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Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830
DE WARGNY Auguste - 1830

DE WARGNY, Esquisses historiques de la révolution de la Belgique en 1830 (1830)

(Paru à Bruxelles en 1830, chez H. Tarlier)

Chapitre XV. Journée du lundi 20 septembre 1830

Désarmement et désorganisation de la garde bourgeoise par la populace. L'Hôtel-de-Ville est enfin forcé. Dissolution et retraite de la Commission de sûreté. Dispersion de toutes les autorités, et disparition de tous les fonctionnaires. Premier gouvernement provisoire. Complete anarchie populaire

(page 205) Dès six heures du matin, l'immense multitude d'ouvriers et gens du peuple qui avait passé la dernière partie de la nuit sur la place Saint-Michel en chantant des refrains patriotiques et en poussant de continuelles clameurs, s'était grandement renforcée ; on remarqua au jour qu'environ la sixième partie de cette troupe était armée de fusils ; la veille ils n'en avaient pas un seul. Alors certainement leur volonté eût été irrésistible ; ils avaient la force et dictaient la loi, sans la moindre contradiction, à toute la ville ; on devait craindre des excès, des pillages. Jamais Bruxelles n'avait couru un si grand danger ; on se trompa ; le peuple n'exerça d'autre acte de souveraineté que de s'emparer de trois bouteilles de liqueurs dans deux boutiques.

Vers sept heures du matin, cette troupe s'ébranla et (page 205) se mit en marche pour la Grand'-Place où ils ne trouvèrent personne ; ils ajournèrent leur attaque, et une voix ayant crié qu'il fallait aller chercher les Liégeois, on se porta à la caserne Sainte-Élisabeth.

Il y eut là de nouveaux pourparlers ; les Liégeois refusèrent de se joindre à la populace et M. Rogier employa encore toute son éloquence, toute son influence pour rappeler à l'ordre et à l'union.

Mais cette fois il ne réussit pas ; la foule s'écria « qu'elle saurait bien avoir des fusils par force pour se défendre, puisqu'on lui en refusait de bon gré ; qu'elle savait où il y en avait et qu'elle était déterminée à s'armer à tout prix. »

Différents groupes se formèrent aussitôt ; ils marchaient en bon ordre, semblaient écouter des chefs et avaient chacun à leur tête quelques-uns d'entre eux déjà armés. Ils parurent se concerter, combiner leurs marches et leurs mesures et prirent diverses directions.

Le poste de l'Amigo fut le premier désarmé ; on y enleva tous les fusils au nombre de cinquante ; les bourgeois, que d'ailleurs on n'insultait ni ne provoquait, sentirent que toute résistance était impossible et cédèrent avec modération et sagesse. Il était alors neuf heures du matin.

Ce premier succès enhardit le peuple ; on sut partout, à l'instant, que le poste de l'Amigo était désarmé ; alors les groupes réunis ou séparés se portèrent successivement à tous, ou au moins à la très grande majorité des postes bourgeois et y firent la même opération ; on a calculé que plus de quinze cents fusils changèrent ainsi (page 206) de mains en moins de deux heures, dans cette matinée.

Cependant il y a ici une remarque singulière à faire ; c'est que le peuple répugnait à l'idée de désarmer les bourgeois ; la preuve en est que dans plusieurs corps de garde, il compta les hommes et les fusils et ne prenait que l'excédent ; nous citons entre autres les postes des trois Palais, de la Grand'-Garde Place Royale, de la rue de la Régence, de la Prison, du Sablon, du Tribunal, du Palais de justice, etc. On trouva dans l'un d'eux trente-six fusils et trente-cinq hommes, on prit un fusil ; dans un autre cinq hommes et huit fusils, on prit trois fusils et ainsi de suite.

Dès lors cependant, la garde bourgeoise ainsi désarmée partiellement, fut totalement désorganisée, et cela ne pouvait être autrement ; dès qu'elle était dominée par le peuple sa mission était finie ; les bourgeois se retirèrent chez eux et abandonnèrent sur-le-champ tous les postes ; qu'y auraient-ils fait ! Un très petit nombre osèrent emporter leurs armes avec eux, et les fusils laissés dans les postes ne tardèrent pas à être enlevés jusqu'au dernier par les groupes populaires dont les visites aux corps de garde se répétaient d'heure en heure.

