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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre XXI. Journée du dimanche, 26 septembre 1830

Bataille de Bruxelles, quatrième jour. Quatrième gouvernement provisoire. Second bombardement. Nouveaux incendies

(page 411) La troisième nuit de la bataille fut loin d'être aussi calme que les précédentes. Le tocsin des paroisses du bas de la ville ne cessa que vers une heure du matin ; des coups de fusil se faisaient entendre par intervalles sur tous les points ; tout le monde était en alarmes ; on ne se rassurait un peu que lorsqu'on avait cherché vainement des lueurs d'incendies et qu'on se rappelait que la journée qui venait de s'écouler avait encore été une journée d'héroïsme, de gloire et de liberté pour le peuple belge qui accourait en masse et de toutes parts au combat.

Le prince Frédéric semblait à la fin commencer lui-même à sentir l'inutilité de ses efforts ; dans la soirée il fit encore une dernière tentative pour négocier ; mais la réponse prompte et énergique qu'il reçut cette fois de la Commission administrative : Nous ne traiterons jamais avec des incendiaires, lui apprit bientôt la volonté décisive et immuable des Belges. Dès lors on se disposa de part et d'autre à recommencer la lutte avec un nouvel acharnement. Les patriotes sentaient le besoin d'en finir.

Pendant la nuit les généraux Trip, Constant, Post, Favauge et Schuurman firent les derniers efforts pour animer et encourager leurs troupes ; on n'épargna ni promesses, ni dons, ni boissons enivrantes ; on alla jusqu'à leur lire une proclamation qui accordait aux combattants les mêmes récompenses qu'après la bataille de Waterloo ; l'on paraissait avoir le projet d'attaquer la Place-Royale avec toutes les forces réunies et d'employer le fer et le feu pour pénétrer dans la ville ; mais tout fut inutile, le vaccin de l'honneur n'avait pas de prise sur nos ennemis ; officiers et soldats sentaient que l'entêtement opiniâtre et cruel de leurs chefs, qui leur avait déjà coûté si cher, allait de nouveau les envoyer à la boucherie ; les habitants de la rue Ducale et environs peuvent attester que les bataillons de la garde ne cachaient plus leurs plaintes amères et leurs murmures et que des officiers ôtaient leurs épaulettes parce qu'ils s'étaient aperçu que ces insignes attiraient sur eux les feux de nos tirailleurs. Cependant l'obéissance militaire prévalut ; ils marchèrent encore à une mort sans gloire ! Mais il est probable que si Frédéric avait fait lui-même la revue de ses troupes au Parc, au lieu de se borner à venir de temps à autre se promener au boulevard, s'il avait sondé personnellement les dispositions de ses soldats que l'appât même du pillage ne parvenait plus à exciter, il n'eût peut-être pas attendu 24 heures de plus pour ordonner la retraite !

Les trois hommes qui, constitués en Commission administrative, représentaient, depuis 48 heures, le gouvernement de la Belgique et tenaient seuls tête à la tempête, sentaient que le fardeau allait devenir trop lourd (page 413) et devait les écraser s'ils n'étaient aidés et soutenus ; rien n'était plus facile que de se recruter ; ils n'avaient que l'embarras des choix, et personne n'était d'humeur et ne songeait à les blâmer, à les critiquer, ni même à les influencer ; les circonstances étaient telles qu'ils étaient arbitres souverains de leurs volontés et maîtres absolus d'adjoindre à leur dictature qui bon leur semblait, sans opposition, ni contradicteurs.

Le bruit de la résistance, c'est-à-dire, de la victoire des Bruxellois, volait au loin avec rapidité et ramenait parmi nous des gens qui, partis depuis trois, quatre ou cinq jours, se hâtaient de revenir, pour éviter au moins la qualification un peu honteuse d'hommes du lendemain, puisqu'ils avaient été tout au plus ceux de la veille, sans avoir osé être ceux du jour ! Jamais peut-être la distance qui nous sépare de Valenciennes et d'autres points de nos frontières méridionales, ne fut aussi promptement franchie !

Des conférences, des pourparlers eurent lieu dans la nuit ; on n'en connut le résultat que le lendemain matin par la proclamation suivante qui fut affichée sur tous les murs. (V. ci-après, pièce n° 1.)

De compte fait, c'était le 4ème gouvernement provisoire ; les noms de ceux qui le composaient ne furent ni improuvés, ni approuvés ; dans ces circonstances c'était en effet assez indifférent ; on avait autre chose à penser et à faire, et quand on y songea un peu sérieusement quelques jours après, il était trop tard pour demander qui vous a mis là ? On était ancré d'un côté et habitué de l'autre !

(page 414) Cependant ce 4ème gouvernement provisoire, instruit par l'expérience de ses trois prédécesseurs, sentit combien son existence était précaire, vacillante et pouvait même dépendre de la direction et de la quantité plus ou moins grande des boulets de canon du jour ou du lendemain ; qu'il fallait donc s'empresser de faire acte de courage et de souveraineté tout-à-la fois, et prouver la puissance de la plume en même temps que celle des cartouches ; il prit donc l'arrêté suivant dans cette même nuit du 25 au 26 ; il fut affiché de grand matin. ( V. ci-après, no 2.) C'était un acte exorbitant même pour l'autorité législative ; on s'étonna un peu de le voir paraître si tôt, au milieu d'un combat, quand il y avait tant d'autres choses à faire ; on ne le croyait pas si pressé ; mais on ne réfléchissait pas qu'il supposait bien plus de force et de pouvoir que pour nommer un général d'armée et qu'il avait pour but principal d'habituer le peuple à la toute-puissance des dictateurs. Au surplus, il fut rapporté dès le 29. (V. ci-après, sous cette date, le n° 12.)

Dans la même matinée fut aussi affichée la proclamation suivante qui rompait nos liens avec la Hollande ; celle-ci fit son effet et fut généralement approuvée ; le meilleur moyen de s'environner du palladium de l'opinion publique était sans doute de marcher avec elle. (V. ci-après, no 3.)

Si le prince Frédéric s'attendait encore ce jour-là à voir flotter bientôt le drapeau orange sur les tours de l'église de Sainte-Gudule, il dut être bien détrompé et surpris d'y apercevoir au contraire le drapeau tricolore brabançon ! Le brave Pinckers, le même qui, le 23, avait (page 415) fait prisonnier à la porte de Schaerbeek l'aide-de-camp de Gumoëns, alla l'y arborer vers 9 heures du matin.

C'était un dimanche ; les cloches de toutes les paroisses, sauf de Sainte-Gudule et de Saint-Jacques, annoncèrent les offices divins pour la première fois depuis le commencement de la bataille ; on avait pris une sorte d'aplomb ; on était sans alarmes et presque tranquille en présence de l'ennemi et sous la portée de ses boulets.

Dans la nuit le général en chef tint conseil avec ses officiers ; diverses mesures y furent arrêtées et, si l'on en juge d'après les résultats, il est permis de croire qu'il y fut décidé qu'il fallait déloger les troupes des Palais, à tout prix, même en y mettant le feu.

De grand matin les habitants de la rue Ducale, dont la position était depuis trois jours si précaire et si dangereuse, aperçurent de loin dans le Parc les cadavres de plusieurs bourgeois qu'aucun des deux partis n'avait osé faire enlever pendant la nuit. C'était la meilleure preuve que le peuple ne s'était pas borné à tirer de loin par les fenêtres !

Des coups de fusil se firent entendre par intervalles dans la rue Royale dès six heures du matin ; alors les tambours bourgeois battirent le rappel dans toute la ville ; le tocsin commença à huit heures.

Le Parc était tranquille ; on n'y voyait personne ; les nombreux tirailleurs ennemis remplissaient toute la rue Ducale où ils étaient immobiles.

On avait répandu le bruit dans l'armée hollandaise qu'une batterie de cinq pièces de gros calibre venait (page 416) d'arriver d'Anvers et qu'elle allait être placée devant les palais pour foudroyer la ville et niveler la Place-Royale ; les soldats n'en doutaient pas et attendaient l'ouverture de son feu.

