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Charles Rogier (1800-1885), d'après des documents inédits
DISCAILLES Ernest - 1895

Ernest DISCAILLES, Charles Rogier (1800-1885)

(Paru à Bruxelles en 1895, chez J. Lebègue et Cie)

Troisième partie (tome III). Rogier du traité de paix de 1839 jusqu’à sa mort

Chapitre III. De la chute du premier ministère libéral à l'avènement du second (13 avril 1841-12 août 1847) (première partie)

1. Le cabinet de Muelenaere. M. Nothomb combat vainement la réélection de Rogier à Anvers en juin 1841

(page 59) Le parti catholique a réussi à faire tomber Lebeau et Rogier du pouvoir, avec l'aide de leur ancien ami et collaborateur M. Nothomb.

Il va travailler à les exclure du Parlement.

Le nouveau ministre de l'intérieur se réclamait de l'Union, comme tous ceux qui avaient renversé le cabinet libéral. Il aurait donc dû apporter dans la lutte électorale de juin 1841 des sentiments de concorde et de modération. Il n'en fit rien, surtout à Anvers où Rogier était soumis à réélection.

Veydt écrivait à Rogier le 7 mai :

« ... Il paraît certain que Nothomb a envoyé des instructions directes à D. (le commissaire d'arrondissement) pour lui enjoindre de travailler contre notre réélection. Ces instructions sont menaçantes et le pauvre commissaire va se trouver bien embarrassé. Je crois tout ce qu'on dit de l'astuce et des moyens de corruption que Nothomb mettra en œuvre. C'est une question d'être ou de ne pas être pour le cabinet dont il se pose le chef... Il est plaisant de vous voir, dans un pamphlet, dépeint comme un anarchiste et un ultralibéral... »

(page 60) Quand il traçait ces lignes, Veydt avait apparemment sous les yeux une plaquette intitulée : « De la candidature de M. Rogier », rédigée par un des chefs du parti catholique d'Anvers et distribuée par les amis du ministère à tous les électeurs de l'arrondissement.

Ce pamphlet allait d'abord jusqu'à rééditer, d'une façon peu voilée, les stupides infamies dont les journaux orangistes de 1838 avaient essayé de souiller la mémoire du père de Rogier. (Voir tome Ier, p. 14, et tome IV.)

Aux yeux de l'auteur, la réélection de l'ancien membre du gouvernement provisoire eût été presque un malheur public... « Dévoré d'ambition, insatiable de pouvoir, il a essayé de lutter contre le sentiment manifeste des deux Chambres... » Sa présence au Parlement « serait nuisible à tout le monde »... Il n'a réussi à se créer des partisans que « chez ceux qui en général renient les principes d'ordre, d'obéissance et de hiérarchie » sans lesquels la société n'est pas possible, chez ceux qui « caressent des utopies révolutionnaires... » Les « secrètes tendances » - là aussi les « tendances » - de son ultra-libéralisme ruineraient la paix et la prospérité du pays. Lui et son collègue Lebeau ressemblent fort à ces hommes politiques de la France qui « désirent de tous leurs vœux l'abaissement de la royauté ». Ils travaillent à « constituer dans leurs personnes un duumvirat suprême soutenu par de nombreuses créatures dans la Chambre, au moyen desquelles ils espèrent s'imposer au pays ».

Les actes les plus louables de l'administration de (page 61) Rogier lui étaient imputés à crime. S'il avait fait voter, comme gouverneur, des fonds pour des routes, c'était, affirmait le pamphlétaire, afin de donner une plus-value aux terrains de certaines familles qu'il voulait se rendre favorables au jour de l'élection... etc., etc.

La circulaire de Rogier à ses électeurs (5 juin) est très digne. Donnons quelques lignes de cette belle profession de foi à laquelle il a toujours conformé ses actes.

« ... Si je voulais être au ministère à tout prix, j'y serais demeuré en 1834. J'y serais rentré en 1837 alors que dans l'une et dans l'autre circonstances d'honorables instances m'étaient faites ; j'y serais enfin resté au mois d'avril dernier, car la retraite du cabinet fut volontaire. Voilà pour le reproche d'ambition. Et toutefois, je me hâte de le déclarer, tout citoyen animé du désir du bien public doit, selon moi, rechercher comme le plus noble but de sa vie l'honneur insigne de concourir au gouvernement de son pays. Cette ambition-là, je l'ai toujours eue et je ne m'en défends pas. Ce n'est pas que je veuille du pouvoir à toutes conditions. Etre ministre en reniant ́mes principes politiques, en devenant l'instrument aveugle d'un parti quel qu'il soit, jamais, jamais !

« Si je ne suis pas un ambitieux affamé du pouvoir, suis-je donc un anarchiste, un ennemi du pouvoir ? Messieurs les électeurs, je vous en fais juges. Pendant ces dix dernières années, j'ai occupé sous vos yeux des fonctions politiques de l'ordre le plus élevé. Par devoir de position, et plus encore par principe, toujours, dans tous les ministères, j'ai défendu le gouvernement avec désintéressement et énergie. Nous avons pensé, mes amis et moi, que plus on avait donné de libertés au pays, plus il fallait donner de force au pouvoir, non pour restreindre ces libertés, mais pour en modérer et régulariser l'usage et pour mieux en assurer au peuple les avantages pratiques.

« Les changements survenus dans ma position ne modifieront pas mes principes. Homme de modération et de progrès, sincèrement dévoué aux droits constitutionnels du pouvoir et aux intérêts du peuple, sans avoir jamais été le flatteur ni de l'un ni de l'autre, ami de la liberté et de la prospérité de mon pays, mais ami surtout de l'ordre sans lequel il n'y a ni liberté durable, ni prospérité assurée, tel vous m'avez connu, tel vous me verrez encore... »

Malgré l'âpreté d'une lutte où toutes les influences (page 62) gouvernementales furent mises en jeu contre lui, Rogier fut réélu.

Les catholiques présentaient MM. Smits, Osy, Cogels et Ullens ; les libéraux : MM. Smits, Rogier, Veydt et Loos. M. De Cock se portait en dehors des deux partis.

Sur 1944 suffrages valables (1003 de la ville, 941 de la campagne), Rogier en obtint 1000. Furent élus avec lui MM. Smits (1155), Osy (998) et Cogels (972).

MM. Veydt, Loos, Ullens et De Cock obtinrent respectivement 965, 939, 883 et 751 voix.

Ce n'était pas seulement Rogier, c'étaient Lebeau et Devaux que le ministère comptait abattre.

Les libéraux bruxellois ayant des craintes pour la réélection de Devaux à Bruges (où il passa cependant au premier tour avec 599 voix sur 1101 votants), l'avaient inscrit sur leur liste. Il fut élu au ballottage.

Lebeau, lui, passa au premier tour (1961 voix sur 3629 votants).

On ne doit pas s'étonner si les adversaires du ministère lui avaient rendu coup pour coup. Quelques-uns de ses meilleurs amis faillirent perdre leur mandat. M. Brabant n'obtint à Namur qu'une dizaine de voix de majorité. M. de Mérode ne dut sa réélection à Nivelles qu'à sa propre voix.

Et voilà comment le corps électoral entendait cette union sous les auspices de laquelle s'était constitué le cabinet mixte du 13 avril 1841.

2. Les deux premières années de la politique mixte (1841-1843). La conspiration des généraux Vander Meere et Vander Smissen, débat politique sur la constitution du nouveau cabinet. l’affaire de la British Queen

« Malgré de folles et odieuses menées, nous pouvons nous féliciter des circonstances au milieu desquelles s'ouvre la session... »

Ainsi débutait le discours du trône du 9 novembre 1841. Il faut entendre par « folles et odieuses menées » la conspiration dite des paniers percés, ourdie à Bruxelles de 1840 à 1841 par les généraux Vander Meere et Vander Smissen et dont on est tenté de se demander si elle était bien sérieuse, quand on voit le sans-gêne bizarre avec lequel procédèrent les conspirateurs. Nous renvoyons aux journaux du temps, ou plutôt à l'ouvrage de Poplimont : La Belgique depuis 1830, ceux de nos lecteurs qui voudront connaître les détails de ces menées, qui n'inquiétèrent pas un seul moment le gouvernement et dont il lui suffit de quelques visites domiciliaires pour avoir raison immédiatement.

(Note de bas de page : [Au sujet de la qualification de « paniers percés »] (1) C'est ainsi que les Bruxellois l'avaient baptisée. Vander Meere était en disponibilité ; Vander Smissen était l'ancien officier supérieur dont la réintégration avait amené la chute du cabinet de Theux. M. Thonissen voit dans le complot le « rêve de cerveaux malades », qui menèrent l'affaire avec tant de légèreté, d'imprudence et de maladresse que deux canons fondus à Anvers pour le compte des conjurés furent expédiés à Bruxelles par le chemin de fer de l'Etat, et que le ministre de la guerre put assister, sous un déguisement, à la fonte des boulets destinés à ces canons. Il s'agissait, semble-t-il, de mettre le feu à un magasin de fourrages et de profiter de l'absence des soldats occupés à éteindre l'incendie pour s'emparer de l'arsenal, des ministres, des membres de la famille royale... et proclamer la reconstitution du royaume des Pays-Bas sous Guillaume II.)

