(Edition originale parue en 1946. Réédition parue en 1969 à Bruxelles, aux éditions du CRISP)
(page 122) La campagne électorale avait commencé dès la fin de l'été 1921 mais ce n'est qu'avec la crise de Louvière que les partis entrèrent en lutte. Le P.O.B. prit l'offensive. Selon lui, l'affaire de Louvière n'était qu’une manœuvre bourgeoise destinée à écarter les socialistes ; il était question maintenant d'un gouvernement bourgeois non seulement antisocialiste mais même réactionnaire. Les élections devaient donc porter, d'une part sur l'existence de cette nouvelle coalition, d'autre part sur la question de la défense nationale. Il fallait remplacer ce gouvernement par un cabinet démocratique, recruté dans le P.O.B. et dans l'aile démocrate des autres partis. Il fallait alléger les charges militaires, en commençant par réduire le temps de service à six mois. et introduire le recrutement régional. Ces trois leitmotive de la propagande socialiste étaient autant d'invites aux catholiques démocrates flamands.
Les partis bourgeois ripostaient qu’il n'existait pas de bloc bourgeois, puisque la tâche du cabinet se limitait à expédier les affaires courantes jusqu'aux élections. On s'exprimait de part et d'autre avec beaucoup de réserve sur la composition du gouvernement à venir, soulignant que, si les élections menaient à une collaboration quelconque entre les partis, ceux-ci resteraient inébranlablement fidèles à leurs programmes. Au (page 123) sujet du problème gouvernemental, on faisait allusion à différentes combinaisons possible. Tandis que certains catholiques démocrates ne cachaient pas leurs sympathies pour une nouvelle tripartite ou un gouvernement catholique homogène, les conservateurs, en particulier les conservateurs catholiques, ne repoussaient pas l'idée d'une coalition bourgeoise antisocialiste. Mais personne ne s'engagea définitivement avant les élections.
Quant à la défense nationale, catholiques et libéraux soutenaient que le programme de désarmement du P.O.B. était une absurdité, vu la situation internationale menaçante. Toutefois, les catholiques flamands faisaient preuve d'une grande prudence dans cette question et, de plus, la liaient à des revendications en faveur du flamand. Quant au problème linguistique, les positions étaient celles dont nous avons parlé.
Aux élections du 20 novembre, les catholiques eurent un succès qui surprit : ils conquirent 7 mandats, cependant que le P.O.B en perdait 2, les libéraux 1 et les autres partis presque tous les leurs. La nouvelle Chambre se composait de 80 catholiques (dont 46 flamands, presque tous « minimalistes »), 33 libéraux,68 socialistes, 4 frontistes et 1 ancien combattant. Au Sénat, les catholiques obtinrent 73 sièges, les libéraux 28 et les socialistes 52. Par là, le parti catholique perdait la majorité absolue au Sénat aussi ; toutefois. sa majorité relative y était plus forte qu’à la Chambre. Il est permis de caractériser les élections moins comme un succès catholique que comme une défaite socialiste, défaite, il est vrai, de peu d'importance (page 124) mais d'un effet psychologique considérable : l'avance du parti à peu près ininterrompue depuis 1894 était, du moins momentanément, enrayée.
Théoriquement, les résultats des élections rendaient plusieurs gouvernements majoritaires possibles : une coalition catholico-libérale, une catholico-socialiste, une libérale-socialiste et une tripartite, démocratique ou non. On pouvait aussi imaginer un gouvernement homogène, c’est-à-dire un gouvernement minoritaire, et un gouvernement extra-parlementaire. Toutefois, plusieurs de ces possibilités n'offraient pratiquement pas d'intérêt. Une coalition catholico-socialiste ou libérale-socialiste était exclue d'avance après les batailles électorales. Quant à l'idée d'un cabinet catholique homogène, personne n'allait la défendre sérieusement. En réalité, il n'y avait à choisir qu'entre une nouvelle tripartite, une coalition catholico-libérale et un gouvernement plus ou moins extra-parlementaire.
Attendant les élections provinciales du 27 novembre, le Roi n'entreprit ses consultations que le 1 décembre. Avant qu'elles n'eussent abouti, la situation s'était éclaircie du fait que les partis avaient pris position devant le résultat des élections.
Les droites parlementaires se réunirent le 29 novembre et exprimèrent à M. Carton de Wiart « le désir de le voir continuer à diriger l'administration du pays à la tête d'un gouvernement mixte ou homogène, mais d'accord sur un programme de restauration nationale. » Les catholiques ne se prononçaient donc pas sur la majorité à venir, mais se réservaient le poste de Premier ministre. En même temps, ils parlaient d'un programme pratique, faisant ainsi une invite aux libéraux qui, au cours de la campagne électorale, avaient affirmé leur fidélité aux principes de leur parti sans exclure l'idée d'une collaboration d'ordre pratique.
