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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre XII. Journées des 9, 10, 11 et 12 septembre 1830. Du jeudi au dimanche

Articles des journaux hollandais. Convocation des sections de la Garde bourgeoise. Commission de sûreté. Elle refuse, son mandat qu'elle prétend dénaturé par la régence. Départ pour Paris des réfugiés français en Belgique. Le 11 la régence rapporte et modifie sa décision de l'avant-veille sur la nature et l'étendue du mandat qu'elle entendait conférer à la commission de sûreté. Démission et protestation de quatre de ses membres. Départ du gouverneur et de plusieurs autres autorités. Les membres méridionaux des deux chambres des États Généraux quittent Bruxelles pour se réunir à Anvers et se rendre de là ensemble à La Haye. Tranquillité factice de Bruxelles. Tendance générale de l'opinion. Ouverture du Théâtre

(page 141) Depuis quinze jours il n'y avait plus à Bruxelles d'autres autorités anciennes que le Gouverneur et la Régence ; mais on a dû s'apercevoir, par ce qu'on vient de lire, leur pouvoir déclinait d'heure en heure, qu'il devenait nul et méprisé, qu'enfin leur présence, leur existence même seraient bientôt plus nuisibles qu'utiles et qu'ils étaient au moment d'être entraînés et remplacés. C'était évident ; sans doute qu'ils ne se le dissimulèrent pas à eux-mêmes et qu'ils songèrent aux moyens de conjurer l'orage ! Mais alors déjà toute force humaine eût été insuffisante ; l'impulsion était irrésistible : on répondait à tout en montrant ses armes.

Les choses étaient dans cet état quand parurent dans les feuilles les deux articles suivants, extraits des journaux hollandais ; le premier était tiré de la feuille officielle (page 142) du gouvernement et semblait être une déclaration authentique ; le second était le langage d'un journal ministériel autorisé et approuvé (V. ci-après, pièces nos 1 et 2.)

En outre d'autres journaux hollandais, fidèles à leurs anciennes bouffonneries aussi stupides que grossières, annoncèrent de prétendus drames qui devaient être représentés à Abdere et où MM. d'Hoogvorst et Van de Weyer rempliraient les rôles de chefs de voleurs et d'incendiaires, MM. de Stassart et de Celles ceux de Mandrin et de Cartouche, où l'on verrait le prince de Ligne écrasé sous un charriot de faro et d'alembic et MM. de Brouckere jouant trois rôles, l'Aristocrate, le Jésuite et l'Athée réunis en une seule personne. Enfin on y disait que nos députés ne représentant plus que des rebelles, n'avaient plus même le droit de siéger à la chambre.

On trouva ce ton si clair et si déterminé que l'on n'hésita plus un instant ; on sentit que l'on était perdu si l'on reculait d'un pas, qu'il fallait des mesures plus fortes, plus décisives, qu'il était temps enfin de placer des chefs en tête du mouvement de Bruxelles qui entrainait évidemment toute la Belgique à sa suite. Que ces chefs devaient donc être placés à Bruxelles, mais qu'avant tout il fallait, ou effacer, ou au moins paralyser les autorités établies.

Il n'entre point dans notre sujet de dire par quelle filière d'idées et de nuances il fallut passer pour en venir là, quelle mesure de gradation fut suivie, quel fut le degré de progression et d'entraînement, et encore bien moins de hasarder des conjectures sur les noms des hommes qui agirent. Nous racontons des faits et rien de plus.

(143) Dès le 8 septembre, et quand on fut bien affermi dans la résolution fondamentale ci-dessus, on songea aux mesures d'exécution, et l'on ne put jeter les yeux à cet égard que sur la Garde bourgeoise, unique dépositaire de la force publique depuis le 25 août et qui représentait d'ailleurs l'opinion et la volonté de toute la population bruxelloise.

Mais il paraît qu'il n'y avait pas de plan arrêté, qu'on voulait se régler un peu d'après les événements, les circonstances ; la pensée d'un gouvernement provisoire fermentait sans doute dès lors dans plusieurs têtes ; mais le mot ne fut pas prononcé ; on lâcha plusieurs fois celui de Comité de salut public ; nous allons voir qu'on finit par en adopter un autre. Voici au surplus la marche suivie.

Dans la matinée du 8 l'état-major de la Garde bourgeoise invita MM. les membres méridionaux des deux chambres des États-Généraux présents à Bruxelles, de se rendre à l'hôtel-de-ville pour se concerter sur les mesures à prendre dans les circonstances critiques où se trouvaient presque toutes les provinces méridionales du royaume. Tous s'y trouvèrent ainsi que plusieurs notables, et après une discussion vive et animée il fut décidé à l'unanimité qu'il était urgent, indispensable de créer sur le champ une Commission de sûreté publique chargée spécialement des objets suivants :

1° Veiller au maintien de la dynastie ;

2° Assurer le maintien du principe de la séparation du nord et du midi ;

\3. Veiller aux intérêts commerciaux et industriels.

