de prétendre, comme on l'a fait en France, que M. de Talleyrand aurait rédigé ou suggéré le traité des dix- huit articles. La vérité est qu'il les accepta, même un peu à contrecœur.

La rédaction définitive des préliminaires de paix, contenus en dix-huit articles, fut arrêtée, le 24 juin, au soir, à Marlborough-House, entre le prince Léopold, lord Palmerston et les deux commissaires du régent de la Belgique. Le prince, ayant rencontré une insurmontable résistance à faire admettre l'intégrité territoriale du pays sur lequel il allait régner, c'est-à-dire la Belgique dans les limites fixées par le Congrès, s'était décidé à accepter la couronne sous des conditions qu'on lui présentait comme définitives et comme devant assurer sa reconnaissance immédiate par les cinq grandes puissances et par l'Europe tout entière.

Les dix-huit articles sont envoyés, le 26 juin, aux commissaires du régent. Réception officielle des députés du Congrès par le prince Léopold. Le prince accepte la couronne de Belgique et annonce qu'il se rendra en Belgique dès que le Congrès aura adopté les dix-huit articles

(page 266) Les commissaires du régent s'attendaient à recevoir, le 25, la notification officielle du traité de paix. Leur espoir fut déçu. Dans la matinée du dimanche, 26 juin, ils furent priés par lord Palmerston de se rendre au Foreign-Office. Sa Seigneurie leur apprit que le projet d’arrangement devait être remis par le prince Léopold à la députation du Congrès, non signé, mais avec l'assurance donnée par Son Altesse Royale que l'acceptation de ces conditions satisferait pleinement la conférence. Après s'être élevés avec force contre ce mode de présentation d'un acte aussi important, les commissaires se rendirent chez le prince, qui leur dit que la veille il avait fait les mêmes objections. En ce moment, arriva un billet de lord Palmerston dans lequel il mandait au prince qu'il était ébranlé par les raisons des deux négociateurs. Le prince crut pouvoir fixer à huit heures du soir la réception officielle de la députation du Congrès. Mais, à sept heures, la notification du Foreign-Office n'était pas encore faite aux commissaires du régent. M. Nothomb se rendit à Marlborough-House et instruisit le prince de cette circonstance. La réception de la députation du Congrès fut alors fixée à neuf heures. Enfin, vers huit heures, un paquet à l'adresse des deux commissaires leur parvint à Brunswick-Hotel, où ils étaient descendus ; ils l'ouvrirent et trouvèrent une simple lettre d'envoi, puis un deuxième paquet cacheté à l'adresse de M. Lebeau, ministre des affaires étrangères du royaume de Belgique ; la deuxième enveloppe fut aussitôt rompue, les dix-huit articles lus et vérifiés. A neuf heures, la députation du Congrès se rendit à Marlborough-House pour remettre officiellement au prince Léopold de Saxe-Cobourg le décret qui l'appelait au trône de Belgique. Le président du Congrès s'exprima en ces termes :

« MONSEIGNEUR,

« La révolution belge est un fait accompli ; ce fait a été reconnu (page 267) par les grandes puissances, qui ont proclamé l'indépendance d'une nation réunie, contre sa volonté, à une nation étrangère. Les Belges, en se constituant, ont voulu fonder au dedans les libertés conquises au prix d'une lutte courageuse, et montrer à l'Europe, par le choix du souverain destiné à garantir leur existence politique, le vif désir de concourir à la conservation de la paix générale. Désormais, rendus à eux-mêmes, invinciblement attachés à leur patrie, au gouvernement qu'elle s'est donné, ils opposeront une barrière redoutable à quiconque attenterait à leurs droits comme nation, et ils contribueront ainsi au maintien de l'équilibre européen.

