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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome I. De la mort de Léopold Ier à la retraite du général Chazal (décembre 1865-novembre 1866)

Chapitre XI. L'attitude de l'Angleterre. Sadowa

Lettre de Jules Devaux sur l'attitude de l'Angleterre

(page 83) Dans cette lettre, datée du 1er juillet, et qui fut lue le 3 en Conseil, Jules Devaux était chargé par le Roi d'insister auprès de Rogier « pour que sans retard toutes les mesures soient prises pour compléter la défense de l'Escaut et les approvisionnements de guerre. »

Léopold II, par la plume de son secrétaire, rappelait les enseignements de la campagne à peine commencée, qui faisaient ressortir la supériorité militaire de la Prusse et l'imprévoyance autrichienne ; il comptait bien que de pareilles leçons ne seraient pas perdues pour la Belgique.

L'opinion publique anglaise, bien que très affligée des succès prussiens, ne se montrait pas disposée à une intervention quelconque. « Les meilleurs esprits vous déclarent qu'il leur est parfaitement égal que le continent soit divisé en quelques Etats de plus ou de moins. »

Le nouveau ministre des Affaires étrangères allait être probablement lord Stanley, le chef des non-interventionnistes, détail peu rassurant pour notre pays.

Jules Devaux faisait enfin part des préoccupations de lord Clarendon, avec lequel il avait dîné chez le prince de Galles. L'ancien ministre paraissait fort soucieux de la façon dont M. Drouyn de Lhuys avait parlé à lord Cowley de la presse belge. On aurait dit au ton du ministre français qu'il cherchait à faire contre nous collection de griefs. (Note de bas de page : La lettre de Jules Devaux corrobore la par laquelle Van de Weyer signale les appréhensions de lord Clarendon (voir page 78))

Déjouez ce plan, conseillait lord Clarendon, surveillez vous-mêmes votre presse, fortifiez moralement et, (page 84) matériellement votre pays afin de rendre son absorption de plus en plus difficile.

De tels conseils n'étaient pas, il faut le reconnaître, particulièrement encourageants.

Vandenpeereboom, qui, de son côté, cite aussi cette lettre, faisait suivre de ces réflexions :

« Les Prussiens battent les Autrichiens ; c'est mauvais pour nous. La Prusse victorieuse voudra s'agrandir sans céder un pouce du territoire allemand. La France exigera des compensations. Et où les prendre ? En Belgique, probablement.

« Notre situation est grave et notre responsabilité immense. Se préparer à la guerre, c'est réveiller les défiances de la France et lui donner des prétextes pour agir contre nous. Ne rien faire, c'est s'exposer à être envahis sans se défendre, c'est-à-dire sans sauver même l'honneur. »

La réponse de Rogier

Au nom du Conseil, Rogier, le 3 juillet, répondit à Jules Devaux en faisant connaître la décision prise, la veille, par les ministres.

Il se déclara prêt, comme ses collègues, à faire tout ce qui sera démontré urgent et indispensable mais il tenait, avant tout, à être bien fixé « sur la pensée du gouvernement anglais. »

Après avoir rappelé les conseils de prudence donnés par l'Angleterre, puis l'invitation, transmise par Van de Weyer, à « nous mettre petit à petit matériellement en mesure », il se demandait si le successeur de lord Clarendon aurait la même attitude et surtout, s'il s'expliquerait catégoriquement « sur la question essentielle et la plus urgente de toutes » à savoir l'intervention armée, si l'on touchait à la Belgique.

Peu rassuré sur les dispositions du nouveau ministère encore en gestation, il émettait l'avis que le Roi ne devrait pas quitter l'Angleterre « sans être pleinement édifié sur cc point suprême.3

Il s'inquiétait fort à la pensée de découragement et de la démoralisation qui gagneraient le peuple belge (page 85) « s'il pouvait se cro1re en présence d'une coalition franco-prussienne » et insistait sur la question capitale : « Que fera l'Angleterre ? »

La Belgique devait savoir de la façon la plus positive si elle doit « oui ou non s'abstenir de toute mesure défensive apparente, immédiate, énergique » ou « se contenter de se précautionner timidement, pas à pas... »

La victoire prussienne. L'impression à Paris et à Bruxelles

Tout à coup, une dépêche adressée à de Balan, le ministre de Prusse, est communiquée à notre gouvernement. Elle annonce l'écrasement des Autrichiens à Sadowa. La stupeur s'empare des esprits qui, presque partout. souhaitaient la défaite de la Prusse. Parmi les rares exceptions figurait le prince Napoléon qui, le 3 juillet, ignorant encore la grande victoire, exprimait à George Sand sa joie des premiers revers en ces termes aussi enthousiastes que violents : «... En Prusse, cela va très bien, les Autrichiens battus. Nous attendons une bataille qui décidera du sort de la Bohême. Tous nos vœux sont contre cette affreuse Autriche et pour les ennemis, y compris même Bismarck »

« Que fera la Prusse victorieuse ? - note Vandenpeereboom - Sera-t-elle modérée ? Que deviendrons-nous ? Grave situation ! »

