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Frère-Orban (1812-1857)
HYMANS Paul - 1905

Paul HYMANS, Frère-Orban, (tome premier. Les années 1812 à 1857)

(Paru à Bruxelles en 1905, chez J. Lebègue et Cie)

Chapitre VIII. La politique commerciale – L’abolition de l’échelle mobile des céréales et des droits différentiels - Les traités de commerce

(page 359) Le programme du ministère du 12 août 1847 indiquait en quelques lignes l'orientation de la politique commerciale du nouveau gouvernement : « Le cabinet, disait-il, ne jettera pas la perturbation dans notre régime économique par des changements inopportuns à la législation douanière. Il s'opposera, en règle générale, à de nouvelles aggravations de tarifs et il s'attachera à faire prévaloir un régime libéral quant aux denrées alimentaires. La législation de 1834 ne sera pas rétablie. Nous ne ferons pas consister le salut de l'agriculture dans l'échelle mobile ou dans l'élévation des droits. Il lui faut une protection efficace. Cette protection, elle l'aura. »

C'était la promesse d'une politique de réformation prudente dans les voies de la liberté économique ; les deux dernières phrases semblent recéler une équivoque : pas de droits élevés au profit de l'agriculture, mais une protection efficace. Le mot « protection » ne doit pas être pris dans l'acception de protection douanière. Il vise des mesures d'un autre ordre, plus « efficaces , l'organisation du crédit foncier que Frère-Orban tenta d'établir, mais sans succès.


(page 360) La Belgique, après avoir joui, sous le gouvernement hollandais, du régime des tarifs de 1822, très libéral en comparaison du régime restrictif subi pendant la période de la réunion à la France, s'était, peu après la Révolution, engagée dans les sentiers étroits du système prohibitif. Cc mouvement s'était nettement accusé dans la loi sur les céréales de 1834, qui, sur l'initiative de M. Eloy de Burdinne, avait, à l'imitation de la France et de l'Angleterre, établi l'échelle mobile. Le but était d'assurer à l'agriculture un prix rémunérateur et autant que possible uniforme par le jeu d'un double droit d'entrée et de sortie. L'augmentation de l'un, l'abaissement de l'autre, devaient, en cas d'abondance, remédier à une trop forte dépréciation et, réciproquement, l'oscillation en sens contraire devait corriger les effets d'une hausse des prix, trop cruelle pour le consommateur. Cette combinaison ingénieuse, imaginée par des théoriciens pour corriger artificiellement les effets de phénomènes naturels et inévitables, l'abondance ou le déficit des récoltes, donna lieu partout des déceptions. En France, l'enquête de 1859 établit que de 1819 à 1858, sur trente-neuf années, il y en eut vingt-cinq où les prix restèrent inférieurs à 20 francs, limite moyenne de la rémunération, six où ils dépassèrent 24 francs, huit seulement où ils se maintinrent entre 20 et 24 francs, Quant aux variations extrêmes, elles allèrent jusqu'au minimum de 11 et 12 francs, et jusqu'à un maximum de 35 et de 40 francs.

En Belgique, la disette de la pomme de terre et la (page 361) crise alimentaire de 1845 obligèrent M. Malou à décréter par un arrêté du 5 septembre de cette année la libre entrée des céréales. Une loi du 24 septembre confirma cette mesure à titre provisoire, ne maintenant qu'un droit de balance de fr. 0.10 par 1,000 kilogrammes, et des mesures successives le prorogèrent jusqu'au 31 décembre 1848.

La loi de 1834 était cependant restée isolée dans notre législation, que l'esprit du tarif de 1822 continuait à dominer. Les lois de 1836 et de 1842 sur le transit avaient même attesté des tendances libérales. Mais en 1844 un violent coup de barre ramena le vaisseau dans les eaux stagnantes du protectionnisme. La loi du 21 juillet, portant établissement des droits différentiels, sortit d'une enquête sur la situation du commerce et de l'industrie, décrétée en 1840 sur la motion de M. l'abbé De Foere, qui fut l'auteur principal du projet et son défenseur le plus ardent à la Chambre. Elle suscita dans les grands centres industriels et commerciaux de vives appréhensions que certaines pétitions traduisirent dans les termes les plus vifs. Cette loi, disait la pétition de la chambre de commerce d'Anvers, ne peut avoir que des conséquences misérables, fatales, désastreuses. La Chambre consacra trente-neuf séances son examen. Le nouveau régime accumulait les restrictions, multipliait les réglementations vexatoires. Les droits différaient selon le pays dont la marchandise était originaire ; le pays d'où elle était importée ; le pavillon du navire qui la transportait ; le transport direct ou avec relâche dans un port intermédiaire. Certains produits étaient passibles de sept droits différents. L'application des droits était subordonnée à la production de justifications spéciales, causes d'embarras pour les agents du fisc, autant que pour les importateurs.

On s'inspirait de l'exemple de l'Angleterre ; on (page 362) voulait adopter chez nous le système séculaire de l'Acte de navigation, qui avait eu pour effet de monopoliser au profit de la métropole le commerce avec les colonies et de réserver à la marine nationale le bénéfice du transport des marchandises importées. Ce système, qui datait de 1651, avait en 1825 atteint son apogée. En fait, l'approvisionnement de l'Angleterre se trouvait réservé presque tout entier au pavillon britannique. On attendait naïvement de la reproduction d'un semblable régime en Belgique des profits immenses. On se berçait de l'espoir de constituer, à l'aide de surtaxes de pavillon et de prohibitions, une puissante marine marchande, de créer à l'industrie des débouchés lointains. On croyait le régime britannique immuable. Jamais, disait M. De Foere, l'Angleterre ne s'en départira. On ignorait ou on taisait le grand mouvement d'affranchissement économique qui poussait la Grande-Bretagne au free trade. On ne s'imaginait pas qu'une nouvelle Angleterre manufacturière et commerçante s'apprêtât renverser le vieil édifice branlant et surchargé des droits différentiels et qu'au moment même où on le représentait chez nous comme une œuvre parfaite et défiant le temps, qu'il suffisait de copier pour attirer chez soi la fortune, il trahissait des symptômes d'archaïsme et de vétusté, précurseurs d'une fin prochaine.

La loi de 1844 ne donna point ce qu'en attendaient ses promoteurs. « Le but, dit Sylvain Van de Weyer, était grand et légitime ; le moyen, factice et suranné ; le résultat ne répondit pas aux espérances. » (Histoire des relations extérieures depuis 1830, PATRIA BELGICA.) Les droits sur certaines marchandises atteignirent un taux presque prohibitif, 80 et jusque 100 p. c. sur quelques. unes. Le malaise auquel on avait voulu remédier persista.

