Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Charles Rogier (1800-1885), d'après des documents inédits
DISCAILLES Ernest - 1895

Ernest DISCAILLES, Charles Rogier (1800-1885)

(Paru à Bruxelles en 1895, chez J. Lebègue et Cie)

Deuxième partie. Rogier pendant la lutte pour l’indépendance (1830-1839)

Chapitre V. Les commencements du règne de Léopold Ier

1. L’inauguration du Roi. Sa réception à Anvers

(page 156) Le prince Léopold avait reçu le 11 juillet la commission chargée de lui remettre le décret qui adoptait le traité des dix-huit articles.

Dix jours après, le premier Roi des Belges faisait son entrée à Bruxelles, mettant fin aux glorieux travaux du Congrès en même temps qu'à la pénible mission du Régent ; et le 24, il composait ainsi son premier ministère : M. de Muelenaere aux affaires étrangères, M. Raikem à la justice, M. Coghen aux finances, M. de Sauvage à l'intérieur, M. le général de Failly à la guerre.

Mais le jour même où la population bruxelloise acclamait Léopold Ier, le roi Guillaume protestait contre le traité des dix-huit articles, en déclarant que « si le prince Léopold prenait possession du trône, il ne pourrait le considérer que comme placé dans une attitude hostile et comme son ennemi ».

La protestation ne fut pas prise au sérieux à Bruxelles : personne ne crut qu'elle serait suivie d'effet.


Léopold ler, qui avait hâte de voir par lui-même les besoins du pays, choisit Anvers pour le début de ses excursions. Commencer le travail de consolidation du régime nouveau en face de l'ennemi qui tenait encore ses canons braqués sur la ville, cela ne manquait pas de crânerie.

Rogier l'avait demandé au Roi dans l'audience publique qui s'était tenue au Palais une demi-heure après l'inauguration : il répondait hardiment de la réception. Léopold avait accepté.

Rogier n'est pas un homme de cour : c'est ce qui nous explique qu'il ait décliné l'honneur que voulait lui faire le Roi de l'attacher à sa personne en qualité d'aide de camp.

Mais enfin, pour la circonstance, il s'improvisera homme de cour comme il s'est improvisé chef révolutionnaire et chef de gouvernement.

Son frère est inquiet pour lui et lui écrit à la date du 29 juillet, donc huit jours après l'inauguration de Léopold Ier :

« Au moment où je t'écris, le roi Leopold fait sans doute son entrée à Anvers ; il n'y sera pas reçu avec moins d'enthousiasme que dans les autres villes.

« Tu vas, mon bon ami, te trouver au milieu des embarras des discours, des diners, des présentations. J'aurais voulu être là pour t'aider un peu et t'offrir mon expérience de cour et de salon. Mais ton ami F. de Mérode est du voyage, il te secondera... »

Rogier n'est pas plus embarrassé alors qu'à aucune autre époque de sa carrière, quoiqu'il se trouve face d'un prince élevé dans une cour allemande et familiarisé aux allures pleines de morgue de la grande aristocratie anglaise.

Sans qu'il ait besoin de l'aide de Félix de Mérode, il inaugure le cérémonial plus familier d’un peuple libre en face d'une monarchie d'un type tout nouveau.

Firmin trouva qu'il s'était on ne peut mieux tiré des difficultés de cette situation, toute nouvelle pour lui : « Je viens, lui écrit-il le 31 juillet, de lire ton discours au Roi. C'est parfait de tact et de convenance : à bon entendeur salut ! »

(Note de bas de page : C'était aussi l'avis de Joseph Demarteau, qui commençait ainsi sa lettre du 31 juillet : « Votre discours au Roi a produit ici (à Bruxelles) l'effet dont il était digne : c'est le premier discours de gouverneur où le respect n'ait rien ôté à la noblesse et à la vérité. Vous avez dû être content de vous et, je l'espère, pas plus que le roi lui-même ne l'aura été. Au moment où Chazal et moi nous étions à vous en féliciter, Mme Lebeau arriva chez Chazal pour rendre une visite à sa femme. M. et Mme Lebeau vous en font leurs sincères compliments... »)

Voici le discours, qui est en effet très réussi :

« Sire, la députation de la province où vous entrez est heureuse de pouvoir, la première, vous présenter les hommages que nos communes affranchies et chacun de leurs habitants s'apprêtent à vous offrir.

« Ces hommages vous plairont, sire, parce que vous y verrez l'expression libre et spontanée de leur reconnaissance pour le chef qui s'est rendu à leurs vœux et à leur choix ; l'expression de la confiance que son caractère inspire, des espérances que déjà ses paroles ont fait naître, et que bientôt ses actes réaliseront.

« Vous trouverez, sire, des campagnes florissantes, des populations remplies d'enthousiasme ; mais les traces des journées d'octobre qui subsistent encore pour attester le courage des Belges et la honte des vaincus, vous diront que cet aspect riant et prospère cache cependant des plaies à guérir, de légitimes besoins à satisfaire. Le commerce belge dont vous venez visiter la métropole, l'industrie et l'agriculture qui l'alimentent, réclament de nouveaux débouchés, des lois sagement protectrices. Les impôts dont les circonstances ont aggravé le poids, ont droit à une répartition équitable et modérée ; le système pénitentiaire de nos prisons, celui de nos établissements de bienfaisance appellent aussi leurs améliorations : la province, sire, s'en remet avec confiance à votre sagesse, secondée par la nouvelle représentation nationale qui va bientôt entourer votre trône populaire et convertir en lois les germes féconds et généreux de liberté posés dans la Constitution.

« Enfin, sire, la province que vous visitez est encore occupée, au cœur même, par les soldats d'un monarque ennemi. Votre puissante intervention comme prince a déjà donné à la Belgique presque tout ce que l'équité, le droit des gens, et ses intérêts réclamaient impérieusement. Puisse votre présence comme roi, au sein des murs d'Anvers, être le signal du prochain affranchissement de cette cité qu'attendent de si hautes destinées après de si grands désastres !

« Alors tout ce qui tient à cœur la prospérité et l'honneur national vous bénira. Que si les négociations pacifiques n'atteignent pas leur but, notre jeune armée remplie de cette noble ardeur qui présage la victoire, et que votre présence va doubler, saura vous prouver, sire, comment ce que le bras du peuple lui a laissé à faire pour la délivrance du pays, son courage est prêt à l'achever sous vos yeux, en mêlant à ce beau cri qu'elle aime : Vivent les Belges, ce nouveau cri qui doit les rallier tous : Vive le Roi ! »

On remarquera la phrase où Rogier prédit à Anvers de hautes destinées. Nous verrons que comme gouverneur il a grandement contribué à réaliser la prédiction. Si dans une heure d'ingratitude, les Anversois oublièrent ce que leur gouverneur et député avait fait pour eux, Rogier ne leur en garda point rancune. Devenu ministre des affaires étrangères, il n'eut pas de repos qu'il n'eût signé l'acte fameux de l'affranchissement de l'Escaut...

