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Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940
HOJER Carl-Henrik - 1946

HÖJER Carl-Henrik, Le régime parlementaire belge de 1918 à 1940

(Edition originale parue en 1946. Réédition parue en 1969 à Bruxelles, aux éditions du CRISP)

Introduction. La question linguistique - Les partis politiques

Chapitre II. Les partis politiques

La situation des partis avant la première guerre mondiale

(page 31) Il nous semble superflu aussi bien d'essayer de définir la nature des partis politiques en général que de nous étendre sur leur importance fondamentale dans le régime parlementaire. Nous ne tâcherons ici que d'esquisser l'histoire des partis politiques belges, d'exposer leurs organisations et leurs programmes après la première guerre mondiale et de préciser la position de la question linguistique dans la vie des partis.

(page 32) L'évolution historique des partis politiques ne fait pas de bonds, mais il semble naturel de la diviser en trois périodes : la première va de la fondation de l'Etat jusqu'aux environs de 1890, la seconde, jusqu'à 1914, la troisième, de 1918 jusqu'à la seconde guerre mondiale. La fin de la première période correspond à l'avènement de démocratie : la fondation du Parti Ouvrier Belge et celle de l'aile démocratique du parti catholique, et la révision constitutionnelle de 1893 qui introduisit le suffrage universel (le S. U.) tempéré par le vote plural. Il est plus discutable de choisir la date de 1918 début d'une nouvelle période, puisqu'en ce qui concerne la vie des partis, l'après guerre a développé des tendances qui existaient avant 1914. Cependant, il reste que c'est au cours des années 1918-1921 que le S. U. pur et simple fut introduit, que les partis se réorganisèrent ou se proposèrent de nouveaux buts, et, enfin, que la question linguistique passa au premier plan de la vie parlementaire.

La première période fut la grande époque de la société censitaire. Les représentants des courants d'opinion qui confluèrent dans le mouvement de libération de 1830-1831 appartenaient presque tous à l'aristocratie et à la bourgeoisie. Leur œuvre porte la marque de l'origine sociale de ses auteurs : la Constitution de 1831 était libérale mais non démocratique. Les droits politiques étaient réservés à une faible minorité ; encore à la veille de la révision de 1893, il n'y avait pas même 140.000 électeurs.

Les divergences politiques qui existaient dès avant 1830 avaient été mises en veilleuse tant que l'œuvre de libération le nécessitait, mais, à partir des années 1840, elles se ranimèrent et se concrétisèrent dans un parti libéral (1846-1847) et un parti catholique ( 1863-1869). Toutefois, ces partis eurent longtemps à peu près les mêmes conceptions politiques, sociales et (page 33) économiques. Tous deux défendaient la Constitution de 1831, tous deux s'opposaient à une extension du suffrage et adhéraient au libéralisme économique classique. Ce qui les séparait fondamentalement, c'était la question « religieuse » ou philosophique.

Contrairement à ce qui se passait dans d'autres pays, cette lutte ne visait pas la position de l'Eglise catholique dans l'Etat, car cette question avait été réglée par les articles 16 et 117 de la Constitution, par lesquels l' Etat s'interdit d'intervenir dans les nominations ecclésiastiques, tout en se chargeant des traitements et pensions des ministres des cultes. La lutte entre catholiques et libéraux se concentrait sur le plan politique-pratique dans la question scolaire la position de la religion dans l'enseignement (en particulier primaire) et les subsides accordés par les pouvoirs publics aux « écoles libres (privées), c’est-à-dire, pratiquement, aux écoles catholiques. Les libéraux se faisaient les champions de l'école publique, laïque et neutre, avec enseignement confessionnel facultatif ; ils posaient comme condition à l'accord de subsides aux écoles libres que celles-ci se soumissent à un certain contrôle de l'Etat. Les catholiques, de leur côté, défendaient la thèse qu'une école sans instruction religieuse obligatoire, c’est-à-dire dont l'esprit ne s'inspirerait pas des principes catholiques, était à rejeter, et qu'il fallait mettre les écoles libres sur pied d'égalité avec les écoles publiques, afin de permettre au père de famille de choisir librement la forme d'éducation qu'il préférait. En pratique, la question avait été réglée en 1842 par une transaction : enseignement religieux obligatoire et obligation pour chaque commune d'avoir une école, publique ou libre, cette dernière soumise à certaines conditions stipulées par la loi.

Le conflit entre ces conceptions s'aggrava au cours des années. L'attitude de plus en plus réactionnaire du Pape (dans l'encyclique Quanta cura en 1864 et le Syllabus) avivait l'anticléricalisme des libéraux. Cette réaction libérale s'exprima de façon retentissante dans la loi scolaire de Frère-Orban de 1879 qui imposait une école publique à chaque commune, et qui supprimait l'enseignement religieux obligatoire. Cette loi souleva une vague d'indignation dans le camp catholique. La question (page 34) scolaire allait dominer toute la vie politique. Clergé et parti catholique combattaient « l'école sans Dieu » par tous les moyens, l'excommunication y comprise ; en masse, les enfants furent retirés des écoles publiques, et de nouvelles écoles libres foisonnèrent, L'élection de 1884 qui portait en partie sur la question scolaire fut une grande défaite libérale. Dès la même année, les catholiques triomphants imposèrent une nouvelle loi scolaire basée sur les principes catholiques.


Mais en même temps que la lutte religieuse s'intensifiait à l'extrême pour aboutir à une victoire catholique, des problèmes d'un autre ordre qui allaient influencer profondément la vie des partis devenaient actuels : les questions sociales et les courants démocratiques s'imposaient irrésistiblement.

La fondation du P. O. B. (1885), ses rapides succès et les émeutes ouvrières de 1886, qui furent étouffées dans le sang, révélèrent aux bourgeois catholiques et libéraux l'existence de la question sociale. En 1893, les forces démocratiques remportèrent une première grande victoire : le S. U. fut introduit (en partie grâce des méthodes extra-parlementaires), réforme qui décupla le nombre des électeurs. En 1894, le jeune P.O.B. put envoyer 28 des siens à la Chambre. Le système de deux partis fut donc remplacé par celui de trois partis (catholique, libéral et socialiste) qui existait encore en 1940. Le débat politique porta de plus en plus sur de nouvelles questions, celle du suffrage, et, au point de vue social, sur « l'être ou ne pas être » du libéralisme économique.

La position du P. O. B. fut nette dès le début : il exigeait le S. U. pur et simple et, dans les questions économiques et sociales, suivait le programme d'Erfurt.

Les anciens partis se montraient hésitants et souffraient de dissensions intérieures, car le lien clérical ou anticlérical unissait des éléments très disparates.

Au sein du parti libéral, il existait dès les années 1880, en particulier sur la question du suffrage, des divergences de vues (page 35) si accentuées que les diverses fractions du parti n'arrivaient pas toujours à tomber d'accord sur le choix des candidats aux élections. Une aile conservatrice, « les doctrinaires » , sous l'inspiration de Frère-Orban, rejetait toute extension du droit de vote, cependant qu'une aile « radicale » ou « progressiste », avec Paul Janson pour chef, réclamait des réformes. L'élection qui suivit la révision constitutionnelle faillit anéantir le parti, mais l'introduction du proportionalisme (en 1899) lui rendit une représentation assez forte au Parlement, en même temps qu'un apaisement des luttes intestines se faisait. Sous l'inspiration de Paul Hymans, et unis dans une réaction presque désespérée contre la domination cléricale totale qui se manifestait, entre autres, dans la politique des nominations, les libéraux se rapprochèrent peu à peu des socialistes. Cette évolution culmina dans le cartel anticlérical des élections de 1912.