(page 363) C'est l'époque où en Angleterre les idées libre-échangistes pénètrent la bourgeoisie, conquièrent les intellectuels, entraînent les classes ouvrières. Cobden et Bright vont de ville en ville, demandant l'abrogation des corn-laws. La Ligue contre les lois sur les grains (Anti corn-laws League), fondée en 1838, a son centre à Manchester où le Free Trade Hall devient le quartier général d'une infatigable campagne de propagande par la parole et la brochure. La vieille Angleterre aristocratique, la grande noblesse foncière en résistant à l'assaut des doctrines nouvelles, défendent leurs intérêts : les droits maintiennent les hauts prix et les gros fermages. Cobden dénonce au peuple une législation qui appauvrit la masse au profit d'une caste de grands propriétaires. Il démontre aux classes industrielles que les droits protecteurs en désarmant la concurrence paralysent l'essor de la production, que l'exportation est intimement liée l'importation, dont elle forme la contrepartie ; que le protectionnisme n'a d'autre effet que de créer des monopoles et de garantir des rentes à quelques privilégiés. On l'écoute. La popularité lui vient. La question du libre-échange est devenue le pivot de la lutte politique, quand en 1841 Robert Peel arrive au pouvoir. Il trouve les finances délabrées. Il commence par pourvoir aux besoins du Trésor par le rétablissement de l’Incom tax, puis fait voter en 1842 une première diminution des droits sur les blés ; l'équilibre budgétaire étant rétabli, il accomplit, sous l'empire des mêmes idées, une seconde réforme. Il abolit les derniers droits à l'exportation et abaisse les droits à l'importation, bravant les colères de son propre parti.

Il ne se proposait pas d'aller plus loin, rêvant de conserver à l'Angleterre, par le maintien de droits modérés, une production indigène suffisante pour l'affranchir de l'étranger en cas de guerre. Mais le (page 364) mouvement s'accentue. L'opinion publique est conquise. Une famine éclate en Irlande en 1845. Le désastre se répercute sur toute la vie économique du Royaume-Uni. Avec le même esprit pratique, la même promptitude de décision, le même dédain des préjugés qui l'avaient poussé, malgré les répugnances des conservateurs, à réaliser en 1829 l'émancipation des catholiques, Robert Peel se résout alors à proposer l'abolition totale des droits sur les blés. Les adversaires étaient nombreux. Beaucoup cependant se taisent et n'osent résister. En 1846 la réforme est votée. Mais la secousse avait été trop forte. Ceux à qui, par sa brusque et ferme initiative, Peel avait imposé un vote de résignation, se vengèrent sur lui de leur propre faiblesse. Le lendemain de son triomphe marqua, selon la prédiction de Disraeli, la fin de sa carrière politique. Sur une question secondaire, il se trouva en minorité ; il quitta le pouvoir. Ses adieux aux Communes resteront une des belles pages d'éloquence de l'histoire du Parlement anglais. La cause du free trade était gagnée.

C'est à Lord John Russel, le successeur de Peel, que revint l'honneur d'accomplir le dernier acte de la réforme. En 1849 il abolit l'Acte de navigation. Et l'avènement du régime de la liberté commerciale ouvrit pour l'Angleterre une ère de prospérité commerciale et industrielle sans exemple. En cinq ans on vit doubler les exportations.

Le mouvement libre-échangiste ne resta pas confiné dans le royaume insulaire. La voix de Cobden et de Bright eut des échos sur le continent.

L'initiative hardie de Robert Peel, l'exemple d'un homme d'Etat ayant le cœur assez haut pour sacrifier la raison de parti à l'intérêt général, la conscience assez loyale pour reconnaître la vérité de ce qu'il avait longtemps tenu pour faux, la main assez ferme pour imposer aux siens, au risque de perdre les amitiés qui (page 365) l'avaient porté au pouvoir et de froisser les intérêts des plus puissants, une réforme que lui commandait une exacte vision du bien public, cette leçon de probité, de clairvoyance, de force morale éveillèrent l'étonnement d'abord, l'admiration bientôt.

La doctrine nouvelle ne séduisait pas seulement les esprits pratiques par ses promesses d'épanouissement commercial et d'enrichissement ; les esprits généreux y voyaient l'instrument d'une politique de paix et dé fraternité entre les peuples, le signal d'une révolution dans les relations internationales. Les cloisons allaient tomber, les rivalités s'éteindre, les dépenses militaires, si lourdes, devenues inutiles, s’évanouir. Le monde serait un vaste marché où se déploierait la sereine émulation du travail. On annonçait le free trade comme la proclamation d'un droit, complément de la personnalité humaine, le droit pour l'individu de disposer, de trafiquer librement du produit de son industrie. Le système économique s'auréolait du charme d'une philosophie pacifiste, destinée assurer la civilisation et le progrès. Free trade, the great pace-maker ! ; La liberté devait relier ensemble, par le ciment des échanges. tous les peuples de la terre. Le fléau de la guerre, le règne de la force brutale, seraient frappés mortellement. L'Europe serait affranchie du poids accablant des marines militaires, des armées permanentes. « Free trade ! qu'est-ce? s'était écrié Cobden. C'est abattre les barrières qui séparent les nations, ces barrières derrière lesquelles se cachent les sentiments d'orgueil, de revanche, de haine, de jalousie qui éclatent d'un moment à l'autre et inondent de sang des pays entiers... »

En France Frédéric Bastiat, Michel Chevalier, cherchent à populariser en des récits et des commentaires enthousiastes Cobden, la Ligue, les Ligueurs, leurs efforts, leurs victoires. On les écoute peu au (page 366) début ; il fallait plus de dix ans encore pour convertir l'opinion et le gouvernement français à une politique économique libérale. En Belgique certains de leurs écrits sont aussitôt réimprimés et accueillis avec faveur (Cobden et la Ligue, ou l’agitation anglaise pour la liberté commerciale, par M. Frédéric BASTIAT, suivi de Richard Cobden, les Ligueurs et la Ligue précis de l'histoire de la dernière révolution économique et financière en Angleterre, par M. Joseph GARNIER, Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1847). A Bruxelles, dès 1846, une association pour la liberté commerciale se constitue sous la présidence de M. Charles de Brouckere ; il l'inaugure le 11 octobre, par un discours-programme où il dénonce les vexations du régime protectionniste, qui ne bénéficie qu'à une minorité aux dépens du grand nombre et viole ainsi l'égalité devant la loi, et où il glorifie le noble exemple civique de Cobden et des ligueurs, qui n'étaient que quelques unités au début et qui ont réussi à gagner à leur cause l'opinion, le Parlement, le gouvernement. Ce que les Anglais ont fait, les Belges peuvent le faire aussi. Parmi les adhérents, on remarque M. Victor Faider, M. Ad. le Hardy de Beaulieu qui venait de se distinguer par la publication d'une brochure contre les droits différentiels.

L'Association prospéra et convoqua un congrès des économistes qui se réunit à Bruxelles en septembre 1847 et auquel participèrent des notabilités de la science et du monde politique de l'étranger. Wolowski y vint et y parla. Michel Chevalier adressa au bureau une lettre où il définissait la liberté du commerce « un des droits naturels et imprescriptibles de l'homme », au même titre que les droits conquis en 1789. Le congrès se termina par un banquet où l’on but « à la fusion et à la sainte alliance des peuples, à la liberté des nations » , à Cobden, à Bastiat, à Robert Peel. Au début de la (page 367) première séance, M. Victor Faider avait rendu hommage au cabinet libéral du 12 août. « Je saisis cette occasion, avait-il dit, de remercier les hommes que la volonté publique énergiquement manifestée a appelés aux affaires, d'avoir, dés leur entrée au ministère, proclamé dans leur programme que la loi de 1834 sur les céréales ne sera pas rétablie. Je crois pouvoir, au nom de l'Association et sans crainte d'être démenti, remercier le cabinet d'être enfin entré dans une voie plus sage, plus modérée, plus humaine... Nous espérons qu'il ne s'arrêtera pas là et qu'après avoir dit dans son programme que les droits protecteurs ne seraient pas augmentés, il ne tardera pas s'occuper de les diminuer. Alors nous le bénirons et nos applaudissements seront plus énergiques encore que ceux que lui valent ses premiers pas dans la voie de la liberté. »


La politique commerciale nouvelle s'ébauche timidement d'abord, dès 1848. La loi du 19 mai 1848, contresignée par le prédécesseur de Frère. Orban au ministère des finances, M. Veydt, fit une première brèche dans le système des droits différentiels. Elle assimila à titre temporaire les navires étrangers aux navires belges à l'importation directe des pays d'outre-mer.