Il y aurait eu peut-être pour l'opposition matière à critiques dans la conduite trop longtemps expectante tenue par le gouvernement vis-à-vis des meneurs. (page 64) Avait-il été bien correct en les laissant aller si loin, quand il pouvait un mois plus tôt pour couper court à leurs intrigues ? Nous n'admettons pas, pour notre part, qu'il fallût, comme M. Thonissen le prétend, attendre pour agir qu'on eût sous la main toutes les pièces de conviction, alors que l'on était déjà armé de révélations complètes. Une opposition tracassière n'eût pas manqué de profiter de l'occasion pour chercher à établir que le ministère n'avait laissé prendre à cette folle équipée les allures d'un complot, que pour se donner à peu de frais le prestige d'une victoire.

Loin de contester aux ministres le droit de monter au Capitole, Rogier prit l'initiative d'une proposition tendant à faire voter sans discussion la réponse au discours du trône. Voici ses paroles :

« Des circonstances récentes auxquelles le discours du trône fait allusion et qui ont péniblement surpris la Belgique, peuvent faire désirer que le vote d'une adresse qui doit avoir une certaine importance aux yeux de l'étranger, soit unanime. Il est en effet des questions qui dominent les divergences ordinaires d'opinions et devant lesquelles les dissentiments s'ajournent. Vous comprenez donc, Messieurs, que sur beaucoup de choses, des explications franches et loyales sont nécessaires. Nous sommes et nous serons toujours prêts, quant à nous, à les aborder. Nous n'avons pas de répugnance à attendre, assez d'autres occasions devant se représenter dans le cours de la session. Nous donnerons volontiers aujourd'hui cette nouvelle preuve de modération et ne nous opposerons pas à l'adoption du projet d'adresse dont la rédaction me paraît avoir eu en vue de réserver toutes les opinions et de confondre leurs diverses nuances dans une protestation commune d'attachement à la nation, à la dynastie et aux institutions fondées par le Congrès. »

La proposition de Rogier ne souleva aucune objection. Il était entendu que le débat politique auquel la retraite du cabinet Lebeau-Rogier donnait ouverture ne serait qu'ajournée.

En fait, il s'engagea dès le mois suivant, à l'occasion du budget des voies et moyens.

Rogier, dans un langage dont la sobriété n'excluait pas (page 65) l'énergie, fit bonne justice des accusations dont il avait été l'objet de la part du pamphlétaire anversois dont nous avons résumé l'œuvre plus haut.

Il montra que tous les griefs que les « rechercheurs de tendances » avaient mis à la charge du cabinet défunt étaient faux :

« L'ancien ministère avait pour politique d'être juste envers les partis, sans les braver ni les subir. Par son origine, il n'avait aucun engagement vis-à-vis d'eux ; par sa composition, il offrait de la sécurité aux hommes modérés de toutes les nuances ; par sa conduite enfin, il cherchait à rattacher à l'Etat et au trône toutes les forces vives du pays ; et jamais, on peut le dire, jamais depuis le gouvernement provisoire, aucune administration n'avait joui d'une popularité d'aussi bon aloi. »

Ce cabinet, on l'avait fait tomber sans raison avouable ! Les hommes qui en faisaient partie avaient été pendant la lutte électorale de juin l'objet des attaques les plus violentes dans les feuilles du nouveau gouvernement soi-disant pacificateur !

« ... Ces hommes ont été en votre nom, Messieurs les Ministres, sous votre bannière, sans désaveu de votre part, poursuivis par les outrages les plus sanglants, par les manœuvres les plus déloyales ; et s'ils siègent aujourd'hui, malgré vous, dans cette enceinte, c'est que l'opinion publique a été plus modérée, plus juste, plus reconnaissante envers eux que le gouvernement ! »

Mais il n'y aurait pas de basse rancune chez eux ; ils n'apporteraient pas de parti pris dans les débats :

« ... Ne croyez pas toutefois que, répudiant leur caractère et leurs antécédents, ils viennent apporter ici des rancunes, et non plus des principes hommes d'ordre et de modération, on ne les verra pas sacrifier les intérêts du pays à des passions, à des intérêts personnels ! Que des mesures utiles se présentent, que des lois d'intérêt général soient proposées, et lors même que leur confiance politique manquerait, leur concours administratif ne fera pas défaut. »

Prenant dès lors en quelque sorte la direction de la gauche parlementaire, Rogier disait le rôle qu'elle jouerait désormais et se traçait à lui-même son devoir :

« ... Que l'opinion qu'on a si injustement refoulée dans l'opposition, (page 66) que l'opinion modérée, tolérante, amie de la justice, de l'ordre et de tous les sages progrès, que l'opinion libérale en un mot comme je la comprends, comme je l'ai toujours comprise et pratiquée, désespère pas d'elle-même ; que des échecs momentanés, que des défections passagères ou définitives ne la découragent pas ! Elle est forte encore, tellement forte que pour la combattre on est obligé déjà de lui emprunter ses allures, ses hommes et quelquefois son drapeau ; mais ce drapeau, pour être reconnu d'elle, doit se porter plus haut et plus ferme. Ce drapeau ne s'abaisse ni ne se cache devant aucune opinion exagérée, intolérante, exclusive ; ce drapeau, je suis décidé à le défendre tel que mes amis et moi l'avons toujours porté, et c'est pour cela que nous sommes aujourd'hui dans l'opposition. Cette situation nouvelle, je ne l'ai point choisie. Des circonstances que j'ai vainement cherché à conjurer me l'ont faite. Un devoir de moralité politique me l'impose ; ce devoir, j'en ai mesuré la portée : je saurai le comprendre et je tâcherai de le remplir jusqu'au bout en honnête homme et en bon citoyen, demeurant convaincu que tôt ou tard la victoire, comme le dit le grand orateur chrétien, revient au plus juste. »

Cette péroraison de son discours était comme le programme d'une politique nouvelle. A ce titre, elle produisit une grande émotion. Il en avait été de même du passage où il avait retracé la conduite du ministère tombé ; de même, du parallèle entre les déclarations pacifiques et unionistes du nouveau cabinet et ses actes belliqueux.

M. Nothomb, qui avait la présidence du cabinet depuis que M. de Muelenaere, fidèle à ses habitudes (M. de Muelenaere ne fit jamais que de courtes apparitions au ministère. Cf. l'ouvrage de M. Vanden Peereboom, II, 7.), était retourné dans son gouvernement de Bruges (laissant les affaires étrangères à M. de Briey que M. Smits remplaça aux finances), M. Nothomb eut fort à faire de défendre son système politique et ses actes contre Rogier, dont Lebeau et Devaux appuyèrent successivement l'argumentation. (Note de bas de page : Devaux avait opté pour Bruges. Sa lettre de remerciement aux libéraux bruxellois est une défense très éloquente de la Revue Nationale. Cf. Indépend. du 16 novembre.)

Le libéralisme était sorti avec grand honneur de cette (page 67) discussion politique où, à côté des trois anciens amis d'avant 1830, des lutteurs nouveaux comme Delfosse et Verhaegen avaient tenu brillamment leur place.

Rogier revint à la charge quelques semaines après, lors de la discussion du budget de l'intérieur. Cette nouvelle campagne était-elle bien nécessaire ? Etait-elle habile ?

Non, estime à bon droit le directeur de la Tribune de Liège, Weustenraad, qui écrit à Rogier le 26 décembre :

« ... La première discussion (au budget des voies et moyens) avait été suivie d'un succès éclatant pour le parti libéral. L'opposition avait remporté dans la Chambre un magnifique triomphe. Nothomb avait été battu, complètement battu et la faiblesse du ministère avait été dévoilée aux yeux de tous. Il fallait en rester là ; il fallait vivre sur ce triomphe en attendant les événements. Je pense, et tous vos amis pensent avec moi, que vous n'auriez pas dû rouvrir la discussion politique, à propos du budget de l'intérieur, vous surtout. Vous aviez à redouter, à tort sans doute, des accusations d'ambition déçue, comme disent ces messieurs de la majorité ; c'en était assez pour vous tenir sur vos gardes et pour vous engager à garder momentanément le silence sur le passé... »

Weustenraad avait d'autant plus raison de parler ainsi que M. Delfosse, le porte-drapeau du libéralisme avancé de ce temps-là, avait profité de la réouverture du débat politique pour déclarer que, contrairement à l'espoir de Lebeau et de Rogier, ce ne serait pas sous le drapeau du libéralisme modéré qu'il combattrait à l'avenir. Il fallait aviser au danger de cette désunion.

La tactique la plus prudente, c'était après tout de se tenir sur la réserve en attendant les élections de 1843. Il n'était pas bien certain que pour cette date-là, il ne surviendrait pas contre M. Nothomb et ses alliés une brouille dont pourrait profiter le libéralisme. Weustenraad disait que le parti catholique à Liége était « furieux contre Nothomb ». On ne lui pardonnait pas la naïveté avec laquelle il avait déclaré, pendant la discussion (page 68) politique de novembre, que la dissolution réclamée vainement par le ministère précédent aurait amené une majorité libérale à la Chambre...

« On ne lui pardonne pas non plus sa dissimulation et son manque de franchise, et je suis persuadé que ce parti le renversera dès qu'il le pourra avec succès... »

Il est bien évident que M. Nothomb, n'inspirait pas de franches sympathies au parti catholique. Il était toléré parce qu'il pouvait être utile, mais il n'était que toléré. Observer et attendre : voilà ce que les libéraux pouvaient faire de mieux alors.

Pour le moment donc, Rogier ne provoque plus de débats politiques.