(page 125) Le 1er décembre, les gauches libérales firent connaître leur décision « de maintenir de la façon la plus nette l'autonomie du parti, qu'il collabore ou non au gouvernement », et déclarèrent « qu'en aucun cas elles ne se prêteraient à des combinaisons qui donneraient au gouvernement soit un caractère confessionnel et réactionnaire, soit un caractère démagogique. » Il semble permis d'interpréter ainsi cet ordre du jour un peu sibyllin : les libéraux ne prétendaient pas au poste de Premier ministre mais s'opposaient à un gouvernement à prépondérance catholique aussi bien qu'à une coalition avec le P.O.B. Il semble que les libéraux n'aient pas eu d'idée arrêtée sur la composition du cabinet ; toutefois, deux chefs influents, MM. Hymans et Devèze, étaient, l'un pour une tripartite, l'autre contre « une alliance à deux. »
L'idée d'une tripartite s'évanouit définitivement lorsque, à son congrès du 3 décembre, le P.O.B. unanime déclara qu'« il y avait impossibilité morale pour le Parti Ouvrier à collaborer avec les partis bourgeois au Gouvernement. » M. Vandervelde souligna que le P.O.B. ferait une politique d'opposition ferme contre un gouvernement catholico-libéral, La décision socialiste n'avait rien d'étonnant. Au cours de 1921, le P.O.B. avait participé au gouvernement avec un malaise croissant. De plus, son échec électoral lui avait été doublement sensible puisqu'il était passé à l'opposition d'assez bonne heure pour s'assurer un bon départ dans la lutte électorale. Il fallait au parti « une cure d'opposition. » Donc, il ne restait plus que : coalition catholico-libérale, ou gouvernement extra-parlementaire, celui-ci peu probable.
Le Roi ne consulta que les présidents des Chambres et MM. Woeste, Hymans et Vandervelde. Le 3 décembre, il chargea M. Carton de Wiart de former le nouveau cabinet. Fidèle à sa décision antérieure, celui-ci déclina l'offre, malgré les instances pressantes du Roi. Ayant prévu ce refus, M. Woeste avait proposé au Roi le nom du ministre des finances. M. Theunis fut appelé, et l'insistance du Roi alliée à celle de (page 126) M. Woeste eurent raison de ses hésitations : le 5, il fut chargé, selon un communiqué officiel, « d'examiner la possibilité de former un gouvernement dont le programme tiendrait compte de la situation financière grave… »
S'adresser à M. Theunis était contraire aux règles du parlementarisme belge. M. Delacroix (nommé dans des circonstances extraordinaires) excepté, le chef du cabinet avait été choisi, dès les débuts du régime parlementaire belge, parmi les parlementaires. Plusieurs raisons expliquent l'initiative du Roi. M. Theunis avait acquis un grand prestige auprès de ses collègues et du Parlement ; et cela non seulement dans le camp catholique, mais aussi chez les libéraux et, au moins autant, chez les socialistes. Sa qualité de non-parlementaire le rendait particulièrement apte à présider un gouvernement de coalition. Enfin. comme Ie Roi l'écrivit à M. Woeste, son nom un résumait un programme : « administration des économies. » En effet, la tâche principale du futur cabinet devait être la reconstruction nationale.
La mission de M. Theunis se trouvait simplifiée par la décision du P.O.B. : en somme, il n'était plus question de former une coalition catholico-libérale. Les circonstances étaient à la fois favorables et défavorables à cette entreprise. L’abîme qui depuis si longtemps séparait les deux partis s'était en partie comblé : ils avaient découvert, l'un et l'autre, qu'ils avaient des intérêts communs à défendre contre le P.O.B. De plus, la lutte scolaire s'était apaisée. Par contre, les couches profondes du parti libéral, très anticléricales, craignaient une alliance - si momentanée qu'elle fût -avec l’ennemi héréditaire. Les chefs responsables du parti, eux, se méfiaient d'une coalition qui aurait l’air « réactionnaire » et qui, par là, (page 127) compromettrait le parti ; ceci d'autant plus que la prépondérance numérique des catholiques menaçait d'étouffer la voix de la minorité libérale. Il est révélateur que, dès la campagne électorale, les libéraux aient souligné qu'une collaboration n'était possible que dans un nombre restreint de questions nettement définies : en somme, il ne pouvait s'agir que d'un « cabinet d'affaires ».
Les catholiques, de leur côté, éprouvaient aussi certaines appréhensions pour des raisons de principe, mais il semible que la joie de voir la menace socialiste s'éclipser leur ait inspiré, au moins aux élément conservateurs du parti, une attitude plus positive vis-à-vis de la coalition. D'ailleurs, ils avaient la sécurité du nombre. Toutefois, les démocrates ne voyaient pas venir sans crainte une coalition antisocialiste. Toujours est-il qu'après le congrès du P.O.B.. on comprit de part et d’autre - parfois sans enthousiasme - la nécessité de s'allier. Mais il ne manquait pas de problèmes délicats. Comment distribuer les portefeuilles? Faudrait-il faire appel à des extra-parlementaires ? Quel parti aurait les portefeuilles les plus recherchés ?
Le 6 décembre, M. Theunis engagea des pourparlers avec les représentants des deux partis, parmi les catholiques en particulier avec MM. Woeste et Van de Vyvere, parmi les libéraux avec MM. Hymans et Devèze. I.es négociations semblaient aboutir rapidement. Dès le 9, la presse publia une liste des ministres officieuse : M. Theunis Premier ministre et aux finances, M. Jaspar aux affaires étrangères, M. Berryer à l'intérieur, M. Janson à la justice, M. Devèze à la défense nationale. M. Hubert aux sciences et arts, M. Neujean aux chemins de fer, M. Ruzette à l'agriculture et aux travaux publics. M. Poullet à l'industrie et au travail. M. Franck (ou M. Forthomme) aux colonies, et M. Van de Vyvere aux affaires économiques. Le gouvernement se serait donc composer de 5 catholiques (page 128) (MM. Jaspar, Berryer, Ruzette, Poullet et Van de Vyvere), de 4 libéraux (MM. Janson, Devèze, Franck-Forthomme et Neujean) et de 2 extra-parlementaires, dont l'un, M. Theunis, de tendance catholique, et l'autre, M. Hubert, de tendance libérale.
