(Paru à Bruxelles en 1920, chez Vromant)
L'inopportunité de la décision prise par les cours de Berlin et de Vienne ainsi que l'inexistence du caractère provocateur qu'elles attribuaient à la nomination du général Skrynecki devaient apparaître aux yeux de tous lorsque, n'attendant pas que la date du 4 mars fixée à l'ajournement des Chambres fût arrivée, le gouvernement belge, par arrêté royal du 12 février, convoqua le Parlement pour le 19 du même mois.
Dès ce moment, il ne pouvait plus être douteux pour personne que M. de Theux et ses deux collègues ne se fussent résignés à accepter le traité que la Conférence leur avait fait signifier. Le 18 février, le ministre des Affaires étrangères donnait, en effet, lecture à la Chambre des représentants d'un nouveau rapport (Histoire parlementaire du Traité de paix du 19 avril 1839, tome l, page 102) qui exposait les résultats des négociations poursuivies depuis le 1er février et soumettait à l'approbation du Parlement deux projets de loi dont l'un autorisait le roi à signer les traités réglant les bases de la séparation de la Belgique d'avec la Hollande d'après les propositions formulées par les Puissances le 25 janvier précédent ; dont l'autre arrêtait les conditions auxquelles les habitants des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg pourraient conserver la qualité de (page 322) Belge et réglait aussi la situation des fonctionnaires des dites parties qui auraient abandonné leur situation pour devenir ou rester Belges.
Nous ne ferons pas ici l'histoire des débats longs, passionnés, parfois tumultueux, qui suivirent la motion gouvernementale et durèrent jusqu'au 19 mars à la Chambre des représentants. Le Sénat se prononça le 26 mars. Cette histoire a été excellemment bien écrite par M. Thonissen dans son livre La Belgique sous le règne de Léopold 1er, et tous les discours prononcés à cette occasion ont été recueillis dans Histoire parlementaire du traité de paix du 19 avril 1839.
(Note de bas de page) M. Ernest VAN PEEREBOOM, dans son ouvrage : Du gouvernement représentatif en Belgique, consacre les lignes suivantes aux débats parlementaires sur le traité de 1839 :
« En écrivant ces tristes pages, nous nous disons à nous-mêmes : On doit regarder comme heureux ceux qui n'ont pas été appelés à se prononcer sur le sort de leurs frères ; on comprend ceux qui cédèrent à l'élan de leur patriotisme et à leur attachement pour les parties cédées ; on pouvait absoudre alors, et l'on doit louer aujourd'hui, ceux qui, bravant une terrible impopularité, n'ont pas voulu exposer à une ruine complète notre chère nationalité, chancelante encore. »
Le danger qu'aurait couru notre nationalité, si une guerre avait éclaté, est indiqué aussi par le baron 0'Sullivan de Grass dans la lettre qu'il adressait le 26 février à M. de Theux : « Je ne voyais, dans le parti de la guerre, dit-il, qu'une fin plus noble et non pas une chance de salut, car eussions-nous triomphé, comme ce n'aurait pu être qu'on nous appuyant sur des révoltes semées autour de nous, et sur le déchaînement des passions chez nous, notre nationalité aurait été bientôt dévorée au milieu de cet incendie et cette guerre, commencée par un roi, n'aurait pu, par la victoire, engendrer que des républiques ; tandis qu’après une défaite nous aurions été conquis et partagés par tous les rois dont nous aurions voulu ébranler les trônes, Le comte de Saint-Aulaire ne me 1'a pas dissimulé. « Nous voulons la paix, me disait-il ; si nous avions voulu la guerre, ce n'aurait pu être pour des intérêts étrangers, pas plus pour la Belgique, que pour l'Espagne ou l'Italie. - Nous ne ferons pas la guerre pour que les Bolges aient deux ou trois sous-préfectures de plus ; si l'on nous contraint de tirer l'épée, nous ferons des conquêtes pour nous, et non pour les autres, et comme la Belgique aura été un danger pour tous ses voisins, ces voisins se la partageront, comme dans de semblables circonstances on a partagé la Pologne ; c'est ce partage que voudraient la Hollande, la Russie et peut-être aussi la Prusse. » Voilà à quels dangers nous échappons ; voilà de quoi abîme la sagesse et le courage du gouvernement du roi nous préservent. Croyez-moi, Monsieur le Chevalier, l'Europe vous saura gré de votre dévouement et, pour ma part, j'ai voulu vous en exprimer toute ma reconnaissance. » Qu'au cours des négociations de 1838-1839, des propositions de partage de la Belgique aient été faites à la France, cela ne nous paraît pas douteux. Les paroles du comte de Saint Aulaire sont explicites à ce sujet. Elles se trouvent confirmées par des lettres de Louis-Philippe au roi Léopold, du 18 décembre 1838 et du 9 janvier 1839. « Vous avez deux espèces d'ennemis, disait le roi de Juillet dans sa première missive, ceux qui veulent briser votre couronne par la guerre et la révolution du monde, et ceux qui voudraient tout simplement détruire un royaume qui leur paraît destiné à devenir un foyer de guerre et de démagogie, et qui seraient charmés d'en faire agréer le partage à la France. » Et dans la seconde : « Si vous attendez les sommations, et plus encore les collisions, si vous laissez aller la chose jusque-là, Dieu sait ce qui en arrivera et quelles seront les conditions qu'on pourra obtenir lorsque ces messieurs pourront dire : Il n'y a plus ni Conférence, ni traité. Quoiqu'en disent les correspondants de La Gazette d'Augsbourg, je n'ai pas à me reprocher de ne vous en avoir pas averti, et ce n'est pas moi qu'on peut accuser, comme ils le font, de vous avoir entraîné dans ce guêpier pour m'emparer de vos dépouilles ». Revue rétrospective, page 359, colonne l, et page 360, colonne II.
Une solution pacifique était aussi vivement recommandée au gouvernement belge par le Saint-Siège. Lettre de M. Vermersch, chargé d'affaires de Belgique à Rome, au chevalier de Theux. 15 février 1839. (Fin de la note)
Ni les débats auxquels se livraient les Chambres législatives, ni l'autorisation qu'obtint le gouvernement de signer le traité, ne mirent fin aux efforts tentés par le cabinet de Bruxelles pour l'améliorer dans la mesure du possible.
A propos du syndicat, lord Palmerston avait laissé concevoir à M. van de Weyer l'espoir d'insérer au traité, avec le consentement de la Hollande, des articles additionnels. Se basant sur les promesses du ministre britannique, le chevalier de Theux, dès le (page 323) 12 février, donna des instructions à son représentant à Londres afin qu'il entamât des négociations destinées à obtenir l'adoption d'un article additionnel à l'article 9 et relatif au jaugeage des bâtiments à vapeur (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 22 février 1839).
Lord Palmerston, sondé sur l'accueil que ferait la Conférence à une demande de ce genre, se montra enclin à l'appuyer, tout en ajoutant qu'il ne répondait pas de ce que diraient et feraient le comte de Senfft et le baron de Bülow. Il croyait à leur opposition, et à une opposition d'autant plus vive que l'on n'avait laissé aucune latitude de ce genre à M. Dedel. « Mais, dit-il, si vos réclamations ne s'écartent point des principes généraux, si elles n'ont pour but que de mettre, d'une manière pratique, la navigation de l'Escaut à l'abri de toute entrave, elles auront tout mon appui. Déjà la question des bâtiments à vapeur m'a été soumise. Je l'examinerai avec soin. »
Le général Sebastiani promit d'agir de concert avec le plénipotentiaire anglais (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 22 février 1839). Le 27 février, M. de Theux faisait parvenir à M. van de Weyer le texte complet d’un projet de dispositions destinées à préciser les stipulations de l'article 9 : droit de stationnement ou d'hivernage pour les navires arrêtés dans l'Escaut par des vents contraires ou des glaces ; estimation à donner au tonneau ; estimation du tonnage des navires à vapeur à la moitié de la capacité totale du bâtiment ; exemption de tout péage pour les remorqueurs ; droit pour la Belgique de racheter le péage par une rente annuelle ; conditions dans lesquelles un garde de santé pourrait être mis à bord d'un navire venant d'un endroit suspect ; admission des navires belges à la navigation des eaux intérieures néerlandaises sur le pied de la nation la plus favorisée.
