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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre XVIII. Journée du jeudi 23 septembre 1830

Bataille de Bruxelles, premier jour. Combats de Louvain

(page 252) D'après les événements dont on vient de lire le précis, la proclamation du prince Frédéric et l'état des choses et des hommes, l'on devait s'attendre à tout ; cependant le très grand nombre était bien loin d'être préparé et décidé.

La nuit avait été parfaitement tranquille, bien différente en cela de la précédente ! les postes, tous très faibles, établis aux trois portes du haut de la ville, étaient commandés par M. E. Grégoire, et confiés aux officiers des volontaires bruxellois, armés depuis trois jours.

Dès 4 heures du matin, quelques paysans et plusieurs vedettes avancées accoururent aux portes de Schaerbeek et de Flandre, et annoncèrent que les troupes s'avançaient en force et en colonnes serrées.

(page 252) Il faut rendre ici hommage à la vérité et dire que, depuis deux jours, on était si habitué à cette nouvelle et à de fausses alertes que presque personne n'y ajouta foi dans le premier moment, pas même les postes des portes qui restèrent dégarnis. Le tocsin ne se fit point entendre.

Mais Frédéric devait tenir parole, et, à 6 heures du matin, l'on ne put plus douter d'une attaque sérieuse et imminente.

La garde bourgeoise avait disparu, et même la majeure partie de son état-major ; il fallait chercher dans d'autres éléments, dans les Liégeois, les paysans, les volontaires, la populace, parmi les pauvres enfin, les défenseurs de Bruxelles ! On comptait dans leurs rangs bien peu de riches, de nobles, ou de bourgeois aisés et encore, parmi ces trois classes, prit-on alors des partis différents.

On avait déjà pu les pressentir la veille, dans une première réunion formée à l'Hôtel-de-Ville, vers 6 heures du soir, où s'étaient trouvés 1° MM. E. d'Hoogvorst commandant en chef de la garde bourgeoise ; 2° Plétinckx devenu dès lors commandant en chef des forces mobiles par l'absence de M. Vandermeere ; 3° Palmaert fils, major ; 4° E. Grégoire ; 5° Roussel de Louvain ; 6° Nique ; et 7°-8° les deux MM. Bayet, et où les avis s'étaient partagés sur la question de savoir s'il fallait ou non tenter la défense de Bruxelles.

Les uns croyaient cette défense illusoire, impraticable, impossible ; ils ne voulaient point répandre le sang inutilement, ils pensaient qu'il valait mieux se retirer, céder pour le moment à la loi de la force et de la nécessité, (page 254) ne pas attirer sur Bruxelles les derniers malheurs et peut être la destruction, sans espoir ni chance de succès, attendre les événements au loin et essayer de faire soulever les campagnes, de harceler l'armée envahissante, etc.

Ceux-là quittèrent Bruxelles dans la nuit, et surtout le matin au moment de l'approche des troupes ; ils s'éloignèrent beaucoup ; plusieurs d'entre eux, imitant l'exemple précédemment donné par les membres de la Commission de sûreté, passèrent même les frontières méridionales, et ne reparurent qu'aux cris de victoire ; un grand nombre de familles riches les suivirent ; on était heurté dans les rues par le transport des malles et des paquets.

Ces émigrants formaient le plus grand nombre ; loin de nous la pensée de déverser le blâme sur leur conduite, ou leurs intentions ; cela serait d'ailleurs impossible puisque l'on comptait parmi eux M. le comte Félix de Mérode, parti dès le 20, et qui depuis l'a déclaré lui-même avec autant de franchise que de publicité et de noblesse.

Les autres, et ils étaient en bien petit nombre, n'écoutant que leur courage, leur patriotisme et leur haine pour le nom hollandais, sans réfléchir aux chances de succès, sans s'inquiéter des suites, des conséquences, avaient résolu de se défendre jusqu'à la mort, et d'obtenir, à tout prix, l'entraînement des masses.

On comptait parmi eux les Liégeois, les chefs des volontaires bruxellois existant seulement depuis le 20, quelques officiers de la garde bourgeoise et M. d'Hoogvoorst enfin, commandant en chef de cette garde, qui resta (page 255) un moment presque seul, mais qui n'abandonna jamais le poste du péril, de l'honneur et du devoir.

Ceux-là tinrent parole aussi ; ils coururent aux armes quand ils virent approcher l'ennemi ; ils firent d'abord renforcer les barricades et les postes des portes de la ville, volèrent au secours de notre artillerie (6 pièces) concentrées, depuis la veille au soir, dans la caserne des Annonciades, excitèrent, par tous les moyens humainement possibles, le peuple entier à la défense, à l'enthousiasme, à dépaver encore les rues ; ils étaient partout au milieu de cette nuit pluvieuse, ils se multipliaient pour ainsi dire et parvenaient souvent à se faire écouter, quelquefois à se faire obéir ; citons parmi eux le brave et malheureux baron Fellner !

Cependant lors de la réunion du 22 à 6 heures du soir dont nous venons de parler, il fut décidé qu'on se défendrait ; MM. Roussel et Grégoire déclarèrent qu'ils le tenteraient seuls, s'il le fallait et malgré tous et contre tous ! Ils entraînèrent toutes les opinions et tous les courages.

Mais bientôt les bruits et les nouvelles s'accumulèrent avec les heures ; on grossissait à l'excès l'armée du Prince, on la disait en marche etc., et une seconde réunion eut lieu à minuit ; elle n'était plus composée comme la première ! MM. Roussel et Grégoire étaient alors aux avant-postes, et la plupart de ceux qui avaient délibéré avec eux à 6 heures du soir, étaient partis. Là il fut décidé, à l'unanimité qu'on ne se défendrait pas. Nos données ne sont pas assez certaines pour que nous puissions hasarder d'inscrire ici les noms de ceux qui formèrent ce conseil !

L'armée ennemie s'avançait par les quatre routes de Flandre, de Laeken, de Schaerbeek et de Louvain ; on (page 256) voyait à chaque colonne d'attaque des batteries d'artillerie, et une cavalerie nombreuse.

Les quatre attaques combinées furent exécutées à la fois et au même instant ; le premier coup de canon fut tiré à huit heures et un quart ; dès sept heures le tocsin se faisait entendre à toutes les églises et ne cessa qu'avec le feu vers six heures du soir.

Attaque de la porte de Flandre

Il est devenu certain pour nous que les deux démonstrations du bas de la ville étaient des fausses attaques et que les troupes n'y devaient pas même passer les portes ; on voulait détourner l'attention, faire diversion, et s'il en fut autrement sur cette partie du champ de bataille, c'est que les assaillants, ne trouvant d'abord que peu de résistance, se laissèrent emporter imprudemment par l'ardeur d'un premier succès.

Cette opinion, confirmée depuis par les rapports ou déclarations d'officiers hollandais eux-mêmes, n'est pas celle de tout le monde ; on a peine à croire qu'on ait déployé tant de forces pour de simples diversions.

Quoi qu'il en soit, 800 hommes environ de la 5ème division et 300 de cavalerie (hussards n° 6) avec quatre pièces de canon, le tout commandé par le colonel Boekorven de la 5ème, après avoir chassé nos avant-postes devant eux, se présentèrent à la porte avant huit heures du matin, la cavalerie en tête. Il n'y avait là qu'une vingtaine de tirailleurs non commandés ; ils firent feu et se retirèrent. La situation de cette entrée de la ville, par suite des travaux du canal de Charleroi, offrait peu de moyens (page 257) de défense ; les barricades étaient insuffisantes ; les sapeurs ennemis les aplanirent, les hussards les franchirent, l'infanterie suivit ; les pièces restèrent en position à l'arrière-garde.

On avançait cependant lentement et avec précaution ; la rue était barricadée et la troupe ne tenta pas d'occuper les rues adjacentes, ni les maisons d'où cependant il partait quelques coups de fusil ; son allure démontrait qu'elle se flattait de ne pas trouver d'ennemis à combattre et qu'elle était pressée d'arriver.

Mais parvenue à environ cinquante pas du Marché-aux-Porcs, près la rue nommée Rempart-des-Moines, force lui fut de s'arrêter ; la barricade était là plus forte, plus élevée et mieux défendue ; il était alors près de neuf heures.

Les hussards, après un moment d'hésitation, allaient cependant tenter le passage, quand un bourgeois, accourant de la porte de Laeken, d'où l'ennemi venait déjà d'être repoussé, se présenta en parlementaire, pour engager les troupes à se retirer ; il était accompagné et fut suivi de plusieurs autres braves ; on a depuis nié ce fut le docteur Trumper qui cependant a lui-même affirmé son identité ! Mais toujours est-il vrai que des mots menaçants ayant été échangés et ses instances ayant été méprisées, ni l'inégalité du nombre, ni le défaut de munitions, ni la crainte d'être traités en rebelles, rien n'intimida le peu d'hommes déterminés qui gardaient ce poste ; une décharge partie de la barricade en face blessa et tua des hommes et des chevaux et mit le désordre dans les premiers rangs de la cavalerie dont le commandant tomba, frappé à mort ; une seconde suivit de près, (page 258) et aussitôt le feu roulant des tirailleurs redoubla tout le long de la rue, jusqu'à la porte de la ville et fit, presqu'à bout portant, un grand ravage dans les rangs serrés des soldats. L'infanterie riposta par des feux de peloton de plus de 200 coups de fusil à la fois, mais devait tirer trop haut ayant la cavalerie devant elle ; celle-ci tira quelques coups de mousqueton, et bientôt, gênée par la barricade, se retira en désordre pour faire place aux fantassins qui s'avançaient au pas de charge. Ceux-ci parvinrent enfin près de la barricade et exécutèrent là, de plus près et plus sûrement, des nouveaux feux de peloton qui tuèrent et blessèrent des bourgeois. D'un autre côté, les quatre bouches à feu restées près de la porte commencèrent alors à tirer ; des habitants paisibles furent tués sur les portes de leurs maisons. En ce moment, un jeune homme fut blessé mortellement par un boulet, près de la grue.

Ce fut alors surtout que l'on pût dire avec vérité que la population entière de ce quartier s'élança sur les Hollandais, et que les habitants de la partie de la rue de Flandre occupée par les troupes, devenus exaspérés et furieux, lancèrent de toutes les fenêtres, de tous les toits, des pavés, des meubles, des bûches, de la ferraille, des poêles en fonte et jusqu'à de la chaux sur les soldats ; tout devenait armes pour le peuple ; c'était une pluie de projectiles qui écrasait hommes et chevaux ; la tête de la colonne fut d'abord mise en désordre ; elle fut aussitôt chargée de toutes parts, mise en fuite et en partie désarmée ; un lieutenant-colonel d'infanterie et le major des hussards restèrent prisonniers des vainqueurs ; les carabines, mousquetons et fusils jetés par les fuyards, servirent à armer de nouveaux défenseurs de Bruxelles.

Les assaillants étonnés d'abord, cherchant vainement à se défendre et mis d'ailleurs en un continuel désordre par leur cavalerie qui se rejetait sans cesse en arrière, songèrent à la retraite que le colonel ordonna d'autant plus facilement, qu'il était sans doute entré dans la ville contre ses ordres.

Il y eut là un moment d'excessive confusion ; les habitants de tout âge et de tout sexe montrèrent un courage et un acharnement sans égal. Nos tirailleurs incessamment renforcés pressèrent la retraite à coups de fusils redoublés, chargèrent même à la baïonnette et poursuivirent l'ennemi jusque bien au-delà du village de Molenbeek.

Un peloton de 25 à 30 hommes commandés par M. F. Vandoorn, imprimeur, sergent de la 1èreèmecompagnie de la 3m section, s'y distingua et marcha le premier en avant, après avoir essuyé 3 décharges ; un soldat de cet intrépide peloton, ancien tambour français, s'étant emparé d'une caisse de l'ennemi, battît la charge jusqu'à la sortie de la ville.

Les bourgeois perdirent 9 hommes tués et plus de 25 blessés ; mais l'ennemi eût plus de 100 hommes hors de combat, dont 40 tués, et perdit 30 prisonniers et 14 chevaux dont plusieurs furent pris vivants.

Des femmes rétablirent la barricade de la porte de la ville sous les balles même de l'ennemi en retraite ; une demi-heure après des hussards ayant fait un grand détour, se montrèrent encore sur la droite du canal de Charleroi ; le même peloton d'avant-garde les chargea et les mit en fuite.

(page 260) Dès ce moment l'ennemi ne reparut plus, et avant 10 heures du matin, la rue était délivrée et la victoire complète.

Les troupes après être restées en ville plus d'une heure, se retirèrent à Assche, bourg à 2 lieues de distance ; elles y séjournèrent jusqu'au 30, sans aller rejoindre le Prince Frédéric par des traverses, comme firent celles repoussées à la porte de Laeken. Elle était si démoralisées, si craintives, depuis cet échec honteux et décisif, qu'elles ménagèrent les paysans qui d'ailleurs étaient partout en armes et tuaient sans pitié les maraudeurs. On assura que, durant ces 8 jours, il en périt une vingtaine de cette manière ; les blessés s'évacuèrent sur Alost et sur Gand.

On vérifia à l'ambulance d'Alost que, sur 47 blessés, 5 seulement l'étaient réellement ; les autres le feignaient et s'étaient fait des égratignures ou frotté la tête avec de la chaux, etc.

Le séjour prolongé de cette force de plus de 1000 hommes sur un point où elle resta forcément inactive, avait visiblement pour objet d'intercepter et d'empêcher les secours que les Flandres pouvaient envoyer à la défense de Bruxelles ; on atteignit ce but, mais sans résultat et Boekorven qui croyait aller joindre le Prince victorieux à Bruxelles, se rallia plus tard au Prince fuyard à Anvers.

