(Paru à Bruxelles en 1895, chez J. Lebègue et Cie)
(page 116) Le Régent composa son cabinet le 26 février. Il ne fit que confirmer dans leurs fonctions, avec le titre de ministres, les administrateurs généraux des divers comités : M. Goblet conservant la guerre, M. Tielemans l'intérieur, M. Van de Weyer les affaires étrangères, M. Ch. de Brouckere les finances, M. Gendebien la justice. M. de Gerlache qui avait succédé à Surlet de Chokier dans la présidence du Congrès, eut aussi la présidence du conseil des ministres, mais sans portefeuille et uniquement avec voix délibérative.
L'arrêté qui nommait M. de Gerlache, contresigné par les autres ministres, était ainsi conçu :
« M. de Gerlache, conseiller à la cour de Liège, est nommé président de notre conseil des ministres, sans déroger à l'article 103 de la Constitution », cet article stipulant qu'aucun juge ne peut accepter du gouvernement des fonctions salariées, à moins qu'il ne les exerce gratuitement, et sauf les cas d'incompatibilité déterminés par la loi.
M. de Gerlache résigna ses fonctions au bout de quelques jours, se trouvant, croit-on, dépaysé dans ce milieu (page 117) gouvernemental qui était le hasard l'avait voulu exclusivement libéral. (Hist. du Congrès, II, pp. 6 et 7.)
Rogier, aussitôt après être descendu du pouvoir, était allé reprendre le commandement de ses Liégeois en garnison à Termonde : on eût dit qu'il avait soif, comme un autre Washington, de rentrer dans l'obscurité.
Mais bientôt le Régent fait appel à ses lumières : il l'attache à sa personne comme aide de camp. Rogier devient, pourrait-on dire, le bras droit, le conseiller du Régent.
Il est forcé, à cause de ces fonctions, d'abandonner provisoirement le commandement du bataillon au major Lochtmans ; mais il est en correspondance presque journalière avec lui et il s'occupe avec une extrême sollicitude de tout ce qui intéresse le corps.
Une figure originale, disons-le en passant, que celle de ce major Edouard Lochtmans, brave jusqu'à la témérité, inflexible sur la discipline, n'ayant qu'une confiance limitée dans les capacités et la loyauté des chefs de l’armée nationale (comme il l'écrivait à son « excellent colonel » Rogier bien souvent, par exemple le 31 mars 1831), n'en ayant pas davantage dans le patriotisme de certains fonctionnaires de l'ordre judiciaire (avril 1831). Il aimait d'ailleurs Rogier au point de proférer des menaces violentes contre les journalistes et les membres du Congrès qui se permettaient de l'attaquer. «... Tous vos officiers et moi, lui écrivait-il un jour, nous sommes prêts à verser notre sang pour vous, parce que nous sommes convaincus que vous êtes un honnête homme. » (3 janvier 1831.)
Firmin n'était pas satisfait de voir Charles se contenter (page 118) d'être l'aide de camp du Régent : il lui écrivait le 10 mars :
« ... Que signifie cette place d'aide de camp ? Ici, on n'a pas compris qu’un membre du Gouvernement provisoire, et membre influent, n'obtint rien d'autre quand ses collègues sont ministres. Quid ? »
La modestie de Rogier ne le mettait pas à l'abri des méchancetés de ceux qui le jalousaient, ou des orangistes qui ne lui pardonnaient pas d'avoir fait si vaillamment sa part dans la Révolution.
A propos d'une affaire d'honneur avec un sieur E., qui avait été réglée à son entière satisfaction par les soins de son ami Chazal, un journal s'était fait l'écho complaisant de bruits aussi faux que malveillants son courage. Rogier, qui mettra toujours de la netteté et de la décision dans ses affaires privées comme dans les affaires de l’Etat, écrit à l'éditeur :
« ... Je lis dans le... de ce jour un article qui, rapproché de l'article infâme de l'..., qui le rétractera, peut porter atteinte à mon honneur. Tant que j'ai appartenu au Gouvernement provisoire, j'ai pu mépriser les injures qui m'étaient adressées par votre journal. Redescendu aujourd'hui dans la vie privée, je ne souffrirai aucun article qui pourrait m'atteindre dans ma réputation... »
L'éditeur se le tint pour dit et donna la réparation voulue : « Je fais trop de cas de vous, écrit le 2 mars M...., pour jamais chercher à vous nuire. »
Cette affaire nous fournit une fois de plus l'occasion de montrer la vivacité de l'amitié qui unissait les frères Rogier.
Firmin ne savait de la provocation que ce que les journaux lui en avaient appris. Charles, ayant craint apparemment de lui donner quelques soucis, avait gardé le silence jusqu'à la solution de l'affaire. Firmin lui écrit le 10 mars :
« ... Comment n'as-tu pu trouver le temps de m'écrire quelques lignes au sujet de la brutale insolence de cet E... ? N'avais-tu pas compris, mon cher Charles, dans quel état d'angoisse et de fureur l'article de... devait me jeter ? D'où vient donc la sorte d'indifférence que tu me (page 119) témoignes ? Crois-tu oui ou non que je t'aime de toute mon âme ? Crois-tu qu'il y ait au monde quelqu'un qui ait plus que moi le besoin de te savoir heureux, honoré, chéri de tous ? Et pourtant si Chazal (et je l'en remercie de nouveau de tout mon cœur) ne m'avait pas écrit en toute hâte, je n'aurais connu les détails de ton affaire que par les journaux. Tu sais ce que la lettre de dénégation de Sébastiani t'a fait éprouver dans le temps : juge de ce que j'ai dû ressentir ici en lisant le... La lettre de Chazal m'a seule empêché de quitter mon poste et de courir à Bruxelles. J'envoyais ma démission et les affaires de la Légation restaient entre les mains de je ne sais qui ; mais il m'importait peu, par ma foi ! Pouvais-je deviner que ce récit était aussi complètement mensonger et infâme ? Je savais bien que personne au monde ne t'insulterait impunément, mais cette certitude même n'était pas du tout un motif de sécurité sur ton compte et sur ce qui pouvait advenir des suites de cette odieuse provocation... »
Il y a dans une lettre écrite par Chazal à Rogier (alors à Tongres) relativement à cette histoire de provocation, quelques lignes touchantes :
« …J'ai reçu une longue, longue lettre de Firmin qui a été dans des angoisses cruelles ; il allait partir lorsque ma lettre lui est parvenue et l'a rassuré. Je lui ai écrit hier matin pour lui annoncer le dernier acte de cette vilaine pièce et son dénouement tragi-comique... Je te donnerai la lettre de Firmin ; elle te fera du bien, tu verras qu'il y a cependant du plaisir à aimer et à être aimé... »
Chazal donne dans cette lettre des détails sur des inondations qui avaient fait d'affreux ravages dans le Paradis liégeois (faubourg de Liège). Après avoir dit que le délicieux Chaudfontaine n'avait pas été épargné, il ajoutait ces lignes où l'on sent toute l'estime, toute l'affection qu'il a pour Rogier, et en même temps nous ne savons quelle amertume causée par l'oubli où le Gouvernement semblait vouloir le laisser, lui qui, comme ordonnateur général de l'armée, avait rendu d'incontestables services :
« ... Il restera toujours bien un petit coin où nous pourrons philosopher ensemble et apprécier les hommes à leur juste valeur. La gloire, l'honneur, le désintéressement : mots vides de sens, préjugés absurdes, ridicules. Il n'est plus qu'une seule vertu, vertu sublime (page 120) quand on a le cœur assez cuirassé pour la pratiquer, c'est l'égoïsme... Mais hélas ! ni toi ni moi ne sommes assez courageux pour pratiquer cette sublime vertu qui donne le bonheur et la richesse, qui fait voir les maux d'autrui avec impassibilité, d'un air sec, et qui rapporte tout à soi... »
Chazal estimait, comme Firmin, que Rogier méritait mieux que le titre d'aide de camp du Régent. Mais quoique le titre ne fût pas bien sonore, Rogier n'en avait pas moins un rôle important ; c'était à lui que le Gouvernement continuait à confier les missions les plus difficiles, celles qui demandaient autant de fermeté que de prudence.
Un arrêté du Régent, en date du 3 mars, pris sur la proposition du ministre de la guerre, « délègue spécialement le colonel Ch. Rogier pour se rendre au quartier-général des généraux Daine et Mellinet, et y prendre de concert avec le premier, et au besoin directement, toutes les mesures nécessaires afin de faire exécuter les ordres du Gouvernement et afin que respect soit rendu aux lois du royaume ».
Depuis que le Congrès avait dû nommer un Régent, l'agitation était grande à l'armée de la Meuse qui aurait voulu, à défaut de Nemours, voir proclamer la République. L'indiscipline et le désordre auxquels Rogier avait remédié au commencement de février, reprenaient de plus belle. Mellinet, mandé à Bruxelles auprès du ministre de la guerre pour fournir des explications sur certains actes d'insubordination, mettait à s'exécuter des lenteurs qui ressemblaient fort à des velléités de rébellion.
Rogier n'hésite pas : il lui enlève son commandement. En même temps il nomme le colonel Vanden Broeck commandant militaire du Limbourg, tout en lui conservant la mission d'organiser régulièrement les corps francs, dont il était chargé depuis février.
En transmettant à Rogier l'arrêté qui l'envoyait de nouveau à l'armée de la Meuse, le général Goblet lui avait (page 121) fait savoir que « le Régent désirait qu'il s'acquittât le plus promptement possible de sa mission ». Le désir du Régent avait été satisfait.
