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Charles Rogier (1800-1885), d'après des documents inédits
DISCAILLES Ernest - 1895

Ernest DISCAILLES, Charles Rogier (1800-1885)

(Paru à Bruxelles en 1895, chez J. Lebègue et Cie)

Deuxième partie. Rogier pendant la lutte pour l’indépendance (1830-1839)

Chapitre premier. La Bataille (21 au 26 septembre 1830)

1. Combats en avant de Bruxelles et aux portes de la ville

(page 3) Rogier reçut le baptême du feu au combat de Dieghem le 21 septembre 1830.

Son lieutenant-adjudant-major Senault, qui avait fait un terme dans l'armée hollandaise, aimait à rappeler la vaillance du jeune commandant, qui, sous un feu effrayant, courait de rangs en rangs, électrisant ses soldats par sa mâle attitude.

Au plus vif de l'action, Rogier avait fort mal accueilli Senault qui lui conseillait, « sans avoir l'air de battre en retraite, de se retirer un peu en arrière sur la hauteur du moulin d'Evere au lieu de rester à découvert en plaine ».

« Eh bien ! c'est ici que nous devons périr ! » dit Rogier assez haut pour être entendu de ses volontaires. Alors Senault, craignant de passer pour un poltron parce qu'il donnait un conseil dicté par la simple prudence, s'écria : « Si vous croyez que c'est la peur qui me fait parler ainsi, moi ancien militaire, me voici devant la compagnie : que l'on tire sur moi ! »

Et aussitôt Rogier de lui serrer la main en disant : « Mais pas un cheveu de ma tête n'a eu cette pensée ! »

Comment les Hollandais n'ont-ils pas foncé droit devant (page 4) eux à travers cette poignée d'hommes au lieu de perdre leur temps dans une vaine fusillade ?

Senault s'en est expliqué dans une lettre que M. Maurage nous a communiquée :

« Pendant que M. Rogier me serrait la main, apparut une reconnaissance de dragons sur notre droite où se trouvait le capitaine Colette. Celui-ci fit feu sur l'officier, mais il fut sabré, reçut de nombreuses blessures et fut transporté à l’Etat-major et de là à Evere. Le courage et l'intrépidité de M. Rogier en cette rencontre furent cause du triomphe de notre Révolution ; car, en nous voyant toute l'après-midi essuyer le feu de sa brigade, le prince Frédéric prit notre compagnie de volontaires pour une avant-garde. Il renonça à marcher sur Bruxelles où l'appelait une demande de « notables », fit bivouaquer sa brigade et réclama des renforts. Quant à nous, nous rentrâmes désespérés le soir en ville, car nous la trouvâmes sans résistance, abandonnée, presque déserte... »

La journée du 22 se passa en escarmouches à Evere et en avant des portes de Schaerbeek, de Louvain et de Namur.

Toute la bravoure des volontaires liégeois et des deux ou trois cents Bruxellois qui faisaient le coup de feu en partisans, ne pouvait avoir raison d'une armée comprenant plusieurs milliers d'hommes.

Le Politique du 28 publie une lettre de Bruxelles où se trouve cette phrase : « Il y eut le 22 une grande confusion dans la ville : chacun croyait que tout était perdu... »

Il eût fallu que Bruxelles se soulevât pour arrêter la marche du prince Frédéric.

Aucun des hommes politiques, aucun des chefs du mouvement révolutionnaire ne comptait sur ce soulèvement.

« La veille du jour où Bruxelles fut attaqué, écrivait Félix de Mérode le 15 octobre 1830 au Courrier des Pays-Bas, (page 5) je n'attendais aucune résistance utile, et persuadé qu'il n'existait plus de moyen actuel d'agir pour l'indépendance belge, je m'étais décidé à chercher un refuge sur le sol français. »

Dans une lettre publiée en 1859, un témoin oculaire, M. Renard, a établi que les Hollandais auraient pu prendre possession de Bruxelles sans coup férir après la journée du 22 septembre : « Dans la nuit du 22 au 23, dit-il, il n'y avait pas quarante hommes armés qui veillassent. Nous n'étions peut-être pas trois cents disposés à la résistance, et disséminés sur une longue étendue. Il n'y avait ni chefs, ni pouvoir, ni plan arrêté, ni direction. »

Le matin du 23, pendant que l'armée hollandaise, vainement harcelée par la fusillade des volontaires, pénétrait le long des boulevards dans le Parc, Rogier et plusieurs de ses amis que menaçait tout particulièrement la proclamation du prince Frédéric aux Bruxellois (voir volume 1, page 208), vont, comme Félix de Mérode, chercher un refuge en France.

