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Les débuts d'un grand règne (1865-1868). Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine
GARSOU Jules - 1934

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Jules GARSOU, Les débuts d'un grand règne. Notes pour servir à l'histoire de la Belgique contemporaine

(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)

Tome II. De la démission du général Chazal à la retraite de Rogier et Vandenpeereboom (octobre 1866 janvier 1868)

Chapitre II. La nomination du général Goethals et la constitution de la commission mixte

Goethals est nommé ministre de la Guerre

(page 26) Le Conseil des ministres tint séance le 13 décembre, à 1 h. 1/2. « Rogier explique son entrevue avec Goethals. Frère lui répond : « Je sais tout cela, et de plus, que le Roi a fait venir le général ce matin ; il l'a entretenu pendant près de deux heures, dans le sens de la conversation que j'ai eue avec Sa Majesté. » Frère qui veut, - ajoute malignement Vandenpeereboom - non seulement avoir, mais encore avoir ostensiblement la direction de tout, avait fait venir dans la matinée le général Goethals sous un prétexte éphémère (sic), mais au fond pour qu'il crût que c'était à lui, à son intervention que le général devait son portefeuille... bien qu'il lui eût été fort hostile, et que c'est à mes insistances que Goethals a été préféré ; il était donc informé de tout.

« Le Conseil a décidé de faire envoyer au Roi, sans plus de retard l'arrêté de nomination, et de prier le nouveau futur collègue de venir au Conseil après la séance de la Chambre.

« Après la séance à 5 heures. Goethals est arrivé en Conseil ; il accepte après peu de cérémonies. Il croit, sauf examen, qu'on peut suffire avec les crédits actuels. Il nommera une commission pour examiner toutes ces questions. Il n'a pas d'idées fixes sur les fortifications de la rive gauche de l'Escaut ; il n'insistera pas sur ce point. Comme il est actionnaire de la Société du Matériel qui a un gros procès avec le Gouvernement à propos des fortifications d'Anvers, il remettra le soin de traiter cette affaire au ministre de la Justice.

« A ce moment arrive Van Praet, porteur d'une lettre du Roi. Sa Majesté, voulant faire semblant d'autorité, écrit qu'elle ne signera la nomination du ministre de la (page 27) Guerre que si on nomme une commission pour examiner la question des fortifications du bas-Escaut. Le cabinet n'était pas engagé sur ce point, on décide que rien n’empêche cet examen - fort inutile, du reste, puisqu'il est fait. Goethals est invité à aller voir le Roi dans la soirée, à 8 h. 1/4, au palais de Bruxelles. Rogier voudrait y aller aussi pour assister à la prestation du serment. Voilà une affaire faite. Dieu soit loué ! Je suis libéré. Personne ne s'attendait la nomination de Goethals : et personne n'en était informé. Aussi les employés du Ministère de la guerre furent-ils fort étonnés en arrivant le matin au bureau. On raconte les scènes les plus burlesques... »

Goethals va trop vite en besogne !

Un petit conflit faillit arriver par suite d'un excès de zèle du nouveau ministre.

« Goethals fonctionne, mais fonctionne trop - remarque Vandenpeereboom - ; dans la journée (du 13) il a composé, d'accord avec le Roi, une commission composée de vingt et un officiers, qui aurait pour mission d'examiner toute l'organisation de l'armée. On lui recommandera d'examiner ce qu'il faut pour défendre Anvers et de ne pas dépasser en dépense le chiffre actuel. Tout cela fut bâclé dans la journée et l'arrêté était envoyé au Moniteur quand, vers 5 heures, on en eut connaissance en Conseil.

« On représenta Goethals que ce n'était pas ainsi que l'on faisait de telles affaires, que des mesures aussi graves touchaient à la politique générale et devaient être concertées en Conseil, que l'arrêté devait être retiré du Moniteur, Goethals objecta que tout était convenu avec le Roi, à qui il avait promis que l'arrêté serait au Moniteur le 14. Le Conseil insista et Goethals fit retirer l'arrêté en priant Rogier, qui doit voir Sa Majesté aujourd'hui, d'expliquer la chose au Roi. Le soir, étant avec Frère, j'ai vu Van Praet que l'on a prié de dire au Roi qu'il était impossible de procéder de la sorte.

« Van Praet a dit que Goethals était inexpérimenté... C'est possible... Mais le Roi n'a-t-il pas un peu poussé à brusquer le dénouement dans la crainte que l'élément civil n'intervint en cette affaire ?