Le 7 mars, le ministre lui écrivait : « Toutes les mesures que vous avez jugé convenable de proposer ont été adoptées. »
On avait bien fait de les adopter, si nous en jugeons par la lettre que le colonel Vanden Broeck envoyait à Rogier de Ruremonde quelques semaines plus tard (31 mars) :
« ... Votre nom est attaché désormais à notre œuvre d'organisation et vous y avez déjà pris une assez grande part pour ne pas voir sans indifférence les progrès et les résultats de nos travaux. Dans cette pensée, je vais vous en entretenir... Après beaucoup d'obstacles et d'embarras, l'obéissance est devenue générale dans la brigade. Divers chefs de corps à qui on peut imputer tout le mal que j'ai éprouvé sont aujourd'hui hors d'état de nuire... Ce pays respire maintenant ; les lieux de cantonnement sont aussi tranquilles que s'il n'y avait pas de troupes ; les propriétés sont respectées ; le système des réquisitions a cessé... Soyez assez bon pour m'aider auprès du Ministre de la guerre à faire accélérer les ordres pour l'Intendant. Mes demandes restent en souffrance : votre intervention me sera d'un grand secours... »
(Note de bas de page : Rogier avait recommandé surtout au colonel Vanden Broeck l'épuration des corps. « Mon travail consiste principalement en cela, disait Vanden Broeck ; mais tandis que je fais ce travail d'un côté, l'on semble se faire un plaisir de m'adresser ici le rebut des populations. Il m'est arrivé hier un détachement de 200 hommes, sans armes, dans un état de dénuement complet, Ils arrivaient de Bruxelles, où ils ont été recrutés dans les rues par un nommé R. qui les commande. Ce qui est singulier, c'est que la lettre d'avis du Ministre me signale cet homme comme n'ayant pas de bons antécédents... » - C'est en effet bien singulier ! Le colonel Vanden Broeck qui, à en juger par les rapports que nous avons sous les yeux, était à la fois un soldat énergique et un administrateur intelligent, était bien fondé à dire qu'il se passerait volontiers de semblables auxiliaires ! Il y a encore dans la lettre du 31 mars une réflexion très juste : « Vous ne sommes plus aux premiers temps de la Révolution où l'on prenait des combattants de toute espèce ; aujourd'hui que l'ordre règne dans l'armée, l'on devrait être plus scrupuleux sur le choix des soldats et des chefs. »)
(page 122) Le Gouvernement du Régent avait fait acte d'audace le 10 mars en adressant aux habitants du Luxembourg une proclamation qui était comme un acte de rébellion contre les puissances signataires du protocole du 20 janvier. En dépit des intentions manifestées par la Conférence, de détacher de la Belgique tout le grand-duché, il leur donnait l'assurance que leurs frères ne les abandonneraient jamais. Il les engageait à faire la sourde oreille aux émissaires que le Gouvernement hollandais avait envoyés parmi eux, à se défier des promesses qu'ils leur faisaient au nom du roi Guillaume, à dédaigner les avances du duc de Saxe-Weimar, gouverneur de la forteresse du Luxembourg, qui les engageait à constituer un Etat séparé.
« En vous constituant à part, votre province deviendrait le pays le plus malheureux de la terre ; réduite à elle-même, séparée de la Belgique, de la France, de la Prusse, elle serait cernée de toutes parts de lignes de douanes... »
De son côté, le Congrès, ayant achevé la loi électorale, s'était prorogé jusqu'au 15 avril, laissant au Régent le soin de le convoquer plus tôt, si besoin en était.
Dès le 29 mars la session dut être rouverte. La division s'était mise parmi les ministres au sujet des mesures à prendre vis-à-vis des orangistes, dont les audacieuses menées provoquaient un mécontentement général, précurseur de graves désordres.
Chose pénible à dire, si ces menées avaient pris un caractère alarmant, c'est qu'elles étaient encouragées par le ministre d'une puissance « amie », par lord Ponsonby, qui subissait l'influence de M. le baron de Krudener, (page 123) un Russe que l'on expulsa du pays pour ses intrigues orangistes. ( V. Van de Weyer.)
Pas de doute possible à cet égard. Déjà au mois de mars 1831, le ministre français à Bruxelles, le général Belliard, qui nous aimait réellement, lui, et qui nous a rendu de véritables services ; Belliard, dont la Belgique reconnaissante a honoré la mémoire par une statue, était en état d'hostilité ouverte avec lord Ponsonby parce qu'il avait découvert toutes ses manœuvres en faveur du parti contre-révolutionnaire. C'est Ponsonby qui, entre autres intrigues, poussa à la défection le gouverneur militaire de la province d'Anvers, le général Vandersmissen.
(Note de bas de page : « … Le consul hanovrien, M. Ellerman, vint me trouver en mars 1831 pour me dire qu'il avait des communications de la plus haute importance à me faire de la part de lord Ponsonby, et qu'il pouvait me donner les assurances les plus positives que ce lord était chargé, par son gouvernement, de favoriser autant qu'il dépendrait de lui, la restauration de la maison d'Orange, mais qu'il désirait que les Nassau fussent ramenés par un mouvement populaire. Le consul Ellerman ajouta qu'il connaissait mon attachement au roi Guillaume et à ma patrie et que, pour ce motif, il m'aboucherait avec les chefs du parti orangiste, qui devaient contribuer au mouvement en question. Il termina en disant que l'on comptait sur moi pour rendre à ma patrie le bonheur et la prospérité, et la préserver d'une anarchie complète. » (Lettre adressée d'Aix-la-Chapelle à Wellington par le général Vandersmissen en 1832.))
Doit-on s'étonner après cela des incertitudes, des difficultés, des misères de toute espèce par lesquelles ont dû passer nos gouvernants !
Le ministère, ne s'entendant pas sur la conduite à tenir dans ces circonstances critiques, avait pris la résolution de se retirer.
Le 23 mars, le Régent accepte la démission de M. Tielemans, ministre de l'intérieur, que remplace M. de Sauvage, gouverneur de la province de Liège. Le 24, MM. le général d'Hane de Steenhuyze, Barthélemy et Lebeau prennent les portefeuilles de la guerre, de la justice et des affaires étrangères. Seul de l'ancien cabinet, M. Charles (page 1234) de Brouckere reste au ministère. Il était démissionnaire comme ses collègues, mais le Régent ne voulut pas se priver de lui et lui confia les finances. Paul Devaux fut, le 28, nommé membre du conseil des ministres, sans portefeuille, mais avec voix délibérative : sa nomination avait été signée à son insu. Il se fit longtemps prier pour accepter et refusa le traitement attribué à ses fonctions.
Sous le nom d'administration de la sûreté publique, il existait une espèce de sixième ministère, comme qui dirait un ministère de la police. Ce poste-là, dans les circonstances où l'on se trouvait surtout, demandait un homme de résolution : le Régent le confia à celui des membres du Gouvernement provisoire qui avait toujours fait preuve de la plus grande énergie, à Rogier.
Voici le passage des Souvenirs personnels de Lebeau relatif à cette nomination :
« M. Ch. Rogier, qui, avec le désintéressement dont il a donné tant de preuves, n'avait conservé en sortant du pouvoir que les fonctions d'aide de camp du Régent, consentit, d'après nos instances, à se charger de la direction de la sûreté publique, vacante par la démission de M. Plaisant. Son énergie et ses excellentes dispositions ne contribuèrent pas peu au rétablissement de l'ordre. »
Rogier pouvait en effet faire beaucoup de bien dans ces fonctions. Il sacrifia ses répugnances et les accepta, se promettant bien, comme il l'écrivait à Firmin, de les résigner aussitôt que le calme serait rétabli - et il en fut ainsi.
« ... Si, disait-il au Congrès en réponse à une sortie assez désagréable faite par M. de Robaulx contre les bureaux de la sûreté publique, si je me suis chargé pour quelque temps, temps qui sera très court, je l'espère, de l'administration de la police, je ne pense pas qu'aucun reproche d'ambition puisse m'être adressé. »
Assurément non et s'il eût écouté au lieu de la voix du devoir les conseils de ses amis, il n'aurait pas accepté ce poste. Un de ceux qui voulaient le voir répondre par (page 125° un refus aux objurgations pressantes du Régent, M. Perrin (un fidèle, un dévoué, chez lequel il habita assez longtemps à Bruxelles) lui écrivait le 29 mars :
« ... Pourquoi accepter ce poste qui est bien au-dessous de votre mérite ?... Ceux qui vous y engagent le refuseraient. Mille désagréments retomberont sur vous, et tous ceux qui vous estiment et vous aiment en auront du chagrin autant que vous. Je vois avec peine que d'autres postes plus favorables aient été donnés à des personnes qui vous sont beaucoup inférieures. »
C'est que Rogier ne s'offrait pas pour ces postes plus favorables. Le vrai mérite se cache. Rogier a toujours attendu qu'on vînt le trouver. Mais jamais il n'a reculé devant une mission, devant des fonctions où il pouvait être utile à la patrie. Et comme le lui écrivait Firmin le 2 avril, en acceptant un emploi qui n'allait guère à ses goûts et à ses allures, il faisait encore acte de dévouement. Sa nomination ne dut pas faire rire les orangistes.
Le paragraphe des Notes et Souvenirs relatif à cette nomination est ainsi conçu :
« Aide de camp du Régent, il se jette dans mes bras en pleurant. Administrateur de la sûreté publique à la suite des pillages - 8 jours. - Dépensé un écu de six francs de ma poche pour tous frais. »
Les pillages et les troubles dont parle Rogier, beaucoup moins graves que ceux de 1834, avaient commencé à Bruxelles le 27 mars. Il y en eut à Liège le 28, à Anvers le 31, à Gand le 4 avril. Namur et Ypres furent également très agitées. Cinq ou six maisons furent pillées, trois bureaux de journaux saccagés, un orangiste ou deux malmenés.