Tous ceux qui ont vu Bruxelles à ce moment de la journée sont convaincus que si les Hollandais, au lieu de s'arrêter au Parc, avaient continué leur mouvement en avant, la résistance n'aurait pas duré une heure et la Révolution avortait.

Ce n'est que dans l'après-midi que Bruxelles, d'abord indifférent, se souleva.

Rogier était près de Braine-l'Alleud, à trois heures, quand il entendit le canon dans la direction de Bruxelles.

La résistance inespérée se produisait donc...

Rogier court au canon !

2. Les journées de septembre, la commission administrative, le gouvernement provisoire

Dès ses premiers pas dans Bruxelles, il apprend que malgré l'intention bien manifeste du peuple de tenir tête (page 6) aux Hollandais, malgré sa résistance énergique à la porte de Flandre et à la porte de Laeken, des négociations ont été entamées avec le prince Frédéric par des membres de l'ancienne commission de sûreté, renversée le 20 septembre.

C'est apparemment à ces négociations que se rapporte ce billet autographe du prince, qui aura été remis plus tard à Rogier par le destinataire :

« Son Altesse Royale Monseigneur le prince Frédéric des Pays-Bas invite monsieur le Baron d'Hooghvorst de (sic) se rendre auprès de lui, afin d'aviser ensemble aux moyens de rétablir la paix et la tranquillité (sic) dans la ville ; il engage sa parole d'honneur qu'il ne sera porté aucune atteinte à la sûreté et à la liberté de M. d'Hooghvorst.

« Frédéric Pr. Des Pays-Bas. »

Il était alors environ sept heures du soir.

Rogier va à l'hôtel de ville.

« Abandon ( dit-il dans ses Notes et Souvenirs). Je laisse une protestation contre le projet de soumission.

« Je visite les hôpitaux et les postes pendant la nuit... «

Il est parlé de cette visite dans l'un des nombreux démentis que le Journal de Bruxelles s'attira en août 1859, lorsqu'il eut l'impudence d'accuser Rogier d'avoir manqué à son devoir.

(Note de bas de page : Malgré tous les démentis qui lui furent infligés, aussi bien par ses coreligionnaires (comme M. Jottrand) que par des hommes qui étaient tout à fait en dehors de la politique, le « Journal de Bruxelles » ne retira pas ses propos mensongers).

(Rogier lui écrivit : « J'avais pensé que vous n'hésiteriez pas à rétracter des faits matériellement faux. Ainsi le voulait la loyauté la plus vulgaire. J'avais trop présumé de la vôtre. A vos affirmations effrontées je me borne à opposer tous les documents et tous les témoignages véridiques de l'époque et je vous répète que vous mentez impudemment. Après cela vous pourrez, sans que désormais je commette ma signature dans votre journal, continuer ces lâches et misérables attaques que les hommes de votre trempe n'ont le triste courage de se permettre, que bien décidés d'avance à n'en pas accepter la responsabilité personnelle. »)

« Nous soussignés, déclarons que le 23 septembre, dans la soirée, (page 7) M. Charles Rogier est venu visiter les blessés à l'hôpital Saint-Pierre, et qu'il a parlé particulièrement à un nommé Velez, volontaire liégeois, blessé à la jambe par un coup d'arme à feu...

« Le directeur de l'hôpital Saint-Pierre, J.-B.-J. Malaise ; le chirurgien en chef, J. Seutin. »

Quand Rogier se représente au point du jour à l'hôtel de ville, la députation envoyée la veille près du prince Frédéric - elle se composait de MM. d'Hooghvorst, de Coppyn, Palmaert et Max Delfosse - venait de faire connaître la rupture des négociations aux personnes qui étaient accourues aux nouvelles et parmi lesquelles se trouvait M. Jolly, ancien officier du génie.

Sur la proposition de M. Jolly, la réunion décida de nommer une Commission qui serait investie des pouvoirs nécessaires pour constituer une autorité dont l'urgence se faisait impérieusement sentir.

« D'une voix unanime, dit M. Jolly dans ses mémoires, l'on désigna M. Rogier, puis le baron d'Hooghvorst ; on m'engagea, et M. Rogier que j'avais rencontré le 21 à l'hôtel de ville, ainsi que M. Michiels (colonel de la garde bourgeoise), insistèrent pour me faire accepter cette mission difficile et dangereuse. MM. le baron F. de Coppyn et J. Vanderlinden se chargèrent des fonctions de secrétaire, et nous installâmes une autorité sous la dénomination de Commission administrative. » (M. Vanderlinden fut le 25 nommé trésorier et remplacé comme secrétaire par M. l'avocat Nicolay).