Cependant, le parti catholique n'échappait pas non plus au problème social. Quoiqu'il allât garder au Parlement jusqu'en 1919 la majorité qu'il avait obtenue en 1884, il se minait de l'intérieur dès 1886. La sollicitude croissante que le pape manifestait à l'égard des prolétaires et qui allait s'exprimer dans l'encyclique Rerum novarum (1891), et l'avance inéluctable des idées démocratiques et sociales allaient profondément influencer le parti catholique. En 1890-1891, un mouvement chrétien social naquit, auquel l'épiscopat, dans une lettre pastorale, prêta en 1895 un prudent appui « afin d'arracher les ouvriers aux mains des socialistes » (cité par MISSON, Le mouvementsyndical, p. 91).

Encore assez proches de la « Vieille droite » conservatrice, se trouvaient les fondateurs du « Boerendbond » et de la « Ligue démocratique belge. » Mais une nouvelle génération (le groupe de « L'Avenir social », qui devint en 1895 « La Justice sociale » sous la direction de MM. Renkin et Carton de Wiart) présenta un programme très radical pour l'époque : il comportait l'extension du suffrage, le service militaire personnel, un grand nombre de lois sociales et l'impôt progressif sur le revenu et l'héritage. A gauche de cette « Jeune droite » se trouvait le groupe (page 36) « daensiste » dont le chef, l'abbé Daens, allait être forcé de quitter à la fois le parti catholique et la prêtrise.

L'existence de ces éléments démocratiques posa au parti un grave problème d'organisation. Les démocrates allaient-ils présenter leurs propres listes de candidats aux élections, ou tous les catholiques allaient-ils pouvoir s'accorder sur des listes communes ? Le chef de la Vieille droite, M. Woeste, combattit avec la dernière énergie tout mouvement dissident, et exigea que les démocrates se soumissent à l'organisation principale, la Fédération des cercles catholiques et des associations conservatrices. Les démocrates acceptaient, en principe, l'idée des listes communes, mais à condition qu'on leur reconnût le droit de désigner leurs propres candidats sur ces listes, condition qui fut remplie à partir d'environ 1905 dans bien des circonscriptions. Il restait cependant évident que l'unité du parti était menacée.

A la veille de la première guerre mondiale, trois problèmes étaient à l'ordre du jour : la question scolaire, celle du S. U. et celle du service militaire. Les catholiques n'étaient d'accord qu'au sujet du premier. Quant au second, Vieille droite et Jeune droite se heurtaient (cf., infra, p. 69 et suivantes), et, quant au troisième, le projet du gouvernement Schollaert d'introduire le système du service personnel, et celui du cabinet de Broqueville de faire voter le service général divisaient les opinions. Les catholiques n'étaient unis que par leur cléricalisme que renforça l'anticléricalisme des autres partis.

La situation générale des partis à la veille de la guerre était assez confuse. Si, d'une part, libéraux et socialistes combattaient ensemble les cabinets cléricaux qui se succédaient, d'autre part, les élections de 1912 montraient que nombre d'électeurs d'opinion libérale se refusaient à cette alliance. Le service personnel fut voté en 1909 par une minorité catholique alliée à l'opposition libérale et socialiste, cependant que le service général fut introduit en 1913 grâce à l'alliance des catholiques et d'une fraction libérale, contre les socialistes. Après la grève générale que le P. O. B. déclencha en 1913, certains catholiques et certains libéraux se découvrirent des intérêts communs à défendre. Mais, (page 37) entre eux, la question scolaire se dressait comme un mur infranchissable, et rien ne donnait à croire qu'il disparaîtrait. Les socialistes enfin, qui, par le cartel de 1912 avaient manifesté leur acceptation du régime parlementaire en présentant avec les libéraux un programme gouvernemental, furent rejetés dès l'année suivante dans la lutte extra-parlementaire.


Il est impossible de dire le tour que l'évolution eût pris si elle s'était déroulée normalement. Mais la première guerre mondiale et l'occupation allemande allaient l'influencer profondément, en ne faisant peut-être que la précipiter (cf. infra ? chapitre III). Les années 1918-1921 virent la solution de bien des problèmes : au printemps 1919, le S. U. pur et simple fut introduit ; la « trêve scolaire » fut acceptée par tous les partis en 1919 et 1920 (trêve qui, de fait, comportait la victoire, du moins provisoire, des catholiques) ; une loi donna aux ouvriers la journée de 8 heures ; l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les successions furent introduits, etc. Bref, plusieurs des problèmes qui avaient été à la base même de la vie politique avant la guerre se trouvèrent donc écartés. Le gouvernement d'union nationale (19181921) signifiait aussi un rapprochement entre les partis.

Cela aurait pu donner une nouvelle orientation à la vie des partis. En effet, il ne manqua pas de tentatives dans ce sens. Aux élections de 1919, plusieurs partis nouveaux ou plutôt plusieurs velléités de parti surgirent. Mais ils ne tentèrent guère l'opinion, et ne conquirent que quelques sièges à la Chambre, sièges qu'ils allaient, à l'exception des frontistes, bientôt perdre.

Mais si les élections prouvaient à quel point la constellation politique traditionnelle semblait être dans la nature même des choses, il est d'autre part naturel, pour les raisons que nous venons d'indiquer, que les partis aient procédé à un examen de conscience qui, du moins chez les catholiques et les libéraux, donna des impulsions nouvelles.

L’évolution du parti catholique après 1918

Au sein du parti catholique, la tension entre conservateurs et démocrates se manifesta officiellement. Les catholiques (page 38) adoptèrent une idée longtemps préconisée par ceux-ci, combattue par ceux-là : celle de la « standsorganisatie », c’est-à-dire l'organisation du parti selon les « standen », selon les « états sociaux. Après une longue crise, le parti fut réorganisé, en 1921, et prit le nom de I ' »Union Catholique Belge. » C'était la fédération de quatre « standen » : la vieille Fédération des Associations et des Cercles Catholiques (en général appelée la Fédération des cercles), le Boerenbond (et l'Alliance Agricole), la Ligue Nationale des Travailleurs Chrétiens et la Fédération Chrétienne des Classes Moyennes,

La Fédération des cercles représentait surtout les classes supérieures. Sous la présidence de M. Woeste (1884-1919), elle avait reçu un caractère nettement conservateur dont elle ne devait jamais s'affranchir.

Le Boerenbond, fondé en 1890, se proposait de défendre les intérêts moraux et matériels des cultivateurs et horticulteurs. Il remplissait la seconde partie de cette tâche par des comptoirs d'achat et de vente, des caisses de crédit, des mutualités et autres organisations. Au début, le Boerenbond se composait de gildes locales et de l'organisation centrale, le Boerenbond proprement dit. En 1919, on y ajouta des fédérations d'arrondissement, cela dans un but politique : pour faire nommer des candidats Boerenbond au Parlement. Le Boerenbond, qui dès 1900 comptait 200 gildes et près de 20.000 membres (soit près de 20.000 familles), embrassait en 1936 plus de 1.200 gildes et près de 120.000 familles. Il était exclusivement flamand. La classe paysanne wallonne s'organisa peu à peu elle aussi, mais ce n'est qu'en 1930-1931 que les organisations locales s'unirent dans l'Alliance agricole qui comptait en 1932 25.000 membres. Le Boerenbond et l'Alliance ne fusionnèrent pas : l'un et l'autre constituaient l'aile paysanne du parti catholique.