C'est en 1849 que la tendance libre-échangiste perce dans les actes du gouvernement, s'accuse nettement dans le langage du ministre des finances et des organes de la majorité. Une loi du 16 juillet, présentée le 16 juin de la même année, autorise le gouvernement à lever par arrêté royal les prohibitions de (page 368) sortie, réduire et même à supprimer les droits d'exportation établis par le tarif des douanes. « Les Chambres, disait l'exposé des motifs, doivent être persuadées de la nécessité de faire disparaître sans retard du tarif des droits de douane les entraves qu'ils peuvent apporter au libre développement du commerce et de l'industrie. » Et M. Cans, dans le rapport de la section centrale, caractérisait en quelques lignes les aspirations du monde des affaires et l'Etat de l'opinion : « L'industrie réclame chaque jour de la sollicitude du gouvernement comme moyen de s'ouvrir de nouveaux débouchés, des traités de commerce qui amènent l'abaissement des barrières que nous opposent les autres nations. La première mesure à prendre en même temps que la plus simple, c'est la suppression de la barrière érigée par nous-mêmes contre la sortie de nos produits. »

La loi fut votée à l'unanimité. Elle ne laissa pas toutefois de provoquer de sourdes résistances ; et c'est pour en avoir raison sans doute que Frère-Orban crut devoir, au cours du débat, sommaire et bref, affirmer que le gouvernement n'entendait pas apporter de perturbation dans le système douanier. « Mais, ajouta-t-il, partout où il y a des entraves, des prohibitions qui ne profitent à personne, qui sont nuisibles, qui sont des obstacles au commerce, partout où se rencontre des anomalies, et il y en a tant dans cette matière des droits de sortie, le gouvernement prendra par arrêté royal des mesures, qui, si elles étaient soumises à la Chambre, donneraient lieu peut-être à de fort longs débats sans aucune espèce d'utilité » (Chambre des représentants, séance du 5 juillet 1849).

Le gouvernement usa largement des pouvoirs qu'il s'était fait conférer. Par arrêté du 28 septembre 1849, pris en exécution de la loi, Frère-Orban rendit libres la sortie (page 369) plus de trois cents catégories de marchandises (La loi du 26 février 1850 sanctionna ces mesures. Elle fut votée à l’unanimité par les deux Chambres). Ce fut le premier coup de balai dans l'arsenal protectionniste.

Dans le même temps, on discute et on promulgue une loi qui transforme les conditions du transit. Elle porte la date du 6 août 1849. La plupart des marchandises purent transiter sans droits ; beaucoup d'autres ne furent assujetties qu'à un simple droit de balance ; quelques-unes restèrent passibles de taxes plus lourdes (bétail, charbon, chevaux, draps, etc.) ; enfin quelques prohibitions de passage subsistèrent, notamment sur les fers. Ces prohibitions n'avaient, dans la pensée du gouvernement, qu’un caractère temporaire et tenaient à des situations spéciales. En ce qui concerne les fers, l'interdiction s'expliquait par la négociation d'un traité avec le Zollverein. Cette considération de prudence diplomatique mise à part, il n'y avait aucune raison, disait Frère-Orban, d'empêcher le transit des fers et des fontes d'Angleterre vers l'Allemagne.

Le principe de la mesure ne fut pas contesté. On faisait cependant un pas important dans la voie de la liberté commerciale ; il s'agissait d'imprimer une impulsion nouvelle à la navigation maritime et d'accroître les recettes du chemin de fer. Frère-Orban constata, en résumant l'objet de la loi, qu'elle doterait la Belgique, en matière de transit, d'un régime très libéral, plus libéral que celui d'aucun des pays qui l'entouraient, France, Hollande et Zollverein. Il n'y eut de débat sérieux qu'au sujet du transit du bétail. Certains s'alarmaient pour l'agriculture de la concurrence que le bétail hollandais, grâce aux facilités du transit, ferait au bétail des Flandres sur le marché français, et proposèrent une augmentation du (page 370) droit. Frère combattit l'amendement. Il ne réussit pas à le faire rejeter, mais fut amené, dans la discussion, à s'expliquer sur la question de la protection agricole, que l'on agitait et qui devait bientôt occuper avec ampleur les débats de la Chambre.

En 1845 le système de l'échelle mobile des céréales avait été supprimé à titre temporaire.

On vivait, depuis, sous le régime provisoire de la libre entrée, prorogé périodiquement et que la loi du 31 décembre 1848 avait maintenu pour l'année 1849, en le tempérant par l'établissement d'un droit fixe de fr. 0,50 sur 1oo kilogrammes. Quel préjudice, demanda Frère à ceux qui s'attitraient défenseurs des intérêts des campagnes, l'agriculture a-t-elle souffert de ce régime libéral ?

« Les grains sont un prix plus élevé en Belgique qu'en France, où le système que les honorables préconisent, existe. En France, on a l'échelle mobile ; on y jouit de tous les bienfaits que doit procurer une législation restrictive destinée à faire le bonheur de l'agriculture. Les grains y sont bien à meilleur marché qu'en Belgique, d'une manière constante, d'une manière permanente.

« Nous avons aussi joui des bienfaits de cette échelle mobile. Elle a existé chez nous pendant un grand nombre d'années. Qu'a-t-on vu pendant cet espace de temps? Quels bénéfices en a retiré l'agriculture ? Est-ce que cette échelle a empêché que, dans les années d'abondance, les grains fussent à bas prix ? Est-ce que ce système de législation a empêché qu'à l'époque où les denrées sont arrivée à un prix trop élevé, il ait fallu immédiatement et brusquement faire cesser cette législation ? Quel était donc son mérite ? II était nul.

« Cette législation ne peut avoir pour effet d'empêcher l'avilissement des prix, lorsqu'il y a excès de la denrée sur le marché. et il faut l’abolir instantanément lorsque les prix deviennent trop élevés. »

(page 371) Il montra ensuite de quels calculs erronés, de quelles fausses conceptions on déduisait la crise agricole, dont on se prévalait pour réclamer des droits protecteurs.

« On suppose, c'est de là que l'on part, qu'à moins que le grain ne se vende à tel prix, le cultivateur est en perte ; s'il n'atteint pas ce qu'on est convenu d'appeler le prix rémunérateur, il se ruine ; et on fixe ce prix rémunérateur de la manière la plus arbitraire. sans qu'on ait aucune espèce d'élément d'appréciation, en supposant que la production est toujours la même, que les moyens de production sont aussi constamment les mêmes, qu'on ne peut introduire aucune espèce d'amélioration, aucune espèce de perfectionnement.

« On suppose, en outre, que l'industrie agricole se compose d'un seul et unique produit ; on ne voit qu’à supposer qu’il y ait momentanément, dans des circonstances données, perte sur un produit, il y a compensation sur d'autres produits.