Ces points établis, il fut résolu que cette commission (page 144) serait nommée de concert avec la Garde bourgeoise, le gouverneur et la régence. Cette déférence pour un reste d'autorité qu'il s'agissait en même temps de renverser est bien remarquable et peint parfaitement l'époque ; on confondait au surplus entièrement ces deux pouvoirs, le gouverneur et la régence, si séparés, si disparates dans leur nature et leur essence.

Une députation fut aussitôt envoyée au gouverneur et à la régence qui semblaient être réunis et qui répondirent collectivement que, loin de s'opposer à la formation d'une pareille commission, ils l'appelaient au contraire de tous leurs vœux et mettaient à sa disposition tous les moyens qui étaient en leur pouvoir ; que cependant le règlement empêchait qu'ils se rendissent à l'assemblée comme on les y invitait, etc., aveu remarquable de faiblesse et d'impuissance ! A quoi bon cette commission si les magistrats tutélaires du peuple étaient à leur poste et remplissaient leurs fonctions et leurs devoirs ! et de quel droit surtout pouvaient-ils donner par leur assentiment, l'être à une autre autorité, égale ou même supérieure à la leur, et cela tout en invoquant le règlement ? comprendra qui pourra !

Pendant les douze jours de l'existence de la Commission de sûreté de Bruxelles, il n'a jamais été bien déterminé si ses attributions, sa juridiction s'étendaient au-delà des portes de la ville ; cela fut à dessein sans doute laissé dans le vague ; mais on peut conjecturer que l'intervention du gouverneur ne fut invoquée que pour donner une couleur de pouvoir sur toute la province. On ne pouvait pour le moment aller plus loin, malgré le vif désir qu'on laissait entrevoir.

(page 145) Dès qu'on fut certain de la faiblesse des autorités, on se hâta de convoquer au quartier-général, à l'Hôtel-de-Ville, pour le même jour 8 septembre, à six heures du soir, les huit sections bourgeoises de la ville, qui devraient se faire représenter chacune par son commandant, un officier, un sous-officier et un garde, ces trois derniers à élire sur le champ dans chaque section, pour procéder de concert à l'élection de la Commission de sûreté publique. Il paraît que ce fut sur la proposition de M. le comte Vanderburch, major de la garde bourgeoise, qu'il fut décidé que les membres de la commission de sûreté seraient élus par le libre suffrage des sections.

Cette convocation si prompte et si inusitée étonna un peu les bourgeois ; ils n'en comprenaient pas bien l'objet. Les commandants des sections les appelèrent à la hâte aux postes centraux par des affiches placardées aux coins des rues ; à cinq heures on fit partout les élections et à six, les 32 députés des sections se rendirent à l'Hôtel-de-Ville où, réunis aux membres des États-Généraux, à l'état-major de la garde et à plusieurs notables, ils formaient un total d'environ 60 personnes.

La séance s'ouvrit vers sept heures du soir ; M. d'Hoogvorst présidait entouré de son conseil ; M. Vleminckx faisait les fonctions de secrétaire. Chaque chef de section vint successivement déclarer les noms de ses sectionnaires.

Cette opération terminée, M. Van de Weyer exposa les motifs de la convocation et proposa à la réunion de choisir seize candidats, dans les notables de cette ville, parmi lesquels la régence en choisirait huit, pour constituer la Commission de sûreté.

(page 146) Il s'éleva une discussion pour savoir s'il fallait procéder, séance tenante, à cette élection, ou la remettre au lendemain matin.

Une grande majorité décida qu'il y avait urgence et en conséquence, les membres furent priés de se concerter entre eux pour faire, dans ces circonstances difficiles les choix les plus convenables à la chose publique.

La séance fut un instant suspendue. Après une heure d'attente, elle fut reprise, et les bulletins successivement portés dans une urne. MM. Anoul, chef de la sixième section et Michiels, de la huitième étaient scrutateurs.

D'après le résultat du scrutin, furent nommés candidats à la commission de sûreté publique MM.

1 Gendebien, avocat.

2 Rouppe, ancien maire de Bruxelles.

3 Comte Félix de Mérode.

4 Baron Joseph Vanderlinden d'Hoogvorst.

5 Marquis de Chasteler.

6 Frédéric de Sécus.

\7. Duc d'Ursel.

