(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)
Proclamation des membres des États-Généraux présents à Bruxelles, sur la séparation. Leur résolution de ne pas se rendre à La Haye. Départ du prince d'Orange et de toutes les troupes. Dissolution de la commission consultative par lui nommée l'avant-veille
(page 96) Le prince reçut une foule de monde dans la matinée, entre autres la députation de Liége ; la commission consultative était réunie, et à neuf heures du matin, il ne songeait point sans doute à quitter Bruxelles ce jour-là, pas plus que quand il se détermina à entrer dans cette ville l'avant-veille.
Mais les événements de la nuit et la progression toujours croissante de l'effervescence, changeaient d'heure en heure la face des choses et la position des hommes.
On prononçait partout le mot de séparation ; les membres des Etats-Généraux présents à Bruxelles, conféraient avec le Prince qui avait pu apprendre d'eux-mêmes, leur détermination de ne point se rendre à La Haye le 13, et de faire publier sur-le-champ la proclamation insérée ci-après, no 1. C'était un pas immense. Le Prince avait dû en être frappé, ainsi que de l'unanimité d'opinion qui se manifesta dans la commission consultative sur l'affirmative de la question de séparation ; il reçut son travail dans la matinée.
Les rapports les plus alarmants se succédaient de minute en minute. Enfin, vers onze heures du matin, les (page 97) chefs de la garde bourgeoise vinrent lui déclarer avec fermeté : « Que la veille encore, ils avaient répondu de sa sûreté sur leur tête ; qu'ils ne pouvaient plus offrir la même assurance ; qu'ils se croyaient donc obligés par devoir, de donner à Son Altesse Royale le conseil de quitter Bruxelles sur-le-champ, avec toutes les troupes. » M. Moyard parla le premier ; la scène fut vive, mais touchante.
Le Prince hésitait, mais il était entouré d'hommes sages, modérés et éclairés ; il écouta leur avis ; on lui fit adroitement sentir qu'il avait le plus beau des prétextes pour justifier un départ aussi brusque, aussi inattendu ; qu'il devait se charger de porter lui-même à son père l'expression du vœu pour la séparation, vœu qui venait d'éclater subitement depuis son arrivée, et qui, certes, n'avait pas été prévu lors de son départ de La Haye. Il céda à la nécessité, mais avec dignité ; il dit qu'il partirait à trois heures, que les troupes le suivraient dans la soirée et qu'il se chargeait de mettre sous les yeux du roi le vœu émis pour la séparation ; il déclara en même temps dissoute la commission consultative dont le mandat devenait dès lors sans objet.
Par suite de ces décisions importantes, les trois pièces suivantes furent affichées dans le courant de la journée. (V. ci-après no 2, 3 et 4.)
Le prince partit à cheval, vers trois heures, suivi de son état-major ; les chefs de la garde bourgeoise à cheval l'accompagnèrent jusqu'à Vilvorde où il trouva son frère ; ils s'embrassèrent ! il n'y resta qu'une heure et continua sa route pour La Haye sans s'arrêter ; (page 98) M. Vangobbelschroy l'accompagnait. Toutes les troupes suivirent immédiatement et défilèrent par les boulevards jusqu'à la porte de Laeken. Ainsi les deux palais, comme tout le reste de la ville, restèrent dès lors exclusivement confiés à la garde bourgeoise.