« On ne fait pas le compte de l'exploitation agricole ; on fait un compte isolé, un compte fictif, un compte imaginaire, ne reposant sur aucune base sérieuse. »

La question n'était qu'effleurée. Et l'argumentation du ministre des finances anticipait sur les grands débats qui devaient bientôt mettre aux prises les deux écoles.

La loi du 31 décembre 1848 expirait le 1er janvier 1850. Le 21 novembre 1849 le gouvernement proposa de la proroger pour un an. L'expérience faite avait été favorable dans l'ensemble ; mais, incomplète, il y avait d'autant plus lieu de la poursuivre que l'abolition des droits sur les céréales en Angleterre n'avait pas encore produit ses pleines conséquences. Certes, une baisse du prix des blés s'était manifestée pendant le cours de t849 ; mais elle était due à l'abondance de la récolte indigène, non la concurrence étrangère dont l'intervention très restreinte ne suffisait pas à l'expliquer. D'autre part, sous l'empire de la loi de 1848, le commerce d'exportation avait pris une (page 372) extension qu'on ne lui avait jamais vue précédemment. Aucun motif plausible ne pouvait être invoqué, en toute hypothèse, pour aggraver la législation en vigueur. La leçon des événements prouvait que chaque fois que le prix des aliments avait dépassé le taux normal, la cherté des subsistances avait produit des effets funestes tant sur l'accroissement de la mortalité que sur la diminution des naissances et des mariages. Tels étaient les arguments essentiels de l' exposé des motifs.

Les protectionnistes entrèrent en campagne. Les plaintes les plus vives se firent entendre. L'agriculture était mourante. L'agriculture était morte. Seuls les tarifs auraient le pouvoir magique de la faire revivre. A droite. M. Coomans demandait que le droit d'entrée, qui était depuis le 31 décembre 1848 de fr. o.50 les 100 kilogrammes, fût porté fr. 1.50. A gauche, M. Tesch. tout en affirmant des sympathies platoniques pour la liberté commerciale, faisait le jeu de ses adversaires en subordonnant tout dégrèvement des denrées alimentaires à une refonte générale des tarifs douaniers. « Je ne puis être partisan de la liberté commerciale, disait-il, si on ne l'applique à tous, si à tous les intérêts on n'applique le même traitement. » Assimilant les produits industriels aux produits agricoles, il se cantonnait dans la politique du tout ou rien et fournissait ainsi à l'opposition de droite un argument, des prétextes dont elle tira abondamment parti. La section centrale, pour tout concilier, proposait de fixer le droit à 1 franc, fr. 0,50 de plus que le chiffre du gouvernement, Ir. 0,50 de moins que le chiffre de M. Coomans.

Pendant dix jours on discuta passionnément cette différence d'un demi-franc. Mais on sentait bien que ce qui était en question, cc n'était pas une minime augmentation du taux, c'était le principe du régime, libéral ou prohibitionniste. Rogier, dans (page 373) un courageux discours, mit les choses au point (Chambre des représentants, 24 janvier 1850). On voulait marquer un retour vers un système suranné, regretté par quelques-uns. Le gouvernement ne s'y prêterait pas et persévérerait, en matière commerciale, dans la politique libérale qui avait dicté la loi sur le transit. Frère intervint son tour et répondit d'une part à M. Coomans, de l'autre à M. Tesch (29 janvier 1850).

Il possède la matière à fond. Il l'expose avec clarté, pousse l'argumentation avec vigueur, ne s'égare pas dans des développements superflus, ne dissimule rien, répond à tout, avec un accent de bonne foi et de conviction, et parfois une note d'ironie hautaine, qui tour à tour persuadent et intimident. C'est la prohibition, s'écrie-t-il, que veulent les adversaires de la loi. « Lorsqu'on eut quelque scrupule à s'intituler prohibitionniste, on se nomma protectionniste, La protection, c'est le masque de la prohibition. » Il retrace l'évolution régressive de la législation commerciale du pay depuis 1834 ; il précise à nouveau la politique du gouvernement.

« Venons-nous, comme des hommes dénués de la prudence la plus vulgaire, déclarer à la face de Belgique, que nous allons révolutionner l'industrie et le commerce, que nous allons porter la perturbation dans toutes les affaires ? Nous venons déclarer au pays que nous faisons une halte, que nous marquons un temps d'arrêt dans le système suivi jusque-là. Nous déclarons qu'il n'y aura plus d'aggravation de tarifs ; nous déclarons qu’il y aura un régime libéral quant aux denrées alimentaires. »

Le gouvernement a pleine foi dans les principes du libre-échange. Il tient pour chimérique et fausse la thèse qui confie au législateur le soin de gouverner les marchés et de garantir artificiellement des bénéfices aux producteurs.

(page 374) « Nous sommes parfaitement convaincus que de la part d'un gouvernement c'est un acte déraisonnable que de vouloir chercher à régler le prix des choses, taxer le prix des produits ou, ce qui revient au même, d'en fixer le prix rémunérateur. Tout gouvernement qui le tente vient se heurter contre une absurdité. Le prix rémunérateur des choses, quel est-il ? De quoi se compose-t-il ? Est-il le même pour tous les producteurs des mêmes choses ? Est-ce que nous avons tous une égale force, une égale intelligence, une égale aptitude, une égale somme de capitaux? vous êtes à la recherche de la pierre philosophale. Un prix rémunérateur des choses ne peut pas être déterminé , il n'est pas le même pour tous ; il ne saurait l'être qu'à la condition que les hommes fussent égaux, d'une absolue égalité. »

L'agriculture périt, dit-on. Et on demande son salut à l'établissement d'un droit qu'on déclare soi-même n'avoir qu'une valeur fiscale. Ce serait donc le Trésor qu'on protégerait ! Frère-Orban raille cette défaite, qui couvre une contradiction. Il ne suspecte pas les intentions de ses adversaires. C'est leur bonne foi qui l'effraye. « Car la bonne foi est aveugle et impitoyable. »

On prétend n'admettre la liberté pour les denrées alimentaires qu'à la condition de l'appliquer intégralement à tous les produits manufacturés, à toutes les industries. Le système du libre-échange, comme le système de la protection, serait fait tout d'une pièce. Il faudrait l'adopter ou le répudier tout entier, en une fois, sans réserves ni délai.

Cette attitude peut être habile. Elle ne tient pas compte des faits, des intérêts créés, des législations préexistantes. Parce qu'on ne procède pas sur tous les points à la fois, on ne pourrait faire un pas vers la liberté commerciale, accomplir la tâche urgente qu'impose le souci de l'alimentation populaire ! Peut-on d'ailleurs assimiler complètement les produits agricoles et les produits manufacturés ?

« L'industrie agricole ne produit pas régulièrement tout le blé (page 375) nécessaire à la consommation. L'industrie manufacturière produit au-delà des besoins. L'une est soumise à l'influence des saisons, sur lesquelles, hélas, messieurs, le législateur n'a pas grande action ; et l'autre y échappe celle-ci a des produits réguliers, constants, illimités pour ainsi dire ; l'autre attend tout de la clémence du ciel.

« Un droit protecteur appliqué aux manufactures, est profitable, je le reconnais, aussi longtemps que l'industrie protégée ne s'est pas suffisamment développée; mais il devient inutile, le jour où la concurrence intérieure produit précisément le même effet que la concurrence étrangère, l'avilissement des prix. Un droit protecteur appliqué à l'industrie agricole ne peut rien contre une récolte abondante, et ce même droit devient odieux, quand la récolte est insuffisante pour les besoins de la consommation.