\8. Prince de Ligne.

\9. Ferdinand Meeûs, banquier.

\10. Comte Vilain XIV

\11. S. Van de Weyer, avocat.

12 Ph. Lesbroussart, professeur à l'Athénée.

13 Duc d'Aremberg.

14 P. E. Claes, avocat.

15 Fortamps, aîné, négociant.

16 Spinnael, avocat.

Cette liste fut sur le champ envoyée à la régence avec (page 147) demande instante de faire les choix sans délai et la séance fut levée à onze heures.

La régence était encore assemblée ; elle remit au lendemain à faire connaître ses choix ; mais dès lors il ne fut plus question du gouverneur !

Le 9 au matin le conseil de régence assemblé s'occupa de l'importante mission qu'il avait acceptée ; il ne nous appartient pas de pénétrer le secret des délibérations ; mais on sut dans le public et les journaux en furent les écho , que la discussion fut longue et animée, que l'on fit valoir avec force : 1° tous les arguments qui établissaient la complète incompétence du conseil pour déléguer de tels pouvoirs, la nullité radicale de tout ce qu'il allait décréter en conséquence, etc. ; 2° tous les motifs qui, en supposant une telle capacité dans le conseil, devaient encore lui défendre de prendre cette mesure vu l'existence des autorités constituées, etc., mais que la majorité, dominée par l'influence immense des événements, arrêta d'abord le principe et procéda ensuite au choix des huit membres de la Commission de sûreté parmi les seize candidats qu'on lui avait présentés la veille ; ce furent MM :

Rouppe, ancien maire de Bruxelles

Duc d’Ursen

Gendebien, avocat

Prince de Ligne

Frédéric de Sécus

S. Van de Weyer, avocat

Comte Félix de Mérode

Ferdinand Meeüs, banquier.

(page 148) Cependant il paraît que, dans la lettre d'envoi, la régence modifia les termes du mandat qu'elle donnait à la Commission de sûreté ; qu'elle changea le deuxième paragraphe dans ce sens, qu'au lieu de veiller au maintien du principe de la séparation, la commission n'aurait plus qu'à maintenir le vœu pour la séparation, et qu'au troisième paragraphe, elle ajouta les mots le tout dans l'ordre légal.

Ces modifications excitèrent un vif mécontentement ; les membres nommés se réunirent et décidèrent de refuser un mandat aussi complétement dénaturé ; on assure que, dès le 9, des représentations très vives furent faites au conseil de régence assemblé, qui cependant tint ferme ce jour-là et le lendemain 10, et objecta : « Qu'il s'étonnait de ces menaces de non-acceptation, tandis qu'il circulait une proclamation imprimée et placardée partout, et même insérée dans le journal le Belge du jour, portant en tête Commission de sûreté de Bruxelles, et adressée aux Gardes bourgeoises extérieures, en les engageant à s'organiser sur-le-champ, à former des caisses dont l'excédent de recette serait transmis à la caisse centrale à Bruxelles, etc. ; que le conseil devait donc croire que la Commission de sûreté, loin de refuser, était entrée en fonctions ». Mais il lui fut répondu qu'on désavouait cette proclamation et qu'on persistait dans le refus. Il paraît même que, pendant les nuits du 9 au 10 et du 10 au 11, des menaces sourdes parvinrent au conseil de régence qu'il était question de le rendre responsable de toutes les conséquences de ses œuvres et que même on alla jusqu'à lui faire entendre s'il faisait ainsi le difficile, on finirait se que par passer de lui et qu'on n'en serait que plus légal et plus fort.

(page 149) Le 10 au matin, cinq des huit membres de la commission se réunirent à l'Hôtel-de-Ville (Le prince de Ligne, le duc d'Ursel et M. de Sécus étaient absents). Là, après longue délibération et après avoir mûrement pesé de nouveau tous les termes du procès-verbal de la réunion des sections du 8, et de la lettre de la régence qui les constituait, ils maintinrent leur résolution de refuser, et écrivirent les deux lettres suivantes. (V. ci-après, pièces nos 3 et 4.)

Le conseil de régence dut alors se trouver dans un grand embarras ; il délibéra le 10 et remit au lendemain à prendre une résolution définitive.

Le même jour, 10 septembre, partirent de Bruxelles la plupart des vieillards français exilés de leur patrie depuis près de quinze ans, et qui avaient trouvé l'hospitalité en Belgique. Ils nous quittèrent au milieu de nos troubles pour revoir leurs foyers, où un grand mouvement opéré récemment dans leur pays, leur avait permis d'aller mourir ! ils nous laissèrent leurs vœux et leurs souvenirs ! Sieyes, Merlin, Barrère et dix-huit autres Français dont plusieurs noms sont fameux, quittèrent Bruxelles où ils s'étaient réunis presqu'à la fois et dans un seul jour !

