(paru à Bruxelles en 1946, chez Larcier)
(page 161) Le but de ce chapitre n’est pas de retracer l’histoire complète du dernier ministère libéral, ni de la guerre scolaire qu’il a déchaînée. Le dessein ne doit plus être tenté. Nous voudrions seulement mettre en relief l’attitude des catholiques durant des événements si pénibles pour eux, et si glorieux tout à la fois. L’union refaite dans leurs rangs, ils opposent à l’anticléricalisme un front défensif solidement étayé des parlementaires éprouvés, des associations électorales actives, des comités scolaires à la hauteur de leur tâche, une multitude d’écoles nouvelles. A partir de 1884, l’Union nationale pour le redressement des griefs soulève dans le pays un vaste mouvement d’opinion, comme on n’en avait plus vu depuis 1830. L’élan n’est pas éphémère : il aboutit aux élections « du mépris », du 10 juin 1884, et à la prise du pouvoir pour soixante ans.
Avant de montrer les catholiques à l’oeuvre, reconnaissons la position de leurs adversaires. Après les élections du 10 juin 1878, Frère-Orban forme le plus grand des ministères libéraux homogènes. Et aussi le dernier. Il s’entoure de « politiciens de carrière, tons francs-maçons »; les plus notoires sont Bara, qui redevient ministre de la Justice, et Van Humbeeck, le premier titulaire du département de l’Instruction publique. Le cabinet formule un programme anticlérical : laïcisation de l’école primaire et suppression de la légation auprès du Vatican ()F. Van Kalken, La Belgique contemporaine, p. 117. S. Balau, Soixante-quinze ans d’histoire contemporaine de Belgique, p. 331). Il recourt à la tactique bien connue attaquer, sous prétexte de se défendre, comme si les institutions étaient menacées par les (page 162) catholiques. Il se nomme lui-même le gouvernement « de la défense nationale », selon les directives données par Edouard Pécher, au cours d’une manifestation organisée à Bruxelles, le 30 juin 1878. « La Belgique, déclare le président de la Fédération libérale, n’est pas le seul pays en cas de légitime défense, elle n’est pas seule à résister aux agressions cléricales. Le même danger menace tous les peuples, tous les gouvernements d’Europe. Que le salut commun les unisse pour résister par une commune entente diplomatique à de coupables agressions; qu’ensemble, ils forment une ligue européenne pour s’opposer aux envahissements des doctrines qui s’attaquent à l’existence même de la société moderne... Profitons de nos succès pour organiser, avec le concours de tous les libéraux, une défense nationale de nos libertés constitutionnelles que les ramifications de cette défense s’étendent des grandes villes jusqu’au moindre village. Agissons par la presse, par l’école, par la parole » (Discours prononcés à la manifestation libérale du 30 juin 1878 à Bruxelles. Anvers, 1878).
Le ministère « agit ». Il commence par destituer des fonctionnaires. Il biffe l’invocation habituelle à la Providence, dans l’Adresse de réponse au discours du Trône. Il supprime toute assistance officielle aux Te Deum des fêtes nationales. Il fait passer la loi électorale du 26 août 1878, qui tend à restreindre le nombre des électeurs dans les campagnes. Il dépose le projet de loi organique sur l’enseignement primaire, qu’il a fait annoncer dans le discours du Trône, à l’ouverture de la session de 1878 : « L’enseignement donné aux frais de l’Etat doit être placé sous la direction et sous la surveillance exclusive de l’autorité civile ». Le projet va plus loin que Frère-Orban et ses pareils ne le souhaiteraient peut-être, mais les doctrinaires sont entraînés par les radicaux qui exigent la laïcisation complète de l’école et la séparation absolue de l’Eglise et de l’Etat. Les écoles communales seront seules reconnues par l’Etat, les écoles adoptées étant supprimées. L’enseignement religieux est exclu du programme officiel : « il est laissé, dit l’article 4, aux soins des familles et des ministres des divers cultes ». Il ne pourra se donner qu’en dehors des heures de classe, dans un local réservé à cet effet. Il est également banni des écoles normales officielles où les communes devront recruter leur personnel enseignant. L’Etat fait bon marché de l’autonomie communale : c’est lui qui fixera le nombre d’écoles, de classes, d’instituteurs, c’est (page 163) lui qui créera des écoles gardiennes et d’adultes où il le jugera nécessaire, qui instituera des comités scolaires dont il nommera les membres, sauf dans les grandes villes, pour surveiller les écoles aussi bien que les municipalités (S. Balau, op. cit., pp. 285 et suiv.).
A l’annonce de cette loi de combat, un souffle de résistance passe sur le pays demeuré religieux. Il traverse toutes les paroisses de Flandre et de Wallonie. Le 7 décembre 1878, les évêques de Belgique, dans une lettre collective, protestent contre la laïcisation projetée; le 14 février 1879, ils en dénoncent la « malignité »; le 12 juin 1879, ils démontrent l’inefficacité des dispositions de l’article 4. Les curés lisent et commentent les mandements épiscopaux, afin d’éclairer la conscience des fidèles. Ils le font généralement sans récriminer contre le gouvernement, sans se livrer à des attaques intempestives contre les libéraux, en tout cas sans s’attirer de poursuites judiciaires. Des prières publiques sont prescrites. Au prône dominical, on ajoute cette invocation : « Des écoles sans Dieu et des Maîtres sans foi, délivrez-nous, Seigneur ». La défense de la religion rapproche toutes les classes de la société.
La Droite et son vieux leader, Jules Malou, dirigent la résistance. Woeste raconte dans ses Mémoires, qu’aussitôt la lecture du projet de loi, le 21 janvier 1879, des parlementaires catholiques se sont réunis dans un salon de la Chambre et ont décidé, séance tenante, d’ouvrir une grande campagne pour la défense de l’enseignement religieux. La semaine suivante, ils se confrontent avec des délégués de toutes les provinces pour aviser aux mesures à prendre (T. I, p. 146). La Fédération des Cercles, les associations conservatrices et ouvrières, les sociétés à but charitable, comme celle de Saint-Vincent de Paul, entrent dans le mouvement. Leurs chefs fournissent les meilleurs éléments des Comités de résistance qui, en quelques semaines, organisent la campagne dans tout le pays. En mars et avril 1879, des orateurs tiennent des meetings dans les centres principaux : ils diffusent les arguments contre l’école sans Dieu, et préconisent le maintien de la loi de 1842. Malou remporte de brillants succès à Bruxelles, à Dinant, à Saint-Nicolas; Beernaert à Namur, en présence de l’évêque; Jacobs à Bruges et à Malines; le chevalier de Moreau (1840-1911) à Namur et à Huy; Woeste à Bruxelles et à Charleroi. Chaque député travaille son arrondissement. (page 164) Avocats, professeurs, conseillers communaux et provinciaux prennent la parole dans les villes et jusque dans les moindres villages, en plein air s’il ne se trouve pas de local ad hoc. Le clergé, les notables sont présents. Les réunions, fort animées, se terminent dans les provinces flamandes par le chant du Lion de Flandre, approprié aux circonstances (P. Verhaegen, La lutte scolaire en Belgique, pp. 85 et suiv. Gand, 1905).
Un pétitionnement s’organise pour le maintien de la loi de 1842. Il est dirigé par les associations politiques et les comités de résistance en relation avec le Comité central catholique, siégeant à Bruxelles, sous la présidence du comte Henri de Mérode-Westerloo (1856-1908), et comprenant de nombreux membres du parlement, de l’aristocratie et de la presse. Le jour même de sa fondation, 29 janvier 1879, ce comité lance un Appel aux pères de famille. Cet « appel », répandu dans chaque commune, est rapidement couvert de signatures. Les femmes envoient des pétitions à la Reine. L’Université de Louvain, les deux tiers des conseils provinciaux et beaucoup de conseils communaux y vont de pétitions particulières. « Avant le vote de la Chambre, 317.000 signatures, émanant de 90 % des communes, attestent au gouvernement les vrais sentiments de la nation » (P. Verhaegen, op. cit., p. 93). Le ministère multiplie les destitutions de fonctionnaires; ceux-ci sont ensuite l’objet de sympathies qui glorifient « la société des relevés », constituée, à son insu, par le ministre de l’Intérieur, Rolin-Jacquemyns (1835-1902). Le gouvernement essaie de faire machine arrière. Il lance une circulaire tendant à démontrer que son projet n’a rien d’antireligieux. Mais il arrive trop tard. L’opinion est éclairée par la presse : 21 quotidiens et. 135 hebdomadaires bien orchestrés, sans compter les brochures de circonstance. Le Patriote, fondé à Bruxelles en 1883, se fait traiter d’ « Innommable » par L’Etoile belge.
L’opposition parlementaire est brillante, autant que redoutable. Les longs débats sont de mode. Les 20 et 21 novembre 1878, lors de la discussion de l’Adresse, Jacobs retrace l’historique de la législation en matière d’enseignement. Remontant au royaume des Pays-Bas, il rappelle l’union des catholiques et des, libéraux contre les arrêtés de Guillaume Ier. Il cite plusieurs orateurs du Congrès national qui déniaient à l’Etat la direction intellectuelle, religieuse et morale de la société; ceux-ci n’ont admis le second paragraphe de l’article 17 : « L’enseignement est réglé par la loi » que comme une possibilité, (page 165) réservant la liberté d’action du gouvernement et de la législature. Il souligne le caractère traditionnel et transactionnel de la loi de 1842, et celui de la convention d’Anvers concernant l’application de la loi organique de 1850 sur l’enseignement moyen, que les libéraux traitent maintenant d’inconstitutionnelles. Il réfute les arguments de ses adversaires qui reprochent aux catholiques de reconnaître deux souverains : le pape et le roi, et explique la doctrine sur la distinction du spirituel et du temporel (A. Bellemans, Victor Jacobs, pp. 408 et suiv.).