L'acharnement pour se procurer des fusils était si grand que l'on fouillait avec le plus grand soin et à diverses reprises, tous les lieux et même les cachettes où l'on pouvait imaginer qu'il s'en trouvait ; c'est ainsi que les greffes de première instance et d'appel furent forcés et visités plus de dix fois et toujours par des groupes différents ; il s'y trouvait une trentaine de fusils de chasse dont quelques-uns de prix, y déposés comme pièces de conviction pour délits de chasse ; ils furent tous enlevés.

(page 206) Nous avons vu que plusieurs caisses d'armes étaient successivement arrivées à Bruxelles de Liége et d'ailleurs ; on les avait, pour la plupart, gardées à l'Hôtel-de-Ville ; mais, dans la matinée du 20, 5 caisses d'armes de guerre, arrivées de Liége à Bruxelles par la voiture de Mme Lemaire, avaient été déposées sous les galeries du Palais de justice qui est voisin, dans la crainte qu'elles ne fussent pillées si on les transportait à l'Hôtel-de-Ville.

On ne l'ignorait pas : aussi le groupe nombreux qui se présenta à ce poste et qui avait été précédé d'un quart d'heure par un détachement liégeois, exigea-t-il la remise de ces caisses. M. Ernest Grégoire, qui y organisait dans ce moment les éléments du premier corps franc, avec MM. Rodenbach et Niellon, se jeta au milieu du peuple pour y rétablir l'ordre ; après quelques pourparlers on le choisit pour commandant tout d'une voix ; un seul homme qui paraissait un des meneurs et qui avait déjà manifesté l'intention de piller, s'y opposa en jurant, en disant que c'était encore un Monsieur, et porta même à M. Grégoire un coup de pointe de sabre qui le blessa à la cuisse ; celui-ci le désarma lui-même et le fit chasser des rangs ; ce fut alors que M. Pletinck, lieutenant-colonel de la Garde bourgeoise, voyant M. Grégoire à la tête de cette masse de peuple armé, vint le prier de ne point la diriger vers le haut de la ville dans la crainte du pillage des palais ; M. Grégoire le promit et tint parole.

Toutes les représentations que l'on fit au peuple furent inutiles ; il n'écouta rien ; les caisses furent enfoncées, et tous les fusils qu'elles renfermaient, au nombre de plus de cent cinquante environ furent pris et partagés. On peut se peindre l'agitation de la ville pendant (page 209) toutes ces expéditions, ces courses d'hommes armés, ces coups de fusils tirés en l'air ! les boutiques et magasins fermés, la crainte du pillage se joignant à celle d'une attaque extérieure, l'incertitude sur celui de ces malheurs qui serait le plus redoutable !

Vers huit heures du matin, les députés des huit sections convoqués à l'Hôtel-de-Ville, s'y réunirent. Mais ils y furent peu nombreux ; il manquait aussi plusieurs membres de l'état-major et de la Commission de sûreté ; cependant il paraît qu'on délibérât, qu'on voulut prendre des mesures ; mais les événements marchaient et entrainaient tout dans leur cours ; on apprenait de minute en minute les effets de la résolution prise par le peuple de se procurer des armes à tout prix, même en enlevant celles de la garde bourgeoise ; toute opposition devenait impossible.

Que faisaient pendant cet intervalle les nombreux bourgeois du parti modéré ? Les uns se résignaient d'avance au cours des choses, quel qu'il fût ; les autres invoquaient assez hautement l'arrivée des forces royales. Deux pétitions furent, dit-on, adressées au prince Frédéric et portées à Anvers par des hommes connus comme appartenant à l'opposition, même catholique. La première, couverte de beaucoup de signatures, demandait amnistie pour la ville, et assurait qu'elle était prête à se soumettre ; la seconde, revêtue de dix noms seulement, promettait qu'au premier aspect des troupes du prince on arborerait la cocarde orange. La plupart des riches se détachaient du peuple, non par désaffection mais par timidité.

(page 210) Vers dix heures du matin, les groupes alors en partie armés, se réunirent sur la Grand'-Place où parurent en un clin d'œil plus de 1500 hommes. Le cri unique était : Liberté ! des armes ! On voulut pourparler, on ferma les portes ; mais tout fut inutile ; en un instant les portes furent enfoncées, l'Hôtel-de-Ville fut forcé ; on y chercha partout des armes ; on fouilla tous les recoins et on y trouva en effet des caisses de réserve et autres ; toutes les armes qui y étaient furent enlevées et distribuées. On en porta le nombre à quatre ou cinq cents. Les uns disaient qu'elles y avaient été oubliées, d'autres qu'elles y étaient cachées.