Voilà comment se forma la première autorité révolutionnaire.

Elle débuta par la proclamation suivante, que Rogier rédigea séance tenante et qui fut affichée dès le matin

du 24 :

« Proclamation !

« Depuis deux jours Bruxelles est dépourvu de toute espèce d'autorité constituée ; l'énergie et la loyauté populaires en ont tenu lieu : (page 8) mais tous les bons citoyens comprennent qu'un tel état de choses ne peut durer sans compromettre la ville et le triomphe d'une cause dont le succès dès hier est assuré.

« Des citoyens, guidés par le seul amour du pays, ont accepté provisoirement un pouvoir qu'ils sont prêts à remettre en des mains plus dignes, aussitôt que les éléments d'une autorité nouvelle seront réunis,

« « Ces citoyens sont :

« M. le baron Emmanuel Vanderlinden d'Hooghvorst, de Bruxelles ;

« M. Charles Rogier, avocat à Liège ;

« Et M. Jolly, ancien officier du génie.

« Ils ont pour secrétaires : MM. F. de Coppyn et J. Vanderlinden, de Bruxelles.

« Bruxelles, le 24 septembre 1830. »

Quelle confiance, quelle certitude dans le succès d'une cause pour oser proclamer, dès la première heure, qu'il était assuré depuis la veille !

Les Souvenirs de Rogier sont ici surtout précieux pour l'histoire.

« 24 septembre. Nos rapports avec la Banque. Nous demandons pour le service public 5.000 florins : elle en apporte 10.000, fort étonnée de notre modération. Les premiers fonds ont été faits au moyen d'une pièce de 10 florins que l'un de nous tira de sa bourse.

« Les 10.000 florins sont remis à l'administration des finances.

éLe soir, je fais venir Van Haelen et obtiens qu'il prenne le commandement : on demandait de toutes parts un chef. Il accepte à la condition que s'il vient à périr, on prendra soin de sa femme et de ses enfants. La scène est exactement racontée dans les Esquisses de White. »

(Note de bas de page : Voici le passage des Esquisses historiques de la Révolution belge (Bruxelles, 1830), p. 365, auquel Rogier fait allusion :

(« Dans la soirée du 24, vers onze heures, M. Juan Van Haelen reçut le billet suivant : « La Commission administrative invite le colonel don Juan Van Haelen à passer à l'hôtel de ville pour une affaire qui le concerne. Signé : Ch. Rogier et Vanderlinden d'Hooghvorst. Arrivé peu après à l'hôtel de ville dont les antichambres étaient lugubres et désertes, M. Van Haelen fut introduit dans le salon où, autour d'une table éclairée d'une chandelle, se trouvaient assis MM. d'Hooghvorst, Rogier et Jolly. - Nos volontaires ont besoin d'un chef, dit M. Rogier ; vous allez vous mettre à leur tête : il faut prendre le Parc. - Messieurs, accordez-moi deux heures pour me décider et vous répondre.

(- « Pas même deux minutes », répondit M. Rogier. M. Van Haelen ne fit plus alors qu'une seule observation ; elle était relative au sort de sa famille... » (Voir dans notre premier volume les pages 120 à 123 relatives à don Juan Van Haelen et à la publication de ses mémoires par Rogier.)

(page 9) Ce n'est pas seulement l'auteur des Esquisses historiques de la Révolution belge, ce sont tous les historiens de la Révolution qui reconnaissent que Rogier montra une initiative toujours prompte, une rare énergie, une vigilance infatigable pendant ces heures décisives où il pensa et pourvut à tout, brusquant les résolutions et ne laissant pour ainsi dire pas à Van Haelen le temps de réfléchir, parce qu'il y a des moments où l'action s'impose avant tout.

Il en fut ainsi du reste pendant toute la durée du combat. Il ne dormait pas ou dormait sur un matelas. (Notes et Souvenirs.)

Dans la nuit du 24 fut affichée cette seconde proclamation qui est moins connue que la première et où le lecteur retrouvera bien encore le caractère et le style de Rogier :

« Braves patriotes,

« Vous êtes les vrais enfants de la Belgique. Hier et aujourd'hui, vous avez prouvé à l'Europe que vous étiez dignes de la liberté. Trois journées de combat ont immortalisé la population parisienne. Bruxelles, aidée de ses amis et alliés des autres villes, n'est pas restée au-dessous d'une si belle gloire.