« Tu trahis mes bienfaits : je les veux redoubler ;

« Je te comblai de biens : je t'en veux accabler. »

Le Roi avait conservé une excellente impression de la réception que lui avaient faite les Anversois. Il en savait gré à Rogier et aimait à dire à ceux qui lui parlaient du jeune gouverneur, qu'il faisait le plus grand cas de son habileté et de son caractère. Un passage d'une lettre du peintre Wappers, écrite quelques mois après, nous apprend en quelle estime le Roi tenait Rogier. (La lettre est du 4 mai 1832. Wappers venait, croyons-nous, de faire le portrait de Léopold Ier).

« ... Vous êtes, mon cher Rogier, extrêmement en faveur près de Sa Majesté. Je ne veux point vous répéter tout ce que Sa Majesté a dit de vous.. : « ce bon, ce zélé, ce charmant... » sont ses moindres expressions. « Vous l'aimez beaucoup, monsieur Wappers ? - Beaucoup, Sire, et je ne suis pas le seul qui l'aime : le peuple l'idolâtre et avec ce tact particulier au peuple, on l'a surnommé le bras droit de Sa Majesté - Allons, cela me fait bien plaisir ; oui, on l'aime, et moi je l'aime beaucoup, etc.» (toutes paroles du Roi). Enfin, pendant cinq ou six conversations qui ont roulé sur vous, Sa Majesté a paru enchantée de Votre Excellence... »

2. Agression des Hollandais. La campagne de dix jours

L'ère des mauvais jours était loin d'être close.

Le roi Guillaume reprit brusquement les hostilités le 1er août, deux jours avant la dénonciation de l'armistice qui durait depuis neuf mois.

Son armée, reconstituée au prix de sacrifices énormes auxquels chaque Hollandais s'était en quelque sorte fait un devoir de participer pour venger l'humiliation des défaites, de septembre et octobre 1830, avait tout d'abord sur l'armée belge l'avantage du nombre. Elle avait aussi celui de l'ordre. On n'y voyait pas, comme chez nous, des soldats, des officiers qui croyaient qu'avec de la bravoure et de l'audace on supplée à la science, et qui, dédaigneux des règles de l'obéissance et de la discipline, marchaient trop souvent à l'aventure, n'ayant pas d'ailleurs confiance en leurs généraux.

Il n'y eut aucune déclaration préalable à la reprise des hostilités. Les Hollandais « méconnaissaient à la fois les engagements qui résultaient de la suspension d'armes et les principes qui régissent les peuples civilisés. » (Proclamation du roi Léopold aux Belges le 4 août.)

Le 2 août, le général Chassé dénonçait pour le 4, à neuf heures et demie du soir, la suspension d'armes existant entre la garnison belge d'Anvers et la garnison hollandaise de la citadelle. Or, dès ce moment-là déjà, le prince d’Orange, à la tête de l'armée envahissante, avait franchi la frontière.

Le gouvernement de Guillaume surprenait tout le monde en Belgique, notre ministre de la guerre surtout, quoique les armements considérables faits en Hollande depuis six mois eussent dû donner l'éveil.

Il surprenait aussi la Conférence. En effet, presque à la même heure où elle recevait avis de la dénonciation de la suspension d'armes, M. de Zuylen de Nyevelt, arrivé récemment à Londres pour s'adjoindre à M. Falck comme plénipotentiaire de Guillaume, venait de lui remettre des pleins pouvoirs l'autorisant à discuter, signer et conclure un traité définitif de séparation avec la Belgique. (Papers relative to the affairs of Belgium, part. I, page 164 : voir la biographie de Van de Weyer par Juste.)

Rogier se trouve comme en 1830 au premier rang de la défense. Il prend tout d'abord la direction de la police : il s'agit d'empêcher que les orangistes anversois ne secondent l'armée ennemie. Il mande aux pompiers de Gand, de Bruxelles, de Malines d'accourir à Anvers avec leurs pompes en vue de parer aux désastres d'un bombardement semblable à celui du 28 octobre 1830. Il prend avec le gouverneur militaire toutes les dispositions pour mettre la ville à l'abri d'un coup de main. S'il faut un combat dans les rues comme à Bruxelles, il est tout prêt.


On ne concevait rien à Paris et à Londres, pas plus d'ailleurs qu'en Belgique, aux projets de Guillaume, « à moins, écrivait Firmin le 4 août, qu'il n'eût la promesse d'être soutenu par la Prusse ». Et cependant (lettre du 7 août) tous les ambassadeurs, et celui de Prusse en particulier, protestaient que leurs cours, loin de soutenir cette agression, la désapprouveraient hautement.

A la première nouvelle de la reprise des hostilités (elle lui parvint à Liège où il venait de faire son entrée inaugurale), le roi Léopold, qui savait que notre armée ne possédait pas les éléments du succès, avait, au risque de déplaire à certains hommes politiques trop optimistes, fait appel à la France et à l'Angleterre, garantes de notre indépendance et de notre neutralité.

En l'absence de ses ministres, il avait demandé l'avis de Lebeau, qui avait repris à Liège ses fonctions d'avocat général.

« Sire, avait dit Lebeau (Souvenirs personnels, page 153), il faut à l'instant même expédier des estafettes à Paris et à Londres pour demander l'exécution des engagements contractés, la garantie de notre neutralité stipulée dans les dix-huit articles. Je me charge d'écrire à MM. Le Hon et Van de Weyer. Je suis sûr que ces messieurs, en présence de la gravité des circonstances, ne s'arrêteront pas à l'absence d'une signature ministérielle et qu'ils engageront sans hésiter leur responsabilité personnelle. Si vos ministres à Bruxelles reculent devant la détermination que je conseille à Votre Majesté, supposition que je ne saurais admettre, je prendrai la responsabilité de ce conseil en rentrant jusqu'au terme de cette crise dans le cabinet, en telle qualité qu'il vous plaira... »

Le Roi invita Lebeau à l'accompagner à Bruxelles : il désirait qu'il fît partie de son conseil. Les ministres, qui avaient approuvé hautement les démarches faites à Londres et à Paris, ayant exprimé le même désir, Lebeau entra dans le cabinet comme ministre sans portefeuille.

(Note de bas de page : Lebeau sortit du cabinet après la campagne de dix jours. Le ministère qui fut formé alors se composait de MM. de Muelenaere, de Brouckere, Coghen, Raikem et de Theux. Voulant le soutenir, Rogier, Lebeau, Devaux et Nothomb fondèrent avec MM. Van Praet, H. Vilain XIIII et Kaufman le « Mémorial belge », dont M. Faure, sténographe du Congrès, devint l'éditeur. Rogier et ses anciens camarades du « Politique » faisaient grand cas d'un cabinet qui, suivant l'expression de Lebeau, pratiquait le système de la modération à l'extérieur et jusqu'à un certain point celui de la consolidation à l'intérieur.)