Le peuple était mécontent des difficultés qu'il avait éprouvées depuis deux jours pour s'en emparer ; il méconnut toutes les voix qui s'efforçaient de le rappeler à l'ordre, même celles de MM. Borremans, Pletinckx, et de ses chefs les plus connus et les plus populaires ; il manifesta l'intention, non de piller, mais de dévaster l'Hôtel-de-Ville, ce centre tutélaire d'autorité d'où depuis près de quatre siècles, étaient tant de fois partis les ordres et les mesures qui lui donnaient toujours du travail et du pain dans les crises publiques ! Mais le mot de trahison circulait dès lors dans beaucoup de bouches ; on accusait hautement les autorités sans distinction, et mème des chefs de la garde, de conniver avec les Hollandais, de les appeler même. Le peuple murmurait ! Il est déplorable de dire qu'il céda, en partie du moins, à ce sentiment d'animosité. Il commit des dégâts, brisa des vitres, des meubles, des portes, endommagea des tableaux, déchira ou dispersa des (page 211) papiers qu'il jeta par les fenêtres, ainsi que deux caisses remplies de cocardes oranges oubliées dans un coin ; cette circonstance l'irrita encore davantage, mais à tort cependant ; il fut démontré plus tard que ces cocardes étaient là depuis plus de dix ans ; ce fut avec peine qu'on parvint à préserver les registres de l'état civil.

Pendant plusieurs jours, l'Hôtel-de-Ville offrit le plus triste spectacle ; il était comme abandonné à lui-même ; les portes enfoncées permettaient à tout le monde d'aller s'y promener comme dans un lieu public ; ce ne fut que pendant la bataille, le 24, au bruit du canon et quand les boulets pleuvaient jusqu'aux environs, que l'ordre y reparut et que l'autorité s'y réinstalla.

Cet envahissement armé de l'Hôtel-de-Ville parut un événement si grave et si dangereux aux membres de la Commission de sûreté, de l'état-major et des sections de la garde bourgeoise, ainsi qu'à plusieurs notables citoyens réunis à eux depuis le matin, et qui tous en avaient été témoins oculaires et presque victimes, que la prudence leur parut commander la retraite ; plusieurs d'entre eux quittèrent même la ville sur-le-champ ; quand on le sut, ils furent grandement blâmés ; on dit qu'ils s'étaient sans doute exagéré leurs dangers ; on se demandait quels reproches ils avaient à se faire, s'ils n'avaient pas réuni tous leurs efforts pour empêcher l'anarchie ? On ajoutait que ce n'était point de leur faute s'ils avaient été vains, et qu'après tout, la proclamation de la veille n'était point un motif pour quitter un poste où leur présence était plus que jamais nécessaire, etc.

Quoi qu'il en soit, dès ce moment toutes les autorités (page 212) disparurent ; la Commission de sûreté, dissoute par le fait, suivit l'exemple du gouverneur et de la régence ; il n'y avait plus à Bruxelles, ni magistrats, ni fonctionnaires. M. d'Hoogvorst restait presque seul. L'état-major de la garde bourgeoise et la garde elle-même désorganisée et dominée existèrent à peine ce jour-là qui fut à Bruxelles le triomphe le plus complet de l'anarchie populaire.

On assura alors, et les journaux le répétèrent, que les membres de la Commission de sûreté se proposaient de réunir le même jour 20, tous les notables de Bruxelles, à l'effet de les consulter sur les mesures à prendre dans les graves circonstances où l'on se trouvait, mais que les événements ayant rapidement changé l'état des choses, la commission, avant d'être dissoute, n'avait pu donner suite à cette idée.

Cependant il se rencontra quelques hommes de tête, plus fortement trempés et qui firent face à la tempête ; M. d'Hoogvorst, commandant en chef de la garde, ne céda qu'à la force et prit le jour même des mesures pour réunir, dès le lendemain, la garde bourgeoise armée qu'il voulait passer en revue sur la Grand'-Place ; on aurait cru cette tentative impossible, cependant elle fut couronnée d'un plein succès, comme nous allons le voir, et fit le plus grand bien, en imposant à la multitude, en lui démontrant qu'elle n'était pas maîtresse de tout oser, enfin en détournant son exaltation contre l'ennemi du dehors.

Après la prise de l'Hôtel-de-Ville, le peuple se réunit en tumulte sur la Grand'-Place et se rangea en bataille (page 213) sous les ordres de M. Ernest Grégoire qu'il reconnaissait seul pour chef ; MM. Colette de Liége, Lambinon de Dinant et Gillain de Namur commandaient sous lui.

