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Charles Rogier (1800-1885), d'après des documents inédits
DISCAILLES Ernest - 1895

Ernest DISCAILLES, Charles Rogier (1800-1885)

(Paru à Bruxelles en 1895, chez J. Lebègue et Cie)

Première partie. Rogier avant la révolution de 1830

Chapitre premier. La famille de Rogier. Années de collège

(page 11) Si Charles Rogier, qui adorait sa famille comme il en était adoré, se plaisait à lui raconter sa vie, s'il n'a jamais eu pour elle rien de caché, il est au moins douteux, d'autre part, qu'il ait jamais eu sérieusement l'intention d'écrire ses Mémoires.

Loin de vouloir se parer, se draper pour la postérité, il avait nous savons quelle répugnance à fournir des renseignements, des documents biographiques aux publicistes qui désiraient retracer sa carrière (On en peut juger par le peu de place que tient sa biographie dans la vaste publication que Théodore Juste a consacrée aux Fondateurs de la Monarchie belge). Ceux mêmes qui partageaient ses opinions politiques ne parvenaient pas aisément à le tirer de cette réserve, où il y avait quelque peu d'indolence et en même temps ) qui sait ? - beaucoup de confiance, une confiance légitime, dans l'impartialité de l'histoire.


Ce n'est qu'après des instances réitérées, nous disait (page 12) sa vénérable sœur, Madame veuve De Grelle, que Rogier consentit un jour à rassembler ses Souvenirs.

C'était en 1855 : il avait 55 ans.

On allait célébrer le vingt-cinquième anniversaire de cette indépendance dont il avait été l'un des vaillants soldats.

Il n'était plus aux affaires : il avait quitté le ministère le 31 octobre 1852.

Il n'était plus même représentant : en juin 1854 les électeurs d'Anvers lui avaient enlevé son mandat (Dix-huit mois plus tard, il fut renvoyé à la Chambre par l'arrondissement de Bruxelles).

Il n'avait plus l'excuse du manque de temps qu'il invoquait toujours quand les siens le priaient d’annoter ses souvenirs.

« Eh bien, nous allons nous recueillir ! » leur dit-il un jour.

Et à la première page d'un volumineux cahier dont les neuf dixièmes des pages sont restées blanches — il écrit:

« Notes et Souvenirs »

en grandes lettres..., nous serions tenté de dire en lettres joyeuses ! car on croirait qu'il éprouve comme de la joie à vaincre enfin sa répugnance à écrire ce qu'il ne désirait que raconter, de la joie aussi à se sentir les loisirs voulus pour se souvenir.

Au risque de voir taxer de puérils certains détails de cette autobiographie, nous ne résistons pas au désir d'en donner la première page, qui est écrite un peu « à la diable » :

« Collège d'Avesnes. Le professeur Lebrun, sur une dénonciation qui lui était faite de moi, disait en me regardant d'un air moqueur : Oh ! il n'en est pas capable ! - Si ! j'en suis capable.

« Au Gymnase de Liège, le Directeur Gall voulait me forcer sous (page 13) peine de prison de nommer le camarade qui avait brisé les bancs : Je le connais, mais je ne le nommerai pas.

« En 1813, mon petit paquet était fait pour suivre à Douay les boursiers de l'Etat : mon frère restant au lycée, j'y demeurai également.

« En 1817, je terminai mes études après deux ans de rhétorique sous le professeur Charmant. Les deux seules années où j'ai profité. J'obtins quatre premiers prix, comme mon frère aîné à Douay en 1809.

« Avant même d'avoir terminé mes études, je commençai à donner des leçons : j'aurais pu et dû suivre dès lors les cours de l'université. Ce ne fut que plusieurs années après que je m'y décidai. Je passai mon doctorat en 1826.

« Fondation du Mathieu Laensbergh en 1823, 1er avril.

« Mention honorable, puis médaille obtenue à la société d'Émulation dans les concours de poésie.

« En 1827, publication des Mémoires de D.-J. Van Halen.

« En 1829, publication d'un Manuel électoral.

« En 1829, procès intenté par les Pompiers de Liège.

« En 1830, poursuites dirigées contre quatre d'entre nous pour articles. »

Nous reprendrons ultérieurement, pour les compléter, plusieurs des indications fournies par Rogier dans cette curieuse page de ses Notes et Souvenirs.

