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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

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Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome II. De la démission du général Chazal à la retraite de Rogier et Vandenpeereboom (octobre 1866 janvier 1868)

Chapitre VI. Le Roi et la Reine à l'Exposition Universelle de Paris

. Questions militaires. Petits travers du Roi

(page 106) Tandis que ces graves questions se débattaient, d'assez menus incidents, complaisamment relatés par Vandenpeereboom, se déroulaient dans les coulisses ministérielles.

Goethals était venu se plaindre à son collègue de l' Intérieur. « Il éprouve - dit ce dernier - des difficultés avec le Roi qui, voyant beaucoup de monde, se laisse influencer et fait agir contrairement aux vues de ses ministres qu'il amoindrit. » A preuve certaine histoire à propos de fusils.

D'autre part, à la Commission militaire mixte, un conflit avait surgi entre Goethals et le général Renard au sujet des dépôts d'artillerie et de cavalerie, que le ministre de la Guerre voulait supprimer par économie. Renard s'y opposait, proposant même à la Commission d'émettre le vœu que le Gouvernement fût tenu de maintenir ces dépôts. Les membres civils se récrient : ces termes sont inadmissibles. « Je ne puis modifier ma demande, réplique Renard ; il est des positions que je dois accepter. » Et tous de comprendre que le général agit par ordre du Roi.

« Goethals - continue Vandenpeereboom - a écrit une lettre très vive à Van Praet pour demander une entrevue ; celui-ci a ajourné à cette après-midi. Le général veut que le Roi renonce de suite à cette idée ou il se retirera. Je lui ai conseillé d'aller voir Frère... »

Vandenpeereboom raconte enfin, à propos des fortifications du Bas-Escaut, la volte-face de l'inspecteur général du génie Weiler, d'abord partisan du système bastionné, puis qui adopte, pour plaire au Roi, le système polygonal préconisé par Chazal et Brialmont. Là-dessus, (page 107) « il demande que son fils soit nommé aide de camp du Roi » !

Goethals se plaint « des rapports que le Roi a avec ses inférieurs. » Léopold II, rougissant, répond : « Ah ! c'est un marché » !

Et Vandenpeereboom de faire ses commentaires : « Sa Majesté, fort bonne, du reste, a ce défaut de consulter surtout des subalternes qui croient ainsi pouvoir damer le pion à leurs chefs, elle se laisse influencer irrégulièrement, elle est un peu défiante de tout le monde. J'ai parfois aussi des difficultés pour le rapport et j'en viderai quelques-unes avec le Roi tantôt. Ce sont du reste de petits nuages. Le gros des affaires va bien, mais je ne souffrirai pas les coups d'épingle. »

Le Roi et Vandenpeereboom

(page 107) Au cours d'une audience, Vandenpeereboom eut l'occasion d'exprimer assez crument au Roi sa manière de voir. Léopold II, ce parfait connaisseur des hommes, se dégagea fort bien des difficultés où il s'était exposé. Il avait déjà la coutume de retenir, dans un tiroir, les projets et arrêtés qui lui déplaisaient. Vandenpeereboom, victime de ce procédé, avait écrit au chef du Cabinet du Roi, Jules Devaux, une lettre un peu vive. Léopold II l'avait placée sur sa table. « Dès mon entrée, - raconte le ministre - le Roi me dit : « Je vous ai donc bien chagriné, mon cher Ministre, mais causons, nous arrangerons tout cela et je ferai ce que vous me demandez. » Et il signa un arrêté de nomination que le général Pletinckx, chef de la Garde civique, avait voulu empêcher, « J'ai dit net au Roi qu'il était impossible que Pletinckx fît échec à un ministre », déclare fièrement Vandenpeereboom.

« Le Roi - continue-t-il - me parla ensuite de Goethals. « Il est vif et veut constamment innover », me dit le Roi, Il m'explique ses différends avec lui : « Goethals a toute confiance en vous », me dit le Roi. Calmez-le, vous me ferez plaisir. » Je fis observer au Roi que le ministre de la Guerre voyait avec déplaisir que Sa Majesté cédait à des conseils de subalternes à lui, qu'elle faisait exercer une pression sur lui, etc. et j' ajoutai que, d'après moi, Goethals avait raison, que cela (page 108) n'était pas tolérable et que nous ferions tous comme lui... Le Roi reçoit très bien les observations et me dit encore : « Calmez Goethals, vous le pouvez. »

Le Roi et la Reine à l'Exposition universelle de Paris

Répondant à l'invitation de Napoléon III, le Roi et la Reine partirent le 14 mai pour Paris, où ils séjournèrent jusqu'au 3 juin, assistant, chaque jour, à des fêtes nouvelles. Visites à l'Exposition, réceptions, banquets, bals et concerts aux Tuileries, à l'Hôtel de Ville, chez le prince Napoléon et la princesse Mathilde, à l'ambassade d'Autriche, chez le baron de Rothschild au château de Ferrières, telles furent les attractions magnifiques de ces trois semaines.

Notre ministre à Paris relate à Rogier, le 21 mai, un incident assez inattendu qui se passa lors de la réception, par Leurs Majestés, du corps diplomatique au grand complet. Le Roi, s'adressant, « d'un ton un peu sévère », au ministre des Pays-Bas, lui dit qu'il espérait que les relations entre les deux pays s'amélioreraient... avec le temps. »

« M. Lightenvelt assez déconcerté s'est hâté présenter le personnel de sa légation - de on s'est souvenu (page 109) à cette occasion des paroles de l'Empereur à M. de Hübner, mais on n'augure point d'aussi graves conséquences... »

Les propos de Léopold II, plus malicieux qu'effrayants, ne furent, en effet, pas le prélude d'une guerre belgo-hollandaise, alors que l'apostrophe de l'Empereur à l'ambassadeur d'Autriche, le 1er janvier 1859, avait fait prévoir l'imminente rupture entre Napoléon III et François-Joseph.