Toute cette foule se mit en marche sur trois rangs et en bon ordre pour se rendre à la place de la Monnaie ; on peut en porter le nombre à 1500 hommes dont la moitié armés. La pluie tombait par torrents.

Pendant ce trajet on rencontra plusieurs patrouilles de bourgeois, commandées par MM. Nique et Laman ; le peuple voulait les désarmer ; mais pour éviter quelque malheur, M. Grégoire demanda aux chefs un petit nombre d'armes pour ses gens non encore armés ; on les lui remit de bon gré, ce qui satisfit le peuple à qui son commandant fit crier alors à divers reprises, vive la garde bourgeoise !

Arrivés à l'état-major de la 5ème section derrière le spectacle, M. Grégoire trouvant le corps-de-garde fermé, somma les bourgeois d'ouvrir ; ceux-ci ne répondirent pas et s'échappèrent par une issue dérobée ; alors le peuple voulut enfoncer la porte ; M. Grégoire leur défendit d'entrer ; il brisa lui-même la porte et leur distribua avec le plus grand ordre un assez grand nombre de lances qui se trouvaient dans ce corps-de-garde. De nombreux spectateurs remarquèrent avec quelle facilité le commandant maniait cette masse indisciplinée et s'en faisait écouter et obéir, à tel point que pas le moindre excès ne fut commis par elle.

M. Anoul, commandant de la 6me section, était couru à son poste central (maison de Knyff), aussitôt après les scènes de l'Hôtel-de-Ville ; ce poste était du très petit (page 214) nombre de ceux qui avaient su conserver leurs armes, et d'autres secondaires de la même section étaient dans le même cas. M. Anoul, secondé par les officiers, réunit les bourgeois, leur représente les dangers immenses que court la ville et l'urgence de faire à l'instant une patrouille nombreuse ; il est écouté ; les bourgeois bien armés, bien résolus, se réunissent au nombre de 120 au moins ; le commandant se met à leur tête, en ne laissant que quatre hommes au poste, et se rend directement à la Monnaie. Il y arrive avant la troupe nombreuse partie de la Grand'-Place, qui vint bientôt se ranger en bataille, le dos tourné au théâtre ; la sienne était en face, le dos tourné à l'Hôtel de la Monnaie ; il y est joint par d'autres détachements de bourgeois armés des diverses sections qui portent cette troupe à plus de 500 hommes, commandés alors par MM. d'Hoogvorst et Palmaert.

Le spectacle était singulier ; les deux troupes armées avaient un air hostile ; on craignit un instant de grands malheurs ; la partie du peuple non encore armée et qui cependant était dans les rangs, criait : Des armes ! et parlait de se jeter sur celles des bourgeois ; mais on parlementa, les chefs du peuple parvinrent à calmer les plus acharnés. M. d'Hoogvorst remit à M. Grégoire quelques fusils qu'il fit chercher à son hôtel très voisin, et après une demi-heure d'hésitation, le peuple, tambour battant et drapeau en tête, précédé du peloton d'avant-garde qui croisait la baïonnette comme dans une attaque, se mit en marche en bon ordre pour la caserne Sainte-Elisabeth. On put les y contenir jusques vers quatre heures du soir et ils y furent organisés.

(page 215) Une patrouille bourgeoise les suivit de loin, visita les postes de la ville, et tranquillisa par sa seule présence, un grand nombre d'habitants. Ce fut la dernière fois, dans cette crise au moins, qu'on vit la bourgeoisie armée parcourir les rues de Bruxelles.

Mais MM. les officiers de la garde sentirent qu'au milieu de cette désorganisation totale du corps des bourgeois armés, leur mission, comme tels, était terminée ; un grand nombre d'entre eux se réunirent, rédigèrent par écrit les motifs de leur conduite, renvoyèrent leurs insignes et décorations et rentrèrent dans les rangs comme simples gardes bourgeois ; ils montèrent la garde la même nuit comme factionnaires et, dès le lendemain, reparurent à la revue dans leurs grades respectifs sur l'invitation de leur commandant en chef ; leur conduite mesurée, dévouée et rationnelle est au-dessus de tout éloge !