On a voulu rendre responsable de ces excès (qui furent d'ailleurs considérablement exagérés) une société de patriotes décidés qui, constituée au lendemain de la retraite du premier ministère du Régent sous le nom d'Association nationale belge et la présidence de MM. Tielemans et Gendebien, avait lancé un manifeste dans lequel la guerre immédiate était indiquée comme le seul moyen de salut pour la Belgique.
(page 126) L'association avait bien recommandé, tout en stigmatisant les traitres, de respecter l'ordre public et les propriétés ; mais le peuple, comme le fait remarquer l'historien du Congrès, fut trompé sur le caractère des actes de cette association, qu'il prenait pour des encouragements, et d'ailleurs il était excité par les provocations incessantes des feuilles orangistes.
Dans la première quinzaine d'avril, Rogier eut le bonheur de voir Firmin :
« ... Depuis tantôt cinq mois, lui avait écrit Firmin le 2 avril, nous sommes privés de longues conversations et de mutuels épanchements... mais patience ! nous nous retrouverons bientôt et à la première communication un peu importante et secrète que notre diplomatie aura à faire, ce sera moi qui la porterai... »
La semaine suivante, les vœux des deux frères furent réalisés.
Firmin put alors entrer dans des détails plus précis et de nature plus confidentielle sur les réelles dispositions du cabinet français à cette époque.
Sans doute, la France ne permettrait jamais une restauration de Guillaume, mais elle était bien décidée à ne pas soutenir les prétentions de la Belgique sur le Luxembourg. Si les troupes de la Confédération germanique entraient dans le Luxembourg, elle les y laisserait entrer sans mot dire. Le ministère français ne voulait pas faire la guerre pour assurer à la Belgique une province de plus. Ne comprenant pas qu'il s'agissait là pour nous d'une question d'honneur national, il avait donné à entendre au comte Le Hon, le plénipotentiaire du Régent, et à Firmin Rogier que si les Belges recommençaient les hostilités avec la Hollande, il en résulterait un démembrement de la Belgique.
Firmin a dû aussi fournir de vive voix à son frère des preuves à l'appui de cette assertion que contient sa (page 127 lettre du 2 avril (la dernière que Charles ait reçue avant sa visite) :
«... Maestricht et la Flandre hollandaise seront sujets à contestation ; car que ne nous conteste-t-on pas, grâce à la fatale influence de Talleyrand à Londres !... »
Depuis la publication des Mémoires de Talleyrand, il n'est plus personne qui doute du triste rôle que ce ministre d'une nation amie a joué dans cette affaire.
Après Ponsonby, Talleyrand ! c'était complet.
En présence de la conduite de ceux que Firmin appelait si plaisamment les « protocoliseurs » (I), en présence des perfidies de l'un, des intrigues de l'autre, des tergiversations et des lenteurs de tous, faut-il s'étonner que le découragement, ou tout au moins la fatigue ait eu prise sur plus d'un membre du Congrès et que la proposition de dissolution du Congrès ait été formulée !
Charles Rogier fut de ceux qui combattirent cette proposition le plus vivement dans une des séances d'avril 1831.
Il s'expliquait certes le sentiment de lassitude qui l'avait dictée : on siégeait depuis cinq mois ! Mais l'œuvre du Congrès devait être couronnée par le choix du chef de l’Etat. La Révolution n'était pas close tant que le Luxembourg était menacé et que Maestricht était au pouvoir des (page 128) Hollandais. Ce n'était pas la veille du combat qu'il fallait choisir pour quitter son poste... « Ayons patience, courage, espoir, disait-il en terminant son discours ; si l'enfantement a été douloureux, ne voyez-vous pas dans l'avenir l'œuvre grandir, se fortifier, devenir votre orgueil et votre gloire ? »
Ne retrouvez-vous pas dans ces lignes la note confiante et fière de sa première proclamation du 24 septembre 1830 !
Tout le discours de Rogier est en quelque sorte la paraphrase du fameux Nil desperandum.
Le Congrès écouta la voix des Rogier, des Devaux, des De Haerne, des Nothomb : il refusa de se dissoudre. Le 15 avril, il s'ajourna jusqu'à convocation de son président ou du Régent.
Rentré à Paris après une dizaine de jours d'absence, Firmin Rogier constatait avec tristesse que les journaux français, provoqués d'ailleurs par les journaux belges, étaient devenus très acerbes et que l'échange d'injures, qui aigrissait les esprits, rendait les relations plus difficiles.
La majorité de la Chambre française, dont quelques journaux parisiens, fort hostiles aux revendications de la Belgique, défendaient la politique, ne songeait pas plus que le cabinet à envoyer une armée nous aider à conquérir la partie du Luxembourg restée aux mains des Hollandais. Mais dans la nation, et spécialement dans la jeunesse libérale de Paris et parmi les anciens soldats de l'Empire, la cause de la Belgique rencontrait de vives sympathies. Tous les jours il se présentait à la légation belge des officiers, des soldats, qui voulaient aller combattre pour les Belges contre les Prussiens... « C'est à n'en plus finir, écrit Firmin le 21 avril : il serait important que le Gouvernement nous fît connaître si nous devons ici les accueillir ou les rejeter absolument. »
Des officiers supérieurs nous offraient leurs services : (page 129) les généraux De Damas et Bachelu, les généraux Fabvier et Lamarque. Les lettres que Firmin écrit le 16 et le 21 avril contiennent des détails tout particuliers à cet égard :
« ... Hier (15 avril) j'ai eu la visite d'un général qui est venu me demander si le gouvernement belge, dans le cas où la guerre éclaterait dans le Luxembourg, voudrait accepter le secours d'une légion qui, selon lui, pourrait être de 6.000 hommes et plus, infanterie, cavalerie, artillerie. Le chef de cette légion auxiliaire, qui est le général Gustave De Damas, recevrait les ordres de notre ministre de la guerre. Les sous-officiers et sous-lieutenants seraient nommés par le général ; les officiers supérieurs le seraient par le gouvernement belge. Cette légion arriverait en Belgique toute armée et équipée, mais elle serait à la solde belge. Elle porterait le nom de Légion Lafayette, verrait ses rangs se grossir incessamment de tous les amis de la liberté et pourrait arriver jusqu'à 20.000 hommes (c'est le général qui parle)... Quoi qu'il en soit de l'exagération de ces calculs, cette proposition, en cas de guerre, mérite, me semble-t-il, la plus sérieuse considération... »
Du 21 avril : «... Le colonel Duvergier s'offre d'aller à Bruxelles travailler dans les bureaux de la guerre, bien obscurément, sans titre aucun, ce qui, je t'en donne l'assurance, pourrait être de la plus grande utilité pour l'organisation de notre armée... La légion dont je t'ai parlé serait d'un immense secours en cas de guerre. Elle serait en partie composée de soldats de la vieille garde impériale et de combattants de juillet... »
Du même jour : « Lamarque se montre par trop exigeant ; et ses idées de dictature, de pouvoir absolu sur l'armée, d'absence de contrôle pour ses opérations, ne peuvent convenir à notre gouvernement, jeune de liberté et partant ombrageux. Et puis, pour venir, il aurait voulu que le ministre Soult l'y autorisât ; et puis, il se serait, je pense, refusé au serment ; et puis, il a des idées trop arrêtées sur la réunion des deux pays ; et puis, notre trésor n'est pas, je le crois, assez riche pour satisfaire ses prétentions... A défaut de Lamarque et dans le cas où Bachelu ne vous conviendrait pas, Fabvier nous reste. Le nom seul de celui- là me dispense de tout commentaire. Le seul reproche qu'on lui adresse peut-être, c'est qu'il est assez mauvais coucheur et qu'une idée fixée dans sa tête n'en sort pas facilement... Mais quel homme est sans défaut, quel soldat sans faiblesse ?... »
(page 130) Ce n'était pas seulement de la France que nous venaient les offres : il en venait d'Espagne, il en venait de la Pologne.
Un colonel espagnol, Valdės, se mettait à la disposition de la Belgique avec ses compatriotes réfugiés comme lui dans notre pays. Il demandait si le gouvernement voulait l'autoriser à former en Belgique une légion espagnole de mille hommes, vieux soldats. Il disait qu'il les avait sous la main, et qu'en peu de temps ils seraient réunis et prêts à combattre. Un colonel polonais s'offrait à faire passer dans nos rangs tous les soldats de sa nation qui se trouveraient dans l'armée prussienne.
Dans sa dernière lettre, Firmin insistait beaucoup pour que Charles, profitant de l'ajournement du Congrès, vînt passer quelques jours à Paris.
Rogier, après avoir résolu avec le ministre de la guerre quelques difficultés relatives aux volontaires liégeois, dont le gouvernement comptait faire le noyau d'un régiment de l'armée régulière, se rendit à l'invitation de Firmin au commencement de mai. Il espérait décider les hommes politiques influents de Paris à faire marcher le ministère en faveur de la Belgique.
(Note de bas de page : Un arrêté du Régent, en date du 9 avril, porte : « Le bataillon liégeois commandé par M. le colonel Charles Rogier et la compagnie luxembourgeoise commandée par M. D. Claisse prendront rang dans l'armée sous la dénomination du 1er et 2e bataillon de tirailleurs. » Inutile de dire que beaucoup de jeunes gens de Liège étaient venus depuis septembre 1830 s'engager sous les ordres de Rogier.)