Des lettres de Firmin (4 et 7 août), il résulte que la France n'hésita pas un instant à répondre à l'appel du roi Léopold. Louis-Philippe fit expédier immédiatement des ordres par le télégraphe : 1° au général Belliard, pour qu'il signifiât au général Chassé qu'il eût à s'abstenir de bombarder encore Anvers, 2° à la frontière, pour que ses troupes se tinssent prêtes à marcher et 3° à l'ambassadeur français à La Haye, pour qu'il fît connaître au roi Guillaume que la France regarderait comme dirigée contre elle-même toute attaque contre la Belgique. Le maréchal Gérard, accompagné des ducs d'Orléans et de Nemours, partit tout de suite pour prendre le commandement des troupes réunies à la frontière. Dans une audience solennelle qu'il accorda le 4 août à MM. Le Hon et Firmin Rogier, Louis-Philippe protesta de sa volonté énergique de mettre les Hollandais à la raison. Il paraissait heureux de l'échauffourée de Guillaume. En effet, cette incroyable déclaration de guerre tirait le gouvernement d'une position embarrassante. Le ministère, qui devait se retirer devant l'attitude hostile de la Chambre des députés, allait se trouver raffermi.


Nos lecteurs, ne perdant pas de vue que nous publions l'histoire de Rogier, comprendront que nous mêlions à ce récit d'un intérêt général des détails intimes qui prouveront une fois de plus la tendresse des sentiments qui unissaient Rogier et son aîné. Firmin écrivait à Charles le 4 août :

« ...Que je voudrais être auprès de toi, mon cher Charles ! car tu vas remplir ton devoir en homme de cœur et d'honneur sans songer au danger. Chazal sera là sans doute, et c'est un peu ce qui me rassure. Pour Dieu ! au nom de notre amitié, de notre affection fraternelle, écris-moi tous les jours quelques lignes ou fais-moi écrire. Songe, je te prie, aux légitimes inquiétudes où je serai jeté ici. Ecris-moi si je puis t’être utile et bon à quelque chose. Un mot et je suis à toi et avec empressement, sois en bien convaincu, mon brave frère... N'oublie pas, mon bon et cher ami, qu'on peut faire son devoir en homme de cœur et d'honneur sans s'exposer témérairement. Je te confie à la Providence... écris-moi, aime-moi... »

(Note de bas de page : Firmin tenait également sa mère et ses sœurs au courant de ce qui se passait à Paris. Mme Rogier reçut de lui le 9 août une lettre qui commençait ainsi : « Vous voilà sans doute plongées dans de vives inquiétudes, mes bonnes et chères amies, d'abord pour le pays, ensuite pour notre brave et digne Charles ! Que je regrette en ce moment que cent lieues nous séparent ! Que je voudrais être près de vous pour vous rassurer ! mais ici ma présence est nécessaire... L'entreprise de Guillaume est une extravagance dont il ne tardera pas à être châtié... » Parlant de l'audience royale, il ajoutait : « Le Roi, la Reine, les princes et princesses nous ont accueillis avec une bonté parfaite et les larmes aux yeux. Vous ne sauriez croire quelles vives sympathies la Belgique excite ici. Le Roi, en nous prenant les mains avec effusion, nous a dit : J'ai promis de maintenir votre indépendance et rien au monde ne m'empêchera de tenir ma promesse. J'envoie mes deux fils à votre défense ; je ne puis vous donner un gage plus complet de mon amitié ».)


Le roi Léopold, qui avait d'abord porté son quartier-général à Anvers, le transporta à Malines quand le général Chassé, se rendant aux instances du général Belliard, eut pris l'engagement d'honneur de ne pas renouveler le bombardement d'octobre 1830.

Dès lors, la présence de Rogier n'étant plus indispensable à Anvers où l'autorité militaire concentrait dans ses mains tous les pouvoirs, il voulut aller faire le coup de feu près de ses volontaires liégeois, qui se trouvaient à Beveren.

Le Roi, à la tête de toutes les troupes cantonnées dans le bassin de l'Escaut, se dirigeait vers l'armée de la Meuse, qui avait subi la première le choc des Hollandais, quand la nouvelle lui arriva que cette armée, commandée maladroitement - acceptons cette version, quoiqu'on ait parlé d'autre chose que d'inhabileté, - était en pleine dissolution et battait en retraite.

Il songea immédiatement à préserver Bruxelles, dont la défaite du général Daine ouvrait le chemin aux Hollandais.

Le 11 et le 12 août, on se battit avec acharnement en avant de Louvain.

Firmin, qui, ne pouvant y tenir, était accouru à Bruxelles, écrivait de cette ville le 12 août, à 8 heures :

« ...On se bat à Louvain depuis cinq heures du matin et chaudement : les Hollandais sont arrivés à Tervueren et je ne vois pas qu'ici on eût eu les moyens de les repousser, si surtout le combat de Louvain ne tourne pas à notre avantage.

« Le général Belliard nous a annoncé cette nuit à deux heures qu'une dépêche venue de La Haye faisait connaître que le roi Guillaume « n'avait jamais entendu se mettre en hostilité avec la France et qu'il transmettrait à ses troupes l'ordre de se retirer de tous les lieux où paraitraient les soldats français ». Voilà donc les hostilités terminées, mais qu'il ne croie pas cependant, cet indigne et cruel tyranneau, en être quitte ainsi. Il faut sans doute qu'il paye les frais de la guerre... »

Ce n'est pas Guillaume, hélas ! qui paya les frais de la guerre.


Notre armée eut le dessous !...

Ne récriminons pas et surtout ne soyons pas injustes dans l'appréciation des événements d'août 1831. Nous sommes de l'avis de M. Thonissen, qui a examiné les faits avec une entière impartialité dans le premier volume de son ouvrage : La Belgique sous le règne de Léopold Ier. Il y a eu manque d'énergie dans le cabinet, défaut d'activité, confiance exagérée dans l'intervention de la diplomatie européenne ; mais si les ministres ont commis des fautes, aucun d'eux n'a failli à l'honneur... « Les fautes et l's erreurs, dit M. Thonissen, trouvent d'ailleurs plus d'une excuse, surtout dans l'absence d'une administration convenablement organisée... » (Thonissen, I, 148. Il y a eu toutefois, cet historien en convient, de la trahison chez certains officiers subalternes. A consulter également, sur la campagne de 1831, les ouvrages d'Eenens, Goblet et Van der Taelen), ajoutons :... et dans la surprise de l'invasion. MM. de Gerlache et Nothomb croient même que là est la principale excuse.

Les Hollandais étaient entrés le 13 dans Louvain : ils n'y restèrent que quelques heures. L'armée française approchant, le prince d'Orange rétrograda.

Le 20 août, l'armée hollandaise avait repassé la frontière.


Ici se place une intrigue diplomatique dont l'auteur de la biographie de Van de Weyer a emprunté le récit à la Vie de lord Palmerston.

Les 30.000 hommes du maréchal Gérard étant encore en Belgique, l'occasion aurait paru favorable à un bon ami que nous avions à la Conférence de Londres, pour faire une nouvelle tentative d'annexion. Ecoutons le biographe de Palmerston :

Le 12 août, un peu avant la réunion de la Conférence, le prince de Talleyrand aurait dit au baron de Bulow, représentant de la Prusse, que la Belgique ne pouvait exister telle qu'elle était ; que Léopold était un pauvre sire et les Belges un ramas de vagabonds indignes d'être indépendants ; que l'on était entraîné dans une difficulté qui pouvait être mortelle pour le ministère français et pour le ministère anglais ; que si les troupes se retiraient, c'en serait fait du ministère de Casimir Périer et que si elles ne se retiraient pas, le gouvernement anglais était renversé ; qu'il n'y avait qu'une solution : le partage. Si la France, la Prusse, la Hollande s'unissaient, la chose était aisée, l'Angleterre devant être désintéressée par l'érection d'Anvers en port franc. Talleyrand aurait parlé longtemps sur ce sujet, son thème ancien et favori, jusqu'au moment où l'entretien aurait été interrompu par l'arrivée des autres plénipotentiaires. Mais le jour même Bulow aurait révélé à lord Palmerston tous les détails de cette conversation.