De notre côté, on s'aperçut aisément au point du jour et lorsque les postes avancés des trois barricades d'attaque commençaient à se regarnir, que l'ordre, la discipline et la subordination s'y établissaient à la fois ; on s'y trouvait très nombreux, beaucoup plus que la veille, et les auxiliaires des Bruxellois s'y rassemblaient en foule ; des chefs s'y montraient et leur autorité n'y était plus aussi méconnue. Une pièce de canon, transportée au-dessus des barricades avec des peines inouïes, était au Treurenberg, derrière la dernière barricade, mèche allumée ; une autre, montagne du Parc, au point le plus avancé ; elles devaient tout mitrailler devant elles.

On ne voyait plus de canons Place-Royale ; nos pièces étaient près du pont de fer ou abritées, rue du Musée, contre la grand'-garde.

Vers neuf heures on entendit la fusillade ; elle était d'abord très faible et peu animée ; l'ennemi n'y répondait pas ; à dix heures retentit le premier coup de canon ; il devenait clair que l'ordre était donné et suivi de ne point brûler inutilement de la poudre ; l'on vit alors nos tirailleurs rester des heures entières à l'affût dans les greniers et aux croisées en attendant le moment de tirer ; mais leurs coups n'en étaient que plus assurés et plus meurtriers.

On ne s'aperçut point d'abord que l'ennemi eût rien changé à sa position pendant la nuit ; on distinguait, comme (page 417) de coutume, ses canons à la porte de Schaerbeek et en face de la rue de la Loi sur le boulevard ; mais jusqu'à huit heures environ, on ne lui vit faire aucun mouvement ; pas un soldat ne se montrait ; on ignorait s'il avait reçu du renfort.

Mais, entre huit et neuf heures, on apprit que les réserves, grossies par la 15me division qui était entrée en ligne, débouchaient de toutes parts sur les boulevards, que l'artillerie se réunissait, et que toutes les forces ennemies se concentraient en colonnes d'attaque.

Deux divisions étaient formées en échelons pour assaillir à la fois la place et la rue Royale ; une troisième au centre appuyée sur le Wauxhall était placée en forme de réserve ; un rideau de tirailleurs masquait leurs mouvements et devait, par de fausses retraites et des suspensions de feux, nous attirer en désordre sur leurs masses.

Les forces qui occupaient encore une grande partie de la caserne des Annonciades, le Palais des États-Généraux et plusieurs maisons de la rue Royale étaient un puissant moyen de soutenir d'abord le déploiement combiné de ces trois colonnes.

Dès que le général en chef connut ces préparatifs, il sentit l'urgence de prendre l'initiative.

Le comte Vandermeeren qui venait d'arriver au quartier-général fut chargé de tenir l'ennemi en échec sur notre gauche, vers l'entrée de la rue Royale, de gagner autant de maisons que possible pour retrancher ses volontaires et de s'établir de plus en plus dans les hôtels faisant face au Parc ; il ne devait découvrir ses feux qu'au signal donné.

(page 418) Le général Mellinet toujours à la droite, devait prendre les mêmes dispositions, à partir du café de l'Amitié et de l'hôtel de Belle-Vue et conduire dans les cours de ce dernier, deux de ses pièces. Cette faible batterie, redoutable seulement par l'adresse et le courage de ses pointeurs, devait se tenir masquée jusqu'au moment critique ; une troisième pièce, placée au pont de fer fut tenue en réserve pour agir au besoin. Par ces dispositions nous étions à même d'enfiler les sorties du Parc dans les deux principales directions que l'ennemi devait prendre pour déboucher.

Les forces qui se trouvaient au centre et parmi lesquelles on voyait d'anciens officiers belges arrivés dans la nuit, se déployèrent à l'abri de la dernière barricade avancée de la Montagne du Parc et, baïonnette en avant, devaient maintenir, à travers les maisons, et même par les trottoirs de la rue Royale, les communications avec MM. Vandermeeren et Mellinet.

Après avoir laissé une forte réserve entre la barricade de la Banque et celle d'attaque sur le haut de la Montagne du Parc, Don Juan se fit suivre du détachement de Fleurus, commandé par le capitaine Bouchez, occupa la maison du coin, celle de M. Van Hulthem où l'on s'était déjà battu les jours précédents, et disposa tout son monde, 60 hommes environ, aux croisées tant de cette maison que de celles attenantes. De là devait partir le feu roulant, signal général du combat.

Pendant tous ces préparatifs, les volontaires de Leuze, commandés par le capitaine Desgallets, furent envoyés en hâte aux retranchements de la rue de Schaerbeek, (page 419) sur le flanc de l'extrême gauche de notre ligne, où ils devaient observer les mouvements des dernières réserves ennemies stationnées au Jardin botanique. Ces réserves composées en grande partie de cavalerie, étaient évidemment destinées à prendre l'offensive et à se porter dans l'intérieur de la ville, si l'ennemi avait réussi au Parc.

Trois des volontaires de Leuze, MM N. Plaisant, chevalier de la Légion-d'Honneur, Henniquiau et J.-B. Lotte se distinguèrent alors sur ce point par un trait d'audace qui mérite d'être rapporté. Ils se présentèrent en parlementaires à la première barricade ennemie ; l'officier leur crie sur sa parole d'honneur qu'ils peuvent avancer ; alors M. Plaisant le somme de se rendre ; sur son refus ils se retirent, mais aussitôt un coup de canon à mitraille est lâché sur eux à moins de 30 pas ; personne ne fut atteint.

Un autre détachement fut envoyé rue de Notre-Dame-aux-Neiges et petites rues avoisinantes avec la même mission ; ce fut alors qu'on se convainquit que, pendant la nuit, les troupes ennemies s'étaient avancées de nouveau dans ces deux rues de Schaerbeek et de Notre-Dame-aux-Neiges et même dans celles y aboutissant, après avoir réoccupé les maisons de chaque côté sans résistance, et en avoir inhumainement expulsé les habitants en se souillant encore de plusieurs traits de barbarie ; tout y fut en effet pillé ou dévasté ; ce fut sur ces deux points que les premiers coups de fusil se firent entendre vers neuf heures sans l'ordre, ou plutôt contre l'ordre du général en chef. Le feu y continua ainsi toute la journée sans autre résultat que de prendre ou reprendre (page 420) quelques maisons et de faire une trentaine de victimes.

Toutes ces opérations faites à la vue d'une armée considérable et occupant les positions militaires les plus avantageuses, furent exécutées avec plus de précision et d'ordre que l'on ne pouvait attendre de simples bourgeois, pleins d'ardeur à la vérité, mais sans discipline et n'ayant à leur tête qu'une vingtaine d'anciens militaires.

A dix heures et quelques minutes le canon de l'ennemi commençait à gronder et soutenait le déploiement de sa gauche. Ses nombreux tirailleurs s'étaient déjà avancés sur tout le front du Parc, jusqu'à portée de pistolet de nos retranchements, lorsqu'au signal donné, un feu général parti de notre ligne, arrêta tout court l'élan factice des Hollandais.

Kessels et ses tirailleurs se trouvaient alors sur la plate-forme de l'hôtel de Belle-Vue, où ils étaient venus renforcer Pellabon, avec un autre de ces petits canons de montagne dont nous avons déjà parlé ; le feu rapide de cette pièce qui plongeait dans le premier bas-fond du Parc contribua à empêcher l'ennemi de se déployer et lui fit un tort notable. Kessels dans ce moment fut blessé au bras par un biscayen.