Après avoir retracé les faits qu'on vient de lire, et qui font du 3 septembre un jour marquant dans l'histoire de notre patrie, nous ne pouvons dissimuler qu'on varie beaucoup sur leurs détails ; les journaux du temps, les relations sont loin d'être d'accord à cet égard, et chacun a rendu compte, à sa manière, des pourparlers, des conversations, des instances qui ont amené la double résolution du prince ; 1° Son départ si précipité, si en dehors de toute prévoyance humaine ; 2° Sa mission près du roi. On a avancé, témérairement sans doute, qu'il n'était pas de cet avis !... On a dit que, dans les conférences, il avait plus d'une fois témoigné sa défiance, sa crainte de ce que ce mouvement ne tendit à nous réunir à la France ! qu'il fit même la maladresse ou plutôt la faute de parler le premier de la possibilité d'un changement de dynastie, lorsque personne n'y songeait ; qu'alors il lui fut répondu à l'unanimité, par tous les membres des États-Généraux, comme par tous les chefs de la bourgeoisie et autres notables réunis, qu'ils voulaient rester Belges, mais Belges libres, égaux en droits avec les Hollandais ; que là-dessus le prince leur demanda s'ils en feraient le serment, que tous s'écrièrent nous le jurons, et que c'est à cette scène que l'on doit surtout la rédaction de la pièce ci-après, no 2, sur laquelle on s'étonna d'ailleurs de voir les signatures des généraux, aides-de-camp, apposées en témoignage ; (page 99) qu'enfin, il fut aussi question dans toutes ces délibérations, du traité de Londres, et qu'on tombât d'accord qu'il ne serait point violé par un acte de séparation dont il resterait seulement à déterminer la forme ; qu'on avait au surplus de grands exemples sous les yeux ; qu'on pouvait citer l'Angleterre et l'Irlande ; la Suède et la Norwège ; l'Autriche et la Hongrie ; la Russie et la Pologne, etc.
Quoi qu'il en soit, il est hors de doute qu'après le départ du prince et des troupes, la tranquillité régna à Bruxelles, et que les troubles et l'agitation disparurent jusqu'au 19 suivant, jour qui peut être indiqué comme l'époque d'un grand changement dans l'ordre des faits et dans la tournure que prirent alors nos affaires et nos intérêts. On était confiant, rassuré ; on attendait une réponse du Prince à sa mission près de son père ; on disait qu'il l'avait promise sans délai ; on savait que les États-Généraux allaient s'assembler ; on espérait tout ! Ce fut une sorte de temps d'arrêt dans le désordre ; on fut bientôt cruellement désabusé ! les événements marchèrent ; ils entraînèrent les hommes et les choses ; on va s'en convaincre, nous essayerons d'en retracer, suivant notre plan, l'image la plus vraie et la plus impartiale.
Pièces publiées le 3 septembre
No 1. Proclamation
Nos chers compatriotes !
Nous soussignés, députés aux Etats-Généraux, actuellement à Bruxelles, avons été appelés chez S. A. R. le prince d'Orange ; (page 100) nous avons eu l'honneur de lui exposer consciencieusement l'état des choses et des esprits.
Nous nous sommes cru autorisés à représenter au prince royal que le désir le plus ardent de la Belgique était la séparation complète entre les provinces méridionales et les provinces septentrionales, sans autre point de contact que la dynastie régnante.
Nous avons représenté à S. A. R. qu'au milieu de l'entraînement des esprits, la dynastie des Nassau n'a pas cessé un instant d'être le vœu unanime des Belges ; que les difficultés de sa situation, l'impossibilité de concilier des opinions, des mœurs, des intérêts inconciliables, venant à cesser, la maison d'Orange, libre de s'associer désormais à nos vœux, pouvait compter sur l'attachement et la fidélité de tous.
Nos représentations ont été favorablement accueillies, aussi bien que celles de plusieurs commissions spéciales, et déjà le prince royal est allé en personne porter l'expression de nos désirs à son auguste père.
Persuadés, nos chers Compatriotes, que nous avons été les interprètes de vos sentiments, que nous avons agi en bons et loyaux Belges, nous vous informons de notre démarche. C'est ici, dans votre capitale, que nous attendons avec confiance le résultat de vos efforts et des nôtres.
Bruxelles, le 3 septembre 1830.
Était signé : Comte de Celles, baron de Sécus, Barthélemy, De Langhe, C. De Brouckère, comte Cornet de Grez.
Adhésion : (Signé ) Huysman d'Annecroix.
Pour copie conforme : C. De Brouckère.
No 2. Proclamation
Habitants de Bruxelles
Son Altesse Royale, Monseigneur le Prince d'Orange vient de nous offrir de se rendre de suite à La Haye, afin de présenter lui-même nos demandes à Sa Majesté ; il les appuiera de toute (page 101) son influence, et il a tout lieu d'espérer qu'elles nous seront accordées.