Tel est le récit le plus succinct, le plus véridique possible du combat de la rue de Flandre, si glorieux pour les Bruxellois, si humiliant pour les Hollandais ! on regrette de ne pouvoir ici consigner les noms de tous ceux qui s'y sont couverts de gloire ; ils ont paru vouloir joindre la modestie au courage et rester inconnus. Nous (page 261) pouvons cependant citer MM. Jacobs de Malines, Cardoens, Govaerts, Slosse, Moens de Bruxelles, J. A. Cohen de Molenbeek, et Pourbaix de Liége, tous faisant partie du peloton d'avant-garde ; nous convenons toutefois qu'il reste encore une sorte de diffusion dans les diverses relations de ce fait d'armes.

Attaque de la porte de Laeken

40 hommes au plus gardaient ce poste ; là fut tiré le premier coup de canon ; le commandant hollandais fut le plus pressé ; la démonstration qu'il dirigeait se fit sur ce point par 800 hommes environ, infanterie et cavalerie et 3 bouches à feu. Les barricades étaient fortes et élevées ; on les canonna ; nos tirailleurs y tinrent ferme, malgré la mitraille, et ripostèrent par les fenêtres mêmes du faubourg, en inquiétant hardiment les flancs de la colonne d'attaque ; mais bientôt après, pris eux-mêmes en flanc par la fusillade du Jardin botanique qui venait d'être occupé, ils durent se retirer aux Champs-Elysées et surtout dans l'établissement de Belle-Vue avec perte de 3 hommes. L'ennemi alors s'approcha et reconnut la porte ; mais voyant ses défenses et la bonne contenance de notre poignée de braves dont le nombre s'accroissait à chaque minute et qui tiraient sans cesse, il jugea convenable d'exécuter ses ordres à la lettre et de ne point tenter d'entrer en ville ; il recula en désordre, malgré son immense supériorité de nombre, de forces et de moyens, n'attaqua point sérieusement et passer la rivière sur un pont jeté à la hâte un peu (page 362) en arrière, pour rejoindre, du moins en grande partie, l'armée principale du prince Frédéric, derrière le Jardin botanique, avec perte de plusieurs tués et blessés et de 4 chevaux, sans avoir le moins du monde, atteint son but de diversion, ni écarté un seul homme de la défense du haut de la ville ; au contraire, il contribua à répandre l'alarme et à réunir sur ce point un peloton d'hommes déterminés qui, comme on vient de le voir, volèrent à l'instant aider à remporter le succès marquant et décisif de la rue de Flandre.

Cependant 200 hommes de ce détachement avec 2 canons, se retirèrent au pont de Laeken, en fusillant les fenêtres du faubourg où ils tuèrent 2 malheureux bourgeois inoffensifs. Ils restèrent, près du pont, quatre jours entiers inactifs et sans la moindre communication, en occupant les cabarets et maisons de la rive droite du canal. Fusillés sur l'autre rive par les paysans de Laeken, n'osant de ce côté s'approcher de la ville, ni s'écarter d'un pas du poste qu'ils devaient garder à tout prix, ils ne tardèrent pas à manquer de vivres et durent tuer et dévorer pour subsister quatre des chevaux attelés à leurs canons. Ce fait peu connu, cette sorte de famine factice aux portes d'une grande ville et au milieu d'un pays d'abondance, explique mieux que tous les récits, la nature de la lutte et porte le cachet véritable de cette époque d'exaspération, de dévouement et de patriotisme.

Attaque de la porte de Schaerbeek

Voici le point de la véritable attaque de Bruxelles ; il avait été choisi sans doute comme le plus favorable (page 263) au jeu de l'artillerie, sur tout le développement de la belle et longue rue Royale ; ce côté de la ville est d'ailleurs l'un des plus élevés et des moins populeux. On sait qu'une partie de cette rue, tracée sur le versant d'un coteau rapide, n'est point encore bâtie et offre de grands vides qui ressemblent à des ravins ou même à des précipices ; ainsi, d'une part, il y avait là moins de monde et moins de maisons ; de l'autre, bien plus de facilités pour forcer le passage. Tout y était favorable à l'attaque décisive que l'on porta sur ce point ; les boulets pouvaient plonger sur toute la longueur de la rue, jusque vers le pont de fer ; de la part des habitants, plus rares dans ce quartier, rien n'avait été fait pour s'opposer sérieusement à l'occupation de cette rue si importante ; il paraissait donc que la ville entière devait succomber et se rendre quand toute cette position aurait été emportée ! et l'on comptait bien sans doute là-dessus ! Erreur et déception ! fantasmagorie nouvelle qui semble être comme inhérente aux actes, à l'essence, à l'existence même de tout ce qui est hollandais, gouvernement et individus !

Les fautes, les gaucheries se sont tellement multipliées dans toute cette funeste et impie expédition hollandaise du prince Frédéric, qu'elles ne sont surpassées en nombre que par les crimes dont s'y souillèrent ses soldats.

Concevra-t-on jamais, par exemple, que les troupes concentrées, la veille au soir, sur Zellick, Vilvorde, Dighem et environs, à beaucoup moins de deux petites lieues de Bruxelles dans tous les sens, et dans un pays si connu, se soient ébranlées à minuit pour n'arriver (page 264)) aux portes de la ville qu'à 8 heures du matin ? Et quel résultat différent, sous tous les rapports, pouvait avoir une attaque de nuit, faite avec promptitude et décision, à trois heures du matin et à l'improviste ! Le fait est incroyable, dira-t-on. C'est vrai ; mais dans notre siècle, c'est peut-être une raison de plus pour qu'il soit certain.

Quel spectacle, inouï dans l'histoire, à retracer à la postérité, que celui d'une armée entière, composée de Hollandais, de Suisses et en très grande partie de Belges, commandée par le fils du roi, annonçant qu'elle venait en amie et en souveraine occuper une ville sujette, qu'elle avait quittée forcément 20 jours justes auparavant ! se présentant en ennemie, reçue comme telle, regardée comme envahissante et destructrice, employant tous ses foudres, ne ménageant rien, ne respectant rien, regardant ses frères, ses concitoyens comme des brigands révoltés ! et bientôt après ! réduite à fuir honteusement, vaincue dans cette même ville où, venue le miel à la bouche, elle avait apporté le fer, le feu et la mort ! La page sera-t-elle crue par nos neveux ? Nous poursuivons.

Le corps d'armée qui débouchait sur ce point, se composait de 2 bataillons de grenadiers organisés à La Haye et à Bruxelles, et formant un effectif d'environ 1400 hommes, d'un bataillon de chasseurs, de 2 bataillons de la 9me division (de mille hommes chacun), 3 de la 10me, 2 de la 15me, de 600 hommes du bataillon d'instruction, de 3 escadrons de dragons légers, 3 de cuirassiers et de 16 bouches à feu, non compris le parc de réserve ; total, plus de 7000 combattants, presque deux fois autant que les forces réelles des Bruxellois !

(page 265) La cavalerie reconnut, avant 8 heures du matin, les 3 barricades avancées et chevaux de frise en dehors de la porte ; elles étaient peu défendues ; il n'y avait pas là 40 hommes qui se replièrent sur la porte en tiraillant. Ces ouvrages extérieurs étaient si faibles qu'ils ne pouvaient tout au plus qu'indiquer l'intention de se défendre ; ils étaient commandés de toutes parts par des terrains plus élevés d'où le feu de la mousqueterie pouvait les prendre en flanc, et dominer à nu leurs défenseurs qui n'avaient point d'artillerie pour les protéger.

On renonça cependant, chose étrange, à les emporter à l'arme blanche, et 4 bouches à feu commencèrent à perdre leur temps à tonner contre eux à portée de pistolet.

Pendant ce temps l'infanterie (les chasseurs) occupait toutes les maisons voisines du faubourg et tout le Jardin botanique d'où ses feux de peloton balayaient le boulevard où se réunissaient nos tirailleurs, et allaient même jusqu'à inquiéter les défenseurs de la porte de Laeken où le combat était déjà engagé.

Les grenadiers qui formaient la tête de la colonne d'attaque, protégés par une grêle de boulets et de mitraille qui avait déjà forcé les nôtres à reculer et à s'abriter dans les petites rues et dans les maisons voisines de la porte en dedans de la ville, s'avancèrent alors jusqu'à la grille, mais ils y trouvèrent la 4ème barricade élevée contre le grillage même, et dont la force avait résisté aux boulets. Ils la jugèrent si épaisse, si complète et si bien défendue en outre par les balles des tirailleurs voisins qui plongeaient de toutes parts sur ce point, qu'ils (page 266) ne tentèrent pas de la forcer ; mais ils la tournèrent, passèrent derrière l'aubette à leur gauche et, sans jeter un pont au-dessus du mur d'enceinte, ils l'abattirent, comblèrent en peu d'instants le fossé de chaque côté, et se frayèrent ainsi un passage facile, à l'abri de l'aubette qui les garantissait du feu des nôtres, déjà réfugiés, comme on vient de le dire, dans les premières maisons des rues Royale et de Schaerbeek.

Au moment de l'attaque, le poste n'était là que d'une soixantaine d'hommes au plus, y compris les tirailleurs avancés, la plupart du corps franc de Rodenbach et de Niellon, avec quelques Liégeois ; mais aucun chef reconnu n'était présent, et en 10 minutes ce nombre fut doublé. On se réunit sous le feu et on choisit à l'instant pour capitaine le brave Stildorf qui se distingua par son sang-froid et sa bravoure et qui, un moment après, suivi tout au plus de 25 combattants déterminés, s'élança au milieu de la mitraille et en dehors de la porte, pour prendre dans les rangs ennemis une des pièces qui nous foudroyait ; dans cet instant une balle lui cassa la jambe ; ce malheur fit manquer ce trait d'audace ; il tomba et se fit transporter à quelques pas de là, dans la 4ème maison de la rue de Schaerbeek, d'où il continua de donner ses ordres toute la journée ; il ne quitta que le 25, quand les ennemis parvinrent à s'avancer dans cette rue.

A dater de ce moment, nos tirailleurs ne purent plus tenir aux barricades attaquées aussi vivement par les boulets et même à la baïonnette ; ils se crénelèrent dans toutes les maisons et les défendirent pied à pied et avec tant de succès, qu'après 4 jours de combats, l'ennemi (page 267) n'avait pas encore pu forcer la 4ème barricade placée au premier coude de cette même rue de Schaerbeek, en face du cabaret de Sainte Anne, à moins de 150 toises du boulevard. Le feu n'y cessa pas un seul instant pendant toute la bataille ; les vestiges de destruction nous l'ont assez attesté !

Nous avons vu que, dès le 22 au soir, M. Plétinckx était devenu, de nom au moins, car personne ne commanda de fait ce jour-là, commandant des forces mobiles ; en cette qualité il chargea sur le champ M. E. Grégoire de la direction de l'artillerie ; celui-ci fit aussitôt concentrer notre unique batterie (composée de 6 pièces de 4 et 6) dans la caserne des Annonciades où elle passa la nuit, jugeant prudent de ne laisser aucune de nos pièces dispersées et éparses aux portes de Flandre et de Schaerbeek ; quant aux canons de petit calibre, et presque portatifs, il les laissa à leurs maîtres qui les manœuvrèrent et les dirigèrent à leur gré.

A la première alarme, vers 7 heures du matin, M. Grégoire était avec sa batterie près de la porte de Louvain ; il fit tirer sur les assaillants et y tint aussi longtemps que possible contre les charges et la mitraille ; il se retira ensuite lentement par les boulevards ; dans ce trajet le feu devint si meurtrier et si rapproché que deux de nos pièces furent un instant abandonnées par tous leurs artilleurs, sauf par un seul ; un jeune homme, neveu de M. Lebroussart, sortant par hasard de chez lui, força, le pistolet au poing, les canonniers à rejoindre leurs pièces et à suivre le mouvement de retraite ; la batterie s'arrêta encore entre le palais du prince et le (page 268) jardin de celui du roi et y tint près d'une heure en mitraillant toujours ; mais enfin elle dut aussi quitter cette position pour ne pas être coupée et prise ; elle se sépara alors ; 2 pièces se dirigèrent vers la porte de Namur et le boulevard de Waterloo, où elles restèrent en batterie volante, pendant les 4 jours de la bataille, et les 4 autres, sous les ordres de M. E. Grégoire, ayant sous lui, Charlier, jambe de bois, allèrent le long du parc qu'elles foudroyèrent en passant, prendre poste à la place Royale et ses environs.

Seize bouches à feu hollandaises ayant passé le mur derrière l'aubette, commencèrent, placées en partie dans les barricades intérieures, à canonner la rue Royale sur toute sa longueur ; elle fut alors balayée par plus de cent coups de canon et complétement évacuée ; des obus, dit-on, furent aussi lancés dans cette direction et tombèrent dans le Parc, mais sans causer de dommage. Immédiatement après, vers neuf heures, les grenadiers et chasseurs commandés par les lieutenants-colonels Anthing et Evers, sous les ordres du général de Bylandt, qui voulait effacer par une prompte victoire à Bruxelles, la honte dont il s'y était couvert les 25 et 26 août, où avec 12 à 1500 hommes sous les armes, il s'était laissé mener, battre, chasser, par quelques centaines d'enfants et de vagabonds ivres, se précipitèrent dans cette rue Royale au pas de charge et la baïonnette croisée ; ils atteignirent ainsi le Parc où ils entrèrent sans résistance, et où il n'y avait personne ; ils s'y établirent et occupèrent toutes les rues environnantes ; à neuf heures et demie toute cette position était emportée.