La maison Hennessy, formant la gauche de l'escalier de la Bibliothèque et faisant face à l'hôtel de Belle-Vue et à la maison Benard, était celle qui, par sa position, pouvait nuire davantage au peuple ; les grenadiers qui s'y maintenaient depuis trois jours, eussent pu rendre, par un feu bien dirigé, une attaque du Parc du côté de la Place-Royale aussi difficile que dangereuse ; mais ils semblaient n'avoir d'autre ordre encore ce jour-là que de défendre (page 421) l'approche de l'escalier et de dominer la rue d'Isabelle ; ils se croyaient parfaitement en sûreté sur la plate-forme de cet escalier dont l'intérieur leur paraissait un poste inexpugnable tant que leurs camarades occuperaient toutes les maisons d'alentour, lorsque tout à coup ils entendirent siffler les balles autour d'eux et virent tomber plusieurs des leurs ; c'étaient nos tirailleurs qui, depuis la veille, s'avançaient de la montagne du Parc en perçant tous les murs intérieurs, et qui venaient enfin de s'introduire dans les greniers de la dernière maison à droite au-dessus même de la tête des soldats. Cette entreprise était si téméraire que les deux braves, dont nous avons déjà parlé comme n'ayant jamais cessé de combattre à ce poste et dont l'un était M. Brica, peintre distingué de Malines, avaient seuls persévéré dans le dessein d'attaquer par là ; ils tuèrent d'abord le premier ennemi qui se présenta à eux dans le haut de la maison puis, obligés de reculer, ils reçurent des renforts, entre autres les frères Strens et le jeune Devadder, et tirèrent par toutes les fenêtres sur les grenadiers qui durent s'enfuir. Alors le courageux Malinois parvenu au faîte de la maison, attacha, en signe de triomphe, le drapeau brabançon à la lucarne la plus élevée du poste qu'ils venaient de conquérir avec tant d'intrépidité et de bonheur. La maison Hennessy, située en face, dut aussi être évacuée par l'ennemi bientôt après et fut aussitôt occupée par d'autres bourgeois qui montèrent de la rue d'Isabelle. Toute l'ancienne rue Royale se trouva ainsi purgée d'ennemis vers midi ; ce succès était peut-être le plus important ; il permettait à Mellinet (page 422) de faire manœuvrer son artillerie sans dangers sur toute la Place-Royale et de s'avancer jusque sur la barricade d'attaque, ce qui n'avait pu se faire jusqu'alors qu'en s'exposant à une mort presque certaine.

La fusillade s'engageait partout et devenait plus nourrie que jamais ; les volontaires auxiliaires arrivant sans cesse en plus grand nombre venaient faire le coup de feu et tiraient à tort et à travers dès qu'ils entrevoyaient les arbres du Parc ; mais ces coups perdus ne laissaient pas que d'effrayer les troupes qui se voyaient plus pressées que jamais et qui avaient remarqué la veille qu'en général on tirait fort juste. Le feu n'avait pas encore été aussi vif autour du Parc depuis le commencement de la bataille, le fracas de l'artillerie dans cet espace planté d'arbres et resserré entre de hauts bâtiments retentissait avec un redoublement de fureur et suffisait pour faire éclater les vitrages tout autour. 6 nouvelles pièces de canon, attelées de six chevaux chacune, arrivèrent au galop vers dix heures dans la rue Ducale ; elles y manœuvrèrent jusqu'au soir ; on les plaçait tantôt sur un point tantôt sur un autre, en face des allées transversales du Parc qu'elles enfilaient continuellement ; c'était un nouveau renfort d'artillerie tiré du second Parc de réserve fort de 30 bouches à feu, placé entre le cimetière et le bois de Linthout ; on voulait le faire passer pour la grosse artillerie d'Anvers. L'ennemi pouvait juger d'ailleurs, par la violence et la continuité de nos feux, que le peuple devenait de plus en plus nombreux et animé.

Les généraux hollandais sentirent enfin qu'une (page 423) attaque désespérée pouvait seule empêcher le découragement et peut-être la défection de leurs soldats ; ils se hâtèrent donc de faire leurs dispositions et de soutenir leurs tirailleurs déjà engages sur tout le front de leur ligne de bataille.

A midi un quart, les pelotons d'avant-garde repoussés, s'étant reformés derrière les arbres du Parc, en sortirent brusquement et s'élancèrent de nouveau vers cette Place-Royale si disputée déjà depuis trois jours ; ils étaient soutenus par deux batteries et suivis des colonnes épaisses qui débouchaient par la rue Ducale et la plaine des Palais.

Nous étions préparés à les bien recevoir ; nos milliers de volontaires qui étaient alors sur la Place-Royale et environs brûlaient de combattre corps-a-corps et poussèrent des cris de joie en voyant les masses ennemies s'avançant au pas de course.

Notre droite, dont le centre était appuyé à l'hôtel de Belle-Vue, soutint le choc terrible qui caractérise tout commencement de bataille avec une opiniâtreté qui fut le sûr présage de nos succès futurs. L'ennemi sentait la nécessité de s'emparer de l'hôtel ; il revint plusieurs fois à la charge et deux heures se passèrent à prendre et à abandonner tour-à-tour le peu d'espace qui séparait notre barricade des premiers arbres du Parc voisins de la grille. Plusieurs fois même nos braves, emportés par leur ardeur, gagnèrent ce grillage et se groupèrent derrière les ruines amoncelées qui l'entouraient. C'est en vain que l'ennemi fit avancer de nouveaux renforts d'artillerie et mitrailla sans relâche notre position. L'adresse (page 424) de nos canonniers suppléait d'une manière admirable au petit nombre de nos pièces avec lesquelles Charlier, jambe de bois, et ses camarades se couvrirent de gloire.

L'ennemi ébranlé dans sa troisième attaque et poursuivi de toutes parts par les nôtres, ne dut la pénible conservation du Parc qu'aux forces considérables retranchées dans le fond de la Laitière, son dernier refuge, et dans les trois palais devenus pour lui autant de forteresses qui nous empêchaient de profiter de nos succès. 3,000 hommes de ses meilleurs troupes, engagés à la fois, venaient cependant d'être repoussés et vaincus !

On remarqua dans ce combat que nos volontaires, quoique forts de leur courage, se confiaient principalement dans leurs canonniers à qui ils avaient vu faire des prodiges les jours précédents et que cette idée put seule les décider à attendre avec la patience nécessaire le moment décisif. Quoiqu'indisciplinés et sans chefs pour la plupart, ils surent cette fois garder ce sang-froid et montrer à leurs égaux même cette sorte de déférence obéissante qui échappe souvent à des soldats. Ils se tinrent à couvert laissant librement manœuvrer l'artillerie.

Mellinet au lieu de faire feu sur l'ennemi, dès qu'il l'aperçut, le laissa sortir du Parc et s'engager dans la direction de la rue Royale ; alors seulement il démasqua ses deux pièces près de la barricade ; sa mitraille enfilait les colonnes et démonta en peu de minutes quatre des pièces hollandaises, et lorsque les ennemis eurent reculé jusques dans le Parc, nos pièces passèrent la barricade et portèrent la mort dans toute la longueur des allées ; (page 425) bientôt après les masses ennemies s'étant repliées jusque dans leurs ravins, dans les palais et aux boulevards, Don Juan lui-même conduisit une pièce de canon sur la plate-forme de l'hôtel de Belle-Vue, d'où elle plongea dans les massifs et dans les bas-fonds.

L'hôtel de Belle-Vue était toujours défendu par les braves Pellabon et Vereecken dont nous avons déjà parlé et qui étaient alors renforcés d'une vingtaine d'hommes qui ne les quittèrent plus. Ils avaient passé toute la nuit précédente embusqués sur les toitures pour observer les moindres mouvements de l'ennemi qui tenta encore plusieurs fois de prendre ce poste par surprise, mais qui fut toujours repoussé. Vers dix heures et demie du soir, entre autres, un officier muni d'une échelle sortit du Parc pour reconnaître si un coup de main était possible ; mais au bruit qu'il fit, Pellabon et ses braves vinrent se poster sur la terrasse derrière le mur de la cour qui fait, face au Parc. L'officier prit alors la fuite et dut se convaincre que toute surprise était là impossible. On crut le reconnaitre pour le capitaine des grenadiers Evenepoel de Bruxelles.

Pendant les attaques dont nous parlons et qui se répétèrent au moins quatre fois durant la journée du 26, la batterie ennemie placée devant le palais du prince d'Orange et même plus près, canonna si vivement l'hôtel que ses défenseurs craignirent plusieurs fois de le voir s'écrouler sur eux, où que le feu n'y prit et ne le brûlât. Ils soutiennent y avoir ramassé des fusées éteintes, des obus, des grenades, des boulets incendiaires, etc.

Pellabon fut bientôt forcé de faire descendre tous ses (page 426) braves tirailleurs dans le bas de l'hôtel ; il fit pratiquer des meurtrières dans les portes et les murs, les croisées n'étant plus tenables, et par un feu roulant et continuel il contribua chaque fois à refouler l'ennemi dans les ravins du Parc.