Aussitôt après son départ, les troupes sortiront de Bruxelles. La Garde bourgeoise s'engage sur l'honneur à ne pas souffrir de changement de dynastie et à protéger la ville et spécialement les palais.
Bruxelles, ce 3 septembre 1830.
Signés : Falise, commandant de la 3e sect. ; le chevalier Pletinckx-Janssens, lieut.-colonel de la Garde bourgeoise ; Sylvain Van de Weyer, membre du Conseil de l'État-Major ; le chev. Vandersteen, commandant l'artillerie de la Garde bourgeoise ; le chev. Hotton, colonel, commandant la Garde bourgeoise à cheval ; Vandormal, lieutenant de la Garde à cheval ; Jolly, adjudant major de la 3ème section ; Brinck, commandant en second de la 3e section ; le comte Vander Meeren, major de la Garde bourgeoise ; Vanderlinden d'Hoogvorst, commandant-général de la Garde bourgeoise ; Cattoir, pr le commandant de la 2e section ; Palmaert, fils, major des 5e et 6 sections ; Fleury-Duray, major ; Hagemans, capitaine de la 5e section ; Moyard, major de la Garde ; Van Gelder-Parys, commandant la 1e section ; Rouppe, attaché à l'État-Major ; Blaes, commandant la 4e section ; Proft, commandant la 7e section ; Michiels, commandant la 8e section ; Van Haelen-Heberlé, lieutenant de la Garde à cheval ; J. L. Vandelft, lieutenant de la Garde à cheval.
Ont signé comme présents : Aberson, général-major, le comte de Cruyquenbourg, colonel aide-de-camp de S. A. R. le Prince d'Orange ; le baron H. de Roisin, col. attaché à l'État-Major de S. A. R. le Prince d'Orange ; le comte Dumonceau, lieutenant-colonel, aide-de-camp de S. A. R. le Prince d'Orange ; (page 102) le lieutenant-colonel de Xehennemont, adjudant du Roi ; le comte Alexandre Vander Burch, chambellan du Roi ; le comte G. J. de Hogendorp ; le comte C. J. W. de Hogendorp.
Conforme à la vérité,
(Signé) GUILLAUME, Prince d'Orange.
Nous soussignés, membres de l'État-Major déclarons nous unir aux vœux et aux sentiments exprimés par ceux de nos Concitoyens dont les signatures précèdent.
Signés : Baron Vandersmissen, command. en second la Garde ; chev. de Nieuport ; Ph. Lesbroussart, membre du Conseil de la Garde ; J. Nicolay, aide-de-camp du commandant en chef ; Isidore Plaisant idem ; Bosch, idem ; Max. Delfosse idem ; Opdenbosch, aide-decamp de section ; J. F. Vleminckx, idem.
N° 3.
Nous PRINCE D'ORANGE, déclarons que la COMMISSION nommée par Nous, au nom du Roi, par la proclamation du premier septembre, est dissoute.
3 septembre 1830.
GUILLAUME, Prince d'Orange.
N° 4.
Proclamation
Citoyens de Bruxelles,
Conformément à l'arrangement conclu entre S. A. R. le Prince d'Orange et les chefs de la Garde bourgeoise, le détachement militaire stationné aux palais, vient de quitter nos murs.
Tout vrai Belge reconnaîtra le devoir de respecter, à l'égard de ces militaires, l'engagement sacré qui a été contracté aujourd'hui, et dont l'exécution est garantie par l'honneur national.
(page 103) Le Prince a déclaré qu'il allait porter à son auguste Père l'expression du vœu unanimement manifesté pour la séparation des deux parties du Royaume, sous les rapports législatifs, administratifs et financiers.
La députation liégeoise qui s'est présentée au quartier-général de la Garde bourgeoise, a déclaré que les habitants de Liége mettront, dès ce moment, à la disposition de leurs frères de Bruxelles, tous les secours qui seraient jugés nécessaires en hommes, fusils, munitions et même en artillerie.
Tel est l'état actuel de nos affaires. Concitoyens, soyons calmes, car nous sommes forts : et restons unis pour conserver et accroître notre force.
Bruxelles, le 3 septembre 1830.
Pour le commandant en chef de la Garde bourgeoise,
BARON VANDERSMISSEN, commandant en second.