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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

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Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome II. De la démission du général Chazal à la retraite de Rogier et Vandenpeereboom (octobre 1866 janvier 1868)

Chapitre VII. - Les complications de la question militaire. Léopold II et la question militaire

(page 111) Le Roi qui, à l'occasion de l'arrivée de Guillaume, avait vu Vandenpeereboom à la gare du Midi, lui demanda de venir au Palais le lendemain 15 juin. Il le retint plus d'une heure et lui parla de questions diverses, mais surtout de l'organisation de l'armée, se plaignant de difficultés qu'il rencontrait chez Goethals d'une part et Frère de l'autre.

A la suite de cet entretien se tint, le 19, un Conseil de cabinet qui n'examina du reste pas la question de la révision des lois organiques de l'armée, Goethals se (page 112) trouvant au camp de Beverloo. Les ministres se montrèrent peu disposés à convoquer les Chambres en session extraordinaire. Leur argument était le singulier effet que ferait cette mesure. Alors qu'en France on ajournait l'affaire, l'opinion pourrait s'alarmer en se disant que le Roi avait de motif grave pour réunir le Parlement. Ne trouverait-on pas les Belges ridicules, s'ils faisaient des préparatifs de guerre, « alors que les rois fraternisent à Paris et que tout semble tourner à la paix ? »

Frère se chargea d’écrire au Roi en ce sens. Léopold II ne fut pas enchanté de l'opposition qu'on lui faisait. Dès le soir du 20 juin, il fit appeler Vandenpeereboom au palais, pour lui dire combien il avait peine en voyant que le cabinet ne voulait pas qu'il se tînt une session extraordinaire pour régler les questions militaires. « C'est me désavouer - remarquait-il - car j’ai promis aux souverains à Paris que nous allions de suite nous mettre en mesure de défendre notre nationalité. » Il était aussi d'avis que les députés et sénateurs, pressés de partir, voteraient plus aisément les crédits en session extraordinaire.

Vandenpeereboom présenta les objections du cabinet. Léopold II maintint son point de vue « avec force et vivacité », demandant au ministre de l'Intérieur de prier ses collègues « de ne pas arrêter leur opinion avant d'avoir causé avec le Roi. »

Vandenpeereboom pressentait des conséquences fâcheuses en cas de session d'été : échec du cabinet soit sur la question d'organisation, soit sur celle des forts de la rive gauche ; retraite possible, et, en ce cas, les nominations judiciaires en vue seraient faites par de nouveaux ministres, éventualité qui déterminerait probablement la droite entière à voter contre les projets du gouvernement.

C'était évidemment une préoccupation bien mesquine, mais propre aux parlementaires de tous les temps.

Le désaccord persiste entre le Roi et les ministres

Dès son retour du camp de Beverloo, où il passa deux jours, Léopold II fit convoquer le Conseil pour le 25 juin. Frère était malade, Rogier et Vanderstichelen absents. Le Roi les fit aviser par télégrammes, ils vinrent et l’on se passa de Frère-Orban.

Cette réunion dura deux heures et demie ; elle porta (page 113) seulement sur la session extraordinaire, voulue par le Roi et Goethals, mais repoussée par les cinq autres ministres. Ils invoquaient six raisons : « 1° Le Gouvernement français d'accord avec le Corps législatif ajourne la ré0rganisation de son armée ; 2° tout est à la paix ; les souverains fraternisent à Paris ; 3° nous n'avons pas dormi ; on a acheté sans autorisation pour plus de 7,000,000 de matériel en 1866 et 1867 ; 4° notre armée est bonne, il ne s'agit que de l'améliorer ; 5° la session d'été n'avancerait la solution que de trois à quatre mois ; 6° si nous faisions cette réorganisation en été, en session extraordinaire à grand fla-fla (sic), nous serions ridicules et nous jetterions l'inquiétude dans le pays et peut-être en Europe, car on croirait que notre Roi est informé des projets de guerre de l'une ou de l'autre puissance. »

Le Roi, dans sa haute clairvoyance, s'efforça de réfuter ces objections. Vandenpeereboom résume comme suit son argumentation : « On ajourne en France pour ne pas devoir voter avec les lois sur l'armée, les lois libérales sur la presse et le droit de réunion présentées en même temps. En France on continue à armer et on va en avant sans les Chambres. Donc on sera, si on n'est déjà prêt. Quand on parle de réviser les lois sur l'armée au moment du danger, on dit : « Prenons garde d'attirer la foudre. » Quand on en parle après l'orage, on dit : « Il n'y a pas de danger ; c'est pendant la paix qu'il faut se préparer à la guerre. » Le Roi a reçu l'annonce que la neutralité de la Belgique serait respectée si elle sait la défendre ; et le Roi a quitté Paris malgré les instances de l'Empereur, en disant que la session extraordinaire le rappelait en Belgique. On ne peut désavouer le Roi. »

Léopold II ne parvint pas à convaincre les ministres de l'excellence de ses raisons. On se quitta sans être d'accord, s'engageant de part et d'autre à réfléchir.

Vandenpeereboom continue à ne pas comprendre le Roi. Il reconnait que Léopold Il « discute très bien, très adroitement », mais prend sa fermeté pour de l'entêtement ; il compare curieusement son amour de l'action au manège de l'écureuil qui dans son tambour, fait du mouvement, mais n'avance pas. »

Il rappelle aussi que le Roi leur a dit que de Theux, l'un des chefs catholiques, veut réduire de 4,000,000 le chiffre annuel des dépenses militaires.