« Le prix des produits manufacturés peut s'élever outre mesure, est-ce que les populations s'en inquiètent ? Que le mètre de coton se vende 50 c. ou 1 fr.. est-ce là une cause d'émotion ? On remplace le colon par un objet équivalent. Mais quand le blé manque, par quoi peut-on y suppléer? Si le prix du pain s'élève, immédiatement la population s'émeut ; elle comprend qu'il y a là pour elle une question de misère et de mort.

« Avez-vous vu des séditions, des émeutes, parce que le prix des objets manufacturés avait été augmenté ? »

Frère esquisse ensuite à grands traits l'histoire de l'agriculture anglaise depuis 1815, rappelle les souffrances créées par la cherté des grains, évoque le spectacle que la société anglaise offrit jusqu'au milieu du siècle, du contraste choquant entre l'opulence d'en haut et de la misère d'en bas. C'étaient les fruits d'un régime de prohibition et de monopole. Et il termine ainsi :

Quoi ! le remède au paupérisme, c'est le système protecteur ! Mais l'Angleterre a usé et abusé de ce système ; comme vous le dites, elle a exclu de chez elle le navire étranger, le rouet étranger, la charrue étrangère. Eh bien, dans quel pays du monde y a-t-il plus de pauvres qu'en Angleterre ? Dans quel pays du monde la condition des classes laborieuses est-elle plus mauvaise ? Et c'est là l'exemple que vous invoquez ! c'est là ce que vous voulez que nous imitions ! Cette extrême richesse d'une part, et de l'autre cette extrême misère, offrent-elles un état (page 376) social qui soit si digne d'être envié ? Ne faut-il pas, précisément à cause de cet exemple de l'Angleterre, nous préserver des erreurs économiques qu'elle commit trop longtemps? Et la justice ne nous fait-elle pas un devoir de persévérer dans un système libéral qui a été, qui sera favorable au bien-être des populations ! »

La majorité cependant ne céda pas à ces fortes considérations. Le 2 février la Chambre adopta par 67 voix contre 27 le droit de 1 franc ; puis elle enleva à la mesure son caractère temporaire et la rendit définitive, opposant ainsi une barrière à de nouvelles aggravations. Ce fut une compromission à laquelle Rogier, au nom du gouvernement, ne s'opposa pas absolument.

La loi fut promulguée le 22 février 1850. Bien que moins libérale que ne l'eût voulue le gouvernement, elle mettait radicalement fin au système de l'échelle mobile. Le droit, bien que trop élevé, n'avait en somme qu'un caractère fiscal. Le chemin du protectionnisme était coupé.

La politique inaugurée par le cabinet de 1847 de développa lentement par la suite, avec des oscillations et des reculs temporaires. La loi du 31 décembre 1853 décréta la libre entrée. En 1857, malgré l'opposition de Frère-Orban, qui proposa la libre entrée totale, les froments furent frappés, par la loi du 5 février, d'un droit de balance de fr. 0,50 les 1oo kilogrammes. « Note de bas de page : Répondant à l’argumentation de M. Dumortier qui préconisait des mesures restrictives, Frère la railla avec verve. Voici un joli de son discours : « L'honorable M. Dumortier a trop la prétention de jouer au petit Dieu ; l'honorable membre, et il l'avoue assez ingénument, à la prétention de corriger la Providence.

(« La Providence nous donne-t-elle une récolte abondante ? les grains sont-ils à bas prix ? Me voici, dit l'honorable membre, je veux faire hausser les grains. Et vite une petite loi pour corriger la Providence.

(« Les grains sont-ils à un prix élevé ? Cette fois, c'est la Providence, car on connaît tous ses desseins, c'est la Providence qui nous châtie ! Me voilà, dit M. Dumortier, je vais porter remède à ce que la Providence a fait.

(« Ah ! elle veut nous châtier, elle veut que les grains soient à un prix élevé ; je les prohibe à la sortie. Et ainsi la Providence qui croyait avoir fait quelque chose, est réellement bien attrapée. » (Séance du 18 décembre 1856). Fin de la note.)

(page 377) En 1871, c'est un gouvernement catholique qui, contraint par la puissance des faits et des idées à donner un démenti à son passé, clôt cette longue période d'évolution économique, en établissant, par mesure provisoire en 1871, par mesure définitive en 1873, le régime de la pleine liberté du commerce des céréales.


Les protectionnistes, que la loi du 22 février 1850 n'avait pas satisfaits, revinrent bientôt à la charge et provoquèrent un débat sur l'ensemble du système douanier dès l'ouverture de la session 1851-1852. M. Coomans proposa le 10 novembre 1851 d'insérer dans l'Adresse une phrase exprimant le vœu que le principe de la liberté commerciale, appliqué aux produits agricoles, fût étendu à toutes les branches de l'industrie nationale. Il soumit en même temps à la Chambre une proposition de loi abaissant le tarif sur les articles manufacturés, de manière à leur laisser une protection de 20 p. c. La tactique de M. Coomans et de ses amis était de réclamer la généralisation du régime de la liberté, afin de représenter le gouvernement comme manquant de logique en le restreignant à l'agriculture, et de pouvoir, devant les classes (page 378) rurales, accuser la politique ministérielle de sacrifier leurs intérêts et de maintenir des privilèges en faveur des classes industrielles. On ne cherchait pas, en réalité, à dégrever l'industrie. On cherchait, par un stratagème, à provoquer une réaction dans le régime des céréales. Tactique adroite peut-être au point de vue électoral, mais peu sérieuse au point de vue parlementaire, assez grossière en somme et dépourvue de franchise, puisque ceux mêmes qui l'avaient imaginée n'hésitaient pas à se déclarer protectionnistes et convaincus des effets pernicieux de la liberté commerciale.

Rogier dénonça ce défaut de sincérité et démasqua la manœuvre. Le gouvernement poursuivait la plus grande liberté possible dans la législation commerciale et industrielle, mais n'entendait pas bouleverser, par des initiatives précipitées, les conditions du travail national. Il se refusait à contracter des engagements absolus. Le gouvernement avait promis deux choses : un régime libéral pour les denrées alimentaires, l'exclusion de toutes aggravations de tarifs, l'abstention de toutes mesures propres à engendrer une perturbation du régime économique.

Frère-Orban se contenta de justifier une fois de plus la liberté du commerce des céréales et l'abolition de l'échelle mobile. Il aborda l'ensemble du problème quelques jours plus tard, à l'occasion de la demande de prise en considération de la proposition de réforme douanière présentée par M. Coomans. Il parla le 26 et le 28 novembre et d'emblée entama le procès de la loi du 21 juillet 1844 qui avait inauguré en Belgique le règne des droits différentiels. Il en fit apparaître les combinaisons arbitraires, vexatoires pour le commerce, stériles pour le Trésor. Les tarifs renfermaient une nomenclature de sept cents marchandises. Le nombre des droits applicables à chacune d'elles variait de trois à sept. En admettant une moyenne de quatre (page 379) droits par marchandise, on obtenait un total de deux mille huit cents taxes.