Guizot, dans ses Mémoires, prétend que ce jour-là Talleyrand a dû substituer ses vues personnelles à celles du gouvernement de Louis-Philippe ou bien qu'il aura voulu éprouver son collègue. Dans cette seconde hypothèse, Talleyrand et Bulow, ce seraient Bismarck et Benedetti avant... le traité que l'on sait. L'histoire se répète sans doute ; mais nous croyons, et les Mémoires de Talleyrand nous autorisent à le croire, que dans les circonstances dont nous parlons Talleyrand aura voulu faire ce qu'il interdisait aux autres : du zèle. Il aura pensé être agréable au premier ministre que, suivant le mot de Guizot, il mettait tout son désir à contenter.

Quoi qu'il en soit des intentions réelles de Talleyrand et des répugnances, vraies ou fausses, de la Conférence sur la question du partage, notre défaite du mois d'août 1831 devait nous coûter cher.

Elle allait nous valoir le traité des vingt-quatre articles, que la première législature sera forcée d'adopter.


Nous lisons dans les Notes et Souvenirs, au sujet de la campagne de dix jours, les lignes suivantes :

« Août 1831. Reprise des hostilités. Je reprends la blouse et me charge de la police à la tête d'une compagnie bourgeoise. Le Roi vient à Anvers. Scène touchante entre nous, que le Roi m'a rappelée souvent. Il m'avait offert à son premier voyage de m'attacher à sa personne.

« Je me rends sur la rive gauche de l'Escaut à Beveren, où était mon bataillon qui avait été maltraité à Calloo. Chazal s'y trouvait en qualité de lieutenant-colonel. »


Rogier avait conservé les lettres qu'il reçut à cette époque de Chazal, à qui il avait fait confier le commandement du bataillon alors que ses devoirs de gouverneur le retenaient à Anvers.

Nous trouvons dans ces lettres quelques renseignements qui valent d'être cités : ils expliquent la défaite mieux peut-être que de longs rapports officiels.

Après avoir donné l’Etat des pertes faites par le bataillon dans l'affaire de Calloo (dix hommes tués et deux blessés), Chazal écrivait le 8 de Saint-Nicolas :

««... Nos soldats se sont bien conduits, mais tout est dans la confusion. Nous sommes seuls, livrés au général X qui est un animal stupide et qui va donner sa démission. C'est notre bataillon seul avec quelques gardes civiques presque sans armes qui doit couvrir une ligne de dix lieues d'étendue... Si l'ennemi voulait se jeter au milieu de nous, il nous écraserait par portions sans que nous puissions lui résister ... »

La discipline, pour surcroît de malheur, laissait à désirer. Chazal avait, dès son arrivée au corps, été témoin d'une scène déplorable. Un officier, pris de boisson, se querellait avec des gardes civiques le sabre à la main. Chazal lui avait fait ordonner par le major de se rendre aux arrêts. Refus de l'officier d'obéir à l'ordre de son chef...

«... J'ai doublé les arrêts et je lui ai dit que si dans deux minutes il n'y était pas, je le ferais saisir par la gendarmerie et conduire à Bruxelles pour être jugé par un conseil de guerre. Tu sens bien qu'il s'est dépêché d'aller faire ses arrêts et de me remettre son sabre. Je suis décidé, si je reste ici, à les faire marcher droit… »

Une autre lettre, datée de Beveren, indiquait une amélioration dans la situation, en même temps qu'une volonté ferme de tenir bon :

«... Je vois avec plaisir, mon colonel, que tout le monde s'empresse d'exécuter mes ordres aujourd'hui... Je suis résolu à me faire exterminer plutôt que de lâcher pied .. »

Le 11 août, Chazal mande encore de Beveren à son colonel qu'il a fait couper totalement en six endroits différents les routes de Zwyndrecht, Calloo, Burght, Cluybeek, pour empêcher les Hollandais de l'attaquer avec du canon ; que toutes les avenues de Beveren sont fortifiées de manière à pouvoir résister à un coup de main. Il avoue que ce qui est toujours difficile, c'est d'établir parmi les volontaires le même ordre que parmi les anciens militaires :

« ...J e ne vous cache pas que nos hommes sont sans discipline, et cela par la faute des officiers qui les ont mis sur un pied tout à fait vicieux... Ces officiers viennent maintenant se lamenter auprès de moi en me disant que les trois compagnies du 3ème de ligne qui sont près de nous, sont mieux disciplinées que le bataillon. Il est bien temps ! Cependant, je tâche, petit à petit, en les prenant par les sentiments, de les faire changer. Tous les jours je deviendrai plus sévère... »

Rogier a recommandé à Chazal de veiller à ce que les soldats ne renouvellent pas les scènes dont il a été question plus haut à propos du corps de Mellinet : il lui a dit d'entretenir les meilleures relations possibles avec les autorités, surtout avec le clergé. Chazal a tenu bonne note des instructions que l'intérêt de l'union (elle est toujours indispensable) a inspirées à son colonel :

« ... Je suivrai les instructions que vous me donnez à l'égard du clergé : j'en sens tout l'importance. Le curé de Beveren a eu la bonté de venir me voir. Il m'a demandé la permission de faire reculer un peu la tente où bivouaquent nos soldats, parce qu'elle touche au cimetière : je la lui ai immédiatement accordée... »

Chazal, qui signe « lieutenant-colonel commandant l'aile droite de la première brigade », se plaint à plusieurs reprises de ne pas recevoir les souliers, les chemises, etc., dont les soldats ont le plus pressant besoin.

« ... Nous sommes dépourvus de tout. Pas même une lunette pour surveiller les mouvements de l'ennemi... »

Voici encore dans des lettres du 12 et du 13 août des passages où l'on peut voir le désarroi qui régnait dans les sphères administratives, et l'incurie de certain chef :

« ... On vient de m'envoyer trois pièces d'artillerie de la garde civique de X... Figurez-vous qu'elles sont sans roues de rechange, sans munitions pour les charger, sans chevaux pour les trainer, et qu'elles sont servies par des hommes qui n'ont pas trop l'habitude de cette arme. Que veut-on que je fasse avec ces canons !... Je dois les faire traîner par des chevaux de réquisition qui au premier coup culbuteront nos hommes en se jetant au milieu d'eux, ou bien renverseront mes pièces dans les fossés... Le général ... nous prend-il pour des imbéciles ?... »

Elle laissait singulièrement à désirer, l'organisation de l'armée ! Si un corps spécial que le nom de Rogier et les souvenirs de septembre 1830 recommandaient tout particulièrement à la bienveillance de l'administration, était si négligé, que devait-il en être des autres corps ?