Il s'occupe d'autant plus des questions d'affaires. Signalons ses discours parfaitement raisonnés et remplis d'idées très pratiques (23 décembre 1841) sur les encouragements dont a besoin l'art dramatique, sur les beaux-arts, sur les dépenses du chemin de fer, sur le tarif des voyageurs et la remise à domicile des marchandises (17 février 1842), sur la liberté commerciale (janvier 1842), sur la patente des bateliers (18 mai 1842), et finalement sur l'établissement d'un service de navigation à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis - affaire de la British Queen.


Elle est bien oubliée aujourd'hui, cette affaire de la British Queen. Quand on l'examine de près, on a quelque lieu de s'étonner qu'elle ait occasionné une polémique si (page 69) ardente et fait prononcer tant de discours (la Chambre lui consacra cinq séances !). Il est vrai de dire que la passion politique s'en mêla et que certains intérêts personnels froissés avaient à cœur de se venger. Voici, d'après l'Histoire parlementaire, un résumé de la question.

Les Chambres avaient, en juin 1840, autorisé Rogier à accorder annuellement, pendant quinze ans, un subside de 400.000 francs à une société qui ferait le service de navigation à vapeur entre la Belgique et les Etats-Unis.

Aucune société belge n'ayant paru offrir de conditions suffisamment avantageuses pour obtenir le subside, Rogier avait, d'accord avec tous ses collègues du cabinet, négocié en Angleterre l'achat direct de deux grands navires à vapeur, la British Queen et le Président. La société anglaise transatlantique avec laquelle l'affaire avait été conclue, devait, au moyen de ces deux navires, assurer le service régulier entre Ostende et New-York.

Le ministère de 1840-1841 était tombé avant que les deux navires fussent arrivés en Belgique. Au moment où M. Nothomb arrivait au pouvoir, le Président disparaissait dans un naufrage.

Le cabinet Nothomb n'était nullement obligé de prendre livraison de la British Queen, car le service ne pouvait se faire par un seul navire. Le contrat du 17 mars 1841 (achat de deux navires au prix de 143.500 livres sterling) ne tenait plus. Toutefois, obéissant à certains scrupules de délicatesse et voulant (dit M. De Decker, rapporteur de la section centrale) « donner une nouvelle preuve de la bonne foi belge », M. Nothomb propose d'acheter la British Queen au prix définitif de 1.850.000 francs.

Des récriminations de tout genre se font jour alors : il est absurde d'avoir acheté deux navires ; le contrat du 17 mars 1841 est nul ; on a sacrifié les intérêts du pays à une société étrangère ; il ne faut pas acheter un navire qui sera insuffisant pour le service ; l'ancien ministère a eu tort de capitaliser la rente de 400.000 francs, etc., etc. La presse (page 70) hostile à l'ancien cabinet apportait dans le débat une note aigre et perfide. Certains armateurs anversois firent entendre des plaintes visiblement intéressées et se laissèrent entraîner à des insinuations dont M. Osy se fit l'écho trop complaisant dans le Parlement.

Rogier et ses collègues de 1840 à 1841 n'eurent pas de peine à confondre leurs détracteurs, mais alors on se rabattit sur notre ambassadeur à Londres, Van de Weyer, qui avait été muni de pleins pouvoirs pour négocier l'affaire avec la compagnie anglaise. Rogier s'empressa de faire connaître à son collègue du gouvernement provisoire les procédés des armateurs qui, après avoir été traités de la bonne façon par les anciens ministres, s'en prenaient maintenant à l'ambassadeur. Van de Weyer lui répondit immédiatement :

« Londres, le 11 février 1842.

« Mon cher ami,

« J'ai reçu ce matin votre bonne lettre ; à peine me reste-t-il avant le départ du courrier le temps de répondre à la principale question. Je le ferai en peu de mots. Jamais ni les associés de la maison Baring en général ni mon beau-père M. Bates en particulier, n'ont été propriétaires d'une seule action de la compagnie avec laquelle le gouvernement belge a traité. S'ils eussent été actionnaires, j'en aurais informé le ministère et je l'aurais prié de charger un autre agent de cette négociation. La maison Baring elle-même n'eût pas consenti à traiter avec moi. Elle eût agi comme elle l'a fait à l'époque où M. De Pouhon est venu lui proposer, au nom du gouvernement et à des conditions fort avantageuses pour elle, de contracter le nouvel emprunt. M. Bates déclara que le motif qui le déterminait à prier ses associés de ne (page 71) point accepter l'offre de la Belgique leur était assez connu : M. Van de Weyer était à la veille de devenir son gendre. C'est ainsi que l'on entend ici les affaires. La certitude d'un bénéfice loyalement offert et loyalement acceptable ne l'emporte point sur des scrupules de délicatesse que MM. O. et consorts ne sont pas faits pour comprendre ; mais pour une maison qui fait annuellement plus d'affaires que cinq des principaux royaumes commerciaux de l'Europe, qu'est-ce qu'un bénéfice de quelques centaines de mille francs lorsque la réputation sans tache dont elle jouit depuis un siècle pourrait en être endommagée même injustement ?

« Quoi qu'il en soit, ces messieurs (O. et consorts) savent fort bien à quoi s'en tenir relativement à la British Queen. Mais ils ont fait de la calomnie, comme ils font toute chose, bêtement, gauchement. Si au lieu d'affirmer un fait qui se peut vérifier en 24 heures, ils s'étaient bornés à répandre le bruit qu'il y avait eu du tripotage à Londres, il y avait là quelque chose de vague, d'insaisissable, qui plaît à la méchanceté qui invente et à la sottise qui croit. Mais un fait, la calomnie ne devrait pas être assez maladroite pour s'y frotter. Elle donne d'abord ainsi un air de vraisemblance au mensonge ; mais la réfutation la confond trop aisément. Or, il est de fait que tous les noms des actionnaires de la British Queen sont connus et publiés ; il est de fait que M. O. s'étant adressé, à ce sujet, à un de ses correspondants à Londres, en reçut une réponse que sa prudence peut taire, mais que sa conscience lui ordonnerait de proclamer ; il est de fait que M. Bates, ayant eu connaissance de cette honnête inquisition, en écrivit à M. O. lui-même, qui, en sa qualité de correspondant de la maison Baring, devait savoir que ses statuts ne permettent pas aux associés d'être actionnaires d'une compagnie quelconque.

« Cette négociation m'a causé presque autant d'embarras que la conclusion du traité avec la Hollande. Alors, comme aujourd'hui, des députés que vous connaissez imputèrent à d'honnêtes motifs du même genre le désir que j'avais d'en finir ! Plein de mépris pour de semblables accusations, je les ai livrées au mépris des honnêtes gens. Le temps en a fait justice. Les calomnies ne me découragent point : c'est à ce prix que l'on fait les grandes affaires. Mais c'est un bien déplorable symptôme quand un pays ne croit plus à la probité des hommes qui sont le plus dévoués à ses intérêts. Je saurai bien faire pénétrer la foi chez les plus incrédules. Si, dans la discussion, on fait la moindre allusion aux infamies qui ont été répandues dans le public, je demanderai officiellement une enquête juridique sur l'ensemble de la négociation.

« Je n'ai pas besoin de vous dire que j'ai été touché de votre lettre ; j'y ai reconnu l'homme, l'ami, l'ancien collègue du gouvernement provisoire.

« Votre tout dévoué,

« Sylvain Van de Weyer. »

Si nous avons reproduit toute cette lettre, malgré sa longueur, c'est qu'elle n'est pas seulement la justification indignée de Van de Weyer et la confirmation de l'intégrité absolue de Rogier ; elle a un autre mérite à nos yeux. Dans un style qui a toutes les qualités maîtresses, la vivacité, l'esprit et l'élégante simplicité, elle nous fait un (page 72) tableau saisissant des mœurs de l'époque, de cette soif de dénigrement que rien ne pouvait assouvir, de la facilité avec laquelle, aux premiers temps de notre nationalité, on accueillait dans la presse et au Parlement les accusations les plus invraisemblables contre des hommes qui, comme Rogier et Lebeau, étaient des types de désintéressement et d'incorruptibilité.

L'honnêteté d'aucun des gouvernants et d'aucun de leurs agents n'est donc en question dans le débat de la British Queen.

On pouvait dire, avec M. Vanden Peereboom (Du Gouvernement représentatif en Belgique, II, p. 12), que le cabinet, auteur du premier contrat, mit trop d'empressement à organiser le service par achat direct des navires et que, en attendant un peu, il serait probablement arrivé à une meilleure combinaison. Mais le cabinet Nothomb eût été parfaitement en droit de se prévaloir des termes et de l'esprit du contrat de 1841 pour soutenir sa résiliation et ne pas faire une dépense qui devait nécessairement être improductive, ce service se réduisant à un seul navire.

3. Proposition Brabant-Dubus pour la personnification civile de l'université de Louvain. Modifications à la loi communale : le fractionnement, le bourgmestre choisi hors du conseil. La loi du 26 septembre 1842 sur l'enseignement primaire

A la demande de l'épiscopat, MM. Brabant et Dubus avaient déposé le 10 février 1841 un projet de loi tendant à accorder la personnification civile à l'Université de Louvain. La section centrale s'y était montrée favorable en principe, mais l'avait modifié en fixant à 300.000 francs le revenu des biens de toute nature que pourrait posséder l'Université (150.000 francs pour les immeubles), et en établissant un impôt de 4 pour cent sur les propriétés à acquérir.

Qu'il fallût voir dans la proposition, surtout depuis (page 73) qu'elle avait été modifiée par la section centrale, tout ce que les journaux libéraux et certains conseils communaux y ont vu, par exemple un premier pas vers le retour des « abus d'un autre âge », et l'acheminement à la restauration des corporations, il est permis d'en douter.