La Ligue Démocratique, fondée en 1891 et réorganisée en 1891 sous le nom de Ligue Nationale des Travailleurs Chrétiens (la L.N.T.C.), s'est chargée des intérêts des ouvriers catholiques, en fondant des syndicats, des coopératives, des mutualités, des caisses d'épargne etc., s'adressant « à l'ouvrier tout entier, avec ses droits et ses devoirs de chrétien, de citoyen, (page 39) d'époux, de père et de travailleur » (RUTTEN dans le live d’or du centenaire, p. 115). Il faut considérer la Confédération des Syndicats Chrétiens comme son épine dorsale. Œuvre avant tout du R. P. Rutten (à partir de 1904), elle comptait à la veille de la première guerre mondiale environ 100,000 affiliés, en 1920 200.000 et en 1935 plus de 300.000. Si l'on ajoute à ce dernier chiffre celui des membres des autres organisations de la L.N.T.C., on arrive au résultat d'environ 3/4 de million d'affiliés.

La tâche de la Fédération des Classes Moyennes, fondée en 1919 par le prêtre Lambrechts, est indiquée par son nom.

Chacune de ces quatre organisations envoyait six représentants au Conseil général de l'Union catholique dont la présidence revenait à chacune d'entre elles à tour de rôle. La compétence du Conseil était très limitée : il ne pouvait pas prendre de décision, il ne pouvait que soumettre des propositions à l'approbation des « standen. » L'Union catholique était donc faible comme organisation. Sa mission essentielle était d'élaborer les plateformes électorales et de servir d’arbitre - pas toujours respecté - entre les « standen » dans les circonscriptions pour rendre possible la formation de listes catholiques communes.

L'Union catholique n'était union que de nom. L'antagonisme entre conservateurs et démocrates, entre flamingants et francophones, s'accusa dès le début. Aux élections de 1921 les catholiques n'arrivèrent pas partout à s'accorder sur une liste commune. Il en fut de même en 1925. La lutte culmina en 1925-1926 sous le gouvernement Poullet-Vandervelde. A la suite, un mouvement d'unification du parti, inspiré surtout par M. Renkin, finit par renforcer le pouvoir du Conseil et par donner au parti un véritable président. Mais avant que cette réforme n'eût porté ses fruits, le parti fut ébranlé par une nouvelle, profonde et longue crise (1933-1937) (cf. infra, p. 236 et suivantes et p. 245 et suivantes) qui aboutit à regroupement des forces catholiques. En 1936-1937, les catholiques avaient concilier l'unité du parti avec des divergences sociales et linguistiques très accusées. En 1937, le parti prit le nom de « Bloc Catholique (page 40) Belge », se composant d'une aile flamande, le « Katholieke Vlaamsche Volkspartij» (le K. V. V.), et d'une aile francophone, le « Parti Catholique Social » (le P. C. S.), qui nommaient un nombre égal de délégués au « Directoire». Le Bloc avait un président, élu alternativement au sein du K. V. V. et du P. C. S., qui, chacun, avait son président. A l'intérieur, le K. V. V. sauvegardait la « standsorganisatie », la Fédération des cercles n'étant toutefois pas représentée. Le P. C. S., de son côté, ne reconnut en principe que les affiliations individuelles, mais il introduisit un « régime de reconnaissance » des groupements. La Fédération des cercles donna son adhésion au P. C. S. avec hésitation et y occupa une place à part. Contrairement à l'Union, le Bloc avait, surtout dans les questions sociales, un programme détaillé, largement inspiré des encycliques sociales.

Si l'organisation de l'Union était simple en principe, elle se montra difficile à mettre en pratique. Même abstraction faite de ce que la « standsorganisatie » ne se réalisait pas dans certaines circonscriptions, des facteurs locaux et personnels en empêchaient ou du moins en gênaient l'application. Ainsi, certaines personnalités éminentes étaient chargées de représenter tous les « standen » d'une circonscription ; le cas type est celui de M. van Cauwelacrt, choisi comme candidat aux élections générales, non pas à cause de son programme social, mais en sa qualité de chef du mouvement flamand. Dans les circonscriptions où les catholiques n'escomptaient pas plus d'un élu, ils mettaient souvent en tête de liste une personnalité occupant une position intermédiaire entre les « standen. » Autre exemple : à Bruxelles, l'existence d'un petit groupe extrémiste amena la fusion de tous les autres catholiques, conservateurs et démocrates, en une seule association. Il y avait donc parmi les parlementaires catholiques non seulement des représentants attitrés des « standen », mais aussi une masse flottante entre ceux-ci. Ce qui rend malaisé de préciser la représentation numérique des « standen » au Parlement. C’est pourquoi les observateurs belges se contentaient en général de parler de deux grands groupes, celui des conservateurs (ou de la Vieille droite) et celui des démocrates, dont les noyaux (page 41) étaient les représentants de la Fédération des cercles, respectivement de la L.N.T. C. Mais là même, il n'est guère possible de donner des chiffres exacts, car on interprétait différemment, selon les circonstances et les questions, les termes de conservateur et de démocrate. Ces réserves faites, il semble permis d'évaluer approximativement le nombre des démocrates (dans le sens large du mot) à un peu plus du tiers jusqu'en 1925, plus tard à la moitié du groupe catholique de la Chambre.

Le parti a toujours porté l'étiquette « catholique. » Il ne faudrait pas en conclure qu'il fût l'organe attitré de l'Eglise, dirigé par elle, mais il est permis de le qualifier d'officieux. Car si l'Eglise a toujours déclaré qu'en tant qu'organisation non-politique elle ne pouvait, ni ne devait, être représentée par un parti politique, elle a toujours, en principe et en pratique, approuvé, encouragé et appuyé un parti qui défendait dans la politique les conceptions catholiques. De fait, les rapports entre l'Eglise et le parti étaient intimes.

Tout d'abord, le programme du parti s'est toujours inspiré de l'enseignement de l'Eglise. Ensuite, des prêtres ont joué un rôle important dans ses organisations, surtout avant la première guerre mondiale ; ils étaient alors souvent les chefs des organisations démocratiques ; après 1918, ils furent en général non plus chefs, mais conseillers moraux influents. Quelques prêtres ont été membres du Parlement. N'oublions pas non plus que les autorités ecclésiastiques ont, de tout temps, été souvent consultées par le parti au sujet de questions politiques importantes, comme les Mémoires de Woeste le montrent ; parfois, on est allé jusqu'à en appeler au Pape. Le clergé entrait aussi dans la lice de façon plus manifeste, non seulement en participant aux réunions du parti ou en l'inspirant aux grands congrès catholiques de Malines, mais aussi plus directement, en donnant ses mots d'ordre aux fidèles au cours des campagnes électorales. Ce fut le cas, particulièrement en Flandre, du bas clergé, mais il arrivait aussi à l'épiscopat d'intervenir (cf. infra, p. 210 et suivantes et 259). Notons en passant la position assez curieuse de la Nonciature : certaines questions particulièrement délicates ou (page 42) importantes de la compétence du Parlement belge étaient soumises par le parti à l'examen de cette instance extra-belge.