A peine achevée, cette combinaison fut renversée : après un débat animé, les gauches libérales déclarèrent (le 10 décembre) dans un ordre du jour qu'elles ne pouvaient lui « accorder leur adhésion. » D'autre part, elles assurèrent M. Theunis de « leur sympathie et se dirent prêtes à donner leur appui à un cabinet qui serait présidé par lui et qui, ne comprenant qu'un petit nombre de personnalités politiques, serait constitué par des hommes qualifiés par leur compétence spéciale pour collaborer utilement à la restauration du pays. » Comment interpréter cet ordre du jour ? Les libéraux, nous venons de le dire, craignaient qu'un gouvernement à prépondérance catholique n'entrainât un « glissement à droite. » Donc, la plupart d'entre eux voulaient voir au gouvernement un nombre de techniciens assez grand pour qu'il n'y eût pas de majorité catholique. Un petit nombre de libéraux pro-socialistes, dont, semble-t-il, M. Janson, préconisait la même composition, mais lui, pour pouvoir rallier sans heurts le P.O.B. au cabinet, en remplaçant les techniciens par des socialistes. Pour ce qui est du programme, les libéraux se demandaient si les négociateurs avaient obtenu des garanties suffisantes au sujet de l'université de Gand : le parti exigeait que le cabinet restât neutre. Ils fondaient en partie leur méfiance sur le fait que de nombreux candidats-ministres avaient voté la loi sur l'emploi des langues dans l'administration. et, à leur avis, le nom de M. Poullet n'augurait rien de bon.
Les catholiques n'étaient pas non plus entièrement satisfaits. Les conservateurs s'inquiétaient de voir M. Janson, pro-socialiste, ministre, et M. Woeste lança une exclusive contre lui. De plus, (page 129) les catholiques voyaient d'un mauvais œil le portefeuille de la justice leur échapper. Toutefois, ils n'eurent pas à préciser publiquement leur position' : à la suite de l'ordre du jour libéral, le formateur voulut se désister. Mais le Roi le persuada de faire un nouvel essai, probablement parce que les libéraux avaient témoigné leur confiance à M, Theunis personnellement.
Les jours suivants, celui-ci poursuivit ses négociations. Des ordres du jour du 13 décembre montrèrent qu'on était en bonne voie. Les gauches libérales réitéraient au formateur l'expression de leur confiance et formaient « le vœu de voir M. Theunis aboutir promptement à la constitution d'un cabinet répondant aux exigences de la situation politique et aux intérêts de la nation. » Cet ordre du jour marquait une retraite : il n'était plus question de s'opposer aux plans de M. Theunis. Cette retraite s'explique, car les libéraux avaient obtenu des assurances au sujet de l'université de Gand, comme la déclaration gouvernementale devait le montrer, et, d'ailleurs, il n'y avait pas d'alternative au cabinet proposé. Dans leur ordre du jour, les catholiques critiquèrent les manœuvres des libéraux qui avaient retardé la constitution du cabinet, et leur idée d'y faire entrer des techniciens.
Ces deux ordres du jour faisaient prévoir que la crise approchait de sa fin. Cependant, les questions de personnes soulevaient encore des difficultés. Les partis avaient prononcé des exclusives respectivement contre M. Poullet et M. Janson, qui, dans la liste définitive, furent remplacés par M. Moyersoen, démocrate flamand modéré, et M. Masson, libéral wallon. A la dernière minute, M. Hubert hésita à entrer au ministère, (page 130) mais il se laissa persuader (d'après ce qu'en dit la presse, par le Roi). Le 15 décembre, M. Theunis publia sa liste définitive qui ne se distinguait de la précédente que par les substitutions dont nous venons de parler. Pour les colonies, il avait choisi le Flamand Franck au lieu du Wallon Forthomme.
A peine une semaine plus tard, le gouvernement fit sa déclaration qui était remarquablement vague dans ses parties politiques. Elle portait principalement sur la reconstruction du pays, c’est-à-dire sur des questions au sujet desquelles les deux partis différaient peu. Sur la question de la défense nationale, le gouvernement ne se prononça guère ; il proposa de soumettre le problème central, à savoir la durée du service, à une commission mixte : en d'autres termes, il ajourna la question. Quant à l'université de Gand, la déclaration fut intéressante, mais d'une manière toute négative : les ministres admirent qu'ils ne s'entendaient pas et déclarèrent que les Chambres devraient elles-mêmes trancher la difficulté au cours de la session ; le gouvernement comme tel refusait de s'engager.