Le 11, le conseil de régence prit enfin un grand parti ; vaincu par la force des choses, débordé de toutes parts, il céda ! On ne voit pas que le gouverneur intervînt dans cette mesure décisive ; mais le conseil rapporta son arrêté de l'avant-veille, sur la nature du mandat donné à la Commission de sûreté : les modifications par lui faites aux termes primitifs de ce mandat disparurent, et par (page 150) suite, les deux pièces suivantes furent publiées et affichées dans la journée. (V. ci-après, no 5 et 6.)

Des bruits circulèrent sur les circonstances qui avaient amené ce résultat ; on parla de protestations de plusieurs membres du conseil contre cette décision ; on ajouta que quatre d'entre eux se retirèrent dès lors, parce que l'assemblée n'était composée que de quatorze membres, et ne pouvait délibérer, d'après son règlement, qu'au nombre de quinze ; on alla même jusqu'à les nommer et y comprendre le bourgmestre. Nous avons dans le temps tenu note de ces bruits que nous rapportons ici, sans garantir leur vérité. Mais toujours est-il trop certain qu'après cette journée, l'autorité de la régence fut plus nulle que jamais, et mème réduite à zéro ! Quant au gouverneur, il vit dès lors que sa place n'était plus à Bruxelles ; il partit le 14, et ce qui l'y détermina sans doute, fut l'affront qu'il reçut le 13, et qui fut rapporté en ces termes par un journal. (V. ci-après, no 7.)

Le bourgmestre et plusieurs autres membres des autorités administratives et judiciaires s'éloignèrent aussi de Bruxelles à la même époque ; la cour supérieure ne siégeait pas ; mais la chambre des vacations du tribunal de première instance, civile et correctionnelle, ne cessa pas un seul jour de rendre la justice ; il en fut de même du tribunal de commerce.

Nos députés partirent pour la plupart de Bruxelles, le 9 et le 10 ; ils se donnèrent rendez-vous à Anvers pour le 11, et partirent en effet ce jour-là d'Anvers pour La Haye, par le bateau à vapeur, au nombre de vingt-sept ou vingt-huit. MM. Demoor, Reyphins et Sandelin étaient (page 151) déjà à La Haye. Nous avons vu que leur détermination de s'y rendre pour le 13, prise ou du moins annoncée subitement le 8, cinq jours après l'annonce d'une détermination contraire, fut bien diversement jugée et appréciée. Les uns y voyaient excès de courtoisie coloré d'un scrupule de légalité ; d'autres, un élan presque chevaleresque, avec mépris de tous dangers ; un petit nombre, un acte réfléchi de patriotisme et de dévouement conciliant leurs serments à la dynastie avec leur fidélité à la cause de la séparation et de leur patrie qu'ils voulaient défendre et soutenir ; d'autres enfin, un acte de faiblesse, presque de trahison, dans l'état des choses, et dont ils devaient subir toutes les conséquences ! L'avenir a déjà paru depuis lors !.... plus tard il prononcera définitivement et en dernier ressort...., lui seul peut le faire !

Bruxelles alors était tranquille, très tranquille ; pas le moindre désordre, pas une contravention ; pas un procès-verbal à dresser ! et pourtant le peuple était armé en partie, mécontent, irrité ! Des étrangers nombreux affluaient dans ses murs pour le défendre, et, certes, ils n'avaient pas toujours été pris dans l'élite de la population ! Malgré cela la confiance renaissait ; les transactions se faisaient ; les boutiques, les marchés étaient ouverts ; la ville reprenait son aspect ordinaire, si plein de vie, d'activité et de richesse. Le Théâtre enfin fut rouvert le 12 et rempli de spectateurs ; on y donnait les Inconsolables ; on y chanta des airs et des couplets patriotiques ; on était content, heureux en apparence ; on se trouvait dans une sorte de temps d'arrêt ; on revoyait avec plaisir (page 152) des étrangers et des émigrés qui rentraient ; Bruxelles semblait alors avoir oublié le passé, négliger le présent et ne pas s'inquiéter de l'avenir !

Mais il était aisé de voir que tout cela n'était au fond que temporaire et factice ; la foudre grondait au loin ; on était sur un volcan ; l'explosion devait se faire, bien peu de jours, bien peu d'heures plus tard !

