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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

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Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome II. De la démission du général Chazal à la retraite de Rogier et Vandenpeereboom (octobre 1866 janvier 1868)

Chapitre VIII. La loi sur la mise à la retraite des magistrats. La visite du Sultan. L'Impératrice Charlotte

La loi sur la mise à la retraite des magistrats

Cette loi, due à l'initiative de Bara, avait pour but de mettre à la retraite des magistrats, réputés inamovibles (page 117) en vertu de l'article 100 de la Constitution- Jusque-là à part une restriction apportée par une loi de 1845 permettant de pensionner les magistrats atteints d'infirmités graves et permanentes, les représentants de la Justice pouvaient théoriquement mourir sur leur siège. C'était sans doute un abus et un danger. Le projet, discuté du 2 au 7 mai par la Chambre des représentants qui le vota par 53 voix contre 38, du 21 au 23 mai par le Sénat (28 contre 24 et 2 abstentions), était juste en soi. Les catholiques prétendirent qu'il était inconstitutionnel, qu'il visait des magistrats catholiques, et tout spécialement le baron de Gerlache, le premier président de la Cour de cassation, alors âgé de quatre-vingt-deux ans.

Léopold Il fit des difficultés pour signer la loi. Il demanda du moins des compensations à ses ministres. Il eût voulu que de Gerlache fût nommé comte, que des catholiques eussent leur part dans les nominations nouvelles ; que Bara, avant de faire des propositions, lui soumît la liste des candidats.

« Bara - écrivait le 29 Vandenpeereboom - ne peut Bara accepter a priori ces deux dernières conditions. Quant à la comtification (sic) de M. de Gerlache. le Conseil n'y voit pas un grand inconvénient (et Frère absent est de cet avis), Mais on croit ne pouvoir le faire au moment de la mise à la retraite, ce serait un précédent qu'invoqueraient tous les hauts magistrats en se retirant. Puis M. de Gerlache est président du Congrès de Malines ; ce Congrès se réunit au mois de septembre prochain; faut voir si le président n'y déblatérera pas contre le Gouvernement. Enfin, M. de Gerlache acceptera-t-il une faveur des libéraux ? Un refus serait fâcheux. Le Conseil a décidé d'écrire en ce sens. »

(page 118) L'épilogue de cette affaire fut bref. Dès le 25 juillet, Léopold II signait la loi, non sans avoir fait écrire par Jules Devaux à Bara « de manière à lui faire comprendre que Sa Majesté est peu satisfaite de la façon si cavalière dont Bara lui a écrit au sujet de M. de Gerlache et la signature de la loi mettant les magistrats à la retraite. »

Le baron de Gerlache ne fut pas promu comte.

Le sultan Abdul-Aziz traverse la Belgique

Après avoir été l'hôte de Napoléon III et de la reine Victoria, le sultan Abdul-Aziz devait, pour regagner ses Etats, traverser la Belgique, et les honneurs officiels devaient lui être rendus. Après divers contre-ordres successifs, l'itinéraire fut enfin fixé. Le Sultan devait arriver de Douvres à Liége par Tournai et Charleroi. Rogier, Bara et Vandenpeereboom se trouvèrent à Liége le 23, dès midi, croyant que le Grand Turc y arriverait vers 5 heures. Ils apprirent que le départ de Londres avait été retardé, que le Prince ne serait à Liége que dans la soirée. « Nous avons battu le pavé ; Frère est venu nous rejoindre de Chaudfontaine où il était. On a causé et ri, et la journée s'est assez bien passée. »

Léopold II, venu du camp de Beverloo, se trouvait à Liége à 10 heures 1/2 du soir. Le Sultan n'arriva qu'à minuit et demi. On servit à souper dans les salons de la gare. Vandenpeereboom a noté quelques détails pittoresques : « Trois princes ottomans, Fuad Pacha et un interprète sont les seuls Turcs qui ont été admis à s'asseoir à la table du Sultan. Les Belges étaient nombreux. Le Grand Turc ne parle pas français; Fuad Pacha lui sert d'interprète ; il est de taille moyenne, gros, un peu mou, air efféminé, œil et barbe noirs, physionomie unie, belle, teint un peu basané. Un de ses fils, entant de dix ans, voyage avec le Sultan. C'est un enfant chétif, qui, s'il ne fortifie pas, ne saura que faire de ses trois cents femmes. Il porte (en petit) le costume de son papa. Fez, tunique bleue brodée sur toutes les coutures, grosse épaulette, grand cordon et grand sabre ; bref, le petit prince ressemble à Manneken-Pis en grande toilette. Voyant toutes mes plaques, le Prince, assis près de moi, (page 119) demanda qui j'étais à l'ambassadeur turc à Paris qui nous servait d'interprète. Le petit ignore ce qu'est un ministre et il m'appela le Grand Vizir de Belgique. Je crois être fort dans les bonnes grâces de l'enfant, car avant son départ je lui ai fait mettre dans son wagon des bonbons, tambours, trompettes, cassettes, odalisques, etc... en sucre et en chocolat, et le petit prince m'a fort remercié.

« Le Sultan m'a, après le banquet, serré la main. Il paraît que c'est là un grand honneur! Puis il est parti à 2 heures 35 pour Verviers. Le Roi est parti pour le camp à 2 heures 50 et puis pour Bruxelles à 3 heures 20, arrivée vers 6 heures 10. Rude journée, Les Turcs ont mangé comme des Allemands et bu comme des Polonais. »

Arrivée à Tervueren de l'impératrice Charlotte

La Reine s'était rendue à Miramar et en avait ramené l'infortunée veuve de Maximilien, qui fut installée, le 31 juillet, au soir, au château de Tervueren. « Le Roi - écrit à cette date Vandenpeereboom - était venu d'Ostende attendre sa sœur à Tervueren. Mais on me dit qu'à la demande de la Reine, Sa Majesté n'a pas vu l'Impératrice de peur de lui occasionner une trop forte émotion. On dit que le long voyage de Miramar à Tervueren s'est bien passé. Un médecin allemand et un médecin belge accompagnaient la pauvre folle.

« La Reine est éreintée ; elle a eu plusieurs crises nerveuses... »

Après avoir donné de longs renseignements sur la position privée de la princesse Charlotte et les difficultés qui pouvaient en provenir, ce dont le Roi était vivement préoccupé, Vandenpeereboom, le 5 août, souligne le dévouement admirable de la Reine pour sa belle-sœur, qui lui obéit comme un enfant à sa mère se promenant avec elle en poney-chaise. « Sa santé est très compromise, on a peu d'espoir ; sa folie, dit le docteur Biltken [Bulkens, le directeur de la colonie d’aliénés à Gheel], est étrange ; sans se prononcer sur le fait d'un empoisonnement, il ne rejette pas cette éventualité comme impossible. Pauvre princesse ! »