Parmi les ministres catholiques, MM. Jaspar et Berryer représentaient les conservateurs modérés, M. Moyersoen les démocrates modérés, M. Ruzette les intérêts des agriculteurs, mais M. Van de Vyvere, plutôt qu'une classe sociale, les flamingants. Il est difficile de voir des nuances sociales entre les ministres libéraux ; notons seulement que M. Devèze était le chef des progressistes. Au point de vue linguistique, le gouvernement se composait de 4 Flamands, 3 Bruxellois et 4 Wallons ; mais en réalité, les Flamands avaient une légère prépondérance, car M. Van de Vyvere était chef flamingant, MM. Ruzette, Moyersoen et Franck, flamingants et l'un des Wallons, M. Berryer, avait voté la loi sur l'emploi des langues dans l'administration, tandis que parmi les autres, seuls MM. Devèze, Neujean et Masson étaient nettement anti-flamingants ; M. Jaspar était neutre. En apparence, M. Theunis avait répondu au vœu (page 131) qu'il n'y eût pas de majorité catholique (5 catholiques sur 11 ministres) mais, en réalité, cette majorité existait (5 catholiques et M. Theunis contre 4 libéraux et M. Hubert). Les catholiques détenaient la plupart des portefeuilles importants ; mais ils avaient dû abandonner celui de la justice. On peut considérer comme un succès libéral que le gouvernement n'ait pas pris position dans la question de l'université de Gand. Quant au problème militaire, personne ne pouvait se vanter d'avoir gagné la partie puisqu'il avait été tout simplement ajourné.
Le gouvernement était bien un cabinet d'affaires : il évitait de prendre position devant les problèmes éminemment politiques. C'était la condition sine qua non de sa constitution, mais cela signifiait qu'il s'agissait là d'un cabinet relativement faible, dont l'avenir était incertain : les partis allaient-ils lui permettre de rester ainsi dans l'expectative ?
Son premier contact avec la Chambre lui montra qu'il lui serait difficile d'observer cette attitude. Dans une grande déclaration de principe, M. van Cauwelaert revendiqua la flamandisation de l'université de Gand. Le règlement de cette question déciderait de l'attitude des Flamands vis-à-vis du gouvernement, ajouta-t-il. Il voulait dire par là que si le Parlement ne parvenait pas à satisfaire les Flamands, il revenait au gouvernement de le faire. A part cela, le débat ne présenta pas grand intérêt, car le P.O.B. gardait l'épée au fourreau. M. Theunis y remporta une victoire personnelle. D'une façon générale, le gouvernement fut accueilli par sa majorité avec une sympathie tempérée, et, par 76 voix contre 17 (et 3 abstentions), la Chambre lui exprime sa « confiance. »
Ce gouvernement marque une nouvelle étape dans l'évolution du parlementarisme belge dont le trait saillant avait été une succession de gouvernements majoritaires homogènes. Les tripartites de 1918-21 s'expliquaient par les circonstances exceptionnelles, En décembre 1921, la Belgique avait eu le temps (page 132) de se reprendre et jouissait d'une certaine stabilité ; la dissolution du gouvernement Carton de Wiart en était une expression. Mais au lieu de retourner au système classique, on glissait vers quelque chose de tout nouveau : la coalition à deux. Nous en avons déjà analysé les causes. Ajoutons qu'en général on considérait la bipartite d'une façon non dogmatique : on y voyait une solution pratiquement nécessaire au problème gouvernemental, en attendant que la composition politique du Parlement permît de nouveau la formation d'un gouvernement homogène. En 1921, le parlementarisme belge subit une transformation profonde sans que la question de principe ait été soulevée.
La session de 1921-22 ne présenta pas d'événement saillant et fut consacrée principalement aux problèmes de la reconstruction nationale. Le P.O.B. se lança dans une politique d'opposition énergique et fit de nombreuses invites aux catholiques démocrates pour désagréger la majorité. Il parvint à établir une collaboration avec eux dans certaines questions sociales et économiques mais n'atteignit pas son but principal.
Pendant ce temps, la commission spéciale de la Chambre étudiait les nombreuses propositions relatives à l'université flamande, propositions qui allaient de la flamandisation totale de l'université de Gand jusqu'à la création d'une troisième université d'Etat entièrement flamande. L'unité ne se fit sur aucune de ces propositions et, finalement. la commission élabora (page 133) elle-même un projet (inspiré surtout par M. van Cauwelaert) qui comportait la flamandisation graduelle de l'université de Gand. Ce projet ne fut adopté par la commission que grâce à l'absence de deux de ses adversaires au vote décisif. Dans ces conditions, il avait peu de chances d'être voté par la Chambre, et ne fut mis à l'ordre du jour qu'à l'automne 1922.
A la veille du débat, le ministre des sciences et arts, M. Hubert, démissionna, officiellement pour raison de santé. Mais il semble bien que la présence de sa signature au bas d'un manifeste pour la sauvegarde de l'université française de Gand n'ait pas été étrangère à son départ. Le octobre 1922, il fut remplacé par le professeur Leclère, extra-parlementaire de nuance libérale, dont la carrière ministérielle fut plus que brève. Lui aussi allégua la raison de santé mais, aussi, la question flamande joua son rôle. M, Leclère était personnellement adversaire de la flamandisation de l'université française, mais il n’avait pas pris position officiellement. Au cours d’un débat à la Chambre le 18 octobre, le P.O.B. somma le cabinet de se prononcer sur la question. M. Theunis refusa en rappelant la déclaration gouvernementale. Immédiatement après, des Flamands influents défendirent, en termes énergiques, au ministre des sciences et arts de prendre la parole. Il est probable que cet accueil peu tendre contribua à la démission de M. Leclère, Au début de novembre, il fut remplacé par le professeur Nolf, libéral, liégeois, mais d'origine flamande, et qui ne s'était prononcé en aucune façon sur ce sujet brillant.
