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Ecrit sur le sable (cinquante ans de journalisme)
FISCHER Franz - 1947

FISCHER Franz, Ecrit sur le sable (cinquante ans de journaliste)

(Paru à Bruxelles en 1947, aux éditions de La Renaissance du Livre)

Lettre-préface

(page 7) Mon cher Franz, Ecrire est mal incurable. Il heureux que tu n'en sois jamais guéri. Nous n'aurions jamais eu les pages charmantes et pittoresques que j'ai sous les yeux. Voici 20 ans que tu nous les a promises. Nous savons tous que tu tiens toujours les promesses avec quelque délai. Nul ne s'en plaindra. Il semble que le temps, dont tu subis les injures avec une bravoure gaillarde et narquoise, ait singulièrement enrichi ton expérience des hommes et des choses. La fidélité de ta mémoire n'a d'égale que la sûreté de ton jugement, la puissance de ton observation et le souci d'une forme dont Paul Valéry a pu dire qu'elle est l’infrastructure obligée d'un fonds dont la substance varie chaque jour dans ta tyrannique profession de journaliste. Voilà plus d'un demi-siècle que tu écris. Pendant 25 ans nous avons combattu tous les deux, côté à côte, dans les colonnes du journal « Le Peuple ». Tu as écrit des milliers d'éditoriaux. On peut les relire tous. Chacun d’eux est le témoignage d'une fidélité exemplaire à une cause que lu n'as jamais trahie. Les cruautés des camps de concentration elles-mêmes n’'ont point fait fléchir ton attachement à la démocratie et au socialisme. Elles l'ont décuplé.

Le Franz Fischer qui en est sorti blessé et meurtri dans sa chair, n'a pas cédé nonchalamment à l'excusable lassitude qui accable, au soir de leur vie, ceux qui ont trop longtemps combattu. Ses pages, écrites après Breendonck, après tant d'épreuves inhumaines, nous rendent le Franz que nous avons toujours connu : concis, clair, rapide, savoureux, (page 8) maniant son style léger avec une incomparable maîtrise.

Mon cher vieux camarade. j'ai mené tant de batailles, tu as su polémiquer sans blesser, railler sans tomber dans la vulgarité. Tu as toujours refusé d'acquérir les arguments au marché noir de la controverse. Tu as miraculeusement résolu cet insoluble dilemme d'écrire pendant un demi-siècle pour un journal de parti sans succomber à l'esprit partisan. Tu fis toujours bonne mesure à tes adversaires. Ton livre est un peu mieux qu’une collection d’attachantes anecdotes. C'est une authentique et précieuse contribution à l'histoire politique et parlementaire particulièrement mouvementée de cet ardent pays qui est le nôtre. II contient maints portraits d'hommes politiques engloutis par le passé qui rendent ces fantômes plus vivants qu'à l'époque où ils occupaient la chronique. Il est vrai que la surprenante mémoire est secondée par une imagination dont le lyrisme n'est guère contingenté…

Tu as jugé les contemporains avec une indulgence dont certains pourraient faire leur profit. La poltronnerie et la servilité de certains journalistes, dont le dos est devenu aérodynamique à force de courbettes devant les puissants du montent, les rendent parfois féroces.

Ton livre est un grand exemple de probité professionnelle, de probité tout court.

Aux temps heureux où nous écrivions alternativement les billets politiques du « Peuple », j'ai souvent contesté l'exactitude des chiffres que tu citais fort imprudemment. Tu avais fini, soulagé, par abandonner celte technique. Après tout, tu n'es pas professeur de méthodologie statistique.

Mais je relève une nouvelle el flagrante erreur dans la biographie : personne ne croira que tu es né à Scharbeek, le 7 janvier 1875. Tes lecteurs – (page 9) qui seront nombreux - ne le croiront surtout pas près avoir lu ces pages alertes où tu as moissonné la récolte de ton universelle et primesautière curiosité. En l'écrivant, tu n'as pas devoir prendre le ton des gens qui se croient toujours à la veille du jugement dernier. Une conviction passionnée, qui est la tienne, s'accommode fort bien de bonne humeur et de grâce.

Si, comme je le soupçonne, le maquis, où tu as conquis de glorieux chevrons a maquillé ton état civil, tu nous dois un autre livre. Tes amis l’attendent avec impatience.

Et toi qui arrives toujours une heure en retard aux réunions, tâche de ne pas être en retard d’un livre sur ta vie de militant et journaliste socialiste.

Affectueusement.

Arthur WAUTERS.