La classe inférieure du peuple était donc enfin souveraine absolue à Bruxelles ; elle n'avait ni frein, ni rivale ; rien ne lui résistait plus ! et cependant il n'y eut ce jour-là que du bruit, beaucoup de bruit, et des armes changées de mains ; mais pas le moindre désordre, pas la moindre atteinte aux propriétés ; la pensée même n'en vint à personne ! Il est bon de prendre note de ce fait ; il caractérise l'époque, excuse les choses et justifie les hommes.

Mais au milieu de cette effervescence générale, un pas immense fut fait ; les mots décisifs de gouvernement provisoire furent enfin prononcés pour la première fois ! et dans la matinée on lut, affichées sur tous les murs de Bruxelles, le peu de lignes suivantes. (V. ci-après. )

(page 216) Cette annonce inusitée, détournée et presque mystérieuse, dépourvue de tout caractère officiel, parut n'avoir été lancée que pour sonder l'opinion publique. On ignora et même on ignore encore quels en sont les auteurs ; on parla de la réunion centrale de Saint-George, etc. mais en général on s'en inquiéta peu, et tel était alors l'état de trouble et d'anarchie, que les citoyens de Bruxelles qui, trois jours auparavant, auraient reculé devant la pensée d'un gouvernement autre que celui du roi, l'adoptèrent avec joie ce jour-là et attendirent impatiemment l'établissement, alors seulement annoncé, d'un centre d'autorité et d'action.

Mais les choses en étaient alors venues au point que rien n'était stable et que les événements entraînaient d'heure en heure les hommes et leurs œuvres. S'il fut sérieusement question dès lors de ces sept membres pour former le gouvernement provisoire, et s'ils furent invités par plusieurs à prendre en mains l'autorité anéantie et perdue, toujours est-il vrai que ce premier gouvernement provisoire ne donna pas signe de vie et ne put même être institué ; on en trouve la preuve dans une lettre de M. le comte F. de Mérode du 15 octobre 1830, insérée dans les journaux du 17 suivant.

Le peuple complétement armé faisait des patrouilles tumultueuses et bruyantes, mais avec ordre ; on remarquait que les bourgeois désarmés le matin commençaient à s'y joindre et paraissaient dans les rangs où on leur remettait des fusils ; on en tira un bon augure. D'ailleurs on avait laissé en général les armes aux gardes bourgeois qui consentaient à se joindre aux attroupements.

(page 217) Vers quatre heures la troupe nombreuse qui, comme nous l'avons vu, était entrée le matin à la caserne Sainte-Elisabeth, en sortit en bon ordre, tambours en tête, au nombre de 600 hommes armés environ ; elle parcourut jusqu'à la nuit les principales rues de la ville et chacun de ceux qui la formaient rentra alors chez soi ; en vain les chefs avaient voulu les faire loger à la caserne pour que les armes y fussent conservées ; M. Crabbé qui était venu se joindre aux autres officiers, leur fit même, dans ce but, apporter des vivres à ses propres frais ; mais tout fut inutile et il ne revint le lendemain que ceux qui avaient réellement l'intention de se battre pour la défense de la ville ; les autres avaient vendu leurs armes et ne participèrent point à la solde qui fut comptée aux premiers ; le trésorier de la ville délivra à cette fin une somme de 500 florins.

Cet armement du peuple est un fait d'autant plus important dans l'histoire de notre révolution, que ce sont surtout ces mêmes hommes qui, dans l'après dîner du 23, et dans les 3 autres journées, se sont fait tuer pour la défense de Bruxelles.

On assura que les auxiliaires Liégeois firent partie de cette troupe et on ne put découvrir d'autre but à une telle démonstration que de promener partout un drapeau aux couleurs liégeoises, jaune et rouge, que l'on avait placé au centre de la colonne et que l'on y tenait continuellement déployé, pour que l'on put y lire plus facilement ces mots en caractères apparents :

(page 218) « GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

« de Potter,

« Gendebien,

« d'Outremont de Liége. »

Cette manière de proclamer trois noms au lieu de sept prouva que rien n'était encore fixe, et qu'il y avait discord parmi ceux qui conféraient le pouvoir. Nous verrons comment on parvint bientôt à rallier les opinions et les esprits sur cet objet dont l'importance planait de loin au-dessus de toutes les autres.


Pièce unique affichée à Bruxelles le 20 septembre 130

Un gouvernement provisoire s'organise ; on dit qu'il sera composé de la manière suivante :

Messieurs,

Raikem de Liége, des États-Gén.,

Félix De Mérode,

Gendebien,

Van de Weyer,

De Potter,

D'Outremont de Liége,

De Stassart, des États-Gén.