On avait visé un triple but, faciliter la création d'une marine marchande, l'ouverture de débouchés directs aux pays d'outre-mer, et la conclusion de traités de commerce. A quoi donc avait-on abouti ? Au 1er janvier 1838 notre marine marchande se composait de 151 navires jaugeant ensemble 21,620 tonneaux ; au janvier 1850 elle comptait cent 156 navires et 30,826 tonneaux. La marine restait donc stationnaire. De 1845 1848 les exportations dans le Levant et hors d'Europe n'avaient monté de 9 qu'à 17 millions. Et tandis que les exportations directes au long cours n'augmentaient ainsi que de 8 millions, les exportations vers les pays d'Europe s'accroissaient pendant la même période de 47 millions. Ni le premier ni le second but de la loi n'avaient été atteints. Le principe d'ailleurs était vicieux. La loi voulait amener les commerçants belges à donner la préférence pour tous achats à certains marchés et pour le transport des marchandises à certains navires. Là était l'erreur.

« Restreindre le choix des marchés, des moyens de transport, c'est évidemment priver le commerce des chances favorables que fait découvrir le génie commercial ou que les événements font surgir ; c'est élever la prétention de donner pour guide au commerce des règles plus sûres que celle que possède dans son intelligence, dans ses relations journalières et en quelque sorte universelles et dans une longue pratique des affaires ; c'est substituer l'action passive, inintelligente de la loi, à l'activité et à l'initiative de l’intérêt personnel. Alors que depuis soixante ans la loi civile a décrété la liberté de l'industrie et du commerce. il est fort étrange qu’une loi spéciale puisse venir dire avec autorité : Là vous achèterez le café, là le coton, là le tabac ; de deux navires qui s'offrent pour le transport, vous ne pourrez employer que celui-ci ! »

Enfin le troisième objet poursuivi par le législateur de 1844, la conclusion de traités de commerce, avait (page 380) ceci d'original qu'on ne pouvait atteindre le but du système, qu'en culbutant le système lui-même.

Frère-Orban, passant ensuite nos frontières, montre, en regard de cette organisation surannée, l'orientation libérale de la politique commerciale en Angleterre et en Hollande. L'Acte de navigation a été aboli le 26 juin 1849. Les Pays-Bas, un an après, ont suivi l'exemple. Le commerce avec les Indes anglaises et néerlandaises a, sans tarder, pris un magnifique essor.

La Belgique peut s'assurer le bénéfice de ce régime à condition d'abaisser ses propres barrières. S'isolera-t-elle du mouvement « qui finira par entraîner toute l'Europe ? »

« Le mouvement d'expansion qui se fait sentir dans le monde entier et les véritables intérêts du pays, d'ailleurs, ne permettraient pas à la Belgique de s'abstenir.

« Les principaux Etats dont nous avons à redouter la concurrence industrielle et commerciale vont pouvoir donner à leurs relations réciproques une extension toute nouvelle.

« Par la levée de toute entrave pour leurs navires, les occasions d'échange seront plus fréquentes pour eux et le fret subira une baisse. Ils verront s'agrandir leurs débouchés sur les immenses marchés de l'Inde. Ils en recevront les matières premières et les denrées à meilleur prix que nous. Nos ports signalés partout comme d'un accès dangereux par les vexations douanières, verront s'éloigner les navires étrangers pour aller porter leurs cargaisons dans les ports voisins. Nous verrons ainsi languir tout à tout notre industrie et notre commerce, car nos débouchés en souffriront.

« Si les considérations qui précèdent ont quelque valeur, elles paraissent faire un devoir au gouvernement, et si l'on me permet de le dire, à l’opinion qui a la direction des affaires, de provoquer la révision de notre régime commercial.

« Dans plusieurs de ses dispositions, notre tarif établit des taxes trop élevées qui entravent le développement d'une foule d'industries et qui tarissent une des principales sources de revenu pour le trésor.

« Le régime différentiel a créé, sans utilité réelle pour aucun (page 381) intérêt légitime, des taxes et des complications inextricables qui éloignent le commerce de nos ports et provoquent les représailles de l'étranger…

« Dans son ensemble, notre législation forme un dédale de dispositions douanières où le redevable s'égare et où l'administration elle-même ne se meut qu'à l'aide d'un nombreux personnel qui lui occasionne de fortes dépenses, dont la déchargerait en partie un tarif simplifié.

Enfin des motifs sérieux, puisés dans des considérations politiques et commerciales de premier ordre, nous font une nécessité de compter avec la situation nouvelle qui résulte pour nous des changements introduits dans le régime commercial de plusieurs autres pays.

« La nécessité et l'opportunité de la révision de nos lois commerciales sont évidentes. »

Le ministre des finances réclame l'honneur de n'avoir pas attendu la proposition de M. Coomans pour agir. Mais il entend ne rien brusquer. « Nous voulons améliorer, non révolutionner. » Et l'orateur annonce deux actes importants, la conclusion d'un traité avec la Grande-Bretagne, d'un autre avec les Pays-Bas.

Les plénipotentiaires belges ont eu pour instructions à Londres et à La Haye d'offrir, en équivalence des avantages sollicités, la suppression des droits différentiels sur un certain nombre d'articles. Ils ont obtenu ainsi, sans restriction ni réserve, le bénéfice du régime libéral inauguré dans ces deux pays.

Le traité avec l'Angleterre, notamment, consacre en faveur de la Belgique :

1° La levée exceptionnelle des droits de port qui grevaient nos navires en Angleterre ; 2° la levée de la surtaxe qui frappait leurs cargaisons ; 3° la jouissance pleine et entière de la nouvelle législation britannique, tant dans les ports de la mère patrie que dans les colonies.

Le 28 novembre Frère-Orban achève ce magistral exposé par l'évocation de l'œuvre déjà accomplie : loi sur le transit, suppression des droits de sortie, transformation commencée des lois dc navigation et du tarif douanier. Il indique les réformes libérales, d'application générale et uniforme, qui les (page 382) compléteront et dont les traités avec la Hollande et l'Angleterre seront l'origine.

En réponse à l'accusation d'impuissance, au reproche de n'avoir ni projets, ni système, il dresse un inventaire précis d'actes accomplis ou à la veille de se réaliser. Il apporte deux traités conçus dans un esprit libéral et féconds en profits politiques et économiques.

Il ne réussit pas cependant à faire échouer la manœuvre perfide du groupe protectionniste. La prise en considération de la proposition de M. Coomans fut votée par 28 voix contre 26 et 2 abstenti0ns. C'était un vote accidentel, mais peu digne du Parlement, au lendemain d'un aussi remarquable effort.

Les traités avec les Pays-Bas et l'Angleterre avaient été respectivement conclus le 20 septembre et le 27 octobre 1851. Ils furent approuvés par les lois des 31 janvier et 8 avril 1852. Les exposés des motifs des projets d'approbation portaient la signature de M. d'Hoffschmidt, ministre des affaires étrangères, et de Frère-Orban. Le 22 décembre 1851 le ministre des finances déposa un projet de loi tendant à rendre d'application générale les dispositions des deux traités. Mais le 26 décembre le projet fut retiré pour faire place un projet nouveau conférant au gouvernement les pouvoirs nécessaires pour appliquer par arrêté royal les dispositions antérieurement proposées sous forme légale. Ce dernier projet fut discuté et voté par chaque Chambre en une séance. La loi est datée du 31 janvier 1852. L'arrêté royal d'exécution est du 2 février suivant.