(page 324) En même temps, M. de Theux insistait pour que l'article proposé le 14 janvier relativement au syndicat d'amortissement, à la Société générale et aux domaines, article auquel M. de Senfft avait réservé un accueil favorable, fût inséré dans le traité et qu'on introduisît également dans ce dernier une disposition stipulant que le gouvernement belge rembourserait à la maison de Nassau le prix des biens acquis et payés par elle dans le but d’embellir et d'agrandir le domaine de Laeken ainsi que ses dépendances (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer. 27 février 1839).
Lorsque M. van de Weyer entretint lord Palmerston de ces diverses questions, il ne le trouva plus du tout disposé, comme antérieurement, à proposer à la Conférence l'adoption d'articles additionnels. En ce qui concernait la question des acquisitions de Laeken, le ministre britannique refusa nettement de soutenir la proposition belge.
« La Conférence, dit-il, a soumis aux deux parties un traité qu'elle considère comme complet. L'une d'elles l'a déjà accepté purement et simplement. Les cinq Puissances sont donc liées, et il n'est plus en leur pouvoir de rien ajouter an traité sans l'assentiment du cabinet de La Haye. Or, demander cet assentiment aujourd'hui à de nouvelles stipulations, ce serait recommencer la négociation ; ce serait nous mettre en contradiction avec nos propres déclarations et les engagements que nous avons pris. Indépendamment de cette raison, il en est une autre qui nous porterait à ne point appuyer votre proposition, lors même qu'il nous serait encore permis d'ajouter au traité, c'est que nous voulons soigneusement éviter de porter atteinte au droit de propriété individuelle. La maison de Nassau a acquis les biens en question à titre particulier, et il n'appartient pas à la Conférence de l'en déposséder. »
Lord Palmerston pensait d'ailleurs qu'il n'y aurait pas de difficultés à régler ce point d’une manière satisfaisante après la signature du traité, la maison de Nassau elle-même y ayant intérêt (Lettre de M. Van de Weyer au chevalier de Theux, 5 mars 1839).
Quant à la question du syndicat, de la banque et des domaines, les mêmes questions de principe empêchaient lord Palmerston d'en faire l'objet d'un article additionnel. A cette objection, il ajouta une autre considération :
« Le projet de traité, dit-il à M. van de Weyer, garde un silence absolu à cet égard ; or, selon moi, ce silence vous est bien plus favorable que ne le serait la présentation d'un projet d'article additionnel et le refus de la Hollande de l'accepter. En exécutant le traité vous soutiendrez sans doute que tout ce qui n'y est pas expressément stipulé rentre dans le droit commun ; que chaque partie reste à cet égard dans le statu quo et garde ce qu'elle possède. Que si l'on vous conteste ce principe, les tribunaux seront juges. Ne faites donc point une tentative qui pourrait tourner (page 325) contre vous ; tirez parti du silence du traité ; et ne fournissez pas à la Hollande une arme contre vous en ayant l'air de douter de votre droit. L'article additionnel serait à coup sûr rejeté par le cabinet de La Haye, et, par conséquent, le présenter serait une faute. » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 5 mars 1839).
(Note de bas de page) En cette matière lord Palmerston était complètement d'accord avec M. de Senfft, comme le constate la lettre suivante quo M. van de Weyer écrivait au chevalier de Theux le 8 mars 1839, ainsi que le mémorandum qui s'y trouvait joint :
« Le général Sebastiani ayant eu l'occasion, a la suite du dernier entretien que j'eus avec lui, au sujet de la banque et des domaines, d'aborder de nouveau cette question avec M. de Senfft et de lui rappeler l'espèce d'engagement contracté par lui envers nous, le plénipotentiaire autrichien a remis hier confidentiellement au plénipotentiaire de France un memorandum dont je me hâte de vous envoyer une copie.
« Des domaines cédés à la Banque de Bruxelles.
« En 1822 les Etats Généraux du Royaume des Pays-Bas adoptèrent une loi par laquelle des domaines de l'Etat d'une valeur de 20.000.000 de florins estimés au denier 40 du revenu, furent remis en toute propriété au roi moyennant l'abandon que fit S.M. au trésor de 500.000 florins annuels sur la liste civile. Les dits domaines furent cédés par S.M. à la Société générale pour favoriser l'industrie lors de la fondation de cet établissement en 1823, avec la libre faculté de les aliéner et à la charge : 1° de verser annuellement 500.000 florins à la liste civile. 2° de verser aussi annuellement au syndicat d'amortissement une somme qui, en commençant l'an 1824, serait de 50.000 fl. auxquels seraient ajoutés d'année en année 50.000 fl. de plus jusqu'en 1834, où ce versement s'élevant à 500.000 fl. demeurerait fixé à cette somme pour les années suivantes ; 3° enfin, le remboursement au Trésor général du Royaume de la somme de 20.000.000 pour la valeur des dits domaines à l'époque de la dissolution de la Société générale en 1849.
Ces dispositions ont évidemment fait perdre aux dits domaines, et aux divers versements imposés en échange de leur cession à la Société générale la qualité d'une propriété du roi, S.M. ayant transféré ses droits à cet égard, soit à la liste civile, soit au syndicat d'amortissement, soit au trésor de l'Etat. Il résulte de cet état des choses que les dits versements devenus une créance de l'Etat, sont dus depuis la séparation, en partie à la Hollande et en partie à la Belgique, en proportion de la valeur des domaines, soit déjà vendus, soit non vendus, situés sur l'un ou l'autre territoire. Mais la décision de cette question et la fixation de la proportion dans laquelle les versements dus par la Banque depuis 1830, et ceux à échoir encore d'ici à là dissolution de cet établissement, devront être partagés entre les deux pays, est évidemment du ressort des tribunaux belges, auprès desquels l'un et l'autre gouvernements auront à produire leurs actions contre la banque, laquelle mise en cause par l'un des deux, sera dans le cas de provoquer l'action de l'autre pour parvenir à un résultat complet. .
Il parait, en conséquence, qu'il n'est nullement nécessaire dans l'intérêt de la Belgique de se pourvoir d'une décision sur ce point dans la voie diplomatique, et qu'il n'appartient nullement à la Conférence de s'occuper de ce qui est uniquement de la compétence des tribunaux. » (Fin de la note)
Pour les articles additionnels destinés à bien déterminer le sens de certaines dispositions de l'article 9, la conversation fut longue.
« Je regrette vivement, dit à ce sujet lord Palmerston, que le gouvernement belge persévérant, malgré mes observations, dans le système qu'il a cru devoir adopter dès le début de la négociation, se soit constamment refusé à nous fournir, sur la navigation de l'Escaut, les données et renseignements dont nous avions besoin pour rendre l'article 9 du traité (page 326) plus complet, plus satisfaisant. Si, dès les premiers jours, vous eussiez été autorisés à entrer sérieusement en négociations sur ce point, cet article ne serait pas aujourd'hui sujet aux objections que l'on présente en Belgique contre son acceptation.