Mais était-il bien raisonnable de créer un établissement de mainmorte de plus dans un pays où il y en avait déjà tant ? N'était-il pas imprudent d'autoriser une mesure qui soustrairait encore à la circulation des capitaux si nécessaires à l'industrie et au commerce ? Où s'arrêterait-on dès que l'on serait entré dans cette voie ?

Nous ne concevons pas que le ministère libéral de 1841 n'ait pas déclaré, dès le dépôt du projet, qu'il ferait de son adoption une question de cabinet. S'il avait résolu, comme le dit M. Thonissen, de ne pas lui susciter dès le premier jour l'obstacle de l'influence gouvernementale, nous avons quelque raison de penser que, au moment où le projet arriverait devant la Chambre, Lebeau et Rogier, d'accord avec leur collègue Leclercq, l'eussent combattu.

Quoi qu'il en soit, l'opinion publique lui était déjà si hostile lors de la chute du ministère libéral, que, en annonçant aux gouverneurs des provinces, c'est-à-dire au pays, ce que le cabinet nouveau comptait faire, M. Nothomb donna à entendre que MM. Brabant et Dubus n'insisteraient pas.

Il en fut ainsi.

L'épiscopat belge qui, après tout, ne pouvait plus avoir un grand enthousiasme pour la proposition, depuis que la section centrale avait, par avance, amoindri les résultats qu'il en attendait, l'épiscopat fit savoir à la Chambre (février 1842) que « dans l'intérêt de l'union si nécessaire au bien-être de la religion et de la patrie », il ne désirait pas voir discuter une proposition « dont on se servait pour alarmer les esprits ». MM. Brabant et Dubus retirèrent le projet de loi.


Une enquête commencée sous le ministère précédent démontrait que les dispositions de la loi communale de 1836 qui réglaient le mode de nomination des bourgmestres donnaient lieu à des abus ; que la préoccupation de conserver leur écharpe poussait parfois les bourgmestres à fermer les yeux sur des illégalités ou des infractions commises par leurs électeurs. (Note de bas de page : Aux termes de cette loi, le Roi ne pouvait prendre le bourgmestre que dans le sein du conseil ; la suspension et la révocation du bourgmestre ne pouvaient être prononcées par le gouvernement que sur l'avis conforme et motivé de la députation permanente du conseil provincial, et seulement dans le cas d'inconduite notoire ou de négligence grave.)

L'enquête avait établi en outre que dans telle commune, faute de candidats vraiment capables ou de bonne volonté, le gouvernement pouvait se trouver obligé de nommer un incapable.

M. Nothomb proposa d'ajouter à l'article 2 de la loi de 1836, qui fait nommer le bourgmestre par le Roi dans le conseil, les mots suivants :

« Néanmoins, le Roi peut, pour des motifs graves, nommer le bourgmestre hors du conseil, parmi les électeurs de la commune, la députation permanente du conseil provincial entendue. »

Somme toute, cette addition à la loi de 1836 ne visait que des cas exceptionnels : le ministre avait dit, dans son exposé des motifs, que les cas où le gouvernement pourrait être amené à faire usage de la faculté seraient très rares. D'ailleurs, l'intervention de la députation permanente - un corps élu - offrait une garantie importante. Il est donc assez probable que dans ces conditions, la plupart des représentants libéraux, quelles que fussent après tout leurs répugnances à réviser déjà la loi communale, auraient fini par voter l'article additionnel.

Rogier, pour sa part, n'y eût point apparemment fait (page 75) d'opposition. Ce qui nous autorise à le croire, c'est un discours qu'il prononça au Sénat six ans plus tard (29 février 1848). Après avoir dit qu'il maintenait le principe de la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil communal, il ajoutait que, comme dans certaines circonstances il pouvait y avoir impossibilité matérielle de mettre à exécution ce principe absolu de la loi, il fallait bien que l'administration trouvât un moyen quelconque de faire cesser l'impossibilité ; mais que le gouvernement ne serait jamais guidé que par des intérêts purement administratifs lorsqu'il choisirait le premier magistrat de la commune en dehors du conseil communal. Il semble bien que le Rogier qui exprimait cette opinion en 1848, se fût montré définitivement favorable en 1842 au système de M. Nothomb, si celui-ci n'avait pas modifié sa proposition primitive.

En effet, au cours de la discussion, très longue et très vive, de son article additionnel, ne voilà-t-il pas que M. Nothomb, se ralliant à l'avis de M. de Theux, supprime radicalement les motifs graves et l'intervention de la députation permanente !

Rien d'étonnant dès lors que Rogier et les autres députés libéraux n'aient pas suivi M. Nothomb sur ce terrain nouveau (Note de bas de page : Dans la séance du 30 mai, Rogier, confirmant une protestation faite par l'ancien ministre de l'intérieur, Liedts, avait déclaré que le cabinet de 1840-1841 n'avait jamais été appelé à délibérer sur la révision de la loi communale, que la majorité de ses membres y eût été d'ailleurs hostile.)

Il ne leur était pas possible non plus de le suivre quand, défendant comme sienne encore une fois une proposition de M. de Theux pour le chef d'un ministère mixte, c'était bien souvent faire les affaires du parti catholique, M. Nothomb proposa le fractionnement du corps électoral dans les communes.

Rogier fut un de ceux qui attaquèrent le plus vigoureusement (10 juin 1842) cette loi du fractionnement qui (page 76) remettait en question toute la loi communale. Il s'agissait de diviser le corps électoral communal, dans les localités d'au moins 4.000 âmes, en sections qui éliraient chacune un nombre de conseillers en rapport avec le chiffre de leur population. Un amendement de M. de Mérode étendit la proposition aux localités de moins de 12.000 âmes.

L'intention de M. de Theux, à en juger par les explications qu'il donna à la Chambre, était d'assurer à chaque groupe politique, à chaque groupe d'intérêts une représentation dans le conseil de la commune. L'idée de la représentation des intérêts et de la représentation des minorités même ne date pas d'aujourd'hui.

Mais, objectait Rogier, vous qui protestez avec raison contre l'influence de ce que l'on appelle l'esprit de clocher dans certaines délibérations législatives ou provinciales, ne voyez-vous pas que vous l'introduisez dans les délibérations de la commune ? Chacun demandera qu'on fasse quelque chose pour son quartier : les intérêts généraux de la commune seront sacrifiés aux intérêts coalisés des divers quartiers. En outre, les sections les plus peuplées, c'est-à-dire dans beaucoup de villes les sections les plus pauvres, enverront le plus grand nombre de conseillers au conseil...

«... Je suis grand ami des classes pauvres, je suis fort disposé à leur accorder toute espèce d'avantages matériels et moraux, mais j'avoue que je ne pousse pas l'esprit de liberté, le désir de popularité jusqu'à vouloir leur donner la prédominance dans les conseils communaux sur les classes éclairées, sur les classes industrielles et commerciales... »

Après Rogier, des députés appartenant à toutes les nuances libérales de la Chambre, MM. Dolez, Lebeau, Verhaegen, Delfosse, de Brouckere combattaient le projet. Il n'était pas jusqu'à M. Osy, que le parti catholique pouvait revendiquer comme l'un des siens, qui ne se montrât l'adversaire implacable de ce projet, de cette « loi de haine » dont la présentation le décidait, disait-il, (page 77) à « se détacher d'un parti qui, voulant aller trop loin, ramènerait le pays à des bouleversements. »

La loi, y compris l'amendement de M. de Mérode, fut votée par 48 voix contre 38.

Le premier soin de Rogier revenant au pouvoir, sera de la faire disparaître. Sans être suspecté de sévérité excessive, on peut trouver qu'elle constituait, suivant le mot de M. Banning (Patria Belgia, II, 488), un acte de défiance à l'égard des grandes communes. Comme la loi relative à la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, elle était peu conforme à l'esprit de nos institutions communales ; comme elle aussi, elle fut qualifiée de loi réactionnaire par l'opinion libérale qui fit du retrait de l'une et de l'autre un des articles de son programme.


Si Rogier et ses amis ne pouvaient pas s'entendre avec un gouvernement qui mettait tant d'empressement à satisfaire les désirs de MM. de Theux et de Mérode, la mésintelligence n'allait pas cependant jusqu'à les rendre hostiles quand même à tous les projets ministériels.

M. Nothomb dut le reconnaître, pendant la discussion de la loi sur l'enseignement primaire, où, cette fois du moins, il donna des preuves de l'esprit de conciliation et d'union dont il avait promis de s'inspirer toujours.

Quand les libéraux virent M. Nothomb tenir compte de leurs critiques et refuser en même temps de se prêter aux exigences d'une fraction très importante du parti catholique, ils consentirent à être accommodants sur plus d'un point où le ministère s'était attendu à les trouver intraitables.

Assurément, ces libéraux de 1842 étaient aussi résolus que les libéraux de 1879 à combattre la prépondérance du (page 78) clergé ; ils ne combattaient pas moins résolument qu'eux pour la cause de l'indépendance réelle du pouvoir civil. Mais ils tenaient à ce que le clergé entrât dans les écoles communales : ils craignaient que son absence ne causât leur ruine.

Là est l'explication de la quasi-unanimité obtenue par cette loi du 26 septembre 1842 (Trois libéraux seulement ont voté contre la loi : MM. Delfosse (Liège), Savart (Tournai) et Verhaegen (Bruxelles )).

Une loi de transaction, s'il en fut jamais.

Si l'on en doute, qu'on lise cette lettre écrite par Veydt à Rogier l'avant-veille du vote.

« Anvers, 28 août 1842.