Il eut beau leur montrer l'élan avec lequel le Congrès allait à la guerre avec la Hollande, la création de nouveaux corps de volontaires, le vote presque unanime d'un emprunt de douze millions pour les besoins extraordinaires, les retenues sur les traitements, la mobilisation du premier ban de la garde civique : il ne réussit pas dans ses efforts. On ne voulait pas décidément la guerre dans (page 131) les sphères parlementaires et, ce qui est plus grave, on semblait sur le point d'abandonner les Belges à leurs seules ressources, ou plutôt au caprice des amateurs de partage.
L'auteur de la Vie de lord Palmerston (t. II, p. 66) affirme que vers cette époque-là en effet le ministre anglais était informé par un membre du Parlement, que « le maréchal Soult (à l'insu, croyait-il, de Casimir Périer) avait envoyé un agent secret en Angleterre pour proposer à celle-ci Anvers et Ostende, à condition que la France pourrait s'approprier les autres villes et provinces de la Belgique ».
Ce n'était donc pas assez pour le gouvernement français de nous avoir mis dans la plus fâcheuse des situations en nous refusant un roi qu'il avait voulu faire nommer au prix d'un engagement menteur. Ce n'était pas assez de nous abandonner dans la question du Luxembourg ou nous avions le droit de compter sur son appui. Voilà que maintenant il caressait des projets d'annexion !
Rogier constata avec une vive tristesse cette attitude nouvelle du ministère français. Faire la guerre à la Hollande, aidée de la Prusse et de toutes les forces de la Confédération germanique, se lancer dans cette entreprise sans pouvoir espérer le concours de la France, c'était, se disait-il, courir à un désastre.
Il n'était pas l'homme des utopies : il ne se berçait pas d'illusions et il prévoyait que dans une aventure pareille l'indépendance de la Belgique sombrerait inévitablement.
Il lui parut que le seul moyen de vaincre tout au moins sur quelques points l'entêtement de la Conférence de Londres, c'était l'offre de la couronne à un prince dont le nom ne semblait plus devoir exciter de colères ni de préventions, au prince Léopold de Saxe-Cobourg, qui, étant assuré des sympathies de presque toutes les puissances, (page 132) pourrait nous obtenir des conditions moins dures que celles du protocole du 20 janvier.
Rogier n'était pas seul de cet avis. Ses anciens collaborateurs du Politique, Lebeau et Devaux, l'avaient émis au conseil du Régent dès les premiers jours du deuxième ministère. Ils avaient fait la proposition de s'adresser directement au prince Léopold. Ils avaient fait valoir à l'appui de leurs propositions des arguments irréfutables que M. Juste reproduit dans son Histoire du Congrès national. La Conférence de Londres avait déclaré dans un protocole qui datait du 19 février, cinq jours après le refus du duc de Nemours, que le souverain de la Belgique devait « répondre par sa position personnelle au principe d'existence de la Belgique même et satisfaire à la sûreté des autres Etats ». Or, telle paraissait être la vocation du prince de Saxe-Cobourg, sur lequel l'attention était attirée depuis le mois de décembre 1830. Allié à la maison d'Angleterre, signalé par la part qu'il avait prise à la guerre de 1813-1814, hautement considéré pour ses capacités et sa loyauté, le prince Léopold, qui avait d'ailleurs d'excellentes relations avec la maison d'Orange, pouvait, en acceptant la couronne, rendre à la Belgique de glorieux services et assurer en même temps la paix de l'Europe.
Le gouvernement français s'était sans doute d'abord montré hostile à sa candidature. Le général Sébastiani avait été, à en croire les rumeurs du temps, jusqu'à dire que les Français lui tireraient des coups de canon, s'il mettait un pied en Belgique - à quoi le délégué du Gouvernement belge à Paris aurait répondu : « Eh bien, nous prierons l’Angleterre de répondre à vos canons... » (C'est dans les Souvenirs de Gendebien que M. Juste avait pris ce détail. Nous n'en avons trouvé aucune trace dans les Notes de Rogier ni dans les lettres de son frère. Disons aussi que les Mémoires de Guizot sont muets sur cette menace d'un chef du cabinet dont il faisait partie. Qu'on ait, ou non, exagéré les antipathies que le cabinet (page 133) Sébastiani témoigna en décembre 1830 pour le prince Léopold, elles ne peuvent pas cependant être niées. Mais elles ne persistèrent pas et, lors du voyage qu'il fit à Paris en mai, Rogier s'aperçut que l'on était bien revenu dans les sphères officielles sur le compte du prince - d'autant que l'on savait lord Palmerston toujours partisan d'un mariage entre le prince et la fille aînée de Louis-Philippe (voir page 72).
Les divergences de vues avaient donc cessé entre les anciens collaborateurs du Politique quant au choix du souverain. Lebeau et Devaux qui auraient voulu Leuchtenberg ou Saxe-Cobourg plutôt que Nemours, sont de nouveau d'accord avec Charles Rogier qui avait voté pour Nemours : tous trois maintenant vont réunir leurs efforts pour que Léopold de Saxe-Cobourg soit notre roi.
Il est certain d'autre part que les préventions premières du Congrès contre Léopold de Saxe-Cobourg disparaissaient. Les industriels qui lui étaient primitivement hostiles parce qu'il « arrivait de l'Angleterre », en étaient venus à comprendre qu'après tout il n'était Anglais que par alliance et que s'il s'alliait à la France en acceptant la couronne de la Belgique, il deviendrait plus Français qu'Anglais. Beaucoup de ceux qui lui avaient en janvier refusé leur vote, commençaient à reconnaître que Devaux était dans le vrai quand il disait (séance du 12 janvier) : « L'histoire nous apprend qu'un prince ne sacrifie pas les intérêts qu'il est appelé à gouverner, à ceux d'un pays qui lui est devenu étranger. »
L'opinion générale lui avait été défavorable également en janvier, parce qu'elle se prononçait en faveur d'un prince catholique. On n'avait pas alors été frappé de l'argumentation de Devaux, qui établissait que si la loi ne doit être ni catholique ni anticatholique, mais seulement juste et libérale, pour la même raison, et dans le même (page 134) sens, on ne devait pas écarter un prince uniquement parce qu'il était catholique.
Quatre mois s'étaient passés, et on n'était plus éloigné de donner raison à Devaux qui avait dit : « S'il fallait une préférence, elle devrait être pour un prince non catholique ; car d'après les bases de notre future Constitution, il n'y a qu’une opinion à redouter, c'est celle de la majorité. Toute notre organisation politique repose en effet sur le système électif, et le système électif est le règne de la majorité. La majorité étant catholique chez nous, il serait peut-être à désirer que le chef du pouvoir exécutif ne le fût pas. »
Le ministère s'était rallié tout entier à ces considérations. Il confia à MM. de Mérode, De Foere, Henri de Brouckere et Vilain XIIII, la mission officieuse d'aller pressentir les dispositions du prince pour le cas où le Congrès l'élirait roi. La résolution était sage. Le Congrès n'aurait plus ainsi à passer par les ennuis, pour ne pas dire plus, de l'élection du duc de Nemours : on saurait bien cette fois si l'élu du Congrès accepterait. Le cabinet avait en outre le plus grand intérêt à savoir si l'adhésion de la Belgique au protocole du 20 janvier serait la condition sine qua non de l'acceptation de Léopold : il fallait en finir, coûte que coûte.
Le choix des membres de la commission était également des plus heureux : les noms de M. de Mérode et de l'abbé De Foere prouvaient bien que le Courrier de la Meuse, l'organe le plus influent du parti catholique en Belgique, était sincère quand il écrivait que « la question de la religion du prince, dans l’Etat actuel des choses et de la société en Belgique, n'était pour lui, comme pour tout le monde, qu'une question d'une importance secondaire. «
La commission se croisa en route avec le comte d'Arschot, chargé d'affaires près du cabinet anglais, et le (page 135) secrétaire de la légation, M. Jules Van Praet, qui, après avoir cherché quelque temps sa voie (voir sa lettre à Rogier, page 28) avait fini par laisser les archives pour la diplomatie. M. Van Praet, partageant l'espoir de Devaux, de Rogier et de Lebeau, faussa compagnie au comte d'Arschot, qui s'en retourna à Bruxelles persuadé, lui, que le prince de Saxe-Cobourg n'accepterait pas, ne pourrait pas accepter la couronne de Belgique. M. Van Praet remplit les fonctions de secrétaire de la commission, qui, dès le 10 mai, fut complétée par l'adjonction de Paul Devaux.
M. Van Praet devait revenir de Londres secrétaire de Léopold Ier. Nous aurons plus d'une fois, au cours de cet ouvrage, l'occasion de parler du rôle qu'il a joué comme ministre du Roi.
Ce serait nous écarter de notre cadre que d'entrer dans les détails, d'ailleurs généralement connus, de la négociation qui se poursuivit entre les délégués belges et le prince dans le mois de mai et au commencement de juin, pendant qu'éclataient à Gand de nouveaux troubles provoqués par les journaux orangistes, dont le peuple furieux brisa les presses.
Disons seulement que tout ce que purent obtenir de la Conférence les efforts réunis de la commission et de notre futur Roi, à qui (suivant le mot de Palmerston) les Belges offraient « moins un trône qu'une querelle avec l'Europe », tout ce qu'ils purent, disons-nous, obtenir de l'entêtement et du mauvais vouloir de la Conférence, ce fut la promesse d'ouvrir une négociation pour la cession à la Belgique du duché de Luxembourg, moyennant une indemnité.