« C'est un rare et un beau spectacle dans les fastes des peuples que l'accord de quatre millions d'hommes libres déférant spontanément la couronne à un prince né loin d'eux et qu'ils ne connaissaient que par ce que la renommée publiait de ses éminentes qualités. Votre Altesse Royale est digne de cet appel, digne de répondre à cette marque de confiance. Le bonheur de la Belgique, et peut-être la paix de l'Europe entière, sont actuellement dans ses mains ! Pour prix d'une noble résolution, prince, nous ne craignons pas de vous promettre de la gloire, les bénédictions d'un bon et loyal peuple, toujours attaché à ses chefs tant qu'ils ont respecté ses droits, et enfin une mémoire chère à la postérité la plus reculée. Ceux d'entre les Belges qui depuis quelque temps ont eu l'avantage d'approcher de la personne de Votre Altesse Royale, et d'apprécier les vues éclairées et la fermeté de son âme, ont pensé qu'un prince doué de facultés si hautes saurait franchir tous les obstacles, s'il en rencontrait, pour accomplir ses grandes destinées !

« Au nom et d'après les ordres du Congrès national, la députation belge a l'honneur de remettre à Votre Altesse Royale l'acte solennel du 4 du présent mois, qui l'appelle au donc de la Belgique. »

(page 268) Le président du Congrès ayant remis le décret d'élection au prince, celui-ci répondit :

« MESSIEURS,

« Je suis profondément sensible au vœu dont le Congrès belge vous a constitués les interprètes.

« Cette marque de confiance est d'autant plus flatteuse qu'elle n'avait pas été recherchée par moi.

« Les destinées humaines n'offrent pas de tâche plus noble et plus utile que celle d'être appelé à maintenir l'indépendance d'une nation et à consolider ses libertés.

« Une mission d'aussi haute importance peut seule me décider à sortir d'une position indépendante, et à me séparer d'un pays auquel j'ai été attaché par les liens et les souvenirs les plus sacrés, et qui m'a donné tant de témoignages de sympathie.

« J'accepte donc, messieurs, l'offre que vous me faites, bien entendu que ce sera au Congrès des représentants de la nation à adopter les mesures qui seules peuvent constituer le nouvel État ; et par là lui assurer la reconnaissance des États européens.

« Ce n'est qu'ainsi que le Congrès me donnera la facilité de me dévouer tout entier à la Belgique, et de consacrer à son bien-être et à sa prospérité les relations que j'ai formées dans les pays dont l'amitié lui est essentielle, et de lui assurer, autant qu'il dépendra de mon concoure, une existence indépendante et heureuse. »

La députation rapportait la lettre suivante adressée, sous la date du 26 juin, par le prince de Saxe-Cobourg au régent de la Belgique :

« MONSIEUR LE RÉGENT,

« C'est avec une entière satisfaction que j'ai reçu la lettre que (page 269) vous m'avez écrite, datée du 6 juin. Les circonstances qui ont retardé ma réponse vous sont trop bien connues pour avoir besoin d'une explication.

« Quel que soit le résultat des événements politiques relativement à moi-même, la confiance flatteuse que vous avez placée en moi m'a imposé le devoir de faire tous les efforts qu'il a été en mon pouvoir pour contribuer à mener à une fin heureuse une négociation d'une si grande importance pour l'existence de la Belgique, et peut-être pour la paix de l'Europe.

« La forme de mon acceptation ne me permettant pas d'entrer dans les détails, je dois ici ajouter quelques explications. Aussitôt que le Congrès aura adopté les articles que la conférence de Londres lui propose, je considérerai les difficultés comme levées pour moi, et je pourrai me rendre immédiatement en Belgique. Actuellement, le Congrès pourra d'un coup d'œil embrasser la position des affaires. Puisse sa décision compléter l'indépendance de sa patrie, et par là me fournir les moyens de contribuer à sa prospérité avec le dévouement le plus vrai !

« Monsieur le régent, veuillez agréer l'expression de mes sentiments distingués.

« LÉOPOLD.

« Londres, le 26 juin 1831. »

Le prince envoyait en même temps la réponse suivante à l'adresse de félicitations qui lui avait été adressée par la régence de Bruxelles :

« Marlborough-House (Londres), ce 20 juin 1831.

« A MM. le Bourgmestre et les Échevins de la ville de Bruxelles.

« MESSIEURS,

« J'ai reçu avec une sincère satisfaction votre lettre datée du (page 270) 9 juin et je suis bien sensible aux sentiments que vous m'y exprimez.

