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Les droits de la cité. La défense de nos franchises communales (1833-1836)
HAAG Henri - 1946

Henri HAAG Les droits de la cité. La défense de nos franchises communales (1833-1836)

(Paru à Bruxelles en 1946, aux éditions universitaires)

Conclusion

(page 143) Dans ces dernières pages, n'hésitons pas à ramener le débat sur la loi communale à ses lignes essentielles ; efforçons-nous de marquer, une nouvelle fois, d'un trait net, les étapes de la lutte, les idées et les intérêts en présence.

Deux armées s'affrontent.

Léopold, la majorité des aristocrates, les bourgeois conservateurs veulent renforcer les prérogatives royales et la puissance du gouvernement.

Les catholiques et libéraux démocrates s'y opposent. Mgr Sterckx, sans les aider ni les approuver, modérant même parfois leurs excès, ne se résigne pas à les condamner. Un gouvernement central trop puissant, toujours porté à s'immiscer dans les affaires ecclésiastiques, n'est pas dans l'intérêt de l'Eglise belge.

Pour vaincre les secrètes résistances de l'épiscopat, Léopold demande au Pape un envoyé spécial. Rome désigne Mgr Gizzi. L'archevêque, sans formuler aucune critique directe, laisse percer les craintes que cette nomination lui inspire. Immédiatement, Rome le rassure. Mgr Gizzi aura comme instructions de se faire diriger par l'archevêque.

De fait, arrivé à Bruxelles, l'internonce ne semble prendre aucune part la vie politique. Il répète partout qu' « il n'a rien à faire dans ce pays, et que si le Pape a voulu lui donner ses invalides, il n'a pu le placer mieux qu'ici ». Le Roi ne trouve auprès de lui aucun appui sérieux.

(page 144) La réussite du plan de Léopold est conditionnée par l'attitude de l'épiscopat et par celle du nonce. Ceux-ci se dérobant, le Roi ne peut escompter un succès décisif.

Malgré ces difficultés, Léopold ne perd pas courage : il s'efforce de réduire les démocrates par ses propres moyens. On connait ses défaites, à Tournai et à Gand.

Ces échecs ne lui rendent certes pas plus sympathiques les anciens disciples de l'abbé de Lamennais. « Je considère MM. Dubus et Dumortier, écrit le Roi, comme des gens beaucoup plus dangereux que Gendebien « beaucoup plus dangereux que le républicain le plus fou et le plus audacieux ». Léopold les déteste, il ne les comprend pas (RIDDER (A. DE), Léopold Ier et les catholiques. Op. cit., pp. 4-5).

Une mise au point est ici nécessaire.

Nous osons le dire, les catholiques-démocrates ne sont pas les révolutionnaires qu'il imagine. Ce sont, au contraire, d'acharnés traditionalistes, d'authentiques représentants du vieil esprit particulariste.

Se rattachant directement à l'ancien régime, ils considèrent l'occupation française et l'union avec la Hollande comme une parenthèse : Ils rejettent la centralisation comme on ferait d'un système étranger, destructeur de notre caractère national. Ils ne veulent pas d'un Etat qui, supprimant les particularités, réduirait les Belges un modèle unique.

Durant des siècles les libertés communales façonnent les Belges, à l'égal du sol et du climat. Elles sont leurs éducatrices, celles qui font d'eux des individus bien caractérisés. Les supprimer, c'est atteindre au cœur la nation, c'est violer la constitution naturelle du pays, la seule nécessaire et immuable.

En exposant ces idées, les catholiques-démocrates ne répètent pas des théories abstraites, apprises dans les livres, mais une tradition vivante transmise par leurs parents. Nous n'apercevons pas chez eux cette coupure radicale entre anciennes et nouvelles générations, dont parlent les historiens, les premières dépaysées dans le (page 144) monde nouveau sorti de la révolution française, les secondes entièrement oublieuses du passé.

Jean-François Dumortier, père de notre député, prend les armes contre Joseph II, s'oppose aux sans-culottes et à Napoléon, proteste contre la loi fondamentale hollandaise. Son fils Barthélemy prolonge son action : il combat les Hollandais, chasse le protestant Guillaume, lutte contre le projet Rogier, destructeur de nos franchises locales.

Depuis Joseph II, Jean-Joseph Raepsaet bataille pour le rétablissement des droits et des privilèges du pays. Il connaît, à cause de ses idées, la prison et la persécution. « J'entends la liberté à ma mode, dit-il, et je la prêche comme telle. ». Son fils Richard, le chanoine, chef du clergé démocrate des Flandres, est de la même trempe. Comme son père il défend sa province et sa ville contre le pouvoir central niveleur.

Les catholiques démocrates ne sont pas des jacobins. S'ils fomentent des révolutions contre Joseph II ou contre Guillaume c'est par esprit de conservation. Les authentiques traditionalistes, ce sont eux.

Toutes les traditions ne sont pas également bonnes, répondent les centralisateurs. Le véritable esprit national ne consiste pas dans le répétition des erreurs du passé. L'histoire nous enseigne que, sans l'amour excessif de nos libertés provinciales et communales, nous nous serions depuis longtemps constitués en Etat.

La Belgique n'est une nation que par l'unité, que par la centralisation, s'écrie Nothomb ; cette Chambre qui est la Belgique personnifiée, n'est un pouvoir que par l'unité, que par la centralisation. C'est parce qu'il nous est permis de mettre en commun toutes nos forces, toutes nos ressources, de les appliquer selon les circonstances à un but unique qui serait au dessus de chaque force, de chaque ressource locale, que nous sommes capables de grandes choses comme nation. » (M. B., 7 mair 1836.)

Que toute politique saine soit basée sur l'étude de (page 146) l'histoire et le respect du passé, personne n'en est plus convaincu que J. B. Nothomb. Mais que ce passé soit accepté en bloc, sans examen critique, il ne peut l'admettre. Chaque époque demande une adaptation plus ou moins profonde des anciennes traditions. Sous peine de suicide, la Belgique ne peut rester à l'écart du mouvement centralisateur qui entraîne les pays civilisés. Que l'autonomie communale soit bridée et limitée, c'est une loi inéluctable de la société contemporaine.

Entre les thèses si brillamment défendues par Nothomb et Dumortier, le chevalier de Theux tente et réussit un compromis. Repoussant la centralisation excessive et l'indépendance absolue de la commune, il accorde une part équitable au pouvoir et au peuple.

Bien que très modérée, la loi de Theux ne satisfait pas tous les esprits. Les Etatistes méditent une revanche. Les autonomistes sont également mécontents.

Après quelques années d'attente la bataille se rallume. Entrecoupée de pauses plus ou moins longues, elle continue tout au long du XIXème siècle, avec des fortunes diverses.

L'esprit, sinon la lettre, de la loi de 1836 finira cependant par triompher définitivement.

Le Roi obtiendra une légère satisfaction : il pourra, Sur avis conforme de la députation permanente, nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les électeurs de la commune, âgés de 25 ans accomplis (lois du 30 juin 1842 et du 1er mars 1848). Par contre, il n'interviendra plus dans la nomination des échevins, qui seront élus par le conseil, parmi ses membres (loi du 30 décembre 1887).

Acceptée par le Roi et par le Parlement, cette transaction honorable semble ne plus devoir être mise en question.

« L'autonomie des communes, disait Albert Ier, fait en quelque sorte partie de notre patrimoine public... loin de contrarier l'unité nécessaire de la nation, elle en est au contraire le fondement le plus solide. »