(Note de bas de page) Le chevalier de Theux n'acceptait pas ces critiques de lord Palmerston : « Il résulte de votre rapport du 5 mars dernier, n°47, écrivait-il à M. van de Weyer le 5 avril, que lord Palmerston parait attribuer les imperfections que l'on signale dans la rédaction de l'article 9, à cette circonstance que l'on n'aurait point fourni, en temps opportun, les éclaircissements et les données nécessaires et que Sa Seigneurie allègue qu'aujourd'hui que l'adhésion a été donnée au traité par l'une des parties, des modifications ne sont plus possibles.
« Il est à remarquer d'abord que les observations actuelles reposent sur des faits et des considérations qui ne pouvaient pas être ignorés de la Conférence. Ce n'est point lors de la présente négociation seulement qu'il s'est agi des mesures relatives à la navigation. A des époques antérieures les questions qui s'y rattachent ont été débattues ; et, de l'aveu de lord Palmerston. c'est avec les éléments de la négociation de 1833 que la rédaction de l'article 9 a dû être formulée. Do plus, ces questions ont été, en quelque sorte, mises à la portée de tout le monde par les divers écrits publiés sur la matière, En second lieu, si l'adhésion du roi Guillaume est regardée aujourd'hui comme un obstacle insurmontable, cet obstacle n'existait point à la date du 14 janvier où notre mémoire fut présenté. Rien ne pouvait s'opposer à ce que l'objet de ce mémoire fût pris en considération. » (Fin de la note).
Maintenant que la Conférence a complété son travail, qu'elle l'a soumis à l'acceptation des deux parties, et que l'une d'elles s'est déjà déclarée prête à signer le traité, la Conférence a les mains liées, et nous ne pouvons plus proposer à la Hollande de nouvelles stipulations, sans recommencer en quelque sorte la négociation, sans nous mettre en contradiction avec nous-mêmes et les engagements que nous avons pris. Malgré le vif désir et l'intérêt direct que j'ai à mettre la navigation de l'Escaut à l'abri de toute entrave et à appuyer sous ce rapport vos réclamations, il me sera impossible de vaincre la résistance que m'opposeront les trois plénipotentiaires du nord et le ministre hollandais, et je ne pourrais, sans manquer à mes engagements, déclarer aujourd'hui que je n'apposerai ma signature au traité définitif entre la Hollande et la Belgique, qu'à la condition que vos nouvelles propositions soient converties en articles additionnels. Il faut donc que le gouvernement belge commence par se placer sur le même terrain que la Hollande et qu'il adhère purement et simplement, sans conditions ni réserves, au projet de traité qui lui est soumis. Il pourra ensuite, sûr de mon appui, et sous les auspices de la Conférence, proposer à la Hollande, pour l'exécution du traité, les mesures les plus propres pour éviter tout conflit.
M. van de Weyer fit observer au ministre britannique qu’une négociation postérieure au traité serait tout à fait illusoire, que jamais le cabinet de La Haye ne consentirait à s'écarter de la lettre du traité et à en interpréter les stipulations dans un sens favorable à la Belgique. « Dès que la Belgique aura adhéré au projet de traité, ajouta-t-il, toute modification, tout article additionnel, sera rejeté par la Hollande qui s'en tiendra obstinément au texte primitif et qui essayera par tous les moyens en son pouvoir, de rendre (page 327) illusoires, ou du moins sujettes aux plus graves inconvénients, les stipulations par lesquelles on a voulu garantir la libre navigation de l'Escaut. Cependant, il suffit d'une simple lecture pour se convaincre combien nos objections sont fondées. » M. van de Weyer entra à cet égard dans les plus amples détails. Il fit observer au chef du Foreign Office que le projet de dispositions additionnelles n'était en quelque sorte que la reproduction de son propre thème de 1832.
« J'étais alors votre organe, répondit lord Palmerston. Quoiqu'il en soit, je ne me dissimule point la justesse de vos observations sur l'impossibilité d'obtenir de la Hollande, après la signature du traité, des modifications quelconques à l'article 9. Je ne vois qu'un seul moyen pratique d'atteindre le but que vous avez en vue : c'est qu'en adhérant au traité, le gouvernement belge déclare qu'il a entendu que les stipulations de l'article 9 seraient entendues et exécutées conformément aux observations qu'il a résumées dans la note dont vous m'avez donné lecture. Que si ces observations sont trouvées justes, raisonnables et conformes aux principes généraux que nous avons posés, la Conférence pourra, dans une déclaration annexée au traité ou à l'acte de ratification, interpréter officiellement l'article 9 dans le même sens.
« Une semblable déclaration serait sans doute suffisante pour calmer les inquiétudes du commerce belge ; et, liés comme nous le sommes, c'est là tout ce que nous pouvons faire. Remarquez cependant que je ne puis m'engager à rien, ni vous promettre que le projet de déclaration sera adopté par la Conférence et conforme à vos désirs. Je suggère un moyen sans en garantir le succès. Il faut, pour cela, qu'il y ait accord entre toutes les parties, et cet accord dépend du jugement que l'on portera sur vos objections. »
M. van de Weyer répondit qu'à ses yeux le succès dépendait de l'appui que la Grande-Bretagne prêterait au cabinet belge, qu'on ne contesterait pas au gouvernement de la reine Victoria le droit d'assurer la libre navigation d'un fleuve vivifié en grande partie par son commerce.
Les deux plénipotentiaires passèrent ensuite à l'examen des dispositions additionnelles proposées par M. de Theux. Lord Palmerston tomba d'accord avec M. van de Weyer sur la nécessité de bien déterminer le mode de jaugeage des navires à vapeur et d'estimation du tonneau ainsi que sur l'exemption réclamée pour les remorqueurs. Mais le droit de stationnement, quand le temps et les circonstances l'exigeraient, lui parut compris dans le droit de naviguer librement stipulé par l'article 9. Quant au rachat du droit de navigation, déjà repoussé en r832, il n'y avait, à son avis, aucune chance de l'obtenir de la Hollande. Celle-ci n'aurait pu consentir à cette concession que si la Belgique lui avait offert une somme de beaucoup supérieure aux calculs approximatifs faits sur l'extension dont la (page 328) navigation de l'Escaut était susceptible. D'après les tableaux de l'année 1838, ces calculs fixaient la production du péage à 360.000 francs et la Belgique n'en offrait que 225.000 (Note de bas de page : Dans une lettre adressée à M. van de Weyer, M. de Theux répondit le 16 mars à cette objection : "Une grande partie du tonnage de 1838, dit-il, appartient au commerce hollandais, et il serait peu juste que cette partie du tonnage entrât dans le calcul de la rente, le gouvernement belge n'ayant aucun motif de payer au gouvernement des Pays-Bas le remboursement du droit sur les navires mêmes de ce pays). Lord Palmerston ne pensait pas non plus que la Hollande pût jamais se servir de son droit de mettre à bord des bâtiments suspects un garde de santé pour créer des obstacles à la navigation. En effet, l'article 9 portait textuellement que les navires auraient la faculté de continuer leur route sans entrave ni retards. « Si l'accomplissement de l'obligation de prendre à bord un garde de santé fournissait aux autorités hollandaises des prétextes pour entraver ou retarder la navigation, disait lord Palmerston, il y aurait violation du traité ; et l'Angleterre serait la première à réclamer et à exiger que l'on exécutât de bonne foi l'article 9. On oublie trop facilement en Belgique que, sous ce rapport, votre intérêt est le nôtre. »
En demandant que, par article additionnel, il fût stipulé que les navires belges, pour la navigation dans les eaux intérieures néerlandaises, fussent assimilés à ceux de la nation la plus favorisée, le gouvernement du roi Léopold voulait prévenir que la Hollande n'accordât quelque privilège à la Prusse en échange d'un équivalent obtenu ailleurs. Lord Palmerston estimait qu'une semblable stipulation serait moins favorable à la Belgique que ce que le traité lui accordait. L'article 9 portait que les péages seraient les mêmes pour le commerce des deux pays. Le ministre anglais était fermement convaincu que la Hollande ne chercherait jamais à concéder à la Prusse des avantages plus grands que ceux réservés à son propre pavillon. « On a, dit-il à M. van de Weyer, voulu vous placer sur un pied d'égalité, et il me semble que vos intérêts n'ont point été lésés. » En somme, lord Palmerston se montrait sur plusieurs points, sur tous les points même peut-on dire, sauf sur la question du rachat du péage, favorable aux prétentions belges.