A la veille de l'ouverture des Etats-Généraux extraordinaires, lorsque tout commandait la patience et le calme, un journal hollandais (le Nederlandsche gedachten du 11 septembre) s'écriait : « Plus de pourparlers, plus de négociations qu'appuyées avec le canon ! guerre aux rebelles, etc. ! » et nos journaux de répéter !

Le même jour, la pièce suivante fut répandue avec profusion à Bruxelles, affichée partout et insérée dans les feuilles publiques. (V. ci-après, no 8.) Elle ne portait aucune signature.

D'un autre côté, la ville prenait partout un aspect guerrier. Les barricades du 31 août, loin d'être détruites avaient été renforcées ; leur nombre avait été augmenté et excéda bientôt cent ; il y avait en outre des tranchées, des arbres des boulevards abattus, etc. ; on distribuait partout des cartouches, des armes, des fusils, qui arrivaient sans cesse de Liége et d'ailleurs ; les canons étaient réparés, en bon état, et formaient dès lors une batterie de six pièces, bien approvisionnée et bien servie. On savait que l'armée ennemie était à deux lieues, nombreuse et redoutable, surtout en cavalerie et nous n'avions pas un cheval à lui opposer ! Tout devenait incertitude et conjectures ; des bruits d'intervention armée (page 152) circulaient ; des forces prussiennes marchaient vers le Rhin, disait-on. On lut dans les journaux la lettre de M. de Potter où il dit que si le roi sonne ses trompettes, les Belges sonneront leurs tocsins ! On se répéta que les membres septentrionaux des États-Généraux allaient circonvenir leurs collègues du Midi ; qu'on temporiserait pour laisser le temps aux Belges de s'affaiblir par le fléau de la guerre civile ; on ajoutait que si Gand se taisait, c'était qu'il avait reçu deux millions de florins pour ne pas parler ; que le commerce d'Anvers avait été forcé de s'opposer à la séparation ; que Malines était comprimé, mais que, sauf les forteresses, le drapeau brabançon planait sur toute la Belgique ; on dévorait les journaux ; on accueillait de préférence tout ce qui pouvait tendre à l'exaltation ; c'était une disposition universelle.

La pièce suivante affichée le 9, prouve que, dès lors, les soldats belges quittaient toujours les rangs ennemis et se rendaient de toutes parts à Bruxelles, où était déjà établi un centre d'organisation. (V. no 9. )

Celle sous le no 10 démontre quel était alors le degré d'autorité de la garde bourgeoise et le degré de mépris où était tombée celle de la régence à qui on ne laissait que les soins secondaires. (V. les nos 11, 12 et 13.)


Pièces publiées ou connues à Bruxelles du 9 au 12 septembre 1830

No 1. Extrait du Staats-Courant, journal officiel, du 7 septembre.

Le roi ayant appris avec indignation la continuation de la mutinerie et de la résistance à l'autorité légale dans quelques (page 154) endroits, (in enkele plaatsen) du Brabant méridional et de Liége, s'est cru obligé, en attendant le résultat des délibérations des États-Généraux, de donner les ordres les plus forts, dans les cantons où la tranquillité n'a pas encore été troublée et dans les places fortes du royaume, pour préserver la population honnête et les forteresses contre toute insurrection. Dans cette vue, les officiers supérieurs de l'armée et les commandants des places fortes ont reçu la plus énergique recommandation de n'épargner ni soins, ni mesures qui pourraient tendre au maintien du repos, et, s'il le faut, de repousser la force par la force et à main armée.

En outre, les gouverneurs des provinces ont été munis d'instructions qui ont pour but d'empêcher que des mutins, animés d'intentions perverses, ne répandent des germes de discorde et de défiance et ne minent sourdement le bonheur des paisibles et braves habitants.

Tous les habitants bien pensants, dans quelque partie du royaume qu'ils se trouvent, qui se rallient autour de la loi et de l'ordre, peuvent donc être assurés que leurs propriétés seront protégées, leurs droits défendus, et que leurs intérêts ne seront pas abandonnés à la violence ou à la perversité. La confiance dans la meilleure partie du peuple néerlandais qui forme partout la grande majorité fortifie cette assurance.


N° 2. Extrait de l'Arnemsche-Courant, du 7 septembre

Les révoltés demandent la séparation des deux parties du royaume. Ils refusent même de crier avec le prince d'Orange, vive le roi, si ce vœu n'est pas satisfait. Qui donc demande cette séparation ? Les représentants de toute la Belgique ? Non ! Ce sont à peine quelques bourgeois révoltés de Bruxelles et de Liége, avec sept membres des États-Généraux, parmi lesquels se trouve le méprisable de Celles.