Pendant la discussion du projet, les 14 et 15 mai 1879, Jacobs reprend la question du point de vue des principes. Il définit l’école confessionnelle comme celle dont l’atmosphère est religieuse, selon l’expression de Guizot, et dont l’éducation apprend aux enfants à ne pas séparer le religieux et le profane dans leur vie. Il expose le rôle supplétif de l’Etat: remédier aux déficiences des pères de famille, mais sans exercer de magistère. L’école publique ne peut être que le substitut de l’école privée; son organisation doit être conforme aux voeux de la majorité, qui, en Belgique, demande qu’elle soit confessionnelle. Il dénonce les contradictions de l’Etat, qui voudrait former et gouverner les consciences, tout en demeurant neutre. L’instruction n’est qu’un moyen eu vue d’un but qui importe seul; pour tous ceux qui croient en Dieu et en l’immortalité de l’âme, ce but est religieux. A l’assertion de Van Humbeeek : « L’école neutre existe, donc elle est possible », Jacobs répond : « Elle est impossible, donc elle n’existe pas »; l’instituteur n’est pas un automate, la neutralité est une cause de faiblesse et d’infériorité dans l’enseignement qui repose nécessairement sur une conception du monde. Au fond, lance-t-il à ses adversaires, vous voulez faire du déisme spiritualiste la religion officielle de l’Etat belge, afin de proscrire le catholicisme des écoles. Mais la morale universelle que vous prônez est trop vague, trop obscure, trop sujette à interprétations diverses, pour former un système complet et défini que l’Etat n’a d’ailleurs pas à formuler. Il termine en justifiant « le clergé belge de n’être pas un ramassis de fils de paysans, entrés dans les ordres pour échapper à la conscription, mais de sortir des entrailles du peuple » (A. Bellemans, op. cit., pp. 449-461).
D’autres orateurs de la droite se distinguent également. Les libéraux, dit le baron Kervyn de Lettenhove, sont dépités de voir les catholiques tirer meilleur parti des libertés d’association (page 166) et d’enseignement. Ne pouvant rayer ces libertés de la Constitution, ils arborent le drapeau de la « défense nationale », afin de détruire l’Eglise et ses oeuvres, suivant l’exemple donné par la Révolution française (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1878-1879, p. 839). Coomans et Beernaert s’élèvent contre l’Etat qui revendique le droit de former des instituteurs au mépris de l’autonomie communale. « L’Etat devient un mandant, alors qu’il ne peut être que mandataire » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1878-1879, p. 1115). Woeste prédit que la morale rationaliste sera substituée à la morale chrétienne et que les masses seront socialisées dès qu’elles cesseront de recevoir l’éducation religieuse. Plus immédiatement, il annonce à ses adversaires que les écoles normales et primaires seront désertées par les instituteurs et les élèves, malgré l’augmentation des impôts et des subsides (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1878-1879, pp. 947 et 114).
Malou invente le mot qui fait fortune : « la loi de malheur ». Son discours soulève la Droite. Il annonce fièrement que ses coreligionnaires « paieront deux fois : une fois pour les écoles que leurs enfants fréquenteront, une fois pour celles dont ils ne veulent pas. Ne supposez pas, lance-t-il à la Gauche, que les millions ou les dévouements feront défaut : ils naîtront spontanément, ils se multiplieront, il suffira de frapper du pied cette terre où dorment tant de générations catholiques. Notre opinion sera à la hauteur de sa tâche, elle saura faire des merveilles pour empêcher la loi de dénaturer notre caractère national en détruisant le sentiment religieux. Les écoles libres qui existent déjà doubleront d’étendue; des écoles nouvelles s’édifieront de toute part… Ne comptez pas même sur les pauvres, nous saurons établir l’impôt de la préservation des âmes... Les divisions vont s’accentuer; une véritable guerre civile va se déchaîner sur le pays. Les catholiques déploreront une situation qu’ils n’auront pas créée; mais si leurs adversaires les forcent à soutenir cette nouvelle campagne, ils n’en redouteront pas l’issue. Nos calendriers diffèrent : vous datez du Congrès libéral de 1846 que vous invoquez sans cesse; nous datons du Congrès national de 1830 que nous invoquons toujours » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1878-1879 p. 1187).
Ainsi gagnée devant le pays, la cause est perdue au parlement. La loi passe le 6 juin à la Chambre, par sept voix (page 167) de majorité, au Sénat, le 18 juin, par une seule. Promulguée le 10 juillet, elle réalise les prédictions de Malou : elle divise le pays en deux camps et provoque la résistance acharnée des catholiques.
Les évêques formulent les directives générales. Ils agissent d’abord séparément, chacun dans son diocèse. Le 1er septembre 1879, ils publient une déclaration collective contre l’enseignement de l’Etat, sous forme d’Instructions pratiques à l’usage des confesseurs. Ils condamnent les écoles officielles, interdisant aux parents catholiques d’y envoyer leurs enfants et aux instituteurs de continuer à y enseigner, sous peine de refus d’absolution. Ils prévoient cependant des dispenses individuelles, à accorder selon les cas par les curés et par l’Ordinaire du lieu. Ils dissipent ainsi toute équivoque sur la distinction subtile faite par Frère-Orban « entre écoles et écoles ». Ils réprouvent la loi, sapent son influence. Ils galvanisent les fidèles (P. Verhaegen, op,. cit., p. 163). La Droite parlementaire eût préféré des sanctions moins sévères pour les parents et les instituteurs; elle craint la réaction des libéraux (Woeste, Mémoires, t. I, p. 166). Le ministère voudrait que Rome désavouât l’attitude, trop intransigeante à son gré, des évêques. N’obtenant pas satisfaction, il rompt, le 5 juin 1880, les relations diplomatiques avec le Saint- Siège. Pourtant, le 14 juin, les évêques publient une dernière ordonnance, qui atténue les précédentes. Mais ce n’est pas le désaveu qu’attendait Frère-Orban.
Les évêques, les prêtres, les laïques organisent l’enseignement libre. Les Comités de résistance se transforment en Comités scolaires, répartis par paroisses, doyennés et provinces. Chaque comité paroissial est composé du curé et de cinq à dix laïques. Ses attributions sont nombreuses et diverses. Faire comprendre aux parents qu’ils ont le devoir d’envoyer leurs enfants aux écoles catholiques, neutraliser toute pression que le gouvernement ou l’administration communale voudraient exercer sur eux, répandre les brochures et les journaux favorables à l’enseignement libre, créer une caisse scolaire, construire, aménager et entretenir des écoles, nommer les instituteurs présentés par l’inspecteur à l’évêque qui les agrée, payer ces instituteurs et les surveiller telle est la tâche des comités paroissiaux jusqu’en 1884. Les comités de doyenné, qui groupent les membres de plusieurs (page 168) comités paroissiaux, rendent compte de l’état des écoles dans leur circonscription; ils résolvent les difficultés qui dépassent le ressort strictement local. Ils servent surtout d’intermédiaires entre les paroisses et les comités provinciaux (P. Verhaegen, op. cit., pp. 167-168).
Les comités provinciaux s’occupent de l’organisation scolaire en général. Ils se composent de vingt à trente membres, laïques en majorité hommes politiques, journalistes, propriétaires, industriels, représentants du corps enseignant. Ils se réunissent régulièrement aux chefs-lieux de province. Celui du Brabant, que Malou préside lui-même, comprend neuf représentants, trois sénateurs, plusieurs conseillers provinciaux et hommes de loi, en tout vingt-trois membres. Il décide de maintenir le programme en vigueur et les manuels adoptés sous le régime de la loi de 1842. Une commission de jurisconsultes constituée dans son sein examine les litiges relatifs aux écoles nouvelles; elle donne des consultations pour la Belgique entière. A Namur, le comité se subdivise en quatre sections de législation, d’hygiène, d’enseignement et d’exécution. Partout, les comités assument les intérêts généraux de l’enseignement primaire, correspondent avec les associations locales, forment une caisse centrale dont les fonds sont répartis entre les écoles les plus nécessiteuses, s’occupent, enfin, des écoles normales diocésaines. A côté d’eux, des inspecteurs laïques, par province et par canton, sont chargés de la partie technique de l’instruction; des inspecteurs ecclésiastiques surveillent, comme par le passé, l’éducation morale et religieuse. Ces différents comités ne sont jamais à court de membres; ils se recrutent avec la plus grande facilité dans toutes les couches de la population (P. Verhaegen, op. cit., pp. 168-170).
Le personnel en fonction le jour du vote est brusquement placé devant l’alternative : la conscience ou l’intérêt. Le gouvernement voudrait bien qu’il ne s’égaille pas. Il use de pression. Les jeunes qui offrent leur démission, il les met en demeure de restituer le montant des bourses d’études que l’Etat leur aurait allouées jadis; il leur retire l’exemption prévue et les astreint au service militaire. Aux plus âgés, il dénie le droit à la pension; il conteste même les droits de leurs veuves et de leurs enfants. Il ne répond plus aux demandes ou n’y fait droit que sous engagement de ne pas se mettre au service de l’enseignement libre (S. Balau, op. cit., p. 299). Que va-t-il se produire ? Quelle sera la réaction (page 169) des 7.550 membres que compte approximativement le personnel des écoles communales ? On compte 1.750 démissionnaires, dès la fin de 1880. En 1884, on en compte 2.253 : 1.200 instituteurs et 1.053 institutrices. Un tiers du total ! Les maîtres des établissements adoptés, congréganistes ou laïques renoncent presque unanimement aux subventions officielles et restent dans l’enseignement libre. Les écoles normales catholiques se passent d’agréation et n’en poursuivent pas moins leur tâche. Les catholiques remportent une victoire éclatante.