Mais avant tout, il nous faut nous occuper de ses premières années et remonter à l'origine de sa famille.

Un acte de notoriété de 1838, qui fut produit en 1861 dans un procès de presse dont nous aurons à parler plus tard, établit...

« que... M. Firmin-Noël-Albert Rogier, fils de Firmin-Nicolas-Joseph, épousa, le 25 août 1788, demoiselle Henriette -Louise-Joseph Estienne, fille de Charles Estienne, marchand à Cambrai ;

(page 14) « Qu'il fut, par élection, investi en 1791 des fonctions d'officier municipal de Cambrai, fonctions qu'il exerçait encore en 1792 ;

« Qu'à cette époque et lors de la formation des premiers bataillons, il fut élu commandant en second du sixième bataillon du Nord, et qu'il partit pour l'armée en cette qualité ;

» Qu'il est décédé en 1812 dans l'expédition de Russie ;

» Qu'il a laissé trois fils, savoir : M. Firmin Rogier, conseiller de la légation belge à Paris, M. Tell Rogier, juge de paix du canton de Trélon, arrondissement d'Avesnes et M. Charles Rogier, gouverneur de la province d'Anvers et membre de la Chambre des représentants de Belgique. »

Donnons ici un renseignement rétrospectif :

A l'époque où fut rédigé l'acte de notoriété, l'indépendance de la Belgique était reconnue et la Royauté de Léopold Ier bien ancrée dans le pays. On pressentait le moment où la Hollande signerait la paix et les partisans du roi Guillaume tiraient, peut-on dire, leurs dernières cartouches.

Les journaux et les pamphlets orangistes étaient aux abois : ils lançaient les attaques les plus brutales ou les plus perfides contre tous les hommes d'état qui, comme Charles Rogier, avaient contribué à consolider le nouvel ordre de choses.

En novembre 1838, sous le coup d'une de ces attaques, Rogier fit rédiger, par le notaire De Fremery de Cambrai, (page 15) cet acte de notoriété qui fut signé par le premier président de la Cour Royale de Douai, M. Farez, et dix-neuf autres personnes des plus honorables et des plus distinguées comme M. Farez (conseillers généraux ou municipaux, juges, négociants).


La famille Rogier est d'origine belge : le père de Firmin-Nicolas-Joseph, marchand de drap à Cambrai, était né à Renlies (Hainaut) en 1699.

C'est à la date du 4 octobre 1792 que Firmin-Noël-Albert Rogier était entré en qualité de commandant en second, « second lieutenant-colonel », au 6e bataillon du Nord. II part pour l'armée le 3 décembre : il était âgé alors de 28 ans.

Quinze mois après, le 13 germinal an II (1er avril 1794), il est nommé commandant de la citadelle de Doullens et le 17 prairial de la même année (5 juin), commandant de Ham.

Après avoir pendant quelque temps pris part aux opérations de l'armée des Ardennes, il est obligé de quitter le service. L'officier de santé attaché au 6e bataillon du Nord, dans un certificat daté du camp de Vierset (Huy) le 23 fructidor an II, déclare que, le 22, « le citoyen Rogier, 2me chef du dit corps, a été attaqué d'un crachement de sang considérable qui continue et duquel il ne peut se faire traiter au camp ».

Fixé depuis lors à Saint-Quentin, l'ancien commandant de Doullens et de Ham y jouissait comme à Cambrai, de la sympathie publique, lorsque, le 11 brumaire an VII (1799), l'administration municipale de cette ville lui notifie qu'il est nommé commandant du 2e peloton d'une « colonne (page 16) mobile réorganisée » et qu'il ait à se tenir prêt à toute réquisition légale.


Charles-Latour Rogier naquit à Saint-Quentin le 17 août 1800 (29 thermidor an VIII).

Il doit être entré vers l'âge de 10 ans au collège d'Avesnes, probablement avec son frère Tell, pendant que leur aîné, Firmin-François-Marie (né le 1er avril 1791), qui était sorti du lycée de Douai en 1809 après y avoir remporté les quatre premiers prix de la Rhétorique, s'en allait à Paris achever ses études à l'École normale.

La famille Rogier avait en effet quitté Saint-Quentin pour Avesnes au commencement de ce siècle. C'est à Avesnes qu'est née la plus jeune de la famille, Pauline-Stéphanie Rogier (le 25 novembre 1809).