Ce vœu exprimé de la sorte et manifesté d'une manière si (page 155) séditieuse à l'héritier de la couronne, ce vœu contraire à une décision des hautes puissances, conservatrice du repos de l'Europe, consacrée par le sang versé à Waterloo, ce vœu sera-t-il écouté le moins du monde par le descendant de Guillaume Ier et de Guillaume II qui ont eu de rudes bordées à soutenir ? Ce vœu pourra-t-il l'emporter contre l'esprit de toutes les provinces hollandaises, qui ont en réserve du sang pur pour la bonne cause ? Contre l'excellent esprit de toute la Flandre, et le silence du Hainaut ? Ce ne peut être là l'objet d'une demande auprès de père Guillaume. Aux armes ! A bas les rebelles ! Sang de rebelles n'est pas sang de frères ! Voilà le langage qui retentit dans tous les cœurs des habitants de la Hollande, la Gueldre, la Frise, Groningue, Utrecht, du Brabant septentrional et de la majorité des Flamands.

Le vœu des rebelles sera-t-il néanmoins exaucé, parce que des traîtres tels qu'un d'Hoogvorst, un de Celles, un de Sécus et un de Brouckere, avec la populace excitée par eux, ont l'impudence de traiter indignement le héros des Quatre-Bras et de Waterloo ? Qui nous garantit que, si aujourd'hui une ville ou deux villes s'obstinent à manifester des désirs insolents, d'autres villes ne viendront pas demain faire des vœux aussi indignes et impudents, et les manifester par le pillage, le meurtre et l'incendie. Où tout cela conduit-il la société ? etc.


N° 3. A MM. Les membres de la régence

MESSIEURS,

Les sections ayant été réunies par suite de votre lettre du 8 septembre ont nommé seize candidats dont le mandat était déterminé, et par la lettre de M. le commandant en chef et par votre réponse. Par votre délibération du 9 de ce mois, les termes de ce mandat sont dénaturés. En conséquence, nous croyons, Messieurs, que nous ne pouvons, sans manquer à ce que nous (page 156) devons à nos concitoyens, accepter la mission qui nous avait été déléguée.

Nous vous prions d'accepter l'expression de nos regrets et de nos sentiments distingués.

Bruxelles, le 10 septembre 1830.

A. GENDEBIEN ; FERD. MEEUS ; comte FÉLIX DE MÉRODE ; SYLVAIN VAN DE WEYER ; ROUPPE.


No 4. A M. le commandant de la garde bourgeoise de Bruxelles

MONSIEUR LE COMMANDANT,

Nous avons l'honneur de vous faire parvenir copie de notre lettre à MM. les membres du conseil de régence, par laquelle nous déclarons que nous ne pouvons accepter la mission qui nous avait été déléguée. Vous apprécierez, Monsieur le commandant, les raisons qui nous ont fait prendre cette détermination. Nous vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments distingués.

Bruxelles, le 10 septembre 1830.

A. GENDEBIEN ; FERD. MEEUS ; comte FELIX DE MÉRODE ; SYLVAIN VAN DE WEYER ; ROUPPE.


N° 5. Proclamation

Habitants de Bruxelles, une commission de sûreté publique vient d'être installée. Nous portons à votre connaissance la pièce officielle qui la constitue.

« Le conseil de régence réuni en assemblée permanente, en nommant la commission de sûreté publique, avait cru devoir s'attacher aux termes mêmes dont il s'était servi dans la proclamation où il manifestait le vœu de la séparation du nord et du midi. Cependant, d'après les observations qui lui (page 157) ont été faites, il pense que, tout en maintenant pour la régence le vœu qu'elle a exprimé, il ne peut cependant pas changer les termes du mandat primitif.

En conséquence, et eu égard aux circonstances, le conseil prend la résolution ci-jointe, savoir :

De concourir à la formation d'une commission de sûreté publique pour la ville de Bruxelles, chargée :

a. D'assurer le maintien de la dynastie ;

b. De maintenir le principe de la séparation du nord et du midi ;

c. De prendre enfin les mesures nécessaires dans l'intérêt du commerce, de l'industrie et de l'ordre public.

Pour arriver à l'établissement et à l'entrée en fonctions de cette commission, le conseil donne son suffrage aux huit personnes dont les noms suivent savoir : MM. Rouppe, le duc d'Ursel, Gendebien, le prince de Ligne, Frédéric de Sécus, Van de Weyer, le comte Félix de Mérode et Ferdinand Meeus.

Fait en séance du conseil, à l'Hôtel-de-Ville de Bruxelles, le 11 septembre 1830.

DELVAUX DE SAIVE.

Par ordonnance : P. CUYLEN, Secrétaire.

