(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)
Situation de Bruxelles après le départ du prince et des troupes. Adhésion de la régence de Bruxelles au vœu émis pour la séparation. Arrivée du premier détachement liégeois. - Premiers mouvements dans plusieurs autres villes de la Belgique. Nouvelles de Londres et de Paris.
(page 103) Bruxelles entièrement abandonné à lui-même, exigeait un redoublement d'activité et de dévouement dans le service de la garde bourgeoise ; aussi ne resta-t-elle point en arrière et remplit-elle dignement sa mission ; mais on doit ajouter qu'elle n'eut jamais à prévenir, ni à réprimer des délits privés ; il ne s'en commettait plus ! Depuis le grand mouvement du 26 août, il n'y avait plus de vols, plus de rixes particulières, jadis si fréquentes ! (page 104) cependant il n'y avait plus de police non plus, ou du moins elle restait inaperçue. Le commissaire de police Barbier fut chargé par la régence, par interim, des fonctions de M. de Knyff, et tentait de les remplir ; mais tout était absorbé par les intérêts publics ; le reste était si secondaire qu'on y pensait à peine ; au surplus la garde bourgeoise était partout, pourvoyait à tout, et l'un des aides-de-camp de son chef, M. l'avocat Plaisant, chargé du maintien de la sûreté intérieure, y veillait avec un zèle non interrompu qui fut couronné d'un entier succès. Les ordres du jour émanés du quartier-général se succédaient rapidement et complétaient l'organisation définitive de la Garde bourgeoise comme si elle eût dû être stable et éternelle ! Nous ferons connaître quelques-uns de ces ordres du jour organiques des postes, des compagnies, etc. ; et nous insérons ci-après, sous les nos 1, 2 et 3, trois actes émanés de ses chefs ce jour-là ; le 2me est surtout remarquable ; M. Meeûs reçut dans les vingt-quatre heures les dix souscriptions mentionnées, et fut le 27 bien mal payé de son dévouement ! on était loin de prévoir alors que, dès le 20 de ce mois, tout cela devait disparaître et s'écrouler !
La Régence dès lors entraînée suivit ce jour-là le torrent général, adhéra au vœu pour la séparation et fit en conséquence publier la pièce suivante (V. ci-après no 4.)
Le mouvement devenait alors plus complet, plus prononcé dans la plupart des villes de la Belgique ; on y apprenait, on y commentait les événements de Bruxelles ; les esprits s'agitaient et se préparaient par une sorte d'exemple et d'émulation ; presque partout, même dans (page 105) les places de guerre, les autorités étaient forcées, non seulement de souffrir la réunion et l'organisation des Gardes bourgeoises, mais même de les provoquer elles-mêmes pour contenir l'effervescence populaire dirigée en résultat contre le système et certaines mesures du gouvernement hollandais. A Mons, une Garde bourgeoise se forme et envoie une députation assurer les Bruxellois de son secours ; à Bruges, patrie de de Potter, on crie : Vive notre compatriote, vivent les Bruxellois, et le sang coule dans une première émeute où la troupe fait feu sur le peuple sans une absolue nécessité ; mais il y eut aussi des excès, des pillages ! la maison de M. Sandelin, président du tribunal et membre des Etats-Généraux, fut dévastée et incendiée, comme elle l'avait été 16 ans auparavant quand elle était occupée par son propriétaire, M. Marlier, prétendu partisan de Napoléon ! A Verviers on pille, on dévaste ; à peine respecte-t-on les manufactures, le sang coule !... Il en est de même à Louvain où le commandant Gaillard se rendit odieux et dut fuir pour avoir fait tirer en traître sur les habitants qui chassent et désarment dès lors la garnison et promettent de venir au secours de Bruxelles ; Namur s'agite ; à Anvers même, les bourgeois doivent tirer sur la populace et 8 à 10 hommes sont tués ou blessés ; mais rien n'est comparable au zèle et au patriotisme des Liégeois ; au premier récit de ce qui se passe à Bruxelles, ils se réunissent, s'organisent, se procurent des armes, des fusils, des canons, et sans rien promettre aux Bruxellois, ils font plus ! ils partent, ils arrivent, en divers détachements, prennent des routes de traverse pour éviter la garnison de Louvain, se recrutent en route, surtout à Jodoigne, et parviennent dès (page 106) le 4 à Bruxelles, avec 2 pièces de canons attelées, sur l'une desquelles on vit le fameux Charlier, dit jambe de bois, à califourchon ; ils étaient en tout au nombre de 300 environ, commandés par Mrs Rogier et de Bors ; ils amenaient avec eux des caisses d'armes et de fusils ; ils furent accueillis avec enthousiasme ; ils furent fêtés et embrassés. Un ordre de l'état-major bourgeois leur indiqua la caserne Sainte Élisabeth pour poste central ; ils s'y établissent ; partagent le poste d'honneur de l'Hôtel-de-Ville avec les Bruxellois, et soumis militairement à leurs chefs, observent et maintiennent la plus sévère discipline ; dans vingt jours nous parlerons de leur bravoure !