Vandenpeereb00111 dénonce ensuite ce qu'il appelle (page 114) les petitesses de Léopold Il, qui se venge de la résistance de ses ministres en retenant force arrêtés royaux, et n'a pas encore signé la loi sur la mise à la retraite des vieux magistrats.

En dépit d'une lettre pressante du Roi à Rogier, le Conseil ne céda pas sur la question de la session extraordinaire, se montrant disposé toutefois à convoquer [es Chambres pour le mois d'octobre.

Le remplacement de Van de Weyer

Van de Weyer, après une longue carrière diplomatique à Londres, avait donné sa démission. Les prétendants à sa succession étaient nombreux. Rogier avait songé à ce poste, et s'en était ouvert à Frère, qui avait répondu « par un rire peu approbateur. » Rogier, d'autre part, ne sachant pas s'il serait accepté par le Roi, disait à ses collègues qu'il voyait un candidat meilleur que lui dans le prince de Ligne. On discuta les avantages et les inconvénients d'une démission éventuelle du président du Sénat. Selon Vandenpeereboom, le Conseil ne parut pas favorable à la candidature du prince.

Il fut aussi question de Chazal pour Florence, si Solvyns allait à Londres. Rien ne fut décidé pour le moment.

Nouvelles plaintes de Vandenpeereboom

Le 2 juillet, Vandenpeereboom reprend sa litanie de plaintes à l'adresse du Roi, qui « continue à faire l'enfant » et retient tous les arrêtés du Département de l'Intérieur. « Plus de cent cinquante sont en retard. Je n'insiste pas pour n'avoir pas l'air d'y tenir. J'écris à Devaux sur le ton de la plaisanterie. « Je conçois les graves études militaires que fait Sa Majesté, c'est une question difficile, etc... » Je ne pourrais cependant continuer ainsi, l'administration serait détraquée si la Royauté se mettait en grève. Et Vandenpeereboom ajoute plaisamment : « Si à la fin de la semaine la Royauté n'accouche pas naturellement de mes arrêtés, il faudra avoir recours aux grands moyens… » Une considération toute locale lui (page 115) fait cependant désirer un accord : le voyage de la famille Royale à Ypres.

Le lendemain, une lettre de Jules Devaux fait entrevoir « l'accouchement naturel ». Il poursuit ses amusantes récriminations : « Le Roi est bien jeune, il tait des enfantillages, se mêle de toutes les petites choses, fait venir une foule de personnes, discute avec elles des affaires administratives, les encourage parfois contre le Cabinet et rend ainsi notre marche plus difficile. Frère lui a dit l'autre jour « Sa Majesté fait ce que les chefs de division sont chargés de faire. »

Le Conseil poursuit l'examen de la question militaire

Le 4 juillet, le Conseil s'occupa, dans deux longues réunions, des questions relatives à la réorganisation de l'armée. Une augmentation de 3,000,000 réclamée par la Commission « poussée par le Roi » fut finalement réduite à 1,700,000. Il s'agissait d'accroître l'artillerie de la place d'Anvers et d'« organiser un bataillon de réserve par régiment afin de faciliter le passage du pied de paix sur le pied de guerre, c'est-à-dire nominer quatre cents officiers de plus » !

Vandenpeereboom entre ici dans de longs détails techniques et conclut : « La question militaire sera bien difficile à résoudre, elle se compliquera de la question d'Anvers, du bas Escaut, des sommes dépensées sans autorisation ; tout cela sera d'autant plus difficile à résoudre que la droite sera hostile... »

Tristes nouvelles du Mexique

Les bruits sinistres qui couraient s'étaient confirmés. Maximilien avait été fusillé lec 19 juin à Queretaro. La consternation régnait à la Cour. La Reine, disait-on, se préparait à partir pour Vienne et de là se rendrait à Miramar pour tâcher, de ramener, si possible, la veuve infortunée.

Les écoles d'adultes

Cette organisation, l'œuvre de Vandenpeereboom (par un arrêté royal du 1er septembre 1866), était entravée par les libéraux, de plus en plus acquis (page 116) à la révision de la loi de 1842, et le ministre de l'Intérieur se sentait presque isolé dans son parti. Trois provinces libérales sur quatre, le Brabant, le Hainaut, et Liége, refusaient leur concours. D'autre part, les catholiques de la Flandre orientale ne voulaient pas d'écoles adultes officielles, désirant réserver cet enseignement aux corporations religieuses.

Vandenpeereboom voyait, dans l'attitude des députations permanentes libérales, un échec personnel qui ne pouvait qu'aviver ses velléités de retraite.

« Ma position - écrit-il à la date du 19 juillet - sera d'autant plus difficile que Frère et Bara sont très hostiles à la loi de 1842. »

Il prévoit que le parti libéral va se diviser sur cette question. « Je serai soutenu par les catholiques, combattu par les libéraux... 011 m'accusera de cléricalisme et après vingt-cinq années de lutte pour le parti libéral, je serai calomnié et peut-être déconsidéré dans mes vieux jours... Cela serait tort triste pour moi, mais après tout j'ai ma conscience qui approuve ma conduite... »

Vandenpeereboom, comme beaucoup de libéraux encore à cette date, restait partisan du principe et de l'enseignement religieux ; il craignait la désertion des écoles laïques, si l'on en excluait les ministres des cultes. Cette appréhension fut justifiée, en 1879, par les événements.