Vif débat à la Chambre

(page 28) Sur ces entrefaites, un débat assez âpre - pour l’époque - avait été engagé à la Chambre, le 14 décembre, par Kervyn de Lettenhove. Motivant son vote négatif sur le budget de la Justice, le représentant d'Eecloo blâma le ministère de ses mesures de laïcisation, que lui dictait son hostilité à l'idée religieuse. Bara, dans sa riposte, reprocha à l'orateur catholique d'avoir lancé « la flèche du Parthe » sans griefs réels.

« C'est une rupture de la trêve tacite, observe Vandenpeereboom. Il faut s'attendre à des représailles, ajoute-t-il, car la gauche pourrait bien demander la mise à l'ordre du jour de la loi du temporel. » Il souligne également le mécontentement du Roi « informé de cette incartade de la droite « ; elle avait voté tout entière contre le budget de la Justice.

Un débat à la Chambre sur la question flamande

Depuis l'entrée à la Chambre des antimilitaristes anversois, la question flamande était sortie de la phase passive. Jan Delaet, qui, le 13 novembre 1863, avait, à l'étonnement général, prêté en flamand le serment constitutionnel et avait donné lecture, le 5 mai 1866, d'un copieux et passionné cahier de griefs. ne perdait pas une occasion de dénoncer l'« oppression » linguistique. Les 11 et 12 décembre 1866, la discussion du budget de la Justice lui permit, ainsi qu'à ses collègues Coomans et Gerrits, d'insister sur les difficultés qu'éprouvaient les Flamands lorsqu'ils avaient affaire à des juges parlant exclusivement le français.

Le débat, auquel participèrent les ministres Bara et Frère-Orban, prit parfois un ton assez vif. Il attira l'attention du ministre de France. Dans une dépêche du 15 décembre, le comte de Comminges-Guitaud écrivait au marquis de Moustier :

« Cette accusation, pour n'avoir rien de fondé, n'en a pas moins révélé la rivalité bien réelle qui subsiste entre les deux races dont se compose la population belge. Plusieurs séances ont été consacrées à ce singulier débat. dans lequel M. Frère-Orban a dû intervenir à plusieurs reprises avec toute l'autorité de sa parole pour rétablir les faits et prouver avec M. Bara, ministre de la Justice, que rien ne justifiait les attaques dont le gouvernement (page 29) était l'objet de la part de l'opposition au sujet de l'organisation de la magistrature... »

Tentative de rapprochement entre le Cabinet et la Ville d'Anvers

Un essai de conciliation entre le gouvernement et la Ville d'Anvers s'esquissa vers la fin de l'année 1866. Van Praet dit à Vandenpeereboom, le 15 décembre, que le représentant d'Hane-Steenhuyze lui avait proposé « une conférence entre deux Anversois et deux délégués du Cabinet à l'effet de faire la paix ». Et Vandenpeereboom de s'écrier : « Serait-ce possible ? Serait-ce digne ? » Le Conseil des Ministres décida toutefois de proposer au Roi la nomination définitive des membres de l'administration communale faisant fonctions, depuis trois ans, de bourgmestre et d'échevins. Le 19 décembre, le Moniteur la publia. Van Put devint bourgmestre de la métropole ; furent désignés comme échevins Van Housen, Van den Bergh-Elsen, d'Hane-Steenhuyze et Cogels-Osy.

Le ministre de France soulignait, dans sa dépêche du 20 décembre, l'importance de cet événement

« ... C'est un fait d'autant plus important que cette grande cité qui, sans s'en soucier, peut, dit-on, devenir le « bouclier de la Nationalité belge » attendait depuis trois ans la nomination de ses magistrats par le Roi. L'avance que vient de faire le gouvernement mettra probablement un terme à une situation qui passait à juste titre pour être déplorable. »

Le Conseil décide la formation de la grande Commission militaire. Critiques à l'adresse de Goethals