(Note de bas de page) « Lord Palmerston m'a rappelé, écrivait le 6 mars le comte Sebastiani au comte Molé, que nous n'avions agi dans la rédaction de l'article relatif à la navigation que sur des données purement belges ; que le droit de 1 fl. 1/2 avait été demandé par la Belgique elle-même ; qu'il était au moins singulier qu'au bout de deux mois, elle s'aperçut du tort que cette clause faisait à son commerce. Lord Palmerston est revenu ensuite sur les principes généraux de la navigation des fleuves et il a cherché à établir que nous nous étions scrupuleusement conformés à ces principes, qu'il était impossible de nous créer un principe spécial pour l'Escaut, dont les deux rives sont à l’embouchure du fleuve dans les mains de la Hollande. Enfin il m'a déclaré qu'il croyait connaître sur ce point l'opinion vraie du cabinet hollandais et qu'à La Haye on ferait une question de guerre de l'article de la navigation plutôt que de consentir à la modification proposée par la Belgique». Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre 652 ; folio 55 (Fin de la note)
« Toutefois, écrivait (page 329) M. van de Weyer en terminant le rapport qu'il adressait le 5 mars au chevalier de Theux sur cette importante entrevue, il a soigneusement évité de prendre un engagement positif, tant il se considère comme définitivement lié par sa signature. » Il ne promettait pas plus que d'examiner à nouveau et attentivement les notes que lui soumettait le plénipotentiaire belge et de sonder les dispositions 'de ses collègues à la Conférence.
M. de Theux était disposé à se contenter de la déclaration proposée par lord Palmerston (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 5 mars 1839) et, pour ce qui concernait le domaine de Laeken, il aurait été satisfait aussi d'une explication de M. Dedel affirmant les dispositions du roi Guillaume à négocier la cession de ses acquisitions « pourvu qu'elle contînt une obligation formelle », que M. van de Weyer aurait acceptée au nom du roi Léopold (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 5 mars 1839). (Note de bas de page : Le 13 mars M. van de Weyer écrivait au chevalier de Theux que lord Palmerston avait engagé M. Dedel à écrire à sa cour pour en obtenir l'autorisation de faire, au nom du Roi Guillaume, au sujet des dépendances de Laeken, une déclaration qui lèverait toute difficulté à cet égard lors de la signature du traité). Mais le monarque ne se montrait pas prêt à tant de conciliation. « La proposition des Puissances, écrivait-il le 8 mars 1839 au chevalier de Theux, n'est autre chose qu'un projet. Dès lors, avant ou en le convertissant en traité, il est juste d'insister sur les modifications raisonnables que nous désirons y voir apporter. Cela se fera mieux maintenant dans son ensemble. Les sacrifices et les difficultés sont de notre côté. Cela nous donne une certaine force ». Le 16 mars, le souverain disait encore : « relativement aux négociations actuelles à Londres, je vous engage à être prudent. La disposition à Londres sera d'opposer une fin de non recevoir à toute proposition, et je trouve qu'on aurait tort de se soumettre à cela. Plus la signature est désirée à Londres et plus il est de notre intérêt de tirer parti de cette position, qui, sans la crise intérieure, aurait pu nous assurer une transaction territoriale. L'assentiment de la Chambre obtenu, notre position est en règle. Si la signature n'a pas lieu, la Conférence aura à faire des concessions pour l'obtenir. » Le souverain semblait se faire illusion sur la possibilité d'arracher des concessions à la Conférence : Celle-ci n'était pas revenue à des sentiments de grande bienveillance pour la Belgique. Elle ne répondait pas à nos suggestions relatives aux articles additionnels et avait, croyait-on, pris la résolution de ne pas s'en occuper avant (page 330) que les Chambres n'eussent adopté la loi autorisant le gouvernement du roi à signer le traité définitif (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 12 mars 1839).
En outre, le gouvernement prussien continuait à armer, prétendant répondre ainsi à des armements qui avaient pourtant cessé en Belgique (Note de bas de page : A Londres, ces armements n'inquiétaient pas. On les considérait comme une mesure de précaution nécessaires dans le cas où , malgré le vote des Chambres, il y aurait résistance des provinces cédées. Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 20 mars 1839).
D'autre part, en France, malgré les élections qui avaient renversé le ministère Molé, au commencement de mars, nous n'avions plus à espérer d'appui bien efficace. M. le Hon abordait avec M. Thiers, considéré comme appelé à prendre le portefeuille des Affaires étrangères dans le futur cabinet, l'examen de la direction que devrait recevoir la politique de la France dans la question hollando-belge.
Le futur ministre déclara que le gouvernement français n'avait plus qu'à s'unir au gouvernement britannique pour hâter la sanction des traités de paix proposés. « Si les choses étaient entières, ajoutait-il, la France aurait pu s'appuyer sur les dangers d'une résistance désespérée de la Belgique pour demander des améliorations secondaires et jamais son intervention n'eût été au-delà, d'une entremise bienveillante ; jamais surtout elle n'eût été poussée jusqu’à l'éventualité d'une rupture avec la Grande Bretagne ou d'une guerre avec la Confédération germanique » (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 7 mars 1839).
Le gouvernement belge s'inquiétait aussi des dispositions à son égard de la Diète ainsi que de la manière dont les rapports diplomatiques seraient noués avec elle. En 1836, la Diète n'avait promis d'accorder son assentiment aux arrangements des XXIV articles relatifs au Luxembourg qu'à la condition qu'Arlon ne serait jamais fortifié. Le 15 juin 1838, elle donnait ce consentement, mais, « sur base de la résolution du 18 août 1836 » (Extrait du protocole de la Xle séance de la Diète du 15 juin 1838).
Par cette formule, la Confédération entendait-elle maintenir sa réserve au sujet des fortifications éventuelles d'Arlon, réserve qu'à aucun prix la Belgique ne pouvait admettre ? Un nouveau conflit ne surgirait-il pas de cet incident ? (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 mars 1839. - Lettres de M. de Theux à M. van de Weyer. 23 et 29 mars 1839). Lord Palmerston s'appliqua à rassurer à ce sujet le gouvernement belge. Il estimait que la déclaration de la Diète devait être considérée par la Belgique comme nulle et non avenue, ainsi qu'elle l'était par la France et la Grande-Bretagne. ; et qu’il fallait bien se garder de soulever cette question. Si, contre toute attente, la Confédération la faisait revivre, la Grande-Bretagne s'empresserait de déclarer qu'elle ne saurait admettre semblable (page 331) prétention parce qu'elle imposerait à la Belgique, en dehors du traité arrêté par la Conférence, une condition nouvelle et exorbitante. « Le cabinet de Bruxelles, disait le ministre britannique, ne devait donc concevoir aucune inquiétude. Il pouvait, pour le présent comme pour l'avenir, s'en référer strictement au traité soumis aux deux parties et contenant les seules conditions dont l'acceptation se trouvait exigée par la Conférence » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 mars 1839).
