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Le Parti Catholique Belge de 1830 à 1884
GUYOT De MISHAEGEN G. - 1946

G. GUYOT de MISHAEGEN , Le Parti Catholique Belge de 1830 à 1884

(paru à Bruxelles en 1946, chez Larcier)

CHAPITRE TROIS - A la recherche du Parti (1846-1863)

(page 93) Durant les années 1846-1863, on peut dire que les catholiques forment déjà un parti, du moins par leur nombre et aussi par les conceptions traditionnelles qui les unissent. Mais il leur manque l’essentiel une organisation serrée, à l’instar des libéraux, et une idée-force qui soulève la masse, qui cristallise ses aspirations. La crise de 1857 renforce encore leur complexe d’infériorité. Les plus clairvoyants n’osent pas avouer franchement leurs convictions. Ils restent unionistes par patriotisme et peut-être aussi par timidité, comme en témoigne un des leurs : « Ce n’est pas le nombre de nos adversaires qui les rend redoutables, c’est la mollesse, l’indifférence ou pour mieux dire la lâcheté de cette espèce amphibie, qui n’a pas le courage de s’appeler hautement « catholique » quand on veut lui ravir sa foi; qui s’appelle le parti « conservateur » et qui n’a su jusqu’ici rien conserver; qui tient beaucoup à la foi de ses pères, mais qui tient plus encore à ses aises; qui croit prudent d’avoir un pied dans chaque camp; qui s’abonne aux mauvais journaux et ne paraît pas aux élections » (« La situation actuelle des catholiques en Belgique », par un anonyme, dans La Belgique, t. IV, p. 502, 1857). S’intitulant officiellement « constitutionnels » et « conservateurs », ils pâtissent, aux yeux de l’opinion, d’une situation équivoque. Leurs adversaires, au contraire, ne se gênent pas pour les qualifier de ce qu’ils sont en réalité « catholiques ». Mais « ils ont cru pouvoir devenir libéraux en politique, et c’est de cette communauté qu’ils souffrent aujourd’hui. Ce sont eux qui ont préparé la domination dont ils se plaignent maintenant » (Journal histoire et littérature, t. XIX, p. 36, 1857).

1. Toujours unionisme

Les catholiques belges n’osent donc aller de l’avant. Disciples (page 94) de Lamennais, ils envisagent les rapports entre l’Eglise et l’Etat sous l’angle de la liberté. Ils répudient sincèrement tout retour au passé et ils ne veulent pas l’ingérence du spirituel dans les affaires temporelles. Mais ils admettent une séparation relative et bienveillante entre les deux pouvoirs. Presque tous pensent que « la mission européenne de la Belgique est de résoudre le problème que s’est posé le génie du XIXème siècle : l’alliance de la Religion et de la Liberté » (P. De Decker, Quinze ans, 1830-1845, p. 47. Bruxelles, 1845). Imbus de cette mentalité, comment auraient-ils pensé à s’organiser sérieusement en parti et sur quelle base ? Prendre comme principe directeur l’encyclique Mirari vos du 15 août 1832, condamnant les libertés modernes, « eût été un défi à l’opinion et presque le retournement de leurs propres idées ». D’ailleurs, continue M. E. Mélot, « le Vatican ne paraissait pas disposé à soutenir un parti politique quel qu’il fût. Grégoire XVI avait toujours traité avec les gouvernements, de puissance à puissance, sans chercher de concours chez de simples citoyens » (« Origines des partis politiques en Belgique », dans la Revue d’histoire politique et constitutionnelle, p. 628, n° 2, 1939). Ce pontife se montre davantage partisan des vieilles monarchies que des nouveaux gouvernements constitutionnels. Et Pie IX (1848-1878) vient d’être déçu, en 1848, par l’échec de ses tentatives libérales. De ce côté donc, l’heure d’agir n’a pas encore sonné (F. Mourret, Histoire générale de l’Eglise, t. VIII, 1ère partie, p. 192. Paris, 1919, 8 vol.).

Les catholiques percent cependant les intentions de leurs adversaires. Le 2 mars 1847, Jean-Baptiste Smits, ministre des Finances de 1841 à 1843, puis gouverneur du Luxembourg, écrit à un de ses amis d’Anvers, Albert Cogels (1776-1852), ancien constituant, ce qu’il pense de la conjoncture politique : « M. de Theux et ses collègues remplissent courageusement leur pénible et difficile mission... Mais on a trop déchaîné les mauvaises passions; sans le vouloir peut-être et sans prévoir les conséquences, on laisse accomplir un travail sourd, formidable qui peut mettre la nationalité belge à deux doigts de sa perte. Ce travail, c’est la déchristianisation de la Belgique, auquel une foule de niais, à Anvers surtout, prêtent la main sans savoir ce qu’ils font ni où on les mène » (Archives de la famille Cogels, obligeamment prêtées par le baron Jean Cogels à Mme Edouard Guyot de Mishaegen, née Cogels). En 1852, de Gerlache, dans son Essai sur (page 95) le mouvement des partis en Belgique, s’effraie des progrès du libéralisme. Il reproduit in extenso les actes du Congrès de 1846 et il dénonce, avec clairvoyance, que le mouvement est l’héritier du XVIIIème siècle « philosophe » et impie. « Ce n’est qu’une forme nouvelle de l’opposition qui a existé de tout temps contre l’Eglise » (P. 49). En 1858, le baron d’Anethan, leader de la droite sénatoriale, révèle, dans un article de La Belgique, des extraits d’un document maçonnique de mai 1846 : « Le libéralisme sera nous; nous serons son âme, sa vie, nous sommes « lui » enfin » (« Situation de la Belgique comparée à celle de la France en 1830 et en 1848, dans La Belgique, t. VI, p. 531). Peut-être ces catholiques ne se rendent-ils pas assez compte du dynamisme de leurs antagonistes ?

Si les catholiques, même après 1846 et 1847, tardent encore à s’organiser en parti, c’est - il faut le dire à leur honneur, - qu’ils ont profondément le sens national. Bien que le traité de 1839 ait réglé la situation internationale du pays, l’avenir reste menaçant. La restauration de l’empire napoléonien, la guerre d’Italie réveillent les inquiétudes (M. Damoiseaux, La Belgique contemporaine, p. 235). Il faut rester unis contre les adversaires possibles du dehors. Il faut renforcer l’autorité de l’Etat, à l’intérieur, et résoudre la crise économique qui atteint alors son point culminant. La misère est effroyable, surtout en Flandre. La libre concurrence décime les chefs d’industrie. La production agricole devient normalement insuffisante. Les gouvernements Nothomb et de Theux s’efforcent de remédier à la situation par une politique d’assistance, de douanes et de transports, d’encouragement à la production, sans intervenir directement dans le régime du travail (M. Defourny, « Histoire sociale », pp. 254-257, dans Histoire contemporaine de la Belgique, 1830-1914, t. II, pp. 244-371). Législateurs, ministres, gouverneurs de province sont donc aux prises avec des difficultés que ceux de droite désirent résorber dans l’intérêt de tous, avant de riposter au parti d’en face, avant de se lancer dans une politique « nouvelle » dont ils ne voient pas la nécessité.

L’apologiste le plus brillant de la politique nationale est Pierre de Decker (1812-1891). Meilleur comme écrivain que comme ministre, il publie des brochures d’inspiration élevée dans lesquelles il essaie de sauver l’unionisme, « inauguration d’un système politique nouveau » (Quinze ans, p. 20). En 1852, il écrit que « la transaction constitutionnelle des partis doit être le caractère essentiel (page 96) de notre situation intérieure » (L’esprit de parti et l’esprit national, p. 36). « La division du pays en deux camps, les catholiques et les libéraux, je la répudie pour mon compte; je vois avec peine que des hommes sensés et de bonne foi entretiennent ainsi des opinions erronées dont l’effet doit être tôt ou tard de désunir et d’affaiblir le pays » (Op. cit., p. 15). Il rejette la théorie qui fait des ministères exclusifs et homogènes une nécessité; il dénonce comme tel celui de 1847. Il fait le procès du libéralisme au point de vue religieux et cite le mot de La Harpe : « C’est toujours au nom de la paix qu’on fait la guerre à l’Eglise » (Op. cit., p. 47). Mais il ne veut pas l’ingérence du clergé dans les sphères gouvernementales et ne revendique pour lui qu’une influence morale et sociale. Il paraphrasé une page de de Bonald montrant que ce sont les dogmes qui font les peuples. Il le prouve historiquement pour la Belgique. Remontant jusqu’aux causes profondes des sociétés, il définit la nationalité moins comme un fait matériel que comme une idée morale, comme une croyance. Ainsi la notion de patrie est-elle essentiellement religieuse (Op. cit., pp. 51 et 69). Mais, au point de vue pratique, il ne préconise aucune mesure de défense religieuse contre le libéralisme anticlérical. « Je ne demande pas pour l’opinion catholique, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, la possession du pouvoir; la garantie de sa liberté et de sa dignité me préoccupe seule » (Op. cit, p. 77).