Habitans de Bruxelles, vous aurez de la confiance dans les hommes choisis par les représentants de vos sections ; soyez persuadés que rien ne sera négligé par eux pour maintenir l'ordre public et assurer vos libertés.

Le commandant en chef de la garde bourgeoise,

Baron VANDERLINDEN D'HOOGVORST.

Par ordonnance : le secrétaire, J. NICOLAY.


N° 6. Proclamation

La Commission de sûreté publique aux t de Bruxelles.

Habitants de Bruxelles !

La commission de sûreté, choisie par les sections, et nommée par la régence, est installée.

Elle vous engage à attendre avec calme le résultat de l'ouverture des états-généraux, persuadés que vous devez être, que les députés des provinces méridionales soutiendront en loyaux mandataires, les vœux de ces provinces.

Elle engage les étrangers à rentrer dans leur domicile. Aide, protection et sûreté leur sont assurés. Elle les prévient, en conséquence, qu'ils auront à se faire inscrire, avant le 20 du mois, au bureau établi à cette fin à l'Hôtel-de-Ville. Cette mesure, toute de protection, n'a point pour objet de les soumettre à un service public.

Elle vient d'acquérir la certitude, qu'à partir de lundi prochain, les ouvriers sans occupation seront admis à travailler au boulevard entre la porte de Halle et celle d'Anderlecht.

Elle invite cependant les chefs d'ateliers à conserver du travail à leurs ouvriers.

Elle a invité la régence, dans l'intérêt du commerce, à faire achever au plus tôt les travaux du canal, et à annoncer l'époque de son ouverture, afin de rétablir les communications commerciales.

Elle prendra toutes les mesures nécessaires, en s'assurant du commun accord des autres villes, pour le maintien de la dynastie et de la tranquillité publique, et pour faire converger les opinions et les efforts des citoyens vers un même but patriotique, en sorte qu'ils ne soient détournés de cet intérêt légitime par aucune influence étrangère.

Fait à Bruxelles, le 11 septembre 1830.

Comte FÉLIX DE MÉRODE, A GENDEBIEN, ROUPPE, F. MEEUS, SYLVAIN VAN DE WEYER.


No 7.

Un courrier est arrivé ce matin 13 de La Haye en cette ville ; on le prétendait porteur de dépêches pour M. le gouverneur Vanderfosse. L'état-major de la ville ayant présumé que ces dépêches pouvaient contenir les instructions qui, d'après le Staats-Courant, ont été adressées à tous les gouverneurs des (page 159) provinces pour s'opposer aux perturbateurs, a envoyé ce matin MM. Gendebien et Van de Weyer en députation auprès de M. Vanderfosse pour s'informer du contenu de ces dépêches : ce fonctionnaire a affirmé sur l'honneur qu'aucun courrier ou aucune dépêche ne lui était parvenue.

Courrier des Pays-Bas.


No 8. Braves concitoyens

La proclamation du gouvernement vous est connue ; il semble se refuser à nos vœux légitimes ; au lieu de contribuer avec nous au maintien de l'ordre et à la consolidation de la dynastie régnante, il ne recule pas devant la possibilité d'une guerre civile et ébranle lui-même ce que nous voulions raffermir. Eh bien ! que son obstination porte sa peine. Braves concitoyens, l'avenir de la Belgique dépend désormais de nos efforts et de notre courage. La proposition de la séparation des provinces. du Nord et de celles du Midi avec le maintien de l'intégrité nationale, voilà l'étendard sous lequel il faut que tous nous venions nous ranger : là est le salut de la patrie, là est la garantie suprême de nos droits trop longtemps méconnus, de nos libertés trop longtemps foulées aux pieds. Mais pour atteindre notre but, pour voir réaliser nos espérances les plus vives, il faut du patriotisme, du dévouement. L'Europe à les yeux sur nous, braves concitoyens ! Jusqu'ici elle a admiré l'élan énergique de quelques-unes de nos villes ; que cet élan se propage, qu'il s'exalte ! Belgique ! Liberté ! voilà notre cri ; il est celui de tout homme qui sent battre dans son sein un cœur de citoyen. Indépendance, séparation d'intérêts incompatibles, union pour une commune défense, tel est le vœu émis par tout ce que nos provinces renferment d'hommes honorables, de députés consciencieux, de régences éclairées !

