(Paru à Bruxelles en 1932 (tome I) et 1934 (tome II), aux éditions L'Eventail)
(page 7) J'ai lu les Mémoires d'Alphonse Vandenpeereboom à la Bibliothèque de l'Université de Gand tout de suite après que leur communication au public a été autorisée, et j'ai conservé de cette lecture une impression excellente. Ce n'est pas que leur auteur nous communique des révélations sensationnelles, ni qu'il se distingue par la largeur de ses vues ou l'agrément et le piquant de son style. Il n'a d'autre prétention que celle de raconter très simplement les souvenirs d'une vie politique sans grand éclat. Mais il sait observer avec une bonhomie parfois assez narquoise ce qu'il a pu et ce qui lui est arrivé durant les six années qu'il a passées dans le cabinet dirigé par Charles Rogier.
Son point de vue est celui d'un vieux libéral que son anticléricalisme foncier n'empêche pas de pratiquer la religion catholique, et qu'inquiètent les outrances des libres-penseurs radicaux. Rien de plus curieux et de plus instructif que son récit pour la connaissance des procédés du gouvernement (page 8) censitaire et de la subordination constante que lui impose l'intérêt à l'égard de mesquines questions de personnes et d'intérêts privés. L'esprit de parti le plus étroit s’allie chez lui à l'esprit bourgeois le plus renforcé.
Mais si ce parfait représentant de la bourgeoisie belge que fut Vandenpeereboom étonne souvent par son terre à terre, il impose aussi le respect par sa conscience et son honnêteté. On croit faire un beau rêve en lisant les lignes où il rapporte en 1866 que les informations reçues par le Cabinet ne laissant aucun doute sur l’imminence de la guerre austro-prussienne, ce serait pour lui une excellente affaire de vendre ses fonds autrichiens, mais qu’ il s'en abstiendra cependant, ne croyant pas avoir le droit de profiter, comme particulier, des renseignements dont il ne dispose qu'en qualité d'homme public, Ajoutons que ce parfait honnête homme est en même temps le plus modeste qui soit. Jamais il ne cherche à se faire valoir ou à exagérer son rôle. Visiblement, d'ailleurs. il n'a pas écrit pour le public et cela renforce encore l'autorité de son témoignage.
C'est donc un nouveau service rendu par M. Jules Garsou à l'histoire de la Belgique contemporaine que de nous avoir donné, si peu de temps après ceux de Gendebien, les Mémoires de Vandenpeereboom.
Il n'a pas cru devoir les reproduire intégralement et il faut reconnaître qu'ils renferment beaucoup de fatras. Un choix s'imposait. Le parti auquel s'est arrêté leur éditeur a été d'en extraire, en les encadrant dans des détails empruntés (page 9) tant à la correspondance de nos ministres à l'étranger qu'à d’autres documents d'archives et aux sources imprimées, les particularités souvent savoureuses qu'ils nous font connaître sur Léopold II. Et encore que Vandenpeereboom n'ait pas soupçonné le génie du Roi, ni apprécié comme ils le méritaient ses efforts pour arracher aux ministres les mesures indispensables à la défense nationale, c'est avec raison que M. Garsou a donné à ce livre, où son apport personnel s'associe à celui des Mémoires, le titre qui vraiment lui convenait : « Les débuts d'un grand règne. »
Henri Pirenne