Le roi Léopold Ier a soutenu plus tard, et avec infiniment de raison, que son élection tardive avait été un malheur pour la Belgique. Proclamé en novembre 1830, même en janvier 1831, il aurait pu épargner à notre pays une crise douloureuse et un grand sacrifice. C'est dans ce (page 136) sens-là qu'il s'exprimait avec son ancien conseiller le baron de Stockmar, dont Saint-René-Taillandier a analysé les Mémoires; dans une étude très remarquée de la Revue des Deux-Mondes : « ... Les affaires de la Belgique se seraient bien autrement arrangées, disait-il, et elle paye chèrement les velléités qu'on a eues alors en France. Le prince de Talleyrand, la France et les Belges ont à se reprocher cela mutuellement, mais il est douloureux de penser ce que la Belgique aurait pu être sans la malheureuse intrigue de cette époque... »
Rogier apprenait dans le même temps, par Firmin, que c'était là tout ce qu'on pouvait espérer. Firmin lui écrivait en effet au commencement de juin :
« ... Belliard et lord Ponsonby ont l'ordre de quitter Bruxelles si vous ne vous soumettez pas aux protocoliseurs. Si vous attaquez la Hollande, aussitôt l'Angleterre, la Prusse et la France, proh pudor !! oui, la France entreront à main armée en Belgique et l'occuperont militairement jusqu'à ce que le partage entre elles soit terminé. Voilà les résultats du principe de non intervention. Pour l'ambassade belge à Paris, le jour de la rupture, elle recevra immédiatement l'ordre de quitter la France. Toutes ces résolutions ont été adoptées aujourd'hui à l'unanimité, dit-on, par le conseil des ministres de Louis-Philippe, roi par la Révolution et par la volonté du peuple !!... »
(Note de bas de page : Voilà ce que ne voulaient point comprendre « les partisans de la guerre quand même », ainsi que les appelle Firmin dans une lettre du 21 mai Dans cette même lettre, il dit : « Les hommes sages seront-ils en majorité ? Espérons que nous n'en arriverons pas encore au ministère Robaulx. Comment diable Gendebien se laisse-t-il entrainer dans ce parti ? » Gendebien ne fera que persévérer dans cette attitude nouvelle. Il a conservé ses illusions jusqu'à la fin.)
Le cœur de Firmin saigne devant une pareille décision. C'est à l'ambassadeur, M. Le Hon, qu'elle avait été notifiée...
« …J'avoue que je suis heureux de n'avoir pas été destiné à recevoir d'aussi odieuses communications, car je ne sais comment j'aurais pu contenir mon indignation... »
Pour gagner du temps, M. Le Hon avait demandé au (page 137) cabinet français d'attendre les résultats officiels de la démarche faite à Londres par la commission officielle. Ce cabinet avait consenti à ajourner l'exécution de ses résolutions jusqu'au retour d'un courrier qui fut envoyé expressément en Angleterre. Mais le gouvernement belge devait déjà tenir pour certain que ses relations officielles avec la France étaient au moment de se rompre tout à fait. De la nature des nouvelles qu'allait rapporter le courrier expédié à Londres dépendait aussi - Firmin l'annonçait - le retour du général Belliard ou la prolongation de son séjour à Bruxelles.
Après huit jours d'une discussion passionnée entre les partisans de l'élection immédiate de Léopold et les partisans de la guerre quand même, le Congrès procéda à l'élection.
Sur 196 suffrages, le prince de Saxe-Cobourg en obtint 152 ; le Régent, 14. Il y eut 10 bulletins hostiles au prince, 1 annulé et 19 abstentions.
Rogier ne s'était pas contenté de voter pour Léopold : il fut un de ceux qui patronnèrent le plus chaudement sa candidature, et le discours qu'il prononça pendant la discussion eut une influence réelle. (Disc. du Congrès, III, 241.)
Nous n'en voulons d'autre preuve que le mécontentement que ce discours provoqua parmi ceux des Liégeois (ils étaient nombreux) qui avaient caressé l'espoir d'une réunion à la France, ou d'un retour à la Hollande avec la séparation administrative des deux pays et la vice-royauté du prince d'Orange.
Lignac écrit le 7 juin à Rogier : « ... Ton discours que je trouve, moi, excellent a causé pourtant (page 138) ici assez de rumeurs. Les passages qu'on attaque sont : 1° ce que tu dis de la Conférence - l'attaque est absurde : ce que tu en dis est très politique ; 2° ce que tu dis des souffrances de l'industrie et du pays. Ton ami D. a jeté feu et flammes ; c'est cependant aux exagérations que tu t'adresses et tu reconnais que le pays a beaucoup souffert. Quant à moi cependant, je pense qu'il a encore plus souffert moralement que physiquement... Quelle école de morale qu'une révolution ! Quel affreux déchainement de passions mauvaises ! Il y aurait de quoi écrire des volumes... »
Rogier n'était pas le seul des anciens rédacteurs du Politique, dont la conduite, absolument sage cependant, déplût à ceux des Liégeois qui avaient rêvé tout autre chose que la nomination de Léopold :
« … La fureur contre notre pauvre Lebeau est à son comble. Des gens parlent ici de le pendre. J'ai eu presque une affaire avec le notaire D. et le jeune O. à son occasion... »
Lignac constate également que l'impression produite par l'élection du prince de Saxe-Cobourg n'est pas des plus favorables, pour les motifs indiqués plus haut :
« ... La nomination a été reçue ici très froidement par les masses, avec furie par les Teste, les 0. et tous les etc., etc., enfin toute la clique orangiste, française et antirévolutionnaire. Les placards vont leur train. Ils disent que le militaire est furieux, qu'ils feront une nouvelle révolution... »
Lignac émet l'avis que le ministère ait un journal pour le défendre.
Rogier et Lebeau se rangent à cet avis. Le journal proposé par Lignac fut créé : c'était le Moniteur belge, tout à la fois journal officiel et journal officieux.
« J'ai mis à flot ce matin le Moniteur belge. Tâche à loisir de m'envoyer quelques bribes. J'écris quand j'ai quelques heures à moi. Je reprendrai, avec plaisir mon ancien métier. » (Lebeau à Rogier le 16 juin.)
Il paraîtrait que la raison principale de l'obstination avec laquelle la Conférence soutenait son protocole du 20 janvier, c'était la condition imposée par le Congrès au nouveau Roi de jurer le maintien de l'intégrité du territoire tel que le Congrès l'avait déterminé. Firmin écrit (page 139) le 10 juin que c'est là ce qui paraît avoir irrité les « Seigneurs de la Conférence »... qu'ils donnent du moins cette condition comme le motif de leur attitude ; ils ne veulent pas « se plier aux exigences d’un peuple soulevé » ; il n'appartient pas, disent-ils, à 4 millions de faire la loi au reste de l'Europe !
Rogier avait tout lieu de croire, d'après les nouvelles qu'il recevait de Paris, que les cabinets de Londres, de Berlin, de Paris et même de La Haye étaient déjà d'accord sur le partage. Mais la France se rallierait-elle à ce que Firmin, dans un langage qui ne ressemblait pas à celui d'un diplomate, appelait « l'infamie de son cabinet » ?
« … Non, non ! les Belges trouveront ici, dans la jeunesse et dans l'armée, des défenseurs. On viendra à notre secours. Les journaux seront pour nous et l'indignation publique nous vengera... »
Il est assez piquant de constater que dans cette affaire l'aîné des Rogier se laisse plus facilement entraîner que le cadet aux résistances belliqueuses. C'est qu'il n'était pas, comme Charles, sur le terrain. Il voyait de loin et de plus il subissait l'entraînement de certains journaux parisiens qui, hostiles au cabinet, l'accusaient de couardise et prêchaient la guerre.
« ... L'incendie commencera par chez nous, soit ! mais il s'étendra au loin ; les passions ne nous manqueront pas pour l'alimenter. C'est une guerre à mort qui se déclare entre les deux principes. La Sainte-Alliance a repris son insolence et ses absurdes prétentions ; elle a oublié le mois de juillet. Encore quelques jours et nous pourrons peut-être célébrer un bel anniversaire... »
Rogier a dû répondre à son aîné qu'il se grisait d'espoir ; que c'était une extravagance » de lutter contre cinq puissances, de compromettre son existence quand, au moyen de quelques concessions, on pouvait se constituer en Etat indépendant avec l'assentiment de l'Europe entière. Nous n'avons pas cette réponse de Rogier, mais nous la devinons d'après la fin de la lettre écrite par Firmin le 10 juin :
( 140)« ...Une extravagance... ! On dira qu'un homme attaqué par cinq voleurs qui se contentent de lui demander sa bourse, serait un fou de résister et de risquer contre eux sa vie... Ce n'est pas moi qui emploierai de tels arguments... »
Comparaison à part et ici encore le langage du diplomate est un peu vif, il était cependant bien certain que la Belgique eût commis une véritable folie en entreprenant de résister à la Conférence dans de pareilles conditions.
Mieux valait tout au moins essayer de gagner du temps. A chaque jour suffit sa peine. Charles Rogier finit par faire partager sa manière de voir par Firmin.
L'entrée de Rogier dans la carrière administrative coïncide avec l'élection du roi Léopold : il fut nommé au commencement de juin gouverneur civil de la province d'Anvers.
(Note de bas de page : Il était à peine installé dans ses nouvelles fonctions, qu'il recevait (16 juin) d'un ancien correspondant de « La Récompense », Monsieur D., la lettre suivante :
(« On a souvent besoin d'un plus petit que soi...