(page 269) Dans toute autre capitale que Bruxelles, le peuple, décidé à combattre, pourrait regarder comme un avantage de voir l'ennemi s'engager ainsi dans les rues ; mais outre ce que nous avons déjà dit de la largeur et de la position de la nouvelle rue Royale, il faut bien remarquer qu'à Bruxelles, la ville haute forme un sorte de citadelle dont cette rue est l'avenue ; elle mène droit au Parc qui domine tous les environs et qui est entouré d'édifices solides comparables à de petites forteresses. Rien de tout cela n'avait été mis en défense par les bourgeois et n'était pas même occupé par eux. Les troupes allaient donc se trouver là dans un poste inexpugnable ; il était de la plus haute importance de défendre cette rue, mais nous avons déjà vu que là surtout manquaient les barricades ; une de nos petites pièces de campagne s'arrêta un instant à découvert dans la rue pour contenir l'ennemi ; elle tira trois fois à mitraille de très près et tua plus de dix hommes ; mais chargée au pas de course, elle fut prise ; les canonniers s'échappèrent par la rue de l'Abricot.

Cependant quoique les maisons et les petites rues voisines de la rue Royale neuve et y aboutissant, fussent alors peu garnies de défenseurs, les troupes ne laissèrent pas que d'essuyer pendant cette marche, un feu très vif auquel elles ne répondirent point ; ce fut surtout à la terrasse du jardin de M. Dannoot, où nos tirailleurs étaient embusqués et bien couverts, qu'elles éprouvèrent une grande perte ; on tirait sur elles à bout portant ; les soldats tombaient sans même voir d'où partait le feu et sans pouvoir y riposter ; il y eut même là un moment de désordre ; la colonne fut rompue et coupée en deux. Un (page 270° peu plus loin, ces 1800 hommes d'élite, marchant en colonne profonde, furent encore arrêtés tout court aux deux barricades du Treurenberg ; là, nos tirailleurs, bien retranchés et plus nombreux, firent un feu si soutenu qu'il fallut bien y répondre enfin et attaquer à la baïonnette ; ce fut alors que les balles arrivèrent par le Treurenberg jusqu'à Sainte-Gudule.

Dans le trajet de la porte de Schaerbeek au Parc, l'ennemi perdit plus de 40 hommes tués et blessés ; les cadavres restèrent gisants dans la rue pendant 48 heures ; ce ne fut que pendant la nuit du samedi que les réserves de Schaerbeek firent dans la rue Royale une excursion timide et circonspecte et les enlevèrent.

D'un autre côté, le feu qui sortait de la rue de Louvain et des maisons dans cette direction était si violent que le commandant des grenadiers détacha, en passant, deux compagnies pour balayer cette rue et faire leur jonction avec les troupes arrivées par la porte de Louvain et les boulevards, tandis que la colonne continuait sa marche vers le Parc ; ces deux compagnie s'avancèrent dans la rue de Louvain en faisant feu et passèrent sur deux faibles barricades ; mais arrivées au coude de la rue de l'Orangerie où se trouvait un retranchement beaucoup plus fort, et en vue des leurs qui occupaient déjà l'autre extrémité de la rue vers la porte, le feu devint si général et si meurtrier autour d'elles, qu'elles ne purent aller plus loin ; elles revinrent alors sur leurs pas, mais il était trop tard ; tout était occupé par les bourgeois, et les barricades du Treurenberg étaient devenues inaccessibles pour elles. Les officiers le reconnurent bientôt et (page 271) tentèrent de se maintenir dans la rue de Louvain et dans quelques maisons qu'ils occupaient. Il y eut là des scènes et des traits de patriotisme qui rappelaient ceux de la rue de Flandre ; enfin vers midi, quelques grenadiers voyant que tout était perdu pour eux, qu'ils étaient cernés et allaient être fusillés jusqu'au dernier, jetèrent leurs armes et se rendirent ; tous suivirent bientôt cet exemple. Ce furent ces prisonniers que l'on vit au nombre d'environ 150, promenés en triomphe le même jour : dans la ville par petits détachements et qui les premiers furent conduits à la caserne des pompiers.

La même scène à peu près, se répéta rue de Notre-Dame-aux-Neiges que l'ennemi attaqua par la place d'Orange, qu'il ne put occuper qu'en partie et où plus de 50 hommes des siens furent coupés et faits prisonniers, le 23 et le 24, sans qu'il put réussir à établir par là aucune communication entre ses différentes colonnes d'attaque ; nous verrons bientôt que l'incendie de la caserne des Annonciades fut la conséquence de ces combats.

Le bruit courut pendant plusieurs jours et fut même répété par les journaux, que les grenadiers se présentèrent d'abord en amis à la porte de Schaerbeek, firent signe de parlementer, et que les nôtres s'étant approchés sans défiance, on fit feu sur eux par la plus infâme des trahisons ; mais il paraît que le fait est inexact et que c'est un crime à retrancher du catalogue hollandais.

Dans l'après-dîner, l'aide-de-camp lieutenant-colonel Géeroems se présenta en parlementaire de la part expresse du prince Frédéric à nos tirailleurs, rue de Louvain. On connaissait alors l'arrestation révoltante de (page 272) M. Ducpétiaux ; on en était indigné ; aussi le caractère de cet envoyé fut-il méconnu ; il fut arrêté sur-le-champ. On le maltraita et on le conduisit prisonnier en ville où il courut plus d'une fois risque d'être massacré, entre autres, rue de la Montagne où il fut sauvé par MM. V. M. et D. W. qui se dévouèrent pour lui. Plus loin le général Mellinet le prit sous sa sauvegarde, et le fit conduire à la caserne des Pompiers où il rejoignit ses compatriotes déjà détenus ; le prisonnier lui remit alors une déclaration écrite au crayon, dans laquelle il expliquait l'objet de sa mission qui était, disait-il, d'empêcher la ruine et la dévastation de Bruxelles par une prompte soumission ! telles étaient donc encore les idées, les projets du Prince !

Dans la nuit suivante le général Mellinet obtint l'autorisation de permettre à l'aide-de-camp d'écrire au prince Frédéric une longue lettre où il lui rendrait compte de ce qu'il avait vu et rencontré à Bruxelles et de l'esprit général de la ville. Cette lettre fut lue à l'Hôtel-de-Ville, approuvée et envoyée, ouverte, par deux jeunes gens de bonne volonté au Prince qui, dit-on, s'en moqua mais qui, du moins, ne put plus, dès lors, prétexter aucune excuse d'ignorance, ni alléguer que cette lettre lui était suspecte comme ayant été dictée au prisonnier.

L'aspect de cet officier supérieur conduit ainsi dans la ville par la populace armée, et par des hommes en guenilles, à qui l'on arrachait les épaulettes et qui répondait sans cesse à ceux qui le menaçaient à chaque instant de la mort, le sommaient de remettre son épée et (page 273) de jeter la cocarde orange, tuez-moi, mais ne me faites pas manquer à l'honneur ni à mon devoir ; ce cortège, disons-nous, offrait un spectacle frappant des effets et des malheurs des guerres civiles !

Dans ce premier moment surtout, nos tirailleurs manquaient de cartouches ; leur acharnement pour s'en procurer est inexprimable ; dès qu'ils voyaient tomber un ennemi, ils se précipitaient sur lui au milieu des balles, pour lui enlever sa giberne ; notre feu fut longtemps alimenté de cette manière, chaque soldat hollandais ayant 60 et même 80 cartouches. On vit des exemples nombreux de cette témérité, rues de Schaerbeek, Royale, de Louvain et aux Boulevards.

Dès que l'armée se fut emparée du Parc, plusieurs bataillons s'y établirent, occupèrent les palais et mirent des canons en batterie aux diverses issues ; mais elle négligea de s'emparer des postes et maisons sur sa droite, le long de la rue Royale, du côté de la ville basse ; elle tourna tous ses efforts vers sa gauche pour communiquer avec la porte de Louvain et avec la colonne d'attaque qui débouchait de ce côté ; nous avons déjà vu comment elle échoua.

Les 9ème et 10ème divisions et les dragons suivirent de près les grenadiers et les chasseurs par la même ouverture à droite de la porte de Schaerbeek, mais sans entrer dans la rue Royale, sauf une tentative inutile d'un bataillon qui, arrivant déjà trop tard, dut bientôt rebrousser chemin ; ils s'étendirent à leur droite en descendant le boulevard, jusque vers la rue de Pacheco et le Meyboom, et à leur gauche en remontant pour se joindre (page 274) aux leurs qui débouchaient par la porte de Louvain. Les dragons se rangèrent en bataille au sommet de l'angle en face de l'Observatoire.

Nous avons déjà dit que le noyau du corps franc, une partie de la légion liégeoise et plusieurs volontaires bruxellois et auxiliaires étaient près de la porte de Schaerbeek au moment de l'attaque ; ils comprirent d'abord que ce poste ainsi assailli par des forces aussi supérieures et par trois batteries, n'était pas tenable et se retirèrent en bon ordre pour en prendre un autre aussi important et plus périlleux encore peut-être, celui de l'Observatoire ; ils s'y retranchèrent, au nombre de 50 environ, s'y crénelèrent et s'y tinrent coi ; mais voyant les dragons si près d'eux, ils les saluèrent tout-à-coup de trois décharges successives presqu'à bout portant ; 40 hommes et 24 chevaux tombèrent et toute cette cavalerie surprise se mit en désordre au galop sans riposter, culbuta l'infanterie en marche sur les boulevards et gagna. ainsi la porte de Namur où elle rejoignit les cuirassiers et les lanciers derrière le palais du Prince. Plusieurs officiers furent alors tués et blessés et les valeureux Liégeois n'avaient pas perdu un seul homme ; mais bientôt cernés et mitraillés, ils soutinrent un véritable siège de douze heures et se défendirent toute la journée avec autant de courage que de prudence, en multipliant des traits d'audace et d'héroïsme que nous espérons pouvoir recueillir un jour et parmi lesquels on peut ranger l'action de ces deux hommes qui allèrent fouetter les chevaux d'une pièce de canon ennemie et auraient réussi à s'en emparer ainsi, si ces chevaux ne fussent pas (page 275) tombés frappés à mort. Mais le soir ces braves ayant vidé leurs gibernes et voyant qu'ils périraient infailliblement tous le lendemain, d'après les dispositions qu'on prenait contre eux, résolurent leur retraite et l'effectuèrent la nuit en franchissant le mur d'enceinte et en emportant leurs blessés et trois morts. Ils ne furent ni inquiétés, ni même aperçus, et faisant un grand détour à plus d'une lieue de la ville, ils traversèrent les chaussées de Louvain, de Tervueren, de Namur et rentrèrent dans la journée du 24 par la porte de Halle, sans perte, mais après des fatigues et des dangers inouïs ; sans halte, sans repos, ils reparurent au feu et coururent à l'instant aux postes les plus périlleux, tels que l'hôtel de Belle-Vue, café de l'Amitié, maison Benard et la balustrade qui s'étend vers la maison Hennesy.

Ce fut donc par la porte de Schaerbeek que la grande majorité de l'armée dévastatrice fit son entrée à Bruxelles.

Attaque de la porte de Louvain

Un bataillon de la 11me division, fort d'environ 700 hommes, 3 escadrons de lanciers, et 6 de cuirassiers avec 8 bouches à feu, étaient arrivés sur les hauteurs de Saint-Josse-ten-Noode vers la barrière du cimetière, avant 7 heures du matin ; mais ils attendirent l'arrivée des autres colonnes, et le feu des autres attaques avant d'ouvrir le leur contre les barricades extérieures et la porte même de la ville.

Aux premiers coups de canon, le poste bourgeois très faible se retira par la rue de Louvain, en défendant (page 276) chaque barricade avec courage et en renversant nombre d'ennemis par un feu décousu mais meurtrier.

Là fut grièvement blessé le lieutenant-colonel Gantois ; mais ses soldats, presque tous Belges, fondirent sur les artilleurs bourgeois, les renversèrent et furent sur le point de prendre deux de leurs 6 pièces, qui se retiraient lentement vers la porte de Namur, et qui étaient abandonnées au milieu du feu.

Le cri de victoire retentit dans les rangs des assaillants.

La porte fut forcée par les cuirassiers no 2 ; ils étaient soutenus par les lanciers, le tout commandé en chef par le général Trip qui, tout glorieux d'être entré en ville. criait en hollandais à ses soldats d'une voix de stentor, En brandissant son sabre : en avant, mes enfants, au galop, à la Grand' Place !

Toute la cavalerie se précipita en effet dans la rue de Louvain ; mais on n'alla pas loin et la scène changea bientôt de face ; d'abord des barricades plus élevées arrêtèrent tout court l'élan hollandais ; ensuite le feu des tirailleurs placés dans les premières maisons redoubla ; une poignée de Liégeois accourus de leur nouvelle caserne qui était voisine (celle des Annonciades) vint les renforcer ; la troupe ne pouvait y riposter qu'avec désavantage, et au lieu de continuer son chemin vers la Grand' Place, tout ce corps de cavalerie, fort de plus de 700 chevaux, prit au galop celui des Boulevards à sa gauche par la rue Ducale, et alla se ranger en bataille vers la porte de Namur et plus loin encore vers celle de Halle, sans pouvoir parvenir à forcer le coude de la rue (page 277) de l'Orangerie, ni à dégager les deux compagnies de grenadiers qu'il voyait de loin coupées et qui, comme nous l'avons dit, étant alors cernées dans le prolongement de la rue de Louvain, durent peu après, déposer les armes.