C’est une victoire de héros. Que ne peut-on les citer tous à l’ordre du jour de la cause qu’ils servent avec une abnégation parfois sublime ! « Je vous remercie de la confiance que vous m’avez témoignée jusqu’ici, écrit l’un d’eux au conseil communal de Verviers, mais je suis catholique, et je ne puis, sans trahir ma conscience, coopérer à l’exécution de la nouvelle loi sur l’enseignement primaire ». Un inspecteur déclare au ministre de l’Instruction publique : « Ce n’est pas par des actes de proscription que vous parviendrez à refaire entre les membres de la grande famille belge l’union désormais brisée par votre loi impolitique ». Dans une pauvre localité du Hainaut, l’instituteur communal offre ses services au curé : « Si vous pouvez seulement me garantir la provision de blé et de pommes de terre pour mes enfants, je n’en demande pas davantage » Une institutrice gantoise, tombée malade en août 1879, touchera son traitement pourvu qu’elle reste au service de la commune. Elle préfère sacrifier son gagne-pain : « Je ne veux pas rester un instant dans un enseignement qui doit éteindre dans l’âme des enfants tout esprit de foi » (P. Verhaegen, op. cit., pp. 172-175).
Les démissionnaires de l’officiel passent au service des écoles libres. Ils en fournissent les éléments directeurs. Mais il faut encore des auxiliaires. Ici, des jeunes filles instruites viennent doubler les religieuses et les anciennes maîtresses, trop peu nombreuses. Chez les garçons, ce sont les vicaires, voire les curés, qui font la classe en attendant les instituteurs qualifiés. Aucun dévouement n’est repoussé. Les comités scolaires développent les écoles mixtes où, par classes séparées, les garçons et les filles sont confiés à des religieuses. Des écoles normales sont fondées, dont une à Malines, sous la direction immédiate du cardinal. Grâce à leur labeur, tous les cadres sont remplis, dès la fin de 1881. La presse, les inspecteurs et les comités scolaires (page 170) rivalisent dans l’organisation d’une publicité, fort vaste pour l’époque. Le Bulletin des écoles catholiques, hebdomadaire fondé quelques jours après la promulgation de la loi de malheur pour la défense et la propagation de l’enseignement libre, rend les plus grands services (P. Verhaegen, op. cit., pp. 184-189).
Les ressources sont fournies par toute la population. En principe, elles doivent être recueillies et dépensées sur place. C’est dire que chaque paroisse doit pourvoir elle-même aux frais de ses écoles, selon les possibilités de sa caisse scolaire. Les évêques et les comités provinciaux se réservent les dépenses de l’enseignement normal et les traitements des inspecteurs; ils subventionnent aussi les paroisses trop indigentes. Les dons affluent de la part des nobles, des bourgeois, du petit peuple des villes, des paysans. Tous veulent contribuer à l’érection ou à l’entretien d’une école libre. Le clergé paroissial se dépouille parfois jusqu’à l’héroïsme, surtout dans les régions pauvres de la Campine et de l’Ardenne. Le Denier des écoles catholiques, établi à Gand depuis 1876, essaime dans les principaux centres. Ses sections se fédèrent et tiennent une première assemblée générale à Termonde en septembre 1879, avec dix mille adhérents, représentant trois cents sociétés. Il place des troncs dans les églises. Aux réunions de famille, aux fêtes, ducasses et kermesses, en toute circonstance favorable, ses membres organisent des collectes en faveur des écoles. A Gand, l’administration libérale essaie d’entraver leur action; ils se vengent en manifestant ! Le résultat global est magnifique. Trente millions de francs récoltés dans le pays: vingt en espèces, une dizaine d’autres principalement en immeubles. En Flandre occidentale seulement, les comités locaux reçoivent pour leur part près de neuf millions. Rien qu’en 1879, les dépenses s’élèvent à quarante millions environ, couverts par une rente annuelle de neuf à dix millions. Une fois de plus, la charité des catholiques belges a fait merveille.
Les écoles existantes ne suffisent naturellement pas. On fera donc la classe n’importe où, en attendant les locaux neufs. A Baeleghem, c’est dans une grange : « Sans fenêtres, mais avec Dieu ». Un an après le vote de la loi, les catholiques ont ouvert ainsi plus de deux mille écoles : 2.064 exactement. En 1884, ils en ont 3.885, desservies par 8.713 instituteurs et institutrices. En 1878, sous le régime de la loi de 1842, ils n’ont que 13 % (page 171) du total des élèves. En décembre 1879, ils en accusent 379.277 contre 240.501. L’école officielle perd donc 59,7 % de sa clientèle, surtout dans les provinces flamandes et les campagnes. En octobre 1880, les écoles primaires libres comptent 455.179 élèves, les écoles légales, 294.356, soit une proportion de 60,73 % et de 39,27 %. Les gardiennats catholiques ont 125.201 enfants; ceux de l’Etat, 39.145, donc 76,18 % et 23,82 % respectivement. Dans l’ensemble, 63,5 % contre 36,5 % ( J. Malou, Recensement de la population des écoles primaires et gardiennes du 15 décembre 1880). Le gouvernement ne l’emporte au point de vue du nombre d’élèves que dans les provinces de Hainaut et de Liége.
Le ministère ne veut pas se laisser désemparer. Tant de succès le gêne, mais de quels moyens ne dispose-t-il pas ? A son tour, il se met à construire des écoles luxueuses comme des palais, dit-on dans le peuple, mais souvent fort peu peuplées. S’il veut avoir des instituteurs, il ne peut se montrer trop difficile. Il double les inspecteurs, comme s’il désirait impressionner favorablement les parents et se concilier les candidats à l’avancement. Il n’hésite pas à prendre des mesures, dont la constitutionnalité n’est rien moins que certaine. Il grève de dépenses scolaires le budget des communes, organise la délation par des agents à sa solde, fait pratiquer l’inscription fictive, séduit les parents par l’argument de l’intérêt, supprime des fondations de l’enseignement libre, ferme des écoles sous prétexte d’insalubrité, expulse des religieux, réduit le budget des cultes, etc. Les députations permanentes et les administrations communales catholiques résistent autant qu’elles peuvent. Elles l’emportent parfois, mais le plus souvent le ministère annule ou casse leurs décisions, au mépris de leur autonomie (« En réponse aux injonctions ministérielles, le conseil communal de Laroche décida successivement de supprimer l’école des filles, de ne pas accueillir les sous-institutrices intérimaires envoyées par le gouvernement, de ne pas payer leurs traitements; il adressa à ce sujet des pétitions à la Chambre, au Sénat, au Roi, tint bon devant les menaces du commissaire d’arrondissement et du ministre vau Rumbeeck, et obtint finalement gain de cause partiel par la suppression des places de sous-instituteur et de sous-institutrice, ». (29 mars 1885) (P. Verhaegen, op. cit., p. 247, note 3)). Dans plusieurs villes, des Comités de protection des catholiques pauvres se constituent afin de préserver les indigents.
Au parlement, la Droite reste en alerte. « Nous étions tous les jours sur la brèche, écrit Woeste, nos attaques ne faisaient grâce aux ministres d’aucune critique; au dehors, secondés par une pléiade de polémistes et de propagandistes, nous maintenions (page 172) en éveil l’ardeur de nos amis » (Mémoires, t. I, p. 209). Aux injonctions injustes et aux partialités des Bureaux de Bienfaisance, Jacobs oppose le principe que l’Etat doit faire la charité à tous parce qu’il est neutre, cela rentre dans sa mission de justice distributive, tandis que les particuliers peuvent l’accomplir selon leur conscience et leurs dispositions, parce qu’ils sont libres (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1879-1880, pp. 413-414). A diverses reprises, lors de la discussion du budget de la Justice, le même Jacobs accuse Bara de vouloir supprimer par étapes le budget des cultes. Il rappelle que les membres de l’Assemblée constituante ont reconnu la dette contractée par 1’Etat en nationalisant les biens du clergé et la charge d’y pourvoir par une somme spéciale. Les constituants de 1830 ont tenu le même langage que ceux de 1789. « La nation a contracté une obligation générale, elle doit la payer loyalement » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1879-1880, p. 57). En 1880, malgré la situation tendue, la Droite décide de participer aux fêtes du cinquantenaire de l’indépendance; le clergé se contente de célébrer des Te Deum officiels.