« Encore quelques courageux efforts et la victoire est à nous pour toujours. Les populations des communes environnantes arrivent pleines d'ardeur pour venger le sang belge, et achever le triomphe de la liberté. Louvain victorieux vous promet son énergique et glorieuse bourgeoisie. Soyez donc pleins de confiance. Le découragement est au camp ennemi. La Providence a retiré tout courage à des soldats belges qui ne rougissent pas de souiller leurs drapeaux du pur sang de leurs frères.

« Bourgeois de Bruxelles, qui redoutez le pillage de vos maisons, (page 10) savez-vous l'espoir criminel qu'on ne craint pas de faire circuler dans les rangs des soldats ? Le pillage ! Prenez la ville, leur dit-on, et deux heures de pillage payeront vos efforts. Bourgeois de Bruxelles, redoublez donc de vigilance : à vos barricades, redoutables fortifications, ajoutez de nouvelles barricades.

« Les pavés lancés des fenêtres ont fait à moitié la révolution parisienne. Continuez aussi à tenir vos croisées garnies de ces redoutables projectiles, et que l'ennemi écrasé apprenne ce qu'il en coûte à venir attaquer dans son sein une population qui veut être libre.

« Bruxelles, le 24 septembre 1830.

« La Commission administrative :

« Baron Vanderlinden D'Hooghvorst.

« Charles Rogier, avocat, de Liège.

« Jolly, ancien officier du génie. »


Qu'on nous permette d'interrompre un instant le récit des événements de Bruxelles pour nous transporter à Liège.

En ce moment la famille de Rogier recevait de lui une lettre sans date, venant de Genappe, lettre écrite évidemment le 23 pendant qu'il était en route pour l'exil.

Extrêmement laconique, cette lettre...

Rogier se contentait de rassurer les siens sur son sort ; il ne donnait aucune nouvelle de ce qui se passait à Bruxelles, ni des combats qui avaient eu lieu en avant de Bruxelles le 21 et le 22.

Son frère Firmin qui était, pour les besoins du Politique, retourné depuis quelques jours à Liège - où l'on se disposait à recevoir les Hollandais « derrière des barricades » et où « aux étages supérieurs les femmes, les enfants, les demoiselles avaient porté des pavés »… Firmin avait répondu immédiatement à cette lettre de Genappe, en demandant des détails sur les faits qui s'étaient passés dans les sorties du 21 et du 22. « Le Courrier de la Sambre annonce, dit-il, que les Liégeois se sont distingués dans ces sorties... Comment la lettre n'en parle-t-elle pas ?... »

(page 11) « ... L'ami Ch... - on devait se défier de la poste et de la police : la lettre de Firmin, datée de Liège le 25 septembre 1830, est adressée à M. A. Godefroid, négociant à Genappe- l'ami Ch. s'est trouvé sans doute dans ces sorties... Nous ne comprenons pas ici comment il écrit de Genappe... S'il s'est éloigné de Bruxelles, tout y est donc désespéré ! Pour moi, je m'y perds... Si Bruxelles se soutient et repousse les attaques, tout ira bien. Sinon, à ... » Firmin n'avait pas le courage de continuer.

Revenons à Bruxelles.


Précisément le 25, pendant que, de la rue de Louvain et de la montagne du Parc, les patriotes, renforcés d'heure en heure par des détachements de la province, dirigeaient une fusillade incessante sur les Hollandais retranchés dans le Parc, pendant qu'à la place Royale le canon de Charlier, la Jambe de bois, faisait merveilles, parvint à la Commission administrative ce billet :

« Son Altesse Royale le prince Frédéric des Pays-Bas consent à retirer les troupes hors de la ville, à condition que les hostilités cessent de suite et que l'on s'adresse à Son Altesse Royale pour concerter avec elle sur les moyens à prendre pour rétablir l'ordre et la tranquillité.

« Frédéric, prince des Pays-Bas. »

Rogier, qui présidait la Commission, répond à ce billet en donnant des ordres pour que la lutte continue avec plus d'acharnement :

« Du moment que la fusillade sera entamée, le sonneur de Sainte-Gudule sonnera le tocsin, d'une manière rapide.

« S'il n'y a pas de fusillade de toute la nuit, le tocsin sera sonné à quatre heures du matin. Entre les mains du sonneur de Sainte-Gudule.