L'Union catholique n'avait pas de programme à proprement parler. Elle se contentait d'énoncer aux élections des principes généraux auxquels chaque « stand » ajoutait son programme propre. Mais plus instructif que d'analyser la littérature électorale est de citer M. Carton de Wiart qui occupa pendant quarante ans une place de premier plan dans son parti. Il résume ainsi le programme : « La défense et la pratique des libertés constitutionnelles et plus spécialement les libertés d'enseignement et d'association, le respect de l'institution familiale, le souci de la propriété privée et de ses droits, la protection de l'initiative individuelle et des autonomies communale et provinciale contre les empiétements abusifs de l'Etat, tels sont avec l'unité nationale et le loyalisme monarchique les principes fondamentaux de ce parti. » (Le Roi Albert et son temps, p. 104.)

Ces principes sont plutôt généraux, ce qui s'explique, car ils devaient s'appliquer aussi bien aux patrons qu'aux ouvriers, aux paysans de la Campine qu'aux intellectuels de Bruxelles, aux flamingants qu'aux francophiles. Il va de soi qu'on ne pouvait pas demander à ces éléments disparates d'accepter tous un très grand nombre de points précis, Si l'on envisage non les programmes de principe, mais ce que des catholiques ont revendiqué dans la vie politique pratique, on peut constater qu'ils n'étaient unis que sur la question religieuse, sur l'opportunité d'accorder le vote aux femmes et sur certains problèmes d'importance politique secondaire.

Une Sur le plan social, l'antagonisme entre catholiques était violent. confrontation entre les points de vue des conservateurs et ceux des démocrates ne peut pas se faire, car seule la L.N.T.C. avait un programme détaillé. Il est plus instructif de comparer celui-ci aux conceptions du P. O. B. Il y a des divergences profondes, mais sur le plan des principes, la L. N. T. C. (page 43) se distinguait du P. O. B. par sa foi en la fin surnaturelle de l'homme, par son acceptation de la légitimité du droit de propriété (condamnant cependant les « abus »), par son rejet du collectivisme et de la lutte des classes, et par sa foi en un ordre social hiérarchique, institué par Dieu, qui non seulement excluait la lutte des classes mais exigeait leur collaboration. Mais sur le plan pratique, la L.N. T. C. rencontrait le P.O.B. en demandant aux pouvoirs publics le S. U. pur et simple, la journée de 8 heures, l'augmentation des salaires minima, les allocations familiales, les habitations à bon marché, les assurances sociales, la diminution des impôts indirects, la prohibition, la réduction du temps de service, le recrutement régional, etc. etc., toutes réformes que les conservateurs n'acceptaient qu'à contre-cœur quand ils ne les combattaient pas. En réalité, les membres de la L. N. T. C. étaient dans ces questions plus près des socialistes que de leurs coreligionnaires, même si les questions de principe, le souci de l'unité du parti et, probablement, la pression du clergé les empêchaient en général de collaborer avec le P.O.B. sauf sur des points précis ; mais, sur ceux-ci, ouvriers catholiques et socialistes combattaient souvent, la main dans la main, les conservateurs.

Ceux-ci, de leur côté, se sentaient dans les questions purement sociales et économiques des affinités avec les libéraux conservateurs, En commun, ils étaient « anti-étatistes » et soulignaient qu'il ne fallait faire de réformes que si cela n'entraînait pas d'impôts nouveaux, et compte tenu du « sain » développement de la vie économique.

Le parti catholique n'eut pas de 1918 à 1940 un seul chef reconnu par l'ensemble du parti : les présidents du parti et, plus tard, les présidents du K.V.V. et du P. C. S. n'étaient souvent que des personnalités de second plan du point de vue parlementaire. Il y avait des chefs de file, dont, tantôt l'un, tantôt l'autre dominait grâce à la situation ou ses qualités personnelles, mais indépendamment de sa position officielle dans le parti : (page 44) MM. Woeste, de Broqueville, Poullet, Jaspar , Renkin, Carton de Wiart, Pierlot, van Cauwelaert, Van de Vyvere.

M. Woeste, ministre pendant quelques mois seulement, en 1884, mais chef le plus influent de 1884 jusqu'à 1914, réussit après 1918 - quoique octogénaire - à grouper de nouveau l'aile conservatrice autour de lui. C'était un homme froid, cassant, doué d'une volonté de fer et d'une puissance de travail extraordinaire, parlementaire et tacticien accompli, passionnément et exclusivement dévoué à la cause catholique. S'il ne sut pas gagner le cœur de tous ses amis politiques, il avait leur confiance et leur respect.

M. de Broqueville, Premier ministre de 1911 à 1918 et de 1932 à 1934, occupait avant la guerre une position intermédiaire entre la Vieille droite et la Jeune droite ; après 1918, il se rangea parmi les conservateurs modérés. C'était un négociateur rompu aux finesses du métier, préférant en général le corridor à la tribune. Il connaissait mieux que personne le « climat » politique de son pays ; ses victoires électorales de 1912 et 1932 en témoignent. Il unissait de façon plutôt rare le doigté et la compréhension du facteur humain au don de voir loin, comme le montrent sa politique militaire avant 1914 et ses projets constitutionnels avant et pendant la guerre.

M. Poullet, ministre dès avant 1914 et Premier ministre en 1925-26, était chef à la fois des démocrates et des flamingants. C'était une intelligence lucide : la noblesse de son caractère le portait peut-être à quelque crédulité dans ses rapports avec ses adversaires politiques, ce qui n'allait pas sans exaspérer certains de ses amis.

M. Carton de Wiart, ministre avant 1914 et Premier ministre en 1920-1921, avait commencé par appartenir à la Jeune droite ; après 1918, il rejoignit les conservateurs modérés, tout en gardant d'excellents rapports avec les démocrates. Son amour de la langue française mécontentait les Flamands et l'empëcha sans doute d'occuper le poste de chef du parti auquel son ascendant personnel, son début de carrière et ses qualités de conciliateur l'appelaient.

M. Jaspar, Premier ministre de 1926 à 1931 , devint vite chef de l'aile conservatrice, quoique (page 45) non-réactionnaire, du parti. D'intelligence rapide et souple, orateur né, autoritaire, il aimait le pouvoir et, ce qui est plus rare, les responsabilités ; il apprit vite à fond le métier parlementaire. On ne saurait dire si c'était l'homme des grandes vues, car les circonstances l'obligèrent à consacrer le plus clair de son temps aux problèmes quotidiens. Il finit par se laisser submerger par la question flamande, comme tant de ses collègues.

Le plus grand nom des catholiques flamands est celui de M. van Cauwelaert, qui mettait au service de la cause flamande une intelligence souple et une énergie toujours en éveil et infatigable, Sans être démocrate à proprement parler, il était de tendance démocratique.

Quant à la nouvelle génération, mentionnons M. Pierlot, conservateur wallon, MM, Heyman, Rubbens et Marck, démocrates flamands, et M. Tschoffen, démocrate wallon de nuance pro-flamande.

L’évolution du parti libéral après 1918

Le parti libéral ne put échapper non plus aux suites de la guerre. Pour lui, il s'agissait d'une réforme à la fois d'organisation et de programme. Il faut mentionner la création d'un Conseil national. Celui-ci devait se réunir au moins une fois par an et se composait de tous les parlementaires, de tous les conseillers provinciaux, et de représentants des associations d'arrondissement, de la presse, des organisations sociales, etc. Ses tâches étaient d'examiner toutes les grandes questions du jour ainsi que de nommer le président du Bureau du parti dont les autres membres étaient élus par le Comité permanent qui était un Conseil national en miniature, complété des ministres, anciens ministres et ministres d'Etat parlementaires ou anciens parlementaires.