La Droite se dresse contre l’enquête scolaire, votée à la Chambre, le 23 mars 1880. La mesure est proposée par un représentant libéral. Elle a pour objet de rechercher par quels moyens les catholiques attirent la majorité des enfants dans leurs écoles. Malou, Woeste, Jacobs s’attachent à démontrer qu’elle est inconstitutionnelle et contraire à l’esprit du Congrès national. Le représentant d’Anvers, en un chef-d’oeuvre d’éloquence parlementaire, expose que le droit d’enquête, attribué aux Chambres, n’est qu’un moyen, limité par les prérogatives des autres pouvoirs et par les droits individuels garantis aux citoyens. « Sinon, ce serait faire de la Chambre une sorte de Convention à petits pieds » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1879-1880, pp. 755-758). Dans les mois suivants, les droitiers divulguent et stigmatisent les procédés, souvent tracassiers, des enquêteurs. Les conclusions de la Commission aboutissent à enchaîner et à surveiller l’enseignement libre. Machine de guerre, suscitée par le parti libéral, elle se retourne contre ses promoteurs. Aussi Malou peut-il dire à la Gauche : « L’enquête nous a procuré çà et là des succès. Nulle part, elle ne nous a fait de tort. A mesure que vous mettiez à la charge du clergé, des catholiques, tous les (page 173) crimes imaginables, les sympathies des populations se manifestaient de plus en plus et notre oeuvre grandissait en proportion même des injustices dont elle était l’objet » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1883-1884, p. 1102). Au début de 1884, la presse de Droite publie les comptes de l’enquête. Les débats parlementaires à ce sujet ont un retentissement énorme, tout à la faveur du parti catholique. Jacobs en profite pour rappeler aux représentants de la nation quelle est leur dignité « Le travail parlementaire ne se paie pas, il est payé par l’honneur de servir le pays » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1883-1884, p. 1053).
La Droite n’oppose pas moins de résistance aux autres projets de loi du gouvernement. En 1881, le ministère propose d’augmenter les prérogatives de l’Etat en matière communale et provinciale, afin de briser la résistance des députations permanentes et des municipalités catholiques. Woeste, nommé rapporteur de la Section centrale, parvient à « encommissionner » le projet. Il adresse des questionnaires volumineux aux institutions visées et ajourne ainsi l’examen de la question en séance publique. Le ministère tombe avant d’avoir pu faire discuter et voter le projet (Mémoires, t. I, p. 210).
La loi du 15 juin 1881 sur l’enseignement secondaire crée cent écoles nouvelles et prévoit que ce nombre pourra être augmenté, suivant les exigences, dans l’avenir. Les collèges libres subsidiés sont maintenus, mais il ne s’en ajoutera plus d’autres. Les communes sont autorisées à fonder des établissements secondaires, mais elles ne peuvent en supprimer sans l’approbation du gouvernement. Par contre, l’Etat peut en ouvrir sans leur assentiment, quoiqu’à leurs frais. Tous les professeurs de ces institutions doivent sortir des écoles normales officielles. Enfin, la loi décrète l’érection de cinquante écoles de filles afin que « l’unité d’opinions soit réalisée entre l’homme et la femme », selon les termes du rapport à la Chambre. L’arrêté royal du 26 septembre 1881 décide la création immédiate de douze athénées, de cinquante-six écoles secondaires de garçons et de quarante-six de filles. Jacobs remarque que précédemment on tenait l’Etat enseignant en bride, mais maintenant on lui jette la bride sur le cou. Woeste reproche à ses adversaires de construire des écoles avec les deniers publics, tandis que les catholiques disent également « Des écoles, toujours des écoles, (page 174) encore des écoles », seulement ils les paient de leur argent et de leurs sacrifices (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1880-1881, p. 891). Celles de l’Etat sont d’ailleurs peu fréquentées. En 1884, l’athénée de Thuin compte 27 élèves pour 7 professeurs; celui de Bouillon, 37 élèves pour 12 professeurs; celui de Virton, 60 élèves pour 13 professeurs, et les autres à l’avenant (S. Balau, op. cit, pp. 324-325).
Les questions électorales suscitent également des lois partisanes. Le ministère prend prétexte de fraudes, pour se livrer à des coupes sombres parmi les électeurs catholiques. La loi du 26 août 1878 exempte de contribution les personnes qui occupent gratuitement les habitations de l’Etat, des provinces et des communes. Il prive ainsi du droit de vote les curés qui résident dans des presbytères appartenant aux communes. Les remaniements d’impôts prévus par la loi du 26 juillet 1879 ont pour effet d’écarter d’autres électeurs de Droite. Celle du 30 juillet 1881 enlève aux députations permanentes toute juridiction en matière électorale et ravit aux catholiques leur prépondérance dans les conseils provinciaux en supprimant des voix d’électeurs campagnards. Enfin, la loi du 24 août 1883 confère le droit électoral à des capacitaires et le retire à une catégorie de contribuables. Mais la question du suffrage universel est une pomme de discorde entre les radicaux et les doctrinaires; elle affaiblit la position du cabinet. La Droite comprend que ces lois, qui restreignent le droit de suffrage, vont provoquer des réactions en sens contraire. Ces réactions, elle les attend avec confiance. Elle espère tirer du système censitaire le maximum de rendement, tout en ne sortant pas des limites constitutionnelles. Certains de ses membres, tel Alphonse Nothomb, sont même partisans du suffrage universel.
Dans la résistance catholique, la Fédération des Cercles occupe un rang d’honneur. Le 17 décembre 1878, son secrétariat adresse la circulaire suivante aux Cercles fédérés : « Il est de votre devoir de préparer dès aujourd’hui une résistance énergique au projet de loi antireligieux sur l’enseignement primaire; il faut y résister en éclairant les populations par des meetings, par des discours, par des écrits, par des pétitions, par tous les moyens d’influence légaux et pacifiques ». En 1879, à l’assemblée générale de Saint-Nicolas, Neut peut annoncer que les Associations constitutionnelles et conservatrices se joignent aux Cercles afin (page 175) de « grouper toutes les forces vitales du pays ». A cette date, quatre-vingts de ces organismes sont affiliés à la Fédération. Il nous manque malheureusement les rapports des sessions annuelles de ces années, sauf celui de 1883, qui nous permettraient de donner d’autres détails sur leur activité.
Voici du moins ce qu’on sait de la quinzième session de la Fédération, tenue à Audenarde, les 28 et 29 avril 1883. Les délégués de 104 Cercles et Associations sont présents. Neut, dans le rapport annuel, insiste sur la lutte acharnée à livrer au mal. Il adjure les assistants de combattre pour le bien par tous les moyens possibles : diffusion de la bonne presse, tenue à jour des listes électorales, campagne scolaire. « Vous voulez la liberté, leur dit-il, mais la liberté a ses combats, ses dangers et ses épreuves, c’est pour cela qu’elle est si grande, qu’elle est chrétienne. La lutte requiert trois conditions : le courage, le dévouement, l’amour de la patrie ». Il ajoute qu’à Bruxelles, la situation s’est améliorée; on y a bien travaillé; l’Association conservatrice, dirigée par Beernaert, répand des réclames électorales. Un peu partout, on prend des mesures de protection vis-à-vis des prêtres et des religieux, calomniés par la presse libérale. A Anvers, un procès, intenté contre des journaux qui ont diffamé des Jésuites, a été gagné par Beernaert. Au banquet, un bourgmestre dénonce l’anticléricalisme international de la franc-maçonnerie. Le comte de Liedekerke-Beaufort (1816-1890), représentant, rappelle l’esprit de la Constitution et du législateur en 1830 : liberté, initiative à la bourgeoisie, sauvegarde des institutions par l’Etat. Maintenant, c’est la lutte en Europe entre l’Etat-dieu, l’Etat-providence, et le catholicisme. Ce ne sont pas des écoles sans Dieu., mais des écoles contre Dieu, qui sont issues de la loi de 1879. Dans sa péroraison, l’orateur évoque le socialisme et le communisme, les adversaires de demain. Le 5 juillet 1883, un bref de Léon XIII bénit et encourage les Cercles augure de victoire pour 1884.
1884 est « l’Année des Merveilles », la bien nommée (H. Ryckmans, 1884 ou la Nouvelle année des Merveilles. Bruxelles, 1909). Une nouvelle Union nationale pour le redressement des griefs se constitue en vue de la lutte. Son nom est repris au mouvement de 1828. C’est l’oeuvre de quelques dévoués Jules de Burlet (1845-1897), bourgmestre de Nivelles, Léon Collinet (1842-1908) (page 176) de Liége, François Schollaert (1851-1917) de Louvain. Les rédacteurs du Bien public, surtout Verspeyen, l’appuient de leur plume et de leur parole. De futurs apôtres de la question sociale se distinguent dans ses rangs : Godefroid Kurth (1847-1916), Arthur Verhaegen (1847-1917) et Georges Helleputte (1852-1926). L’ambition de tous ces chefs, c’est de former, dans le pays légal, « une base d’opérations, une réserve prête à donner au moment opportun », un appui populaire comme le Volksverein l’est pour le Centre allemand (G. Verspeyen, Par la parole et par la plume, t. I, p. 180. Gand, 1903). Leur mouvement est donc plus large que celui de la Fédération des Cercles dont le président, de Cannart d’Hamale, est décidément trop âgé. Il est aussi moins compromettant, parce qu’il n’arbore pas franchement l’épithète de « catholique », l’épouvantail des timorés et des indifférents. Mais il se recrute parmi les membres des Cercles et des Associations conservatrices.