Quant à la porte de Namur, elle fut attaquée et occupée par l'intérieur de la ville ; ses défenseurs se retirèrent sur Ixelles et rentrèrent plus tard par la porte de Halle ; ils se reportèrent sur-le-champ à leur poste, occupèrent la rue de Namur et attirèrent sur ce point la vengeance et les boulets de l'ennemi par leur acharnement et leur audace. Le feu cessa rarement pendant les 4 jours dans la rue de Namur. Plusieurs fois les Hollandais y avancèrent jusqu'à près de l'Athénée et de la Place-Royale, mais les pavés et les balles les forcèrent chaque fois de rétrograder avec grande perte. Ce fut là peut-être que le combat fut le plus sanglant. On y voyait sans cesse de nouveaux cadavres ; le sol était rougi de sang et les murs tellement criblés de balles et de boulets que plusieurs maisons durent être sur le champ étançonnées et devront être démolies. Dès ce premier jour au matin le brave Druwaert de Namur y fut blessé et laissé pour mort ; un intrépide et ancien sergent de la vieille garde y fut tué.

La cavalerie, si inutile dans une expédition de ce genre, et qui faisait sans cesse des pertes, sans pouvoir même se défendre, sortit le même jour de la ville et alla, sauf quelques faibles détachements, bivouaquer à l'extérieur dans les maisons isolées et les villages voisins, depuis Schaerbeek jusques vers le hameau de Vleurgat.

(page 278) Un seul point de communication fut établi par les troupes, entre le boulevard et l'extérieur, outre les trois portes qu'elles occupaient ; ce fut par une sorte de pont jeté au-dessus du mur d'enceinte, à demi abattu, derrière le palais du prince d'Orange, et qui servit, pendant les 4 jours de la bataille, au passage et aux manœuvres de l'artillerie et de la cavalerie.

Evolution de la situation militaire

L'on voit par les détails qui précèdent sur chacun des quatre points d'attaque séparés, qu'une heure après leur entrée, vers 10 heures du matin, les troupes occupaient en ville et au dehors les positions suivantes que l'on a essayé de figurer exactement sur le plan ci-joint.

(Il est essentiel de bien les comprendre, parce qu'elles ne varièrent que très peu pendant les 4 jours de la lutte ; nous croyons superflu de faire remarquer au reste que nous écrivons principalement pour ceux qui ont une connaissance exacte de a topographie de Bruxelles.)

A gauche de la porte de Schaerbeek, le boulevard en descendant jusque vers la 2me barricade de la rue de Pachéco, et plus bas jusque vers le Meyboom ; les premières maisons de la rue de Schaerbeek jusques la 2me barricade, la rue Royale, jusque vers la rue des Epingles en avant de la 3m barricade, avec les maisons de chaque côté, fusillées continuellement sur leurs derrières par les tirailleurs de la rue de Schaerbeek, et ceux de la rue des Épingles et de Notre-Dame-aux-Neiges.

(Le reste de la nouvelle rue Royale jusqu'à l'ancienne place de Louvain, n'était occupé par personne et fut désert pendant toute la bataille, vu qu'il était balayé, d'un côté par les deux bouches à feu hollandaises, masquées dans les trois barricades. en face de la maison de M. Meeûs, qui tirèrent incessamment durant les quatre jours, et d'autre part, par les fusillades des bourgeois, placés dans tous les environs, et notamment entre les deux fortes barricades du Treurenberg.)

Le quartier général du prince Frédéric était à Schaerbeek, rue Royale extérieure, à demi portée de canon de la porte, chez M. le notaire Hermans, derrière le Jardin botanique, dont le bâtiment, ainsi que toutes les, maisons voisines, était occupé par les troupes de la réserve, tant infanterie que cavalerie et artillerie ; tout cela fut pillé et dévasté sous les yeux mêmes du Prince qui quitta rarement de sa personne son quartier-général pendant les quatre jours. Près du tir au pistolet, entre autres, les soldats en arrivant ayant trouvé dans une maison neuve un fusil de garde bourgeoise, assommèrent sur-le-champ devant la porte, les deux frères qui l'occupaient et à qui on avait confié ce fusil depuis un mois pour monter la garde de sûreté dans la commune ! On n'avait pas même fait feu de cette maison sur la troupe !

A droite en montant le boulevard, l'armée occupait tout le carré des bâtiments de M. Meeûs, la place d'Orange, la rue du Nord et les premières maisons des rues de Notre-Dame-aux-Neiges, de la Batterie et des Vaches, jusque vers les 4me et 5me barricades.

La rue de Louvain jusqu'à celle de l'Orangerie, en face des derrières du palais des États-Généraux, et les maisons de chaque côté, ainsi qu'une partie de la caserne des Annonciades ; cette moitié de la rue de Louvain fut (page 280) d'ailleurs presque toujours déserte, étant sans cesse sillonnée par la mitraille des 3 pièces placées au boulevard, qui criblèrent les maisons du coude, de même que par le feu des tirailleurs placés à la barricade de cet endroit et qui, occupant tout le reste de la rue jusqu'aux barricades du Treurenberg, répondaient à la fois à cette mitraille et au feu qui partait sans cesse de toutes les fenêtres du palais des États-Généraux et qui plongeait dans la rue de Louvain et sur les derrières des maisons à main droite.

Toute la rue de l'Orangerie, toute la rue Ducale, partie de la rue de la Loi, y compris le palais des Etats-Généraux, toute l'enceinte du Parc dont cependant les troupes ne défendaient que la moitié environ, selon la ligne tracée sur le plan, les palais du roi et du prince d'Orange, la rue Pépinière, la rue Verte, la rue de Namur jusques vers le débouché de cette dernière, et de celle des Petits-Carmes, lieu par où les balles arrivèrent plusieurs fois jusqu'à la place Royale ; le 25 quelques soldats descendirent même jusqu'à la porte de l'Athénée qu'ils tentèrent en vain d'enfoncer ; ils y tuèrent le portier par le trou de la serrure, au moment où il y portait l'œil, et périrent tous peu d'instants après.

Enfin le boulevard à droite de la porte de Namur, jusque vers le nouveau Pacheco, et tous les boulevards intermédiaires ; les trois portes de la ville, les trois faubourgs et toutes les communications extérieures, le long de cette ligne ; elles étaient tellement libres et suffisantes que nous avons vu que l'ennemi n'y ajouta qu'un seul moyen de plus, en jetant un pont au-dessus du mur d'enceinte derrière le palais du prince d'Orange.

(page 281) Ce front de bataille, avec ses sinuosités et ses rues perpendiculaires que l'on se disputait souvent et où l'on s'entretuait sans résultat à coups de fusil, de fenêtre à fenêtre, s'étendait ainsi sur un espace de près de cinq quarts de lieue, surtout le 25 ; le feu fut engagé sur toute cette ligne pendant quatre jours ; le quart environ de la ville était occupé ; on peut s'en convaincre du premier coup-d’œil sur la carte ci-jointe.

On sent que les boulevards bâtis seulement d'un côté offraient à l'ennemi, dans cet état de choses, la voie de communication, la plus facile et la plus sûre ; ils furent bientôt couverts de troupes et d'artillerie ; l'armée se trouvait ainsi avoir une position de réserve excellente, résultant de la nature même du terrain et avait donc occupé, presque sans résistance, les postes les plus avantageux et les plus importants de la ville.

Quant au relevé des forces hollandaises qui entrèrent à Bruxelles et s'y maintinrent si longtemps, nous le donnons ci-après sous la date du 28 septembre, ainsi qu'un aperçu des forces des patriotes et de la perte des deux partis.

A peine toutes ces positions furent-elles occupées, vers dix heures du matin, par l'armée envahissante, qu'une batterie de 6 pièces fut placée dans le Parc, où elle fut éparpillée et manœuvrait sans cesse en variant à chaque instant la direction de ses boulets et de sa mitraille, 2 ou 3 pièces à chacune des trois portes de la ville occupées par l'ennemi, une pièce à chacun des trois débouchés du boulevard sur la rue ducale et le parc, d'où elles ne tardèrent pas à foudroyer la ville par les allées (page 282) transversales, plusieurs pièces sur la plaine des palais, 2 pièces sur le boulevard en face du Jardin botanique, balayant tout devant elles jusqu'à la rivière et au-delà vers la porte de Laeken et le canal, 2 autres pièces à l'extrémité opposée de la ligne de bataille sur le boulevard de Waterloo qu'elles sillonnaient jusque vers la porte de Halle, où arrivaient leurs boulets en répondant à 2 de nos pièces placées près du nouveau Pachéco ; enfin le reste de l'artillerie, consistant encore en deux batteries, établi en réserve hors des murs, où elle manœuvrèrent pendant les quatre jours, en renforçant ou remplaçant les pièces en position ; 5 caissons furent mis à l'abri derrière le Wauxhall.

La batterie de 4 obusiers de 8 pouces s'établit sur la hauteur derrière le palais du prince d'Orange ; elle dominait de là toute la ville et pouvait choisir les lieux, les maisons vouées à l'incendie et à la destruction ; elle resta stationnaire pendant les quatre jours et fut silencieuse toute cette première journée du 23.

Les troupes occupèrent les palais du roi et du prince d'Orange sans la moindre résistance des postes bourgeois qui s'y trouvaient, au nombre de 45 hommes armés au premier et de 15 au second, qui furent ou surpris, ou qui n'étant là que pour conserver des propriétés, comme ils l'avaient juré au prince d'Orange à son départ, vingt jours auparavant, et non pour se battre, présentèrent les armes aux arrivants et crurent ne pas devoir quitter leurs postes. Mais alors le sang hollandais avait déjà coulé ! généraux, officiers et soldats étaient exaspérés ! on désarma, avec brutalité les bourgeois de garde au palais du roi ; c'étaient, (page 283) pour la plupart, des gens connus, établis et dans l'aisance ; on les maltraita et on les enferma prisonniers dans les caves ; alors ils entendirent qu'il était question de nommer un conseil de guerre pour les juger, et qu'ils devaient être tous fusillés dans deux heures ; des officiers supérieurs voulaient même se passer de cette formalité, les faire fusiller sur-le-champ, et même, ce qui fait horreur à retracer, les exterminer tous à la baïonnette dans les caves ! dans tous les cas ils étaient perdus, sans le capitaine de grenadiers Hardy, bruxellois, déjà blessé lui-même, qui osa prendre sur lui de s'opposer au massacre et de faire mettre plusieurs bourgeois en liberté ; il fut blâmé de ses chefs, mais il réussit à sauver ses compatriotes du danger le plus imminent ; un quart d'heure de plus, ils étaient immolés ! Cependant cinq d'entre eux manquèrent à l'appel que l'on fit ; on connait leurs noms.... et l'on espère encore les revoir, malgré que l'on ait sujet de craindre qu'ils n'aient été mis à mort dans les souterrains ou fusillés hors de Bruxelles ! Point de doute que tous les prisonniers hollandais n'eussent été massacrés jusqu'au dernier, si nos concitoyens eussent été aussi lâchement assassinés.

Le poste du palais du prince d'Orange ne fut point désarmé ; il cacha ses armes dans une salle basse et soigna les blessés hollandais pendant 4 jours ; le colonel hollandais Mathon y commandait.


L'aspect de la ville était affreux et désespérant dans ce premier moment ; tout semblait perdu ; on ne voyait pour défenseurs que quelques hommes presqu'isolés, dépourvus d'ensemble et n'ayant que peu de chefs, mais (page 284) déterminés ; les sections ne se rassemblaient plus ; la 5ème fut convoquée trop tard à la porte de Schaerbeek, et quand on voulut s'y rendre, ce quartier était déjà occupé par l'ennemi. La mitraille sifflait sur tout Bruxelles d'une manière horrible ; les boulets pleuvaient ; les feux de pelotons, quoique peu meurtriers, répandaient l'effroi chez tous les habitants, parce que leurs continuelles explosions donnaient la mesure du nombre des soldats et du terrain occupé par eux dans le haut de la ville ; les tintements lugubres et redoublés du tocsin se mêlaient sans cesse au bruit des tambours qui battaient la générale ; on disait d'un autre côté que les portes de Laeken et de Flandre étaient forcées et que l'ennemi s'avançait par le bas de la ville. Des hommes qui auraient voulu combattre ne trouvaient pas d'armes ; d'autres armés manquaient de cartouches ; le dépôt des munitions aux Annonciades était cerné ; en un mot, nous le répétons, pendant plusieurs heures tout sembla perdu !

Mais au milieu de ce désastre apparent, un œil observateur eût pu reconnaître d'autres présages, dès avant la fin du jour.

En effet, nos groupes de tirailleurs, repoussés des portes de Schaerbeek et de Louvain, se grossissaient dans leur retraite dont le désordre nécessaire n'était nullement un signe de fuite, de terreur, ou de découragement ; au contraire, ils s'arrêtaient à chaque barricade des rues latérales, s'embusquaient dans chaque maison et, par pelotons de 4 à 5 hommes, tiraient sans relâche sur toutes les troupes qui passaient à leur portée.

(page 285) De nos six pièces de canon, sous les ordres de M. E. Grégoire, qui s'étaient repliées de la porte de Louvain vers celle de Namur et qui, de là, avaient tenu si longtemps contre le feu ennemi, nous avons dit que quatre s'étaient dirigées vers le Parc et avaient vomi la mitraille, presqu'à bout portant, sur les bataillons qui s'y établissaient ; elles s'étaient ensuite portées sur la Place-Royale qu'elles n'abandonnèrent plus ; les deux autres se retirèrent, comme nous l'avons vu, vers la porte de Halle qu'elles défendirent avec succès jusqu'à la victoire, en démontant même une pièce ennemie qui fut prise.

A la faveur du temps indispensable pour les mouvements de l'artillerie et des troupes hollandaises, des hommes déterminés s'étaient crénelés et retranchés derrière les barricades et dans les maisons de la Place-Royale d'où une heure auparavant plusieurs centaines de spectateurs s'étaient laissé chasser par six éclaireurs ennemis.

