(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)
(page 169) Vandenpeereboom qui, après sa retraite ministérielle, n'écrivit plus que de rares souvenirs, terminait ses Mémoires dans le même esprit qu'il les avait commencés. Sa caractéristique fut trop souvent une critique personnelle, étroite et mesquine. Nos deux premiers rois, ses collègues, Rogier et Frère-Orban surtout, furent singulièrement appréciés par lui, recueillant bien plus d'épines que de fleurs. Son incompréhension éclate surtout dans les jugements qu'il porte sur Léopold II : les travers, il les voit très vite, et les grossit, mais la grandeur lui reste comme voilée, encore que parfois il éprouve une vague intuition de son génie.
Derrière les malignités du mémorialiste, Léopold II, dans ces premières années d'un règne long et mouvementé, apparaît, à nous qui l'avons connu et méconnu dans son apogée, fin, souple, prudent à l'excès, avec une pointe de dissimulation et, sans doute, une tendance à la sécheresse, mais ces signes sont décevants. La lointaine postérité s'y trompera tout à fait et croira se trouver devant deux rois différents. La jeunesse du Souverain, l'ascendant, régressif d'ailleurs, de Rogier vieilli, le prestige ascensionnel de Frère-Orban lui imposent son attitude réservée, brident une volonté qui s'accuse pourtant (page 170) et s'affirme, lorsqu'il s'agit de la défense nationale. Quand les circonstances le permettront, Léopold II, pareil à Sixte-Quint, se dressera de toute sa hauteur en face des parlementaires moins soucieux que jamais des intérêts suprêmes du pays. A une majorité obstinée, il arrachera le vote d'une mesure pour laquelle il lutte depuis son avènement. A des Chambres indifférentes ou hostiles, à une nation endormie ou aveugle, il imposera l'adhésion à son rêve magnifique, devenu, par sa foi tenace, la plus grandiose des réalités.