Les publications de de Decker éveillent des échos favorables. Un catholique libéral, le prince Joseph de Chimay (1808-1886), pense qu’un « rapprochement loyal et sincère viendra rallier en un seul et grand parti, en un Centre, toutes les intelligences droites et honnêtes, dont le concours actif et constant peut seul garantir l’avenir et la stabilité d’un Etat comme le nôtre » (La trêve des partis en Belgique, p. 12. Bruxelles, 1848). En 1852, l’Union constitutionnelle de Gand prétend, dans un manifeste électoral, « témoigner assez par le choix de ses candidats que pour elle les qualifications de catholiques et de libéraux sont des armes usées, mais dont on s’est servi trop longtemps dans le seul but de faire prévaloir l’intérêt de parti sur l’intérêt général » ( Journal de Bruxelles, 12 mai 1852). Le clairvoyant de Gerlache ne préconise pas plus de mesure pratique que le généreux de Decker. (page 97) Il cite pourtant des paroles très significatives prononcées par Frère-Orban, à la Chambre, le 27 juin 1851 : « Dans notre pays, les deux partis en présence représentent des principes diamétralement opposés... Ils poursuivent avec une égale conscience un but qu’ils croient également bon. Il ne faut pas s’exposer à voir inaugurer de nouveau ce qu’on a appelé la politique mixte. Non, c’est impossible aujourd’hui, et ce serait fatal au pays » (Essai sur le mouvement des partis en Belgique, p. 53. Bruxelles, 1852). En conclusion, de Gerlache, au lieu d’inciter ses coreligionnaires à la résistance organisée, fait appel à « l’étroite union du pouvoir civil et du pouvoir moral ou religieux, qu’on s’efforce si inopportunément d’opposer l’un à l’autre » (Op. cit., p. 87).

Unionistes et pacifiques, les catholiques, il faut le reconnaître, demeurent inertes. En face des associations libérales, ils n’ont encore que quelques comités dits « conservateurs », qui n’osent pas arborer franchement leur drapeau. Ils transigent au lieu de lutter. En 1848, les amis de Malou ne songent-ils pas à solliciter pour lui la troisième place sur la liste libérale de l’arrondissement d’Ypres ? (H. de Trannoy, Jules Malou, p. 192). Les élections sont préparées à la dernière minute, au moyen de simples circulaires dont la banalité déconcerte « ... Encourager la bienfaisance en la rassurant sur l’entier accomplissement de ses intentions; défendre la royauté, la propriété, la famille; fortifier, au moyen d’une éducation morale et religieuse, l’amour des enfants pour nos institutions : tel est le but où tendront mes efforts si vous me faites l’honneur de m’appeler à vous représenter » (Journal de Bruxelles, 30 mai 1850). Un programme sensationnel, à promesses flatteuses ou illusoires, mis en oeuvre par n’importe quels moyens, pourrait-il être lancé par un parti d’ordre qui répugne à la surenchère ? Les tentatives isolées et dispersées sont vouées à l’échec, le milieu n’est guère favorable aux essais d’union.

Vers 1850, les Belges mènent une vie provinciale et casanière, honnête et paisible, mais qui manque peut-être d’élan et d’envergure. La noblesse, catholique dans sa grande majorité, continue à vivre comme sous l’ancien régime. Elle habite des châteaux bien entretenus, au centre de domaines bien administrés, d’une contenance moyenne de cent à deux cents hectares. Bien qu’elle ait perdu ses droits « féodaux », elle n’a (page 98) pas cessé de jouer son rôle seigneurial. Le châtelain gère ses biens, dirige sa commune, accepte souvent un poste de gouverneur de province, parfois même un mandat législatif. Il jouit d’un grand prestige auprès des villageois, dont plusieurs sont ses fermiers; il se préoccupe de leur donner le bon exemple. Ensemble avec le curé, il fait la loi, car les humbles redoutent l’Etat, ou s’en méfient, sans d’ailleurs le connaître, ni surtout le reconnaître comme il faudrait. La châtelaine remplit exactement ses devoirs de mère et de maîtresse de maison; elle visite les pauvres des environs, s’intéresse aux enfants de ses fermiers. Une réelle intimité de rapports, faite de bonté compréhensive d’une part, de déférence respectueuse de l’autre, s’établit entre la famille seigneuriale et celles des habitants d’alentour. Les enfants grandissent côte à côte, jouent ensemble, s’appellent par leurs prénoms. Les baptêmes, les mariages, les décès offrent l’occasion d’autres rapprochements. Durant la semaine de kermesse, les tenanciers apportent au château le plus beau morceau de la bête qu’ils viennent de tuer. Mais cette existence patriarcale ne stimule guère aux joutes politiques. Et c’est pourtant parmi la noblesse que les chefs de la droite unioniste doivent se recruter principalement.

Barthélemy de Theux, chevalier puis comte de Meylandt (1794-1874) est un gentilhomme de vieille race, devenu catholique libéral après 1828. Député au Congrès national, un portrait de l’époque le montre le regard profond, le cou engoncé dans un foulard noir et vêtu d’une redingote de couleur sombre. Un contemporain le dépeint de haute taille, le visage impassible, toujours maître de lui, plus persuasif qu’entraînant (Biographie nationale, t. XXIV, coI. 771-784, 28 vol., Bruxelles, 1866-1938). Homme de devoir, il s’attelle à la besogne, comme « un bon cheval de labour » selon l’expression de Félix de Mérode. C’est le chef incontesté de la Droite pendant de longues années. Il détient le portefeuille de l’Intérieur de 1834 à 1840; puis de nouveau de 1846 à 1847. Il dirige l’opposition de 1847 à 1870. En 1871, il accepte encore de former un cabinet catholique, mais en abandonne la direction effective à Malou. A diverses reprises, il manifeste ses opinions unionistes; le 15 décembre 1840, il soutient, à la Chambre, que la modération a toujours été du côté des catholiques (L. Hymans, Histoire parlementaire de la Belgique, t. II, p. 37). Il se déclare partisan, comme ses adversaires, de l’indépendance du pouvoir civil, et il nie que le gouvernement soit dominé par le clergé dans les élections : (page 99) il peut y avoir entente, il n’y a pas association (L. Hymans, op. cit., t. II, p. 519). C’est son propre portrait qu’il trace lorsqu’il affirme que le peuple belge se caractérise par le bon sens, qu’il n’aime pas tout ce qui est immodéré et tout ce qui n’est pas justifiable par la saine raison (L. Hymans, op. cit., t. II, II, p. 477). De Theux a la conscience du devoir, l’élévation de la pensée, la fermeté du jugement, la dignité du caractère; le geste qui entraîne, la parole conquérante lui manquent pour être un leader de parti.

Le comte Félix de Mérode (1791-1857) est un catholique libéral sincère, logique avec lui-même. Il a épousé Rosalie de Grammont, nièce de La Fayette. Au sein de sa belle-famille, il renforce son enthousiasme pour la liberté. En 1828, il défend la Restauration dans une brochure dont le titre est révélateur Les Jésuites, la Charte, les Ignorantins l’enseignement mutuel. Tout peut vivre quoi qu’on en dise. Il y formule le programme de sa vie politique : « Mes voeux sont et ne cesseront d’être l’accord de la religion et des institutions libres qui dérivent de la Charte »; plus tard, il dira avec autant de conviction « de la Constitution belge ». Membre du Gouvernement provisoire, du Congrès national et, jusqu’à sa mort, de la Chambre des représentants, il n’accepte que des postes de ministre sans portefeuille ou ad interim. Sa simplicité, sa rude franchise le rendent sympathique. Il peut dire en toute vérité : « Je ne compte que des amis sur tous les bancs de la Chambre ». A la session de 1842, parlant de l’encyclique Mirari vos, attaquée par les libéraux, il déclare que sa foi l’oblige seulement à adhérer aux principes du catéchisme; qu’il a juré d’observer la Constitution sans avoir foi dans l’infaillibilité de tous ses articles (L. Hymans, op. cit., t. II, t. II, p. 201). En 1854, en réponse à l’Adresse, il conteste au parti « libéral » le droit de se parer de ce titre, parce que les catholiques sont les vrais « libéraux » qui s’entendent avec tous les partisans de la tolérance civile. Ce sont l’opinion « catholique » et l’opinion « maçonnique » qui s’affrontent; l’épithète de libérale ne peut être attribuée à la dernière sans perdre son sens vrai (L. Hymans, op. cit., t. III, p 253). Unioniste de la première heure, il déplore la lutte des partis et meurt après avoir encouragé la résistance catholique, notamment la presse et le programme de 1852.

Barthélemy Dumortier est la figure la plus originale de la Droite. (page 100) C’est un impulsif, un ardent, un vrai Tournaisien. C’est l’un des tout premiers adeptes de l’union catholico-libérale. En septembre 1830, il va faire le coup de feu. Jamais, par la suite, il ne reniera les idées qui ont enthousiasmé sa jeunesse, l’idéal pour lequel il a combattu. A la Chambre, il entraîne le groupe antiministériel des catholiques « radicaux » que Léopold Ier réprouve. Il accable de reproches son « excellent ami, M. de Theux » qui lui ressemble si peu. Après 1840, les libéraux lui paraissent former « la queue de l’orangisme ». Cette appellation n’est pas dénuée de pertinence, l’orangisme imprègne le libéralisme d’anticléricalisme. A la session de 1861, il qualifie la domination libérale de « régime de Joseph II qui divise les Belges en persécuteurs et en persécutés » (L. Hymans, Histoire parlementaire, t. IV, p. 75). Le leitmotiv de sa politique est « le vrai libéralisme qui réprouve le monopole d’Etat » (L. Hymans, op. cit., t. I, p. 149); il est « du parti qui veut la liberté de la religion » (L. Hymans, op. cit., t. I, p. 336). Un historien libéral lui rend cet hommage d’avoir toujours placé le respect de la tradition nationale au- dessus des questions de parti (L. Hymans, La Belgique contemporaine, p. 187. Mons, 1880). Le Moniteur et les Annales parlementaires sont remplis de ses discours, à l’allure vive et pressée, aux termes pittoresques, aux apostrophes parfois violentes, aux élans d’un patriotisme presque chauvin. Il parle bien, à propos de sujets divers, qu’à force de travail et d’intelligence, il s’assimile rapidement. Tout le monde lui pardonne ses boutades, ses invectives, parce que chacun connaît sa loyauté et son désintéressement. Il n’a jamais été ministre et n’a jamais rien fait pour le devenir, sa nature entière répugnant aux compromissions et aux intrigues du pouvoir. Son jugement, parfois peu équilibré, n’inspire pas assez de confiance pour faire de lui un chef de parti. Mais il est là pour secouer l’engourdissement de ses coreligionnaires et pour s’exposer.