La compagnie tournaisienne du brave Renard et quelques-uns des volontaires namurois et bruxellois, les mieux armés, occupèrent la barricade principale qui joignait l'hôtel de Belle-Vue à celui de l'Amitié, ainsi que la balustrade en pierre qui se prolonge vers la maison Hennesy en face du palais du roi ; là fut bientôt placée la pièce de canon qui battit ce Palais et le sillonna de ses boulets.

Plus loin, vers le pont de fer, le brave canonnier liégeois, Charlier à la jambe de bois, avait établi sa pièce toujours chargée à mitraille et qui, de là, foudroyait l'entrée du Parc ; il devenait dès lors presqu'impossible à l'ennemi de déboucher sur ce point le plus essentiel à conserver.

(page 286) D'un autre côté on entendait de loin la fusillade de l'Observatoire, on voyait ce poste toujours occupé et bien défendu ; c'était à la fois un encouragement et un exemple.

Enfin les éléments de défense physique s'organisaient avec la rapidité de l'éclair, et ceux de la défense morale suivaient la même progression et croissaient en raison des succès de la première ; elles se prêtaient un appui mutuel et bientôt irrésistible, car l'opinion, revenue de sa surprise, ne crut bientôt plus la résistance ni impraticable, ni impossible ; il ne fallait pour cela qu'un premier succès un peu marqué.

Il fut dû au courage des hommes placés à l'ancienne place de Louvain, centre des communications ennemies ; nous avons vu que la 9me division ne suivait que de loin les colonnes de la garde royale ; après le passage de celle-ci, et malgré le détachement de deux compagnies de grenadiers qu'elle avait lancées dans la rue de Louvain, nos braves osèrent revenir, et, quoique placés entre deux feux, rétablirent les barricades du Treurenberg, barrèrent doublement la rue Royale et celle de Louvain et coupèrent totalement la 9ème division qui dut reculer devant leur feu et reprendre la route de la porte de Schaerbeek et des boulevards ; bientôt après cette même manœuvre força le détachement de la rue de Louvain à capituler ; dès lors ce poste du Treurenberg devenait imprenable ; il maintenait toutes nos communications intérieures et ne fut plus même sérieusement attaqué ; c'était l'un des plus importants ; tout aurait pu changer de face si l'on avait laissé à l'ennemi le temps de s'y établir.

Le combat se soutenait aussi avec avantage sur le (page 287) boulevard, en face du bâtiment du Jardin botanique. Là, retranchés dans les maisons qui furent brûlées le lendemain, quelques hommes du noyau du corps franc de MM. Rodenbach et Niellon, composé alors d'une poignée de braves, affrontaient la mitraille et la fusillade des chasseurs de la garde et des bouches à feu de la porte de Schaerbeek ; les vitraux des serres volaient en éclats sous leur feu ; ils avaient d'abord perdu du temps à attendre leurs officiers, mais ils furent bientôt renforcés par des volontaires isolés qui accoururent â. leur secours de tous les rangs et de toutes parts.

Nous répétons donc que le temps employé par l'ennemi pour occuper le Parc et ses abords, avait suffi pour que la population armée sortît de son premier engourdissement et entreprît de disputer la victoire. C'est un des plus beaux traits du caractère national que cette détermination subite à la résistance que l'on vit alors se manifester parmi tous les citoyens placés dans le voisinage de l'ennemi, dès qu'ils entrevirent la possibilité du succès ; des hommes naguères abattus se relevaient fiers et menaçants.

On criait aux armes avec une sorte de frénésie, et si quelque malade, quelque blessé, quelque faible consentait à céder son fusil, cent mains s'étendaient pour le saisir, cent braves se présentaient pour marcher à la gloire, à la liberté ou à la mort. C'était toujours ce vieux peuple belge de César, si méconnu, si muselé depuis tant d'années, tant de siècles, mais portant toujours dans son cœur le sang de ses ancêtres.


Vers dix ou onze heures du matin, les troupes, maîtresses alors du Parc, des palais et de toute leur ligne de (page 288) bataille, entreprirent, mais un peu tard, de se porter plus loin.

Elles formèrent quatre attaques bien distinctes.

L'une sur le boulevard du côté de la porte de Halle ; la seconde vers l'ancienne place de Louvain pour descendre de là vers Sainte-Gudule et faire taire son désespérant tocsin ; la 3me vers la Montagne du Parc ; la 4me vers la Place-Royale point central qui dominait toute la ville.

Chacune de ces attaques fut soutenue de 2 ou 3 pièces de canon ; nous allons voir qu'elles échouèrent toutes, et nous ne parlons pas ici des escaliers de la Bibliothèque où la fusillade était continuellement engagée.

L'attaque de la porte de Halle ne rencontra d'autre obstacle ce jour-là que le feu lointain de nos deux pièces de canon et quelques coups de fusil partis des fenêtres ; mais l'ennemi, n'appréciant pas assez l'importance de ce poste qui lui aurait permis de nous prendre à revers, se borna à une sorte de reconnaissance, quoiqu'il fit feu de ses quatre canons, et ne s'avança guère au-delà des derrières de l'hôtel d'Aremberg. Les lanciers firent cependant une charge sur nos 2 pièces et en prirent une qui n'était servie que par 5 hommes, qui se retranchèrent dans le nouvel hospice de Pachéco ; ils ne purent l'emmener qu'à quelques pas, les chevaux ayant été tués sur-le-champ ; ils l'enclouèrent ; elle fut reprise peu après et remise aussitôt en état de service ; cela se passait au débouché de la rue des Maroles ; les domestiques et gardes-chasse du duc d'Aremberg, placés dans les bâtiments neufs du fond de l'hôtel, firent un feu soutenu pendant les 4 jours, et tinrent en échec toutes les troupes qui s'aventurèrent sur ce point où les assaillants au surplus, protégés (page 289) en outre par leurs tirailleurs postés sur les hauteurs en dehors du mur d'enceinte, montrèrent une lâcheté sans égale.

A la Montagne-du-Parc et vers l'ancienne place de Louvain, le terrain incliné faisait porter la mitraille et les boulets beaucoup trop haut ; les tirailleurs, animés par leur peu d'effet, tinrent bon derrière leurs barricades que l'on n'entreprit pas de forcer.

Restait la principale attaque, celle de la Place-Royale ; son succès eût livré à l'ennemi tout le haut de la ville ; mais nous l'avons déjà dit, il était trop tard d'une heure ! l'occasion était perdue ; ce poste était devenu formidable ; la mitraille de la jambe de bois balayait tout devant elle jusque dans le Parc, entre le passage des deux hôtels de Belle-Vue et de l'Amitié ; les 3 bouches à feu hollandaises qui arrivèrent au galop pour y répondre, furent à peine placées à la porte du Parc que, sans avoir seulement le temps de tirer, leurs artilleurs et leurs chevaux tombèrent morts jusqu'au dernier, frappés par les inévitables coups de feu de nos volontaires, embusqués derrière la balustrade Hennesy, dans les deux hôtels ci-dessus et derrière la barricade qui les réunissait ; les plus adroits chasseurs s'y étaient placés ; les balles de leurs fusils à 2 coups et à piston volaient rarement en vain ; le bataillon de la 9me division qui venait de déboucher du boulevard et qui marchait en colonne d'attaque fit quelque feux, mais ne tarda pas à être forcé de reculer en jonchant de cadavres la Place des Palais ; il n'osa charger à la baïonnette et prit position dans le Parc.

Ce fut une de ces choses inouïes, indescriptibles que (page 290) de voir ainsi une vingtaine d'hommes isolés, sans ordre et sans guide, attendre hardiment, derrière un faible rempart de quelques pieds de hauteur, une forêt de baïonnettes marchant en ordre sur eux au pas de charge, les fusiller, essuyer leurs feux redoublés sans crainte, voir tomber les leurs sans pâlir et finir par forcer à la retraite près de 800 hommes disciplines ! Nous prenons acte du fait ; d'autres le commenteront ou l'expliqueront ; l'histoire jugera.

Il était alors midi environ ; les premiers succès de l'ennemi se trouvaient partout arrêtés et paralysés ; on reconnut son hésitation, la mollesse de ses attaques, son peu de détermination, de tactique militaire, son ignorance des localités et de l'esprit de la ville ; sa lâcheté, en un mot !... Dès lors tout était décidé et le premier cri de victoire se fit entendre dans Bruxelles sur les derrières du champ de bataille !

Le reste de la journée se passa à faire le coup de fusil sans aucun avantage marqué de part ni d'autre ; le sang coula toujours et bien inutilement, mais le feu fut moins meurtrier que dans la matinée.

A l'intérieur de la ville ce temps fut employé à renforcer les barricades, à monter les pavés dans les maisons, à se procurer des cartouches et des armes ; l'on était toujours inquiet, mais non sans espérance, ni énergie ; ceux qui, le matin, s'attendaient au succès du Prince et avaient été jusqu'à le désirer peut-être, revenaient à d'autres sentiments au sifflement de cette mitraille et de ces boulets qui renversaient leurs concitoyens et pleuvaient sur la ville. Les femmes essuyaient leurs larmes pour aider aux préparatifs de la défense (page 291) intérieure ; déjà Bruxelles ne voyait plus de dissensions dans son sein ; on n'entendait que des vœux pour le triomphe des Belges ; ici, comme à Paris, la mitraille royale avait raillé en peu d'heure toutes les opinions et tout confondu dans une idée mère et fixe : haine aux Hollandais !

Ce fut dans ce moment que l'on apprit avec certitude et détails les victoires du matin obtenues aux portes de Laeken et de Flandre ; les défenseurs et les secours furent doublés par suite dans le haut de la ville ; le gros des bourgeois victorieux à ces deux attaques se porta vers le Parc en traversant les rues les plus populeuses, au cri de victoire ! mille fois répété.

L'impression que produisit ce cri sur des hommes qui s'étonnaient encore d'avoir osé résister quelque temps, et sur d'autres qui ne soupçonnaient pas même la possibilité de la résistance, impression dont nous avons tous été les témoins ou les spectateurs, échappe à une froide description ; il y eut un élan subit ; on se porta un instant en avant avec tumulte ; on s'approcha du Parc où la fusillade devint si vive et si serrée que, dès 4 heures du soir, on vit les grenadiers réduits à la tactique qu'ils pratiquèrent jusqu'à la fin de la bataille, c'est-à-dire, à se tenir derrière les gros arbres pour se couvrir un peu ; les balles sifflaient de si près que, lorsqu'ils voulaient traverser une allée, ou se rendre d'un arbre à l'autre, ils commençaient à montrer leurs bonnets au bout de leurs baïonnettes, certains que les premiers coups de feu partant à l'instant contre ces simulacres et forçant nos adroits tireurs à recharger, ils avaient le temps de courir, en se courbant, sans être exposés qu'à des coups plus éloignés et moins sûrs ; jusqu'aux bouts de leurs pieds (page 292) étaient atteints à l'instant même, s'ils les laissaient quelques secondes à découvert.

Vers la brune, Charlier, jambe de bois, fit avancer sa pièce sur la Place-Royale ; le capitaine liégeois Pourbaix planta son drapeau au milieu de cette place, et l'y tint immobile au milieu d'une grêle de balles et de biscayens ; l'enthousiasme était dès lors général ; on n'entendait que le cri d'en avant ! Des hommes armés semblaient sortir de terre ; ils débouchaient de toutes les rues et ruelles, sans ordre et sans chef à la vérité, mais tous guidés par la même pensée.

Quelques rares pelotons se formaient parfois, plus ou moins régulièrement, se choisissaient des officiers et prenaient de préférence des Liégeois quand ils en rencontraient ; car les lettres L. G. que ces braves portaient sur leurs bonnets, étaient pour le peuple un brevet de courage.

On voyait sans cesse monter du bas de la ville, tantôt des petits corps, tantôt des hommes isolés, se dirigeant vers la Place-Royale ou vers celle de Louvain ; toutes les barricades, toutes les fenêtres se hérissaient de canons de fusils, et s'il devenait difficile, même pour des amis, de pénétrer dans la plupart des rues, on pouvait dire que cela était impossible pour des ennemis.

Vers le soir de ce premier jour, on était déjà devenu assez hardi pour vouloir se mesurer corps à corps ; on voyait les baïonnettes briller au bout des fusils ; les piques mêmes reparaissaient et tout semblait annoncer une attaque à l'arme blanche si l'ennemi se laissait aborder.

(page 293) Mais l'armée qui avait toujours eu l'offensive depuis son entrée jusqu'à ce moment, changea de rôle avant la nuit ; toutes les troupes qui avaient pénétré hors du Parc se retirèrent dans les palais et sur les boulevards, ne laissant dans le Parc qu'un bataillon et l'artillerie protégée par les massifs d'arbres ; les tirailleurs y bivouaquèrent, cachés dans les bas-fonds, où ils étaient à couvert, au moins pour le moment ; ils y pratiquèrent des escaliers qu'ils couvrirent avec les bancs du parc, dont ils se servirent en guise d'épaulements ou de boucliers contre les balles et la mitraille ; ils venaient y faire le coup de fusil l'un après l'autre, sans qu'on les aperçut, sauf quelquefois l'extrémité de leurs bonnets ou schakos. Ils eurent néanmoins pendant toute la bataille et à portée de les soutenir sur-le-champ, des réserves redoutables qui ne permirent jamais de songer à les débusquer de cette position inexpugnable. Il n'y avait que nos tireurs les plus adroits qui, placés à l'hôtel de Belle-Vue ou dans les environs, pussent de temps en temps atteindre un ennemi, et ils en atteignirent beaucoup !