Mais, bien que la résolution de la Diète fût res inter alias acta, qu'elle n'eût été communiquée ni à la Belgique, ni à la Conférence, et que, par conséquent, on ne pût l'opposer ni aux cinq Puissances, ni au gouvernement du roi Léopold, lord Palmerston fut cependant convaincu qu'il était utile et même nécessaire de prendre des précautions efficaces contre les velléités de l'Allemagne de lier la Belgique dans son système de fortifications. D'accord avec le général Sebastiani qui estimait que le traité ne devait recevoir d'exécution qu'après avoir été ratifié purement et simplement non seulement par la Hollande et les cinq Puissances, mais aussi par la Diète, considérée, en quelque sorte, comme partie intervenante au traité puisqu'elle avait muni M.M. de Senfft et de Bülow de pleins pouvoirs (Idem, 26 mars 1839), d'accord aussi avec M. van de Weyer, il chercha le moyen d'amener la Confédération germanique à donner une adhésion immédiate aux arrangements en préparation dès qu'ils seraient devenus définitifs par la signature de la Belgique, de la Hollande et des Puissances garantes. Le ministre belge lui rappela que les actes du Congrès du Vienne avaient été envoyés à tous les États européens et soumis à leur adhésion. Le traité qui sanctionnerait la division du royaume uni des Pays-Bas et modifierait, sur un de leurs points les plus importants, les conventions de 1815, aurait pu, paraissait-il, de la même manière, et en vertu des principes qui avaient inspiré la notification de Vienne, être soumis par la Conférence aux gouvernements non appelés à participer aux délibérations de Londres (Idem, 21 mars 1839). Cette suggestion rencontra d'abord l'adhésion de lord Palmerston. Cependant, après réflexion, le système de M. van de Weyer lui parut présenter des inconvénients, Il aurait pu exposer la Belgique à des incertitudes dans lesquelles il lui importait de ne pas demeurer. D'ailleurs, le nouveau traité, revêtu de la sanction des cinq Puissances, n'avait pas, prétendait le noble lord, besoin d'une seconde confirmation, d'une accession postérieure des autres Puissantes, pour être admis, nemine contradicente, dans le droit public européen. Le ministre britannique songea à un autre moyen (page 332) qui devait lier la Diète immédiatement, et qui ne lui permît pas d'invoquer plus tard contre la Belgique des actes antérieurs à la négociation de 1839, dont le traité à intervenir devait être le fruit. Il fallait que la Confédération germanique fût considérée comme partie non à l'ensemble du traité, mais à ses stipulations territoriales. Les pleins pouvoirs qui lui avaient été demandés en 1831 et dont elle avait muni les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse ne portaient que sur ce point. Le traité ayant été définitivement arrêté et rien n'empêchant plus la Diète d'y donner son consentement, il fallait que celui-ci prît envers les Puissances, la Belgique et les Pays-Bas, un caractère officiel et fût constaté en même temps qu'auraient lieu la signature et les ratifications du traité par les autres Puissances intervenantes. MM. de Senfft et de Bülow n'hésitèrent pas à accueillir ces considérations lorsqu'elles leur furent exposées. Ils s'empressèrent même de préparer un projet de protocole destiné à donner satisfaction aux desiderata de lord Palmerston et qui serait demeuré annexé au traité. Mais ce projet ne contenta pas le ministre anglais parce qu'il ne contenait pas un engagement assez formel. Il en prépara un autre qui satisfît à la fois les plénipotentiaires prussien, autrichien, néerlandais et belge (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 2 avril 1839).
Les défiances montrées à l'égard de la manière dont la Diète interpréterait les termes de son protocole du 15 juin 1838 étaient justifiées.
La Confédération germanique n'avait nullement abdiqué ses prétentions d'empêcher la Belgique de fortifier, non seulement le Luxembourg wallon, mais toute autre partie du pays à l'encontre des convenances militaires allemandes. Les théories défendues par la Prusse à propos de l'affaire de Diest n'étaient pas oubliées. Peu de jours avant la signature du traité de 1839, M. de Theux recevait communication d'un document particulièrement explicite à cet égard. Ce document n'était autre qu'un extrait du protocole de 1a séance de la Diète du 2 août 1838 et concernait l'accession de la Confedération germanique aux X articles de l'acte dé séparation du 15 octobre (1831) relatifs au Grand-Duché de Luxembourg.
« Conformément à la résolution fédérale du 15 juin 1838, y était-il dit, les cours de Vienne et de Berlin ont chargé leurs plénipotentiaires à la Conférence de Londres, également honorés de la confiance de la Confédération, d'adhérer aux articles de l'acte de séparation du 15 octobre 1831, qui concernent le Grand-Duché de Luxembourg, elles les ont aussi autorisés à signer les XXIV Articles, en leur qualité de fondés de pouvoirs de la Confédération germanique, vu que la dite résolution du 15 juin 1838, prise avec l'agrément du roi des Pays-Bas, grand-duc de (page 333) Luxembourg et à l'unanimité par la Confédération, a rendu sans objet les réserves ajoutées par les deux cours aux ratifications du traité du 15 novembre 1831. Quant à ce qui concerne l'obligation à imposer au gouvernement belge de n'élever aucune fortification dans la partie cédée du Grand-Duché de Luxembourg, nommément à Arlon (obligation mentionnée dans la résolution du 18 août r836, à laquelle celle du 15 juin dernier se réfère), les envoyés d'Autriche et de Prusse à Londres sont prévenus de ne pas perdre de vue au sein de la Conférence cette condition mise par la Confédération à la cession d'une partie du Grand-Duché du Luxembourg. Toutefois, en leur donnant cette instruction, on doit appeler leur attention sur ce que, d'après l'article VII du traité du 15 novembre 1831, la Belgique forme un État neutre à perpétuité et qu'elle doit être tenue d'observer cette neutralité vis-à-vis de tous les autres Etats ; que fortifier les frontières ce serait se mettre en contradiction avec cette neutralité stipulée par le traité et que déjà, en certaines circonstances, l'Autriche et la Prusse ont été dans le cas d 'insister à Bruxelles sur le maintien strict de ce principe général. Mais si les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse, en touchant cette question à Londres, acquéraient la conviction qu'en insistant pour que la Belgique prît l'engagement spécial de ne point fortifier la partie cédée du Luxembourg, on compromettrait essentiellement le principe fondamental, soutenu constamment à Bruxelles par l'Autriche et par la Prusse, qu'aucune fortification ne peut être établie sur le territoire belge, les plénipotentiaires sont d'autant plus autorisés d'éviter de faire expressément mention de ce sujet dans les délibérations de Londres, que plus le principe de l'incompatibilité de la neutralité belge avec l'établissement de fortifications frontières sera fortement maintenu, plus l'exécution de la condition spéciale insérée dans la résolution du 18 août 1836 sera assurée à la Confédération germanique. La Diète arrête qu'elle a pris connaissance de la déclaration actuelle faite par suite de la résolution diétale du 15 juin 1838. »
D'après le baron O'Sullivan de Grass, qui transmit cette pièce au chevalier de Theux, la déclaration faite à la Diète par la Prusse et l'Autriche n'aurait constitué qu'une retraite savante.