Les années 1918-1920 marquent un tournant dans la doctrine du parti. Celui-ci ne se donna pas, il est vrai, un programme à proprement parler, mais en 1919 et en 1920, le congrès vota une série de résolutions, complétées plus tard par des ordres du jour votés par le Conseil national, qui, ensemble, sont un programme.

Mais être libéral n'est pas seulement se rallier à un programme déterminé, c'est avant tout avoir une certaine mentalité qu'un (page 46) chef du parti a décrite ainsi : « Il me semble qu'avant tout le libéral a soif de liberté ; il veut être libre de penser à sa façon et comme il veut, de défendre ses opinions et de discuter celles des autres. Il met au-dessus de tout sa conscience et sa raison. Il déteste d'instinct toutes les tyrannies ; il est l'ennemi des privilèges de caste, de secte ou de classe et, réclamant pour lui la pleine liberté de la pensée et de la discussion, il doit la reconnaître aux autres, et par conséquent il est et doit être tolérant. S'il ne l'est pas, il se renie. Il veut le progrès par le perfectionnement moral et intellectuel de l'individu, par le développement du sens de la responsabilité et de l'esprit d'initiative et, par conséquent, par l'éducation et donc par l'école, Le libéral a toujours été et sera toujours un homme d'école Il cherchera à instruire, à moraliser le peuple et à relever sa condition matérielle, afin de donner une plus grande et plus vraie liberté, et il poursuivra ainsi le progrès par étapes, graduellement, non par bonds et par secousses violentes. Il conçoit l'Etat comme l'organe de la communauté ayant pour mission de faire prédominer l'intérêt général, c’est-à-dire l'intérêt du plus grand nombre sur les intérêts particuliers ; de garantir à tous un égal traitement et une égale liberté ; d'organiser à tous les degrés un enseignement éclairé, tolérant, affranchi de toutes influences dogmatiques ou confessionnelles, et ainsi accessible à tous et respectueux de toutes les consciences et de toutes les croyances. Le libéral n'admettra pas que l' Etat, organe de tous, institue des privilèges au profit de telle ou telle catégorie de citoyens, soit à raison de leur naissance ou de leur profession, ou en raison de leur condition sociale ou des religions ou opinions qu'ils professent ou qu'ils ne professent pas. » (HYMANS, Pages libérales, p. 35.)

Ce texte dense est dominé par l'anticléricalisme (ce qui ne veut pas dire, en soi, anti-religiosité), Il attaque aussi bien toute la conception catholique du monde que la politique scolaire catholique. En effet, à partir du premier congrès libéral de 1846 l'anticléricalisme a été et reste encore la base même du parti, ce qui naturellement n'exclut pas l'existence de nuances (page 47) idéologiques. Certains libéraux, dont MM. Hymans et Janson, montraient après la guerre beaucoup de respect pour les idées catholiques et même pour les écoles libres, cependant que d'autres, surtout les chefs locaux du parti, « les comitards « , étaient d'un anticléricalisme intransigeant, parfois farouche. D'une façon générale, les chefs parlementaires libéraux les plus influents étaient les plus tolérants, mais nous ne saurions dire s'il y a là rapport de cause à effet. Ce qui est certain, c'est que le parti libéral a toujours perdu des voix aux élections dans la mesure où il accentuait son anticléricalisme, car cela a toujours su merveilleusement unir et stimuler les catholiques. Tout en rappelant ses principes, le parti votait depuis 1919 les subsides aux écoles libres.

En dehors de l'anticléricalisme, les libéraux étaient unis sur deux points importants. Contrairement cc qui s'est passé dans les pays scandinaves, c'est, en Belgique, les libéraux qui ont été champions d'une armée forte, cependant que non seulement les socialistes mais la plupart des catholiques flamands étaient par principe et en pratique antimilitaristes. De plus, le parti s'opposait au vote féminin.

Sous l'inspiration de M. Devèze, les congrès de 1919 et 1920 votèrent une série de résolutions qui marquent une rupture avec l'école de Manchester. M. Devèze était d'avis que l'Etat intervînt dans les questions sociales et économiques. Mais, et c'est par qu'il s'éloignait aussi bien de toute forme de collectivisme que de l'ancienne doctrine de son parti, il ne fallait pas que l'Etat se substituât à l'individu. L’E.tat devait, autant que possible, se limiter à stimuler l'initiative privée, à surveillern à coordonner et à veiller à ce que le fort n'abusât pas de sa force au détriment du faible. M. Devèze soulignait aussi la nécessité pour toutes les classes de collaborer pour le bien commun. Cette négation de la lutte des classes est restée l'un des commandements du libéralisme belge.

Retenons du programme concret du parti - qui rappelle sur bien des points ceux des autres partis — la limitation du temps (page 48) de travail, les salaires minima, le contrat collectif, les assurances sociales, les habitations à bon marché, le développement de l'organisation professionnelle librement consentie, l'impôt progressif sur le revenu et sur l'héritage, et enfin le libre-échange.

Mais si c'était là la doctrine officielle du parti, cela ne revient pas à dire que ce fut celle de tous les membres. Au contraire, à côté de M. Devèze il y avait aussi bien des partisans de la doctrine de Manchester, MM Strauss et van Hoegarden par exemple, que des adhérents de l'économie dirigée, tels que M. M.-H. Jaspar.

Dire que le parti libéral était le plus bourgeois des partis est un lieu commun. Il est vrai qu'il n'existe pas d'analyse statistique à ce sujet, mais rien ne contredit cette hypothèse. Notons que, professions libérales à part, le parti se recrutait non seulement dans les milieux de la grande industrie et de la banque, mais aussi dans les classes moyennes, parmi les petits patrons et les employés, ce qui expliquerait les divergences de vues dont nous venons de parler.

Les libéraux n'eurent pas non plus de 1918 à 1940 un seul chef. Mais le cercle des chefs était bien plus restreint que chez les catholiques : il suffit de nommer MM. Hymans. Devèze, P.-E. Janson et, peut-être, Max.

M. Hymans avait été le chef du parti avant 1914. Après la guerre, il passa à d'autres la plupart des questions d'ordre intérieur pour devenir ministre des affaires étrangères semi-permanent. Malgré son passé presque révolutionnaire - c'est lui qui avait préconisé l'alliance avec le P.O.B., il était conservateur, « doctrinaire », en un sens un produit de I 'époque censitaire. Lui-même grand-seigneur intellectuel et grand « debater », il semble bien qu'il ait préféré les joutes oratoires aux soucis de Marthe du chef politique moderne. Sa tolérance personnelle facilitait sans doute la collaboration des catholiques et des libéraux, mais ne lui valut pas l'admiration des militants du parti, avec lesquels, d'ailleurs, il n'avait pas grand contact.

Au lendemain de la guerre, les noms de MM. Janson et Devèze passèrent au premier plan. P.-E. Janson était probablement le meilleur orateur de sa génération, comme son (page 49) père, Paul Janson, et son neveu, M. P.-H. Spaak, des leurs, et jouissait d'une autorité morale peu commune dont le régime parlementaire profita au cours des luttes mouvementées de la veille de la guerre. Peut-être croyait-il trop facilement que les victoires oratoires étaient aussi des victoires réelles.