Le drapeau Liégeois était rouge et jaune ; il était surmonté d'une hache à deux tranchants et portait ces mots : Vaincre ou mourir pour Bruxelles ; l'uniforme était une blouse bleue avec ceinture, et une casquette avec les lettres L. G. ; il fut le type de celui de presque toutes les Gardes bourgeoises dont des détachements se rendirent successivement à Bruxelles dans la suite.
L'arrivée des Liégeois à Bruxelles est un fait marquant. Ils eurent une grande influence sur tous les événements, et ils la méritèrent par leur désintéressement, leur patriotisme, leur courage. On les a comparés bien à tort aux Marseillais arrivés à Paris, en 1792 ! Les Liégeois ont toujours été au poste de l'honneur ! les discours prononcés par leurs chefs dans les banquets qui leur furent offerts, et que les journaux ont répétés, ont fait connaître leur énergie et leur éloquence autant que la pureté de leurs vues et de leur conduite.
Mais une remarque essentielle, presque inexplicable, (page 107) c'est qu'ils se réunirent, s'organisèrent, s'armèrent à Liége et en partirent, sans que le gouverneur, la régence, les généraux s'en aperçurent ou voulurent s'en apercevoir ; qu'ils traversèrent ainsi armés plus de vingt lieues de pays près de forteresses occupées par de fortes garnisons sans rencontrer un seul obstacle, un seul soldat ; enfin qu'ils arrivèrent à Bruxelles, s'y logèrent, y furent admis et bien venus, sans que, ni le gouverneur, ni la régence, s'en inquiétassent en aucune manière ! On livre ce fait étonnant aux méditations des contemporains ! il prouve surtout que dès lors le mouvement était irrésistible.
Le même jour arriva aussi un détachement du village de Jemappes avec quatre canons de si petit calibre qu'on eut l'air de s'en moquer. Du 23 au 26 les Hollandais ne s'en moquèrent pas !
L'impulsion était donnée. Chaque jour sans exception vit de nouveaux auxiliaires entrer dans Bruxelles ; leur nombre fut bientôt si considérable, qu'il fallut les loger chez les bourgeois ; nous verrons qu'au moment de la bataille des quatre grands jours il s'élevait à 3000 environ. Ce chiffre même ne tarda pas à être quadruplé.
Les journaux de Londres et de Paris arrivés ce jour-là, rendirent compte de l'impression faite dans ces deux villes par les nouvelles des événements de Bruxelles, du 25 et du 26 août ; elle était bien loin d'être défavorable aux Bruxellois ; on exprimait déjà des vœux pour eux ; on y lisait aussi l'accueil fait à M. de Potter à Paris, les détails intéressants du banquet qui fut offert aux bannis par les Parisiens, le 31 août, et pendant lequel le baiser (page 108) fraternel fut donné à de Potter par La Fayette et Bowring ; enfin ils nous apprenaient que la députation anglaise envoyée près du peuple français pour le féliciter des événements de juillet, avait aussi été complimenter M. de Potter sur les événements de Bruxelles du mois d'août. Toutes ces nouvelles redoublèrent l'enthousiasme des Bruxellois. Elles tendaient à faire écarter toute idée d'intervention étrangère dans nos différends intérieurs ; on attendit avec plus de confiance que jamais des nouvelles de La Haye, et la réponse à la mission du prince d'Orange ; le commerce supporta la crise avec calme, et chacun chercha à soulager la misère des classes inférieures qui faisait des progrès alarmants ; c'étaient les deux funestes mais infaillibles résultats d'une commotion due à l'imprévoyance humaine !
M. van Halen fit publier le même jour la lettre que nous insérons ci-après, sous le no 5, et M. Bayet de Liége, celle sous le n° 6.
Pièces publiées le 4 septembre
No1. Proclamation
Vu l'augmentation de responsabilité qui pèse sur la Garde bourgeoise par le départ de la garnison, M. le Commandant en chef invite tous les bons citoyens qui ne sont pas encore inscrits sur les contrôles de la Garde, de vouloir bien remplir ce devoir.
Bruxelles, le 4 septembre 1830.
Le Commandant en chef de la Garde bourgeoise,
Baron VANDERLINDEN D'HOOGVORST.
No 2. Avis
(page 109) L'établissement d'une caisse destinée à pourvoir au service et aux besoins de la Garde bourgeoise ayant été jugé nécessaire, les citoyens qui voudraient concourir à cette œuvre patriotique, sont invités à déposer leur offrande chez M. Ferdinand Meeûs, près de la porte de Schaerbeek, lequel est autorisé à la recevoir.