« La Diète, écrivait-il, pour expliquer sa pensée (Lettre du 15 avril 1839), avait décidé, dans son protocole du 18 août 1836, qu'aucun point du Luxembourg wallon, et nommément Arlon, ne pourrait être fortifié. Dans sa résolution du 15 janvier 1838, la Diète se référa à cette décision et munit de ses pleins pouvoirs les envoyés d'Autriche et de Prusse à Londres. Ces deux Puissances voulant la conclusion de l'affaire générale et comprenant que cette prétention la retarderait et même l'empêcherait, et d'un autre côté, voulant ménager à la fois un principe et l'amour-propre de la Diète dont la décision était connue, ont imaginé l'expédient de déclarer à Francfort qu'elles avaient autorisé leurs plénipotentiaires à la Conférence de signer au nom de la Diète les XXIV Articles sans articuler même la prétention mise en avant le 18 août 1836, et cela, sous le prétexte que ce silence (page 334) sauvera un prétendu principe général tiré de notre neutralité, et dont on s'est déjà départi pour Diest. En un mot, on a pris le parti de ne rien demander pour tout obtenir. Je puis me tromper, mais cela me fait l'effet d'une retraite savante. »
Il est certain que le traité ne contenant aucune réserve sur les droits de la Belgique à fortifier son territoire, nous ne pouvions, en aucune manière, être liés, ni par les réserves secrètes de la Diète, ni par l'interprétation que la Prusse et l'Autriche donneraient au silence qu'elles observaient à cet égard à Londres.
(Note de bas de page) « Comme les plénipotentiaires, écrivait, le 15 avril 1839, le baron O'Sullivan au chevalier de Theux, ont signé, au nom de la Confédération, les XXIV articles sans articuler de réserves, elle ne pourra pas en exprimer avant de nous reconnaître, et peu nous importe qu'elle explique la neutralité à sa manière et conserve une prétention théorique in petto. Plus cette prétention est étendue, moins il est à craindre qu’on l’articule. » (Fin de la note.
Mais si, pour obtenir la signature du traité, la Prusse et l'Autriche opéraient à ce moment le recul en question, il est douteux que cette retraite fût définitive, du moins de la part de la Prusse.
Il n'était pas contraire à la neutralité que la Belgique fortifiât ses frontières. Ce qui le prouve, c'est que la Prusse, l'Autriche, la Russie et la Grande Bretagne avaient exigé le maintien aux limites sud de notre pays de forteresses élevées contre la France. L'Angleterre, d'ailleurs, n'admettait nullement, comme nous l'avons vu, la théorie prussienne. Mais, à Berlin, on était toujours obsédé de l'idée d'une guerre contre la France. La Gazette d'Augsbourg, journal officieux allemand, indiquait nettement, dans son supplément du 13 janvier 1839, les réelles visées de la politique conçue sur les bords de la Sprée. « Son propre intérêt bien entendu (celui de la Belgique), disait-elle, doit la faire se retourner vers l'Allemagne, mais jusqu'à ce que ce sentiment ait pu se faire jour en Belgique et qu'il s'impose en quelque sorte au gouvernement de ce pays, l'Allemagne doit garantir son droit et ses moyens de sûreté parce que, comme Menzel fait très bien observer, il est de la plus haute importance stratégique pour la Confédération allemande d'avoir la facilité d'occuper la Belgique aussitôt qu'une guerre avec la France pourrait nous menacer. »
Voilà comment on concevait en Allemagne la neutralité belge. La défense de fortifier ses frontières qu'on voulait intimer à la jeune monarchie n'avait qu'un but, celui de permettre à la Confédération de violer cette neutralité lorsqu'elle le jugerait utile à ses intérêts et sans attendre même que nous fussions menacés d'un autre côté. La Belgique devait demeurer pour ses voisins de l'Est une voie d'accès les conduisant rapidement vers Paris.
Les décisions de la Diète, la déclaration de la Prusse et de (page 335) l'Autriche, quand bien même celle-ci aurait impliqué une retraite savante, mais momentanée, étaient donc en réalité dirigées contre la France. C'était le caractère que le comte M. Molé lui-même attribuait au protocole du 2 août (Lettre du baron O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 15 avril 1839).
Il avait d'ailleurs déjà, au mois de juillet 1838, donné au comte Sebastiani l'ordre de repousser péremptoirement la prétention de l'Allemagne de s'opposer à des fortifications éventuelles à Arlon, prétention jugée par lui en même temps que malveillante pour la monarchie de Louis-Philippe, injurieuse pour la Belgique.
Le duc de Montebello, lorsqu'il remplaça le comte Molé aux Affaires étrangères, ne suspectait pas moins les intentions germaniques. Le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur de France à Vienne, reçut de son gouvernement, le 18 avril 1839, une dépêche l'autorisant à déclarer que si la Confédération germanique avait la prétention, ainsi qu'on l'assurait, de ne reconnaître la Belgique que moyennant un engagement de ce royaume de ne pas fortifier la partie du Luxembourg qui devait lui rester, notamment Arlon, la France soutiendrait le roi Léopold dans son refus de souscrire à une prétention aussi exorbitante, et que si l'on ne recevait pas à Londres d'apaisement à cet égard, l'Autriche pourrait être assurée qu'à Paris on considérerait l'affaire hollando-belge comme suspendue. « En pareil cas, disait la dépêche, il n'y a rien de fait. »
Le comte de Saint-Aulaire communiqua ses instructions, le 20 avril, au prince de Metternich. Il ne lui parla que du Luxembourg et d'Arlon sans faire allusion à la prétention allemande tirée de la condition de neutralité. Le chancelier impérial prit d'abord l'attitude de paraître ne rien savoir de relatif à la question des fortifications luxembourgeoises. Il s'étendit longuement sur le peu d'utilité des places fortes dans le système de la guerre d'alors ; puis, ramené à la question par l'ambassadeur, il ne lui répondit rien de très catégorique. Il fit observer, toutefois, que cette affaire intéressait plutôt la Prusse que l'Autriche et que, pour son compte, il était disposé à ne rien faire qui pût permettre de croire qu'il attachât quelque importance à des murailles devant lesquelles on ne s'arrêtait plus ; qu'au reste, ce n'était pas à Vienne, mais à Londres que l'opinion du gouvernement autrichien pourrait se formuler sur cette question.
De ses conversations avec le chancelier ainsi qu'avec le prince Esterhazy, qu'il entretint également, le comte de Saint-Aulaire retira l'impression que l'Autriche ne s'exposerait pas à laisser toute l'affaire belge en suspens pour soutenir la prétention de la Diète 2. (Idem, 22 avril 1839).
(page 336) Depuis qu'il lui paraissait impossible de conserver au roi Léopold la totalité du Limbourg et du Luxembourg, le chevalier de Theux s'était occupé de préserver les habitants de ces territoires de l'oppression religieuse éprouvée par les Belges sous le sceptre du roi Guillaume. Il écrivit à ce sujet, le 16 mars, à M. van de Weyer. Celui-ci s'empressa d'entretenir de la question lord Palmerston et le général Sebastiani. Les deux plénipotentiaires désiraient, autant que le gouvernement belge, le maintien, dans les deux provinces cédées, de toutes les libertés civiles et religieuses dont elles avaient joui pendant leur union avec la Belgique, mais ils se trouvaient aussi d'accord sur l'impossibilité de faire de cette question l'objet d'une stipulation spéciale. Ils basaient leur opinion sur ce que c'était le roi des Pays-Bas qui consentait à la cession d'une partie du Luxembourg à la Belgique ; l'autre partie restait naturellement soumise aux lois qui la régissaient depuis qu'avait été érigé le Grand-Duché. Quant au Limbourg, il était stipulé que la partie perdue par la Belgique serait possédée par le roi Guillaume soit en sa qualité de grand-duc de Luxembourg, soit pour être réunie à la Hollande. S'il y avait réunion, les habitants du Limbourg devaient naturellement rentrer sous le régime de la loi fondamentale ; sinon être soumis au même régime que le Grand-Duché. Dans aucun cas, ni la Belgique, ni la Conférence ne pouvaient exiger pour eux des garanties spéciales. C'eût été s'immiscer directement dans les affaires intérieures des Pays-Bas et du Grand-Duché (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 mars 1839).