Dans la vie politique pratique, c'était M. Devèze, longtemps président du parti, qui jouait le plus grand rôle. Esprit fécond et énergique, M. Devèze était de tempérament vif, ce dont le tacticien Vandervelde sut parfois tirer parti au Parlement. Mais, au sein de son parti, il fit preuve d'une patience réaliste précieuse lorsqu'il s'agissait de concilier des convictions avec des nécessités politiques. M. Devèze était l'avocat tenace et éloquent de l'armée. Quant à la question linguistique, il voulait la résoudre par le bilinguisme, s'opposant longtemps au régionalisme et, toujours, au fédéralisme. Au début de sa carrière, nettement anticlérical, il évolua dans un sens toujours plus tolérant. A la veille de la guerre de 1939, il exposa un programme non seulement de parti mais national, qui valut à son parti la belle victoire d'avril 1939.

L’évolution du parti ouvrier après 1918

Quant au P.O. B. - pour des raisons d'opportunité le terme de socialiste ou de social-démocrate ne figure pas dans son nom - l'abondance et la précision des ouvrages qui lui ont été consacrés rendent superflu d'exposer son organisation et son programme. Il semble toutefois utile de présenter quelques considérations d'ordre général.

Deux caractéristiques s'imposent dès l'abord : d'une part son champ d'action était vaste, d'autre part le parti se présentait en bloc. Comme M. Vandervelde le souligna encore dans son dernier article publié par Le Peuple, deux jours avant sa mort, le P.O.B. avait toujours voulu être « un Etat dans l'Etat », c’est-à-dire qu'il s'était efforcé de pouvoir satisfaire à tous les besoins de l'ouvrier, cela grâce aux syndicats, aux coopératives, aux mutualités, aux institutions d'enseignement, etc. etc. Une manifestation extrême mais typique de cette volonté était l'effort inspiré par M. Anseele de fonder, dans la société capitaliste, un ordre de production ouvrier, comportant la Banque Belge du Travail (la B.B.T.) et des usines possédées et dirigées par les ouvriers, etc. Cette (page 50) entreprise fut considérée comme peu orthodoxe par une importante fraction du parti et, lorsque la dépression mondiale lui porta un coup mortel, le parti la désavoua expressément. Mais elle garde une valeur de symbole.

Au point de vue de l'organisation, il faut souligner que le P.O.B. n'était point un phénomène purement politique : il résumait toutes les aspirations de la classe ouvrière socialiste. L'affiliation au parti se fit en règle par l'intermédiaire de ses organisations. Comme M. Vandervelde l'a dit, le P.O.B. n'était pas « autre chose, en somme, que la Fédération, le prolongement, dans l'ordre politique, des grandes fédérations de coopératives, de syndicats et de mutualités ». Aux instances centrales du parti, dont les plus importantes étaient le Conseil général et son Bureau, les hommes de confiance politiques de la classe ouvrière rencontraient les chefs des syndicats, des coopératives, etc., et c'était ensemble qu'ils arrêtaient la position à prendre devant tel ou tel problème.

Dès ses débuts, le mouvement socialiste belge eut un caractère unitaire qui, allié à une discipline sévère, lui donna une force combattive redoutable. Dès le début aussi, son activité sociale dénota un esprit réaliste que l’on retrouve sur le plan politique. Ses jeunes chefs ne furent pas longs à comprendre qu'il fallait prendre le chemin des réformes el non celui de la révolution (DESTREE-VANDERVELDE, Le socialisme en Belgique, p. 71). Son histoire jusqu'en 1919 peut se résumer en ces mots : lutte pour le S. U. pur et simple. Même lorsque le parti se servait de moyens extra-parlementaires, les grèves générales, le but restait toujours d'assurer à la classe ouvrière la possibilité de conquérir par la majorité au Parlement le pouvoir public. Et quand, au début du siècle, les socialistes du monde entier discutèrent le problème participationniste, les Belges gardèrent une attitude réservée qui se transforma bientôt en une volonté de collaborer, dans certaines situations, avec les partis bourgeois, C'est ainsi qu'il put y avoir le cartel libéral-socialiste de 1912. En 1914, (page 51) M. Vandervelde devint ministre d'Etat avec l'approbation de son parti. Après la guerre, le P.O.B. fit partie de plusieurs cabinets (19181921, 1925-1927, 1935-1939 et 1939-1940).

Au cours des années 1918-1921, la plupart des réformes pour lesquelles le P.O.B. avait lutté avant la guerre se réalisèrent. Cela n'induisit pas le parti à modifier son programme - une révision n’eut lieu qu’en 1831 - mais, naturellement, il présenta successivement de nouvelles revendications pratiques. Mentionnons le désarmement (jusqu'en 1933) comportant le service de six mois, la progressivité des impôts, y compris sur les successions, la diminution des impôts indirects, la lutte contre la vie chère, un vaste système d'assurances sociales, les salaires minima, de nouvelles lois sur les loyers et sur le bail à ferme, la démocratisation du jury, la nomination des bourgmestres par les conseils communaux et non plus par Roi. Quant la question religieuse, le P.O.B. , en particulier M, Vandervelde, proclamait toujours en principe : religion, affaire privée ; mais, en pratique, il se recrutait dans sa grande majorité parmi les anticléricaux. Nous reviendrons à un aspect particulier de ce problème. Dans la question scolaire, il avait la même doctrine que les libéraux.

Une des sources de la force du parti était la permanence de ses chefs. Ceux qui prirent la direction du groupe socialiste à la Chambre en 1984 : MM. Vandervelde, Destrée et Anseele, ne remirent le pouvoir à d'autres que vers 1935. A l'époque qui nous occupe, ils étaient secondés en premier lieu par MM. J. Wauters et Huysmans. Ces cinq chefs se complétaient.

Emile Vandervelde, primus inter pares, longtemps président de l'Internationale, remplit une double mission. Théoricien, il exposa et expliqua la doctrine, insistant sur la lutte des classes et sur l'internationalisme qui fut celle des socialistes belges presque jusqu'à la seconde guerre mondiale. Homme politique, il décida des destins du parti de la fin du dix-neuvième siècle jusqu'en 1936-1937. Son idée directrice fut de sauvegarder l'unité du (page 52) parti, en restant toujours en contact étroit avec le Congrès et le Conseil général, et en exigeant et en observant la discipline la plus stricte. L'autorité incontestée et incomparable dont il jouissait dans son parti et que l'épithète de « Patron » décèle, lui donnait une position aussi forte qu'habilement exploitée vis-à-vis de ses collègues bourgeois. Comme théoricien, homme politique et polémiste, il se distinguait par une intelligence rapide, profonde et encyclopédique, une volonté à toute épreuve et une capacité de travail remarquable. Il savait unir la fermeté des doctrines fondamentales à une grande souplesse dans la pratique. Par certains côtés, et en particulier par la passion qu'il voua à son parti, il rappelle M. Woeste. Et, comme celui-ci, il s'attira la haine de ses adversaires politiques, haine mitigée de respect.

M. Anseele, le seul véritable prolétaire des grandes figures socialistes (les autres avaient, comme leurs collègues bourgeois, une formation universitaire. Il en fut de même pour les socialistes de la nouvelle génération les plus en vue : MM. de Ma, Spaak et A. Wauters), fut l'inspirateur et le réalisateur de la coopérative modèle « Vooruit» et du groupe de la B. B. T.

M. Destrée, le meilleur orateur du parti, fit une œuvre importante sur le plan culturel aussi bien au sein du parti qu'en tant que ministre des sciences et arts. C'est aussi sous ses auspices que la trêve scolaire se fit. Mais on a l'impression que, doué d'un tempérament d'artiste, il avait comme ministre la nostalgie des bancs d'opposition.