« Mon cher Rogier,

« Après vous avoir quitté hier, j'ai encore réfléchi à ce que m'avait dit le supérieur du séminaire de Malines, M. Van Hemel, que j'ai trouvé, mercredi dernier, à la distribution des prix du pensionnat de Hemixem. Il avait connaissance du dîner que vous et quelques-uns de vos amis aviez fait, dimanche, à Boitsfort. Il en parlait comme d'une réunion assez nombreuse de libéraux, membres de la Chambre, et me disait que l'on y avait résolu de voter contre le projet de loi sur l'instruction primaire. Cette résolution engagea M. Van Hemel à se rendre à Bruxelles pour y voir plusieurs députés catholiques, sur lesquels il a de l'influence, et les engager à ne pas repousser le projet de loi, quoiqu'il fût loin de répondre à leurs désirs. Il eut un entretien avec M. Dechamps et lui parla beaucoup de la nécessité de faire des démarches auprès de ses amis pour les disposer en faveur de la loi. Il prit soin d'ajouter qu'il avait eu des résistances à vaincre. Dans l'opinion de M. Van Hemel, le projet de loi déplaît à beaucoup de catholiques ; il est loin de leur donner la part d'influence à laquelle ils aspiraient ; mais en ce qui le concerne personnellement, il est persuadé qu'il n'est pas possible d'avoir mieux, ni à présent ni plus tard. La discussion à la Chambre l'a prouvé ; elle a eu pour résultat d'améliorer la loi dans le sens libéral. Malgré cela, le clergé voudrait en finir avec cette grave affaire et il voit qu'il ne peut atteindre ce but qu'en faisant des concessions. Tout ceci explique la conduite des catholiques, leur modération de circonstance et même de commande, car Malines n'a cessé d'y inviter. Son (page 79) chef ne voulait pas de la proposition de la section centrale défendue par M. Brabant ; il l'avait suffisamment dit.

« Tel est le résumé de la conversation que j'ai eue avec M, Van Hemel, qui avait été très préoccupé de ce qu'on lui avait rapporté de votre réunion de dimanche dernier. Je ne sais si la résolution de rejeter le projet a été prise, ou non. Je regretterais de vous savoir engagé envers vos amis. A moins qu'il n'y ait une raison prépondérante, qui fait taire toute considération en présence de la question politique, il me semble que vous auriez tort de voter contre la loi. Je la trouve assez complète, grâce aux modifications que vous avez contribué à y faire introduire, grâce aux explications que l'on a été forcé de donner sur son exécution, et celle-ci laissera peu de chose à désirer lorsqu'elle sera confiée à un ministère libéral, ce qui arrivera infailliblement. Voilà huit ans que nous demandons la loi. Est-elle mauvaise à tel point que vous ne puissiez l'accepter ? Non sans doute, et il n'est pas certain que si vous étiez resté à la tête des affaires, vous auriez réussi à avoir plus de garanties, avec la Chambre actuelle bien entendu. C'est un grand embarras de moins pour le ministère libéral ; c'est une source de défiance et d'inquiétude qui va se fermer si la loi passe. Je prévois que le clergé ne sera plus si ardent dans les élections ; nous ne le trouverons pas constamment en opposition avec nous et il profitera de la circonstance pour cesser, en quelque sorte, une lutte, dont il prévoit mieux que jamais que le résultat tournera contre lui.

« Réfléchissez à tout ceci, mon cher Rogier ; c'est une position bien sérieuse que la vôtre en ce moment et je verrais avec peine que vous prissiez un parti qui vous serait défavorable et qui nuirait à notre cause.

« Je suis sur le point de partir pour la campagne. J'ai voulu encore vous écrire à la hâte quelques réflexions que notre conversation d'hier a provoquées et que j'aurais développées davantage, si j'avais eu plus de temps.

« Tout à vous de cœur,

« Laurent Veydt. »

A ceux qui se rappelleront dans quelles conditions s'est faite trente-sept ans plus tard la révision de cette loi, à ceux qui ont assisté à la guerre scolaire de 1879 à 1884, nous signalons les réflexions suivantes qu'inspirait à M. Ernest Vanden Peereboom en 1856 la conduite des libéraux de 1842 :

« Beaucoup de membres étaient convaincus que pour l'application d'une (page 80) pareille loi, non seulement l'intervention du clergé est utile et désirable, mais encore que, avec son antagonisme, toute organisation devient impossible. Elevez, dans une commune rurale, un bâtiment d'école magnifique, placez-y un instituteur d'élite, promettez aux élèves des récompenses nombreuses : si le clergé le veut, cet établissement sera désert. Vous y attirerez, et ce n'est pas encore sûr, les enfants du bourgmestre, ceux du notaire et du receveur. Ce qui est vrai pour une commune, n'est pas vrai pour toutes, mais pour un très grand nombre. Il fallait transiger, on transigea ; le peuple ne pouvait pas rester sans instruction. »


Nous avons souligné dans la lettre de Veydt les mots : « grâce aux modifications que vous avez contribué à y faire introduire... » On retrouvera dans le Moniteur le détail de ces modifications qui, suivant l'expression de Devaux, avaient rendu la loi acceptable pour l'opinion libérale. (Voir séances des 8, 10, 17, 19 et 29 août.)

Ici, nous ne parlerons que d'une question de principe importante que Rogier traita au cours de cette discussion qui se prolongea pendant plus d'un mois.

Dès le premier jour (8 août), M. Nothomb avait fait relativement à l'article fondamental du projet une déclaration que les libéraux les plus modérés ne pouvaient accepter. Il avait dit que l'abstention, le refus de concours de l'autorité ecclésiastique ôterait à l'école son caractère d'école communale...

« Alors, dit Rogier, un simple caprice du clergé refusant d'agréer un instituteur, pourrait faire fermer une école communale. C'est là un système monstrueux... Et on nous parle de modération ! Qu'on y mette de la franchise, qu'on place l'instruction primaire entre les mains du clergé à ses risques et périls ; mais nous ne serons pas modérés au point d'être dupes !... »

Le ministre corrigea l'effet de sa déclaration qui avait fait dire par M. Dolez : « Ce ne serait plus l'intervention du clergé, mais sa domination. » A son avis, l'abstention du clergé n'entraînerait pas dans tous les cas la retraite des subsides ; il faudrait que cette abstention fût basée sur des motifs graves. C'eût été, M. Dumortier le reconnut lui-même, accorder au clergé un droit très dangereux que (page 81) de lui permettre de disposer ainsi de l'enseignement communal. (Note de bas de page : « Je le déclare formellement, je veux donner au clergé tout ce qui peut lui appartenir dans l'instruction publique, mais je ne veux pas que, par le caprice d'un prêtre ou l'autre, une commune puisse être privée des bienfaits de l'instruction. » (Séance du 9 août.))

C'est en provoquant du Gouvernement des explications du genre de celles que l'on vient de voir ; c'est en obtenant de lui l'engagement de ne pas, à propos de l'inspection, des nominations d'instituteurs et du choix des livres, permettre au clergé de substituer sa volonté à l'autorité civile ; c'est en atténuant par des amendements heureux la portée de certaines dispositions peu gouvernementales du projet ; c'est enfin en faisant introduire dans la loi des articles empruntés à son propre projet de 1834 c'est par cette intervention active dans la discussion que Rogier, comme les Dolez, les Lebeau, les Devaux, a une part de responsabilité dans le vote de la loi. Si nous parlons ainsi, c'est que les libéraux de la génération nouvelle en ont fait un grief à Rogier et aux doctrinaires de son temps, oubliant apparemment qu'à chaque jour suffit sa peine, à chaque époque sa législation.

4. La loi sur les fraudes électorales

La présentation d'un projet de loi destiné à réprimer les fraudes électorales fournit aux chefs des deux partis l'occasion d'un débat politique. Dans le discours qu'il prononça le 17 mars 1843, Rogier fut amené à revenir sur un sujet, qu'il avait déjà traité précédemment, le vote du clergé dans les élections :

« Hier, l'on trouvait que le clergé ne se mêlait pas assez de nos affaires politiques. J'ai, moi, une opinion diamétralement opposée ; je crois, et j'ai déjà eu l'occasion de le dire, qu'il s'en mêle trop pour lui et pour nous, mais surtout pour lui. Si j'avais un conseil à lui donner, ce serait de s'abstenir, autant que possible, de paraître aux élections... »

(page 82) Et comme l'abbé Wallaert l'interrompait pour lui dire : « Nous en avons le droit » :

Je ne vous conteste pas ce droit ; je l'ai consacré moi-même par mon vote dans la Constitution et comme membre du gouvernement provisoire. Si l'on voulait vous le contester, je serais un de vos plus chauds défenseurs. Il faut user de votre droit si vous le trouvez bon, mais en user comme citoyens ; ce que je vous conseille, c'est de n'en pas user comme chefs, comme conducteurs de parti politique... »

Se basant sur l'ouvrage de M. de Tocqueville, si plein de vues solides et sérieuses sur les Etats-Unis, il poursuivait :

« Si la religion n'est nulle part plus pratiquée, plus influente, plus honorée que dans les Etats-Unis, c'est qu'on ne voit pas les prêtres américains prêter leur appui à aucun système politique en particulier... La plupart de ses membres semblent s'éloigner volontairement du pouvoir et mettre une sorte d'orgueil de profession à y rester étrangers. Ils se séparent avec soin de tous les partis et en fuient le contact avec toute l'ardeur de l'intérêt personnel... »

Il allait au-devant de l'objection que l'on ne manquerait pas de tirer du vote politique des prêtres catholiques en Irlande et en Pologne. On pouvait concevoir de la part du clergé irlandais un vote actif, passionné même dans les élections il avait encore des droits à réclamer, des garanties à obtenir pour lui et ses coreligionnaires. On concevait aussi le rôle tout patriotique du clergé polonais : c'était celui qu'avait joué après tout, à l'époque de la Révolution, le clergé belge luttant avec énergie contre un gouvernement étranger dont les actes et les tendances menaçaient tout ensemble la foi catholique et la nationalité. On avait applaudi à cette attitude du clergé marchant résolument sous le drapeau du libéralisme à la conquête de toutes les libertés civiles et religieuses, mais la situation avait changé...