Le 4 février 1884, l’Union nationale tient sa première réunion dans la grande salle de conférence du Cercle catholique de Bruxelles, rue du Bois-Sauvage, derrière le chevet de Sainte-Gudule. On y voit des notabilités politiques de tout le pays : beaucoup de conseillers provinciaux, de présidents et de membres d’Associations conservatrices. Léon Collinet prononce le discours inaugural. Il commence par définir ce que l’Union doit être « Nous ne séparons pas la patrie de l’Eglise; en pays belge, ces deux causes se confondent. Tant que la Belgique sera catholique, elle vivra indépendante et heureuse. L’Union est une machine de guerre contre le libéralisme ». Il fait ensuite l’examen de conscience du parti : « Ayons le courage de le confesser avec sincérité et ferme propos de nous amender, nous, catholiques, nous avons trop peur de remplir généreusement les devoirs de la vie publique. Nous sommes souvent des citoyens trop mous. Nous nous émouvons un peu, à la veille des élections, nous nous agitons pendant la lutte, puis nous nous empressons de rentrer dans la vie privée. Les devoirs du citoyen s’imposent cependant aux consciences comme les devoirs du chrétien; disons mieux car cette division est fausse : tous les devoirs, tant ceux envers la patrie que les autres sont des devoirs chrétiens, ils sont voulus de Dieu et, chrétiens, nous devons les remplir mieux que nos adversaires... L’indifférence politique est coupable comme l’indifférence religieuse, la seconde engendre souvent la première ». Après la confession publique, il (page 177) précise l’attitude de l’Union envers la Droite « Le peuple catholique doit être à côté de ses mandataires; ceux-ci doivent représenter ses désirs, ses aspirations ». Il termine par la glorification de la lutte scolaire qui a réalisé « l’union la plus entière entre catholiques » (Bien public, 5 février 1884).
Guillaume Verspeyen insiste sur la nécessité d’un programme. « Il importe de ne pas laisser accréditer cette idée essentiellement fausse que le parti catholique a pour mission propre de servir de lest à l’équipage gouvernemental ou de frein à la locomotive libérale engagée sur une pente trop rapide ou dans une courbe difficile. Précisément, parce que nous sommes un parti religieux et conservateur, nous sommes un parti de gouvernement ».
Arthur Verhaegen, le secrétaire, révèle que l’Union est née du désir de quelques catholiques « d’élaborer en commun une sorte de manifeste, contenant l’exposé des faits et l’énumération des griefs dont le redressement s’impose à tous les coeurs honnêtes ». Il cite le chiffre de 250 adhérents, recrutés jusqu’à ce jour. A l’apostrophe de : « En avant, Messieurs, en avant », il convie les électeurs, les candidats et les mandataires à s’unir et à élever la voix, tous ensemble, en faveur des libertés méconnues; que cette voix « domine nos luttes politiques et, qu’au lendemain du succès, les voeux formels du pays catholique se fassent entendre et accueillir du pouvoir réparateur ». Il propose la propagande individuelle, des conférences et des meetings dans les Cercles pour recruter des adhérents à l’Union, le combat par la presse, enfin, ce trait d’union nécessaire entre les électeurs et les élus.
Le manifeste de l’Union est une « pétition des droits ». Il énumère d’abord les griefs de l’opposition et de la majorité des Belges : dans l’ordre matériel, le gaspillage des deniers publics avec, en guise de corollaire, la levée d’impôts nouveaux; du point de vue moral, les destitutions de fonctionnaires, les nominations partisanes, l’enseignement laïque, la rupture avec Rome, les cimetières profanés, les fondations confisquées, le service militaire imposé aux séminaristes, la magistrature humiliée, l’administration centralisée à l’excès, la monarchie menacée... La liste des redressements souhaités vient ensuite : que la Constitution soit respectée, les autonomies communales et provinciales rétablies, les élections loyales et vraies, les emplois publics justement (page 178) répartis, les relations reprises avec Rome, la loi de 1879 abrogée, la question des cimetières apaisée, la volonté des testateurs accomplie, les impôts réduits, qu’un ministère de l’Agriculture et de l’Industrie remplace celui de l’Instruction publique. Et avant tout le reste, réforme scolaire immédiate. Le manifeste se termine sur cette définition de l’Union : « C’est un centre de ralliement pour les catholiques, qui leur permette de se compter, de se grouper, d’affirmer leur volonté, de faire prévaloir une politique agissante et réparatrice, qui ne se laisse intimider ni par les résistances occultes ni par les violences de la rue » ( Bien public, 5 février 1884. H. Ryckmans, op. cit., pp. 78-82).
Après cette manifestation initiale, l’Union se répand rapidement dans le pays. Ses délégués sillonnent les provinces et tiennent des meetings : à Malines, Louvain, Gand, Bruges, Namur, Courtrai, Tournai, etc. Les Limbourgeois se disent « Unionistes de 1884 comme nos pères s’appelaient les unionistes de 1830 » (Bien public, 24 février 1884). Les Gantois protestent à la fois comme catholiques, comme patriotes et comme Flamands contre le régime libéral. Les libéraux, Wallons pour la plupart, ne sont-ils pas les ennemis de la foi ? Pour préserver la foi et aussi pour préserver la Flandre, il faut garder les traditions locales, les traditions chrétiennes, il faut parler sa langue. L’Union ne repousse pas les revendications linguistiques, tout en évitant de se laisser détourner de son but principal. Le Handelsblad d’Anvers demande que les griefs flamands soient ajoutés au manifeste de l’Union. Le Bien public lui répond à titre officieux que ce serait déplacé : ces griefs n’émanent pas du pays tout entier; ils menacent de semer la division sur une question non fondamentale. Le journal gantois rappelle que l’Union est fondée pour redresser les griefs du peuple belge catholique tout entier et qu’elle ne parle pas un langage étranger à son objet. L’unité du but commun ne saurait faire oublier les buts particuliers de certains arrondissements ou provinces (Bien public, 8 février 1884).
Le 6 avril 1884, au Cercle catholique de Bruges, Verspeyen traite du parti catholique et de son programme en général. Il constate que jusqu’à cette date, on se contentait de quelques déclarations parlementaires, mais que le vague des stipulations avait empêché la victoire des catholiques aux élections de 1882. (page 179) Maintenant, toute l’opinion s’intéresse au manifeste de l’Union nationale. Il redit le rôle de cette Union : « Elle aspire à être l’organe général et direct de la démocratie catholique, elle veut être l’appui de la Droite dans le pays, comme la franc-maçonnerie l’est pour le parti libéral ». Ce n’est pas un organisme nouveau : « Elle est dans les traditions catholiques et peut s’autoriser des exemples et des précédents les plus illustres, comme le mouvement déclenché par O’Connell dans l’Union catholique d’Irlande, l’Agence de 1830 en France, le Centre, les luttes patriotiques contre Joseph II et Guillaume Ier chez nous. Ne nous laissons pas matérialiser. C’est par son âme que l’homme est vraiment grand, et tout noble coeur mettra toujours le dévouement au-dessus du calcul et les convictions au-dessus des appétits. Le grand parti catholique n’est pas fait pour échouer dans un canal ou dans un port de mer aux eaux profondes. Nous nous croyons aussi patriotiques que. personne, nous accordons aux intérêts matériels et politiques, par exemple au port de Bruges, toute l’importance auxquels ils ont droit; mais nous ne consentirons jamais à ne point rester « catholique avant tout », à ne pas inscrire la liberté religieuse en tête de nos revendications » (Bien public, 8 avril 1884).
Le 21 avril 1884, l’Union nationale tient sa première assemblée générale à Bruxelles. Elle groupe tous les éléments de résistance et d’action. Elle constitue pour le parti catholique un surcroît de force et un point d’appui. N’est-elle pas l’organe qualifié d’une opinion publique puissante, respectable, recrutée dans toutes les classes de la société ? Six mille adhérents représentent une puissance avec laquelle il faut compter quand on vit en régime censitaire. Dans son discours, Léon Collinet insiste à nouveau sur la nécessité d’un programme : « La France, après les sanglantes épreuves de 1871, s’est rendue aux catholiques, mais la République est venue s’installer sur les ruines, grâce au défaut de programme. En Allemagne, la persécution commence. Les catholiques s’unissent, ils ont un programme, ils luttent contre le fonctionnarisme, contre l’homme le plus puissant du siècle, et ils sont à la veille de triompher ». On acclame les résolutions suivantes : « L’Union félicite hautement les membres de la Droite parlementaire de leur énergique opposition aux lois oppressives et anticonstitutionnelles votées par la majorité; elle leur promet le concours actif de ses membres dans (page 180) les luttes électorales prochaines. Elle exprime la confiance que, répondant aux voeux du pays, les membres de la Droite n’acceptent le pouvoir que pour supprimer le ministère de l’Instruction publique, remplacer la loi de malheur par une législation consacrant, en matière d’enseignement, la liberté des communes et les droits des pères de famille, repousser toute aggravation des charges militaires, redresser successivement les autres griefs des catholiques et rétablir ainsi la paix publique » (Bien public, 22 avril 1884).
Qu’on ne s’y méprenne point ! L’Union nationale comprend des sénateurs et des représentants, certes. Mais elle s’est formée sans l’appui de la Droite, sans son appui officiel du moins. Dans son discours du 21 avril, Verspeyen ne dissimule pas quelle fin de non-recevoir lui fut opposée : « On nous a dit que nous n’avons pas demandé l’adhésion de la Droite. Il n’eût tenu qu’à nous de voir cette assemblée présidée par un de ses membres. Cette adhésion, nous en sommes convaincus, viendra spontanément... » Or, elle ne vint jamais... L’Union et la Droite visaient au même but, par des moyens différents. Elles suivaient des voies parallèles, - mais ne cheminaient pas la main dans la main. La première n’avait aucune crainte, affichait ses revendications, parlait haut et ferme, osait déclencher une offensive; l’autre restait engoncée dans sa timidité, toute au souvenir d’expériences cuisantes, n’ayant pas assez de dynamisme pour se ruer en avant. Les parlementaires, d’autre part, ne s’en laissent pas imposer par les premiers venus. Ils entendent réserver leur liberté d’action, pour l’hypothèse d’une réélection. Cosi fan tutti. Les Congrès de Malines, où le parti catholique a forgé ses armes, ne doivent rien à l’initiative des parlementaires catholiques. Les élections de 1884, triomphe sans précédent dans notre histoire, sont également l’oeuvre d’outsiders plus audacieux.