Le baron Jules-Joseph d’Anethan (1803-1888) est un grand honnête homme. Il appartient à une famille où l’on sert le prince, de générations en générations. Il entre dans la magistrature en 1826. Il devient ministre de la Justice de 1843 à 1847. En 1870, il forme un gouvernement catholique et prend pour lui le portefeuille des Affaires étrangères. Il siège au Sénat de 1849 à sa mort. C’est un des plus clairvoyants de cette époque. Il écrit à un ami, en 1850 : « Que dans des circonstances (page 101) ordinaires, on transige, rien de mieux; mais que nous transigions où nous sommes les plus forts, tandis que dans les endroits où nos adversaires l’emportent, ils nous repoussent impitoyablement, c’est plus que de la duperie... Si nos adversaires l’emportent, vous verrez surgir les prétentions les plus exagérées, les idées les plus contraires aux principes de tolérance et de vraie liberté... Il faut que les gens d’ordre, que les vrais constitutionnels monarchiques serrent leurs rangs et se mettent en campagne. L’abstention n’est pas possible, prêchez bien cela de tous les côtés » (Baron L. de Béthune, « Le baron d’Anethan d’après sa correspondance », p. 598, dans la Revue Générale, t. LXXX, 1904, pp 593-607 et 764-778). Avec raison, il attribue la prépondérance libérale au « défaut d’organisation qui se fait sentir dans notre parti d’une manière déplorable » ( Idem, p. 601). N’a-t-il pas été presque seul à mener la campagne électorale, demi-victorieuse, de 1850 ? Il anime les réunions - combien modestes encore - de la Droite, qui se tiennent chez Malou, et, à partir de 1855, chez lui. Il possède, au degré éminent, la science du possible au service du bien et de la vérité : ce qui résume toute la politique (P. de Haulleville, Portraits et silhouettes, t. II, p. 242. Bruxelles, 1892-1893, 3 vol.). Il agit invariablement dans le sens de ses principes. Il contribue à la formation du parti conservateur.

Adolphe Dechamps est un catholique libéral convaincu. Nature élevée et profonde, coeur chaud et dévoué, esprit perspicace et lucide, caractère plus doux que fort, il se dépense sans compter au service de l’Eglise et de la patrie. Il entre, en 1834, au parlement. Il s’y distingue, pendant trente ans, non seulement par son éloquence persuasive et entraînante, mais surtout par ses connaissances remarquables de toutes sortes de questions : scolaires et religieuses, communales et électorales, commerciales et douanières (E. de Moreau. Adolphe Dechamps, pp. 58 et suiv.). Ministre des Travaux publics, puis des Affaires étrangères de 1843 à 1847, il tient tête aux ennemis de l’unionisme, et ne cède qu’à la victoire libérale de 1847. A partir de cette époque, il se heurt au laïcisme de Frère. Orban. En 1857, à l’heure décisive où le cabinet catholique est battu en brèche par les troubles que suscite la loi des couvents, il faiblit et conseille à son ami, de Decker, de se retirer du pouvoir. En 1864, il élabore un programme gouvernemental dont la tournure démocratique déplaît à Léopold Ier. Il craint de mêler la religion à la politique, d’imposer des mandats impératifs (page 102) à la Droite et d’accentuer l’anticléricalisme par la formation d’un parti catholique. S’il discerne très clairement l’évolution du libéralisme, s’il comprend la nécessité impérieuse pour ses coreligionnaires de s’organiser enfin, il hésite, il tergiverse, par pusillanimité dirait-on. D’un côté, il participe aux Congrès de Malines; de l’autre, il écrit en 1865, « qu’il y a une cause catholique, mais qu’il ne doit pas y avoir, dans la Belgique constitutionnelle, de parti catholique » (« Situation politique de la Belgique », p. 25, dans la Revue Générale, t. I., 1865, pp. 1-53). Ayant échoué aux élections de 1864, il se retire de la politique active et reconnaît « avoir trop espéré de la liberté et de la lutte » (E. de Moreau, op. cit., p. 428).

Jules Malou est le premier organisateur des forces catholiques. Doué d’une intelligence claire et vive, d’une volonté tenace, du sens du gouvernement, du don d’administration, il entre à la Chambre en 1841, tout en cumulant la fonction de directeur de la législation au ministère de la Justice. Son cousin et son adversaire politique, Ernest Vandenpeereboom, le décrit comme « un esprit fin et perspicace, parfois caustique, homme aux connaissances étendues et au travail facile, orateur marchant droit au but quand il est dans le vrai, un peu tortueux quand il a une cause moins bonne à défendre » (Du gouvernement représentatif en Belgique, 1830-1848, t. II, p. 116. Bruxelles, 1856, 2 vol.). Quelques- unes de ses expressions passent à l’histoire : « le cabinet des six Malou » (1846) et la « loi de malheur » de 1879. Il est ministre des Finances de 1845 à 1847. Il lutte ensuite contre le gouvernement libéral et se distingue surtout dans les débats sur la bienfaisance. Entre-temps, il essaie de relever la presse et de donner une organisation permanente aux catholiques dispersés. Son énergie et sa ténacité rencontrent trop souvent l’inertie, l’incompréhension. Il échoue même aux élections de 1859. Frappé de découragement, il ne paraît pas aux Congrès de Malines, dont il avoue ne pas comprendre le but, ni l’utilité. Rappelé au pouvoir après la révocation du cabinet d’Anethan, en 1871, il veut prouver que les catholiques sont capables de gouverner. Il se maintient jusqu’en 1878. En 1879, il retourne dans l’opposition. Il organise la résistance et, récoltant le plus beau fruit de son courage, c’est lui qui forme le ministère catholique de 1884.

2. Chefs de la Droite

Depuis le Congrès libéral, Malou s’est attelé à une triple tâche : (page 103) ranimer la presse, organiser les forces, composer un programme. Les journaux de l’opposition catholique traînent alors une existence languissante. En 1846, ils ripostent si faiblement à leurs adversaires, que le comte Félix de Mérode va s’entretenir avec Natalis Briavoinne pour ranimer L’Emancipation. Encore, après la refonte, ce quotidien reste-t-il unioniste : ce qui ne satisfait plus personne. Pressé par son frère, l’évêque de Bruges, Malou veut racheter le trop débonnaire Journal de Bruxelles ; il se heurte au refus du chevalier Stas. Sans perdre de temps, il se retourne du côté des frères Briavoinne. Il voudrait reprendre toutes leurs feuilles. C’est dans ce but qu’il fonde la Société pour le progrès de la presse conservatrice. Il ne réussit qu’à acquérir L’Emancipation. N’importe, ce journal, sous la direction de Coomans, de 1854 à 1858, est le rival de L’indépendance. En 1856, le chevalier Stas, enfin démissionnaire, est remplacé par Paul Nève, qui dirige, deux ans après, L’Emancipation. En province, la situation s’est améliorée par la création du Bien public à Gand, en 1853, la réorganisation de La Patrie à Bruges et de L’Ami de l’ordre à Namur (Pour plus de détails, consulter E. de Trannoy, Jules Malou, chapitre IX, pp. 223-237). Les Anversois ont un journal catholique flamand, Het Handelsblad, depuis 1844.

Malou est moins isolé comme organisateur des forces catholiques. De Theux, Dechamps, Dumortier, d’Anethan, le prince de Chimay, tous ses collaborateurs ordinaires lui prêtent leur concours. Il rallie le comte de Muelenaere (1794-1862), ancien ministre unioniste, qui préférerait un tiers parti pour remédier au désarroi des modérés de toutes nuances. A Namur, il s’appuie sur « l’excellent chanoine » de Montpellier (H. de Trannoy, op. cit., p- 238). Il n’y a point encore à cette époque d’assemblées plénières et périodiques de la Droite. On se réunit à quelques-uns, dans la maison d’un chef. On déjeune après avoir causé et l’on cause, naturellement, encore en déjeunant (H. Henry, Journalisme et politique, p. 112. Namur, 1929). Au début de 1852, les deux Malou réussissent à mettre sur pied un Comité central conservateur. Ce n’est hélas ! pas encore le terme. Car le Comité, sur la composition duquel nous n’avons pas retrouvé de renseignements, s’immobilise aussitôt. Les difficultés l’épouvantent. Il tombe en léthargie, (page 104) sans avoir fait un seul pas (H. de Trannoy, op. cit., p. 238). Pourtant les circonstances évoluent en sa faveur.