Cette réponse, quelque fondée qu'elle parût en droit, n'était pas cependant de nature à faire reculer immédiatement M. de Theux. S'il admettait, dans une certaine mesure, pour le Luxembourg, la théorie développée par lord Palmerston et le général Sebastiani,il ne l'acceptait aucunement pour le Limbourg, La cession, en ce qui concernait cette dernière province, était, à son avis, le fait de la Belgique. Dès lors, il semblait au ministre des Affaires étrangères qu'il était bien permis à celle-ci de demander des garanties pour les habitants. « Au reste, ajoutait-il, en exposant sa théorie à M. van de Weyer dans une lettre du 5 avril, là ne s'arrête pas notre droit ; comme le fait de la substitution a établi une connexion évidente entre les deux situations, il est naturel, il est logique qu'on ne les sépare point dans les dispositions à prendre. »
M. de Theux croyait aussi devoir s'attaquer à la thèse qui voyait dans la demande de garanties faite par la Belgique, une immixtion dans les affaires intérieures de la Hollande.
« La Conférence de Londres, disait-il, représente les Puissances qui ont pris part aux grandes transactions de 1814 et de 1815. Elle s'est toujours (page 337) considérée comme en possession du même rôle que le Congrès de Vienne, comme chargée, en vertu de pouvoirs analogues, de réviser une partie de son ouvrage. Si l'une a pu arrêter les huit articles qui ont servi de base à la réunion de la Belgique et de la Hollande (articles où des garanties sont si formellement exprimées) pourquoi l'autre, qui a tranché tant de questions bien autrement délicates, n'userait-elle point de la même faculté ? Pourquoi ne pourrait-on prendre aujourd'hui des précautions pour une réunion partielle, comme on en a pris autrefois pour une réunion intégrale ?
D'ailleurs ce n'est pas seulement ce précédent du Congrès de Vienne que nous pouvons invoquer. Il s'en faut de beaucoup que les dispositions du genre de celles que nous sollicitons, soient inusitées, comme on paraît le supposer. Un très grand nombre de traités en renferment de semblables » (Lettre à M. van de Weyer du 5 avril 1839)
(Note de bas de page A l'appui de sa dernière affirmation, le chevalier de Theux citait l'article 9 du traité de Nimègue de 1678, l'article 4 du traité de Ryswick de 1697, la ratification du traité d'Utrecht de 1713, l'article 6 du traité de Francfort de 1744, l'article 21 du traité de Fontainebleau de 1895, l'article 5 du traité de Kiel entre la Suède et le Danemark de 1811, la déclaration des Puissances sur les affaires de la Confédération helvétique du 20 mars 1825,1'article 16 du traité entre la Prusse et la Saxe du 18 mai 1815, les articles l et 88 de l'acte du Congrès de Vienne du 9 juin 1815. (Fin de la note).
M. de Theux ne se dissimulait pas les obstacles qu'il y aurait à vaincre pour obtenir satisfaction. Mais il considérait comme un devoir de ne rien négliger pour les surmonter. Aussi prescrivait-il à M. van de Weyer d'user dans cette négociation d'une vive insistance. Si, comme il le craignait, la demande du gouvernement belge devait être écartée, du moins eût-il voulu que la Conférence opposât aux démarches du représentant du roi Léopold un refus motivé renfermant des assurances et des apaisements de nature à tranquilliser les populations intéressées. Le ministre fit faire également une démarche à Vienne par la légation de Belgique accréditée en celte ville. D'après ses instructions, le baron O'Sullivan de Grass appela l'attention du prince de Metternich sur la question et lui demanda de s'intéresser à ce que la liberté religieuse fût respectée par le gouvernement néerlandais dans les provinces détachées de la Belgique. Le chancelier autorisa son interlocuteur à écrire au chevalier de Theux que ses désirs étaient, sur ce point, tout à fait d' accord avec ceux du gouvernement belge ; qu'il ne s'engageait pas sur la forme de ses démarches, mais qu'il garantissait qu'il agirait vis-à-vis de la Hollande dans le but indiqué, que du reste une dure expérience avait dû éclairer le roi Guillaume.
La conversation terminée, le baron 0' Sullivan alla en entretenir le nonce apostolique à Vienne. Ce diplomate promit de rappeler sa promesse au prince de Metternich et de veiller à son exécution (Lettre du baron O'Sullivan de Grass au chevalier de Theux, 15 avril 1839).
(page 338) Comme nous le verrons plus loin, les efforts du chevalier de Theux en faveur des populations limbourgeoises et luxembourgeoises ne devaient pas rester totalement sans résultats.
Tout en conduisant ces négociations, le chevalier de Theux ne perdait pas de vue les autres améliorations qu'il aurait voulu voir apporter au traité. L'article 9 notamment était toujours l'objet de ses préoccupations. Il avait, à différentes reprises, fait faire par M. van de Weyer de nouvelles démarches à ce sujet près de lord Palmerston. Les réponses du président de la Conférence demeuraient invariablement négatives. Cependant, comme nous l'avons vu, il ne méconnaissait pas la justesse de certaines des réclamations présentées par le gouvernement belge. Aussi s'entendit-il avec M. de Senfft pour les faire admettre par la Hollande, non sous forme d'articles additionnels, le traité devant être considéré comme complet et non susceptible de modifications, mais sous forme d'interprétation. D'accord sur ce point avec le plénipotentiaire autrichien, il chargea le ministre d'Angleterre à La Haye d'amener le gouvernement néerlandais à donner son assentiment aux explications qui seraient jugées nécessaires pour la navigation des bateaux à vapeur, des bateaux remorqueurs, pour le jaugeage des navires, etc. Mais il se refusa à sonder le cabinet de La Haye sur la faculté du rachat du péage, sur la question du garde de santé, ainsi que sur d'autres objections du gouvernement belge dont l'admission ne lui paraissait avoir aucune chance de succès.
En mettant M. van de Weyer au courant de cette démarche, lord Palmerston insista pour que l'adhésion de la Belgique au traité fût pure et simple, dégagée de toute réserve pouvant être considérée comme un moyen dilatoire. « Faites bien remarquer à M. de Theux, dit-il, renouvelant ainsi une déclaration faite antérieurement, que la Belgique n'est pas seule intéressée à ce que la navigation de l'Escaut soit, autant que possible, dégagée des entraves qui arrêteraient le commerce, et que toutes les Puissances maritimes veilleront à ce que l'exécution du traité ne donne lieu à aucune vexation, à aucun abus. Il importe que le gouvernement belge, donnant les réclamations qui portent sur des points de peu d'importance, ne s'attache qu'aux choses essentielles » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 22 mars 1839)
Poussé sans doute par le roi Léopold qui n'admettait pas Belgique cédât trop facilement aux volontés des plénipotentiaires et qui jugeait devoir profiter de leur désir de terminer définitivement (page 339) l'affaire hollando-belge pour obtenir des concessions, le chevalier de Theux persista dans sa demande d'articles additionnels.
Encore une fois, la réponse de lord Palmerston fut catégoriquement négative.