Cependant cette manœuvre était habile et raisonnée ; dès le 23, elle déconcerta un peu les nôtres qui avaient si bien réussi, dans l'après-dîner, à rejeter les assaillants en arrière et à les repousser dans le Parc. On n'avait cru n'avoir qu'à se défendre de derrière les barricades et voilà que les ennemis étaient eux-mêmes barricadés, si l'on peut ici se servir de ce terme ; on s'attendait à garder des maisons et c'étaient les soldats qui étaient eux-mêmes à couvert dans des palais ! ainsi s'évanouissait tout l'avantage de la position, et l'on se voyait, presque sans défense, en présence d'un ennemi retranché ! Si (page 294) la prévoyance et l'ordre avaient pu préparer les moyens de résistance, on aurait abattu les arbres du parc, rasé les buttes et comblé les bas-fonds ; cette belle promenade eût été détruite, mais le sang humain eût été épargné ! c'est à ces circonstances qu'il faut, sans nul doute, attribuer la prolongation d'un combat de quatre jours, qui peut-être aurait pu être terminé le premier avec succès.

Il était bien aisé dès lors de pénétrer le plan des généraux hollandais, mais très difficile de le déconcerter ; ils pouvaient ainsi, avec quelques compagnies postées dans les bas-fonds, fatiguer pendant longtemps et rebuter enfin des bourgeois sans chefs, sans ensemble mais toujours brûlant de combattre ; ensuite la première ardeur amortie et la lassitude survenue, la masse des troupes fraîches aurait débouché à la fois des palais et des boulevards pour écraser des gens en désordre. Le pont jeté sur le mur d'enceinte, derrière le palais du prince d'Orange, était la communication la plus facile et la plus prompte avec l'extérieur pour l'arrivée des renforts en cavalerie et en artillerie ; les réserves des faubourgs de Namur, de Louvain et de Schaerbeek paraissaient aussi destinées à appuyer ce mouvement décisif.

Le seul courage n'aurait pu parvenir à déjouer ce projet, sinon le premier, du moins le deuxième ou le troisième jour, si l'amour de la patrie et de la liberté n'eût suppléé à la discipline, l'adresse à la force. Les tirailleurs avancés continuèrent bien, après ce mouvement des ennemis du 23 au soir, de faire sans cesse les jours suivants, un feu souvent inutile sur les arbres du (page 295) Parc, mais le plus grand nombre des bourgeois, les jeunes gens de la classe aisée, les hommes sages et prévoyants qui se trouvaient là cachés sous la blouse du laboureur, comprirent dès lors qu'il fallait se ménager pour rester en mesure contre un ennemi qui voulait temporiser ; ce parti est peut-être le plus digne d'éloge et d'admiration ; il sauva la Belgique.

Nous verrons cependant qu'on ne s'y tint pas rigoureusement les jours suivants ; on attaqua de plus près ; on voulut vainement emporter le Parc à plus de trente reprises différentes ; l'insuccès prouva de reste la nécessité de revenir à la première résolution du 23, de montrer ce courage supérieur, indispensable pour surveiller un ennemi qui se cache et plus rare sans doute que celui qui nous le fait aborder franchement quand il se découvre ; attendre froidement et résolument le moment de joindre son adversaire, se tenir à l'affût sous son feu, braver longtemps la fatigue et le besoin sans quitter un instant son poste, voilà la conduite exigée alors des Belges s'ils voulaient vaincre ; ils surent s'y soumettre ; ils furent vainqueurs !

Dès ce premier jour, vers le soir, et après le ralentissement du feu, plusieurs Bruxellois pleins de prévoyance autant que d'ardeur, parmi lesquels on peut citer MM. Plaisant, Nique, Palmaert et plusieurs autres, comprenant bien d'ailleurs la situation des choses, partirent de Bruxelles et parcoururent les campagnes et les villes voisines pour réunir des secours ; ils firent sonner le tocsin partout, surtout dans le Brabant Wallon et le Hainaut, pays où le peuple toujours courageux était le (page 296) plus haineux contre les Hollandais. Cette démarche eut le plus grand succès ; il est vrai qu'elle était inutile dans tout le rayon où le canon de Bruxelles pouvait se faire entendre, car tout y fut en armes sur-le-champ et spontanément ; mais plus loin, il fallait exciter et organiser l'élan ; des volontaires partirent dans la mème nuit, de plus de 20 bourgs ou villages et se trouvèrent au feu dès le lendemain 24. Nous ne citerons ici aucun nom de lieux, il faudrait une page ; mais l'on peut juger de l'unanimité du mouvement et de la résolution de défendre jusqu'à la dernière maison de Bruxelles que l'on savait être le seul point central et décisif, par ce seul fait que les renforts demandés arrivèrent, non seulement les trois jours suivants, mais encore plus tard et en plus grand nombre après la victoire. Deux jours de plus et 25,000 hommes, s'il l'avait fallu, eussent été réunis à Bruxelles.

Ces auxiliaires avaient des fusils pour la plupart ; mais ils manquaient de munitions ; nous avons déjà parlé de l'acharnement que l'on mettait à s'en procurer ; on vit souvent, dès ce premier jour, des hommes téméraires s'élancer au milieu des combattants pour enlever les blessés et les morts, amis ou ennemis, sans autre but que d'enlever leurs gibernes. Toute la poudre des particuliers fut livrée et mise en cartouches. Toutes les maisons étaient ouvertes ; les femmes distribuaient des rafraîchissements à ceux qui, fatigués, revenaient du combat, des cartouches à ceux qui y allaient, de la charpie aux blessés, et l'on ne refusait rien à ceux qui montraient quelque besoin ; la plupart demandaient de la bière ou (page 297) un peu de vin, plutôt que de l'eau-de-vie ; ils craignaient de s'enivrer ; ce trait est caractéristique ! j'ai faim;, dit l'un d'eux, pauvre, sanglant et noir de fumée et de poudre, mon fusil ne va plus, j'ai faim, il faut que l'on me donne à manger. - Mon ami je demeure à quatre pas, venez avec moi. - Non, voici un boulanger, on ne me refusera pas. Il y entre et en sort en dévorant un gros crouton de pain bis. C'est bien sec, camarade, venez au moins arroser cela chez moi d'un verre de vin. -Non, vous dis-je, Monsieur, je vois là-bas une fontaine ; je vais m'y rafraîchir, c'est tout ce qu'il me faut. Et il disparut !... Ce fait peut être attesté de même que la générosité avec laquelle furent soignés et secourus grand nombre de blessés ou prisonniers hollandais ; on les accueillait dans les auberges, on leur donnait des vêtements bourgeois, on ne leur prenait que leurs armes et leurs gibernes.

Vers le soir les bourgeois occupèrent presque toutes les maisons de la rue Royale en face du Parc ; ils y pratiquèrent des communications intérieures, en perçant les murs, et consolidèrent toutes leurs barricades sous le feu de l'ennemi qui tirait sans cesse à mitraille de la porte de Schaerbeek ; toutes les maisons voisines se remplissaient de bons chasseurs qui harcelaient sans cesse les soldats dans le Parc et ailleurs, et quoique tirant souvent au hasard, sans voir d'ennemis, et brûlant beaucoup de poudre inutilement, ils atteignirent un grand but en intimidant et démoralisant l'armée hollandaise qui sentait sa position et voyait l'espèce de guerre nouvelle et inattendue qu'on adoptait contre elle.

(page 298) Dans la nouvelle rue Royale, le pillage des maisons par la 9me division, avait exaspéré de plus en plus tous les habitants du voisinage. Ils étaient embusqués dans le jardin de M. Dannoot et dans le terrain attenant de M. de Béthune, en face duquel se trouvait dans la rue un tas de briques et de pierres destinées à des constructions nouvelles sur ce terrain, ce qui leur offrit un excellent retranchement ; de là ils liaient leur feu à celui qui partait des coins des rues des Épingles, de Longue-Vie, de Notre-Dame-aux-Neiges, de l'Abricot ; et en face, des derrières des rues de la Caille et de Schaerbeek et des barricades du Treurenberg, enfin de toutes les ruelles et maisons à portée ; tout cela réuni contenait l'ennemi et sa batterie placée vis-à-vis la porte de la ville dans les barricades où il s'était fortement retranché en face de la maison de M. Meeùs, et où il se montrait toujours en grande force, et l'empêcha de faire un pas de plus dans la rue Royale, depuis son entrée jusqu'à sa fuite quatre jours après ! A peine dans la nuit du troisième jour osa-t-il y venir enlever silencieusement ses morts de l'avant-veille !

Un feu continuel sortait même des maisons vis-à-vis de celle de M. Meeês et tuait à bout portant hommes et chevaux ; aussi une de ces maisons, celle du coin, fut-elle brûlée vers quatre heures du soir. On peut dire que ce long prolongement de la rue Royale était au pouvoir des nôtres ou de personne, et que, pendant quatre jours, nous y avons été dans une attitude offensive. C'était toujours le noyau du corps franc de M. Rodenbach qui dirigeait toute cette défense ; nous avons déjà vu qu'il était alors (page 299) commandé par son nouveau capitaine, le brave Stieldorf qui, blessé grièvement à la jambe le matin, en se jetant sur une pièce de canon, ne cessait de diriger et d'exhorter ses frères d'armes, du lit de douleur où il était couché au milieu d'eux dans une maison de la rue de Schaerbeek, à portée de pistolet de la batterie ennemie.

Mais le combat le plus sanglant et le plus vif de cet après-dîner eut lieu, rue de Notre-Dame-aux-Neiges, vers la place d'Orange, c'est-à-dire, au centre des positions qu'occupait l'armée. L'ennemi qui, depuis le matin, cherchait à occuper entièrement ce quartier, s'y porta plus vivement, aussitôt qu'il vit le poste de l'Observatoire cerné et assiégé. L'entrée de la rue de Louvain fut canonnée de nouveau et avec violence jusqu'au coude qu'elle fait en face de celle de l'Orangerie ; un bataillon entier s'ébranla de la place d'Orange, tandis que des tirailleurs, maîtres de tous les édifices voisins, faisaient pleuvoir les balles sur les barricades et les postes des bourgeois ; ceux-ci durent reculer un peu ; ils furent bientôt tournés par leur gauche dans les jardins, et par leur droite dans les rues du Nord et des Vaches, et l'ennemi, pénétrant enfin par là jusqu'à la caserne des Annonciades, y mit le feu.

Il était cinq heures ; le peuple peu nombreux et mal armé qui, depuis le matin, se défendait dans une position attaquée tant de fois, de tant de côtés, et par tant de forces, ne recevait pas de secours, et paraissait accablé de lassitude et épuisé de courage ; mais à la vue des flammes, un cri s'élève : il y a de la poudre aux Annonciades, nous allons tous sauter ; c'est pour cela que les (page 300) Hollandais y ont mis le feu ! Ils disaient vrai ; l'ennemi ne brûlait sans doute ce bâtiment que pour faire sauter le haut de la ville tout entier ; il savait qu'il y avait là de la poudre ! A ce cri d'autres peut-être auraient pris la fuite ; les Bruxellois n'y virent qu'un motif pour s'élancer en avant ; tout marche de nouveau ; on attaque les soldats avec une fureur redoublée ; des femmes, des vieillards, des enfants marchent contre eux ; ils reculent à leur tour en protégeant cependant l'incendie par leurs feux de pelotons croisés. L'ennemi est acculé jusque vers la place d'Orange ; on se rend maître du feu alors et on sauve les trois quarts de la caserne ; on ne trouve d'abord que deux barils de poudre ; ils sont ramenés en triomphe presqu'au milieu des flammes. Jamais peut-être victoire ne fut plus prompte, plus glorieuse, plus inattendue ! On a fait la remarque qu'aucun journal n'en a parlé ; les vainqueurs étaient des gens obscurs, peu désireux de faire mousser leur triomphe ; ils n'en rédigèrent, n'en communiquèrent aucune relation ! il a fallu leur arracher les détails qui précèdent.

Nous avons vu que, dans la journée, un aide-de-camp du Prince, M. Géeroems, envoyé en parlementaire, avait été arrêté comme otage de MM. Ducpétiaux et Everard. La crainte des représailles n'empêcha point, dans la nuit et après la cessation du feu, deux jeunes gens de Bruxelles, MM. T'Kindt et Faider, de se rendre, à travers mille dangers, au quartier-général du Prince à Schaerbeek, pour lui porter la lettre ouverte de son aide-de-camp, et réclamer l'évacuation de la ville, puisqu'il était dès lors démontré que l'armée ne pouvait pénétrer plus loin. (page 301) On dit qu'alors le prince parut décidé à faire cesser le combat, qu'il protesta de son horreur pour l'effusion du sang, et qu'il consentit même, quoiqu'avec répugnance, à faire mettre en liberté une soixantaine de bourgeois et de paysans, armés ou non, pris par ses soldats et qui couraient grand risque d'être à chaque instant massacrés. On ajouta même qu'il dit ces mots : « J'étais venu par ordre du roi, mon auguste père, pour vous apporter des paroles de paix, je comptais sur la garde bourgeoise pour le maintien de la tranquillité ; je suis affligé des événements de cette journée, ils ont navré mon cœur ; cependant ce cœur vous est encore ouvert ; que la garde bourgeoise s'unisse aux troupes de S. M. et le passé sera oublié. »

Mais malheureusement d'autres rapports arrivèrent bientôt au quartier-général ; on y représentait les bourgeois comme découragés, manquant de poudre, etc., prêts à se rendre le lendemain ; le coupable Frédéric écouta ces impostures plutôt que les instances de nos deux jeunes compatriotes qui, pour avoir échoué dans leur périlleuse tentative, n'en méritent pas moins notre reconnaissance et nos éloges, et il ordonna dans la nuit le renouvellement des attaques et les horreurs du lendemain.