Souscription du 4 septembre.
Comte de Celles, fl. 472-50.
De Brouckere, fl. 250
Le Hon, fl. 250
De Langhe, fl. 75
Gendebien, fl. 150
De Bousies, fl. 75
Duc d'Aremberg, fl. 1000
Félix de Mérode, fl. 472-50
Henri de Mérode, fl. 472-50.
Comte de Lalaing, fl. 200.
Bruxelles, le 4 septembre 1830.
Pour le Commandant en chef de la Garde bourgeoise, Baron VANDERSMISSEN, Commandant en second.
N° 3.
Le vicomte de Nieuport, aide-de-camp du commandant en chef, ancien capitaine au 7e bataillon belge, désirant, autant qu'il est en son pouvoir, se rendre utile à la brave Garde bourgeoise de Bruxelles, prévient qu'à dater d'aujourd'hui, il se rendra tous les jours de 6 à 8 heures du matin à la Place St-Michel ; d'une à deux heures de relevée au Petit-Sablon, et de 5 å 7 heures du soir, au boulevard, derrière le Palais de S. A. R. le prince d'Orange, pour enseigner le maniement d'armes mais il prévient qu'il ne veut y commander que des hommes de bonne volonté, et qu'un chacun peut se retirer au moment des repos intermédiaires.
Bruxelles, le 4 septembre 1830.
Le Commandant en second, baron VANDERSMISSEN.
No 4. Proclamation
Le conseil de régence de la ville de Bruxelles, s'empresse de porter à la connaissance de ses concitoyens l'adresse qu'il vient d'envoyer à Sa Majesté, par courrier extraordinaire.
Adresse à S. M. le Roi des Pays-Bas, Prince d'Orange-Nassau, Grand-Duc de Luxembourg, etc., etc., etc.
Sire,
« Le conseil de régence de la ville de Bruxelles, réuni en assemblée permanente, ayant reconnu les causes des mouvements extraordinaires qui agitent cette ville et la Belgique, s'est convaincu qu'ils prennent leur source dans le désir de voir établir une séparation entre les provinces du Midi et du Nord ».
« Il adhère complètement aux vœux des Belges qui viennent de vous être transmis, Sire, par Son Altesse Royale Monseigneur le Prince d'Orange ».
« Il supplie Votre Majesté de les exaucer et d'être intimément convaincue que le maintien de la dynastie des Nassau n'a pas cessé un instant d'être son vœu et celui de la généralité des habitans de cette résidence ».
Bruxelles, le 4 septembre 1830.
Les Bourgmestre et Échevins, L. DE WELLENS.
Par ordonnance : P. CUYLEN, Sec.
N° 5. Aux rédacteurs du Courrier des Pays-Bas
Bruxelles, 4 septembre 1830.
Je crois avoir rendu un service bien faible mais fort honorable à votre belle cause, en me trouvant parmi les trente (page 111) premiers habitants qui ont demandé des armes pour former votre BRAVE GARDE BOURGEOISE, dans le moment critique de la matinée du 26 août.
Mais cette conduite ayant été représentée d'une manière défavorable par la légation du roi Ferdinand VII, qui réside en cette ville, je crois avoir droit de me plaindre des bruits infâmants. que l'on s'est plu à répandre en me représentant comme ayant figuré à la tête des bandes désorganisatrices auxquelles on doit les scènes de désordre et d'incendie de la première nuit.
Ma vie politique est heureusement connue depuis assez longtemps sur le sol hospitalier de la Belgique, pour que j'aie pu me dispenser de répondre autrement que par le mépris ; mais, Messieurs, les rapports de ces agents sur le compte des Espagnols qui souffrent d'un trop long exil, vont au loin. Mes parents et mes amis de Madrid, dont j'ambitionne trop l'estime, ne me permettent pas de laisser sans démenti d'aussi calomnieuses imputations.
N'ayant et ne voulant jamais avoir avec une telle espèce d'agents d'autres rapports que ceux que pourrait dicter l'honneur, j'ose, messieurs, vous prier de rendre publiques ces lignes par la voie de votre courageux journal.
J'ai l'honneur, etc.
JUAN VAN HALEN.
N° 6. Aux Rédacteurs du Courrier des Pays-Bas
Messieurs,
Interprète de mes concitoyens près des braves Bruxellois, je ne chercherai pas à exprimer tous les sentiments de sympathie, de reconnaissance et de fraternité qu'à fait naître au fond de nos cœurs leur accueil vraiment patriotique ; mais je leur dirai qu'au jour du danger, les Liégeois viendront combattre sous leur bannière pour la défense des droits que réclame la Belgique, et qu'ils n'épargneront pas un sang qu'ils ont toujours été prêts à verser pour la liberté.
Bruxelles, 4 septembre 1830.
AD. BAYET.