M. J. Wauters était le spécialiste du parti en matière de législation sociale.

M. Huysmans, longtemps secrétaire de l'Internationale, était le champion de la cause flamande socialiste. Son esprit caustique lui procura par ailleurs un nombre remarquable d'ennemis parmi les bourgeois et les francophiles.

Lorsque cette équipe se fit vieille et se décima, le P.O.B.. entra dans une crise à la fois doctrinale et disciplinaire. La cause en était les théories et la personne de M. de Man. A partir de 1936, une lutte ouverte s'engagea entre M. Vandervelde et la majorité du parti d'une part, et de l'autre une fraction dirigée par MM. de Man et Spaak. Ceux-ci voulurent remplacer l'ancienne doctrine du parti, le « réformisme pantouflard » (page 53) comme le dit M. de Man, par le socialisme national qu'il avait inventé. Ce socialisme mettait en veilleuse l'idéal internationaliste, cher à l’ancienne génération, voulait se contenter de réalisations dans le cadre national, s'opposait à l'anticléricalisme, rejetait la lutte des classes et préconisait la collaboration des ouvriers, des paysans et des classes moyennes contre « les puissances d'argent. » Encore en 1939-1940, l'issue de la lutte était incertaine. Ce qui est sûr, c'est qu'elle affaiblit grandement le P.O.B.

Les traits communs aux partis. La stabilité des opinions politiques

Les [trois grands] partis belges ne manquaient pas de traits communs. De ce qui précède, il ressort qu'on a affaire non pas à des groupes purement parlementaires mais à de grands partis nationaux. Tous, quoique à divers degrés, ils fonctionnaient de pair avec des organisations économique et sociales. Celles-ci avaient été et restèrent la base même du P.O.B. ; le mouvement catholique social imita cet exemple, et, après la première guerre mondiale, le parti libéral se vit obligé d'emboîter le pas, restant toutefois plus parti d'idées que les autres.

En d'autres termes, les partis trouvaient utile, pour ne pas dire nécessaire, de s'occuper non seulement de la chose politique proprement dite, mais aussi des intérêts économiques des électeurs, et, qui plus est, de tâcher (catholiques et socialistes) de satisfaire à tous leurs besoins moraux et matériels.

Au point de vue de l'organisation, ils accordaient tous une large autonomie aux associations locales, en particulier à celles des arrondissements.

Enfin, tous les représentants de chaque parti à la Chambre, respectivement au Sénat, s'unissaient en « groupes » parlementaires : les Droites catholiques, les Gauches libérales et la Gauche socialiste eux-mêmes divisés en sous-groupes selon les affinités linguistique, économique, sociale etc. Il y avait un véritable pullulement de groupes qui, chacun, défendait ses intérêts propres aussi bien dans le travail parlementaire quotidien (page 54) qu'à l'occasion des crises. Au cours des crises gouvernementales, ils portaient à la connaissance du public leurs idées particulières dans des ordres du jour.

Le tableau ci-dessous montre le pourcentage des voix aux élections à la Chambre de 1919 à 1939.

1919 : Catholiques : 37,4 p. c. ; Libéraux : 17,6 p. c. ; Socialistes : 36,7 p. c. ; Frontistes : 3 ;3 p. c.

1921 : Catholiques : 39,3 p. c. ; Libéraux : 17,9 p. c. ; Socialistes : 34,8 p. c. ; Frontistes : 3,0 p. c. ; Communistes : 0,2 p. c.

1925 : Catholiques : 38,4 p. c. ; Libéraux : 14,8 p. c. ; Socialistes : 39,4 p. c. ; Frontistes : 3,9 p. c. ; Communistes : 1,6 p. c.

1929 : Catholiques : 37,9 p. c. ; Libéraux : 16,6 p. c. ; Socialistes : 36,1 p. c. ; Frontistes : 5,9 p. c. ; Communistes : 2,3 p. c.

1932 : Catholiques : 38,7 p. c. ; Libéraux : 14,3 p. c. ; Socialistes : 37,2 p. c. ; Frontistes : 5,6 p. c. ; Communistes : 2,8 p. c.

1936 : Catholiques : 26,6 p. c. ; Libéraux : 12,3 p. c. ; Socialistes : 32,0 p. c. ; Frontistes : 7,0 p. c. ; Communistes : 6,0 p. c. ; Rexistes : 11,4 p. c.

1939 : Catholiques : 32,7 p. c. ; Libéraux : 17,4 p. c. ; Socialistes : 30,2 p. c. ; Frontistes : 7,9 p. c. ; Communistes : 5,4% p. c. ; Rexistes : 4,4 p. c.

Ces chiffres se reflétaient ainsi dans la composition de la Chambre :

1919 : 73 catholiques, 34 libéraux, 70 socialistes, 5 frontistes, 4 divers. Total 186.

1921 : 80 catholiques, 33 libéraux, 68 socialistes, 4 frontistes, 1divers. Total 186.

1925 : 78 catholiques, 23 libéraux, 78 socialistes, 6 frontistes, 2 communistes. Total 187.

1929 : 76 catholiques, 28 libéraux, 70 socialistes, 11 frontistes, 1 communiste, 1 divers. Total 187.

1932 : 79 catholiques, 24 libéraux, 73 socialistes, 8 frontistes, 3 communistes. Total 187.

1936 : 63 catholiques, 23 libéraux, 70 socialistes, 16 frontistes, 9 communistes, 21 rexistes. Total 202.

1939 : 73 catholiques, 33 libéraux, 64 socialistes, 17 frontistes, 9 communistes, 4 rexistes et 2 divers. Total 202.

(Note de bas de page : Pour 1919, nous reproduisons les chiffres fournis par MELOT, R.G., décembre 1921, p. 982 ; pour les années suivantes ceux donnés par de La Vallée-Poussin, R.G., avril 1939, p. 437. La statistique électorale officielle est difficile à manier pour qui n’est pas au courant de la politique locale. Nous avons fait abstraction des voix de certains petits groupes sans importance et des bulletins non-valables.)

La constellation des partis était donc d’une stabilité peu commune. Entre 1919 et 1939, au moins 70 p. c. , jusqu'en 1932, plus de 90 p. c. des électeurs votaient pour l’un des trois grands partis, dits « traditionnels. » Et, abstraction faite de 1936, chaque parti (page 55) pouvait compter à peu près sur le même pourcentage de voix dans chaque élection. Il est vrai qu'au cours des années les catholiques et les socialistes perdirent lentement des voix, mais, remarquons-le, au profit de groupes qui leur étaient proches, catholiques au profit des frontistes et des nationalistes flamands, socialistes au profit des communistes. Si l'on parle du « courant catholique », du « courant libéral » et du courant « socialiste » - ce que les réalités psychologiques semblent pas exclure - on arrive au résultat que le premier pouvait toujours compter sur un peu plus de 40 p. c. des voix, le second sur 14 à 18 p. c. et le troisième sur un peu moins de 40 p. c..

Les sympathies politiques sont souvent héréditaires en Belgique. Il y a des « familles catholiques » et des « familles libérales . » En général. on ne parle pas de « famille » lorsqu'il s'agit de la classe ouvrière, mais il y a tout lieu de croire qu'il y a là aussi hérédité politique. La solidarité entre les membres de chaque parti est très forte, au moins contre les autres. Avant la première guerre mondiale, les membres de la même classe sociale appartenant des partis différents étaient en général séparés par des murs de Chine, et, encore à la veille de la seconde, il fallait dans la vie de société tenir compte des opinions politiques.