Le 19 octobre, le débat s'engagea à la Chambre, débat qui compte parmi les plus pénétrants et les plus passionnés de l’histoire parlementaire belge. Le cabinet resta passif malgré tous les efforts du P.O.B. pour le faire sortir cette attitude. Nous ne retiendrons qu’un discours, celui de M. Vandervelde. Celui-ci se rallia au projet de flamandisation de l'université française dans une déclaration qu’il sut transformer en une invite aux catholiques démocrates flamands à collaborer (page 134) avec le P. O.B. Cependant, M. Vandervelde n'était pas suivi par la majorité de son parti dans cette question. et cette tentative n'eut pas de lendemain. Au milieu de décembre, le principe fondamental du projet fut voté par la très faible majorité de 85 voix contre 83 (et 7 abstentions). Au vote sur l'ensemble, les Flamands l'emportèrent avec 89 voix contre 85 (et 7 abstentions).
Le Sénat rejeta le premier et fondamental article du projet par 76 voix contre 58 (et 6 abstentions). Pour éviter une impasse, il nomma une commission spéciale qui eut à examiner de nombreuses propositions. En mai 1923, la commission déposa son rapport. Le débat sur les différentes propositions s'engagea le 6 juin dans une atmosphère orageuse. Il porta surtout sur un projet de compromis, présenté par M. de Broqueville, qui avait rallié presque tous les catholiques et qui semblait pouvoir obtenir la majorité des votes. Mais, à la suite d(amendements faits à la dernière minute, il fut rejeté. le 14 juin, par une majorité de libéraux, de socialistes et de catholiques wallons isolés.
Immédiatement après (tous les autres projets avaient déjà été rejetés), le gouvernement se réunit. Il fit connaître sa décision de démissionner dans le communiqué suivant : « Les ministres ont constaté à l'unanimité que la question de l'université de Gand ne pouvait rester sans solution et, en présence de l'impuissance des Chambres d'aboutir sans le concours du gouvernement, ils ont décidé d'envoyer au Roi la démission collective. »
A première vue, la décision du gouvernement est surprenante. Le cabinet démissionnait à la suite d'un vote - au Sénat - sur une question dans laquelle il n'avait pris position. Si l'on considère la crise de 1923 uniquement comme une suite de ce vote elle semble inexplicable.
En réalité. il y avait autre chose derrière cette démission bien que le communiqué n'en parlât pas : la question militaire. (page 135) L'organisation de la défense nationale avait été renvoyée, en 1921, à une commission mixte. Au début de la session 1922-1923, M. Devèze déposa une série de projets dont l'ensemble devait former une nouvelle organisation militaire. M. Devèze voulait, entre autres, permettre peu d'exemptions, fixer à 10 mois le temps de service et le faire précéder d'une formation pré-régimentaire. Il s'opposait au recrutement régional et préconisait le bilinguisme des officiers. La majorité fit un accueil assez favorable à ses projets, 'nais le P.O.B. les combattit énergiquement et recommanda une réduction du temps de service et le recrutement régional, programme qui, indubitablement, était de nature à attirer les catholiques flamands.
Avant que le Parlement eût pu prendre position, l'occupation de la Ruhr avait compliqué la question : à la fin de mai, M. Devèze se vit obligé de proposer une prolongation du temps de service de 4 mois. Le Roi approuva ce projet dans une lettre que M. Devèze rendit publique. Mais cette fois-ci, M. Devèze se heurta, non seulement à l'opposition du P.O.B. , mais à celle des catholiques flamands. A réunion de la droite le 31 mai, ceux-ci se prononcèrent pour une prolongation de deux mois seulement, et cela moyennant certaines satisfactions d'ordre linguistique, entre autres la flamandisation de l'université de Gand. Le cabinet se trouvait devant un dilemme : pour obtenir une prolongation du temps de service que lui et les libéraux estimaient indispensable, il lui faudrait garantir aux Flamands la flamandisation de l'université de Gand, mesure à laquelle les libéraux s’opposaient. Longtemps, il espéra que le Sénat allait trouver une formule de nature à satisfaire les Flamands ; le projet de M. de Broqueville était une tentative de ce genre. Son rejet exposait le gouvernement au risque de subir un échec dans la question militaire. Or, une crise gouvernementale sur cette question eût été désastreuse pour des raisons non seulement (page 136) de politique extérieure mais aussi de politique intérieure, étant donnée la position du Roi.
En se retirant à la suite du vote au Sénat, le cabinet évitait ces risques, et, en même temps, il se ménageait la possibilité de lier la question universitaire au problème militaire en élaborant ou en faisant élaborer de nouvelles formules ; de toute évidence, une transaction s'imposait. Le vote du Sénat n'était donc pas la véritable cause de la démission du gouvernement, il n'en était que le prétexte ; réellement, les ministres se retiraient parce que la majorité était divisée au sujet de deux questions qu'il fallait résoudre immédiatement et, à cause des Flamands, en bloc.