On voit la méthode suivie par le cabinet. Au lieu d'agir comme l'Angleterre et les Pays-Bas, unilatéralement, par voie de réforme interne, et de procéder législativement à la révision des tarifs belges, (page 383) Frère-Orban avait préféré recourir aux négociations diplomatiques, faire des concessions, obtenir en échange des compensations, faire transporter intégralement et comme mécaniquement le régime conventionnel ainsi arrêté dans la législation nationale. C'était aller plus sûrement et plus vite. C'était en même temps se prémunir contre un retour offensif de la politique prohibitionniste, en dressant devant elle des engagements internationaux.

Le traité avec les Pays-Bas subit le premier le feu de la discussion, Il avait pour point de départ la loi hollandaise du 8 août 1850 qui abolissait les droits différentiels de pavillon et supprimait le droit de transit. Il fixait un tarif commun pour de nombreuses marchandises et faisait bénéficier la Belgique du régime de la nation la plus favorisée, moyennant d'importantes dérogations aux droits différentiels de 1844.

La première joute s'engagea à la section centrale. Celle-ci émit un avis négatif par 4 voix contre 3 et nomma rapporteur M. Malou.

Le rapport est un document volumineux dont le texte ne remplit pas moins de 32 colonnes des Annales. Daté du 16 décembre, il précède de quelques jours le dépôt par Frère-Orban du projet tendant à nationaliser en quelque sorte le régime contractuel établi par les actes diplomatiques du 20 septembre et du 27 octobre. Mais on savait déjà que Frère-Orban voyait dans ces traités le type futur de notre législation commerciale. La section centrale demande jusqu'où l'on compte aller ; ce que l'on compte faire de la loi de 1844, quand et comment on entend la réviser. Elle critique les concessions faites, notamment en e qui concerne le transit du bétail hollandais et l'assimilation des voies de navigation intérieure à la navigation maritime.

(page 384) La discussion, qui dura du 23 au 27 décembre 1851, révéla chez le parti catholique un attachement passionné à l'ancien système commercial, une opposition radicale à tout changement. Il protesta contre « la déplorable politique commerciale du cabinet. » M. l'abbé De Haerne célébra la loi des droits différentiels, et son auteur, M. l'abbé De Foere. « Nous perdons tout le terrain conquis, opina tristement M. Dechamps, et nous allons droit à la dépossession d'Anvers par ses rivales. » M. de Liedekerke, pathétique, ne découvrait dans le traité que faiblesse et oubli de nos intérêts les plus précieux. Il n'en voyait d'autre aboutissement que « ruines, désastres et confusion. »

« La main qui signera le traité, s'écria-t-il, aura signé la déchéance et l'abdication commerciale du pays ! »

Il faut rappeler ces extravagances, dit sévèrement M. Banning, comme une leçon pour l'esprit de parti. Tel était l'aveuglement des chefs mêmes de l'opposition : ils voyaient mal dans le passé et ne comprenaient rien au présent. L'avenir allait leur infliger un cruel démenti (Note rédigées par M. Banning pour la biographie académique de Frère-Orban).

Frère-Orban parla le 26 décembre, le soir, dans une séance qui finit à minuit. Les démonstrations violentes de la droite, manifestement dictées par une hostilité systématique, le déterminèrent à porter le débat sur le terrain politique. « L'opposition ne cherche que des prétextes, dit-il. C'est une pure tactique parlementaire. On veut jeter l'inquiétude dans les esprits, alarmer l'industrie et le commerce. A la veille de la lutte électorale, on s'efforce de faire oublier les (page 385) intérêts moraux dont le gouvernement a la garde pour les intérêts matériels prétendument menacés. Il fit résolument face à l'ennemi et puisque M. Dechamps avait signalé les ministres « comme des révolutionnaires, ébranlant nos institutions, portant atteinte à toutes nos lois organiques », il invoqua fièrement la mission confiée par le pays au parti libéral de réparer les brèches faites aux libertés communales, de rétablir l'ordre dans les finances, de lutter contre les idées réactionnaires dans le domaine de l'enseignement, contre la thèse de l'abdication de l'Etat en matière scolaire. « Qui donc avait porté atteinte à nos institutions ? qui les dénaturait ? qui cherchait les ébranler ? » Loin d'être violente, la politique du cabinet a été « toute de réparation et de conservation. » Le programme qu'il a apporté est à la fois « sage, progressif et pacifique. » Le corps électoral le connaissait quand il renversa le gouvernement catholique. R

amenant son argumentation sur le terrain économique, Frère prouva que la politique commerciale du cabinet, qu'on taxait de témérité novatrice, ne constituait en somme qu'un retour à de saines traditions, contre lesquelles le parti catholique avait entrepris, à partir de 1834, une campagne de réaction.

Le système hollandais de 1822 était libéral. « Lorsque la révolution de 1830 éclata, si grande, si magnifique au nom des intérêts moraux et politiques, elle souleva contre elle tous les intérêts matériels. Tous les grands centres industriels et commerciaux étaient opposés la révolution, et vous écrivez dans votre rapport, dit l'orateur M. Malou, que la législation de 1822 était le premier grief de la Belgique contre le gouvernement hollandais. Vous avez travesti l'histoire ! » Ni le gouvernement provisoire ni le Congrès ne réagirent contre la loi de 1822. Le gouvernement provisoire, au contraire, décréta le libre (page 386) commerce des grains. C'est de 1834 que date le revirement. C'est au parti catholique qu'on le doit. Il a pris pour guide en agriculture M. Eloy de Burdinne, en industrie MM. Desmet et Rodenbach, en matière de navigation l'abbé De Foere. « Voilà vos maîtres », s'écria l'orateur. « - Ils ont fait beaucoup d'élèves », interrompit M. Coomans. « - Je n'en félicite pas le pays, riposta Frère-Orban. Quand après dix ans d'efforts, de 1834 à 1844, ils amenaient la Belgique à plagier l'Acte de navigation, l'Angleterre y renonçait ; la Hollande s'empressait de l'imiter. L'expérience était faite. Qui donc soutient encore la loi des droits différentiels ? Gand proteste, Liége proteste, Anvers proteste. Elle n'a plus pour défenseurs que MM. Dechamps et Malou. Comment le commerce anversois pourrait-il en souhaiter le maintien ? C'est la lutte entre Anvers et Rotterdam pour l'approvisionnement de l'Allemagne qui a déterminé les Pays-Bas à renoncer aux droits différentiels. Ce qu'il faut Anvers, c'est le plus de navires possible dans ses bassins, la plus grande masse possible de marchandises dans ses entrepôts. » Assurera-t-on son avenir en excluant les navires étrangers? « C'est d'Anvers que partira la demande de l'abolition complète de la loi des droits différentiels. »

Quand Frère-Orban se rassit. Charles de Brouckere constata qu'il ne restait rien debout de l'argumentation de M. Dechamps. La supériorité de Frère-Orban sur les chefs de la droite, dans les débats d'ordre économique, s'était révélée avec éclat. Il voyait juste, au fond et au loin. Un sûr instinct des réalités lui faisait entrevoir les solutions prochaines et poussait à déchirer les mailles d'un régime défraichi et usé, tendues jusqu'à se rompre sous la pression de la vie économique moderne, en plein travail d'expansion.

(page 387) Le traité de commerce avec la Hollande fut voté à une forte majorité. Le traité avec l'Angleterre ne suscita pas d'opposition. La question de principe était tranchée.