Les chefs de la Droite ne méconnaissent pourtant pas la nécessité d’alerter le pays légal de concrétiser ses revendications unanimes et de se tracer, par avance, un programme de gouvernement (L. Van Hoorebeke, Histoire de la politique contemporaine de la Belgique depuis 1884, p. 45. Gand, 1905). Le 3 février 1884, à l’occasion du XXVème anniversaire de l’Association conservatrice d’Anvers, Jacobs propose trois réformes - trois réformes seulement : « Réforme scolaire, abolition d’une loi qui gaspille, dans les écoles, dont plus de la moitié du pays ne veut pas, le double de ce que coûtaient les écoles qui convenaient à tout le monde. Réforme électorale, (page 181) étendant le droit de suffrage dans les limites constitutionnelles. Réforme ayant pour but de développer l’autonomie des provinces et des communes » (A. Bellemans, op. cit., p. 549). Le 1er juin, à l’assemblée générale de l’Association catholique de Bruxelles, Beernaert annonce la lutte générale dans tout le pays. Malou s’adresse en ces termes à ses électeurs de Saint-Nicolas : « Vous vous montrerez fidèles aux traditions de nos populations de la vieille Flandre, en voulant faire cesser une domination insupportable. Je vous demande à tous de vous livrer maintenant à l’apostolat électoral » (H. Ryckmans, op. cit., p. 198).
A la Chambre, l’opposition poursuit le combat. Elle s’élève contre la proposition d’enquête sur les biens des religieux, déposée le 23 janvier 1884. Le professeur Laurent vient d’entamer son projet de révision du Code civil; il dénie la personnalité juridique aux couvents. Jacobs reproduit l’argumentation par laquelle il a déjà combattu l’enquête scolaire : « Où la Chambre ne peut légiférer, dit-il, elle ne peut enquêter. La Constitution ne permet pas d’établir une législation spéciale pour les religieux; on ne peut donc faire une enquête spéciale sur eux ». Il fait entrevoir les conséquences possibles d’une telle mesure : « Une fois l’égalité de la loi rompue, le droit d’association entravé pour quelques-uns, la liberté individuelle d’un certain nombre soumise à une surveillance spéciale, leur propriété assujettie à des mesures d’exception, on en arrivera à transformer l’exception en règle et au lieu d’avoir, ce qui est l’honneur de la Belgique, l’égalité dans la liberté, on arrivera à l’égalité dans la servitude » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session 1883-1884, p. 1183). Gagnés par le courageux exemple d’Eudore Pirmez, qui défend la liberté des moines à l’égal de celle des autres citoyens, quatre autres libéraux se séparent de leur parti. La prise en considération est rejetée à deux voix de majorité.
En cette année 1884, la Fédération des Cercles est moins hardie que l’Union nationale. De Cannart d’Hamale ayant démissionné, « il ne reste plus à sa tête que Neut, secrétaire général, dont la position n’est peut-être pas à la hauteur de son zèle » (Woeste, Mémoires, t. I, p. 213). Les chefs de la Droite, d’accord avec Mgr Goossens (1827-1906), archevêque de Malines, décident Beernaert à accepter la présidence. Les 26 et 27 avril, la seizième assemblée (page 182) annuelle groupe les délégués de cent huit Cercles et Associations à Marche. On y apprend d’excellentes choses sur l’activité de nombreux Cercles et sur la préparation de la lutte électorale. Beernaert prononce un discours sensationnel. Après Jacobs, il indique les devoirs du prochain ministère réforme électorale; restauration de toutes nos libertés, de nos franchises communales et provinciales; abolition de la loi scolaire; remise de l’enseignement primaire public à la commune. Il fait appel aux catholiques, à tous les catholiques : « Le gouvernement conservateur de l’avenir aura besoin de tous les dévouements : de celui qui agit, qui marche, qui paie. La vie n’est qu’une longue lutte. La résignation n’est pas une vertu politique. Que personne ne dorme et que tout le monde soit debout. Désormais, nos devoirs de citoyens et nos devoirs de chrétiens dans la vie publique se confondent en une tâche unique la résistance aux ennemis communs de nos institutions et de notre foi. On nous demandait il y a quelques jours si nous étions décidés à vaincre. Nous répondons par ce seul mot : En avant » (Bien public, 28 avril 1884).
Peu avant les élections, une nouvelle liste électorale se constitue dans l’arrondissement de Bruxelles, fief libérai depuis 1840 comme on le sait. C’est la Liste « Nationale Indépendante ». Woeste en critique le nom, ce nom qui « paraît impliquer le désir de former un parti, distinct de la Droite » (Mémoires, t. I, p. 214). Ce que les « Nationaux Indépendants » espèrent, c’est gagner des éléments flottants qui ne se feraient pas scrupule de voter encore bleu, et des libéraux écoeurés des manoeuvres de leur parti, qui ne donneraient pourtant pas leurs voix aux catholiques. Idéal souvent poursuivi, rarement atteint, mais qui n’est pourtant pas utopique. Dans cette coalition des modérés, se trouvent notamment le comte Adrien d’Oultremont (1847-1907), - le gendre de Malou -, le comte Henri de Mérode-Westerloo, - le futur ministre des Affaires étrangères -, Gustave van der Smissen (1854-1925), - avocat de talent, qu’un drame passionnel va rendre célèbre. La liste groupe encore - ingénieur, médecin, publiciste, peintre d’histoire, ancien conseiller à la Cour de cassation, lieutenant général en retraite, - des hommes de toutes professions. Parmi eux, quelques libéraux désabusés, mais surtout des catholiques notoires. Il semble que l’idée première d’un parti qui serait « neutre » sans l’être, appartienne à van der Smissen; (page 183) elle aurait été mise au point par Beernaert (H. Soumague, Chiennes d’enfer, p. 80. Bruxelles, 1943). Son manifeste, nous le connaissons déjà. C’est celui de l’Union, de la Fédération de Cercles, de tous les ennemis du sectarisme : « Apaisement par la liberté, voilà le programme. Liberté rendue à la religion, aux communes et aux provinces, aux familles et à l’enseignement » (H. Ryckmans, op. cit., p. 197).
« Les catholiques n’ont jamais été aussi unis » : Beernaert le proclame à Gand, dès 1882; il le répète à Marche, en cette glorieuse année de 1884. Les élections provinciales du 25 mai leur assurent un premier succès. Tous les soirs, au Temple des Augustins, Fossé-aux-Loups, à Bruxelles, quand le Patriote, l’« Innommable », sort les affiches de l’Association conservatrice et des Nationaux-Indépendants, les badauds s’attroupent, les commentaires vont leur train; les catholiques même osent parler à voix haute (H. Ryckmans, op. cit., p. 206). Les Cercles et les Associations accomplissent leur travail, non sans fébrilité. C’est le coeur gonflé d’espoir que les électeurs des cinq provinces, soumises à la réélection - le Brabant, Namur, Anvers, le Luxembourg et la Flandre occidentale - se rendent aux urnes, ce matin du mardi 10 juin. Dans les campagnes, on les voit affluer vers les chefs-lieux d’arrondissement, en chars à bancs, en breaks ou en calèches, selon leur rang, tous en habits de fête. Dans les villes, tout le monde est en chômage, à l’exception des cabaretiers et de la force armée : les étudiants pour provoquer les « spontanéités foudroyantes », les ouvriers pour les seconder au besoin, les petits négociants soucieux de préserver leur devanture. Taches immobiles parmi l’animation des boulevards : les bouquetières ont des paniers de bluets et de coquelicots. Des bluets pour les libéraux, et des coquelicots… pour les catholiques.
Les résultats sont foudroyants. A Bruxelles, les candidats Indépendants passent tous les seize; Pierre van Humbeeck, le père de la loi de malheur, Olin (1836-1899), rapporteur de ladite loi, et d’autres personnages moins considérables mordent la poussière. Dès quatorze heures, une joyeuse effervescence règne au Cercle catholique de la capitale, où les premiers résultats des provinces arrivent par le télégraphe. A Anvers, les huit candidats de la liste du Meeting sont élus à 1.400 voix de majorité. A Neufchâteau, à Ostende, à Namur, à Philippeville, à Marche, à Bruges, à Nivelles, les catholiques remportent aussi. Des vingt-neuf (page 184) représentants libéraux sortants, deux seulement sont réélus. On ne chante plus :
« A bas Malou,
« Il faut le pendre, la corde au cou; »
mais une variante de circonstance :
« A bas Bara,
« Il faut le pendre, la tête en bas. »
Les jeunes gens, écrit Woeste, dansent de bonheur. Les noms des chefs de la Droite sont acclamés. Le soir, devant le local illuminé, gardé par un détachement de la garde civique à cheval, les gens crient : « Vivent les catholiques ». Beernaert est porté en triomphe (Woeste, Mémoires, t. I, p. 222). Acceptant une gerbe, il a ce mot : « Vous nous offrez des fleurs, nous espérons vous rendre des fruits ». Faut-il retenir quelques bagarres ? Les catholiques passent de 59 à 70 à la Chambre, sans compter les 16 Indépendants bruxellois; les libéraux ne sont plus que 52. Le lendemain, le ministère donne sa démission. « Les élections du mépris » qu’Edmond Picard, l’enfant terrible du libéralisme, avait prédites dans le National du 7 juin, viennent d’avoir lieu.
