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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome I. De la mort de Léopold Ier à la retraite du général Chazal (décembre 1865-novembre 1866)

Chapitre XIX. L'attitude de l'Angleterre

Encore lord Cowley et l'attitude de l'Angleterre

(page 118) Rogier gardait sur le cœur l'opinion peu rassurante de lord Cowley, et, le 25 juillet, il avait, dans une lettre particulière, fait part au baron Beyens de son inquiétude et de ses soucis. Il tenait à savoir à quel personnage avait été faite la regrettable confidence.

« Cette opinion - écrivait-il - encore que personnelle... est d'une haute gravité. Je ne puis supposer qu'il l'ait exprimée ou laissé même entrevoir dans les régions officielles, mais il serait important de savoir à qui il a fait une pareille confidence. Veuillez... vous renseigner le plus tôt possible à cet égard. Il va de soi que s'il s'agit d'une conversation toute privée ou toute confidentielle, je ne ferai de cet incident qu'un usage discret. J'ai des motifs de croire, en dépit de l'attitude extrêmement réservée du cabinet anglais, que l'opinion (page 119) personnelle de lord Cowley n’est point celle de son gouvernement... »

Notre ministre à Paris, après avoir répondu, le 29 juillet, qu’il ferait toutes les investigations possibles « en l'absence de l'Empereur et du ministre... », ne tarda pas à découvrir le confident du diplomate britannique. C'était l'ambassadeur de Russie, le baron de Budberg.

Le baron Beyens écrivit sur ce sujet à Rogier, le 4 août, une longue lettre, dans laquelle, exposant le pour et le contre, il concluait que l'on pouvait rester confiant. A l'instant même où les événements allaient lui donner un éclatant démenti, il affirmait l'impossibilité des pactes secrets.

« Votre Excellence se rappelle que ce diplomate a été le premier à s'émouvoir à notre endroit, à l'époque du discours d'Auxerre. Il avait ensuite cru s'être trompé. Depuis, des inquiétudes lui étaient revenues, lorsque certains de nos journaux ont été dénoncés par la presse officieuse. En en causant avec moi, le baron de Budberg m'a dit : « Il faut que je voie ce que Cowley pense de cela. » A quelques jours de là, il m'a rapporté confidentiellement le propos tenu par son collègue à l'Empereur : « Sa Majesté, lui a dit le comte Cowley, a frisé sa moustache sans répondre ; Elle n'avait pas trop l'air de me croire ; et cela ne m'étonne pas, car moi-même, comme opinion personnelle, je crois que nous ne bougerons pas. M. de Budberg était assez du même avis, il croyait qu'une atteinte à la Belgique pourrait amener un refroidissement, une rupture de relations diplomatiques, qui, en Angleterre plus aisément qu'ailleurs, peut ne pas conduire à d'autres conséquences, et qu'on subirait ensuite le fait accompli.

« Mais l'opinion du comte Cowley, sans être dépourvue de toute valeur, ne me paraît pas d'un grand poids. Le premier point essentiel, c'est qu'il a pour instruction de tenir un langage officiel différent de cette opinion personnelle.

« Le second point important serait de connaître le véritable esprit et les véritables résolutions du cabinet qui lui dicte ses instructions.

« Or l'ambassadeur n'a rien dit qui puisse faire croire qu'en lui prescrivant de parler ainsi, on ait indiqué, par des réticences, des restrictions ou des dépêches (page 120) confidentielles, que c'était pour la forme et sans valeur au fond. Le comte Cowley. en parlant comme il le fait, ajoute donc simplement un jugement général sur la politique de son pays, comme quiconque pourrait le faire, comme on le fait trop ici journellement. Hier encore le jeune Apponyi qui arrive de Londres disait : « Les Français entreraient en Irlande que les Anglais ne bougeraient pas. » C'est là, sous une forme exagérée, l'opinion, très accréditée dans le monde politique, de l'abstention systématique de l'Angleterre.

« Tout cela me paraît excessif : une attitude absolument passive de l'Angleterre semble inadmissible, et l'Empereur, dans les circonstances actuelles, peut risquer même un refroidissement.

« Le temps est passé, d'ailleurs, des arrangements et des tripotages secrets. On ne peut plus rien entreprendre qu'en grand et par la guerre ; et le premier symptôme serait dans les préparatifs. Or, il ne se fait rien qui indique des résolutions imminentes. Après avoir laissé échapper l'occasion du 5 juillet, ou n'avoir réellement pas pu en profiter, on ne saurait logiquement se mettre en campagne le 5 août. »

Dans cette lettre privée, le baron Beyens fait apparaître sous un jour peu flatteur le ministre de France à Bruxelles, le comte de Comminges-Guitaud. Rogier s'était enquis de ce que ce diplomate avait pu écrire à Paris sur ses rapports avec lui, chef du cabinet belge. Le Quai d'Orsay - répond Beyens - « ne sait mot des bruits de journaux à ce sujet et l'on ne trouve trace de rien qui y ait trait dans les analyses de dépêches. Quant aux dépêches elles-mêmes, on s'était gardé de les lire à leur réception. « C'est une trop grande cruche ! » m'a-t-on dit. »

Beyens termine sa lettre en mentionnant la satisfaction produite par la condamnation d'Odilon Delimal, rédacteur en chef de « L'Espiègle », à un an de prison et à mille francs d'amende, impression d'ailleurs effacée par bien d'autres préoccupations. (Note de bas de page : Cette condamnation, prononcée le 1er août 1866, fut suivie, le 3, d'une autre infligée au pamphlétaire Vésinier.)