Dans de pareilles conditions, le moyen de vaincre ?

3. Les premières électives législatives. Rogier représentant de Turnhout

Les premières élections législatives étaient fixées à la fin d'août.

En juin 1831, Firmin écrivait à Rogier qu'il espérait bien que sa popularité ne souffrirait pas de l'adhésion qu'il avait donnée au traité des dix-huit articles. Elle n'aurait pas dû souffrir non plus de la défaite de Louvain. Rogier n'était nullement responsable des fautes qui avaient été commises ; il n'était pour rien dans l'organisation de l'armée. Il avait fait son devoir à Anvers. Cependant, nous allons voir, à l'occasion des élections à la première législative, que cette popularité avait baissé là même où elle aurait dû être à jamais indestructible, à Liège.

Firmin lui écrivait le 24 août de cette ville, où il était allé embrasser sa mère :

« ... J'ai trouvé notre mère bien portante... mais triste d'être à Liège où elle a dû entendre les propos les plus ridicules et les plus odieux sur le compte de ses deux Benjamins. La sotte et méchante race que l'espèce humaine !...

« Ton élection à Liège, pour t'y être pris un peu tard, sera disputée et le succès est loin d'être assuré. Nos adversaires ont fort adroitement répandu le bruit que tu te présentais à Anvers, pour détourner les suffrages qui se seraient portés sur toi... Lignac et Demarteau ont dû t'écrire longuement pour t'engager, tout cas échéant, à te mettre sur les rangs à Anvers... Je t'en prie, ne t'endors pas. Point de faux scrupules. C'est une marque de confiance de tes concitoyens que tu dois recevoir ; qui l'a méritée mieux que toi ? ... »

Même note dans une lettre écrite le 28 août par Chazal, qui, après l'armistice avec la Hollande, n'avait pu garder son commandement provisoire à Beveren et était allé à Liège près de son beau-père :

« ... Je ne te cache pas qu'il y a une forte opposition qui agit contre toi... tu rirais bien si je te disais ce que certains électeurs qui passent pour gens de bon sens m'ont allégué contre toi. Il y a des hommes tellement bêtes qu'on leur fait avaler des couleuvres pour des anguilles. Tout le commerce de la coterie (sic) de mon beau-père votera en ta faveur. Tu auras également les voix de toute la société Berrier, Begasse, etc., etc. Le curé de Sainte-Veronne (sic) a promis à mon beau-père de faire tous ses efforts pour que tu réussisses, quoique beaucoup de ses collègues cherchent à t'éloigner... »

Ce « quoique » est significatif. Déjà l'union qui avait fait le succès de la Révolution et à laquelle Rogier, lui, n'avait pas un instant cessé d'être fidèle, l'union n'était plus dans tous les cours. L'ancien secrétaire de Rogier, Demarteau, qui était un catholique convaincu, réagissait contre les menées de « beaucoup des collègues » du curé de Sainte-Véronique :

« … Demarteau se remue beaucoup et bien sagement. Malgré tout cela, tu es le seul qui n'intrigues pas comparativement à tes concurrents. Tu ne peux te faire une idée de leurs menées... »


Qu'on nous permette ici une parenthèse.

Chazal, cet excellent camarade de Rogier, oubliait ses préoccupations personnelles pour ne songer qu'à l'élection législative : et cependant sa correspondance (fin du mois d'août) prouve qu'il avait de graves raisons pour redouter l'avenir.

Depuis l'armistice, il souffrait, moralement et pécuniairement, d'une mise en non activité, que les ennemis de la Révolution exploitaient méchamment contre lui qui avait toujours fait loyalement et bravement son devoir. « Ah ! s'écriait-il, maintenant je sais pourquoi nous avons fait la Révolution : j'y ai gagné ruine et déshonneur... La suppression ou ma pension me force à chercher de nouvelles ressources et comme je vois bien que tout ce qui n'est pas de la coterie des hommes du pouvoir sera sacrifié aux intrigants et aux hommes qui ont perdu l'honneur national, il faut absolument que je prenne un parti. Je vais voyager avec mes échantillons. (Chazal s'occupait du commerce des draps avec son beau-père, au moment où avait éclaté la Révolution dont il fut certainement l'un des premiers et des plus honnêtes serviteurs.) Si le commerce ne reprend pas un peu, je n'aurai d'autres ressources que de me mettre commis chez mon beau-père pour ne pas lui être tout à fait à charge... »

Rogier lui avait dit que ses services de lieutenant-colonel au bataillon des tirailleurs liégeois devaient cependant lui créer des titres à la sympathie du ministère. Mais malheureusement il n'avait pas reçu le brevet de son grade au milieu du désarroi du commencement d'août.

D'ailleurs, par la fusion qui venait de s'opérer du bataillon de tirailleurs liégeois dans le 2ème chasseurs où le cadre des officiers était complet, il se trouverait « mis à la suite avec une pension de quelques cents florins... » On lui avait offert une place d'administrateur du trésor dans l'une ou l'autre province en sa qualité d'ancien intendant. Quoiqu'il eût une répugnance profonde pour « les places d'argent », après les dégoûts dont l'avaient abreuvé les orangistes, qui avaient cherché, vainement, à incriminer sa gestion, il aurait peut-être accepté cette place d'administrateur, quelque peu lucrative qu'elle fût ; mais il fallait un très fort cautionnement et il ne le pouvait trouver. Bref, il avait tout lieu de se désespérer ; mais son désespoir ne l'empêchait pas de travailler au succès de la candidature de « l'ami Charles ».

(Note de bas de page : Le chagrin l'avait rendu malade... « Ce sont les tracasseries politiques qui le tourmentent, écrivait Demarteau à Rogier le 31 août. Si sa position ne change pas, je vous donne ma parole d'honneur que je crois qu'il mourra. Il s'affecte trop vite. Déjà, je crois qu'il forme le projet de revenir à Liège, de se mettre à la tête de fabriques, etc... Il faut une autre vie à Chazal ! Monsieur Rogier, je ne puis vous exprimer quelle joie j'éprouverais, combien je vous aimerais si vous pouviez le tirer de là... » (Demarteau était très lié avec Chazal). Rogier, à la suite de démarches instantes, eut la satisfaction de voir le gouvernement rendre justice à Chazal et utiliser ses services dans l'armée régulière. La carrière si brillante que Chazal a fournie depuis, prouve que Rogier avait bien placé son amitié et sa confiance.)


Les appréhensions de Firmin Rogier et de Chazal quant au résultat de l'élection de Liège étaient confirmées par les lettres de Lebeau et de Lignac, qui étaient mêlés au mouvement. Lebeau écrivait à Rogier :

«... Suivant ta mauvaise habitude, tu as laissé tes amis de Liège dans l'incertitude sur tes projets... A l'heure qu'il est, on en est encore aux conjectures. Les uns pensent que tu n'en veux pas ; d'autres regardent ton élection à Anvers comme assurée et je suis de ce nombre, sachant ce que pensent de toi Legrelle, Osy, Dhanis, Cannaert et autres notabilités qui te regardent comme le sauveur de la ville ... »

(Note de bas de page : « Vous êtes le seul, écrit Demarteau le 24 août, qui ignorez l'amour qu'on vous porte à Anvers. On vous vote à la Chambre par acclamation. » Demarteau tient tous ses renseignements du banquier Kaufman (un ami de Rogier), qui lui paraissait bien informé. Kaufman montra de la franchise et du désintéressement dans toute cette affaire : il ne nous semble pas qu'on puisse en dire autant de tous ceux dont les candidatures furent mises en avant à Liège.)