Pendant que notre droite était ainsi engagée et victorieuse, des combats partiels ne discontinuaient pas tout le long de notre front de bataille indiqué sur le plan et présentaient un spectacle aussi varié que sanglant. L'on peut affirmer que, de onze heures du matin jusqu'à la nuit close, on vit se succéder sans interruption sur tout cet espace, cette suite non interrompue de traits d'héroïsme qui devaient assurer notre indépendance et immortaliser les Belges.

Chaque maison occupée par l'ennemi devenait le théâtre d'un combat. Les grenadiers, surtout dans la rue Royale, surpris dans les appartements, n'avaient souvent d'autre ressource que de se précipiter par les croisées, abandonnant dans leur fuite leurs sacs, bonnets, etc. Il était bizarre de voir, au milieu du feu et du carnage, nos volontaires si diversement vêtus, se couvrir de ces dépouilles.

Nous avons vu qu'avant une heure toute la ligne des maisons de la rue Royale était à nous ; de là nos feux harcelaient sans cesse les colonnes ennemies et les forçaient à des mouvements vacillants et rétrogrades ; mais, s'apercevant que notre centre était dégarni d'artillerie, (la pièce placée la nuit à la Banque ayant été ramenée à la Place-Royale pour l'attaque décisive de midi) les Hollandais essayèrent trois fois, appuyés de leurs (page 427) canons, de balayer la rue, dite montagne du Parc, occupée par notre réserve et qui entretenait notre communication entre nos deux ailes et le quartier-général ; mais ces tentatives ne produisirent d'autre résultat que de gêner les secours prodigués à nos blessés et leur transport dans l'intérieur de la ville.

Notre gauche était évidemment la partie la plus faible de notre ligne ; elle tint cependant tête à l'ennemi, s'avança peu-à-peu dans toutes les maisons par l'intérieur et étendit successivement ses feux, d'un côté jusqu'au quartier-général et de l'autre jusqu'à l'hôtel Torrington où l'on se battait continuellement depuis 24 heures et qui avait été pris et abandonné plusieurs fois par nos tirailleurs.

Un peu après onze heures des colonnes d'une noire fumée s'élevant par un temps calme et serein dans le haut de la ville couvrirent et dominèrent celle qui enveloppait toujours le Parc et le champ de bataille ; bientôt des flammes parurent vers la gauche du Parc et tourbillonnèrent dans les airs ; cet incendie était étendu et effrayant, on l'apercevait de tous les points de la ville ; personne ne douta, pas même les combattants, que les bourgeois avaient enfin reçu l'ordre de mettre le feu au palais des États-Généraux pour en déloger les troupes et l'on en était venu au point d'approuver ce seul et dernier moyen, cette ressource désespérée, tant l'on était alors furieux et exaspéré ! On entendait le peuple s'écrier : On a raison, on a bien fait ; il faut les brûler aussi comme ils ont fait au manégé et au boulevards ! On ne songeait qu'à la vengeance, on se réjouissait (page 428) même sans s'inquiéter de l'embrasement et de la ruine du plus beau palais de Bruxelles !

D'un autre côté on afficha le rapport suivant, répété par les journaux et daté de dix heures du matin qui confirmait cette erreur en rendant seulement les Hollandais auteurs de l'incendie. (V. ci-après, no 4.)

L'on s'aperçut bientôt que ce n'était pas le palais qui brûlait, mais bien le vaste et bel hôtel Torrington, l'un des monuments de Bruxelles, qui y est attenant et les bâtiments voisins, tel que celui ou était établie la succursale de la secrétairie d'Etat, la maison Cirez, les édifices et écuries bâties sur les derrières, etc. ; tout cela fut complétement consumé sans qu'on pût même sauver aucune partie du mobilier ; il ne pouvait être question d'y porter des secours, les balles des tirailleurs bourgeois et militaires qui se croisaient sans cesse de toutes parts sur ce point, y mettaient bon ordre ; l'incendie ne s'éteignit que dans la nuit ; les uns ont dit que le feu y avait été mis par les Hollandais pour en déloger les nôtres qui de là fusillaient sans cesse le palais des Etats Généraux ; d'autres au contraire ont assuré que M. le comte Vandermeeren, ne pouvant parvenir jusqu'au palais, avait fait brûler le bâtiment le plus proche pour que le feu s'y communiquât ; si cette dernière version est la vraie, il ne réussit pas ; les soldats parvinrent à préserver le Palais et tous les efforts tentés jusqu'au soir pour l'incendier échouèrent constamment ; nous verrons bientôt qu'il en fut de même de l'autre côté du Parc en face, à l'égard du palais du roi. L'hôtel Torrington appartient maintenant à M. Paulée de Douai ; le dommage y fut évalué à plus de 200,000 florins.

(page 429) Vers midi un corps de Bruxellois et d'auxiliaires, parmi lesquels se trouvaient les volontaires de Gosselies, commandés par M. Vandam, formant un total d'environ 400 hommes armés, sortit par la porte de Halle et, quoique n'ayant aucun ordre, voulut essayer une diversion sur les derrières de l'ennemi ; ils rencontrèrent bientôt le détachement des volontaires de Charleroy, commandé par M. Fafechamps, se joignirent à lui et faisant un grand détour par Ixelles, ils y commencèrent leur fusillade, pénétrèrent jusqu'au faubourg de Namur et inquiétèrent tellement les troupes qui se croyaient là à l'abri de toute attaque, et qui cependant furent surprises à l'improviste et ignoraient le nombre des assaillants, qu'elles se replièrent à l'instant sur le boulevard de Waterloo. On tira sur elles des hauteurs extérieures, mais on ne pouvait les forcer dans cette position, surtout tant qu'elles seraient maîtresses de la porte de Namur ; la cavalerie d'ailleurs tenait la campagne et harcelait sans cesse notre détachement. Nos braves, au milieu desquels se distinguèrent MM. Louis Pourbaix, ancien trompette-major, Achille Considérant, ancien chevau-léger, Auguste Château, premier lieutenant, Rucloux, deuxième lieutenant, Tassier, simple volontaire, mais ancien capitaine des hussards Chamborans, Migan, ancien sergent de la vieille garde et tant d'autres, eurent la gloire, par cette expédition audacieuse où fourmillèrent les traits d'héroïsme et de bravoure, de contenir et d'épouvanter l'ennemi jusqu'à la nuit tombante ; ils se retirèrent alors victorieux après n'avoir perdu que 3 hommes ; les Hollandais eurent plus de 20 tués ou blessés. Il est hors de doute (page 430) que cette attaque hasardeuse et téméraire contribua à influer sur la détermination du Prince et sur le succès décisif du lendemain. Les troupes se croyaient cernées de toutes parts.

Mais dans l'état des choses et de la bataille, il fallait des diversions plus efficaces pour paralyser les efforts que l'ennemi, concentré dans le Parc et la rue Ducale, tentait continuellement sur la Place-Royale, et qui nous empêchaient d'enlever nos blessés ; c'était au centre qu'une attaque devenait urgente pour nous faire atteindre ce but. La présence du général en chef à l'une des croisées de la maison de M. Van Hulthem formant l'angle de droite de la montagne du Parc, en avant de la dernière barricade, au moment où le courageux Adolphe Pinet arborait les couleurs nationales au sommet du toit de la même maison, excita le plus vif enthousiasme parmi nos volontaires. Dès que l’ennemi vit ce qui se passait et se préparait, il fit redoubler le feu de son artillerie, placée au centre du Parc et dans la rue Ducale ; une pluie de mitraille, de boulets et même d'obus, dit-on, tomba alors sur le quartier-général et sur les environs. Ce fut dans ce moment critique qu'un autre drapeau fut accroché à la grille du Parc, parut mème un instant arboré plus loin sur un groupe de marbre et qu'un peloton de nos volontaires, ayant un instant franchi la haie sur ce point, obligea l'ennemi à se retirer et à se retrancher de nouveau dans les massifs et dans les ravins, où les averses répétées des jours précédents le forçaient à manœuvrer dans la fange.