En 1811, tandis que Firmin Rogier, devenu élève à l'École normale, obtenait en cette qualité (décret impérial du 29 juillet) « une exemption provisoire du service militaire », le père, lui, demandait à reprendre du service dans l'armée française. Un soldat de perdu, un de retrouvé.

« Je viens, écrivait-il au maréchal Berthier, ministre de la guerre, de lire dans les journaux le décret de Sa Majesté relatif aux militaires retirés encore en état de servir. Si vous pensez qu'un Français âgé de 40 ans, qui a fait pendant 4 ans la guerre tant à l'armée du Nord qu'à celle de Sambre-et-Meuse, qui a recouvré la santé et (page 17) les forces qu'il avait perdues dans les camps, puisse encore être utile, ordonnez ! J'offre à mon prince et à mon pays mon bras et ma vie toute entière... Veuillez m'indiquer le poste où je dois me rendre et le grade dans lequel vous jugerez à propos de m’employer... »

Cette demande, appuyée par le maréchal Mortier, duc de Trévise, un de ses anciens compagnons d'armes fut accueillie favorablement et il partit pour la Russie en mai 1812.

Il fut attaché au quartier général de la Grande armée dans le service de l'administration des vivres.

Sa femme se rendit à Hazebrouck chez un de leurs amis, M. Catté, ancien professeur à Avesnes, chez qui Firmin et Charles avaient commencé leurs études.

La même année, son fils Firmin, qui avait obtenu le grade de licencié ès lettres, ayant été nommé maître élémentaire au lycée impérial de Liège, Mme Rogier, conformément au désir que lui avait exprimé son mari, suivit Firmin à Liège avec ses deux plus jeunes enfants, Charles et Pauline.

Charles entra au lycée dans la première année de grammaire en qualité d'élève externe.

Les lettres que M. Rogier adressa à sa famille depuis son départ pour l'armée sont du 12 mai, du 10 juillet, du 17 août, du 25 août, du 24 septembre et du 1er novembre.

Elles ont été citées par M. l'avocat Dolez dans sa superbe plaidoirie de février 1862. Voici la fin, vraiment émouvante, de la dernière :

(page 18) ... Dis à nos bons enfants que mon amour pour eux n'a pas de bornes ; dis-leur qu'ils pensent souvent à leur père, qu'ils m'aiment toujours bien : dis-leur que je compte sur eux pour rendre nos vieux jours heureux : dis-leur enfin qu'ils suivent l'impulsion de leur coeue... Adieu ! porte-toi bien, aime-moi bien, sois tranquille, heureuse et forte. Tu es mère : pense à tes enfants, pense à ton mari. »

M. Rogier périt dans l'horrible retraite de Russie.

Le 14 mars 1813, une lettre de l'administration faisait pressentir à Mme Rogier la triste nouvelle. Le régisseur général des vivres lui écrivait de Leipzig : « J'éprouve infiniment de peines, madame, de n'avoir rien de satisfaisant à vous dire sur le sort de votre mari, et de ne pouvoir adoucir vos chagrins. Il est à craindre qu'il soit du nombre de ceux qui n'ayant pu suivre la marche de l'armée sont restés au pouvoir de l'ennemi à Wilna ou Kowno. Mais si tel est son sort, il doit vous rester une consolation, celle de savoir qu'ils sont bien traités par l'ennemi et que dans ce moment on négocie... »

Le 4 avril, nouvelle lettre du régisseur général qui dit que « n'ayant en son pouvoir ni le livret ni aucun des papiers du mari de Mme Rogier, il lui est impossible de savoir ce qui peut lui être dû et par conséquent d'obtenir qu'on la paie ».

C'est alors que Mme Rogier dut se résigner, pour se créer des ressources, à ouvrir un pensionnat de jeunes filles à Liège, rue des Sœurs-de-Hasque.

Elle fit revenir, pour l'aider dans sa tâche, sa fille aînée (page 19) Mlle Henriette Rogier, qui était restée en pension à Paris.