Lebeau ne songeait pas que ces notabilités se croyaient aussi dignes du mandat parlementaire que leur sauveur. Il oubliait peut-être aussi que les sauvés sont souvent ingrats. Demarteau voyait mieux que Lebeau quand il écrivait à Rogier, une huitaine de jours avant l'élection, qu'il ferait chose utile en adressant une profession de foi au corps électoral.

« ... Roi déchu, les mécontents que vous avez faits pendant le temps que vous avez gouverné peuvent avoir voulu porter atteinte à votre caractère ; quelques paroles de vous peuvent détruire toutes les calomnies, et rappeler au pays ce que vous avez fait pour lui : de tous vos anciens collègues, vous êtes, ce me semble, celui qui présentez le plus de chances si vous voulez profiter de votre position... »


Mais voudra-t-il profiter de sa position ?

Rogier n'a jamais aimé à se mêler assidûment aux luttes électorales pour son propre compte. Autant il déployait d'ardeur avant 1830 pour faire réussir les candidats du Politique et de l'union, autant, en ce qui le concernait personnellement, il apportait de tiédeur ; on eût dit de l'indifférence. Ceux qui ont assisté aux batailles électorales où il était en cause, à Turnhout ou à Liège, à Anvers ou à Tournai, ne nous démentiront pas.

Il hésite même à faire la profession de foi que demande Demarteau. Il semble se dire qu'après tout les actes sont là et qu'ils parlent plus haut que toutes les professions de foi.

Il importait cependant de se remuer à Liège, ou faisaient rage contre les candidats gouvernementaux ceux que l'on appelait les industriels, ou encore le parti français annexionniste.

D'ailleurs il ne s'agissait plus de neuf noms comme pour le Congrès : Liège n'avait que quatre représentants à nommer. Ecarter une candidature comme celle de Rogier, c'était faire grand bien aux autres.

Quelques bons amis répandirent le bruit que Rogier préférait arriver à la Chambre par la province d'Anvers dont il était le gouverneur et où il serait sûrement nommé.

N'allait-on pas même jusqu'à exploiter contre lui son acceptation du gouvernement de cette province ! « On fait valoir, lui écrit Lebeau le 22 août, que par ta nomination au gouvernement d'Anvers tes liens avec la province de Liège sont rompus... »

Le comte de Mérode trouvait fort naturel que Rogier fût élu à Anvers et il lui avait même offert son appui de ce côté, tout en lui exprimant le regret (lettre du 26 août) qu'il n'eut pas mieux disposé ses batteries dans ce but. Il reconnaissait que ses occupations et ses soins comme gouverneur, spécialement dans les dernières semaines, avaient dû l'en empêcher. Dans son amitié pour son ancien collègue du gouvernement provisoire, « vivement désireux de le voir à la Chambre des représentants où sa place était marquée », il l'engageait à se laisser porter dans un autre arrondissement de la province, à Turnhout, où lui-même briguait le mandat de sénateur.

Rogier, qui ne voulait point paraître se servir de son influence de gouverneur pour arriver à la Chambre, s'abstint de toute espèce de démarches dans la province d'Anvers. Il se contenta de donner carte blanche à son ami de Mérode pour la candidature à Turnhout. Mais il aurait préféré - faut-il le dire ? - être élu à Liège.

Or, voici qu'à Liège on invoque des engagements « pris antérieurement »... Plus d'un des catholiques avec lesquels Rogier a fait campagne sous le drapeau de l'union, recourt à cette excuse pour ne pas soutenir sa candidature. Nous citerons parmi eux M. Stas, du Courrier de la Meuse, dont Lignac disait le 24 août :

« …J'ai fait sentir à M. Stas que c'était en quelque façon désavouer la révolution de septembre en quelque sorte incarnée en toi. Lebeau s'est joint à moi et a chaleureusement soutenu ta cause. Stas a répondu que s'il y en avait cinq à nommer, il n'hésiterait pas ; qu'il était ton partisan, mais qu'il avait pris des engagements (envers MM. de Gerlache, Raikem, De Behr et Jamme) ; qu'il pensait que tu te ferais porter à Anvers où était ton véritable domicile... »

Demarteau s'exprime dans le même sens que Lignac et ses paroles ont, dans la circonstance, d'autant plus de poids qu'il appartient au parti catholique.

« … Les rédacteurs du Courrier de la Meuse, ou plutôt le parti qu'ils représentent, par suite de votre silence ont pris des engagements qu'ils ne peuvent rompre, malgré toute la bonne volonté qu'ils ont pour vous, malgré toute la haute estime qu'ils professent pour votre caractère. Je fis valoir à 11. Stas qu'en vous préférant M. De Behr, il soumettait une question de parti à une question de personnes. MM. Lebeau et Lignac lui montrèrent que c'était en quelque sorte rompre l'union elle-même ; 11. Stas se retrancha toujours dans l'indécision où vous les avez laissés... »

Il parait que M. Stas, malmené par Lebeau et Lignac, n'avait cessé de protester de sa sympathie pour Rogier et du vif désir qu'il éprouvait de le voir entrer à la Chambre des représentants. Il avait offert de le faire porter à Verviers ; il s'était engagé à écrire le jour même à ses amis d'Anvers pour qu'on le plaçât sur les rangs dans cette ville : ce qui inspirait à Demarteau cette réflexion que tout commentaire ne pourrait que gâter :

« ... Si vos affaires ne m'eussent pas occupé tout entier à ce moment, j'aurais admiré cette puissance du clergé, à la fois si forte et si invisible !... »

Lorsque le 25, en dépit des exhortations de ceux qui, ayant pris des engagements, auraient voulu voir disparaître la candidature de Rogier, lorsque le 25, disons-nous, ses amis sincères manifestèrent l'intention formelle de porter tout de même sa candidature, il y eut des cris d'effroi dans le groupe de M. Stas. Puisque, y disait-on, la liste de l'union était arrêtée - belle union que celle qui, à la faveur d'un malentendu voulu, excluait l'un des chefs de la campagne de 1828 à 1830 ! - puisque la liste était arrêtée, il fallait s'y tenir si on voulait échapper aux malheurs effroyables qu'amènerait un échec. Et comme l'énergie déployée par le parti soi-disant industriel, mais plutôt orangiste ou annexionniste selon l'occasion, était énorme, le groupe Stas suppliait les partisans de Rogier de renoncer à sa candidature, de peur que quelque candidat de ce parti industriel ne passât à la faveur de la division.

Mais Lignac et Demarteau n'en continuaient pas moins à travailler courageusement pour Rogier avec la famille de Chazal. La mère de Rogier était toute surprise, écrit Demarteau le 26 août, de l'activité qu'il fallait déployer. « … Elle croyait qu'il suffisait d'avoir sauvé le pays pour être porté à l'assemblée nationale... » Voilà une phrase qui en dit gros !