« Aujourd'hui que le clergé a remporté la victoire et que le triomphe même a passé toutes ses espérances, dans quel but, dans quel intérêt continuer le combat ? Qu'a-t-il à préserver ? Que lui reste-t-il à conquérir ? N'a-t-il pas reçu satisfaction complète dans notre loi fondamentale ? N'est-il pas suffisamment garanti dans son existence matérielle, dans ses libertés, dans son indépendance ? Qui songe à le (page 83) troubler dans la possession de tous ces avantages auxquels le clergé du monde chrétien entier doit porter envie ? »

Si le clergé était le moins du monde menacé dans quelqu'une de ses libertés et prérogatives constitutionnelles, Rogier était prêt à se joindre à ses défenseurs naturels :

«.. .Oui, nous le défendrions, nous libéraux qui avons combattu pour lui et avec lui, qui voulons le voir toujours fort et respecté dans l'accomplissement de sa mission divine et qui ne lui demandons qu'une chose, une seule, c'est de respecter le domaine du pouvoir civil, de prêcher l'union et non pas les haines des partis, de réconcilier et non pas de diviser les opinions... »

Il se demandait comment, dans les hautes sphères du clergé, on fermait les yeux sur les dangers que courait la religion à ce terrible jeu :

« Qu'est-ce aujourd'hui que le prêtre aux yeux de milliers de pères de famille, appelés presque chaque année à exercer leurs droits électoraux ? Un adversaire politique, presque un ennemi privé, dont il faut avoir raison et dont, vainqueur ou vaincu, se retirent le respect, la confiance et l'amour. Oui, c'est bien là le redoutable spectacle que présentent la plupart de nos villes et qui se transporte avec un caractère plus alarmant encore dans beaucoup de nos campagnes. Qu'on y songe, le mal est déjà grand, il ne peut qu'empirer : mais il est temps, peut-être encore, d'y porter remède. Si le haut clergé ne l'aperçoit pas encore, il est impossible qu'il échappe à l'observation du clergé inférieur, qui voit de plus près les effets de ses œuvres, qui combat au premier rang..... »

Comme il craignait que ses conseils, ses avertissements parussent intéressés, il n'en protestait que plus énergiquement de ses sympathies pour le clergé, de son désir de le voir grandir en considération et en respect.

Les adversaires de Rogier n'ont pas manqué de contester la sincérité de ses protestations. Or, aucun acte de sa carrière politique et de sa vie privée, même aux jours troublés qui viendront, même en 1857, n'a démenti ses sympathies pour le clergé, spécialement pour ceux de ses membres « qui ne descendaient pas dans l'arène des partis », pour parler comme les journaux du temps. Nous pourrions citer à cet égard des témoignages de plus d'un d'entre eux.

(page 84) Mais revenons au discours du 17 mars 1843.

A la seule pensée de voir le clergé abandonner les élections au « libre jeu de l'opinion publique », il lui semblait, disait-il, entendre les cris de frayeur des catholiques de la Chambre...

« Mais quel parti politique êtes-vous donc, si déjà, comme de pauvres naufragés, vous ne pouvez plus rien sans l'assistance divine, si vous n'avez ni force, ni confiance en votre cause, ni espoir dans la justice de vos principes, si ces principes ne peuvent triompher qu'à la condition de vous appuyer d'une main sur le confessionnal, de l'autre sur le bureau du commissaire de police ou du receveur des contributions ?... »

Dans un second discours (20 mars), Rogier tirait adroitement parti de la situation fausse où se trouvait M. Nothomb, ce libéral qui, tout en critiquant le procédé par lequel le Sénat avait travaillé au renversement du cabinet de 1840-1841, s'était adjoint comme ministre des affaires étrangères M. de Briey, l'un des sénateurs qui avaient conseillé le plus vivement d'employer ce procédé :

« ... La chute de l'ancien cabinet a été provoquée, par l'acte du Sénat ; or, monsieur le Ministre de l'intérieur, vous venez de blâmer cet acte. Si le Sénat a posé un acte imprudent, contraire à l'esprit du régime constitutionnel, pourquoi donc ne le blâmiez-vous pas alors ? Pourquoi ne concouriez-vous pas avec vos amis politiques à réprimer cet acte, que je ne qualifierai pas plus sévèrement que vous ? Vous n'avez pas conseillé la dissolution du Sénat et pour quel motif... ? si ce n'est parce que vous cédiez, peut-être à votre insu, à ce grand empressement de reprendre une place au banc ministériel, place qui ne pouvait vous manquer, attendu que votre talent devait tôt ou tard vous appeler dans une combinaison ou dans une autre. Quoi ! vous blâmez l'acte du Sénat, et M. le ministre des affaires étrangères est à côté de vous ! et il ne prend pas la parole pour vous dire : « Mais cet acte que vous blâmez, j'en suis un des auteurs principaux, j'en ai recueilli les fruits avec vous !...»

Quelque talent dont M. Nothomb ait fait preuve, quelque légitime que fût son désir du pouvoir, les libéraux seront toujours en droit de lui reprocher la constitution du cabinet mixte de 1841 qui ne pouvait que faire les (page 85) affaires des catholiques. Rogier résumait la situation par un mot dur et qui est resté historique :

« Vous vous êtes écrié hier, Monsieur le Ministre, que vous n'étiez pas le chef de l'opinion catholique ! Et nous nous en doutions. Mais si vous n'êtes pas le chef de l'opinion catholique, qu'êtes-vous donc ?...

« Chef ou esclave ! Choisissez ! »

La classification des partis était le grand crime que M. Nothomb reprochait toujours aux ministres tombés en 1841 ; d'après lui, ils auraient dû la désavouer le jour où la Revue de Devaux la constatait.

Rogier déclare fièrement, comme en avril 1841, qu'il n'est pas de ceux qui renient une solidarité politique de vingt années ; M. Nothomb s'est bercé d'illusions s'il a rêvé qu'il l'entraînerait à sa suite sur le terrain des désaveux et des transactions :

« ... La classification des partis ! Est-ce donc une chose si nouvelle et si grave ! Comment un ministre qui passe pour avoir quelque portée politique peut-il blâmer la classification des partis dans un gouvernement constitutionnel ? Mais s'il n'y avait pas dans ceci un côté sérieux, on serait tenté de s'écrier avec le poète anglais : Risible ! risible ! risible ! Depuis dix ans, il y a en Belgique des progrès dans les choses et dans les hommes. La nation est en marche. Les partis d'aujourd'hui, dans quelques années, se seront peut-être transformés et, pour ma part, je le désire..... »

On ne peut nier que Rogier souhaitât ardemment cette « transformation » des partis. Il appelait de tous ses vœux (il est intéressant de le constater aujourd'hui) le jour où la querelle religieuse pourrait disparaître de nos débats politiques et où les partis se diviseraient sur d'autres bases. Comme il faut à une nation du mouvement et du repos, disait-il, et que « tout le monde en Belgique est conservateur, je désire voir arriver le jour où nous pourrons nous diviser en conservateurs progressistes et en conservateurs stationnaires ». Il semble donc qu'il prévoie le jour où la Belgique ne sera plus partagée en libéraux et cléricaux.

Qui oserait dire, après cinquante ans, que ce jour soit (page 86) arrivé ? Quelques dénominations nouvelles qu'aient prises les diverses nuances de nos groupes politiques et économiques, la lutte du libéralisme et du cléricalisme n'est pas près de cesser. Elle est inévitable, éternelle serions-nous tenté de dire, dans tout pays où domine un culte quelconque.


Avec ce grand débat politique où Rogier déploya des qualités oratoires et des vues d'homme d'Etat auxquelles les députés et les journaux ministériels rendirent eux-mêmes hommage, il nous faut signaler dans cette session des débats d'ordre plus restreint où il tint sa place d'une façon non moins brillante par exemple, le débat sur l'emprunt (budget des voies et moyens) et celui sur le budget des beaux-arts (décembre 1842).

Il demanda instamment qu'on ménageât les classes démocratiques dans l'établissement de l'impôt. Les ressources nouvelles dont on avait besoin, il était d'avis de les chercher dans l'impôt sur les successions immobilières, dût-on rétablir le serment ; dans un impôt sur les titres de noblesse ; dans une réforme de la contribution foncière tendant à faire rentrer au trésor l'impôt sur les propriétés nouvellement imposées ; dans le ralentissement de l'amortissement de la dette ; dans les assurances et dans les caisses d'épargne dont la direction pourrait être mise aux mains de l'Etat.