Le 22 juillet 1813, un des anciens compagnons d'armes de son mari lui écrit de Lucknau : « Par une suite des événements malheureux de la campagne de Russie, je viens seulement de recevoir votre lettre du 25 février. Après avoir inutilement cherché M. Rogier à mon arrivée à Vilna le 6 décembre, puisqu'il était allé jusqu'à Smolensk, je n'ai obtenu de mes recherches ultérieures que des renseignements insuffisants, mais pas encore positifs. Un garde-magasin qui l'avait connu à Smolensk avec M. Boyer, m'a assuré qu'il avait quitté à temps cette ville, mais que l'on craignait qu'il ne fût fait prisonnier ; que M. Boyer n'étant pas parti assez à temps avait été tué sur la route à quelques pas de cette ville. Si vous n'avez pas encore obtenu d'autres renseignements depuis, il ne faut pas encore désespérer ; chaque jour il nous rentre, ou bien l'on a des nouvelles de gens que l'on croyait morts ou prisonniers. Je désire bien sincèrement que vous soyez heureuse, madame, et que vous retrouviez ce pauvre M. Rogier... »

Ce n'est qu'un demi-siècle plus tard et dans des circonstances pénibles, - lors du procès intenté au Journal de Bruxelles en 1861 - qu'un peu de lumière se fit enfin sur les derniers jours de M. Rogier.

Nous croyons devoir reproduire la lettre si digne, si loyale, qu'écrivit alors M. le comte de Kerckove, ancien médecin en chef des hôpitaux militaires, à Charles Rogier, ministre des affaires étrangères.

« Particulière.

« Malines, le 1er mars 1862.

« Monsieur le Ministre,

« Le nom de monsieur votre père a été récemment l'objet d'une attaque odieuse qui, il faut le dire à l'honneur de notre pays, a été (page 20) hautement réprouvée par les hommes de cœur de tous les partis, bien avant que la justice n'eût parlé (.Note de bas de page : Confirmant, sur opposition, un premier jugement rendu par défaut le 26 décembre 1861, le tribunal de Bruxelles condamne le journal, en février 1862, à dix mille francs de dommages-intérêts et aux frais)

« Les débats auxquels ce fait déplorable a donné lieu m'ont rappelé une circonstance qui peut-être ne vous paraîtra pas tout à fait dépourvue d'intérêt si j'en juge par mes propres sentiments et que, de toute manière, je considère comme une sorte de devoir de vous faire connaître.

« Je n'ai pas à vous cacher, monsieur le ministre, que j'ai longtemps hésité devant cette communication ; d'abord parce que l'affaire étant jugée, pareille communication ne me semblait plus avoir d'utilité, malgré l'appel intervenu, pour la cause que vous défendez ; ensuite parce que je me demandais si ma démarche, bien que s'adressant à l'homme et non au ministre, ne serait pas interprétée comme un acte d'empressement envers le pouvoir, pour ne rien dire de plus. Et c'était même là, je l'avoue, la raison principale de mon hésitation. Ce scrupule, je n'ai pas à le justifier ; je suis trop profondément convaincu que vous le comprendrez.

« Sous l'empire de cette double préoccupation, je me serais très probablement décidé à garder le silence, si je n'en avais été détourné par les instances de personnes, éminemment honorables et tout à fait indépendantes, dont l'opinion en pareille matière doit faire autorité pour moi.

« Ces réserves faites, j'aborde le sujet de ma lettre.

« Vous n'ignorez pas, monsieur le ministre, qu'il reste aujourd'hui très peu de Belges qui aient fait la campagne de Russie : je crois ne pas me tromper en affirmant que, dans ce nombre, je suis le seul survivant de ceux qui ont assisté à l'incendie de Moscou. Avant d'en venir là, j'avais été, au commencement de 1812, en sortant de l'université, attaché comme médecin au grand quartier général de l'armée française...

« Pendant que je me trouvais au grand quartier général, je fis à Mayence, à l'hôtel de Paris où je dînais, la connaissance d'un M. Rogier, directeur ou inspecteur dans l'administration des vivres. Quoique plus âgé que moi, il me prit en affection et, depuis ce jour, des relations d'amitié s'établirent entre nous. Je le revis successivement à Erfurth, à Magdebourg, à Berlin, à Posen, à Thorn, à (page 21) Marienpol, à Kowno, à Vilna et enfin car ce fut la dernière fois - à Liasna, où j'étais chargé de la direction du service médical du 3e corps. Là nous dinâmes encore ensemble à la gamelle - avec le payeur du troisième corps, Le Sergeant, de Saint-Omer.