Notre ministre à Paris, le baron Beyens, donnait, dans sa dépêche du 4 juillet, de très intéressants détails sur l'impression ressentie par les sphères gouvernementales et les milieux militaires. Après avoir noté la médiocre satisfaction que devait éprouver l'empereur, il ajoutait : « Le succès des Prussiens est trop beau. La révélation de la supériorité de leurs armes contrarie l'amour-propre militaire français. »

La Prusse victorieuse se montrerait-elle modérée ? « Dans le cas contraire, le chapitre des compensations serait posé largement et il pourrait n'être pas résolu pacifiquement. »

Après avoir fait remarquer la situation bizarre du comte de Goltz, partagé entre deux sentiments divers : la joie du triomphe fortement tempérée par le souci que (page 86) lui inspiraient les dispositions possibles de la France, le baron Beyens concluait que la crise à traverser était un juste sujet d'inquiétude pour tous les petits Etats.

La médiation de Napoléon III et la cession de la Vénétie

Sous le coup de l'accablante défaite, François-Joseph se résignait enfin à suivre le conseil donné dès le 11 juin par Napoléon III. Il acceptait la médiation de l'empereur des Français, et se résignait à lui céder la Vénétie. Napoléon III, répondant à cet appel, proposait un armistice aux rois de Prusse et d'Italie.

Ce fut un événement mémorable. Le 5 juillet Napoléon III fut, en vérité, le maître de l'heure. Il en tira le médiocre et décevant résultat que l'on sait.

Nothomb écrivait le même jour Rogier que la Prusse ne pouvait « résister à la France qu'en s'appuyant franchement sur le parti national », éventualité qui, pour Guillaume Ier et Bismarck, équivalait à la révolution et les disposerait sans doute à un accord avec le médiateur. Il rapportait aussi sa conversation suggestive avec Benedetti :

« Etes-vous bien convaincu maintenant - lui demandait l'ambassadeur de France - qu'il n'y avait pas de pacte entre l'empereur des Français et le comte de Bismarck ?, »

Et le fin diplomate de répondre avec à-propos : « Je n'y ai jamais cru, j'ai eu foi dans les assurances que vous m'avez tant de fois données. »

(page 87) Le lendemain, Nothomb, qui ne pouvait supposer l’incroyable impéritie dont ferait preuve Napoléon III, signalait la déconvenue de Bismarck et insistait sur la situation privilégiée de l'empereur. Le ministre prussien s'était bercé de l'espoir que Napoléon laisserait faire ; il avait complètement dégarni de troupes les provinces rhénanes ; la place de Luxembourg n'était plus occupée que par une poignée de soldats prussiens. Napoléon III n'avait donc qu'à vouloir : telle était la conclusion que notre ministre laissait tirer de sa lettre.

Le Roi au banquet du Lord-Maire

Léopold II avait, officieusement et officiellement, bien employé son séjour en Angleterre. Personnellement acclamé, à côté de la Belgique, aux banquets divers qui furent donnés en son honneur, il avait, d'abord au « Trinity House », eu l'habileté d'associer la France à la reconnaissance que les Belges devaient à la Grande-Bretagne ; puis, répondant au Lord-Maire qui avait fait l'éloge de Léopold Ier et de sa politique de liberté, saluant les deux nations sœurs, l'Angleterre et la Belgique, il avait montré les Belges, comme les Anglais, profondément attachés à leurs libres institutions.

A ce propos, Vandenpeereboom se demandait si « le voisin du Midi » ne prendrait pas acte de ces manifestations « pour son dossier des griefs contre la Belgique » ?

Il signalait aussi l'activité du Souverain qui écrivait « des lettres parfois fort surprenantes... » Peu convaincu, sans doute, de la fermeté du gouvernement britannique (note de bas de page : Le 6 juillet, après de laborieuses tractations, un ministère tory s'était enfin constitué sous la présidence de lord Derby. Les « Adullamites » ou libéraux dissidents avaient refusé d'en faire partie), Léopold II pressait le Cabinet d'armer « fort et ferme ». Selon lui « Bismarck pourrait prendre la Belgique pour en faire cadeau à la France... Si l'argent vous fait défaut, vous avez des chemins de fer. On peut les réaliser !!!!! » (Note de bas de page : Ces nombreux points d'exclamation agrémentent la phrase de Vandenpeereboom, qui semble abasourdi de l’insistance du Roi. Nous n'avons pas trouvé trace des lettres mentionnées. Au Fonds Rogier, un billet non daté, non signé, écrit d'Angleterre pendant le séjour du Roi résume sans doute une des communications royales. II est ainsi conçu : « Danger peut-être que Bismarck tombe sur nous et nous donne à Napoléon pour le désintéresser. Le Roi adjure Conseil de (ici un blanc) pour ne pas finir comme le Roi de Hanovre. » Le 29 juin, le roi Georges V avait capitulé avec son armée cernée par les Prussiens. Fin de la note de bas de page.)

Le Roi et la Reine rentrèrent de Londres le 7 juillet, au soir. Dès le lendemain, un Conseil des Ministres était réuni sous la présidence de Léopold II.