L'acharnement du peuple était devenu si grand (page 431) dans ces attaques qu'il songeait aux moyens les plus extravagants et les plus impraticables ; on parlait de lancer avec les pompes de l'huile de vitriol, de la térébenthine, etc., pour en arroser les arbres du Parc, d'y mettre ensuite le feu et de brûler ainsi les Hollandais dans leur repaire ; des détachements partirent même pour aller forcer les pompiers à amener les pompes et à s'occuper de cette manœuvre ! On voulait prendre le Palais du roi d'assaut et porter ensuite les canons sur les toits pour de là foudroyer perpendiculairement les basfonds du Parc ; on s'écriait : Qu'il pleuvait comme à Waterloo, qu'on voyait donc bien que le canon attirait l'orage ! Le peuple était ivre de poudre et de colère, et se portait toujours en avant avec mépris de la mort. Un plus grand nombre de maisons que les jours précédents furent encore abandonnées, saccagées et criblées de mitraille et de boulets ; le nombre de brancards qui transportaient nos blessés était doublé ; on les rencontrait dans les rues où ces malheureux criaient encore : Vive la liberté ! mort aux Hollandais !

Cependant tous ces succès n'étaient point encore décisifs, et pour obtenir dans cette journée des résultats positifs, il importait d'organiser d'autres diversions pour soutenir les vaillants efforts faits jusqu'alors par le général Mellinet à la Place-Royale.

Une attaque par la rue Verte, sur les derrières des Palais, fut disposée et confiée à M. de Culhat, qui venait d'arriver au quartier-général pour offrir ses services ; 200 hommes furent mis à sa disposition et l'extrême gauche de l'ennemi assaillie avec vigueur, fut délogée des cours et jardins qu'elle occupait.

(page 432) Les attaques des deux partis étaient continuelles aux environs de la Place-Royale depuis onze heures du matin ; les soldats étaient souvent refoulés dans le Parc ; mais quand on osait alors les approcher, des feux terribles de peloton et de mitraille écrasaient les vainqueurs et les forçaient de reculer à leur tour, et si les troupes, de leur côté, surtout celles de la garde qui conservaient toujours leur ordre et leurs rangs, se hasardaient à sortir du Parc et à paraître sur la plaine des Palais, elles étaient foudroyées à l'instant ; les autres forces de l'ennemi étaient concentrées dans les Palais et dans quelques maisons voisines qu'elles occupaient encore et d'où elles écartaient à coups de fusil tout ce qui osait s'approcher. Le carnage était grand de part et d'autre, car il était impossible de contenir le peuple et surtout les auxiliaires nouvellement arrivés du pays wallon et du Borinage, qui craignaient de ne pas avoir part à la victoire. Les chefs eux-mêmes, animés d'une ardeur téméraire et qui voulaient en finir à tout prix, parlaient de marcher à l'assaut des Palais. L'enthousiasme empêchait de se concerter. A chaque instant de petites troupes se jetaient sur le Parc et sur les derrières du Palais du roi d'où elles revenaient bientôt grandement diminuées ; le désavantage était encore plus grand pour les bourgeois au milieu des postes de l'armée que pour l'armée quand elle attaquait la Place-Royale !

Il était près de quatre heures ; les soldats venaient encore une fois de reprendre leurs positions dans le Parc ; ce succès avait électrisé les nombreux spectateurs ; il y eut un élan subit et de toutes parts on se précipita sur le Parc ; les volontaires de Nivelles, parmi lesquels (page 433) se trouvaient deux femmes, les nommées Grégoire et Marchand, ceux de Wavre, de Binch, de Tournay et une foule d'autres y pénétrèrent toujours en désordre ; on prit un caisson et deux avant-trains, mais nous fîmes alors une perte irréparable ; le brave baron de Fellner, adjudant du général en chef, arrivé près du Parc, essayait l'épée à la main, de mettre un peu d'ordre dans la foule qui l'entourait et de la conduire, par pelotons d'attaque réguliers formés sous la mitraille, à l'abordage des bas-fonds qu'il voulait emporter à la baïonnette, lorsqu'il tomba blessé à mort ! Il expira peu après. Presqu'au même instant tomba aussi, grièvement blessé, le brave docteur Feigneaux qui avait passé les quatre jours au combat et les trois nuits aux ambulances près des blessés ! Là mourut aussi le dernier des quatre jeunes gens de Gosselies nommé Duray, dont le cinquième frère servait dans la garde hollandaise et qui se firent tous tuer pour effacer, s'il se pouvait, la tache que, selon eux, cette circonstance imprimait à leur nom ! Une foule d'autres braves arrosèrent alors de leur sang les lauriers dont ils se couvrirent ; nous nous réservons d'en donner ailleurs la nomenclature complète ; elle suffira seule pour immortaliser leur mémoire ! mais ils ne succombèrent, ni sans gloire, ni sans vengeance ; les cadavres ennemis l'attestaient et jonchaient les abords du Parc.

La perte de Fellner et le carnage qui éclaircissait les groupes de nos volontaires, augmentèrent encore le désordre parmi eux ; ils abandonnèrent bientôt le Parc et reprirent leurs anciennes positions toujours menaçantes à la vérité el d'où partait un feu continuel.

(page 434) Alors l'ennemi s'étant aperçu combien nos mouvements irréguliers et désordonnés nous empêchaient d'envelopper les ravins du Parc, étendit ses colonnes en bataille dans l'allée qui fait face au Palais du roi et prit toutes les mesures nécessaires pour neutraliser les efforts et les courses de nos tirailleurs qui ne renonçaient pas à l'attaque de ces positions.

Un peu après cinq heures, une dernière tentative à laquelle la nuit seule vint mettre un terme, fut entreprise par la barricade du centre, de concert avec le général Mellinet.

Le général en chef ordonna à Kessels d'abandonner pour un moment le commandement de sa batterie sur la Place-Royale et de se mettre à la tête de tous les hommes de bonne volonté qu'il pourrait réunir, pour s'emparer des caissons et canons que l'on voyait abandonnés par l'ennemi à l'entrée du Parc, en lui recommandant d'allier, dans cette entreprise périlleuse, la prudence au courage et d'opérer ensuite, à la tête de sa colonne, une attaque dans le centre du Parc ; il fit venir à cet effet du Treurenberg la pièce de canon qui s'y trouvait depuis le matin et concentra sur le haut de la Montagne du Parc un noyau de gens décidés.

Le mouvement s'effectua avec toute la rapidité qu'on devait attendre de nos volontaires, mais aussi avec absence de précision et d'ensemble. Personne ne voulait attendre le soutien indispensable de la bouche à feu qui tarda à arriver à cause des barricades qu'elle devait traverser. Le capitaine Bouchez et l'infatigable Kessels à la tête d'un très petit nombre de volontaires qui ne se (page 435) distinguaient pas toujours par la subordination, mirent en fuite les tirailleurs hollandais qui bordaient la grille en face de la Montagne du Parc, franchirent de nouveau la haie et arrivèrent jusqu'à portée de pistolet des bataillons ennemis, masqués derrière le taillis et disposés pour les entourer ; mais nous avions perdu beaucoup de monde, et Kessels s'aperçut qu'il était resté seul dans le Parc ; alors mettant son chapeau sur sa baïonnette il courut rapidement vers la place de Louvain où il parvint à réunir quelques renforts à la tête desquels il rentra dans le Parc ; abandonné de nouveau il y resta encore seul plus d'une heure et demie en tirailleur et tua plusieurs ennemis ; enfin ses cartouches étant épuisées et ayant reçu dans ses habits plusieurs balles qui l'avaient effleuré, il rentra au quartier-général d'où tout l'état-major avait été témoin de sa conduite. Il fallut donc s'arrêter et borner là nos succès ; mais on avait imposé à l'ennemi et le détachement de Kessels avait ramené en triomphe au quartier-général, à travers une grêle de balles, deux avant-trains hollandais et leurs caissons chargés d'obus et de fusées ; M. Duchemin, volontaire de Namur se signala particulièrement dans cette affaire à laquelle prirent part MM. les majors Palmaert et Vandermeeren ; mais ce dernier ne put engager à le suivre les volontaires qu'il commandait à notre gauche en avant du Treurenberg.