« La Commission administrative : Ch. Rogier, Jolly. »

(Cet ordre de sonner le tocsin avait été renfermé par Rogier dans l'enveloppe qui contenait les billets du prince Frédéric, et sur laquelle il avait écrit : « 24 et 25 septembre »).

(page 12) Rogier rédige le même jour, 25 septembre, l'arrêté relatif à l'inhumation sur la place Saint-Michel, devenue la place des Martyrs, des braves qui ont succombé ou qui succomberont dans la lutte :

« La Commission administrative,

« Vu le nombre de victimes qui ont succombé dans notre lutte glorieuse,

« Vu la nécessité de veiller à la salubrité publique,

« Voulant en même temps donner de dignes funérailles aux braves défenseurs des libertés,

« Arrête :

« Une fosse sera creusée sur la place Saint-Michel : elle sera destinée à recevoir les restes des citoyens morts dans les mémorables journées de septembre.

« Un monument transmettra à la postérité et à la reconnaissance de la patrie les noms des héros.

« Les patriotes belges prennent sous leur protection les veuves et les enfants des généreuses victimes. »


La confiance de Rogier dans le succès de la Révolution restait inébranlable. Qu'on en juge par cet ordre du jour et cette proclamation qui sont aussi de sa main :

« Ordre du jour :

« Hier à huit heures du soir l'ennemi incendiait Bruxelles.

« Aujourd'hui à huit heures du matin l'ennemi est dans le plus grand désordre devant notre bourgeoisie aidée de ses alliés. Le sang belge va cesser de couler.

« Bruxelles, le 25 septembre 1830.

« La Commission administrative :

« Baron Vanderlinden d'Hoogivorst.

« Ch. Rogier, président.

« Jolly. »

« Proclamation !

« Vu l'affluence, à chaque heure croissante, des patriotes accourus à Bruxelles de toutes les villes et communes environnantes pour coopérer au succès de la bonne cause, les habitants de Bruxelles sont prévenus qu'ils recevront en logement, dans une juste proportion, et pour le peu de jours nécessaires encore au triomphe irrévocable de la (page 13) liberté, ceux d'entre nos bons défenseurs dont on nous annonce la prochaine arrivée.

« Bruxelles, le 25 septembre 1830.

« Baron Vanderlinden d’Hoogsvorst,

« Rogier, président.

« Jolly,

« P. de Coppin, secrétaire.

« Nicolay, secrétaire. »

L'ordre du jour parle d'incendie. Les Hollandais avaient en effet, dans la soirée du 24, lancé sur la ville quelques fusées à la Congrève et mis le feu dans trois endroits ; et pour qu'on ne pût l'éteindre, dix pièces de canon avaient tiré à mitraille sur une des maisons qui brûlaient. (Tous les journaux du temps parlent de ces terribles détails, et dans la rue de Schaerbeek on peut encore voir la trace de la canonnade.) C'est ce qui expliquerait cette réponse faite par Rogier à l'abbé Van Gheel qui lui apportait de la part du prince Frédéric des propositions d'arrangement : « On ne traite pas avec des incendiaires. » (Notes et Souvenirs.)

Les alliés dont il est question dans l'ordre du jour arrivaient de diverses localités.

Sur un placard bizarre de la Révolution intitulé : Litanies des Bruxellois (dédiées au canonnier pointeur liégeois qui a si glorieusement mérité de la patrie), nous lisons les noms suivants qui forment encadrement : Liège, Courtrai, Tournai, Luxembourg, Namur, Mons, Jodoigne, Renaix, Saint-Ghislain, Silly, Hal, Couvin, Péruwelz, Braine-l'Alleud, Morlanwelz, Genappe, Leuze, Waterloo, Thuin, Pinois ( ?), Flobecq, Roulx, Wasmes, Fleurus, Pâturages, Gosselies, Soignies, Binche, Quiévrain, Wavre, Enghien, Ninove, Grammont, Tirlemont, La Faye ( ?), Jemmapes, Nivelles, Charleroi, Philippeville, Alost, Roubaix.

Figurent aussi dans l'encadrement les « Tirailleurs de Paris », les « Belges de Lille », les « Belges de Paris ».


(page 14) Le soir du 25 rentrèrent à Bruxelles plusieurs des chefs de l'opposition qui n'avaient pas cru non plus à la possibilité de la lutte : entre autres Gendebien et Van de Weyer.