La majorité libérale s’effrite, en effet, tant au parlement que dans le pays. Frère-Orban, ministre des Finances, a moissonné de l’impopularité par un impôt sur les successions en ligne directe. Il démissionne à la suite de divergences de vues avec ses collègues; il est remplacé par Liedts, un modéré (C. Terlinden, « Histoire politique interne », p. 93, dans Histoire contemporaine de la Belgique, t. II.). Le cabinet Rogier se met au plus mal avec Napoléon III, à propos des exilés du Deux-Décembre Les libéraux encore unionistes s’effraient des tendances exclusives de la majorité de leur parti. Un représentant de Verviers, arrivé à la Chambre en 1848 comme indépendant, se prononce contre le gouvernement dans une circulaire à ses électeurs, le 22 mai 1852 : « Le ministère est atteint d’un péché originel, d’un péché capital. Il est gouvernement de parti. Il s’est proclamé tel, et il a fini par agir exclusivement dans ce sens. Un pareil gouvernement n’est pas longtemps possible en Belgique. Le sentiment de l’indépendance personnelle y est trop vivace, trop enraciné pour que, si l’on veut diviser les populations en deux camps, l’un consente à subir le joug de l’autre, et qu’il se résigne à n’avoir de la prérogative de citoyen que le partage des impôts et de toutes les charges publiques » (Journal de Bruxelles, 28 mai 1852).

C’est le moment pour Malou de faire connaître l’existence du parti conservateur, de publier son programme. En mai 1852, l’Association libérale de Bruxelles adresse à ses électeurs un manifeste qui dénonce « une minorité réactionnaire dont les doctrines et les actes ne tendent qu’à un but le renversement de nos institutions, le rétablissement des castes, la résurrection des privilèges » (Journal de Bruxelles, 18 mai 1852). Ce factum, de la main de Théodore Verhaegen, attire aussitôt les protestations véhémentes de la presse conservatrice Coomans le flétrit : « La calomnie a trouvé des signataires » (H. de Trannoy, op. cit., pp. 239-240). Malou juge que son heure est venue. Il rédige une réplique qui est en même temps le premier exposé officiel des principes conservateurs. Par malheur, il doit la soumettre à ses amis, qui ne se font pas faute de l’amputer. Malou doit se démener beaucoup pour la faire signer par les vingt-sept (page 105) représentants de la Droite, dont certains ont obtenu leur mandat du consentement des libéraux. Il réussit enfin. Et le 18 mars, les journaux publient son manifeste, avec les signatures (H. de Trannoy, Jules Malou, p. 242).

C’est l’expression des idées conservatrices de l’époque. Les catholiques affirment d’abord, une fois de plus, leur attachement à la Constitution, leur esprit patriotique qui contraste avec « les maximes du Congrès de 1846 et l’éphémère domination d’un parti ». Leur but est de préserver « nos institutions, faussées aujourd’hui par ceux qui s’en proclament les seuls défenseurs ». Ils sont décidés à combattre la laïcisation de l’enseignement et de la charité, l’augmentation des impôts. Ils demandent le rétablissement de l’harmonie des forces sociales pour l’enseignement public, la garantie de la liberté pour la bienfaisance, la réduction des charges imposables par le rejet de l’impôt sur les successions. Tel quel, le programme est timidement catholique, sagement conservateur, fermement constitutionnel. Sans se départir de sentiments unionistes, il se place sur le terrain de la défense patriotique et religieuse. C’est moins le manifeste d’un parti que la réponse du pays à une minorité qui désire sortir de la voie parcourue jusque-là.

(Note de bas de page « « Pour conserver nos institutions, faussées aujourd’hui par ceux qui s’en proclament les seuls défenseurs, nous combattons une administration dont les actes sont une longue réaction contre l’œuvre de 1831 ; nous demandons une administration impartiale au lieu d’un gouvernement de parti.

« Nous combattons la politique antinationale qui laisse l’enseignement public en dehors de la salutaire influence de la Religion.

« Nous combattons la politique impie qui poursuit la liberté humaine jusque dans les plus nobles inspirations de la charité.

» Nous combattons la politique imprévoyante qui a fait naître et qui laisse planer l’incertitude sur le sort définitif de l’armée.

« Nous combattons cette politique qui augmente les charges dc nos contribuables, tandis qu’elle prodigue des subsides individuels.

« Nous combattons cette politique aveugle qui au nom des théories imprudemment proclamées, inégalement appliquées, compromet ou menace tour à tour les intérêts matériels, l’agriculture, le commerce, l’industrie.

« Raffermir nos institutions ; à la politique d’exclusion substituer la politique d’union qui seule est nationale ; rétablir l’harmonie des forces sociales pour l’enseignement public : garantir la liberté de la bienfaisance ; assurer le sort de l’armée : réduire les charges des contribuables ; consacrer pour tous les intérêts matériels l’égalité devant la loi : tel est le programme que l’opinion conservatrice s’attachera à réaliser. » Cité par H de Trannoy, op. cit., p. 240, note I). (Fin de la note de bas de page).

Malou attendait un élan, la masse demeure inerte. Le 1er mai 1852, à la veille des élections, Dumortier, qui se démène dans le Hainaut pour trouver des candidats, se plaint à son ami : « On ne veut pas se battre... Vous ne vous faites pas idée combien notre parti est tombé dans la léthargie politique. A Ath, à Charleroi, c’est la même chose... » Et le 30 mai : « En dehors (page 106) du clergé, savez-vous ce qu’est le parti catholique ? C’est le parti des poules mouillées... J’ai beau frapper à toutes les portes, pas de candidats, chacun ne pense qu’à soi, a peur de se compromettre, de s’user » (H. de Trannoy, Jules Malou, p. 244). La situation était heureusement moins mauvaise en Flandre. La Droite gagne douze sièges, malgré tout. Mais Malou et les autres chefs jugent qu’elle n’est pas encore mûre pour gouverner. Aussi décident-ils de soutenir le cabinet centre-gauche, formé par Henri de Brouckère le 31 octobre 1852. En 1854, les élections leur ayant donné la majorité, les plus unionistes d’entre eux entrent dans le ministère de Decker. Durant cette période, ils défendent les traditions chrétiennes au parlement, chaque fois que les libéraux prennent l’initiative d’ouvrir un débat sur les questions mixtes.

La première qui se présente concerne l’opportunité d’établir un enseignement secondaire officiel. Félix de Mérode se demande quel est exactement le devoir de l’Etat. Renoncer à toute intervention directe, répond-il, ou bien harmoniser l’enseignement aux principes religieux des parents, car les enfants ne sont pas ceux de l’administration qui ne possède aucune doctrine à elle, ils appartiennent à la famille où ils sont nés (J. J. Thonissen, Vie du comte Félix de Mérode, p. 352. Louvain, 1861). Il dénonce la contradiction qui consiste à vouloir la liberté de conscience, à n’accorder aucune autorité morale, au for interne, au gouvernement, et à lui livrer une part énorme dans l’éducation de la jeunesse (J.J. Thonissen, op. cit., p. 358). L’Etat, dit-il encore, peut participer à l’instruction, à la condition toutefois que l’enseignement officiel ne devienne pas « une sorte de machine de siège contre l’instruction libre et vraiment religieuse » (J. J. Thonissen, op. cit., p. 360). Quel mal celle-ci fait-elle à l’Etat pour qu’on lui « enlève une partie de la jeunesse avec la clef d’argent, aidée par des liens tressés au profit d’un corps professoral, qui coûtera cher, se dira l’Etat docteur sans doctrine, et se pavanera dans l’otium cum dignitate. » (J. J. Thonissen, op. cit., p. 368). De t’Serclaes (1809-1880) reconnaît que l’Etat a le droit d’enseigner, mais ce droit doit se combiner avec ceux des particuliers. Admettre sans limites l’intervention du pouvoir dans tout ce qui touche aux intérêts moraux de la nation : la religion, la presse, les opinions, les associations, tout cela, c’est confisquer la liberté (L. Hymans, Histoire parlementaire, t. II, pp. 853 et 854).

(page 107) Les catholiques s’élèvent donc contre la loi de 1850, qui décrète la fondation de dix athénées, de cinquante écoles secondaires et de deux écoles normales, sous la direction presque exclusive de l’Etat. Les bonnes institutions ne manquent pas. Le diocèse de Bruges a huit collèges épiscopaux; celui de Liége, sept; les Jésuites en ont huit; les Joséphites, trois; vingt-deux communes confient la direction de leurs collèges à l’autorité ecclésiastique. Développer l’enseignement officiel, c’est décupler les charges. En réalité, les libéraux recourent à l’Etat, dit De- champs, « parce que le nombre des établissements privés est trop grand... le mal auquel il faut parer, c’est l’efflorescence de la liberté ». Et il décrit « le casernement de l’enseignement public, combiné avec la sécularisation », depuis le degré primaire jusqu’au degré supérieur, en passant par les écoles techniques et la formation des jurys (E. de Moreau, op. cit., pp. 22-224). De Haerne attribue au projet une tendance de centralisation, d’accaparement de l’élément religieux par l’Etat, tendance excessivement dangereuse en ce qu’elle confère au gouvernement un droit qui est contraire à l’esprit de la Constitution et qui est conforme aux idées socialistes (L. Hymans, op. cit., t. II, p. 856). Un autre représentant reproche au ministère de vouloir confisquer les pouvoirs des communes en matière d’enseignement, en ne leur laissant le droit que d’en inscrire les frais à leur budget, et d’organiser une contrefaçon de l’Université de France (L. Hymans, op. cit, t. II, p. 858).