La batterie d'obusiers toujours placée en dehors de l'enceinte de la ville, derrière le palais du prince d'Orange et qui, depuis trente-six heures, semblait muette, tonna de nouveau vers midi et bombarda Bruxelles une seconde fois. Une soixantaine d'obus tombèrent et éclatèrent sur la ville, mais sans faire de grands dommages, (page 436) et n'allumèrent aucun incendie ; ce ne fut qu'à la nuit qu'on s'aperçut de ce second bombardement, ignoré surtout des combattants ; les obus tombaient toujours dans le même rayon que l'avant-veille ; nous avons dit que les bureaux du journal le Courrier des Pays-Bas en occupaient le centre ; la plupart éclatèrent dans les environs et très près des ateliers ; il était évident que c'était une direction donnée et que le but de ce second parricide était de mettre, non l'effroi, mais le feu dans la ville.

On avait vu, dès le matin, que l'ennemi avait établi une forte batterie sur la hauteur à gauche d'Etterbeck, un peu à côté du cimetière ; cette position dominait même le haut de la ville ; on supposait que c'était la grosse artillerie d'Anvers qui venait enfin d'arriver et dont on faisait un épouvantail depuis deux jours ; on s'attendait à en être foudroyé ; on disait que le nouveau pont, jeté pendant la nuit par les Hollandais sur le mur d'enceinte en face de la place d'Orange et construit avec les croisées arrachées aux maisons voisines, devait servir à l'entrée de cette artillerie en ville ; mais on se trompa ; cette batterie prétendue ne tira pas un coup de canon et n'était qu'un détachement du Parc de réserve qui fournit des renforts et des munitions toute la journée aux pièces en position au Parc, dans la rue Ducale et les environs.

D'après ce qui précède l'on peut aisément concevoir que ce quatrième jour de la bataille fut le plus meurtrier et celui où nos patriotes montrèrent le plus d'acharnement et de mépris de la mort ; pendant toute la journée et surtout, lors des attaques faites à dix heures, à midi, à trois heures et à cinq heures et demie, la (page 437) pluie de balles, de boulets, de biscayens et enfin d'obus ne cessa de tomber sur toute la ville ; de nouveaux désastres s'accumulèrent ; quelques malheureux bien tranquilles à l'extrémité opposée au champ de bataille furent tués ou blessés !

Nous venons de voir que quatre attaques principales et bien distinctes avaient été tentées contre le Parc dans ce quatrième jour, toutes soutenues par le feu des tirailleurs de nos ailes, par la mitraille de notre artillerie placée aux 3 barricades avancées, par le feu des croisées de toutes les maisons de la rue Royale et autres occupées par nous, et toutes quatre commandées par des chefs intrépides, toujours les premiers au feu, MM. Van Halen, Palmaert Vandermeeren, Parent, Mellinet, Fellner, etc., et que ces attaques faites toujours sans ensemble et avec peu d'ordre n'eurent jamais un succès marqué ; nos tirailleurs entraient facilement dans le Parc, au nombre de 20, 40 ou même 60 à la fois de chaque côté, y plantaient un drapeau, s'y embusquaient derrière les premiers arbres, ne voyaient d'abord aucun ennemi et même y conduisirent deux fois une de nos pièces ; mais quand ils faisaient un pas de plus, des feux de peloton bien nourris et la mitraille lâchée de près les forçaient à l'instant de se replier sur nos 3 barricades avec perte de bon nombre des leurs.

Ce genre de guerre qui durait depuis quatre jours entiers sans résultat, convainquit enfin les bourgeois et leurs chefs que le Parc, ainsi occupé et défendu par les troupes, était une position inexpugnable pour des tirailleurs et qu'on ne pourrait jamais l'emporter qu'à la (page 438) baïonnette, à la Napoléon, par des attaques en colonnes serrées et en essuyant de sang-froid les premiers feux ; on renonça donc pour le lendemain à recommencer la lutte de cette manière ; s'il fallait encore verser du sang on voulait l'utiliser au moins et surtout abréger ce trop long combat ; nul doute que la journée du 27 eût été plus sanglante que jamais s'il avait encore fallu se battre ; nos chefs prenaient toutes leurs mesures ; ils voyaient s'accroître à chaque instant le nombre des auxiliaires volontaires ; ils avaient été témoins dans ce quatrième jour, de leur redoublement de courage, d'acharnement et de haine ; ils devaient donc concevoir l'espoir fondé d'établir parmi eux un peu d'ordre et de discipline ; dès lors le triomphe était assuré et prochain ; rien n'était négligé à cet égard et le feu avait à peine cessé qu'on s'aperçut de cette décision de nos chefs.

Ce fut à la dernière attaque du soir, et lorsqu'on avait résolu de ne plus rien ménager, que notre pièce placée près de la maison Benard à la balustrade, canonna surtout le palais du roi et le sillonna de ses boulets ; on peut juger par les traces de l'adresse de nos pointeurs qui rasaient la façade entière à la hauteur des différents étages et en écartaient les tirailleurs ennemis qui s'y étaient embusqués ; les arbres mutilés du Parc attestèrent aussi comment nos balles et notre mitraille, sifflant à travers les massifs, allaient frapper les colonnes plus éloignées et les réserves de la rue Ducale où les vitres et jalousies des croisées furent souvent atteintes et percées de balles, surtout dans ce quatrième jour.

(page 439) Vers cinq heures le feu était le plus terrible ; les soldats ennemis lassés et démoralisés, feignaient des blessures pour pouvoir se retirer sur les derrières ; ils avouaient à leurs hôtes des boulevards qu'ils perdaient tout-à-fait courage, qu'ils ne se battraient plus le lendemain, qu'ils seraient encore vaincus et repoussés fussent-ils le double plus nombreux ; ils refusaient l'argent qu'on leur offrait pour le superflu de leur pain, disant qu'il ne fallait pas d'argent quand on allait périr ! Les Belges surtout auraient déserté, à tout prix, s'ils avaient dû encore se battre un seul jour ; ils ajoutaient qu'ils ne tenaient plus que les palais, qu'ils étaient forcés d'abandonner, l'une après l'autre, toutes les maisons qu'ils occupaient depuis 4 jours, pour se réfugier dans les fonds du Parc, et que c'était pendant ce court trajet que les inévitables balles des bourgeois venaient leur donner la mort ; qu'enfin le feu de notre mitraille commençait à pénétrer même dans ces ravins dont la position n'était plus tenable.

A la nuit tombante les restes de l'incendie de l'hôtel Torrington éclairaient une partie du champ de bataille sur notre gauche, lorsque tout-à-coup des flammes parurent de l'autre côté du Parc sur notre droite. C'était très près du palais du roi ; on ne douta pas qu'il ne fut en feu ; le bruit s'en répandit d'abord par toute la ville, et loin de déplorer cette perte, on s'en applaudit encore pourvu que, par ce moyen extrême, on parvint à chasser les Hollandais.

Il paraît en effet que nos chefs s'étaient enfin décidés à cette dernière mesure, ou que du moins ils voulaient (page 440) incendier les maisons voisines pour prouver leur détermination à l'ennemi ; mais on ne pouvait approcher du corps des bâtiments du palais trop bien défendus de toutes parts ; on ne pouvait y mettre le feu que par communication.

Les maisons à droite et qui lient le palais à l'hôtel de Belle-Vue, placées au milieu des feux croisés des combattants, n'avaient cependant que peu souffert depuis 4 jours ; des partisans de chaque armée les avaient successivement prises et abandonnées. Les habitants des deux premières, dont l'une était occupée par M. Lusada, les avaient délaissées ; mais M. de Latour, propriétaire de la troisième, n'avait pas voulu fuir, malgré l'extrême danger qu'il courait sans cesse. Vers 6 heures du soir quelques hommes du peuple pénètrent chez lui par les toits ou par des fenêtres donnant sur le Borgendal. Un jeune wallon se présente une torche à la main ; surpris de trouver encore du monde dans cette demeure, il signifie à M. de Latour qu'il a l'ordre de la brûler à l'instant pour parvenir à incendier ainsi le palais du roi ; il lui enjoint de se sauver et, aidé de ses compagnons, il se met à l'œuvre ; mais M. de Latour conservant toute sa présence d'esprit, lui fait froidement remarquer qu'il est encore trop loin du palais et qu'il manquera son but s'il n'allume l'incendie de plus près ; ces hommes regardent, en tombent d'accord, et ne mettent le feu qu'à la maison suivante ; elle fut totalement consumée avec une habitation voisine et toutes leurs dépendances ; le feu atteignit le palais vers 9 heures, mais il s'y arrêta ; les murs hauts, épais et sans aucune ouverture, résistèrent (page 441) aux flammes comme l'avaient fait ceux du palais des États-Généraux le matin ; ce fut un nouveau dommage inutile.