« Dans ces diverses rencontres, j'eus bien des fois à me louer de l'obligeance de M. Rogier, à me féliciter de son amitié. Les pays que nous traversions ayant été épuisés, la question des subsistances avait pris une très grande importance : elle dominait souvent toutes les autres. Au milieu de ces difficultés, mon nouvel ami me vint fréquemment en aide, et me rendit des services que peuvent seuls apprécier ceux qui se sont trouvés dans de pareilles situations. C'étaient là des procédés d'un bon camarade, mais M. Rogier n'était pas que cela : il était, pour nous tous, un brave et honnête homme, un excellent cœur, un caractère franc et loyal ; il devait être aussi bon père, car il m'a plusieurs fois parlé avec émotion de sa femme et de ses enfants.

Était-ce monsieur votre père ? D'après ce qui a été rapporté dans les débats de l'affaire, je ne saurais en douter. Qu'il me soit permis, monsieur le ministre, de vous féliciter d'avoir défendu sa mémoire. Quant à moi, je serais un ingrat si je ne la respectais pas ; si au milieu des souvenirs de toute espèce que m'a laissés cette grande et douloureuse époque, je ne conservais pas un sentiment d'affection à cet ami de ma jeunesse, dont le nom se lie dans mon coeur à celui de tant d'autres camarades qu'a engloutis la terrible catastrophe de 1812.

» Veuillez agréer... etc. »


Le gouvernement impérial avait accordé à Mme Rogier une bourse d'études pour son fils Charles qui, au commencement de l'année scolaire 1813-1814, entra dans la 2e classe de grammaire du lycée de Liège.

Le 22 septembre 1814, Firmin Rogier fut envoyé à titre provisoire, semble-t-il, au collège de Falaise. Quelques mois après, il reçut avis qu'il allait être nommé maître de la première étude au lycée de Rouen.

Ce n'était qu'à contre-cœur qu'il avait quitté Liège. La famille Rogier était des plus unies et Firmin tenait beaucoup à diriger les études de son cadet Charles qu'il (page 22) affectionnait tout particulièrement et qui lui rendait bien son affection.

« ... La place de premier maître d'études à Rouen n'est pas à dédaigner, lui avait écrit à Falaise un de ses anciens collègues de Liège, le professeur Charmant, mais, à votre place, je ne serais pas fâché que le Grand Maître me maintînt professeur : je dévorerais quelque temps un peu d'ennui, et en me faisant aimer de mes confrères et de mes élèves, ce qui ne vous sera pas difficile, j'attendrais... Au reste, les événements nous servent souvent mieux que notre prudence : je ne sais quel pressentiment me dit que vous serez aussi heureux que vous le méritez ; cette idée adoucit un peu la peine que je ressens d'être séparé de vous... Votre jeune frère pourra, je crois, monter à Pâques à la classe supérieure ; vous lui étiez nécessaire à ce pauvre petit homme, il pense à vous toutes les fois qu'il a quelque chagrin... »

L'amour de la famille fut le plus fort : Firmin ne resta guère à Rouen et rentra assez vite à Liège. Une lettre écrite le 2 septembre 1817 par Charles à son cher « Rogier » - l'aîné de la famille n'était pas désigné par son prénom - nous apprend que le jeune professeur avait déjà alors renoncé à l'enseignement public et s'occupait, près des siens, d'enseignement privé.

(page 23) Charles venait, lui, d'achever sa rhétorique avec un réel succès. Le programme de la distribution des prix du Gymnase Royal et Premier Collège inférieur de la ville de Liège en 1817, porte que Charles remporta le premier prix de littérature grecque, le premier accessit de discours français, le premier accessit de discours latin, le prix unique de vers latins, le prix unique de logique - et le prix unique de bonne conduite, exactitude à remplir ses devoirs, et succès obtenus dans le courant de l'année. Le même programme mentionne dans la série des sciences Tell Rogier, qui a obtenu l'accessit de chimie.

Il avait grandement profité de l'enseignement du professeur Charmant, l'ami intime de son frère, et il aurait vite conquis son diplôme de docteur à l'Université ; il eût pu être avocat à 20 ans comme son ami Paul Devaux. Mais Mme Rogier ne pouvait pas faire pour lui les sacrifices qu'exigeait la fréquentation des cours : dans l'établissement qu'elle avait ouvert trois ans auparavant, les élèves n'affluaient pas...

Charles Rogier, obligé de remettre à des temps meilleurs ses études universitaires, se décide à demander, comme son aîné, des ressources à l'enseignement privé.