Dans la matinée du 26 fut affichée la proclamation suivante annonçant l'entrée de Gendebien, de Van de Weyer et du comte Félix de Mérode dans la Commission administrative, qui prenait un nom nouveau :

Gouvernement provisoire

« Vu l'absence de toute autorité tant à Bruxelles que dans la plupart des villes et des communes de la Belgique ;

« Considérant que, dans les circonstances actuelles, un centre général d'opérations est le seul moyen de vaincre nos ennemis et de faire triompher la cause du peuple belge ;

« Le Gouvernement provisoire demeure constitué de la manière suivante :

« Baron Emmanuel Vanderlinden d'Hooghvorst.

« Charles Rogier, avocat à la cour de Liège.

« Comte Félix de Mérode,

« Gendebien, avocat à la cour de Bruxelles.

« Sylvain Van de Weyer, avocat i la cour de Bruxelles.

« Jolly, ancien officier du génie.

« Joseph Vanderlinden, trésorier.

« Baron F. de Coppyn, secrétaire.

« Nicolay, avocat, secrétaire.

La lutte était plus ardente que jamais autour du Parc.

Les Hollandais faisaient des efforts désespérés. On annonçait qu'ils allaient tenter une sortie.

D'autre part, il courait de vagues rumeurs de trahison, de surprise, d'un coup de main projeté sur l'hôtel de ville.

Nous avons là l'explication de l'ordre donné par le gouvernement provisoire au chef d'état-major du commandant en chef, d'envoyer « vingt hommes d'élite avec un officier pour la garde des membres du Gouvernement à l'hôtel de ville » ( 26 septembre).

(page 15) L'héroïsme de nos volontaires finit par avoir raison de la ténacité des Hollandais.

Le Parc fut évacué dans la nuit du 26 au 27.

Précisément à ce moment-là, soit ignorance des faits, soit tactique, le général hollandais qui commandait à Anvers faisait afficher ce placard par les soins du bourgmestre et des échevins :

« Le lieutenant général baron Chassé, commandant le quatrième grand commandement militaire, autorise la Régence de la ville d'Anvers à porter à la connaissance du public :

« Que les troupes de Sa Majesté sont maîtres (sic) à Bruxelles de la ville haute ainsi que des portes Guillaume, de Schaerbeek, de Louvain et de Namur, et que le reste de la ville est investi par la cavalerie ;

« Que si la ville de Bruxelles n'est pas déjà détruite en cendres, cela doit être attribué uniquement au noble caractère et à l'humanité de Son Altesse Royale... »


Pendant que l'armée du prince Frédéric s'éloignait de Bruxelles, l'une des nobles victimes de la tyrannie hollandaise y rentrait.

De Potter, le proscrit de juin, qu’un décret du gouvernement provisoire acclamé par le peuple avait invité à revenir en Belgique, fit le 27 une entrée triomphale dans Bruxelles : le gouvernement se l'adjoignit immédiatement.

Rogier put écrire à sa famille dans la soirée du 27 qu'il n'y avait plus un soldat hollandais dans la capitale : (page 16) la confiance qu'il avait dans le succès de la cause du peuple dès le 24 n'avait pas été trompée.

(Note de bas de page : Toutefois, un retour offensif n'était pas impossible. On s'en convaincra en lisant cette pièce que nous avons trouvée dans le dossier de Van Haelen.

(Gouvernement provisoire de la Belgique

(Le comité central, ayant appris que l'ennemi descendait des hauteurs de la porte de Louvain, envoie vers M. le commandant en chef Van Haelen M. le major Steven, à l'effet de l'inviter à réunir de suite un nombre d'hommes suffisant pour garnir les portes et pousser des reconnaissances au dehors. Le comité central, sans ajouter une pleine foi à ces bruits, pense qu'il est bon de ne négliger aucune précaution. Bruxelles, 29 septembre 1830. (Signé) De Potter, Ch. Rogier, F. de Mérode, Sylvain Van de Weyer.)

« Ta lettre, lui répond Firmin le 29, annonçant la victoire de Bruxelles nous est arrivée hier. En même temps, des renseignements venus de toutes parts, à défaut des journaux dont nous avons été privés pendant cinq jours – qu'on juge de leurs angoisses ! - ont confirmé ces nouvelles importantes. Je te laisse à penser l'effet prodigieux de ce triomphe inespéré sur notre population. On commence à se rassurer sur ton sort, mais, bon Dieu ! que de larmes et d'inquiétudes !... Si nous étions plus que deux ici à la besogne - Devaux et Lignac étaient à Bruxelles aussi j- e serais déjà près de toi. Quoi qu'il en soit, si tu as besoin de moi, un seul mot...»