(Si monsieur Rogier admet la vérité de cette maxime, le soussigné, naguère son correspondant, chétif individu d'ailleurs, sans caractère ni importance aucune en cette ville qu'il habite depuis 25 ans, serait fondé à espérer qu'il ne lui serait pas impossible de rendre occasionnellement, d'une ou d'autre manière, à monsieur Rogier, tel ou tel modeste bon office qui lui prouverait ce degré d'estime particulière que, dès la première rencontre, il a conçu pour sa personne, sentiment qu'il n'a pas l'habitude de prodiguer, mais qu'en dépit des censeurs inévitables, il aime à lui continuer même depuis son entrée dans la difficile carrière des affaires publiques... »
(Monsieur D. envoya quatre jours après à Rogier une note contenant des renseignements, qui ne manquaient pas d'utilité ni de justesse, sur les opinions, les sentiments réels et l'influence des hommes les plus importants de la ville, Belges ou étrangers. En tête de la note, dont Rogier a certainement tenu compte, Monsieur D. disait : « Ces renseignements sont d'autant plus utiles qu'ils sont d'une impartiale exactitude et d'une véracité qui exclut de la part de l'écrivain cette timide formule d'usage parmi les commerçants : ceci soit dit sans mon préjudice. »)
Le cabinet avait tenu à mettre à la tête de cette province, où la réaction était toujours menaçante, un homme ferme et en même temps sympathique au peuple. Lebeau le dit (Souvenirs personnels, p. 260) : « M. Rogier pouvait mieux que tout autre rendre à Anvers de nouveaux services à la Révolution en y ralliant les hommes de bonne foi. »
(page 141) Le premier gouverneur, M. de Robiano, n'avait pu y tenir. Son successeur ad intérim, M. F. Tielemans, légiste avant tout, était doué d'un ardent patriotisme aussi, mais il s'en fallait que ce fut un homme d'action. Comprenant son insuffisance, il avait sollicité le gouvernement d'une autre province.
La situation n'avait pas encore été aussi critique : les volontaires, enivrés de leurs succès, voulaient en finir avec les Hollandais demeurés dans le pays, et les généraux étaient plus disposés à courir à l'ennemi qu'à se pénétrer des nécessités de la politique. Lebeau écrivait à Rogier le 16 juin :
« J'espère, mon cher Charles, que par ton énergie et ta popularité tu empêcheras qu'une faction battue au Congrès et furieuse de sa défaite n'aille travailler chez toi à déranger des négociations qui sont notre unique ressource contre de grands malheurs. Je n'appelle pas faction toute la minorité, mais elle compte des hommes affreux. R., par exemple, disait hier que l'aristocratie dominait le Congrès et qu'il pousserait au renversement de celle-ci avec autant de droit que l'aristocratie en avait eu pour travailler à la chute du roi de Hollande... »
De Mérode exprimait à Rogier les mêmes sentiments dans une lettre de Londres (du 21 juin), où il félicitait son « cher ami » de sa « résolution patriotique » et où il lui disait « combien il était charmé de son acceptation du gouvernement d'Anvers,, qui avait grand besoin d'un directeur considéré marchant d'accord avec le gouvernement du Régent.
Une lettre écrite par le Régent à Rogier quelques jours (page 142) auparavant n'est pas moins significative que celles de Lebeau et de Mérode :
(Note de bas de page : Ecriture de vieille charte, sur grand papier de Hollande, sans vedette imprimée, ni écusson, ni armoiries, très difficile à lire quoique tracée d'une main ferme, et sans ponctuation ni majuscules mème pour les noms propres. (Nous ne modifions ni l'orthographe ni le style.))
« Bruxelles, le 17 juin 1831.
« Monsieur le Gouverneur,
« J'ai reçu ce matin à six heures votre dépêche d'hier au soir. Une venue du général tiken m'avait déjà fait connaître son mécontentement que je regarde comme inconvenant sous le rapport de ce qu'il me doit comme son chef et en second lieu sous un rapport qui a précédé et qui j'espère survivra à ma puissance je veux dire de celui qu'il me doit comme ami mais il parait que ce sentiment que j'ai invoqué dans ma dernière au général et que vous lui avez remise vous-même a eut peu d'accès chez lui ce dont je suis peiné aussi ne lui reponderai-je pas j'en ai chargé le ministre de la guerre il recevra également une autre missive arrettée en conseil.
« « Je lui disais dans ma dernière que la question de la guerre était si intimement liée à la politique que ce n'était pas aux commandans militaires à juger de l'oportunité de la reprise des hostilités mais au gouvernement initié dans les secrets de la véritable situation du païs à l'égard des puissances voisines vous en jugerez parle passage suivant que je transcris d'une dépèche particulière de m. lehon venue ce matin et que je vous prie de communiquer au général ainsi que tout le contenu de la présente si vous le jugez nécessaire.
« Ce qu'il y a de plus important dans ce moment c'est (et on me le répète chaque jour) DE NE PAS ATTAQUER LES PREMIERS j'ai lieu de croire que des projets DE PARTAGE EXISTENT dans la supposition DE CE CAS jusqu'au 30 juin c'est celui de vos devoirs qui est le plus difficile et pourtant le plus indispensable de remplir il faut espérer qu'Anvers et Liége seront préservés de l'explosion qui les menace. (Ces mots sont soulignés par le Régent.)
« D'aprés ceci pourrait-on soupçonner qu'il existe dans le païs des hommes assez ennemis de la Belgique pour l'exposer à un pareil malheur à une pareille ignominie que les généraux pesent donc bien sérieusement et bien consciencieusement les suites d'une désobéis. sance aux ordres du gouvernement je ne puis croire à l'intention d'une (page 143) désobéissance formelle cela serait trop criminelle mais je ne suis pas éloigné de croire à une connivence irréfléchie tâchons donc d'atteindre le 30 juin malgré les efforts de divers partis divisés d'opinion mais réunis pour nous entraîner dans le précipice les uns dars l'intention de nous perdre et les autres dans la croïance que c'est la seule issue qui nous reste pour sortir de l’Etat d'incertitude dans lequel nous vivons mais dans les deux hypothèses ce seraient les derniers qui seraient dupes et nous avec tandis que les autres auraient atteint leur but celui de nous perdre.
« Je compte beaucoup sur votre prudence pour faire entendre raison à tout le monde quoique dans ce moment.ci c'est ce langage qui semble être le plus incompréhensible pour bien du monde. Les dernières nouvelles arrivées hier soir de Londres sont meilleures il y a un peu d'espoir ne gåtons donc rien par une coupable précipitation.
« (Signe) SURLET DE CHOKIER. »
(Note de bas de page : La date du 20 jour est celle de la convocation du Congrès pour l'examen du traité des XVIII articles contenant les préliminaires de paix imposés par la Conférence de Londres et admis par le prince Léopold comme condition de son acceptation de la couronne.)
La plus grande partie des Anversois avaient fort bien accueilli la proclamation de leur nouveau Gouverneur :
« Aux habitants de la ville et de la province !
« En acceptant à cette époque critique de notre révolution un gouvernement dont les circonstances et les lieux augmentent de beaucoup les difficultés, je me suis rendu aux désirs du chef populaire de l’Etat, si digne d'être obéi. Avec du zèle et des efforts, je ferai en sorte de suppléer à l'habileté de l'administrateur estimable qui vient d'être appelé au gouvernement d'une autre province.
« Justice pour tout le monde et résistance à toute exigence mal fondée seront ma règle invariable de conduite aussi bien dans l'administration civile de la province que dans les rapports que je suis autorisé à établir avec l'autorité militaire.
« Je compte sur la coopération franche et active de tous les bons citoyens : elle ne m'a point manqué en des temps encore plus difficiles. Je l'invoque de nouveau aujourd'hui ; j'ose de mon côté répondre de mon dévouement et quelle que soit l'issue des événements qui se préparent, nous l'attendrons avec confiance, si chacun de nous peut se dire qu'il a fait son devoir pour conserver sans tache avec nos libertés et notre indépendance le beau nom de Belge.
« Vivent les Belges ! Vive le Régent !
« LE GOUVERNEUR DE LA PROVINCE, Ch. ROGIER. »
(page 144) Mais la situation était tellement tendue qu'à tout instant des coups de feu, en dépit de l'armistice, s'échangeaient entre les Hollandais et les volontaires. Firmin en parle à son frère dans une lettre du 29 juin :
« ... Depuis ton arrivée à Anvers, tu ne m'as pas donné signe de vie, et pourtant, grâce aux bruits effrayants répandus chaque jour, j'aurais eu besoin de savoir par toi-même ce que tu devenais. J'ai eu une fois de tes nouvelles par le correspondant du général Belliard, qui lui marquait que tu étais resté plus de trois heures au milieu des fusillades des volontaires pour arrêter leur fureur belligérante, et tout cela était raconté avec des éloges de ton courage qui ont, comme tu le peux croire, vivement ému mon cœur fraternel... »
Beaucoup d'Anversois, craignant le retour de la catastrophe d’octobre 1830, commençaient à fuir. Pour arrêter cet exode fatal, Rogier lance cette seconde proclamation :
« Aux habitants de la ville d'Anvers !
« A l'occasion d'une fusillade sans but ni résultat, engagée hier avec les vaisseaux ennemis dont la vue, il faut l'espérer, ne nous offensera plus longtemps, un assez grand nombre d'Anversois ont de nouveau abandonné leurs foyers.
« Cette conduite est au moins irréfléchie. Le moment de mettre à l'abri sa personne et ses biens pourrait toujours être prévu à temps s'il était à présumer que des vengeances sans exemple comme sans excuse pussent un jour se renouveler.
« Que l'on se persuade d'ailleurs que plus la ville serait dépeuplée d'habitants, plus sa sûreté pourrait courir de dangers. Que la classe riche et commerçante donne l'exemple de la confiance ; le patriotisme du Régent, la sagesse du Congrès et le courage de l'armée feront le reste.