(page 30) A cette même réunion du Conseil eut lieu la constitution de la grande Commission militaire, qui devait se composer, d'après Vandenpeereboom, de douze civils, dont un député par province et trois sénateurs, et de douze officiers généraux. La liste serait soumise au Roi le jour même, et le lendemain l'acceptation serait demandée aux sénateurs et aux représentants. « La Commission - continue Vandenpeereboom - aura un programme de questions à examiner. Le programme sera discuté en Conseil. On doit prendre de pareilles précautions, car Goethals est léger, primesautier et, de plus, il ne connaît rien en administration supérieure militaire. C'est un vrai débutant sans études préalables. Aide de camp du Duc de Brabant, puis du Roi, il est habitué à exécuter tout ce que son cher dit, veut et pense. Goethals a donc beaucoup à apprendre et quelque chose à oublier. Heureusement, il a à côté de lui le général Guillaume, son ami et parent, administrateur expérimenté. Guillaume est venu me voir ce matin pour m'exposer les allures de son nouveau chef et ami, il tâchera de guider ses premiers pas en attendant qu'il puisse marcher seul ; j'ai expliqué à Guillaume les intentions du Cabinet ; je lui ai dit que le Roi avait cédé à nos observations, que la composition première de la Commission militaire faite par le Roi et donnée à Goethals serait modifiée du consentement de Sa Majesté. Enfin, j'ai engagé Guillaume à prémunir son ministre contre des décisions prises trop vite et à la pression du Roi, et à l'engager à se mettre préalablement d'accord avec ses collègues sur les questions importantes. Chazal, en allant seul de l'avant tout en ayant l'air quand on l'interrogeait en Conseil, s'est créé à lui et à nous de graves embarras ; il est à désirer qu'on les évite à l'avenir. Le général Guillaume est tout à fait d'accord avec moi sur ce point. Il viendra me voir de temps en temps. »

Conversation entre Vandenpeereboom et le général Donny

(page 31) . Le général Donny, directeur de l'artillerie, etc., au département de la Guerre, est venu causer encore ce matin avec moi ; il est très modéré dans son militarisme ; il s'occupe avec zèle et talent de l'armement de l'infanterie et croit que l'on pourra transformer les fusils en usage ; il y aurait là une grande économie ; un fusil neuf coûterait de 60 à 70 francs, le fusil transformé 30. Il faudra environ 150,000 fusils pour l'armée ; la garde civique devra avoir les mêmes armes. Il faudra donc faire des fusils neufs car on n'a actuellement en moyenne que 140 à 150,000 fusils en état de servir plus ou moins et pouvant être transformés.

Composition définitive de la Commission militaire. Le rapport de Goethals.

Le 20 décembre, le Moniteur publia en tête de sa partie officielle le rapport suivant adressé au Roi par le ministre de la Guerre :

« Bruxelles, le 19 décembre 1866.

« Sire,

eLe nouveau système de défense qui a été adopté pour le pays et les progrès réalisés dans l'art de la guerre exigent que l'on examine si l'organisation actuelle de l'armée répond encore aux nécessités de la défense nationale.

« Afin d'éclairer le gouvernement, j'ai l'honneur de proposer à Votre Majesté de soumettre cette importante question à l'examen d'une commission dont l'institution fait l'objet du projet d'arrêté joint au présent rapport.

« Le Ministre de la Guerre, Baron Goethals. »

L'arrêté royal précité composa définitivement la grande Commission de quatorze civils, représentants et sénateurs, et de quatorze officiers supérieurs, dont sept lieutenants généraux, quatre généraux-majors, un colonel d'état-major, un colonel et un intendant général.

Parmi les parlementaires, choisis en nombre égal parmi les deux grands partis, nous relevons les noms de B. Dumortier, H. de Brouckere, Malou, Orts, Tesch, (page 32) Pirmez, Vilain XIIII, Van Humbeeck. Les généraux Eenens, Guillaume, Renard, Thiebauld sont les noms les plus connus des militaires. Les trois derniers furent successivement ministres de la Guerre.

Accalmie à la Chambre

« Calme profond », note Vandenpeereboom le 20 décembre. La Chambre est comme un lac, tout se passe avec modération ; les crédits à la guerre, la loi du contingent sont votés. On est satisfait de la nomination de la Commission militaire. Je vois peu le Roi qui est, dit-on, très satisfait. Nos collègues ne voient pas plus que moi Sa Majesté, mais le travail de tous les jours ne chôme pas ; je suis éreinté et souvent malade ; j'ai été surmené. »

Grave tension entre la Belgique et la Hollande

Tandis que Vandenpeereboom passait quelques jours de congé dans sa chère ville d'Ypres, les rapports hollando-belges accusaient une situation des plus tendue. Un Conseil des Ministres, présidé par le Roi, siégea le 31 décembre. Figuraient à l'ordre du jour : les difficultés avec la Hollande, la question du barrage de l'Escaut.