M. De Decker, rapporteur de la section centrale du budget des lettres, sciences et beaux-arts, oubliant un peu trop le passé, voulait faire un mérite au nouveau ministère de certaines réformes, de certaines institutions qui dataient de l'administration de Rogier. Il disait que « pour la première fois, il était enfin question de donner aux travaux des artistes belges une direction déterminée d'avance, une destination toute nationale ». Rogier ne pouvait accepter ce reproche indirect et immérité. Il prouva que (page 87) depuis la commande du monument de la place des Martyrs (voir notre premier volume), on ne cessait de donner aux travaux d'art une destination nationale : à preuve les tableaux de Wappers, Gallait, De Keyzer, De Biefve et Decaisne et les statues érigées à Rubens et à Grétry. Il développa des considérations très sages et très artistiques à ce sujet.

5. Les élections législatives de juin 1843

Quel sera le rôle du gouvernement dans les élections législatives de juin ? - demandait Rogier à M. Nothomb en terminant son discours du 20 mars. De quel côté se rangera-t-il ? A mérite égal, à qui donnera-t-il la préférence ?

Pris à l'improviste, M. Nothomb avait répondu courtoisement : « Je désire que nous nous retrouvions tous ici dans la prochaine session. »

Mais il s'était trop bien trouvé de sa tactique de juin 1841 pour l'abandonner en juin 1843. Le parti catholique et quelques défections libérales l'ayant aidé à se maintenir au pouvoir, il était tout disposé d'abord à travailler au succès des candidatures catholiques ; il chercherait en outre à provoquer de nouvelles défections dans les rangs de la gauche.

Quant à ce second point, le remaniement du cabinet nécessité par la démission du ministre de la justice Van Volxem (15 décembre 1842), du ministre des affaires étrangères de Briey (31 mars 1843) et du ministre de la guerre De Liem (5 avril 1843), lui fournit l'occasion désirée.

M. Mercier, qui avait été le collègue de Rogier dans le cabinet de 1840, et qui ne s'était pas montré moins hostile que lui aux lois réactionnaires de 1842, crut pouvoir accepter des mains de M. Nothomb le portefeuille des finances délaissé par M. Smits.

Qui s'excuse s'accuse : telle est la réflexion que provoque cette lettre écrite par M. Mercier à Rogier, le jour de la reconstitution du cabinet Nothomb.

« Bruxelles, le 16 avril 1843.

« Mon cher Rogier,

« Vous n'ignorez pas que, depuis trois jours, on s'occupe de combinaison ministérielle ; lorsque vous êtes venu me voir, aucune démarche n'avait encore été faite ni près de moi, ni ailleurs.

« Quoique je prévoie du mécontentement de votre part, et le déplaisir que vous éprouverez en voyant un des noms qui figurent dans la liste du ministère, je veux être le premier à vous indiquer sa composition : Goblet aux affaires étrangères, d'Anethan à la justice, Dechamps aux travaux publics, le colonel d'artillerie Dupont, nommé général, à la guerre, Mercier aux finances, et enfin le Roi pas accepté la démission de M. Nothomb, qui reste à l'intérieur.

« Il est un point, mon cher Rogier, à l'égard duquel nous différons d'opinion.

« Vous avez la conviction que le pays ne peut, du moins quant à présent, cesser d'être divisé en catholiques et libéraux.

« Dans le discours que j'ai prononcé à l'occasion de la discussion de la loi relative aux fraudes électorales, j'ai dit que la conciliation était possible entre les opinions modérées ; c'est dans l'espoir d'amener ce résultat que je suis entré dans le ministère avec mes nouveaux collègues, qui ont déclaré s'associer unanimement à cette pensée et vouloir poursuivre ce but de tous leurs efforts.

« Au résumé, sur cinq nouveaux membres du cabinet, quatre appartiennent à l'opinion libérale modérée, un seul à l'opinion catholique. J'ai cru agir avec procédé envers un ancien collègue, pour qui je conserve de véritables sentiments d'affection, en lui adressant ces lignes qui sont écrites sous ma dictée par mon beau-frère, attendu qu'une courbature m'empêche de me baisser pour les tracer moi-même.

« Quel que puisse être votre sentiment sur ce qui vient de se passer, (page 89) j'émets le vœu que vous ne cédiez pas à un premier mouvement, et que vous attendiez nos actes pour nous juger. Quoi qu'il en soit, je ne cesserai d'être

« Votre tout dévoué collègue,

« Mercier. »

M. Mercier oubliait de dire que M. de Muelenaere restait membre du conseil sans portefeuille ; en outre, il fallait une extrême bonne volonté pour faire de M. d'Anethan un libéral, même modéré.

Quant à la conduite tenue par le nouveau ministère dans l'élection du 10 juin 1843, elle fut en contradiction absolue avec les promesses de conciliation contenues dans la lettre de M. Mercier. Ne concilie pas qui veut.

Bien que les sympathies actives du cabinet se fussent portées sur les candidats catholiques et qu'il eût mis tout en œuvre pour les faire réussir - les preuves de cette intervention abondent dans les journaux de l'époque et les dossiers de Rogier, mais nous ne nous y arrêterons pas, - le 10 juin 1843 fut une journée favorable à l'opinion libérale. Elle fit plusieurs recrues parmi lesquelles deux des plus brillants orateurs dont se soit honoré notre Parlement, Castiau et d'Elhoungne. Par contre, les sommités du parti catholique, Raikem, De Behr et Dubus, étaient éliminées. L'orateur le plus éloquent de la droite, Dechamps, n'obtenait à Ath que 495 voix sur 925 votants.

Le ministère fut tellement irrité du mauvais résultat de la campagne électorale, qu'il fit un crime à ses propres amis de la constatation d'un échec qui sautait cependant aux yeux. L'Indépendant, un journal dont la politique était avant tout gouvernementale, mais qui se distinguait par la modération de sa polémique, avait reconnu loyalement que malgré tous les efforts du ministère en faveur des candidats catholiques, le parti libéral pouvait se féliciter de la journée du 10 juin. Immédiatement, le cabinet lui retira son appui.

6. Les dernières années du ministère Nothomb

La question des jurys universitaires peut donner une idée des difficultés que soulevait la politique mixte et des contradictions où devaient être entraînés des ministres qui n'avaient guère d'opinions communes.

M. Nothomb avait fini par reconnaître qu'avec le système de la loi de 1835, la nomination des membres des jurys universitaires devait logiquement appartenir au gouvernement. Il le proposa à la Chambre.

Un grand nombre de catholiques se montrèrent nettement hostiles à son projet et l'épiscopat travailla énergiquement à le faire échouer.

Nous n'avançons rien que sur preuves.

Ecoutons un publiciste catholique, Mgr de t'Serclaes, président du Collège belge à Rome, qui tout récemment, dans son grand travail sur la de Léon XIII, nous a fait connaître le rôle joué en Belgique par Mgr le nonce Pecci :

« ... Mgr Pecci eut l'occasion de déployer le tact qui le distinguait dans les diverses difficultés que soulevèrent l'application de la loi de 1842 sur l'instruction primaire et la présentation d'un projet de loi sur les jurys d'examen qui attribuait une trop grande prépondérance au gouvernement dans la collation des grades académiques... Le parti catholique et les évêques la combattirent avec non moins d'ardeur et d'unanimité... »

Mgr de t'Serclaes dit que le nonce se montra ouvertement favorable à la manière de voir des évêques et des catholiques. C'est ce qui ressort de deux rapports adressés (page 91) par lui à la secrétairerie d'Etat. Dans un de ces rapports, Mgr Pecci trouvait « très belle et digne des plus grands éloges la conduite des députés catholiques qui, étroitement unis entre eux, avaient montré jusqu'à la fin de l'énergie et du courage ». Dans le second rapport, Mgr Pecci annonçait que le rejet du projet de M. Nothomb avait été « considéré comme une grande victoire par le parti catholique et par l'épiscopat », qui lui avait témoigné « toute sa reconnaissance pour la part qu'il avait prise au succès de l'affaire. ».

Sait-on qui M. Nothomb avait rencontré au premier rang de ses adversaires ?

Son propre collègue M. Dechamps qui, après avoir contribué comme député à faire échouer la proposition, s'en retourna s'asseoir au banc des ministres.


Nous laissons à penser si Rogier s'égaya de cet incident qui faisait songer au maître Jacques de Molière.

Il n'en rendait pas moins justice à l'activité et au talent de ce ministre qui l'avait remplacé aux travaux publics. Dans la discussion de son budget, tout en lui signalant des abus à corriger, des erreurs à rectifier, des progrès à accomplir, il se plaisait à reconnaître sa compétence.

L'envie et la jalousie n'ont d'ailleurs pas de prise sur le cœur de Rogier. Il salue par exemple avec bonheur l'entrée au Parlement de M. Castiau, dont les débuts firent sensation :

«... La Chambre a vu avec un grand plaisir ses rangs s'enrichir d'un talent aussi remarquable. Il peut y avoir plus d'impétuosité, plus d'impatience chez lui que chez nous, mais généralement nous sommes d'accord... »

Nous venons de le montrer apportant dans la discussion (page 92) du budget des travaux publics le concours toujours apprécié de son expérience. Les hommes qui s'occupaient des chemins de fer, soit pour en étudier les questions techniques, soit pour célébrer les bienfaits d'une institution qui tous les jours prenait des développements plus considérables, s'empressaient de lui en reporter l'honneur.

Ainsi faisaient les délégués des gouvernements étrangers qui venaient étudier l'organisation du railway belge ; ainsi avait fait Weustenraad dédiant au ministre de 1834 son « Remorqueur », une des rares poésies lyriques que l'on puisse citer avec éloge dans les premiers temps de notre nationalité ; ainsi fit M. Edouard S. qui ayant, lors de l'inauguration du chemin de fer d'Anvers à Cologne, imaginé de célébrer dans un dithyrambe, d'ailleurs médiocre, les « Fiançailles des trois fleuves », s'écriait :

« ... Rogier !... librement mon luth peut le bénir,

« Car il est sans pouvoir de donner ou punir...

