(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)
L'armistice de Nikolsbourg et la question des compensations
(page 108) Les négociations pour la paix se poursuivaient et allaient entrer décidément dans une phase nouvelle. La question des compensations devait nécessairement se poser.
Le 19 juillet, le roi de Prusse, saisi de la médiation française, avait consenti, non sans peine, à une suspension d'armes de cinq jours, que l'Autriche accepta le lendemain. Elle aboutit aux préliminaires de Nikolsbourg, qui furent signés le 26 juillet.
Dès le 20 juillet, Nothomb signalait l'imminence d'une demande de compensations par la France : « ... dans des entretiens intimes on a soulevé la question des compensations que la France serait obligée de demander si la Prusse s'agrandissait outre mesure, de manière à alarmer l'opinion publique en France... »
Bismarck avait, en effet, formulé un maximum et un minimum d'annexions. Malgré les avertissements qu'on lui prodigua, Napoléon III laissa le champ libre au ministre prussien, tout en permettant à Drouyn de Lhuys d'amorcer la question des compensations, que Bismarck promit à Benedetti d'examiner plus tard.
Nothomb y faisait allusion dans une dépêche du 27 juillet : « Dans aucun document officiel il n'est jusqu'à présent question d'une compensation territoriale au profit de la France, ce qui ne veut pas dire qu'on n'en arrivera pas là, si les exigences de la Prusse deviennent exorbitantes et s'il faut à tout prix gagner la France... »
Le baron Beyens„ comme toujours, renseignait très minutieusement Rogier sur l'état d'esprit des sphères officielles et de l'opinion publique en France. Napoléon III, qui tenait tant au succès de sa médiation, ressentait une vive irritation contre l'Italie récalcitrante, (page 109) dont la mauvaise volonté suspendait tout résultat. A la demande de Rothschild, il était intervenu en faveur de la ville de Francfort, brutalisée et rançonnée par la soldatesque prussienne. Ce n'était pas suffisant pour donner le change à l'Europe et aux Français clairvoyants, ni pour dissimuler la faiblesse tolérante de la politique impériale à l'égard de la Prusse victorieuse. Le gouvernement français le sentait si bien, qu'il s'efforçait de pallier sa déconvenue en donnant à sa presse un mot d'ordre optimiste et en l'aiguillant vers la voie des compensations.
Le baron Beyens signalait, le 25 juillet, un article de « L’Opinion nationale », feuille très chauvine, qui reflétait volontiers la pensée du prince Napoléon et de la gauche de l’Empire : Elle « a commencée - disait notre ministre - à chercher des compensations à une trop forte Allemagne et a naturellement fait main basse sur nous ». Henri Brisson, le futur ministre radical de la troisième République, relevait avec vigueur, dans « Le Temps », l'extravagance de cette politique qui, s'attaquant à l'Angleterre joyeuse de voir s'élever une grande Prusse capable de tenir tête la France, conseillait de la punir en mettant la main sur Anvers et en reprenant partout les frontières naturelles, y compris l'archipel anglo-normand. Voilà, concluait Brisson, l'aboutissement de la campagne insensée menée naguère au profit de la Prusse : « une guerre nouvelle et terrible » pourrait bien en résulter.
Le tsar et Gortchakoff, son vice-chancelier, n'éprouvaient guère de sympathie pour l'Autriche, mais n'envisageaient pas sans regret la disparition imminente de certains Etats allemands. Leurs ambitions orientales les incitaient à se rapprocher de la France, dont les sympathies pour la Pologne les avaient naguère éloignés. De significatives avances furent faites à Lefebvre de Béhaine par le baron de Mohrenheim, conseiller de légation à Berlin, qui, au nom de Gortchakoff, pressa le gouvernement français de convoquer immédiatement un Congrès à Paris. Mais Drouynde Lhuys, très impolitiquement, déclina l'invitation.
Comme l'écrit Charles Roux dans son livre « Alexandre II, Gortchakoff et Napoléon III », c'était « le moment où la diplomatie impériale se laisse égarer par la Prusse à la recherche de compensations, rive gauche du Rhin, Belgique ou Luxembourg... (et) ... pour traiter d'un pareil sujet, Drouyn de Lhuys ne désirait pas beaucoup admettre des tiers entre Bismarck et lui. »
Nos diplomates se préoccupaient de l'importante question.
(page 110) Nothomb se demandait, le 27 juillet, si la seule chance de salut pour les Etats moyens serait perdue : « Si l'Empereur des Français accepte la proposition, c'est qu'il est sincère dans sa déclaration qu'il ne veut pour la France aucun accroissement territorial.
« S'il décline la proposition, c'est que le tête-à-tête avec M. de Bismarck lui convient et qu'il se ménage le moyen de faire un coup fourré comme celui de la Savoie et de Nice... »
La Russie propose la réunion d'un congrès
Les petits Etats allemands menacés d'absorption entrevirent une lueur d'espoir, qui s'évanouit presque aussitôt. La Russie, au lendemain de Nikolsbourg, proposa la réunion d'un vongrès européen, tout indiqué, à son avis, pour enregistrer l'acte de décès de la Confédération germanique.
La seconde hypothèse était évidemment la juste.
Le 29 juillet, Beyens écrivait à Rogier : « On m'a dit hier un mot du projet de Congrès. Les ambassadeurs d'Autriche et de Prusse n'en savaient rien et je n'ai pu voir l'ambassadeur de Russie. On m'a assuré que cela n'avait pas pris corps ici et que des ouvertures n'avaient été faites qu'à Berlin seulement. »
L'ambassadeur de Russie à Paris n'avait reçu que le 29 juillet l'avis officiel des ouvertures faites à Berlin par Gortchakoff et, vu l'absence de l'Empereur et de Drouyn de Lhuys partis pour Vichy, n'avait pu faire de communication officielle. Il ne se doutait pas encore du refus transmis à l'ambassadeur de France, car Beyens, dans une dépêche du 30 juillet, signalait que l'on discutait le siège éventuel du congrès : Napoléon III aurait marqué sa préférence non pour Paris, mais pour Bade, tandis que l'ambassadeur de Russie croyait que la réunion aurait lieu à Leipzig.
Le baron Beyens annonçait aussi que lord Cowley ne pensait pas que son gouvernement agréerait la proposition russe, et que, d'après de Goltz, Bismarck n'y tenait pas du tout.
Dès le 28 juillet d'ailleurs, Benedetti transmettait à Drouyn de Lhuys la nouvelle que Bismarck avait exprimé au comte de Barral, ministre d'Italie à Berlin, son intention de décliner toute ouverture.
Le 4 août, enfin, Errembault de Dudzeele, notre (page 111) ministre à Saint-Pétersbourg, annonçait par télégramme à Rogier que les puissances signataires des traités de 1815 avaient toutes décliné l'offre russe. Dans une dépêche du 15 août, il donnait à ce sujet d'abondants détails. Gortchakoff avait éprouvé un vif dépit de cet échec et s'était même exprimé en termes peu mesurés à l'égard de l'Angleterre devant l'ambassadeur de ce pays.