Expliquer de façon sûre cette stabilité des opinions en (page 56) Belgique n'est pas possible en l'absence d'une géographie politique comparable à celle de Siegfried sur la France de l'Ouest. Mais les causes principales en sont probablement, d'une part l'intransigeance des idéologies, d'autre part, et surtout, la qualité des partis d'être des partis d'intérêts au sens large du mot. Ce que les organisations et œuvres sociales et économiques sont pour la masse, les nominations aux charges publiques le sont pour l'aristocratie et la bourgeoisie. « Il semble tout naturel que le parti au pouvoir l'exploite à son profit et ne confie guère qu'à ses amis les postes de l'administration » , a pu écrire Henri Pirenne (La Belgique et la guerre mondiale, p. 27. Ce jugement s’applique à l’époque d’avant 1914, mais il ne semble pas avoir perdu sa portée). Pour arriver, il faut donc appartenir à un parti.

La prise en compte de la question linguistique

Nous n'avons pas encore situé la question linguistique, après 1928 la plus importante de la vie politique, dans le cadre des partis, car jusqu'en 1936 les partis se refusaient à s'organiser selon les principes linguistiques. Il faut en chercher l'explication, d'une part dans la constellation politique, d'autre part dans la nature particulière de la question flamande.

Les partis se basaient, nous l'avons déjà dit, originairement sur la question religieuse, et, même après la naissance du P.O. B., celle-ci resta la ligne de partage entre les courants politiques ; et, qui plus est, même après la conclusion de la trêve scolaire, elle l'est restée en un certain sens. Ainsi, aux élections de 1932, les catholiques mirent, avec l'assentiment des autres partis, la question religieuse au centre même du débat. Quels qu'aient été les desseins des inspirateurs de la campagne électorale, le fait reste que les masses trouvèrent naturel de voter, au milieu d'une dépression économique sans précédent, pour ou contre les écoles libres. Ainsi, le lien clérical, respectivement anticlérical, donc un lien idéologique, s'est avéré plus puissant que par exemple les intérêts économiques. Ceux-ci parlaient, durant (page 57) toute l'époque qui nous occupe, en faveur d'une toute autre constellation politique : conservateurs contre démocrates. C'était là l'hypothèse de travail du P.O.B., ce fut à cela qu'Emile Vandervelde travailla, mais en vain, l'année 1925-1926 exceptée. Aux yeux des Belges, particulièrement des Belges catholiques, la question religieuse est restée la base naturelle des partis, du moins en puissance.

Il ne faut pas non plus oublier qu'en général les partis essaient le plus longtemps possible d'assimiler les problèmes nouveaux à mesure qu'ils se présentent. Une autre façon de faire mènerait facilement à des conséquences absurdes. Ainsi, si la vie politique belge s'était organisée selon les principes linguistiques en un parti flamand, un parti francophone et, peut-être, un parti de Bruxelles, chacun de ces partis se serait fatalement divisé en fractions religieuse, sociale etc. Dans un Etat belge unitaire, cela eût entrainé, soit une complication extraordinaire de la vie politique, soit un retour, de fait, à l'ancien système. Ne serait-ce que techniquement, la réorganisation des partis aurait créé des difficultés redoutables,

Mais la nature même de la question linguistique contribuait aussi à rendre difficile de lui attribuer une place prépondérante dans l'organisation politique. Cela ressort du chapitre précédent, mais nous pouvons en avoir l'illustration en analysant rapidement l'attitude des partis en face de ce problème.

La position de l'Eglise catholique a toujours été plus forte en Flandre qu'en Wallonie. Le parti catholique avait donc à la Chambre, entre les deux guerres, plus de représentants flamands que de francophones. Dès 1919, une quarantaine d'entre eux s'étaient ralliés au programme minimum et, plus tard, à de très rares exceptions près, tous les catholiques flamands, c’est-à-dire à peu près 45, suivaient M. van Cauwelaert, Mais cette division linguistiqueï, grosso modo, avec une division sociale. La Fédération des cercles se recrutait surtout en Wallonie et à Bruxelles, les démocrates, en général en Flandre. Ainsi, une reconnaissance officielle de la division linguistique aurait rendu plus naturelle encore une scission entre (page 58) conservateurs et démocrates, scission qui aurait profité au P.O.B. en lui donnant la majorité relative au Parlement. Il est donc naturel que les chefs catholiques aient essayé aussi longtemps que possible d'apaiser la lutte linguistique au sein du parti, ce qu'ils firent par des concessions aux Flamands, concessions auxquelles les francophones se résignaient difficilement, mais qui ne satisfaisaient pas les Flamands. Finalement, le parti fut réorganisé, nous l'avons vu, sur une base linguistique. En 1940, cette réforme n'avait pas amené de scission.

La question se présentait de façon plus simple dans les autres partis, plus homogènes au point de vue social.

Le parti libéral se recrutait surtout dans le pays wallon, à Bruxelles et parmi les fransquillons. Il existait bien une minorité flamingante, dont d'abord M. Franck, puis M. Hoste furent chefs, mais la grande majorité du parti réagit énergiquement contre le programme minimum et tâcha longtemps de défendre la minorité francophone en Flandre.

Le P.O.B. , enfin, était pour commencer presque entièrement wallon ; s'il avait à la Chambre des représentants d'origine flamande, ceux-ci avaient souvent été élus en Wallonie, Peu à peu, il s'infiltra en Flandre, surtout dans les grandes villes, mais, en 1914, 6 seulement des 40 socialistes de la Chambre venaient des circonscriptions flamandes. En leur nombre s 'éleva à 24 sur 70. Jusqu'à la première guerre mondiale, le P.O.B. s'efforça d'ignorer la question linguistique, craignant qu'elle ne divisât le prolétariat et ne détournât son attention de ses véritables intérêts, à savoir les réformes politiques, sociales et économiques. Mais les socialistes flamands devaient en tenir compte. A la veille de 1914, MM. Anseele et Huysmans défendirent le même programme que MM. van Cauwelaert et Franck.

Mais quand le Parlement eut à s'occuper de la législation linguistique après la guerre, tout le P.O. B. fut forcé de prendre position. Au début. il le fit généralement en déclarant la question libre, faisant là une rare exception à la discipline de vote du parti. Mais la question s'envenimait. Afin de l'écarter, le P.O.B. adhéra en 1929 au « Compromis des Belges » élaboré principalement par MM. Destrée et Huysmans. Les principes fondamentaux en étaient le régionalisme mitigé d'un certain respect des minorités et la décentralisation du pays. Mais le Compromis n'apaisa pas les esprits. Le problème s'imposa comme une force de la nature. Au cours des années 30, on pouvait voir se dessiner dans le P.O. B. deux blocs, l'un flamand, plus « réaliste » et enclin à collaborer avec les autres partis, l'autre wallon, plus « idéologique. » Cependant l'organisation du parti resta unitaire.

La question linguistique occupait une place à part dans la vie politique belge, par ailleurs si fermement encadrée dans les partis. Les points de vue flamands avaient dans tous les partis leurs avocats qui s'alliaient momentanément pour les transformer en lois ; puis, chacun rentrait au bercail.


La politique intérieure en Belgique avait donc pour ainsi dire trois pôles magnétiques, le premier religieux, second social-économique, le troisième linguistique. Dans leur champs de force commun, les lignes tantôt convergeaient, tantôt s'entrecroisaient. Etudier le parlementarisme belge, c'est en grande partie étudier le jeu de ces lignes.