M. Theunis fut chargé de former un nouveau gouvernement : personne ne s'en étonna, car, de fait, il ne s'agissait pas de former un nouveau cabinet, mais de trouver des solutions de compromis aux deux questions que le gouvernement avait ajourner en 1921. Après de laborieuses négociations entre catholiques et libéraux, les efforts de M. Theunis furent couronnés de succès. Dans la question universitaire, les partis s'entendirent sur une formule imaginée par M. Nolf, selon laquelle deux régimes seraient institutes à l'université de Gand, l'un comportant deux tiers de l'enseignement en flamand et un tiers en français, et l'autre vice versa ; le flamand serait la langue administrative. Il fut particulièrement délicat de trouver un compromis dans la question militaire, puisque les Flamands refusaient d'accepter les 14 mois de service préconisés par le Roi, On finit pourtant par trouver une formule : 12 mois de service et 2 mois supplémentaires tant que durerait l'occupation de la Ruhr. Les Flamands ne firent cette concession que moyennant l'abrogation du projet établissant l'instruction pré-régimentaire, l'introduction de nombreuses exemptions et celle d'un système de recrutement qui approchait du recrutement régional. Le plan d'ensemble de M. Devèze se trouvait ainsi complètement mutilé ; le 27 juin, celui-ci voulut donner sa démission, mais ses collègues le persuadèrent de rester jusqu'au vote de la nouvelle formule.
(page 137) Cette transaction achevée, le gouvernement n'avait plus de raison pour maintenir sa démission. Un communiqué fit savoir que, le 29 juin, le Roi avait refusé de l'accepter. Dans une nouvelle déclaration gouvernementale, le cabinet présenta les nouvelles formules et posa la question de confiance. Les deux Chambres exprimèrent dans des termes identiques leur « entière confiance dans le gouvernement » dans le gouvernement, la Chambre par 95 voix contre 63 (et 12 abstentions dont celles de quelques démocrates flamands), le Sénat par 88 contre 36 (et 1 abstention).
On peut se demander pourquoi le gouvernement, dans les conditions que nous venons d'analyser, avait jugé nécessaire d'offrir sa démission. N'eût-il pas été plus simple de chercher une solution au sein même du cabinet ? L'explication n'est pas loin. Il ne s'agissait pas seulement de trouver des formules, il fallait aussi s'assurer de l'appui des partis. Le geste du cabinet obligea ceux-ci, d'une part à collaborer aux négociations, d'autre part à s'engager préalablement et publiquement. Si le ministère avait choisi de chercher lui-même des solutions, il eût couru le risque de voir les groupes rejeter ses projets. En un sens, on peut dire que la démission des ministres était un coup monté contre les partis gouvernementaux.
Au cours du mois suivant, les deux projets furent votés malgré l'obstruction du P.O.B. et grâce au recours fréquent à la question de confiance. Les Flamands ne cachaient pas qu'ils étaient peu satisfaits de la formule Nolf.
Aussitôt le projet militaire voté, M. Devèze démissionna. Il fut remplacé par M. Forthomme, libéral wallon.
Au début de l'année 1924, la position du gouvernement s'affaiblit pour plusieurs raisons. Une crise financière et (page 137) économique se faisait sentir. L'inquiétude qu'elle causa dans le monde ouvrier s'accrût lorsque les patrons exigèrent certains assouplissements de la loi sur la journée de 8 heures, revendication qui se traduisit à la Chambre par un projet de loi déposé par le ministre Moyersoen et par une proposition due à M. Devèze. Tous deux furent rejetés par les sections, grâce à la collaboration des catholiques démocrates et des socialistes, non sans avoir troublé l'atmosphère politique. Des question de principe, telles que l'introduction de l'incinération, créèrent entre catholiques et libéraux un certain malaise savamment entretenu par le P.O.B. De plus, les Flamands émirent des vœux sur l'emploi du flamand à l'armée qui inquiétèrent surtout les libéraux mais aussi certains catholiques non-flamands.
C'est donc dans des conditions peu favorables que la Chambre ouvrit le 6 février 1924 le débat sur un projet de loi approuvant la convention commerciale conclue avec la France en 1923. Le ministre des affaires étrangères posa immédiatement la question de confiance. Le débat s'élargit jusqu'à embrasser toute la politique extérieure du cabinet. Le 20 février, M. Theunis se vit obligé de déclarer que le vote devrait « être considéré comme un vote confiance ou de méfiance dans le gouvernement. » L'opposition venait avant tout du P.O.B. qui, dirigé par M. Vandervelde, s'attaqua à la politique extérieure du gouvernement, en particulier à sa politique allemande, et aussi sa politique économique et financière. Mais l'opposition comptait aussi certains catholiques, en premier lieu M. van Cauwelaert. Dans un discours très remarqué, il s'en prit au gouvernement avec une intensité qui rappelle celle du P. O.B. ; il s'attaqua de plus, en passant, à la politique linguistique du cabinet. M. Renkin, lui aussi, critiqua le gouvernement, sans doute poussé par des (page 139) motifs plus personnels. Le 27 février, le projet de loi fut rejeté par 95 voix contre 79 (et 7 abstentions), Parmi les présents, tous les libéraux sauf un, et la grande majorité des catholiques avaient voté pour, le P.O.B. et une vingtaine de catholiques, contre. Presque tous ceux-ci appartenaient au groupe de M. van Cauwelaert, mais on y voyait aussi M. Renkin.
Sans aucun doute, M. van Cauwelaert et ses amis désapprouvaient, et la convention à leur avis trop favorable à la France, et la politique des réparations, mais il semble bien qu'ils aient aussi voulu saisir l'occasion de rappeler leurs revendications linguistiques. Les sources dont nous disposons ne nous permettent pas de dire si leur vote était du même coup une invite au P.O.B.