Il était évident, d'après ce qu'on vient de lire, et les positions de l'ennemi bien comprises, que le Parc en était la clef, et serait le vrai champ de bataille où se déciderait le sort de Bruxelles, et par suite, de toute la Belgique.

Aussi, dès ce premier jour, le peuple céda à son instinct ordinaire ; sans guides, sans chefs, il sentit cette (page 302) vérité et dirigea ses principaux efforts contre ce centre de l'armée ennemie.

Nous n'aurons donc que peu à parler des attaques partielles et des fusillades toujours meurtrières, mais sans résultat, qui ne cessèrent pas, durant quatre jours, sur les extrémités et même, sur tous les points de la ligne de bataille que nous avons indiquée et que l'on voit tracée sur le plan ci-joint, à partir de la rue Saint-Pierre, jusqu'au débouché de celle des Marolles. Les maisons, sur toute cette distance, furent souvent abandonnées, prises et reprises, durant cette funeste époque ; mais la très grande partie fut complétement dévastée et pillée par les Hollandais ; on en porte le nombre à près de 400 ; il n'y eut guère que celles où s'établirent les officiers qui furent plus ménagées.

Nous ne comprenons point dans ce nombre les édifices, maisons ou habitations réduites en cendres ou en ruines par les obus ou les torches hollandaises et dont, tout compte fait, le chiffre s'élève à 41.

Au surplus, quand les soldats faisaient quelques progrès, forçaient une chétive barricade, parvenaient à pénétrer dans quelques nouvelles maisons, ils voyaient à quel prix et pouvaient se convaincre que leur perte totale serait la suite infaillible de nouveaux succès semblables ; nous négligerons donc cette guerre de fenêtres, de toits, d'embuscades, de surprises et d'homme à homme pour nous attacher au véritable centre de la bataille.

Mais d'après cet état de choses, le Parc lui-même ne pouvait être attaqué que par quatre endroits ; 1° l'ancienne place de Louvain ; 2° la Montagne du Parc ; 3° les escaliers de la Bibliothèque descendant rue d'Isabelle, et 4° la Place Royale, entre les hôtels de Belle-Vue et de l'Amitié.

Il n'y avait point de barricade en face des escaliers de la Bibliothèque ; un fort détachement ennemi s'y porta en arrivant, domina par là toute la rue d'Isabelle et les environs et même, renforcé le 25 par une compagnie de grenadiers, comme nous le verrons plus loin, descendit dans cette rue et s'empara de plusieurs maisons, ainsi que des deux hôtels formant les angles vers le Parc.

Ce point d'attaque devint donc alors plutôt un point de défense pour les bourgeois ; il fallut y renoncer, dès ce premier moment, mais non sans résistance ; on s'y fusilla à bout portant, sur les escaliers mêmes, par les fenêtres et les lucarnes ; les traces en sont restées ; elles seules peuvent donner une idée de l'acharnement des combattants ; le sang y coula à flots ; dès ce premier jour on y compta 28 ennemis tués ; les chevaux des 2 pièces de canon hollandaises sorties du parc en face, y ayant péri au nombre de 7 ou 8, les soldats firent une sorte de barricade avec leurs cadavres ; les 2 pièces restèrent là abandonnées pendant toute la journée, et ne rentrèrent dans le Parc qu'à la nuit close ; un homme en blouse sorti du jardin Hennesy tenta, pour s'en emparer, emparer, d'aller y attacher un crochet, mais il fut tué.

Deux autres bourgeois se distinguèrent aussi sur ce point par leur adresse, leur bravoure, leur mépris de la mort ; ils résistèrent seuls pendant longtemps de maison en maison ; on les admirait sans oser les imiter ; les (page 304) rangs ennemis s'éclaircissaient, surtout le 25, devant leurs inévitables coups de fusils de chasse ; ils furent tous deux blessés et l'on ignore leurs noms, leur patrie et ce qu'ils sont devenus !

Les points d'attaque contre le Parc furent donc réduits, dès ce premier jour, aux trois que nous avons indiqués ci-dessus ; nous les désignerons par la suite sous les noms des trois barricades d'attaque.

On a dit et répété, d'après des journaux et des relations, que les ennemis avaient occupé en ce jour du 23 l'hôtel de Belle-Vue et les bâtiments y joints, jusqu'au palais du roi. C'est une erreur ; jamais, de ce côté, les soldats ne passèrent l'enceinte de ce palais ; dans la matinée cependant, quelques grenadiers, ne doutant encore de rien, descendirent par les derrières, dans le Borghendal et s'avancèrent par-là, jusques vers la Place-Royale, en appelant leurs camarades ; mais ils ne furent pas suivis, et bientôt ils tombèrent tous morts ! Il est plus vrai de dire que, ce premier jour, l'hôtel de Belle-Vue, dès lors criblé de balles et de boulets, ne fut occupé par personne ou très faiblement par les bourgeois seuls. D'autres grenadiers à la vérité se glissèrent dans la matinée le long des murs, depuis le palais jusqu'au coin du cabaret dit la Cave Belle-Vue, d'où ils tiraient, au-dessus de la barricade, sur la Place-Royale ; mais ils avaient affaire là à d'autres chasseurs et bientôt, dès qu'ils avançaient la tête à cet angle pour ajuster, ils étaient frappés et tombaient ; mais comme ils n'étaient pas moins adroits, il en était à peu près de même du côté opposé dont le café de l'Amitié forme l'angle ; une foule de bourgeois y furent tués et (page 305) blessés en peu d'instants ; c'était dans ce lieu que le plus subtil, le plus leste à tirer évitait et envoyait la mort.

On vit sur ce point, pendant toute la journée du 23, un trait d'audace peu connu et qui mérite d'être rapporté ; nous avons parlé de ces petites pièces de canon de fer, grossièrement montées, venues de Jemappes, Wavre, etc. Un homme très robuste en dirigeait une à lui seul. Il la chargeait à l'abri de l'angle de la Place Royale, près du grillage de l'ancien hôtel du prince d'Orange, la prenait ensuite sur ses épaules, traversait ainsi la barricade, la pointait sur le Parc, vers la rue Royale, ou vers les palais, selon son caprice et y mettait le feu ; la pièce reculait et même sautillait et se renversait à chaque coup ; alors il la reprenait, s'en chargeait de nouveau et revenait recommencer. Il répéta ce manège plus de cent fois ; on lui tira des milliers de coups de fusil et de mitraille, il devait périr indubitablement ; on lui disait adieu, à chaque voyage qu'on lui voyait faire avec son fardeau !........ Il ne fut pas même atteint, et cela tient du miracle ! Il versait chaque fois dans sa pièce un picotin de balles, c'était son expression, qu'il faisait pleuvoir sur l'ennemi ; le lendemain le même petit canon fut posté dans un des appartements élevés de l'hôtel de BelleVue et plongeait de là dans les deux ravins du Parc, en y envoyant sa mitraille ordinaire qui fit à l'ennemi un tort immense en l'empêchant de se montrer et en le forçant de rester concentré et même caché dans le Parc.

C'était un petit canon semblable qui fut placé le même jour sur la plate-forme de la maison Tiberghien, Montagne-du-Parc et qui joua longtemps de la même (page 306) manière ; les pièces du Parc lui répondirent à boulets, criblèrent toute la maison, brisèrent les gros vases et le balcon de pierre, et ne purent cependant ni le démonter ni faire taire son feu.

Nous avons vu que l'artillerie liégeoise et bruxelloise, formant en total une batterie de six pièces attelées, après s'être retirée derrière le palais du prince d'Orange, s'était divisée ; que deux pièces continuèrent leur retraite vers la porte de Halle et s'arrêtèrent sur la pente du boulevard, et que les quatre autres, sous les ordres de M. E. Grégoire, furent amenées sur la Place-Royale et ses abords pour défendre toute cette position ; elles s'y placèrent, soit au pont de fer, soit au coin de la grand'-garde, près de la maison Osy, où elles s'abritaient pour recharger, soit même quelquefois aux coins de l'Hôtel de Belle-Vue ou de celui de l'Amitié, quand on faisait un mouvement en avant contre le Parc, ce qui arriva plusieurs fois ; là fut sans cesse le brave Liégeois Charlier, avec son coup-d’œil perçant et assuré, son canon qu'il dirigeait et manœuvrait lui-même, son sang-froid, sa bravoure et sa jambe de bois ! il est à remarquer que ce brave, ancien soldat français, mutilé à Waterloo n'avait jamais servi dans l'artillerie. C'était un canonnier improvisé qui contribua plus que personne peut-être, à la victoire de Bruxelles !

Cependant il arriva plusieurs fois, pendant les 24, 25 et 26 que l'une ou l'autre de ces quatre pièces fut transportée, par l'intérieur de la ville, et avec des difficultés inouïes à cause des barricades, aux points d'attaque de la montagne du Parc et du Treurenberg et foudroyèrent le Parc dans ces deux directions.

(page 307) La première ambulance provisoire fut établie par MM. Pellabon et le docteur Roger, vers midi, chez M. Maréchal-Bernard, Montagne-du-Parc, sous le feu de l'ennemi ; peu après ces messieurs virent que les grenadiers qui tiraillaient sur ce poste, de la grille du Parc, mettaient les crosses en l'air ; aussitôt ils s'avancèrent avec d'autres bourgeois et offrirent de la bière à ces soldats en les engageant à s'approcher ; quatre acceptèrent et furent à l'instant désarmés et faits prisonniers ; un plus grand nombre allait suivre, mais un officier survint et les en empêcha, en redemandant ses hommes aux bourgeois en mauvais français ; pour toute réponse on l'engagea lui-même à se rendre ; alors il fit recommencer le feu auquel on répondit de toutes les fenêtres et de tous les toits des maisons de la Montagne-du-Parc, où nos tirailleurs restèrent embusqués jusqu'à la nuit, sans perte, tandis que leur feu devenait si meurtrier pour l'ennemi, qu'il n'osa plus, dès lors, reparaître à la grille du Parc de ce côté.

Toute cette première journée se passa donc en fusillades et en canonnades continuelles, sans aucun résultat positif, car, vers la brune, à la cessation du feu, les positions des deux partis étaient absolument les mêmes qu'à dix heures du matin.

Mais nous avons déjà indiqué qu'un immense résultat moral avait été obtenu par le peuple et il le sentit parfaitement. Il avait arrêté tout court, avant 10 heures du matin, un ennemi quatre ou cinq fois plus fort et plus nombreux que lui, et qui s'avançait de toutes parts dans la ville en victorieux, en envahisseur ; il l'avait laissé occuper les positions principales et dominantes ; mais, (page 308) arrivé sur un point donné, il avait semblé lui dire : Tu n'iras pas plus loin, et il l'avait forcé à obéir ! Les Hollandais, assurés d'un succès facile en entrant, furent d'abord étonnés d'une telle résistance, de cette impossibilité absolue d'avancer, de faire un seul pas de plus ; dès ce premier jour ils perdirent courage, et l'on entendit leurs officiers et leurs blessés dire dans la rue Ducale : On nous fera tous tuer ici ! Il y eut dès lors chez eux principe de démoralisation !

De notre côté, quel changement subit et presque magique en quelques heures !

Nous avons vu que, dès la veille, presque toutes les uniques autorités restantes avaient disparu et quitté Bruxelles et leurs postes ; ce jour-là les fauteuils furent encore plus déserts, et l'on ne comptait plus que 2 ou 3 exceptions individuelles ! Mais il faut être juste ; disons-le encore une fois ; toute résistance efficace paraissait impossible aux gens sensés et sages, et propre seulement à nous attirer les derniers malheurs ! On ne pouvait songer à empêcher une armée entière d'occuper une ville ouverte ! Il fallait donc courber nos fronts humiliés devant ce triomphe facile dû uniquement à la force brutale et qui ne pouvait être que momentané ! Les Bruxellois vont donc céder, non moins braves, mais moins heureux que les Parisiens ! Que peut le courage civil contre les boulets de canon ? « D'ailleurs, ajoutaient quelques autres, que signifie notre révolution ! elle est sans motifs, elle est ridicule ; voyez la proclamation du prince Frédéric ; elle est modérée et tranquillisante ; accueillons-le, lui et son armée ; les Prussiens, les Anglais, les Russes (page 309) sont pour lui ; nous défendre serait un crime ; bienheureux serons-nous, s'il ne nous punit pas de l'avoir été si sottement attaquer ces deux derniers jours ! En outre, notre roi est bon, il travaille sans cesse au bonheur de ses deux peuples ; Bruxelles surtout lui doit sa prospérité, sa richesse ; craignons qu'il ne prive cette capitale de sa présence, qu'il ne convoque ailleurs les États Généraux etc., etc.» On disait encore bien d'autres choses tout bas et personne ne doutait de pouvoir dans les répéter tout haut ! c'était, disons-le avec franchise, l'opinion la plus générale même dans ce dernier moment ; il n'y avait pas de contradicteurs, les combattants étaient ailleurs ! et avant 8 heures du matin, lorsqu'on sut l'arrivée du Prince avec son armée, et surtout quand on entendit les premiers coups de canon, des groupes nombreux de bourgeois et t de toutes les classes, parmi lesquels on remarquait des dames bien mises, se répandirent dans les rues pour voir l'entrée des Hollandais.

Cependant le canon tonnait depuis deux heures avec plus de force que jamais ; la fusillade et les feux de peloton s'y joignaient, et le bruit semblait de plus en plus se rapprocher ; d'un autre côté on entendait siffler partout, au-dessus de nos têtes, les balles, les biscayens et les boulets ! pourquoi donc tout ce fracas s'il n'y avait point ou peu de résistance !