Et voici le ministère catholique du 16 juin 1884. C’est encore le vieux Malou qui le forme, gardant pour lui-même le portefeuille des Finances. Il donne l’Intérieur à Jacobs, à Woeste la Justice. Beernaert rentre à l’Agriculture, à laquelle s’ajoutent l’Industrie et les Travaux publics. Le général Pontus (1829-1907) devient ministre de la Guerre. Il y a encore deux nouveaux venus : le chevalier de Moreau d’Andoy aux Affaires étrangères et Vandenpeereboom aux Chemins de fer. Une brillante équipe au total.
Le chevalier de Moreau sort de la Faculté de droit de l’Université de Liége. Il y a étudié les problèmes sociaux, tandis qu’il s’initiait à l’action dans la société ouvrière Saint-Joseph, la seule qui existât dans la Cité ardente vers 1860. Le Play l’attire. Il écrit un livre pour défendre la liberté successorale et les autres droits de la famille (Le testament selon la pratique des familles stables et prospères, 1873). En 1881, il est au nombre des fondateurs de la société belge d’Economie sociale, qui développe (page 185) la méthode scientifique de Le Play. Il devient bourgmestre de sa commune, puis membre du conseil provincial de Namur. Député depuis 1876, c’est dans l’opposition qu’il parachève son entraînement politique (E. Van der Smissen, Le baron de Moreau, p. 10, Bruxelles, s.d.). Il apporte au ministère une collaboration laborieuse et dévouée.
Jules Vandenpeerehoom (1843-1900) est la figure la plus originale du cabinet. Malou, son cousin, lui demande s’il accepterait les Chemins de fer. Il répond : « J’essaierai », et l’essai dure quinze ans (1884-1899). Enfant de la « Mère Flandre », son portrait a été tracé de main de maître par Prosper de Haulleville. « Cet honnête homme, qui s’appelle en flamand Monsieur du Poirier, ne paie pas de mine. Sa tête ovale, gothique, penchée en avant et se détachant d’épaules prématurément voûtées, n’est remarquable que par les yeux dont l’éclat intermittent est extraordinairement brillant. Sa démarche est méditative et lente. C’est un moine du XIIIème siècle, ministre de tout ce qu’il y a de plus moderne : la vapeur, l’électricité, les chemins de fer, les télégraphes et les postes... Il se soustrait autant qu’il peut aux « devoirs du monde » qui lui sont imposés par son rang et sa dignité. Il retourne de bonne heure at home, pour se coucher comme les gens rangés, en finissant la journée, de même qu’il l’avait commencée, par l’oraison, car ce moderne dit ses heures. Au parlement, il parle souvent à la première personne, avec des pronoms possessifs, « mon ministère, mes employés, mes bureaux »; c’est une habitude provenant de l’identification presque complète de sa personne avec sa besogne quotidienne. Les fonctionnaires de son département l’expérimentent et lui rendent pleine justice. Ils savent sa franchise et sa conscience scrupuleuse à toute épreuve. Ses qualités sont telles qu’à certains moments, il a les apparences d’un bourru, d’un brutal ou d’un entêté. Sa « brutalité » est de la conviction exprimée sans fard, son « entêtement » est le résultat de longues et minutieuses réflexions. Avant de prendre parti, il examine avec soin la question à trancher, il la retourne en tous sens, il l’analyse, hésite un moment, puis s’arrête à une résolution qui devient alors inébranlable » (Portraits et Silhouettes, t. II, pp. 75 et suiv. Bruxelles, 1890, 2 vol.).
Après un triomphe comme celui du 10 juin, Malou ne peut reproduire sa politique de 1871. Il ne peut plus se contenter de vivre, ni de conclure des transactions, vaille que vaille. Avant d’abroger la loi de malheur, - ce qui semble bien sa raison (page 186) d’être, - il veut redresser quelques griefs d’ordre administratif. L’Instruction publique, de triste mémoire, est rattachée au ministère de l’Intérieur. De hauts fonctionnaires, odieux à la majorité, sont révoqués. Woeste, ministre de la Justice, arrête net, - un peu trop net, selon sa manière, - la revision du Code civil, du professeur Laurent. Il publie une circulaire relative aux conseils de fabriques d’église. Il modifie la jurisprudence de son prédécesseur, Bara, en matière charitable, en ratifiant « les clauses testamentaires qui font dépendre la distribution des libéralités de l’assistance aux services religieux, et en refusant d’autoriser, au profit des établissements publics, les legs ou dons faits à des oeuvres libres ». Jacobs et lui laissent aux bourgmestres de décider s’il faut, oui ou non, diviser les cimetières selon le décret du 23 prairial an XII. Le Sénat est dissous et de nouvelles élections, le 8 juillet, donnent aux catholiques une majorité de seize voix à la Chambre Haute. Le 21 juillet, les ministres assistent au Te Deum, ainsi que l’on avait accoutumé de faire entre 1830 et 1880. Ils convoquent les Chambres en session extraordinaire pour le lendemain même et leur présentent deux projets : sur le rétablissement des relations avec le Vatican et sur l’instruction primaire (Woeste, Mémoires, t. I, pp. 233-248).
La reprise des relations diplomatiques entre la Belgique et le Saint-Siège donne lieu à un débat d’ensemble sur la politique du gouvernement. Woeste et Jacobs en sont les champions, les « athlètes » selon le mot de Malou, et aussi les vainqueurs. Les crédits sont votés le 4 août par la Chambre et, le 4 septembre, par le Sénat. Les libéraux manifestent leur mécontentement. Et, comme il arrive, nos incidents de rue grossissent démesurément en passant la frontière. Mgr Ferrata (1847.1914) se laisse impressionner. Il tarde à rejoindre son poste et ne quitte Rome que sur l’ordre exprès de Léon XIII. Il débarque à Bruxelles, le 30 mai 1885, pour ainsi dire incognito. Les jours suivants, la presse libérale fait feu des quatre fers. Mais l’orage ne dure pas (Cardinal Ferrata, Mémoires, t. I, p. 290. Rome, 1920, 3 vol.). La question est résolue. La Belgique redevient « le paradis des nonces ».
Le nouveau projet sur l’enseignement primaire réagit fortement contre la loi de 1879. Certains catholiques n’en sont cependant pas satisfaits. Leur désir, à ces intransigeants, aurait été de bouter « l’Etat hors de l’école », en supprimant les subsides gouvernementaux à tous les établissements sans distinction, (page 187) communaux et libres. D’autres demandaient que les subsides soient répartis entre les écoles au prorata du nombre d’élèves, et que les communes paient pour les pauvres. Jacobs et Woeste, les auteurs du projet, rejettent toutes ces outrances. Malou, le grand argentier, veut rétablir l’équilibre du budget et diminuer les impôts; il refuse de subsidier les écoles libres, trop nombreuses à son gré. Aucun des ministres ne désire revenir au système de 1842, ce qui serait le voeu du Roi et des libéraux modérés. « Les transactions une fois rompues ne se refont pas », déclare Jacobs. En prévision d’un retour possible des libéraux au pouvoir, les catholiques ne veulent pas abandonner leurs écoles dont la nécessité deviendrait moins impérieuse sous la restauration du régime de 1842. Ils veulent accomplir « une oeuvre de décentralisation au profit des communes et une oeuvre de pacification religieuse » (Woeste, Mémoires, t. I, p. 250. A. Bellemans, op. cit., pp. 559 et suiv.).
Le projet de loi accorde aux communes l’autonomie dans les matières scolaires, voilà son caractère essentiel. Chaque commune doit avoir au moins une école à elle, sur son territoire. Elle peut adopter, subsidier des écoles privées, en établir de confessionnelles ou de neutres. Le personnel enseignant doit être diplômé, mais son choix n’est plus restreint aux normalistes de l’Etat. Le pouvoir central n’intervient que par l’inspection et par ses subsides : double moyen de contrôle et de contrainte dont on comprend l’utilité. La commune reste libre de porter l’instruction religieuse et morale à son programme. Elle peut l’imposer si vingt pères de famille le demandent. En cas de refus de sa part, le gouvernement a le droit d’adopter une ou plusieurs écoles libres à la convenance des parents.
Dans l’ensemble, ces dispositions sont trop exclusivement négatives. C’est bien d’obliger chaque commune à avoir une école; mais n’est-ce pas livrer les catholiques au mauvais vouloir des administrations libérales, lesquelles continueront d’entretenir des classes neutres sans aider l’enseignement privé ? Pour ne pas devoir adopter des instituts confessionnels, la plupart des communes libérales admettront le cours de religion dans leurs écoles, qui demeureront neutres pour tout le reste. Situation paradoxale. Les catholiques doivent continuer à subir, sous le gouvernement des leurs, le régime de la neutralité tant décrié durant la lutte scolaire. La loi présente donc des lacunes sérieuses; (page 188) ce n’est qu’une demi-réparation. Mais le ministère pouvait-il faire mieux ? Il vaut la peine d’y regarder de plus près.
Le parti catholique accède au pouvoir à un moment difficile. Non seulement le pays légal, mais toute la nation est agitée par cinq ans de lutte scolaire, de polémiques passionnées, de manifestations tumultueuses. Le baromètre politique marque « orage » ou « tempête ». Pour l’empêcher de s’y fixer, les ministres proclament le principe de la liberté scolaire et ils l’appliquent logiquement, strictement, au préjudice même de leur parti. Ils n’estiment pas possible de revenir en arrière, car l’unionisme est bien mort. Ils ne veulent pas davantage de « loi cléricale », réplique de la loi de malheur, mais en sens contraire. Ils respectent donc l’autonomie communale et n’imposent pas l’enseignement religieux. « Nous avons cru, étant au pouvoir, ne pas devoir réaliser intégralement notre programme d’opposition, nous avons cru devoir faire acte de conciliation » (Annales parlementaires, Chambre des Représentants, session extraordinaire, 1884, p. 171). Cette conciliation leur est d’ailleurs impérieusement conseillée par Léopold II, qui veut l’apaisement en vue d’obtenir la souveraineté du Congo (aux deux tiers des voix), puis, des réformes militaires. Le Roi écrit dans ce sens à Malou; les ministres défèrent à son désir par quelques concessions relatives à l’inspection et à l’adoption des écoles. Mais sur le reste, ils sont décidés à ne pas transiger et à tenir tête à l’émeute, si elle se reproduit (Baron H. de Trannoy, « Léopold II et Jules Malou en 1884 », p. 930, dans la Revue générale, t. CII, 1919, pp. 927-952). Ils ne veulent pas voir se renouveler 1857 ou 1871.