A la suite du vote du 27 février, le gouvernement se trouvait théoriquement devant une alternative : dissolution ou démission. Il ne semble avoir songé qu'à la démission qu'il offrit le jour même au Roi. En même temps, M. Theunis fit savoir à la presse que rien ne pourrait l'amener à se charger de former le nouveau ministère.
La crise de 1924 présente deux traits saillants. D'abord, la majorité du 27 février était trop hétérogène pour servir de base à un nouveau cabinet. Ensuite, le gouvernement avait subi un échec propos d'une question de politique extérieure. C'était en soi chose grave ; plus grave encore était que l'opposition eût lié sa critique de la convention à une attaque contre la politique allemande du gouvernement. Si M. Theunis ou M. Jaspar était remplacé par M. Vandervelde par exemple, cela aurait des répercussions internationales considérables.
Les consultations royales eurent cette fois une grande envergure. S'il faut en croire la presse, les interlocuteurs du Roi catholiques et libéraux lui conseillèrent de s'adresser de nouveau à M. Theunis. Le bruit courait que, dès le début de mars, il l'avait appelé sans toutefois arriver à le faire revenir sur sa (page 140) décision. Le 4 mars, le Souverain offrit à M. Houtart, catholique conservateur et rapporteur de budget très remarqué, de constituer le nouveau cabinet ; mais celui-ci se récusa. Cette démarche montrait que le Roi n'avait pas l'intention de faire appel à la nouvelle majorité, ni de procéder à de nouvelles élections. Nous ne saurions dire si l'attitude du Roi était dictée par la conviction que la majorité du 27 février était incapable de se transformer en majorité de gouvernement, ou par les considérations de politique extérieure auxquelles nous avons fait allusion.
Dans une résolution sensationnelle, le Conseil général du P.O.B. riposta le jour même au geste du Roi. Selon les socialistes, « le chef de l'Etat sortirait de son rôle constitutionnel et des traditions parlementaires, s'il n'essayait pas tout d'abord d'examiner la possibilité de constituer un gouvernement à l'aide de la majorité » qui s'était « affirmée le 27 février », et il « serait inadmissible qu'il persistât à imposer le gouvernement Theunis ; il fallait procéder à des élections et constituer, en les attendant, un « gouvernement démocratique » pour, entre autres choses, combattre la vie chère et mettre fin à l'occupation de la Ruhr.
Il semble évident que l'intention du P.O.B. n’était pas d'amener le Roi s'adresser à la majorité 27 février, car le ton même de la résolution rendait impossible une retraite de la part du Monarque. Mais les socialistes voulaient protester contre sa décision de faire de nouveau appel à l'ancienne majorité. Si le Roi ne voulait pas s'adresser à la nouvelle - qui en effet n'était pas une majorité gouvernementale - il eût été de son devoir de faire procéder à des élections, comme M. Vandervelde l'avait suggéré dans un discours à la veille de la crise ; l'attitude du Roi était une « offense gratuite à la classe ouvrière », c'était refuser de lui reconnaitre la maturité politique ; de plus, l’appel à M. Houtart allait à l’encontre du principe même du parlementarisme. Ces considérations semblent pouvoir motiver à (page 141) elles seules la résolution socialiste. Mais la violence du ton donne à croire que le P.O.B. y voyait aussi une façon retentissante d'ouvrir la campagne électorale ; cette hypothèse ne peut pas être prouvée par des documents, mais elle s'appuie sur le fait que le P.O.B. demandait la dissolution.
M. Houtart s'étant récusé, le nom de M. Theunis revint sur le tapis. Celui-ci persistait à refuser mais était l’objet des instances pressantes du Roi et des groupes, Dès le 29 février, le comité directeur libéral semble s'être prononcé en sa faveur. Les 5 et 6 mars, ce fut le tour des catholiques. Les catholiques flamands firent savoir, selon Le Soir, qu'ils étaient « désireux de le voir reprendre le pouvoir et mener à bien la question des réparations. » Ils désavouèrent donc l'attaque de M. van Cauwelaert contre la politique de la Ruhr. Les catholiques démocrates exprimèrent le même vœu (en ajutant, selon Le Soir, qu'ils souhaitaient voir un des leurs ministre).
Le 6 mars, M. Theunis céda et accepta l'offre du Roi. Le jour même, les bureaux des droites parlementaires se déclarèrent « prêts à soutenir » le ministère qu'il formerait ; ils ajoutaient que l'effort principal du gouvernement devrait porter sur les problèmes économiques et financiers et sur la solution de la question des réparations.
Après quatre jours de négociations, le 10, M. Theunis put faire connaître la liste de ses ministres. Le jour même, les droites parlementaires lui renouvelèrent leur « confiance » ; les gauches firent de même et l'assurèrent de leur appui pour la réalisation d'un programme tendant à poursuivre, en matière internationale. la politique du cabinet précédent et qui, écartant les questions irritantes de politique intérieure chercherait à redresser la situation financière du pays. Par « questions irritantes », les libéraux entendaient certaines questions alors actuelles qui séparaient les deux partis, à savoir le vote féminin, l’emploi des langues à l'armée et l'introduction de (page 142) l'incinération. C'est en ajournant ces questions que l'entente se fit.