Nous avons déjà dit que ce fut vers midi que des tirailleurs isolés descendirent du Parc et se répandirent dans la ville ; ils demandaient du pain, de l'eau-de-vie et surtout des fusils et des cartouches ; ceux qui avaient été à (page 310) la porte de Flandre les joignirent, et l'on n'entendit plus partout que ces cris multipliés et retentissants : « Victoire ! ils sont à nous ! nous attaquons le Parc, ils y sont cernés ! mort aux Hollandais ; ils sont perdus ; il n'en échappera pas un seul ! des armes, des cartouches ! nous avons déjà 200 prisonniers ; ils sont battus et repoussés aux portes de Laeken et de Flandre ; armons« nous, courons sur eux ; victoire ! »

Il est impossible de dépeindre la sensation excitée dans Bruxelles par ces nouvelles inouïes, incroyables ! il se fit alors en bien peu d'instants, une révolution d'idées et de visages tellement complète, qu'elle aurait provoqué le rire dans tout autre moment et pour tout autre motif ; on se regardait, on ne pouvait croire, on interrogeait tous les passants qui avaient combattu ; enfin il fallut bien être convaincu ! Alors on prit son parti, et en une bonne heure le nombre des patriotes fut décuplé ! Tout prit une autre attitude, tout changea de face ! il faut avoir vu et entendu comme nous, pour bien comprendre la métamorphose que quatre heures de résistance avaient opérée, pour bien saisir le tableau que nous esquissons ! Ce changement de décorations à vue, ce renversement d'idées, ce désappointement complet ! Les uns, de la stupeur et de l'indifférence, les autres, de la faiblesse et de la crainte, étaient tout-à-coup revenus au sentiment et à la conscience de leur force et de leur patriotisme, et chacun s'écriait ou se demandait : Est-il bien vrai que nous sommes vainqueurs !

Oui, c'était vrai ; il faut le dire tout haut, car l'Europe monde entier doivent le savoir, et justice doit être (page 311) rendue à chacun. Une armée entière de plus de 12,000 hommes de toutes armes avec 46 pièces de canon, commandée par un prince royal, pleine de confiance dans une victoire qu'elle croyait facile, animée par l'espoir des récompenses et du pillage, envahit une ville ouverte et sans défense, une ville divisée à l'intérieur ! quelques volontaires, ouvriers, paysans, (ils étaient bien loin d'être 1,200 alors,) sans pain, sans argent, sans chefs ce premier jour et presque sans armes, ont d'abord arrêté cette armée, puis l'on vaincue ! A Bruxelles comme à Paris, l'histoire inflexible et impartiale fera un jour, ou plus tôt ou plus tard, la part de la gloire et celle de la honte.

Ce fut aussi vers midi que l'on vit transporter les premiers blessés et déposer les morts sur l'ancien cimetière de Sainte Gudule ; tout cela exaltait et décidait, et avant la fin du jour, Bruxelles entier était résolu de se défendre ; toutes les nuances d'opinions étaient confondues ; c'était le premier effet d'un commencement de victoire !

Trois jours de combats glorieux devaient suivre cette mémorable journée ; plusieurs s'étaient dit le matin, qu'après deux heures de résistance, Bruxelles pourrait céder sans rougir ; on allait au contraire marcher de succès en succès ; la bourgeoisie se joignait au peuple ; le tocsin tintait dans les villes comme dans les campagnes ; des chefs allaient apparaître ; d'heure en heure, de nouveaux combattants accouraient au secours de Bruxelles ; les Louvanistes victorieux détachèrent de nouveaux auxiliaires, et, avant la nuit, arrivèrent ceux de Genappe, Wavre, Gosselies, Braine-l'Alleud, Halle, Soignies, Nivelles, et bientôt après, ceux de Mons, Ath, Charleroi, Namur, (page 312) Leuze, Tournai, etc. Chaque famille envoyait le plus pur de son sang, et ces soldats improvisés, fatigués, battus en route d'une pluie froide, demandaient en arrivant la route du Parc et couraient au feu et au bruit du canon, en voulant se précipiter sur l'ennemi ; leur acharnement était sans égal ; plusieurs d'entre eux entrèrent les premiers dans le Parc ; les Wavriens comptèrent 7 tués dans cette première journée, les Namurois 3 ; il n'y eut pas un seul détachement qui n'éprouva des pertes pendant les 4 jours de la bataille.

Le 23 au soir, Guillaume, jadis roi des Pays-Bas, avait perdu la Belgique pour toujours ! la Belgique qui, la veille, le matin même, aurait été à ses pieds, au moindre signe de bonne foi, d'une vraie concession, d'une satisfaction réelle aux griefs énoncés ! la Séparation n'était qu'une idée vague, comme toutes les causes premières de notre révolution ! Maintenant une barrière de sang sépare réellement le roi et la Hollande d'avec la Belgique. On ne pouvait lier l'assassin avec la victime ; quelles concessions étaient possibles ! on avait toujours accordé huit jours trop tard et de mauvaise grâce ! maintenant les Hollandais sont vaincus ! la question du courage, décidée à dix heures du matin, tranchait toutes les autres, et si les Hollandais n'ont fui que trois jours après, c'est qu'ils avaient à subir trois jours de honte de plus !

On a calculé que, dans cette première journée du 23, plus de 200,000 coups de fusil avaient été tirés de part et d'autre, et que plus de 1,600 coups de canon, à boulets ou à mitraille, avaient retenti dans le sein de la ville de Bruxelles !

(page 313) Le nombre des bourgeois, bruxellois et auxiliaires, tués sur tous les points fut de 44 ; celui des blessés excéda 100 ; la perte des Hollandais était plus que quadruple, sans compter 200 prisonniers ou déserteurs ; on ne nous prit pas un seul homme dans la ville.

Jusque-là du moins, tout ressemblait à une guerre ordinaire ; on semblait vouloir prendre une ville rebelle et rien de plus.

Mais vers deux heures du soir, la scène changea ; les boulets tombaient alors sur toute la ville, on voulait donc la punir.

Enfin, vers six heures, on aperçut des flammes ; il s'agissait donc alors de la brûler.

On avait tiré quelques coups de fusil le matin à l'entrée des troupes, des maisons formant l'angle de la rue Royale, à gauche de la porte de Schaerbeek, en face de la demeure de M. Meeûs ; les soldats s'y logèrent, les dévastèrent, les pillèrent de fond en comble et y mirent le feu à la main l'après-dîner ; un de ces bâtiments, celui du coin, vaste et richement construit fut entièrement consumé.

Il en fut de même un peu plus haut, sur les derrières de la caserne des Annonciades, vers la rue de Notre-Dame-aux-Neiges. Nous avons déjà vu qu'un bataillon avait pénétré jusque-là par la place d'Orange, et qu'on avait voulu en vain lui résister ; la caserne fut forcée, et la troupe y fit sa jonction avec les soldats qui y étaient entrés par la rue de Louvain ; mais peu après, quand les Hollandais s'y virent assaillis de toutes parts et reconnurent l'impossibilité de tenir ce poste, ils (page 312) y mirent le feu en l'évacuant à la brune, et toute l'aile du corps de bâtiment de derrière fut dévorée par les flammes ; nous avons dit comment on sauva la poudre.

Ces deux incendies, les seuls de cette journée et qui se voyaient dans toute la ville, y répandirent une sorte de terreur mêlée d'indignation ; la population de plus en plus exaspérée les regarda avec raison comme de sinistres précurseurs des malheurs du lendemain et des jours suivants !

Vers le soir du 23, on était donc généralement décidé à se défendre, et tous agissaient et y contribuaient ; mais bien de gens le faisaient sans espoir de succès ; nous ne recevons pas d'ordres, disaient-ils, nous n'avons ni chefs, ni commandant, ni ensemble régulier ; comment donc pourrons-nous résister ?

Ils se trompaient ! ils faisaient preuve par-là de peu de jugement, et d'une bien fausse connaissance des hommes, des choses et des époques ! Disons ici une vérité profonde ; c'est précisément parce qu'on était sans chefs, et qu'on a tout fait contre les règles ; que l'on a vaincu le 23 à Bruxelles ; la ville ne pouvait être sauvée par les moyens ordinaires et selon les règles, 10 régiments de ligne réguliers auraient été battus, repoussés au moins, et l'auraient laissé prendre, tandis que 8 à 1200 irréguliers ont été victorieux. Paris et Bruxelles ont maintenant donné un exemple qui ne sera pas perdu dans l'avenir ; le secret de défendre contre les armées, des villes ouvertes, sans troupes et sans remparts, est tout trouvé. Les barricades changeront, déplaceront l'art de la guerre et les champs de bataille ; leur invention peut bouleverser la face du (page 315) monde et fixer les destinées des peuples qui les construisent ; puissent-ils n'avoir jamais à s'en repentir !

Ce fait incontestable justifie au surplus la maxime célèbre de l'orateur romain qui s'y connaissait et qui écrivait, il y a près de vingt siècles : La force du peuple qui n'a point de chef n'en est que plus terrible ; un général sent qu'il est responsable, il réfléchit ; mais le peuple toujours impétueux ne pense jamais au péril qu'il affronte.

Une autre crainte agitait les esprits dans la soirée et la nuit du 23 ; c'était celle de manquer de munitions ; rien n'avait été prévu pour se défendre contre une armée ; cependant jamais le feu ne se ralentit un instant pendant les 4 jours, faute de munitions ; bientôt on vit jusqu'aux femmes et aux enfants, parcourir la ville, demander, obtenir, arracher des cartouches partout, et les distribuer aux hommes armés d'un fusil ; on finit par en trouver de toutes parts ; il semblait qu'elles tombaient du ciel ; des ateliers de cartouches s'établirent ; on remarqua surtout celui de M. Goomans, rue des Dominicains, qui paraissait inépuisable ; on rencontrait des files entières de porteurs de paquets de cartouches, tous se dirigeant vers le champ du combat et les trois barricades d'attaque.

A la nuit tombante, vers six heures et demie du soir, le feu cessa de part et d'autre ; les troupes, ne laissant au Parc que quelques compagnies en tirailleurs, se mirent en retraite et bivouaquèrent aux boulevards et à l'extérieur ; quand on fat certain de cette manœuvre, les cris de victoire redoublèrent à nos avant-postes et bientôt après dans toute la ville.

(page 316) Lorsque, vers dix heures du soir, on s'approchait des trois barricades d'attaque, elles offraient un spectacle inouï dans les fastes de la guerre ; elles étaient désertes au pied de la lettre ; personne pour les garder, ni les défendre, pas même pour avertir ou donner l'alarme ; pas un factionnaire ! Des curieux téméraires se promenèrent sur les trottoirs de la rue Royale, depuis la place de Louvain jusqu'à la Montagne de la Cour ; ils ne virent personne ! pas une sentinelle, pas un qui-vive ! le Parc était aussi sombre, aussi silencieux que tout le reste, pas un feu, pas un réverbère, pas une apparence d'hommes ! Toute la nuit s'écoula ainsi sans qu'on tirât un seul coup de fusil ; il faisait même là plus tranquille que partout ailleurs ; personne, dans aucun des deux camps, ne songeait alors à se défendre, et encore bien moins à attaquer ; il en fut à peu près de même les trois nuits suivantes ; nous livrons ce fait incontestable et dont on a été chaque soir témoin oculaire, aux méditations de nos contemporains et de l'histoire ; il est presqu'incroyable, nous le savons, mais caractéristique, et ce calme profond ne fut interrompu que le lendemain 24, vers sept heures du matin, par les premiers coups de fusil tirés de l'hôtel de Belle-Vue sur les bosquets du Parc.

Le prince Frédéric avait eu l'heureuse conception de faire attaquer Louvain, en même temps que Bruxelles, par deux corps d'armée venus, l'un de Malines, l'autre de Maestricht ; tous deux forts de plusieurs milliers d'hommes et soutenus chacun par trois batteries ; les deux attaques eurent lieu dans la matinée du 23, à deux heures de distance et aux extrémités opposées de la (page 317) ville ; elles furent toutes deux repoussées avec gloire par les Louvanistes, aidés de leurs braves auxiliaires les paysans voisins qui accoururent en foule de tous les villages, au premier coup de canon, et qui harcelèrent l'ennemi avec une audace extraordinaire et un succès complet ; il fut poursuivi à plusieurs lieues sur les deux routes d'attaque et éprouva des pertes notables ; le plan du Prince fut totalement manqué par-là, dès ce premier jour, et les Louvanistes contribuèrent bien plus, par ce triomphe, à défendre Bruxelles que s'ils y avaient envoyé de nombreux renforts. La relation de cette double victoire en un jour fut envoyée sur-le-champ à Bruxelles où elle fut affichée dans la nuit ; elle exalta à l'excès la confiance et l'ardeur des Bruxellois. (V. ci-après la pièce no. 1, sous la date du 24, page 324.)

Aucune pièce, aucune proclamation, ni aucun journal ne parurent à Bruxelles dans cette première journée de la bataille ; l'on songeait plus à agir qu'à écrire, et d'ailleurs il n'existait plus l'ombre d'une autorité.

L'aspect général que présenta la ville pendant la journée du 23 septembre, fut si varié, si tumultueux, si effrayant à la fois, qu'il est impossible de bien le dépeindre. Des Français qui avaient assisté aux grandes journées de Paris en juillet s'étonnaient et disaient que les combats de Paris ne pouvaient se comparer à ceux de Bruxelles, même toute proportion gardée ; que là c'était une insurrection, une guerre avec ses horreurs, mais aussi avec ses droits, ses règles, ses ménagements, ici une destruction ; l'histoire jugera ; les résultats existeront.