Cet incendie dura jusqu'à minuit ; il éclairait tout l'espace qui séparait les combattants ; personne ne songeait à y porter secours parce que les balles sifflaient sans cesse dans les flammes ; on l'apercevait au loin de tous les points de la ville et il offrait un spectacle terrible ; une large colonne de feu s'élançait vers le ciel ; le calme de l'atmosphère lui permettait de monter presque sans fumée à une hauteur considérable ; à chaque plancher qui s'écroulait, à chaque pan de mur qui tombait, une innombrable quantité d'étincelles jaillissaient en gerbe dans les airs. A 10 heures le feu était dans sa plus grande force ; on voyait sur la plaine des palais comme en plein jour, on distinguait tous les groupes qui enlevaient les blessés ; on pouvait compter les arbres du Parc ; les craquements de la charpente et la chute des débris enflammés s'entendaient à une grande distance. C'était l'image d'un volcan ! Ce ne fut guères que le lendemain, lorsqu'on pût aller visiter ces ruines encore fumantes, que l'on s'aperçut que ce n'était point le palais du roi qui était détruit.

On a dit et imprimé que ce fut Charlier, jambe de bois, qui mit le feu à ces maisons avec des boulets rouges lancés de l'angle de la rue Verte et même d'un lieu d'où il ne pouvait les apercevoir ; c'est une fable ; on tenta bien de rougir des boulets, mais on ne s'en servit pas.

Les Bruxellois brûlaient donc leur ville plutôt que d'y souffrir les Hollandais ! L'acharnement qui augmente (page 442) toujours à l'aspect des flammes était si grand dans cette dernière soirée, que l'obscurité même ne mit pas fin au combat ; après la cessation des attaques sérieuses, le feu des tirailleurs continua à la lueur des incendies et ne cessa tout-à-fait que vers deux heures du matin avec le tocsin ; on se préparait de notre côté à recommencer le combat au point du jour et plus vivement que jamais ; la générale battit dans toutes les rues de huit heures du soir à minuit ; les uns disaient que les ennemis abandonnaient la ville et qu'il fallait les poursuivre, les autres qu'ils allaient attaquer pendant la nuit à la lueur des flammes et qu'il fallait voler au secours de nos braves ; une foule de volontaires se portait sans cesse en renfort vers le haut de la ville et entretenait la fusillade.

Le prince Frédéric, spectateur éloigné de ces désastres, avait demandé le matin quel était l'incendie qu'il apercevait ; on lui avait répondu que les bourgeois venaient de mettre le feu au palais des États-Généraux pour en chasser les troupes ! Il fit la même question le soir ; on lui dit alors que le peuple brûlait le Palais du roi dans le même but ! on assure que des larmes parurent dans ses yeux, qu'il sentit dans ce moment tout l'opprobre qui allait ternir à jamais l'honneur de son nom et qu'il prit alors seulement la résolution définitive de la retraite ; nous ne garantissons pas ces faits qui ont dû se passer près de la porte de Louvain, mais toujours est-il vrai que ces deux tentatives désespérées du peuple devaient lui ôter tout espoir de conciliation et influer grandement sur ses résolutions. On dit aussi qu'il criait à ses (page 443) aides-de-camp qui partaient au galop pour le Parc : Que les soldats tiennent ferme, les croix ne leur manqueront pas ! et qu'un Belge prisonnier qui l'entendit osa lui répondre : Prince, si vous voulez récompenser la valeur, mettez vos croix dans vos canons et envoyez-les aux Belges au lieu de mitraille !

La nuit seule mit un terme, comme nous l'avons vu, aux attaques principales contre le Parc ; on n'avait eu ni le temps, ni les moyens de transporter et de secourir nos braves blessés ; on s'en occupa toute la nuit, et pas un seul ne fut abandonné ni oublié ; on parla à la vérité de quelques accidents arrivés aux brancards dans les transports faits sous les yeux et sous les balles de l'ennemi ! Le général en chef ne trouvait pas même un moment pour rendre compte de nos opérations au Gouvernement provisoire qui ne dut s'apercevoir qu'à la vivacité de nos feux que le courage de nos volontaires répondait à l'attitude énergique qu'il avait prise.

Quatorze cents et quelques coups de canon, à boulets, à obus et à mitraille avaient retenti dans Bruxelles, pendant cette quatrième et dernière journée de la bataille ; quant au nombre de cartouches consommées, il est incalculable ; il faudrait compter peut-être par centaines de mille ! nous eûmes plus de 200 hommes hors de combat ; on évalua la perte de l'ennemi au triple ; 30 à 40 maisons avaient encore été pillées ou dévastées et plusieurs brûlées ! et après tant d'efforts, de sang et de malheurs, aucun résultat marquant n'avait été obtenu ; les deux partis en présence conservaient à huit heures du soir, à très peu de chose près, le même aspect (page 444) et les mêmes positions que la veille et que les deux jours antérieurs, et Bruxelles offrait la même apparence sous tous les rapports. Personne ne s'attendait à la retraite si prochaine de nos ennemis, mais on avait confiance dans une victoire qu'on regardait comme certaine ; l'arrivée continuelle des volontaires rendait le reste de la ville un peu plus animé que les autres nuits ; ils étaient logés alors chez les bourgeois où ils étaient fêtés et accueillis ; les nouvelles qu'ils apportaient, les renforts nouveaux qu'ils annonçaient exaltaient toutes les têtes et prouvaient que la Belgique se levait en masse contre ses oppresseurs ; leur courage était évident ; il était plus difficile de le contenir que de l'exciter ; tous ces gens voulaient courir au feu. Ceux qui avaient passé aux environs d'Anvers, de Gand, Malines, Alost et Termonde rapportaient que ces villes déjà encombrées de blessés ne renfermaient que des soldats découragés, démoralisés, la plupart belges et qui refusaient de marcher sur Bruxelles. Enfin avec un peu de temps, d'ordre, de subordination et quelques canons de plus, les Hollandais allaient être irrévocablement vaincus et chassés de Bruxelles par la force.

Dans la matinée, le peuple toujours soupçonneux et défiant à l'excès se réunit en groupes et fit mine de vouloir piller les hôtels de plusieurs ambassadeurs. L'agent général y courut, fit afficher l'ordre suivant sur la porte du consulat suisse ( V. ci-après pièce no 5. ), et plus tard, après l'évacuation, celui ci-dessous (V. pièce no 6.), sur les portes des ambassadeurs d'Autriche, d'Angleterre et d'Espagne, plus particulièrement menacés. (page 445)Ces mesures eurent un plein succès, et les hôtels ainsi placés sous la sauvegarde de la bourgeoisie furent respectés, après avoir couru de très grands dangers.

Les journaux qui, ce jour-là, furent distribués dans la soirée, apprirent que le Gouvernement provisoire venait de recevoir 450,000 florins, sans dire de qui, et que 168 barils de poudre et 36 bouches à feu nous arrivaient d'Ath qui venait de se rendre ; ils contenaient aussi l'adresse des États-Généraux, la réponse du roi, le discours de M. de Gerlache, etc., sous les dates des 21 et 22. (V. ci-dessus, page 249. ) Ces monuments de dérision et d'ineptie arrivant au milieu de nous, en même temps que les obus hollandais, contribuèrent à entretenir, à exalter l'irritation déjà extrême, à faire oublier toute lassitude, à écarter tout découragement, à confirmer dans toutes les âmes la résolution de vaincre ou de mourir.

La soirée et la nuit se passèrent à renforcer nos travaux d'attaque et de défense. La montagne du Parc était destinée par l'expérience à devenir le point principal de nos opérations offensives ; elle fut mise en état d'appuyer un coup décisif ; M. Kessels y trouva l'occasion de prouver son zèle habituel dans l'exécution de nos ouvrages sur ce point central de notre ligne ; il fut chargé de construire, tout au sommet, et en avant de la barricade avancée, une autre barricade en demi-lune, très élevée, et qui s'appuyait contre la grille même, afin de pouvoir faire agir l'artillerie à droite et à gauche sur toute la rue Royale. Kessels, quoique secondé par un bien petit nombre d'ouvriers, y travailla toute la nuit et (page 446) avait achevé et consolidé son ouvrage avant la retraite de l'ennemi.