« LE GOUVERNEUR DE LA PROVINCE, Cu. ROGIER. »
La proclamation fit l'effet espéré : on commença à reprendre confiance. Les journaux dévoués au nouvel ordre de choses, particulièrement le Journal d'Anvers, qui recevait sans doute du Gouverneur des notes et des renseignements, annonçaient aux habitants que les négociations qui se poursuivaient à Londres donnaient au (page 143) ministère « l'espérance que la guerre et l'intervention étrangère pourraient être évitées ».
Quand nous lisons certains articles publiés par la presse belge d'Anvers à cette époque, nous sommes fort tenté de croire que Rogier les avait tout au moins inspirés. L'espérance dont parlait le Journal d'Anvers était assurément justifiée par les lettres de Lebeau à Rogier.
(Note de bas de page : Lebeau y est très dur pour certain député qui avait l'air d'être son ennemi personnel... Il a en même temps un accès de mélancolie : « Ah ! mon cher Charles, de quelle fermeté d'esprit il faut être doué pour espérer encore en l'homme après l'avoir vu si hideux ! » L'avenir lui réservait des heures bien plus pénibles. D'ailleurs, Lebeau a parfois désespéré de la réussite des démarches faites à Londres, si nous en jugeons par sa correspondance avec Devaux et Nothomb : « Mon énergie, je le sens, fléchit quelquefois ; mais seul, sans appui, sans conseils, comment éviter le découragement ?» (Lettre du 14 juin, publiée par M. Fréson.)
Le ministre lui écrivait notamment qu'il venait de recevoir « de bonnes nouvelles » de MM. Devaux et Nothomb, qui avaient été chargés, au lendemain de l'élection de Léopold, d'aller offrir à la Conférence des sacrifices pécuniaires en échange des territoires contestés et de travailler à obtenir que l'acceptation de la couronne par Léopold ne fût pas subordonnée à l'acceptation par le Congrès des conditions de la Conférence. Le ministre avait également reçu la veille de Paris des nouvelles qui n'étaient pas moins encourageantes. Mais de tous les côtés on disait : « N'attaquez pas : ce serait risquer de tout perdre. » (Les mots sont soulignés par le ministre.)
Lebeau faisait aussi connaître à Rogier les dispositions du prince Léopold et l'impression extrêmement favorable qu'il avait produite sur la députation que le Congrès lui avait envoyée :
«... Le prince montre les meilleures dispositions, parle de la Belgique comme s'il y régnait, projette des améliorations, routes, canaux, voit dans le lointain nos limites s'étendre au Rhin et à la Moselle, etc., etc. La députation a été enchantée. Le froid Gerlache lui-même est séduit. Voici une phrase de sa lettre au Régent : « Vous savez que je ne suis (page 146) pas homme à m'enthousiasmer facilement ; eh bien, s'il fallait choisir entre mille, c'est sur lui que mon choix tomberait. » Le prince ne craindrait pas de faire la guerre pour le Luxembourg, si on rendait la question belge-hollandaise exclusivement. C'est à quoi l'on travaille. On espère faire mettre le Luxembourg en dehors du protocole du 20 janvier... Reste le Limbourg : Devaux et Nothomb espèrent l'avoir à peu près tout entier...»
On espérait beaucoup ! Lebeau avait une tendance à l'optimisme : c'est ce qui explique maintes de ses paroles.
De son côté, le comte de Mérode, membre de la députation du Congrès, écrivait à Rogier, le 21, que la Conférence était très embarrassée par l'élection de Léopold :
« … Ce monstre dont vous avez quelque peu rabattu les qualités effrayantes , enlacé dans ses propres filets, ne mord plus qu'avec peine la faible Belgique. Le prince de Cobourg est pour le Minotaure un nouveau Thésée. Je ne dis pas qu'il délivrera Ariane du Labyrinthe, mais l'animal aux cinq cornes, vomissant la gueule béante ses terribles protocoles, en brisera quelques-unes contre la résolution des 152 du Congrès. Si la bête ne meurt pas du coup, elle sera énervée de manière à être peu redoutable, à moins qu'on ne l'irrite de nouveau par de violentes piqûres...
« Quant à notre prince, il est excellent, plein de franchise et de raison ; il travaille pour nous avec zèle et, quoi qu'il arrive il aura très utilement servi la cause belge, dussent des obstacles insurmontables de la part de la Conférence ou du Congrès l'empêcher de venir parmi nous, ce dont il a cependant grande envie... »
(Note de bas de page : le début de cette lettre fait allusion à son dernier discours au Congrès, dont parle Lignac (page 137). Cette lettre humoristique du comte de Mérode, qui peut donner une idée des sentiments que les Belges éprouvaient pour la Conférence de Londres, contient quelques lignes piquantes sur les membres de la Chambre des Communes, et, par ricochet, sur les membres du Congrès belge : «... Nous avons assisté ce matin à l'ouverture du Parlement... Rien n'est plus ridicule que l'entrée des députés des Communes dans la Chambre des Pairs, où le Roi prononce son discours. Précédés par leur président en grande perruque, qui fait deux ou trois profondes révérences, ces députés courent comme une bande d'écoliers et se poussent les uns les autres comme des bambins sortant de classe pour aller en récréation. Personne ne se douterait qu'il a sous les yeux les législateurs d'un grand pays, soit dit en passant pour nous consoler des scènes incongrues qui, de temps à autre, se jouent au Congrès.. »)
(page 147) Tous les efforts de nos mandataires à Londres, tous ceux du prince Léopold ne furent pas perdus. Les dernières conditions offertes par la Conférence et qui sont la base des préliminaires de paix (traité des 18 articles) arrêtés le 24 juin à Londres entre le prince Léopold, Palmerston, Nothomb et Devaux, étaient en définitive moins dures qu'on ne le craignait. Firmin Rogier (qui n'est assurément pas suspect quand il s'agit d'apprécier l'œuvre des protocoliseurs) en exprime sa satisfaction à son frère le 29 juin :
«... Ces conditions me semblent à moi meilleures qu'on ne les pouvait attendre de ces messieurs : le statu quo dans le Luxembourg, jusqu'à l'arrangement définitif (et cet arrangement nous laissera cette province), l'évacuation de la citadelle d'Anvers, la dette équitablement répartie (chacun payera la sienne), la faculté des échanges, nos droits que nous tenons de l'évêque de Liège reconnus sur Maestricht. Il est vrai que nous perdrons Venloo qui est Hollandais et la Flandre hollandaise qui ne nous appartient pas. Mais notre indépendance est reconnue ; mais nous prenons rang parmi les nations ; mais nous traitons avec les souverains ; mais nous les forçons à reconnaître les principes et les conséquences de notre révolution ; mais nous évitons une guerre dont les chances après tout sont douteuses. N'est-ce donc rien que de pareils avantages, et ne frapperont-ils pas tout homme de bon sens ! Le parti belliqueux, poussé par le parti français et par une foule d'émissaires venus depuis peu de Paris, va jeter les hauts cris ; mais ils ne prévaudront pas, je l'espère, contre la raison, et avant peu nous pourrons, tout le présage, nous constituer en paix... »
Parfaitement raisonné, parfaitement dit. C'est ce que Charles Rogier soutenait, c'est ce qu'il soutiendra quelques jours plus tard à la tribune du Congrès.
Le lecteur aura remarqué certain contraste entre le ton (page 148) de cette lettre et celui de la lettre du 10 juin, qui sonnait la guerre. Firmin n'était pas homme à s'entêter dans une iidée et à refuser de se rendre à de bonnes raisons. Son frère lui avait montré que son système était imprudent : il s'inclinait.
La Conférence, au début des préliminaires de paix, avait dit qu'elle était animée du désir de concilier les difficultés qui « arrêtaient encore la conclusion des affaires de la Belgique ». Le 26 juin, en envoyant ses propositions au gouvernement belge, elle déclarait qu'elle les considérait comme non avenues si le Congrès belge les rejetait en tout ou en partie.
Une discussion émouvante s'engagea sur ce traité des dix-huit articles le 1er juillet.
Il était incontestablement plus avantageux à la Belgique que les conditions contenues dans les protocoles des 20 et 27 janvier. C'était l'avis des Hollandais, même du Journal de La Haye, organe des ministres du roi Guillaume. Mais il n'en soulevait pas moins une opposition violente dans la presse, dans les sociétés patriotiques affiliées à l'Association nationale, et chez certains hommes politiques qui, préférant la guerre à toute concession, ne voyaient pas que l'indépendance de la Belgique s'y effondrerait.
La foule qui se pressait dans les tribunes ou à la porte de l'assemblée faisait des ovations enthousiastes à tous ceux qui étaient hostiles au traité. Elle bafouait, elle ridiculisait les autres. Les ministres étaient accusés de trahison : on les menaçait de pillage et de mort.
Du 1er au 15 juillet, une effervescence inouïe régna dans tout le pays. Dans quelques villes comme Gand, Louvain, Liège, Grammont, il y eut des tentatives de révolte contre le gouvernement. A Liège, on cria : « Vive la France ! » A chaque instant, dans les rues de Bruxelles, on entendait : « La majorité à la lanterne ! Aux armes ! (page 149) Mort aux ministres ! » Il fallut à la majorité un bon sens imperturbable, au ministère une énergie de fer, à M. Lebeau surtout une vaillance, une intrépidité, une éloquence incomparable pour triompher d'une opposition aussi passionnée.
Rogier, dont la fermeté et l'habileté contenaient Anvers dans le devoir comme l'avait espéré le cabinet, Rogier qui allait et venait entre Bruxelles et Anvers, prononça au Congrès, le 7 juillet, en faveur du traité, un discours qui impressionna vivement certains des ardents. Comment ne pas avoir confiance dans les paroles de l'homme qui avait risqué sa liberté et sa vie en septembre et en octobre 1830 !