Le 18 mars, le cabinet Theunis fit sa déclaration, qui, grosso modo, n'annonçait que la continuation du programme d'avant la crise de février, à l'exclusion naturellement de la convention commerciale. Les ministres ne cachaient pas que beaucoup de questions les séparaient. Ils se contenteraient donc de résoudre un nombre de problèmes au sujet desquels ils étaient d'accord ; ces problèmes résolus, chacun recouvrerait sa liberté.
Le gouvernement remanié était le gouvernement Theunis de 1921 quelque peu modifié : M. Theunis Premier ministre et aux finances, M. Hymans aux affaires étrangères, M. Poullet à l'intérieur, M. Masson à la justice, M. Forthomme à la défense nationale, M. Nolf aux sciences et arts, M. Neujean aux chemins de fer, M. Ruzette à l'agriculture et aux travaux publics, M. Tschoffen à l'industrie, au travail et la prévoyance sociale (nouveau ministère), M. Carton (de Tournai) aux colonies et Van de Vyvere aux affaires économiques. Le nombre des portefeuilles était le même et ils étaient répartis de la même façon entre les partis : 5 catholiques, 4 libéraux et 2 techniciens. La seule différence était que 4 ministères avaient changé de titulaires. M. Jaspar, que le vote du 27 février avait visé directement, était remplacé par M. Hymans. Puisque par là les libéraux avaient eu le portefeuille d'un catholique, ils avaient dû sacrifier M. Franck qui fut remplacé par M. Carton. De plus, M. Moyersoen avait cédé son poste, sans aucun doute à cause de sa défaite dans la question de la journée de 8 heures, à M. Tschoffen. Enfin, M. Berryer était remplacé par M. Poullet.
On peut constater une avance libérale : à la place du ministère des colonies, de peu d'intérêt politique, ils avaient obtenu celui des affaires étrangères qui était à cette heure particulièrement (page 143) important. Mais les substitutions de personnes parmi les catholiques sont ce qu'il y a de plus remarquable dans le remaniement. Deux conservateurs (MM. Jaspar et Berryer) et démocrate modéré (M. Moyersoen) avaient été remplacés par deux chefs démocrates (MM. Poulllet et Tschoffen) et un conservateur (M. Carton), deux Wallons toutefois non anti-flamands (MM. Jaspar et Berryer) et un Flamand (M. Moyersoen), par un chef flamingant (M. Poullet) et deux Wallons dont l'un pro-flamand (M. Tschoffen) et l'autre non anti-flamand (M. Carton). Ce renforcement de l'élément flamand ne pouvait guère être contrebalancé par la substitution de M. Hymans à M. Franck puisque leurs ministères n'avaient pas grand intérêt au point de vue linguistique. Le sens du remaniement avait été d'augmenter, sans changement de programme, l'influence des éléments catholiques qui avaient fait défection le 27 février : flamands et démocrates. Au point de vue linguistique, les libéraux eurent donc à payer cher (M. Poullet) le portefeuille des affaires étrangères. Par contre, ils remportèrent quelques succès dans la question du programme : les réformes électorale et linguistique réclamées par les catholiques avaient été ajournées ; les concessions que les libéraux avaient à faire, à savoir l'ajournement de l'introduction de l'incinération (et la formule du serment en justice), ne présentaient pas grand intérêt. Les ajournements que nous venons de noter et le programme éminemment pratique du gouvernement montrent bien qu’il s'agissait toujours d’un cabinet d'affaires.
La Chambre lui accorda sa confiance par 93 voix contre 69 (et 6 abstentions). Remarquons que M. van Cauwelaert fit preuve de réserve à l'égard du cabinet et le P.O.B., d’une part critiqua l’attitude du Roi et la constitution d’un nouveau ministère Theunis, d’autre part essaya d'enfoncer des coins dans le bloc de la majorité en rappelant les questions ajournées. Mais tous les catholiques et les libéraux (sauf quatre Flamands (page 144) particulièrement flamands) votèrent pour le gouvernement. Au Sénat, il n'y eut pas de vote.
Pendant toute l'année, le cabinet s'efforça d'éviter les questions Irritantes. Il n'y réussit pas sur le point extrêmement important du suffrage féminin, plus précisément sur celui du vote des femmes à la province. Rappelons que les catholiques et 28 socialistes avaient convenu en 1921 de l'accorder avant les élections de 1925. Mais la coalition des catholiques et des libéraux compliquait la question : sous menace de quitter le gouvernement, les libéraux s'opposèrent à sa mise à l'ordre du jour. Les socialistes, qui voyaient là l'occasion de renverser le gouvernement, soulevèrent cette question à plusieurs reprises, allant jusqu'à déclarer qu'ils ne s'estimeraient pas tenus de remplir leur engagement si les catholiques laissaient dormir cette réforme. Mais, sous la menace libérale, les catholiques n 'osèrent pas la faire voter avant la dissolution des Chambres.
Dès février 1925, le gouvernement fit comprendre qu'il allait dissoudre les Chambres et que les élections auraient lieu en avril. Ces élections anticipées étaient sans doute dues à la tension que le question du vote féminin avait fait naître entre les partis gouvernementaux ; de plus, le gouvernement voulait éviter que la campagne électorale ne troublât trop longtemps le travail du Parlement.
Suivant l'exemple donné par M. Carton de Wiart, M. Theunis fit savoir d'avance que le gouvernement démissionnerait à l'occasion des élections, ce qu'il fit le jour où elles eurent lieu. Le Roi le chargea d'expédier les affaires courantes.