Le baron Beyens n'a pas, dans sa correspondance diplomatique, mentionné - et c'est surprenant - la réception, par le Roi et la Reine, de M. Thiers, le 1er juin.

Dans ses « Mémoires » (Voir Henri MALO, « Madame Dosne », tome II, 295 et suiv.), Mme Dosne, la belle-mère et l'Egérie du célèbre homme d'Etat, nous entretient longuement de cette entrevue, provoquée, croit-elle, par une maladresse de la baronne de Rothschild. Cette dernière avait raconté que Léopold II l'entendant s'excuser de n'avoir pas invité à Ferrières MM. Thiers, Berryer et Changarnier l'avait approuvée.

Quoi qu'il en soit, et bien que M. Thiers n'eût pas cru devoir s'inscrire chez le Roi et la Reine, Léopold II envoya le grand maréchal de la Cour, comte de Vanderstraten-Ponthoz, prier M. Thiers de lui rendre visite. La conversation dura trois quarts d'heure et fut fort intéressante, étant données les circonstances et la qualité des interlocuteurs. Thiers crut remarquer que Léopold II « qui n'est pas même sûr du maintien de ses petits Etats, y ajouterait volontiers le Luxembourg, si cela convenait à la Prusse. »

Le récit de Mme Dosne est complètement dénué de sympathie à l'égard du « petit roi » et aussi de la Reine qu'elle dénomme même « l'Autrichienne. »

Les préoccupations du Roi pour la défense nationale. Un conflit avec Frère-Orban

Au milieu des plaisirs Léopold II n'oubliait pas la politique, et Vandenpeereboom, par une rapide allusion, rappelle que les devoirs d'Etat s'imposent toujours. Les alertes de 1866 et de 1867 avaient profondément frappé l'esprit de notre Roi, qui voulait en tirer les conséquences logiques et, dans sa clairvoyance, renforcer l'organisation militaire de son pays. Il ne trouva pas auprès de (page 100) ses ministres, le général Goethals excepté, le concours souhaité. Ils ne croyaient plus au danger et n'osaient pas s'exposer, en demandant au pays de gros sacrifices d'hommes et surtout d'argent, à des malheurs électoraux, guettés qu'ils étaient par l'opposition cléricale qui glissait vers l'antimilitarisme, et par l'extrême-gauche où des utopistes comme Couvreur et Le Hardy de Beaulieu n'étaient pas les moins hostiles aux dépenses militaires.

Le Roi qui, avant son départ pour Paris, avait signé divers projets de crédits pour la guerre, se montra fort mécontent - écrit Vandenpeereboom le 19 mai - de ce que Goethals « n'avait pas engagé tout le crédit de 9 millions, qu'au moment du péril le Conseil l'avait autorisé à employer sans vote de la Chambre. » Frère, d'autre part, ayant découvert, parmi les crédits signés, « des dépenses non urgentes, non faites encore et difficiles à justifier... » a engagé Goethals à y renoncer et à soumettre un nouveau projet réduit au Roi… »

La Chambre devant se séparer et vu l'urgence, le capitaine Van Rode, aide de camp de Léopold II, fut envoyé à Paris, porteur du projet à soumettre à la signature royale. « Mais voilà que Sa Majesté refuse de signer ; il a renvoyé Van Rode et son arrêté tambour battant, disant que l'on n'avait que trop réduit et qu'un projet de loi signé par lui et un ministre responsable est définitif. »

« Goethals est venu me conter tout cela ce matin - poursuit Vandenpeereboom. Il paraît que Frère est très irrité et qu'il en a fait une grosse affaire. Il a écrit au Roi... Nous verrons ! »

Le Roi finit par céder : « après une correspondance assez vive », il fit parvenir à Frère un blanc-seing ; mais la clôture de la session ayant eu lieu le 25 mai, il ne fut plus possible de présenter à la Chambre les projets de crédits.

Les élections sénatoriales

C'était l'époque du renouvellement par moitié du Sénat, et les partis se préparaient à la lutte, qui s'annonçait comme devant être ardente à Ypres et Bruges. Pour soutenir son ami Mazeman de Couthove, Vandenpeereboom alla passer deux semaines dans sa ville natale. Il notait avec joie à la date du 12 juin : « Nous avons (page 111) triomphé à Ypres à une majorité de 219 voix. C'est une victoire magnifique pour Mazeman et pour le parti libéral. » En ce temps, l'arrondissement d'Ypres et plusieurs villes des Flandres restaient encore fidèles au libéralisme modéré.

Dans leur ensemble, les élections sénatoriales affaiblirent la majorité libérale, qui perdit deux sièges à Anvers - résultat d'ailleurs prévu - et un à Bruges, où cependant le parti avait, en 1864, reconquis deux mandats de représentants.

Le roi de Prusse, venant de Paris, s'arrête un jour à Bruxelles

Après avoir passé plusieurs jours à Paris, le roi de Prusse, qu'accompagnait Bismarck, s'arrêta vingt-quatre heures à Bruxelles. L'accueil de la population fut froid ; les deux personnages n'attiraient pas la sympathie. Aussi une caricature du journal satirique « Le Grelot » représentait-elle « Harpocrate, dieu du silence, accueillant deux illustres Prussiens à leur arrivée à Bruxelles. »