De jour en jour, la lutte devenait plus acharnée. Plusieurs listes étaient en présence : quinze candidats se disputaient quatre sièges à la Chambre, deux sièges au Sénat. Quarante-huit heures avant l'élection, Demarteau écrivait à Rogier :

« ... Vous ne pourriez croire combien tous les partis s'agitent et moins encore combien ils sont nombreux ici. Tous les jours, nouvelles réunions chez de nouveaux individus ; attaques dans les journaux, dans les lieux publics ; bruits malicieusement répandus et qu'on se passe de main en main : c'est un vacarme infernal... »

Outre MM. Raikem, de Gerlache, De Behr et Jamme, candidats du Courrier de la Meuse (ou, comme dit Demarteau, du « parti prêtre ») allié à un certain nombre de libéraux, outre Rogier, il y avait en présence MM. de Sauvage, Kaufman (qu'on portait malgré lui), Closset, Leclercq, Surlet de Chokier, d'Oultremont, de Méan, etc.

Pour le travail électoral, Demarteau accordait la palme au « parti prêtre », dans une lettre à Rogier du 28 août :

«... Mais le parti qui manœuvre avec le plus d'habileté est sans contredit le parti prêtre. D'abord, ces messieurs se trouvent dans la position la plus favorable : ils ont dans toutes les communes une milice organisée : les curés, milice infatigable. Aujourd'hui, ces messieurs ont célébré dans toutes les églises une messe du Saint-Esprit pour demander son intervention puissante dans le choix de nos représentants ; et les représentants pour lesquels on appelle l'intervention du Saint-Esprit sont Messieurs de Gerlache, Raikem, Jamme, De Behr, en un mot les candidats du Courrier. Ces messieurs ont fait plus : ils adressent à domicile des bulletins écrits sur lesquels se trouvent les noms que je viens de vous citer... »

Une manœuvre de la dernière heure fit un tort immense à la candidature de Rogier : ce fut la publication et l'envoi à tous les électeurs, par les soins du parti français d'un article du journal L'Escaut qui se prétendait assuré que Rogier accepterait un mandat à Anvers ou à Turnhout.

Que Rogier ait été victime de malentendus ou de roueries, qu'il ait péché lui-même par excès de délicatesse : il n'en est pas moins vrai que ni Liège ni Anvers n'eut l'honneur d'être représenté par lui dans la première législature.

Ecoutons maintenant l'honnête Demarteau :

«... Je me souviens qu'étudiant, dans mon enfance, l'histoire grecque, l'histoire romaine, je ne pouvais croire à ce que l'antiquité nous raconte de la légèreté et de l'ingratitude des peuples ; je regardais ces déclamations des historiens comme des phrases vaines ; mais je viens de reconnaître qu'elles n'étaient que des vérités positives, et malheureusement trop positives. Je viens de m'apercevoir qu'il ne suffit pas de servir un peuple pour en obtenir la reconnaissance ; il faut peut-être faire ce à quoi vous ne consentiriez jamais. Médiocre et rampant et l'on parvient à tout .. » ( 30 août 1831.)

Nous nous serions fait scrupule de ne pas reproduire en son entier ces réflexions si vraies, si justes, d'un homme de cœur ...

Et celles-ci encore d'un autre Liégeois, Van der Meer, qui, comme Demarteau, se souvenait :

« ... Vous avez été écarté par d'incroyables intrigues et une insigne ingratitude. Consolez-vous, car la loi électorale est bien vicieuse. Les électeurs à 70 florins ne sont pas les hommes de la Révolution ; ce sont des hommes à intérêts matériels. Ce n'est pas cette jeunesse que vous avez si bien représentée au Congrès et qui aurait été si fière de l'être encore par vous... »

Il est bien certain que ce n'est pas le corps électoral liégeois de novembre 1830, élargi par les capacités, qui aurait sacrifié Rogier à M. De Behr. Le peuple liégeois n'aurait pas laissé à la province d'Anvers le soin de récompenser l'homme qui avait conduit les volontaires de la cité de Saint-Lambert à la bataille et à la victoire.


Rogier entra à la Chambre des représentants par Turnhout.

Turnhout ! un nom qui ne sonnait pas mal d'ailleurs à l'heure où l'on sortait d'une révolution.

Les fils des patriotes de 1790, des soldats de Van der Mersch ont été bien inspirés en donnant leurs votes au grand patriote de 1830, au commandant des volontaires liégeois.

Le commissaire de l'arrondissement de Turnhout, M. Denef, ancien membre catholique du Congrès, avait été à même d'apprécier Rogier soit au Congrès, soit au Gouvernement provisoire, soit dans l'administration de la province d'Anvers.

Aussitôt que la période électorale fut commencée, il se montra grand partisan de la candidature de Rogier. Le 22 août, il lui écrivait :

« … Dans la conviction intime, mon très cher monsieur le Gouverneur, que vous comprenez très bien la vraie liberté civile et religieuse, je viens de recommander très vivement, par le courrier d'hier, votre élection à mes amis d'Anvers... »

La compréhension exacte de la liberté civile et religieuse, le respect de toutes les croyances, de toutes les opinions, ce sont en effet des titres dont les catholiques du Congrès faisaient unanimement hommage à Rogier, de Mérode comme de Gerlache, Denef comme l'abbé De Foere. Rogier avait le droit d'être fier de leur témoignage. Quelles qu’aient été ses croyances philosophiques et religieuses, qu'il ait été ou non saint-simonien, comme semblent nous autoriser à le penser ses relations intimes avec Leroux et Considerant et des lettres de l'illuminé J. (1), il a toujours été d'une absolue tolérance en religion. En ce qui concerne les devoirs des fonctionnaires politiques, on a pu critiquer ses théories... nous y reviendrons. Mais il n'a jamais eu d'autre fanatisme que le fanatisme de la liberté.

(Note de bas de page. J., un des plus anciens camarades de Rogier, avait pris part aux combats de la Révolution. Devenu fonctionnaire du département de l'intérieur, il fut révoqué par un ministre catholique à cause de ses opinions politiques. Partisan décidé du saint-simonisme, il écrivait à Rogier en 1841 des lettres d'un mysticisme étonnant ; c'était positivement un illuminé. Il serait intéressant d'avoir les réponses de Rogier, qui assurément ne partageait pas son exaltation. Rogier a-t-il appartenu à la franc-maçonnerie ? Deux lettres de maçons lui demandant aide et protection tendraient à nous le faire croire. Cependant, nous ne pouvons rien affirmer à cet égard : peu importe d'ailleurs.)

Denef avait appris par M. Ooms, le procureur du Roi de Turnhout, que Rogier « paraissait douter de sa nomination à Anvers ». Il lui offrit au nom de ses amis, et d'accord avec M. de Mérode, une candidature à Turnhout, « parce qu'il aimait à travailler dans la vue du bien de la patrie » (lettre du 22 août).