« Eloquent défenseur de nos droits politiques,

« Ils ont cru te punir de tes vertus civiques.....

« Et pourtant, sur tes pas, tu vois deux nations

« T'apporter le tribut de leurs ovations..... » ( 9ème strophe.)

L'auteur était fonctionnaire à la direction des Beaux-Arts. Voici dans quels termes il envoyait à Rogier un exemplaire de son dithyrambe : « Bien qu'il m'ait paru, Monsieur, qu'à l'époque où j'étais votre subordonné, vous aviez contre moi quelque prévention, permettez-moi de vous adresser des vers sur l'inauguration du chemin de fer d'Anvers à Cologne, dont vous eussiez dû être le héros, puisque vous avez été l'âme et la pensée de cette gigantesque et immortelle entreprise. »

Avec la lettre de M. S., Rogier avait conservé la minute de sa réponse, qui ne manque assurément ni d'amabilité ni de finesse :

« On vient de me remettre, monsieur, votre lettre trop obligeante avec le dithyrambe que vous a inspiré l'achèvement du railway belge-rhénan. La place que j'occupe dans ce morceau de poésie ne me permet pas de vous dire, monsieur, tout le bien que j'en pense au point de vue littéraire. Mais je ne puis tarder à vous exprimer toute ma (page 93) reconnaissance pour la neuvième strophe. Cet hommage est d'autant plus flatteur et pour vous et pour moi qu'il est tout à fait désintéressé de votre part, et que, sans avoir jamais eu à vous plaindre, je pense, de mes procédés envers vous, vous n'aviez pas non plus dans vos souvenirs d'autrefois rien qui dût vous disposer à tant de sympathie et de bienveillance pour moi. Croyez bien, monsieur, que j'apprécie comme je le dois tout ce qu'il y a de digne et d'honorable dans de tels sentiments... »

Ce n'est pas (comme ses adversaires l'avaient fait) à des questions de détail que s'arrêtait Rogier quand il discutait les budgets : il abordait des questions de principe d'un vif intérêt.

Ainsi, il n'admettait pas qu'on entrât aussi largement que le proposait le ministre des travaux publics dans la voie des concessions à de très longs termes. Certes, s'il n'avait écouté qu'un sentiment de satisfaction personnelle, il eût accepté sans réserve ni restriction ce grand nombre de chemins de fer ; il pouvait s'en applaudir comme d'un triomphe sur ceux qui considéraient autrefois ces grands travaux comme une chimère et qui maintenant étaient obligés de les accepter avec enthousiasme. Mais il considérait le véritable intérêt public et faisait taire la voix de l'amour-propre. D'après lui, le gouvernement avait eu tort d'abandonner le système suivi jusque-là et n'avait pas d'autre part suffisamment étudié tous les projets de concessions aux sociétés particulières. Les grandes artères du système devaient demeurer dans les mains de l'Etat ; pour les lignes secondaires, on pouvait, en prenant des précautions et des garanties nombreuses, les concéder à des sociétés particulières. Indépendamment de la ligne des Flandres et d'Anvers, le système qu'il eût voulu retenir entre les mains de l'Etat formait un triangle ayant la ligne de Bruxelles à Mons pour base, et pour côtés celles de Bruxelles à Liège d'une part, celle de Mons à Liège par Charleroi, Namur et Huy d'autre part. Une fois ce triangle fermé, il eût laissé la concession libre à l'intérieur, il (page 94) l'aurait laissée, comme il disait, s'y jouer dans tous les sens.

Il est revenu plusieurs fois à la charge pour défendre son système, en 1843, en 1844 et 1845 : s'il le défendait avec cette persévérance, c'est qu'il le croyait le vrai système du pays, le vrai système de l'avenir. Ses opinions sur ce sujet sont à noter. On va voir que Rogier est un démocrate de la veille, mais un démocrate gouvernemental :

« ... Je l'avoue ouvertement, mes opinions sont pour l'intérêt du plus grand nombre. A ce point de vue, je n'hésite pas à le dire, j'appartiens à l'opinion démocratique. Mais plus je sens de sympathie pour ces intérêts, plus je veux aussi laisser de force et d'autorité légales au gouvernement, parce que c'est surtout par la force et l'autorité gouvernementales que je veux arriver au bien-être des populations.

Mon système, pour le formuler en deux mots, est un système démocratique et gouvernemental. Tout en favorisant les efforts individuels ou collectifs, je veux laisser entre les mains du gouvernement les moyens d'exercer une influence bienfaisante sur les populations. Je veux qu'il prévienne et évite ainsi ces conflits auxquels tôt ou tard aucun gouvernement n'échappe, quand il ne répond pas aux besoins et aux opinions de son temps. Je demande le maintien du gouvernement dans les travaux publics, afin qu'ils servent non pas seulement à quelques classes, à quelques intérêts, mais à tous les intérêts, à toutes les classes du pays. L'Etat, c'est le représentant de tout le monde ; c'est l'administrateur de la grande société belge, administrateur qui doit être, sous le contrôle des Chambres, juste et bienfaisant pour tous. » (9 avril 1845.).

Il apporte la même hauteur de vues, le même souci des grands intérêts de la nation lorsqu'il s'agit de la loi d'organisation de l'armée (10 et 17 avril). On proposait des réductions qui ne lui paraissaient pas compatibles avec les exigences du service. Il s'en explique avec une entière franchise et proclame, une fois de plus, la nécessité d'une armée capable de protéger et de défendre efficacement notre neutralité sincère, loyale et forte. Il proteste avec énergie contre des tendances à l'espionnage que l'on accusait certains chefs de corps de vouloir favoriser. L'honneur des officiers trouve en lui un défenseur convaincu. Il ne laisse point passer l'occasion de venger (page 95) surtout ceux des anciens soldats de la Révolution après lesquels la calomnie s'acharne :

«... Je professe une égale estime, disait-il le 10 avril 1845, pour tous les bons officiers quelle que soit leur origine ; mais j'ai à cœur de défendre particulièrement ceux qui ont été attaqués et qui sont sortis de la Révolution. J'en connais beaucoup, et des meilleurs et des plus distingués, et qui peuvent défier toute comparaison avec les officiers des armées étrangères, soit par l'intelligence, soit par leur courage et leur dévouement au pays. Et sans aller chercher des exemples bien loin, la Chambre ne voit-elle pas en ce moment sur ce banc, à côté du ministre de la guerre, des officiers sortis de la Révolution qui protestent par leur présence et par la juste estime dont ils jouissent, contre les imputations calomnieuses de l'étranger ?... Calomnier l'armée, c'est calomnier le pays dont elle est l'émanation, c'est calomnier nos institutions sous l'empire desquelles elle est appelée à se développer et à fleurir, car c'est une vertu de nos institutions libres que de développer les intelligences et de substituer au règne des privilèges le règne des capacités. Si c'est là le reproche qu'on leur fait, je ne chercherai pas à les en défendre.

« J'aime l'armée et ce n'est pas un sentiment né d'hier ; j'ai figuré dans ses rangs pour une cause et à une époque qui tiendront toujours la première place dans mes souvenirs. J'aime l'armée non pas seulement parce que je la sais disposée à défendre l'ordre constitutionnel sans lequel il n'y a pas de véritable liberté, mais aussi parce que, je n'hésite pas à le dire, l'armée est le plus grand levier de la civilisation du pays. Dans les classes inférieures qui forment la base de l'armée, se développe le sentiment de l'honneur et du devoir. Si les sentiments généreux, si le dévouement, si le point d'honneur venaient à faiblir dans le pays, ce qu'à Dieu ne plaise, ils trouveraient un refuge dans l'armée. Si l'esprit public allait s'affaiblissant, si l'esprit national, sous l'empire de circonstances déplorables, allait se dépravant, l'armée, je l'espère encore, en conserverait le précieux dépôt pour le rendre au jour marqué à la patrie. L'armée, c'est la jeunesse du pays, c'est sa sève, c'est sa santé : voilà pourquoi j'aime l'armée, pourquoi je la défends, pourquoi je tremble quand on y touche... »

Cet éloge de l'armée n'est assurément pas banal. Il est senti et nous pourrions presque dire qu'il est vécu.


(page 96) Un fait nous frappe quand nous parcourons les travaux parlementaires de 1844-1845, c'est le silence que garde Rogier dans la discussion provoquée par les actes politiques de M. Nothomb, de plus en plus favorable aux catholiques.

On a voulu trouver la raison de ce silence dans un léger désaccord survenu entre lui et plusieurs des adversaires du cabinet sur l'attitude qu'il convenait de prendre à la veille des élections de juin 1845. Il est possible que Rogier ne fut pas d'avis de suivre, comme le proposa M. Osy le 24 janvier, l'exemple donné par le Sénat quatre ans auparavant et d'envoyer une adresse au Roi contre le ministère. Mais nous ne croyons pas qu'il y ait eu un véritable désaccord entre Rogier et ses amis. Ce qui nous paraît probable, c'est que, en présence de la mésintelligence qui grandissait entre le cabinet et la majorité et qui était comme le présage de la chute prochaine de M. Nothomb, Rogier, que l'on désignait comme son successeur inévitable, aura trouvé plus délicat de rester sur la défensive (Voir à cet égard dans L'Indépendant du 9 avril 1845 (deuxième page) une communication faite par « un catholique éminent » au directeur de ce journal, en janvier.