« Veuillez croire que si les événements politiques me conduisent bientôt au milieu de vous, je tâcherai de vous prouver, par les soins les plus assidus et les plus constants, ma vive sollicitude pour le bien-être et la prospérité des habitants de Bruxelles.

« Messieurs,

« Votre très-dévoué,

« LÉOPOLD. »

(Note de bas de page) L'adresse de la ville de Bruxelles était de la teneur suivante : « MONSEIGNEUR, Le- bourgmestre et les échevins de la ville de Bruxelles, organes du vœu général de leurs administrés, ont l'honneur d'exprimer à Votre Altesse Royale leur adhésion sincère à son élection comme roi de la Belgique.

« Le noble caractère et les vertus privées dont Votre Altesse Royale offre le modèle ont sans doute particulièrement contribué à déterminer ce choix, sanctionné par toute une nation judicieuse et sage, qui, après avoir souffert les maux inséparables des commotions politiques, aspire à prendre, sous un sceptre protecteur de ses droits, le rang qui lui est assigné parmi les peuples régis constitutionnellement.

« Puisse Votre Altesse Royale, en prenant possession du trône populaire qui lui est dévolu, venir bientôt parmi nous assurer l'existence politique, l'indépendance et la prospérité de notre patrie !

« Le bourgmestre et les échevins supplient Votre Altesse Royale de recevoir favorablement l'hommage de leur profond respect.

« Bruxelles ce 9 juin 1831.

« Le Bourgmestre président, ROUPPE.

« Par ordonnance : Les Secrétaires, ZANNA, WAEFELAER. » (Fin de la note).

Retour des commissaires et des députés

(page 271) Les députés du Congrès et les commissaires du régent quittèrent Londres à minuit. Débarqués à Ostende le 27 juin dans la soirée, ils partirent immédiatement pour Bruxelles, à l'exception de M. Devaux qui s'arrêta à Bruges.

Le 28, à onze heures du matin, M. Nothomb remit le traité des dix-huit articles aux ministres, réunis en conseil dans l'hôtel du régent. Pendant les cinq derniers jours, MM. Devaux et Nothomb avaient été tellement absorbés par les négociations, qu'il leur avait été impossible de continuer leur correspondance avec le ministre des affaires étrangères. Les propositions définitives de la conférence vinrent donc en quelque sorte le surprendre. M. Nothomb fit connaître au régent et à son conseil le résultat de la négociation, la réception solennelle de la députation du Congrès par le prince et son acceptation conditionnelle de la couronne. M. Nothomb donna ensuite lecture des dix-huit articles. M. Barthélémy, ministre de la justice, rompit le premier le silence pour s'écrier : « C'est plus beau que la Belgique de Marie-Thérèse ! « Cet excellent vieillard, voyant surgir la Belgique indépendante après avoir connu la Belgique autrichienne, fut le seul qui exprimât hautement son approbation. Les autres membres du gouvernement paraissaient indécis. Cependant le temps pressait, le Congrès se réunissait à une heure, et il était impossible de ne pas céder à son impatience. La veille même, le ministre des affaires étrangères avait été vivement interpellé pour qu'il fît connaître immédiatement les résultats des négociations tentées à Londres. Quoique le traité se présentât sous l'aspect le plus favorable, le conseil devait avoir le temps de l'étudier ; s'il avait pu gagner vingt-quatre heures, il aurait pu prendre une véritable résolution. Cette initiative vigoureuse eût été nécessaire pour rassurer les populations surexcitées par les plus sinistres prophéties, par les déclamations les plus violentes contre la prétendue trahison du gouvernement. Le conseil se contenta de décider (page 272) que le traité serait immédiatement communiqué au Congrès, mais que le rapport du ministre des affaires étrangères ne contiendrait pas de conclusions pour ou contre. Quoique les circonstances justifiassent sans doute la détermination prise par le conseil, elle était regrettable. En effet, cette attitude incertaine devait naturellement contribuer à rendre plus difficile la nouvelle épreuve qui attendait le gouvernement et la majorité de l'assemblée nationale.