Le projet de 1850 n’est pas seulement centralisateur, il est aussi laïque. Aux termes de l’article 8, les ministres des cultes ne seront plus appelés à titre d’autorité, ils seront seulement « invités à donner et à surveiller l’instruction religieuse ». Ce que Dumortier traduit ainsi « la gymnastique est obligatoire, la religion est facultative; un pareil système est la perte du pays ». La Belgique s’engage dans la voie de la France : on sait d’avance où ce chemin la conduira. La loi devrait offrir des garanties religieuses aux pères de famille. Sans ces garanties, ce ne sera qu’une loi de parti. L’Etat, comme tel, n’a pas de religion, ni de morale; le peuple, au contraire, doit avoir une morale et une religion. Si l’on se borne à inscrire dans le texte que le clergé sera « invité » à donner l’instruction religieuse, c’est qu’on ne veut pas sérieusement de celle-ci, parce que le prêtre doit pouvoir couvrir sa responsabilité; (page 108) il ne faut pas que l’enseignement religieux soit défait par n’importe quel autre professeur (L. Hymans, op. cit., t, II, p. 852). Coomans met en évidence le principe fondamental le pouvoir civil est incompétent pour donner l’instruction religieuse; l’Eglise seule a mission de conduire les âmes à leur destinée éternelle, et 1’Etat doit lui faciliter l’accomplissement de ce devoir, sans intervenir lui- même dans un domaine qui le dépasse ( L. Hymans, op. cit., t. II. p. 860). Le caractère irréligieux de l’enseignement engendre le socialisme, naissant du libéralisme sceptique; on conçoit le libéralisme conservateur chez les riches, mais révolutionnaire chez les pauvres (L. Hymans, op. cit., t. II, p. 853). Les réclamations des catholiques au sujet de cette loi aboutissent à la Convention d’Anvers (1854).

3. Essais d’organisation

La bienfaisance déchaîne des luttes dont l’épilogue est extraparlementaire. Depuis 1847, les doctrinaires contestent la liberté des fondations pieuses. Sous prétexte de sauvegarder le patrimoine des pauvres, ils défendent de tester librement eu faveur de ceux-ci. Le 22 janvier 1848, Frère-Orban, selon sa méthode, sépare la charité de la religion. Au nom des principes de 89, il ne veut pas accorder à un mourant le pouvoir de créer des personnes civiles, ni de désigner des administrateurs pour régir les fondations qu’il ferait (L. Hymans, op. cit., t. II, p. 618). Le 20 février 1849, le Roi, dans une lettre au ministre de la Justice, de Haussy ( François de Haussy, né en 1789, fut sénateur de 1833 à 1850, ministre de la Justice de 1847 à 1850, date à laquelle il devint gouverneur de la Banque Nationale), rappelle le régime de liberté en vigueur dans les pays anglo-saxons, dont la Belgique devrait continuer à s’inspirer sous peine de tarir la charité et de priver les communes de ressources précieuses. Il prévoit que les charges, de plus en plus lourdes, finiront par ruiner les administrations. Mais les libéraux ne veulent rien entendre. Le 27 novembre 1850, à une proposition de Dumortier en faveur de la liberté, le ministre de la Justice, Tesch ( Jean-Baptiste Tesch, né à Messancy en 1812 et y décédé e» 1892, était parent les Nothomb. Après 1848, il passa dans le camp du libéralisme exclusif, fut ministre de la Justice de 1850 à 1852 et de 1857 à 1865), répond que la charité est libre, mais que le droit de fonder est subordonné à l’octroi de la personnalité civile. (page 109) Il accuse ses adversaires de poursuivre le rétablissement des couvents et de l’ancienne société, ce qui semble être pour lui la domination de l’Eglise sur l’Etat (L. Hymans, op. cit., t. III, pp. 14 et 16).

En 1856, un projet, présenté par le cabinet de Decker, tend à concilier l’exercice de la liberté du testateur avec le contrôle du gouvernement. Dons et legs seront acceptés, moyennant l’autorisation du Roi, par le bureau de bienfaisance. Les fondateurs auront la faculté d’en réserver l’administration à eux-mêmes ou à des tiers qu’ils désigneront. La surveillance la plus sévère et, au besoin, l’intervention des tribunaux assureront la bonne gestion des biens (H. de Trannoy, op. cit., p. 319). Ces dispositions rappellent celles de l’ancien régime, qui favorisait les corps autonomes dans la mesure de leurs besoins sociaux. Le rapporteur de la section centrale, Malou, fait ressortir le caractère chrétien et social de la charité, qui doit rester en dehors et au-dessus des luttes politiques. Le 28 avril 1857, il entreprend, au nom des pauvres, la défense du projet, et atteint à la plus haute éloquence. Il se défend de vouloir restaurer le moyen âge : « Non, nous ne sommes pas aussi rétrogrades que cela, il nous suffit de reculer de dix ans, nous réclamons le post liminium d’avant 1847... nous voulons établir le concert de la justice, de la charité, de l’enseignement de manière que ces influences concourent au bien social ». Et il reprend le leitmotiv des catholiques de sa génération « Nous voulons l’alliance de la liberté et des influences religieuses ». Selon la mentalité de l’époque, il « ne veut pas rétablir les couvents comme personnes civiles en vertu de la loi »; mais il ne veut pas non plus « entraver la charité sous prétexte de couvents » (H. de Trannoy, op. cit., p. 333 et suiv.).

Les discussions parlementaires déchaînent une effervescence inusitée dans le pays. Les pamphlets pleuvent. En 1854 déjà, Frère-Orban, sous le pseudonyme de Jean van Damme, publie le premier volume De la mainmorte et de la charité ; le second parait quinze jours avant l’ouverture des débats législatifs. Mgr Malou lui répond, de sa manière la plus énergique (La liberté de la charité en Belgique, 1854). En avril-mai 1857, les journaux sont remplis de correspondances politiques, telles que celles de Joseph Boniface, alias Louis Defré, adressées de Bruxelles aux feuilles de province. Une campagne de conférences (page 110) met aux prises les orateurs influents des deux partis (H. de Trannoy, op. cit, p. 319). Nous avons peine maintenant à nous représenter la vivacité des polémiques, la passion des controverses, l’excitation qui s’empare de tous les milieux. La masse ne comprend pas le fond du débat : elle n’entend que mainmise des couvents, mainmorte, usurpation des terres, spoliation des pauvres, tous les slogans. Louis de Potter (Louis de Potter, né en 1786, d’une famille noble de Bruges, émigrée en Allemagne pendant la Révolution, recommença son instruction à la lumière du XVIIIème siècle, écrivit contre l’Eglise et soutint d’abord la politique de Guillaume Ier. En 1828, il se rallia avec enthousiasme à la cause de la liberté et la lia à celles de l’Eglise et de la démocratie. Il joua un rôle prépondérant dans la révolution belge, mais ayant voulu la détourner à son profit, il se retira du Gouvernement provisoire et de la vie publique), libre penseur pourtant, raille la terreur de ses amis (Considération générale sur la charité, à propos du projet de loi qui la concerne). Mais sa voix se perd dans le brouhaha qui précède l’émeute.

Les tribunes de la Chambre sont houleuses. Des groupes se forment aux abords du Palais de la Nation. Les ministres et députés de la Droite sont injuriés. Le 19 mai 1857, en vue d’abréger la discussion, de Theux propose le vote des articles 71 et 78, relatifs aux administrateurs spéciaux. De Decker a la faiblesse de retarder la clôture des débats jusqu’au 27 mai. Ce jour-là, la majorité l’emporte enfin par 60 « oui » contre 41 « non ». Aussitôt, une foule de quatre à cinq mille personnes, dirigée par des bourgeois, assaille les bureaux de L’Emancipation, brise les vitres de plusieurs couvents et de la maison de Malou. La police intervient mollement. Le 28 mai, Léopold Ier, mécontent de cette agitation qui nuit à la bonne réputation de la Belgique, prononce, au conseil des ministres, ces paroles désormais historiques : « Je monterai à cheval, s’il le faut, pour protéger la représentation nationale; je ne laisserai pas outrager la majorité ». Il propose de scinder les articles 69, 71 et 78 déjà votés, pour en faire une loi spéciale. Mais de Decker ne fait rien, - ni scinder les articles, ni déployer de l’énergie, - rien que céder à la Gauche et ajourner de nouveau le débat (jusqu’au 2 juin). Il a un sursaut d’énergie, le 30 mai. Il a causé avec ses amis, il va finalement donner suite au projet de Léopold Ier. Mais l’après-midi, tandis qu’il se rend précisément au Palais royal, il rencontre Dechamps, qui lui conseille malencontreusement de retirer les articles en litige. C’est donc ce dernier qu’il écoutera. A la fureur d’Alphonse (page 111) Nothomb (Alphonse Nothomb (1813-1898) était le frère cadet de Jean-Baptiste. Il fut un précurseur dans le parti catholique, démocrate chrétien avant la lettre, partisan du suffrage universel et du service personnel des années avant la réalisation de ces mesures), ministre de la Justice, il monte à la tribune pour lire un arrêté d’ajournement des Chambres, Vilain XIII s’écrie : « La loi est morte » (A. Muller, La querelle des fondations charitables en Belgique. p. 343, Bruxelles, 1909). Et Dumortier prophétise le retour d’un ministère Rogier-Frère.