Le général Mellinet de son côté disposa tout pour la défense de la Place-Royale.

Sur tout le front de notre extrême gauche, vers la porte de Schaerbeck et le boulevard, M. Desgalets, commandant alors le 1er corps franc, joint aux volontaires de Louvain et de Leuze, complétait notre ligne de défense et la sûreté des diverses positions que nous avions reprises de ce côté dans la journée.

Ainsi vers le soir notre front de bataille qui entourait et menaçait le Parc, formait un demi-cercle par tant de l'hôtel Torrington, alors en flammes depuis le matin, et s'étendait tout le long de la rue Royale jusqu'à l'hôtel de Belle-Vue ; de là il se prolongeait vers la rue Verte par les maisons contiguës aux cours des Palais dont les derrières étaient également en feu ; ces deux vastes embrasements aux deux extrémités du Parc menaçaient sans cesse de réduire en cendre le plus beau et le plus riche quartier de la ville. Le corps des pompiers réorganisé depuis peu et qui, en tant de circonstances, à rendu à Bruxelles les plus utiles services, se dévoua encore en cette occasion ; quelques-uns de ces braves coururent les plus grands dangers en cherchant à maîtriser le feu de notre côté et échappèrent comme par miracle à la fusillade de l'ennemi. Ce fut surtout à la lueur des flammes que l'on put s'occuper de part et d'autres à ramasser les blessés et à emporter les morts.

Tandis que ces événements se passaient en ville, une compagnie franche de volontaires se préparait à marcher (page 447) pendant la nuit à l'extérieur et à contribuer, sans le savoir, à un coup de main qu'une poignée de gens dévoués devait tenter sur le quartier-général du prince ennemi.

Après les fatigues d'une journée qui marquera dans nos fastes, on ne pouvait s'attendre à réunir à nos avant-postes, des gardes plus nombreuses que celles des nuits précédentes. On fut obligé, comme la veille, de rentrer tous nos canons dans l'intérieur des barricades pour les préserver d'un coup de main. Le quartier-général de Don Juan, à cent pas de l'ennemi, n'était séparé du Parc que par de faibles jalousies ; quelques officiers dévoués, parmi lesquels on comptait MM. Trumper, Jalheau, Goffin, etc., et le peu de monde qui travaillait avec Kessels, composaient toutes les forces à opposer à une surprise nocturne.

En général l'aspect de Bruxelles, pendant ce dernier jour, n'était plus aussi morne, aussi désert ; la certitude d'une victoire prochaine faisait sortir les habitants de leurs retraites ; le mouvement renaissait, les étrangers arrivaient sans cesse et tout se précipitait vers l'ennemi. Les dames mèmes paraissaient aux ambulances, les maisons étaient ouvertes, tous les secours étaient prodigués aux blessés ; partout on faisait des cartouches, des gargousses, de la mitraille ! Les femmes du peuple portaient du pain, des vivres et des munitions à leurs époux, à leurs fils qui combattaient, pour les empêcher de quitter le champ de bataille, comme les jours précédents ; Bruxelles était devenu à la fois un vaste hôpital et un inépuisable arsenal, et cette populace, dont on craignait le pillage, ne commit pas le moindre désordre et se (page 448) trouvait presqu'entière devant l'ennemi. La journée du 26 septembre 1830 sera sans doute la plus mémorable, la plus glorieuse des annales bruxelloises.


Pièces publiées à Bruxelles le 26 septembre 1830

No 1. Gouvernement provisoire

Vu l'absence de toute autorité, tant à Bruxelles que dans la plupart des villes et des communes de la Belgique ;

Considérant que, dans les circonstances actuelles, un centre général d'opérations est le seul moyen de vaincre nos ennemis et de faire triompher la cause du peuple belge.

Le gouvernement provisoire demeure constitué de la manière suivante :

MM. le baron VANDERLINDEN D'HOOGVORST ; CH. ROGIER ; le comte FÉLIX DE MERODE ; GENDEBIEN ; S. VANDEWEYER, JOLLY ; J. VANDERLINDEN, trésorier ; Baron F. DE COPPIN, J. NICOLAY, Secrétaires.

Bruxelles, le 26 septembre 1830.

Suivent les signatures.


No 2. Arrêté

Le gouvernement provisoire, vu la requête présentée par MM. Engler, Messel-Blissett, Matthieu - Moeremans, Rahlenbeek, Michiels et autres négociants recommandables de Bruxelles, sur l'impossibilité où se trouve le commerce d'encaisser aucun effet et de remplir les formalités exigées par la loi en cas de non-paiement à leur échéance.

(page 449) Reconnaissant l'urgence des mesures réclamées par le commerce, dans les circonstances actuelles.

Proroge de 25 jours l'échéance de tous les effets de commerce sur la place de Bruxelles, créés antérieurement à la date de ce jour.

La présente ordonnance sera exécutoire à partir du 28 du présent mois de septembre jusqu'à révocation ultérieure.

Mêmes date et signatures.

No 3. Proclamation

Braves militaires belges ! depuis trop longtemps vous êtes sacrifiés à la jalousie des Hollandais qui, non contents de s'emparer de tous les grades, saisissent toutes les occasions de vous humilier et de vous maltraiter. Ce régime odieux de partialité et d'injustices de toute espèce qu'ils ont fait peser sur la Belgique ne vous a que trop longtemps opprimés. Braves soldats ! le moment est venu de délivrer notre patrie du joug que fait peser sur nous cette nation dégénérée. Ils ont donné eux-mêmes le signal de la séparation.

Le sang belge a coulé ; il coule encore par les ordres de celui qui a reçu vos serments ; cette effusion d'un sang généreux a rompu tous liens ; les Belges sont déliés. Nous les délions de tout serment.

Que tous les Hollandais qui sont dans vos rangs en sortent et rentrent dans leurs foyers ; la nation belge est assez forte et trop généreuse pour user de représailles.

Braves soldats ! continuez de vous ranger sous nos drapeaux ; le nom de Belge ne sera plus un motif d'injustice, il deviendra un titre de gloire.

Mêmes date et signatures.


(page 450) No 4. Rapport

L'attaque générale du Parc disposée dans cette matinée par le commandant en chef, est commencée avec une telle vigueur que le combat le plus sanglant s'engage, en ce moment dix heures, dans les maisons qui entourent le Parc. Les boulets, les bombes et les obus volent de tous côtés.

L'ennemi abandonne les maisons et fuit vers le centre du Parc. Il vient de mettre le feu aux beaux bâtiments des Etats-Généraux avant de les évacuer.

Le comte Vandermeeren dirige l'attaque des maisons de la gauche du Parc ; le jeune commandant Parent, élève de l'école polytechnique de Paris, qui jouit de toute la confiance du général en chef, commande une batterie de deux pièces qui enfile déjà celle de l'ennemi placée au palais du prince d'Orange

Le commandant en chef qui parcourt sous le feu toute la ligne, doit se trouver en ce moment au coin de la Montagne du Parc où les tirailleurs, sous les ordres du capitaine Bouchez, ancien officier de l'armée française décoré, ont fait des prodiges de valeur en se précipitant dans les maisons encore occupées par les soldats.

Quartier-général, le 26 à 10 heures.

Non-signé


No 5. Sauvegarde

L'Agent général du Gouvernement provisoire ordonne de respecter la maison du Consulat suisse et fait défense à tout homme armé d'y pénétrer.

Bruxelles, 26 septembre 1830.

Signé, ENGELSPACH.


No 6. Sauvegarde

L'agent général du gouvernement provisoire

Est confié à l'honneur et à la probité des braves gardes bourgeois, l'hôtel de l'ambassadeur de . . . . l'auteur de la moindre infraction au présent ordre sera fusillé sur-le-champ devant l'hôtel.

Bruxelles, le 27 septembre 1830, à 8 heures du matin.

Signé, ENGELSPACH.