Il avait été tenu au courant par Firmin, presque jour par jour, de ce qui se passait dans le monde politique de Paris et dans les sphères gouvernementales. Il pouvait donc parler en connaissance de cause de l’Etat des esprits dans cette France dont ses contradicteurs du parti de la guerre attendaient le salut.
Il savait, par exemple, qu'il était parti de Paris pour Bruxelles depuis peu de temps un grand nombre d'émissaires du parti républicain et belliqueux, qui, voulant à tout prix une guerre générale, exciteraient la Belgique à rompre avec la Conférence. C'était, leur semblait-il, un moyen d'arriver à l'exécution de leurs projets. (Lettre de Firmin, du 4 juillet.) Le 5 juillet, Firmin lui avait écrit :
« ... Tout à l'heure, un banquier anglais, qui arrive de Londres aujourd'hui même et qui y a vu plusieurs personnes fort avant dans l'intimité du prince Léopold, m'a donné pour certain que celui-ci n'accepterait pas la couronne et ne viendrait pas en Belgique si les dernières propositions de la Conférence rencontraient plus de 60 voix d'opposition dans le Congrès. Ce même banquier m'a affirmé que l'escadre commandée par lord Codrington n'avait aucune destination, pas plus pour la Baltique que pour l'Escaut ; elle a été simplement réunie pour des évolutions maritimes et pour l'exercice des marins. Chaque année, dit-on, à pareille époque, ces exercices (page 150) et cette réunion de bâtiments ont lieu. Qu'on en croie ce qu'on voudra. Pour moi, je pense que le cabinet anglais est bien aise d'avoir sous la main et prête à agir une force imposante... »
Au moment même où Rogier parlait au Congrès (le 7), Firmin lui confirmait tous les renseignements précédents.
Il a « appris avec bonheur » que l'ami Lebeau (n'est-il pas vraiment curieux que ce soient les amis d'université, les anciens collaborateurs du Mathieu Laensberg et du Politique, les Lebeau, les Devaux, les Rogier, qui jouent encore le rôle principal dans ce débat où sont engagées les destinées d'une nation ?), Firmin a « appris avec bonheur que l'ami Lebeau a eu au Congrès un succès prodigieux ». (Le mot n'était pas exagéré : pour s'en convaincre, il suffit de lire les journaux hostiles à Lebeau ; les tribunes elles-mêmes avaient applaudi.)
« ... Si notre ami est décidé à se retirer, sa retraite, après ce triomphe, n'en sera que plus belle et plus honorable. J'attends maintenant avec impatience ton discours ; ton vote, j'aime à l'espérer, ne t'enlèvera pas ta part de popularité. En tout cas, la conscience d'avoir rempli ton devoir te suffira pour compensation. Est-il quelqu'un qui puisse suspecter tes intentions ? On a été très content ici de ton allocution aux tribunes... » (Rogier avait, dans la séance du 4, rappelé le public au respect du Parlement).
Firmin entretenait Charles d'une conversation qu'il avait eue avec Sébastiani. Le ministre de Louis-Philippe lui avait fait comprendre que le refus par le Congrès d'accepter les propositions de la Conférence devait faciliter le retour de la maison d'Orange. Ce serait l'argument le plus puissant qui serait invoqué à la Conférence en faveur de Guillaume. Une restauration serait possible aussi longtemps que les Belges resteraient dans ce provisoire d'où l'installation du roi Léopold les tirerait ; il y avait donc urgence à voter le traité des dix-huit articles, puisque l'acceptation du prince de Cobourg était (page 151) subordonnée à ce vote. Sébastiani avait avoué que les puissances songeaient aussi à un partage, mais que la France, en dépit des belles offres qui lui étaient présentées, n'en était pas partisan. Il semblait résulter des demi-confidences et des réticences de Sébastiani que la France laisserait faire... Au besoin, elle s'en laverait les mains. - Firmin, après avoir raconté à Charles cette entrevue qui l'avait profondément attristé, ajoutait :
« Je ne manquai pas, comme tu peux le penser, de dire à Sébastiani qu'un tel acte déshonorerait à jamais les cabinets qui y prendraient part et que d'ailleurs les partageants verraient bientôt surgir entre eux mille causes de guerre... Le ministre m'a dit que jamais, quoi qu'on pense, si les affaires de Belgique s'arrangeaient, les chances de guerre n'auront été plus éloignées. Que Léopold arrive en Belgique - c'est sa phrase et la paix en Europe sera constituée... »
Rogier prouva au Congrès que dans l'intérêt de l'indépendance de la Belgique aussi bien que de la paix générale, il fallait voter le traité des dix-huit articles. Il supplia ses collègues de faire taire, comme lui, leurs répugnances pour sauver la patrie. Son argumentation fut puissante, irrésistible quand il leur montra le danger qu'il y avait à aventurer le sort de la Révolution en des entreprises téméraires, sans issue, sans résultat.
Il y a, dans ce discours du 7 juillet, des passages en quelque sorte ad hominem, qui vous remuent le cœur : ce sont ceux où il unit son sort au sort de ses amis, Lebeau et Devaux, qui avaient soutenu tout le poids de la discussion et que certaine presse traînait sur la claie :
« …Quand je donne ce titre d'amis aux deux ministres, n'y voyez, messieurs, ni flatterie, ni politesse parlementaire. Sept années de modestes et probes travaux (les années de jeunesse ardente et travailleuse ... 1824 à 1830), sept années de travaux entrepris avec eux et continués en commun, sept années d'opposition constante et consciencieuse contre l'ordre de choses déchu m'ont bien acquis le droit, je pense, de donner ce nom à deux hommes dont chacun de vous reconnait le talent et les capacités, et dont tout le monde, un jour, (page 152) honorera les intentions et le caractère, à ces hommes dont je n'ai pas cru pouvoir me séparer parce que, placés à leur tour dans une position plus élevée que la mienne, je les aurais vus livrés à tout ce que les passions haineuses, mais inévitables en révolution, peuvent inventer d'absurdes calomnies et d'injures grossières... Et puisque cette couronne d'épines ministérielle, si enviée, et si dure au front qui la porte, va passer à d'autres mains (ils l'avaient annoncé), ils ne s'étonneront pas d'entendre une voix amie leur rendre ici cet hommage désintéressé... »
Rogier avait, à l'appui de son opinion, invoqué ses services passés et il en avait certes le droit. Il lui était permis de dire :
« ...Croyez-en un homme qui a embrassé la cause de la Révolution avec amour, avec passion, qui se tient prêt à la défendre de tout son sang. Elle poursuivra sa marche glorieuse, s'il peut être dit qu'après avoir été le second peuple de l'Europe en énergie et en courage pour briser le joug, le peuple belge a été le premier en prévoyance et en sagesse pour se constituer... »
Le bon sens l'emporta : le traité des dix-huit articles fut voté par les deux tiers de l'assemblée : 126 voix contre 70 (séance du 9 juillet).
Le lendemain, Lebeau et Devaux quittèrent le pouvoir après avoir fait mettre au Moniteur la note suivante :
« Le Congrès ayant, par sa décision d'hier, levé les derniers obstacles qui s'opposaient à la constitution définitive du pays, MM. Lebeau et Devaux ont jugé qu'ils ont atteint le but en vue duquel ils étaient entrés au ministère. Ces deux ministres se retirent et répondent par leur retraite aux calomnies dont un parti les a abreuvés. »
Le langage était à la hauteur de l'acte.
Le Congrès ne tint plus que trois séances avant l'arrivée du roi Léopold : le 18, le 19 et le 20 juillet.
Elles furent occupées par la discussion du projet décrétant le rétablissement immédiat du jury (adopté par 79 voix contre 40 et 3 abstentions), du décret sur (page 153) la presse (voté par 91 voix contre 25), et du décret perpétuant par des fêtes le souvenir des journées de Septembre (adopté à l'unanimité).
Rogier avait fait avec Devaux partie de la commission qui avait préparé le décret sur la presse.
Et ce fut lui qui proposa les fêtes de Septembre. « Il faut, avait-il dit le 19 juillet, que toute la nation belge célèbre chaque année l'époque de sa régénération, afin qu'elle n'oublie jamais de quel prix elle a été payée. » (« Je te félicite, lui écrit Firmin, sur le succès de ta motion relative à l'anniversaire des journées de Septembre. C'était à toi, mon colonel liégeois, à proposer une telle loi. »)
Un demi-siècle plus tard, on décida d'avancer de deux mois la date de la célébration de ces fêtes de notre indépendance. A notre humble avis, on aurait pu tout au moins attendre que Rogier et ses héroïques camarades de Septembre eussent disparu.
Avant de clore ce chapitre sur le Congrès, indiquons sommairement, d'après les Discussions du Congrès, de Huyttens, les autres discours et votes principaux de Rogier :
Il vote contre une proposition tendant à attribuer à des autorités électives les mesures de surveillance à établir dans l'enseignement (Huyttens, I, 642) ;
Il demande qu'on puisse à tout âge être député (II, 32) ;
Il vote contre la disposition qui accorde aux députés une indemnité mensuelle de 200 florins pendant toute la session (II, 38) ;
Il propose de déclarer que les fonctionnaires publics ne jouissent d'aucune indemnité s'ils n'ont renoncé à leur traitement pendant la session (II, 39 ) ;
Il se prononce pour l'institution de deux chambres électives (I, 495) ;
Il demande que les sénateurs soient nommés par les électeurs qui nomment les représentants (I, 568) ;
Il s'oppose à la nomination du Sénat par le Roi (I, 24) ;
Il demande un rapport sur l’Etat de l'enseignement (III, 149).