Le 8 juin, quarante-sept représentants de la Droite sur les « soixante » se réunissent à l’hôtel de Mérode. Les avis sont partagés. Malou espère apaiser l’opposition et le pays en retirant le projet de loi. Dechamps l’appuie. De Theux et Dumortier les combattent. Pour finir, le manifeste de Malou devient un rapport au Roi, publié au Moniteur du 14 juin, précédant l’arrêté de clôture de la session 1856-1857. Il propose l’ajournement du projet jusqu’à la rentrée prochaine des Chambres. Léopold Ier, dans sa lettre de réponse, loue la prudence du ministère et de la majorité. A ce moment, il désire encore conserver le cabinet « de son coeur ». Il blâme l’émeute et rappelle au pays sa modération habituelle (Comte L. de Lichtervelde, Léopold Ier, p. 290). Mais la presse catholique, surtout de province, se montre récalcitrante. Les évêques ne veulent pas baisser pavillon. Rome, pressentie par Dechamps, ne les en blâme d’ailleurs pas (E. de Moreau, Adolphe Dechamps, pp 256-257. H. de Trannoy, Jules Malou, pp. 358-360). Les élections communales du mois d’octobre ont lieu dans l’agitation. La Gauche triomphe dans les grandes villes. Le gouvernement interprète cela comme un camouflet, et se disloque. De Decker, Vilain XIIII et deux de leurs collègues s’en vont le 30 octobre, Alphonse Nothomb et Mercier, le lendemain, malgré eux.

Jours néfastes où la Droite ne perd pas seulement le pouvoir, mais aussi la confiance du Roi, et - ce qui est encore plus grave - sa jeune confiance en soi. « Irrité de la pusillanimité de de Decker et de son groupe », Léopold Ier ne veut plus gouverner avec des hésitants « qui s’abandonnent eux-mêmes », qui se divisent entre eux, et dont le prestige vient de recevoir un coup terrible (Comte L. de Lichtervelde, op. cit., pp. 297-301). Woeste et d’autres le lui ont reproché. Mais pouvait-il faire autrement que d’appeler ceux-là - Rogier et Frère - qui avaient du moins le courage de leurs opinions ? Quoi qu’il en soit, les catholiques retombent dans le marasme. (page 112) Ils n’écoutent même plus la voix de Malou. Louis Veullot, qui les observe de loin, va jusqu’à écrire : « La liberté belge est morte... Le parti catholique est mort… il n’a pus de moyens politiques pour maintenir les droits de l’Eglise et pour préserver la foi des populations » (Mélanges, publiés par F. Veuillot, t. VII, 1856-1858, pp. 151-154. Paris, 1935, 7 vol.).

Malou - tout seul peut-être - ne perd pas courage. Il a pourtant conseillé le retrait du projet. Et il l’a fait dans la meilleure intention : ramener la paix. Puisque le pays ne semble pas l’avoir compris, il recommencera donc le combat. Au nouveau cabinet Rogier-Frère, il n’accordera même pas un instant de répit. Il engage la lutte pour les élections du 10 décembre 1857 par une protestation solennelle. Il rappelle les événements des derniers mois. Il revendique le droit de parler haut et ferme contre le silence imposé à la Droite par la dissolution des Chambres. Son parti s’est sacrifié dans l’intérêt supérieur du pays, les libéraux n’ont cessé d’entretenir l’agitation dans le public. Voilà donc les résultats de la politique « nouvelle », inaugurée en 1847 et dont les Belges se sont vite lassés. Honnis soient ceux qui prêchent l’abstention : « L’opinion conservatrice maintiendra le caractère et les traditions nationales. Elle restera au service de la cause belge, de la cause de la Constitution, de la religion et de la royauté » (H. de Trannoy. op. cit., note 1, p. 366).

L’attitude de Malou est d’autant plus méritoire, que la défaite l’attend... et qu’il s’en doute peut-être. Son ami Dechamps lui-même refuserait de signer le manifeste, si son frère, le Rédemptoriste, n’intervenait juste à temps pour lui forcer la main. Dechamps cependant n’abandonne pas la lutte. Il refuse la place que les libéraux de son arrondissement lui offrent sur leur liste. Il se bat en désespéré (E. de Moreau, op. cit., p. 261) et reste au nombre des victimes. La journée du 10 décembre 1857, c’est du moins Dumortier qui l’affirme, est le « Waterloo » des conservateurs ( H. de Trannoy, op. cit., p. 382).

4. Jours néfastes

C’est peut-être Waterloo, mais certainement pas Sainte-Hélène. Les dirigeants de la Droite ouvrent enfin les yeux. Leurs défaites, ils les doivent à l’organisation de leurs adversaires, auxquels ils n’ont rien à opposer. Une préparation vaille que vaille, par des comités éphémères, ne leur sert de rien. Ce qu’il leur faut, c’est un organisme central, ce sont des associations (page 113) locales à l’exemple des libéraux. Les Flamands déjà se réorganisent. Les Anversois fondent l’Association constitutionnelle qui triomphe bientôt aux élections communales. A Bruxelles même, Edouard Ducpétiaux, le général Capiaumont (1798- 1879) et le chevalier Stas jettent les bases de l’Association constitutionnelle. Le 22 décembre 1857, une réunion préparatoire se tient en l’hôtel de Mérode. Un comité provisoire, dont Malou est l’âme, est institué pour élaborer des statuts et convoquer une assemblée générale des notabilités. Celle-ci a lieu, le 6 février 1858, sous la direction de Malou et de Dechamps. Elle décide la création d’un comité central d’action, baptisé d’Association constitutionnelle et conservatrice, dirigé par un conseil d’administration de quinze membres, parmi lesquels nous trouvons les noms des leaders les plus connus.

Les statuts traitent de l’organisation de l’Association, assez semblable à celle du parti libéral qui a fait ses preuves. Le centre de Bruxelles a la direction d’ensemble. Le comité de chaque arrondissement doit s’occuper, dans son ressort, de réviser les listes, de préparer les élections aux divers degrés, d’organiser la propagande par la voix de la presse, etc. A la différence du Congrès de 1846, « les associations n’imposent aucun mandat impératif »; leurs membres usent seulement des influences dont ils disposent dans l’intérêt de la cause conservatrice. Au point de vue politique, ils prêtent leurs concours à leurs coassociés. Le capital de la société est formé d’actions, dites de « fondation », de 1.000 francs, engageant le montant de la souscription et en abandonnant le revenu pour la durée de la société, et d’actions, dites de « participation », de 500 francs à 2,5 % et remboursables. Les actionnaires sont, de droit, membres de l’assemblée générale. De même, ceux qui versent annuellement 50 francs pendant dix ans. Le minimum de cotisation ordinaire est de 5 francs (Journal historique et littéraire, t XXIV, 1857. p. 544).

Si les statuts sont bons, le programme en revanche est incolore. Ce n’est même plus le programme de 1852.

(Note de bas de page) « Association constitutionnelle conservatrice. - Programme

« L’opinion conservatrice forme la majorité réelle et normale du pays. Il faut, pour parvenir à lui faire perdre cette position, que la passion politique trouble et égare la raison publique ; il faut alimenter cette passion par des calomnies aussi odieuses pour ceux qui les répandent qu’humiliantes pour ceux qui les acceptent, calomnies auxquelles une grande opinion, au nom de tout son passé, a le droit de répondre par la protestation du dédain ; il faut, pour y parvenir, jeter un doute injurieux sur notre dévouement constitutionnel ; nous attribuer l’absurde intention de ressusciter les privilèges(page 389) ou les abus d’un passé que personne n’a la volonté, ni le pouvoir de faire revivre ; provoquer ou exploiter ces émotions contagieuses qui mettent en péril le régime représentatif.

« L’instrument le plus actif des succès momentanés de nos adversaires, en 1852 et en 1857, a été l’organisation puissante des associations politiques.

« Pour rétablir entre nos adversaires et nous des conditions égales, il manque à l’opinion conservatrice une organisation des forces dont elle dispose.

« L’association que nous fondons est donc un acte de défense et non d’agression ; nous avons attendu, pour le poser, que nos adversaires en fissent une nécessité.

« Ce que nous voulons, c’est bien moins faire usage d’un droit constitutionnel dans un intérêt politique qu’accomplir un devoir pour la conservation des principes sociaux.

« L’union a été le but de notre politique ; elle reste notre espérance dans l’avenir. Mais, pour que nous puissions voir rétablir cette belle devise nationale presque effacée, il faut que l’on ne méconnaisse pas la force réelle du parti conservateur.

« La nécessité de cette association est donc prouvée ; sa durée sera celle des associations libérales elles-mêmes.

« Son but purement politique est la défense de tous les intérêts conservateurs, par les moyens que nos institutions légitiment, et spécialement par la presse et par les élections.

« Son seul programme est la Constitution, pratiquée loyalement et sans restriction, selon les traditions du Congrès national. Le seul mandat accepté par ses membres, c’est la fidélité à ce grand principe.

« Nous revendiquons le titre de conservateurs, qu’on nous conteste, et celui de constitutionnels, qu’on nous dénie, parce que nous ne reconnaissons à aucune opinion la mission de défendre, mieux que la nôtre, l’œuvre nationale à laquelle nous devons vingt-sept années de prospérité et de paix :

« La Constitution, avec toutes les libertés qu’elle consacre ;

« La dynastie aimée qui la couronne ;

« L’armée, qui en est le soutien ;

« Le caractère religieux des populations, qu’il ne faut pas laisser altérer ;

« Le droit de tout citoyen catholique de ne pas se voir exclu des fonctions publiques, à cause du nom qu’il porte ;

« L’intérêt de l’agriculture et du travail national, que menacent d’aventureuses théories ;

« La cause de l’ordre social, que les mauvaises passions compromettent.

« Nous faisons un appel patriotique à tous les amis de cette cause, de ces droits et de ces institutions pour unir leurs efforts aux nôtres.

« L’association dont nous jetons aujourd’hui les bases ne peut alarmer aucun intérêt ; elle est fondée pour les protéger tous : elle aidera à réaliser tout progrès compatible avec nos institutions.