L'heure avance, braves concitoyens, où notre sort sera décidé ; si nous ne prenons la ferme résolution de triompher, quels que (page 160) soient les obstacles, cette heure sera suprême ; ce sera un tocsin de mort dont le dernier retentissement sera pour nous tous un signal de servitude. Si, au contraire, nous demeurons résolus, unis, confiants surtout dans la justice de notre noble cause, c'est à nous que la Belgique devra sa délivrance et son avenir. Mais, aux résolutions fortes, il faut au besoin faire succéder l'action prompte, énergique. Bruxelles est le théâtre où se décident en ce moment nos destinées ; c'est là qu'il faut porter secours au besoin ; secourir Bruxelles, c'est secourir vos foyers et vos familles. Si Bruxelles succombe sous les coups de la Hollande, vous succomberez avec lui. Braves concitoyens, accourez donc vers vos frères au moment du danger ; que le premier coup de feu tiré contre eux soit pour vous le signal de marcher sur Bruxelles. On compte sur vous ; vous ne trahirez pas l'espoir d'une généreuse cité qui, la première, arbora le drapeau tricolore brabançon, à l'ombre duquel se fonderont et se consolideront nos libertés.


N° 9.

Le commandant de la troupe casernée au Petit-Château, prévient tout fournisseur quelconque, tels que boucher, boulanger, marchand de charbons et autres que, puisqu'il est payé journellement soixante centimes pour la nourriture de chaque homme, ils ne peuvent accorder aucun crédit. Par conséquent, en contrevenant audit avertissement, ils en seront pour leurs frais.

Bruxelles, 9 septembre 1830.

CH. DE NIEUPORT.


N° 10. Ordre du jour

L'état-major et le conseil de la garde bourgeoise, instruits que des inquiétudes se manifestaient relativement aux difficultés qu'aurait momentanément éprouvées l'échange des billets au (page 161) porteur de la banque de Bruxelles, ont cru de leur devoir de vérifier les faits. Il résulte des informations positives qu'ils ont recueillies, que ces difficultés proviennent uniquement, soit de quelques mesures de précaution que la direction de la banque ne pouvait se dispenser de prendre dans les circonstances actuelles, soit de l'affluence des porteurs de billets qu'un instant d'alarme avait dirigés durant quelques jours vers la banque.

L'état-major et le conseil ont acquis la certitude complète que les détenteurs de billets n'ont aucune raison, aucun prétexte de s'inquiéter ; déjà les principaux négociants viennent de s'engager entre eux et dans l'intérêt du commerce en général, à accepter ces billets en paiement ; enfin il vient d'être enjoint à tout receveur des deniers publics et taxes de les recevoir aussi en paiement des taxes et contributions de toute espèce.

Au quartier général de l'Hôtel-de-Ville, le 10 septembre 1830.

Le commandant en chef de la garde bourgeoise,

Baron VANDERLINDEN D'HOOG VORST.

Par ordonnance :

Le secrétaire NICOLAY.


No 11. Régence de la ville de Bruxelles

Avis pour les ouvriers.

Le bourgmestre et les échevins préviennent les ouvriers actuellement sans occupation, que lundi prochain, 13 du mois de septembre courant, commenceront les travaux du boulevard entre la porte de Halle et celle d'Anderlecht.

Les ouvriers de Bruxelles seront seuls admis à ces travaux ; ils devront prouver qu'ils sont de Bruxelles par un certificat du commissaire de police ou du maître des pauvres.

Le salaire des ouvriers, âgés de plus de 18 ans, sera provisoirement de 50 cents par jour, et de 25 cents pour ceux de 14 à 18 ans.

Fait en séance du Conseil de régence, le 11 septembre 1830.

L. DE WELLENS.

Par ordonnance : Le secrétaire, P. CUYLEN.


N° 12.

Bruxelles, 11 septembre.

Le commandant en chef de la garde bourgeoise apprend avec peine que des bourgeois se font remplacer dans le service de la garde, par des individus qui n'offrent pas toutes les garanties désirables. Il croit devoir prévenir ses concitoyens que, chargé de l'organisation de la garde, il ne saurait permettre qu'un pareil principe puisse prévaloir, et engage la brave bourgeoisie à continuer personnellement un service qui doit assurer le maintien du bon ordre et les libertés publiques.

Le commandant en chef, baron VANDERLINDEN D'HOOGVORST.

Par ordonnance, le secrétaire, J. NICOLAY.


No 13. Régence de la ville de Bruxelles

Attendu que la tranquillité publique est rétablie au point que les établissements publics et notamment le théâtre peuvent être ouverts de nouveau.

Ont résolu :

La cloche de retraite, jusqu'aujourd'hui sonnée à dix heures du soir, ne le sera plus qu'à onze, le tout jusqu'à ultérieure disposition.

J. VAN GAMMEREN, échevin.

Par ordonnance : le secrétaire, P. CUYLEN.