L'exposé des motifs faisait ressortir l'impossibilité pour le pays de se renfermer plus longtemps dans les cloisons étroites de la loi de 1844. Les résultats constatés prouvaient la vanité de cette protection. « Nous n'aurions pas eu de traité à négocier que la force des choses nous eût mis dans la nécessité de faire ce que nous avons fait. » Un régime spécial était maintenu pour la pêche et le commerce du sel. En matière de transit, on ne maintenait que quelques restrictions.

La liberté du transit par le chemin de fer de l'Etat, disait encore l'exposé, doit former aussi l'un des principes de notre système commercial. Le traité supprimait les surtaxes qui grevaient les marchandises arrivant en Angleterre sous pavillon belge et les droits différentiels de port qui frappaient nos navires. Il assimilait les pavillons des deux pays et accordait libre entrée au pavillon et aux marchandises belges dans les ports de l'Angleterre et de ses colonies. La Belgique, de son côté, abrogeait en grande partie ses droits différentiels. Il n'en subsistait que sur certaines marchandises, par mesure de transition. Ainsi s'effondrait presque en totalité le monument de 1844.

Le rapport de la section centrale, dû M. Van Iseghem, résumait toute la situation ancienne et nouvelle. Il marquait, ainsi que le rapport fait au Sénat par M. Grenier, un grand progrès dans les idées. La discussion eut lieu, dans les deux assemblées, en comité secret. Le vote y fut unanime, sauf une abstention à la Chambre. Dès le début, la chambre de commerce d'4nvers avait réclamé l'approbation du (page 388) traité. C'était une victoire décisive pour la liberté commerciale et une éclatante justification de l'initiative de Frère-Orban.

Un troisième acte international, conçu dans le même esprit, compléta l'œuvre. C'est la convention signée le 18 février 1852 avec le Zollverein. Elle étendit aux Etats associés allemands le régime de navigation et de commerce accordé à l'Angleterre, régla quelques points de notre tarif, notamment le régime du sel et des fers, et améliora les conditions réciproques du transit. Discuté également en comité secret, le traité fut voté par 41 voix contre 2 et 18 abstentions à la Chambre, par 24 voix contre 5 et 8 abstentions au Sénat. La loi approbative est du 6 avril 1852.

Les traités de commerce de 1852 posaient les bases du régime commercial que la Belgique devait progressivement étendre et, dans ses plus larges réalisations, définitivement adopter et reconnaître comme le plus juste en principe, le mieux approprié à ses conditions économiques et à ses besoins d'expansion. L'impulsion donnée était puissante.

Le mouvement ne s'arrêta point. L'opinion publique y aida. En 1855 un groupe d'économistes, dont le comte Arrivabene et M, de Molinari, reprenant la campagne commencée en 1846 par l'Association belge pour la liberté commerciale, constituèrent l'Association pour la réforme douanière. Parmi les organisateurs de la nouvelle ligue figuraient M. Corr-van der Maeren, M. Couvreur, M. Jottrand. Un congrès international des réformes douanières se réunit à Bruxelles en 1856. Des meetings furent convoqués. Les industriels, les marchands, les ouvriers se passionnèrent. Verviers devint un foyer ardent de propagande, Gand et Tournai les centres de la résistance. Des manifestations bruyantes éclatèrent. Mais l'esprit d'entreprise, le sens pratique du monde du (page 389) négoce et de l'industrie, échappaient peu à peu à l'étreinte des préjugés. Les classes agricoles, à la suite du dégrèvement des céréales, réclamaient l'affranchissement de la houille et du fer.

L'opposition faiblit. Faite d'une coalition d'intérêts, chacun y trahissait ses complices. Protectionniste pour la vente de ses produits, il devenait libre échangiste pour l’achat de ses matières premières (CORR-VAN DEN RAEREN et COUVREUR, Le Mouvement économique en matière commerciale (PATRIA BELGICA, t. II, p. 800). Voir sur la campagne libre-échangiste le volume de M. MICHOTTE, Études sur les théories économiques qui dominèrent la Belgique de 1830 à 1886, Louvain, 1904, pp. 29 et suivantes). « Le libre-échange avait cause gagnée dans le pays. Sur le terrain ainsi déblayé, le gouvernement put opérer à l'aise. Les lois du 19 juin 1856 et du 18 décembre 1857 supprimèrent ce qui restait des droits différentiels. Revenu au pouvoir, après cinq années de retraite, Frère-Orban. par la loi du mai 1858, établit la liberté complète du transit.

Enfin, 1860 marque le triomphe en Europe de la politique libre-échangiste.

A l'époque où l'inaugurait l'Angleterre, où la Hollande puis la Belgique entraient dans son sillage, les idées protectionnistes conservaient en France tout leur empire. Elles ne devaient céder que dix ans plus tard. D'une rencontre de Michel Chevalier, brillant protagoniste des doctrines économiques libérales, avec Cobden, à l'occasion d'un congrès en Angleterre, sortit la pensée d'un effort à tenter auprès de Napoléon III, pour le déterminer à abandonner l'ancien régime, qui, dans l'Etat actuel de l'Europe, apparaissait comme une survivance gênante et démodée. Cobden alla à Paris, entreprit le siège de l'Empereur, et, tantôt le prêchant, tantôt flattant l'appétit de (page 390) grandeur, la sensibilité latente, le goût des initiatives théâtrales que cachait cette énigmatique figure de César parvenu, réussit à se rendre maître de la place. Le 5 janvier 1860 Napoléon écrivit à son ministre d'Etat une lettre où il traçait un programme économique basé sur les bienfaits de la concurrence et la nécessité de multiplier les moyens d'échange, et qui, « en créant la richesse nationale, devait répandre l'aisance dans la classe ouvrière. »

L'Empereur, converti, préconisait la substitution au « vieux système de prohibition » de tarifs modérés, fixés à l'amiable par voie de convention commerciale. Il rencontra de vives oppositions dans le monde industriel, mais ne se laissa point intimider : le 23 janvier 1860 fut signé le traité de commerce entre la France et l'Angleterre, qui ouvrait largement aux deux pays leurs marchés respectifs. (Voir DE LA GORCE, Histoire du second Empire, t. III, liv. XVIII.)

Le gouvernement belge sut profiter de ce revirement de la politique impériale. Par un traité avec la France, conclu en 1861, il assura à la Belgique les avantages dont bénéficiait l'Angleterre. (Note de bas de page. Dans l'intervalle, les relations commerciales de la Belgique et de la France avaient été réglées par un traité de 1854, dont la négociation longue et mouvementée avait causé de graves embarras au cabinet libéral de 1847 ; celui-ci succomba sans avoir abouti à un arrangement et, pour une grande part, à raison même des complications de cette affaire diplomatique, qu'envenima la situation politique des deux pays. Voir le chapitre IX, ci-après. Fin de la note.) Puis il négocia sur des bases analogues avec la Grande-Bretagne, la Suisse, l'Espagne, le Zollverein, l'Italie, les Pays-Bas, les Etats-Unis ; enfin, il condensa le régime libéral, réalisé par un ensemble de conventions internationales, dans un tarif d'application générale, promulgué le 14 août 1865.

Ce fut l'aboutissement et la consécration de l'œuvre.

(page 391) Frère-Orban en avait été le premier artisan dans le chantier législatif. Il avait porté à l'édifice protectionniste le coup initial du pic démolisseur. Il avait commencé l'entreprise de reconstruction économique, scellé la pierre fondamentale ; il posa de sa main la pierre de faîte.