« Elle sera à la fois conservatrice, constitutionnelle et nationale, c’est-à-dire modérée, juste et forte, comme il sied à une grande opinion, fière de son passé et confiante dans l’avenir. »

« Bruxelles, 12 février 1858. » (Fin de la note)

(page 114) Les attaques répétées des libéraux doivent avoir impressionné l’opinion. Sans quoi, les droitiers se donneraient-ils tant de mal pour les réfuter ? Loin de nous, déclarent-ils, « l’absurde intention de ressusciter les privilèges ou les abus d’un passé que personne n’a la volonté, ni le pouvoir de faire revivre ». Ils reconnaissent que « l’instrument le plus actif des succès de nos adversaires est l’organisation puissante des associations politiques ». « L’association que nous fondons est donc un acte de défense et non d’agression.., l’union a été le but de notre politique, elle reste notre espérance dans l’avenir… la durée de cette association sera celle des associations libérales elles-mêmes. Son but purement politique est la défense de tous les intérêts conservateurs, (page 115) par les moyens que nos institutions légitiment, et spécialement par la presse et les élections ». Suivent de vagues proclamations en faveur de la Constitution, de la dynastie, de l’armée ; sur le « caractère religieux de nos populations », sur le droit de tout citoyen catholique de ne pas être exclu des fonctions publiques; sur l’intérêt de l’agriculture et de l’ordre social. Ce n’est pas ainsi que l’on soulève le public, le public bourgeois surtout. L’Association constitutionnelle conservatrice doit être liquidée au bout de cinq ans.

Les catholiques manquent d’idées, de combativité, d’élan. Aux conceptions libérales de l’indépendance du pouvoir civil, de l’Etat laïc, ne dirait-on pas qu’ils redoutent d’opposer des points de vues franchement religieux ? C’est là sans doute leur défaut principal. Parler de la Constitution, des libertés, serait très bien, si les libéraux ne tiraient des mêmes textes des interprétations contradictoires. Les programmes de 1852 et de 1858 sont trop négatifs et trop vagues pour entraîner des bourgeois calmes et bien pensants. Et puis, la création de l’Association constitutionnelle conservatrice revêt un caractère presque confidentiel. Elle est à peine divulguée par la presse « comme s’il fallait éviter avec soin toute complication. N’était-ce pas suffisamment d’audace que d’affirmer publiquement la volonté d’un sérieux effort d’organisation ? » (H. de Trannoy, Jules Malou, p. 388). Enfin, l’instrument, si médiocre qu’on le suppose, rend davantage à qui s’en sert aussitôt. Il ne faut pas le laisser se rouiller. Ainsi les libéraux feront-ils en 1846. Ainsi les catholiques auraient-ils dû faire en 1852. Mais voilà bien le paradoxe. L’individualisme et, somme toute, l’esprit libéral entretient chez les catholiques les divisions les plus funestes, tandis que l’anticléricalisme est le ciment des libéraux.

Au parlement, les catholiques continuent la lutte à propos du projet de loi sur les bourses d’études. Dès 1857, Malou demande à la Chambre pourquoi « il faut révolutionner un régime qui existe depuis cinq cents ans et dépouiller 781 familles de leur propriété » (H. de Trannoy, op. cit., p. 488). En 1863, un autre représentant combat de même un projet qui élargit la conspiration ourdie en faveur de l’influence étatique, qui est un attentat inutile contre une propriété sociale, qui blesse profondément le grand principe de la liberté d’enseignement dans le présent et dans l’avenir. La loi est inopportune et dangereuse, dit-il; elle frappe (page 116) les droits de l’intelligence, en appauvrissant « la noble liste civile de la liberté pour la bienfaisance intellectuelle ». Sans droit, sans motif, elle dépouille des administrations honnêtes et séculaires, pour conférer leur pouvoir à des organismes qui dépendront de corps politiques (L. Hymans, op. cit., t. IV, p. 153). Au Sénat, d’Anethan « avoue ne pas comprendre comment des libéralités, accordées à l’enseignement libre, pourraient altérer le caractère de l’enseignement donné par l’Etat..., ce n’est pas cette altération que l’on craint; ce qu’on redoute, c’est la concurrence, c’est l’égalité; ce qu’on demande, c’est le privilège... » Il ne réclame « nullement la personnalité civile pour les établissements libres, il se borne à revendiquer l’égalité » (L. Pleetinck, Biographie du baron d’Anethan, 1803-1888, p. 153. Bruxelles-Bruges, 1899). Dans un rapport, destiné à être lu par le Roi, Malou dénonce le but des libéraux qui « est de faire passer, autant que possible, à l’enseignement officiel les fruits des libéralités faites par les catholiques » (H. de Trannoy, op. cit., p. 491).

Les catholiques protestent également contre la sécularisation des cimetières. Cette question, soulevée pour la première fois par Verhaegen au parlement en 1855, est discutée à partir de 1862. Dechamps y trouve l’occasion d’un très beau discours : « Nous voulons des cimetières pour tous les cultes professés, et pour ceux qui meurent en dehors des communions religieuses un emplacement convenable, décent, respecté... Voilà notre doctrine; voici la vôtre : vous voulez un cimetière commun à tous les cultes sans distinction d’opinions, par conséquent sans distinction religieuse, sans caractère religieux. Vous voulez des cimetières sécularisés ». Examinant le point de vue de la liberté des cultes, il affirme le caractère essentiellement religieux de la sépulture; vouloir enlever celui-ci est aller contre la nature des choses. « Aux yeux des croyants de tous les cultes, le cimetière est-il exclusivement un lieu public et profane où l’autorité communale est maîtresse absolue, ou bien, est-il un lieu consacré et béni, une terre sainte, la res sacra et le locus religiosus des Anciens ? Voilà la question. Le monde païen comme le monde chrétien n’ont qu’une voix pour y répondre. C’est un lieu saint, et l’inhumation est avant tout un acte de religion ». S’élevant à la vraie éloquence, celle qui jaillit du coeur, il déclare « Nous croyons, nous chrétiens, non seulement à l’immortalité de l’âme, mais à la consécration des corps et à leur (page 117) résurrection finale, affirmée par le Christ… C’est notre foi, et vous avez promis, eu jurant la Constitution, de la respecter et d’en maintenir la liberté » (E. de Moreau, Adolphe Dechamps, pp. 289-292).

Sur le plan international, les catholiques protestent contre la reconnaissance hâtive du royaume d’Italie. Le cabinet libéral de Bruxelles s’est empressé d’y procéder, suivant l’exemple de la Grande-Bretagne et de l’Empire français, croyant aussi que les autres Puissances feraient de même (Vicomte C. Terlinden, A travers notre Histoire et nos Gloires, pp. 354-380, Bruxelles, 1943). Il a craint d’arriver trop tard. Ou n’a-t-il voulu que vexer le pape ? A la Chambre, de Theux rappelle les principes. La reconnaissance, en général, suppose un état de possession complète, dont la durée a été plus ou moins longue, à peine contestable. Elle se fait plus ou moins vite, suivant la grandeur des nations qui la réclament, suivant le profit politique que l’un ou l’autre Etat peut avoir à devancer les autres, suivant le danger de cesser des relations avec l’Etat qui la demande. La Belgique ne pouvait reconnaître le royaume d’Italie sans sortir de sa neutralité, elle aurait mieux fait de s’abstenir au lieu d’affliger particulièrement le pape, et d’être désagréable aux grandes nations qui n’ont pas encore reconnu le royaume en question ( L. Hymans, Histoire parlementaire, t. IV, pp. 68-69). Dumortier demande si le droit des petites nationalités vis à vis d’un roi cupide est un droit sacré; si le droit, fondement et rempart uniques des Etats faibles, sera respecté. Le gouvernement a posé un précédent des plus dangereux pour l’avenir de la patrie, parce qu’un Etat qui voudrait envahir la Belgique pourrait le faire en vertu de l’exemple donné aujourd’hui ( L. Hymans, op. cit., t. IV, pp. 66 et 68). Alphonse Nothomb remarque qu’il y a des moments graves où l’affirmation du droit, le respect des principes doivent avoir le pas sur les intérêts matériels, car le matérialisme est aussi funeste aux nations qu’aux individus (L. Hymans, op. cit., t, IV, p. 70).

Il n’est meilleure conclusion à l’exposé de ces débats parlementaires que quelques lignes du clairvoyant Dumortier. « Le monopole des intérêts moraux par l’Etat en dehors du principe religieux engendre fatalement, dit-il, le principe du socialisme, du communisme, de l’organisation du travail. Le jour où il n’y a plus d’autre instruction que celle de l’Etat, d’autre bienfaisance que celle de l’Etat, (page 118) d’autres pauvres que ceux de l’Etat, d’autres établissements de charité que ceux de l’Etat, on arrive à cette conséquence fatale que l’Etat doit à tout citoyen l’habit et l’aisance. Car le socialisme n’est autre chose que l’absorption de l’homme par l’Etat » (Annales parlementaires de Belgique, Chambre des Représentants, session 1830-1831, 12 novembre au 30 août, p. 148). Et le 13 mai 1857, au plus vif des discussions sur la charité « Quelle est la grande lutte actuelle ? C’est la lutte du rationalisme contre la pensée chrétienne; le rationalisme tend à asservir la pensée qui a régénéré le monde; le rationalisme tend à mettre cette pensée sous la subordination de l’Etat. Si vous refusez le concours de l’Eglise pour l’amélioration de la société, si vous refusez à la charité la liberté que nous voulons pour elle; prenez garde qu’un jour vous n’ayez à regretter amèrement la loi que vous faites. Prenez garde que vous ne soyez débordés par le torrent et que vous n’y soyez entraînés sans retour » (Annales parlementaires de Belgique, Chambre des Représentants, session 1856-1357, 11 novembre au 30 mai, pp. 1554 et 1564).