Rogier lui répondit qu'il était bien entendu que sa personnalité de gouverneur ne serait pas plus en cause à Turnhout qu'à Anvers. Denef le lui promit :

« ... Ne craignez pas, mon cher, que je ferai valoir l'influence administrative en votre faveur (je n'en ai pas besoin) ; non, mon honoré ami ! J'ai saisi au contraire, lors de la prestation du serment des bourgmestres, l'occasion de leur dire que, ni vous ni moi, nous ne voulions influencer aux élections. » ( 25 août.)

Sur la promesse de Denef, qui entendait bien ne faire entrer en ligne de compte dans ses recommandations aux électeurs, que le patriotisme éclairé de Rogier et sa ferme résolution de coopérer au maintien des libertés civiles et religieuses (25 août) ; sur une promesse semblable du bourgmestre de Westerloo, Peeters, qui écrivait, le 26 août, que la Chambre des députés ne pouvait « être privée des lumières d'un gouverneur aussi libéral et patriote » ; sur l'invitation expresse enfin du comte de Mérode dont nous avons cité la lettre plus haut, Rogier accepta la candidature à Turnhout sans faire de démarches ni de circulaires, et il écrivit à Denef, le 28, que, en cas de double élection à Anvers et à Turnhout, il opterait pour Turnhout.

Malheureusement - toutes les mauvaises chances se sont réunies contre Rogier dans cette première élection législative, une autre candidature, celle du bourgmestre de Gheel, Lebon, présentée avant la sienne, ralliait déjà beaucoup de suffrages. M. Lebon avait bien déclaré qu'il se désisterait, mais au dernier moment il maintint sa candidature. M. Ooms, procureur du Roi à Turnhout, écrivait à Rogier à propos de revirement de M. Lebon :

« ... Les orangistes qui depuis plusieurs semaines remuaient ciel et terre pour faire triompher leur parti, désespérés de voir arriver tant d'électeurs avec la volonté arrêtée de ne porter d'autre candidat que vous, ne voyaient plus d'autre moyen que de chercher à nous diviser : à cet effet, ils ont fait persuader à M. Lebon que vous seriez élu à Anvers et ils l'ont fait engager à se mettre sur les rangs. Quel fut mon étonnement quand j'appris la candidature de M. Lebon ! J'avais fait un voyage exprès à Gheel et il m'avait promis non seulement de ne pas se porter candidat, mais aussi de vous appuyer.. »

Il y eut quelque chose de plus singulier encore dans cette élection de Turnhout : c'est l'attitude qu'une partie du clergé observa vis-à-vis de Rogier. Nous en sommes instruits par M. Ooms, dont Rogier, très frappé du fait, avait transcrit cette phrase sur la feuille de garde du dossier : Elections de 1831 à Turnhout, Liège et Anvers.

«... On a eu soin de faire accroire à quelques jeunes prêtres que vous n'étiez rien moins que favorable au clergé. Ils se sont placés dans toutes les rues et ont distribué des billets préparés d'avance aux paysans ignorants... »

On comprend ainsi qu'il ait eu quelque peine à être nommé et qu'il n'ait pu obtenir un grand nombre de suffrages. (Il y avait deux députés à nomer. Au premier tour, sur 699 votants, Denef obtint 656 suffrages, Lebon 349 et Rogier 227. Il n'y eut que 154 votants au second tour : Rogier obtint 84 voix et Lebon 70).

Ainsi, l'homme qui eût dû être porté au Parlement tout au moins par Liège, Bruxelles et Anvers, par les trois grandes villes qui avaient été les témoins quotidiens presque de son audace, de son intelligente énergie et de son superbe sang-froid, n'y entra que grâce à un bourg de la Campine où il avait à peine mis le pied.

Le lecteur désirera sans doute savoir comment Rogier mentionna cette histoire électorale dans ses Notes et Souvenirs :

« Elections à la Chambre. Porté à Anvers, Liège et Turnhout. Je suis nommé dans cette dernière localité à un tour de ballottage et à un faible nombre de voix. Le procureur du Roi Ooms m'écrit à ce sujet que le jeune clergé a ouvertement travaillé contre moi. A Liège (voir ma correspondance avec Demarteau), je suis abandonné par les catholiques. A Anvers, j'obtiens un assez grand nombre de voix. »

Pas de récriminations ! Il n'y a pas même d'amertume dans le ton... Rien que la constatation des faits.


Les amis de Rogier souffrirent plus que lui de l'ingratitude des Liégeois. Lignac lui écrit le 31 août :

« … Enfin, mon cher Charles, les élections de Turnhout m'ont rendu un peu de courage, car je ne saurais te dire combien j'étais affligé. Attache-toi à la Chambre à attaquer l'ancienne administration de la guerre, tu feras bien d'abord, et ensuite tu pourras reconquérir de ton ancienne popularité. Je te dirai et je t'assure sur mon honneur, que beaucoup de jeunes gens et d'hommes très honorables, électeurs et autres, étaient indignés de voir que tu n'as obtenu qu'un petit nombre de voix. Les suffrages doivent souvent se peser au lieu de se compter... »

(Note de bas de page, au sujet du passage « à attaquer l’ancienne administration de la guerre » : Les esprits les moins prévenus faisaient retomber sur le général de Failly, ministre de la guerre de mai à août 1830, la principale responsabilité de nos désastres. Après ceux qui l'accusaient d'imprévoyance ou d'impéritie - et il ne paraît pas qu'il doive échapper absolument à ce reproche, - il y avait ceux qui l'accusaient bien injustement de trahison. De tristes légendes coururent dans le peuple sur son compte. Les habitants du village des environs de Bruxelles où il passa ses dernières années furent mauvais pour lui. Encore une fois, on a pu suspecter ses talents : mais son honneur est sans tache.)

Demarteau avait fini par s'expliquer comment il se faisait que Rogier eût eu si peu de suffrages chez ses compatriotes : sa candidature avait été comme écrasée entre celles des unionistes et celles du parti français, dans le camp du Courrier de la Meuse comme dans le camp adverse, on avait voté par liste.

La nomination de Rogier à Turnhout avait fini par calmer la douleur du secrétaire, de l'ami :

« .. Je ne saurais vous dire quel plaisir m'a causé la nouvelle de votre nomination à Turnhout. Il était temps qu'elle arrivât : la tournure que les affaires semblaient devoir prendre à Liège m'avait rendu farouche ; j'aurais fini par me retirer dans les bois. Votre lettre m'a mis du baume dans le sang, et a dissipé tout ce que j'avais de sombre dans l'âme... »

On s'en aperçoit bien, quand il décrit les têtes des « candidats industriels » qui ne savent pas se résigner à leur défaite. Il ne peut s'empêcher de rire de la déconfiture de ces gens qui s'en vont maintenant « la tête baissée, l'oreille basse, la figure morne, regardant de côté avec des nez longs comme des bâtons... »

Le succès de ce parti eût pu amener à Liège des événements d'une rare gravité, compromettre tout au moins le succès de la Révolution. Aussi, Demarteau qui savait que le meilleur moyen de faire oublier ses déceptions à Rogier, patriote avant tout, c'était de lui parler de l'échec des « mauvais citoyens », prenait un réel plaisir à lui conter leurs chagrins... et à lui écrire « Maintenant, je suis rassuré pour l'avenir de mon pays ! » (31 août 1831.)