Il ne semble donc pas que le ministère du 16 juin ait pu faire beaucoup mieux. L’opposition veut lui rendre la vie dure. Le Roi ne le soutient qu’à demi. Détruire la législation sectaire, voilà ce qu’il y a de plus pressant; c’est par étapes qu’il faudra reconstruire ensuite. En attendant, les catholiques s’affermissent dans l’action politique. Le 10 août, les Associations libérales ayant projeté une manifestation « pacifique » contre le projet de loi, l’Association conservatrice de Bruxelles, encouragée par l’Union nationale pour le redressement des griefs, organise une contre-manifestation. « Citoyens catholiques, on veut nous mettre hors la loi. Nous opposerons manifestation à manifestation. Dans une attitude calme et digne, sans sortir de la légalité, nous donnerons au ministère un témoignage éclatant (page 189) de la confiance et du dévouement du pays catholique ». Les deux cortèges, canalisés sur des parcours différents par le bourgmestre Buls (1837-1914), se déroulent simultanément sans encombre. La journée réussit pleinement. Les catholiques ne craignent plus d’être renversés par l’émeute. D’ailleurs l’Association conservatrice de la capitale et le cercle des Indépendants fondent un Comité permanent d’assistance légale. Ce comité s’assigne comme tâche de recourir aux forces dont il pourrait disposer, chaque fois que le parti libéral fomenterait des troubles. Les rues de la capitale seront à tous désormais (Bien public, 11 août 1884).
A la Chambre, la discussion du projet se poursuit dans un calme relatif, du 11 au 30 août. Frère-Orban essaie vainement de le faire ajourner. Durant les premiers jours, les libéraux provoquent de l’agitation à la sortie des séances, aux abords du Palais de la Nation. Mais l’attitude ferme du gouvernement, qui a déjà requis la force armée, arrête les cris et les violences. Entre-temps, de nombreuses pétitions de catholiques arrivent au parlement et au Souverain pour demander l’abrogation de la législation antérieure, Au cours des discussions, l’opposition ne produit que des thèmes connus, pas d’arguments nouveaux : destruction de l’enseignement officiel au profit du clergé; multiplication des écoles libres et mise à sac des finances de l’Etat par les « Petits Frères »; l’ignorance et l’obscurantisme; la ruine des communes; l’injuste répartition des subsides... Jacobs y répond victorieusement qu’il faut faire confiance à la liberté et à l’application correcte de la loi (A. Bellemans, op. cit., pp. 566 et 568). Le projet est voté le 30 août, à la Chambre, à la majorité de quatre-vingts voix contre quarante-neuf et l’abstention de deux représentants Indépendants de Bruxelles; par le Sénat, le 10 septembre, par quarante voix contre vingt-cinq et une abstention.
Les libéraux espèrent encore que le Roi refusera sa sanction. Le 31 août, un cortège des Associations libérales, - 2.000 manifestants environ, - se déroule à travers Bruxelles, bannières et drapeaux déployés. Des pétitions sont déposées au Palais royal. Catholiques et Indépendants auraient voulu contre-manifester le même jour, mais l’autorisation leur en est refusée. Ils le font le dimanche suivant, 7 septembre. Le bourgmestre Buls a promis aux ministres de les protéger efficacement. Malgré cela, le défilé imposant, de près de 80.000 participants, venus de tous les coins du pays et groupant toutes les classes sociales, est (page 190) coupé et dispersé. Le sang coule et l’ordre n’est rétabli que vers six heures du soir. Woeste, ministre de la Justice, ordonne une enquête générale sur les événements de la journée. Un ordre du jour, presque unanime, du Sénat, blâme le bourgmestre en raison de l’insuffisance des mesures de police et des excès. L’autorité communale de Bruxelles interdit les cortèges politiques. Woeste pense que la journée a produit plus de bons que de mauvais résultats (Mémoires, t. I, p. 257). La prédiction d’un catholique reste encore au-dessous de la réalité : « Voilà qui nous vaut vingt-cinq ans; de maintien au pouvoir » (H. Ryckmans, Histoire d’un guet-apens. Le 7 septembre 1884, p. 162. Bruxelles, 1909).
Quatorze bourgmestres libéraux fomentent le Compromis des Communes : résurrection un peu burlesque du Compromis des Nobles, de 1566, comme si Léopold II ressemblait à Marguerite de Parme, ils sollicitent une audience royale. Ils sont reçus, le 17 septembre, avec autant d’amabilité que de fermeté. Le Souverain manifeste sa volonté de garder son serment constitutionnel en s’inclinant devant la volonté des Chambres, manifestation de celle du pays (Comte L. de Lichtervelde, Léopold II, p. 211. Bruxelles, 1926).
Les effets de la loi se font bientôt sentir. Un tiers des écoles normales est supprimé. Les athénées d’Ypres, de Bouillon, de Virton, de Dinant et de Thuin sont fermés. En 1887, sur les 2.500 communes du royaume, 225 n’ont plus que l’école adoptée; 800 ont l’école adoptée et l’école officielle; sur les 1.475 autres, un tiers environ a fusionné, dans l’école communale, l’école libre et l’école publique; 200 ne peuvent supporter la charge d’un double enseignement; restent 800 communes libérales, dont la plupart ont des cours de religion dans des écoles neutres. On ne peut donc pas accuser la Droite d’avoir abusé du pouvoir pour imposer davantage. Rien que dans les écoles communales, la population scolaire passe de 345.687 élèves en 1884, à 403.535 en 1885, et à 422.083 en 1887. Les alarmes de l’opposition sont donc vaines : l’enseignement officiel n’est pas ruiné, il progresse au contraire. De même, en matière d’administration communale, Jacobs invite les conseils communaux à pourvoir les échevinats vacants. Il ne nomme pas un seul échevin qui ne lui soit proposé par le conseil. Les catholiques pratiquent loyalement la décentralisation.
Les « athlètes » du ministère, Jacobs et Woeste, ne sont (page 191) malheureusement pas les amis de Léopold II. Le Roi leur reproche leur antimilitarisme notoire et leur cléricalisme : leur antimilitarisme, qui contrecarre ses propres desseins, leur cléricalisme qui risque d’entretenir l’agitation. Or, il veut la paix à l’intérieur, afin de réaliser ses ambitions coloniales. Puis, il doute encore du parti catholique, de sa force et de sa volonté (Comte L. de Lichtervelde, op. cit., p. 216). Il profite donc d’un échec relatif aux élections communales du 19 octobre 1884, et redemande leur portefeuille à Woeste et à Jacobs. Au moment même, son acte est fortement critiqué : le parti n’est-il pas de nouveau sacrifié, tout comme en 1871 ? « La majorité, la presse, les Associations conservatrices blâment sans ménagement l’usage que le Roi fait de sa prérogative. Le clergé, dont l’esprit a été échauffé par la lutte scolaire, condamne comme une trahison l’acte qui porte atteinte à ceux qu’il aime le plus » (Comte L. de Lichtervelde, op. cit., p. 213). Pourtant si les critiques sont acerbes, le principe d’autorité demeure intact. Malou, qui a formé le ministère, prend fait et cause pour ses collègues. Il quitte le pouvoir. Beernaert s’empare du gouvernail pour dix ans.
L’épreuve a été concluante. Le parti catholique a lutté et a vaincu. Son bilan ne présente qu’un solde actif : union entre ses membres, - les anticonstitutionnels ont disparu -, mobilisation de toutes les classes sociales dans la guerre scolaire, enseignement libre plus florissant que jamais, « opposition constructive » au parlement, ralliement de l’opinion, triomphe électoral. La journée du 10 juin 1884 clôt définitivement la période de tâtonnements et d’infériorité dans laquelle le parti avait végété depuis 1857. Elle inaugure une époque de stabilité dans l’exercice du pouvoir. La lutte religieuse ne sévit plus, du moins dans l’arène parlementaire. Ce sont d’autres questions qui concentrent l’attention générale : le service militaire personnel, les fortifications de la Mense et d’Anvers, le Congo, le développement économique du pays, les deux révisions constitutionnelles, le mouvement flamand, la restauration des finances, la monnaie, la législation sociale, etc. L’Union nationale pour le redressement des griefs, désormais sans objet politique, décide en séance plénière, tenue à Louvain, le 31 mai 1885, de convoquer des (page 192) congrès pour l’étude des questions sociales dans un sens chrétien. Son projet se réalise à Liége en septembre 1886, en 1887 et en 1890. Ainsi se termine son activité féconde. Le parti catholique belge a maintenant son organisation définitive dans la Fédération, vénérable aïeule autour de laquelle des institutions plus jeunes se grouperont dans l’avenir. Il va connaître d’autres destinées, mais retrouvera-t-il la pureté de son élan et la gloire de 1884 ? Son histoire ultérieure le dira.