5. Nouveaux projets, nouveaux combats

1857-1863. Durant ces années léthargiques, un groupe « Jeune Droite » essaie de secouer la torpeur universelle. L’animateur est Prosper de Haulleville (1830-1898), professeur de droit naturel à l’Université de Gand, que Rogier révoque pour ses opinions religieuses trop avouées (1858). Le voici libre : libre de servir la cause catholique en écrivant, beaucoup mieux que s’il avait été maintenu dans sa chaire. De Theux le fait d’abord entrer dans un comité paralytique (Baron de Haulleville, Un gentilhomme de lettres, Prosper de Haulleville, p. 55. Louvain, 1932). Mais une occasion se présente de lancer un journal. En 1859, L’Universel, détaché de L’Univers et de Louis Veuillot, débarque de Paris. Les confrères bruxellois le voient d’un mauvais oeil et se mettent en devoir de le couler (H. Henry, Journalisme et Politique, p. 15). De Haulleville vole à son secours, avec de valeureux compagnons : Victor Henry (1832-1896), Guillaume Lebrocquy (1835-1880), Alexandre Delmer. Il le reprend à son compte. Il y déverse une prose mercurielle, qui indispose tout le monde : les libéraux, naturellement, mais aussi les évêques, les vieux catholiques « pointus », la masse des conservateurs pacifiques et, enfin, les autres journaux encrassés dans la routine. Il succombe en 1862. Mais ses idées - ses idées courageuses et neuves - lui survivront.

(page 119) L’Universel, glorieux journal catholique d’un jour, allie l’amour des nouveautés avec le plus sain respect de la tradition. Il proclame son attachement à la Constitution, à la dynastie, aux institutions nationales. Il revendique l’indépendance réelle des cultes, la liberté religieuse ainsi qu’on l’entend aux Etats-Unis, la liberté des associations telle qu’elle existe en Grande-Bretagne. Reprenant certaines idées des catholiques de 1830, il se prononce pour la décentralisation politique et administrative, pour la non-intervention de l’Etat en matière d’instruction. Mais il heurte l’opinion de la majorité conservatrice en se déclarant libre-échangiste, partisan de l’extension du droit électoral jusqu’au suffrage universel, du service militaire personnel et des revendications flamandes en matière linguistique (Baron de Haulleville, Un gentilhomme de lettres, p. 64). Hérésies et utopies, selon Paul Nève, le directeur du Journal de Bruxelles depuis 1858, qui ne se doute pas encore de ce qui l’attend. De Haulleville et Ducpétiaux, toute la rédaction de L’Universel liquidé passant en bloc au Journal de Bruxelles et n’en continuant pas moins à répandre leurs opinions ! (Journal de Bruxelles numéro « Souvenir », du 6 décembre 1899).

On peut affirmer, à certains égards, que L’Universel a préparé les Congrès de Malines. D’abord surpris de ses admonestations, les catholiques finissent par descendre en eux-mêmes. Ils font leur examen de conscience, au point de vue politique s’entend. Leurs œuvres religieuses et charitables sont florissantes, leur action politique n’est pas au même niveau. Ils négligent leur presse, leurs associations électorales; tant qu’ils ne posséderont pas ces deux armes puissantes, non seulement ils ne vaincront pas les ennemis de leurs croyances, mais ils devront même renoncer à se défendre efficacement. L’Universel leur montre la nécessité d’avoir un programme, il leur en esquisse même les grandes ligues. Il relève enfin, les courages abattus. Il fait comprendre que, dans un pays comme la Belgique, il reste un infaillible moyen de reprendre l’avantage aux libéraux : c’est d’appeler aux urnes le peuple tout entier (Journal de Bruxelles, 6 décembre 1899).

Les Congrès de Malines ont eu d’autres précurseurs. En 1862, la Société d’Emulation, l’association estudiantine qui existe à Louvain depuis 1854, essaime à Bruxelles. Woeste en raconte les débuts dans ses Mémoires (T. I, pp. 55-57). Il y rencontre les collaborateurs de L’Universel : de Haulleville, Delmer, d’autres jeunes. (page 120) Leur but, à en croire les statuts, consiste à promouvoir la culture littéraire. Mais, de ce temps-là, il n’est pas de cercle où la politique ne réussisse à s’infiltrer : à s’infiltrer d’abord, pour éclipser ensuite tout le reste. Et comme ce sont de jeunes hommes qui se réunissent ici, on ne s’étonnera pas d’entendre une fois de plus les mêmes desiderata : une presse qu’on lise partout, des associations agissantes, un programme qui, sans rompre avec les traditions du parti, comporte une application un peu plus large des libertés publiques (Woeste, Mémoires, p. 56). Dechamps formule ce programme en 1864, mais d’une façon pusillanime qui ne peut satisfaire l’aile agissante du parti. En attendant, le renouveau s’annonce. C’est à la Société d’Emulation que se tiennent les réunions préparatoires aux Congrès de Malines.

En janvier 1864, le cabinet Rogier-Frère est mis en minorité. Léopold Ier fait appel à Dechamps. La Droite revient au pouvoir. Il pourrait paraître logique et naturel qu’elle reprenne ce qui a été perdu de la liberté religieuse et embastille ce qui en reste. Mais cela reviendrait à fixer les partis sur le terrain religieux. La Droite estime que pour faire trêve à la politique violente, inaugurée par les libéraux depuis 1857, il faut un ministère non politique et conciliateur (E. de Moreau, Adolphe Dechamps, p. 325). Au fond, ses membres ne désirent pas encore le pouvoir, et préféreraient un cabinet d’affaires ou de centre gauche, en attendant les élections de 1865, pour ne pas devoir recourir à la dissolution. Dechamps s’est nettement exprimé à ce sujet, en 1865 : « La première pensée qui nous dirigea fut de ne pas arriver au gouvernement comme parti religieux, de dire au pays que nous voulions être un ministère constitutionnel et non un ministère catholique... Nous voulions écarter les questions religieuses. Nous annoncions que nous étions résolus à ne pas fournir d’aliment aux passions des anciens partis, que nous n’apportions au pouvoir que des buts constitutionnels et des pensées politiques » (« Situation politique de la Belgique », p. 44, dans la Revue Générale, t. I, 1865, pp. 1-53). Les catholiques n’apportent donc rien de neuf. Ils ne demandent rien, si ce n’est l’abaissement du cens pour les élections provinciales et communales afin d’orienter le pays dans une voie plus démocratique (Programme du ministère Dechamps, dans E. de Moreau, op. cit., p. 531). Mais ce point unique se heurte à l’opposition de Léopold Ier. Et plutôt que de (page 121) remanier son programme, Dechamps préfère laisser la place aux libéraux.

En cette année 1864, la Droite n’est pas encore convaincue de la nécessité qui s’impose en Belgique de défendre la religion par des moyens parlementaires. Malou, le ministre, écrit à son frère, l’évêque : « Selon une de mes plus vieilles convictions, confirmée par l’expérience, nous continuerons à patauger et à recevoir des horions aussi longtemps que la lutte des partis sera sur le terrain des intérêts moraux et religieux; il faudrait faire une diversion puissante, passionner, par exemple, l’opinion pour des réformes économiques, des réductions d’impôts. Mais où se trouve le Robert Peel de cette campagne hardie ? S’il se révélait, serait-il compris et suivi ? » ( H. de Trannoy, Jules Malou, p. 469). En soi, il a raison. Il aurait peut-être raison en fait, s’il se trouvait en Angleterre. Mais, en Belgique, il faut se ranger plutôt du côté de Malou, l’évêque, quand il écrit : « Ce n’est pas en louvoyant dans tous les sens pour échapper au meilleur compte possible à ses adversaires, et en acceptant à moitié ou aux trois quarts leurs principes que l’opinion conservatrice se fera jamais une position politique dans ce pays. C’est en résistant à ces principes, en formulant son propre programme sur ces matières qu’elle peut s’assurer un avenir » (H. de Trannoy, op. cit., p. 468). La conversion ne sera pas l’oeuvre des parlementaires, ni de leurs chefs, mais d’une poignée d’hommes qui se tiennent à l’écart de la politique active.

6. La première Jeune Droite

Du Congrès libéral de 1846 aux Congrès de Malines de 1863-1864, le parti catholique traverse une période de transition et de préparation. Transition, en ce sens que la masse et les chefs eux-mêmes restent fidèles à l’esprit de 1830. Ils ne rejettent pas l’étiquette de conservateurs. Ils ont peur de prendre position, en tant que catholiques, sur le terrain public. Dans l’ensemble, ils agissent peu et paraissent oublier que les convictions religieuses ne tiennent pas lieu de doctrine politique (Jacques Boniface, La presse catholique, p. 43. Bruxelles, 1862). Préparation, en ce sens que les initiatives de Malou seront reprises et développées, sur une échelle bien plus vaste, quelques années plus tard. Vers 1860, l’élan imprimé par des jeunes vivifie le parti. Mais toujours, les catholiques peuvent méditer avec fruit le conseil donné par Léopold Ier à l’un des leurs : « Vos amis ont beaucoup de vertus, mais il leur manque en politique celle qui peut tenir lieu de toutes les autres, ils n’ont pas d’initiative. » (L de Lichtervelde, Léopold Ier, p. 298). Pour s’organiser sérieusement en parti, ils ont dix-sept ans de retard sur les libéraux.