Informé par sir G. H. Seymour que dans les instructions que l'on préparait à Bruxelles pour M. van de Weyer, le gouvernement belge se proposait de n'adhérer au traité que sous certaines réserves, qu'il avait l'intention de persister dans sa demande du rachat du péage, lord Palmerston avertit une fois de plus le ministre de Belgique à Londres que la conférence n'entendait pas rouvrir la négociation, que le traité accepté par la Hollande était un fait accompli, qu'aucune modification ne pourrait y être apportée et que tous les plénipotentiaires devaient être autorisés à y apposer leur signature purement et simplement. « Que si, ajouta le chef du Foreign Office, vous recevez l'ordre de nous adresser une note sur les différents points dont parle sir G. H. Seymour, la Conférence y répondra dans les vingt-quatre heures ; et nous comptons bien que vous ne serez pas obligé d'envoyer cette réponse à Bruxelles, d'en référer à votre cour et que vous serez autorisé à procéder, sans instructions ultérieures, à la signature du traité. Tout nouveau délai ne ferait qu'indisposer la Conférence contre vous, sans autre résultat utile. Ce que nous considérons comme essentiel sera, je l'espère, réglé d'une manière satisfaisante : en ce qui concerne l'Escaut, par une explication sur les bateaux à vapeur et remorqueurs ; en ce qui concerne la Diète germanique, par un acte formel d'accession. Les deux autres points, à savoir les domaines particuliers du roi Guillaume et les relations diplomatiques, ont déjà fait l'objet d'explications qui seront sans doute considérées comme satisfaisantes par le roi Léopold. Dites donc bien à M. de Theux que nous n'admettrons aucun des articles additionnels qu'il proposera ; que la négociation est close et que, moyennant les précautions ci-dessus énumérées, nous considérons le traité comme complet, comme final, comme irrévocable » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux. 2 avril 1839).
L'impatience des plénipotentiaires de signer le traité se faisait plus vive de jour en jour. « L'autorisation pour signer, où est-elle donc, écrivait lord Palmerston à M. van de Weyer ? Le paquebot a-t-il fait naufrage ? Ou bien est-ce que votre gouvernement attend encore les chances des arrangements ministériels à Paris ? Si cela est, il n'y a rien à gagner par ce délai ; qu'on ne se fasse pas illusion à cet égard, tandis que ces manœuvres épuisent la patience de tout le monde. Quand on a pris une résolution on doit l'exécuter de bonne grâce. »
(page 340) M. van de Weyer attirait l'attention du gouvernement belge sur la mauvaise humeur de la Conférence. « Plus, écrivait-il à M. de Theux le 5 avril, nous tarderons à nous expliquer, moins nos demandes d'explication ou d'interprétation du traité ont des chances de succès. Le parti de ne point admettre de modifications ni d'articles additionnels est si irrévocablement pris, que toutes les chancelleries ont déjà préparé les pièces au bas desquelles les signatures doivent être apposées. Il importe que vous ayez connaissance de ce fait, et je vous en informe aujourd'hui officiellement. Ne tardez point, je vous prie, dans nos intérêts, à m'envoyer vos instructions définitives. »
Au moment où M. van de Weyer écrivait cette lettre, le chevalier de Theux, de son côté, répondant aux missives parties de Londres le 2 avril, affirmait le désir du gouvernement belge d'arriver sans retard à la solution ultime, mais en ajoutant qu'il lui était impossible d'abandonner certaines réclamations sans méconnaître ses devoirs envers le pays (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 5 avril 1839). Ainsi manifestait-il l'intention du cabinet de Bruxelles de ne pas encore s'incliner devant les refus pourtant si formels et si répétés de lord Palmerston. Le gouvernement du roi Léopold avait, au contraire, pris la résolution d'insister sur toutes ses demandes relatives à l'article 9 (Idem., 6 avril 1839). En outre, M. de Theux, voulait encore une fois revenir sur la question de la dette. Il avait été établi que la réduction par laquelle les plénipotentiaires nous avaient chargés d'une rente de 5,000,000 de florins au lieu de celle de 8,500.000 fixée en 1831 par les XXIV articles, provenait de ce que la Conférence, sagement inspirée cette fois, avait enlevé au passif de l'Etat les deux emprunts de 110 et de 30 millions pour les porter au passif du syndicat. Elle avait ainsi redressé des erreurs graves provenant des tableaux fournis par les plénipotentiaires néerlandais en 1831 et était en même temps restée dans les termes du protocole n°48. Mais elle n'avait eu aucun égard aux réclamations formulées par la Belgique au sujet des dettes franco-belge et austro-belge. Or, nous imposer la dette franco-belge, éteinte depuis longtemps, en la portant à un chiffre qu'elle n'avait jamais atteint effectivement, constituait une injustice criante que la Conférence n'osa pas chercher à justifier autrement qu'en opposant au plénipotentiaire belge l'argument de la chose jugée.
Le chevalier de Theux tenta de se servir du déni de justice qu'on infligeait ainsi à son pays pour obtenir sur le chiffre de la dette la réduction supplémentaire de 400,000 florins que, plusieurs fois à Paris et à Londres, à Paris surtout, on lui avait laissé espérer.
Le 6 avril, il envoya à M. van de Weyer une note par laquelle (page 341) il exposait une dernière fois à la Conférence les desiderata à ce sujet du gouvernement belge. En réalité, il ne se flattait pas d'obtenir la diminution demandée, mais il espérait que la Conférence, forcée de refuser à la Belgique cette satisfaction, se prêterait, par compensation, à lui faciliter le rachat du péage de l'Escaut.
Le cabinet de Bruxelles ne laissait pas à M. van de Weyer seul le soin de faire les démarches qu'il lui prescrivait par les lettres du 6 avril. Ces démarches étaient sans doute les dernières qu'il songeât à entreprendre avant d'apposer sa signature au traité. Pour hâter la solution, éviter les hésitations au plénipotentiaire belge, supprimer la correspondance avec Bruxelles, qui, encore lente à cette époque, entraînait nécessairement des retards, il envoya à Londres un de ses membres les plus éminents, M. Nothomb, ministre des travaux publics, qui possédait pleinement la pensée du gouvernement et qui se trouvait ainsi en mesure de donner aux négociations la marche et l'issue promptes qu'on leur souhaitait de presque partout
Dès son arrivée en Angleterre, M. Nothomb s'occupa de rédiger avec M. van de Weyer une note destinée à la Conférence et qui renfermait les ultimes desiderata du gouvernement belge. Ils portaient sur les garanties à donner aux habitants du Limbourg et du Luxembourg, sur l'acquittement du péage de l'Escaut au moyen d'une rente, sur la réduction de la quote-part de la Belgique dans la dette ; ils demandaient en outre des précisions sur les points suivants : la frontière belgo-luxembourgeoise du côté de Martelange, les garanties à donner par la Hollande pour la libre navigation sur l'Escaut, la fixation du droit de péage prévu pour le canal de Terneuzen, le jaugeage des bateaux à vapeur, l'exemption de tout droit de péage pour les remorqueurs, le droit pour les navires belges de naviguer sur les eaux intérieures des Pays-Bas aux mêmes conditions que les bâtiments néerlandais, l'embarquement à bord des navires entrant dans l'Escaut d'un garde de santé, la fixation d'un délai dans lequel devait être arrêté un règlement général au sujet de ce fleuve, le droit de stationnement en cas de mauvais temps, le droit pour la Belgique dé construire une route allant de la frontière belgo-limbourgeoise à Sittard.
MM. Nothomb et van de Weyer s'abstinrent de demander dans cette note, comme l'aurait désiré le chevalier de Theux, un article additionnel ou une déclaration sur la banque et les domaines (Lettre du chevalier de Theux à M. van de Weyer, 6 avril 1839), convaincus que l'on rejetterait l'un et que l'on n'accorderait point l'autre. Ils n'y insérèrent pas non plus d'allusion aux propriétés (page 342) particulières du roi Guillaume à Laeken. M. Dedel avait fait à ce sujet une déclaration que lord Palmerston considérait comme satisfaisante et que le plénipotentiaire néerlandais devait répéter à M. van de Weyer devant tous les membres de la Conférence. Mais, verbalement, ils notifièrent à lord Palmerston qu'ils ne signeraient pas le traité si l'affaire Skrynecki ne recevait une solution satisfaisante pour le gouvernement belge (Lettres de MM. van de Weyer et Nothomb à M. de Theux, 12 avril 1839).
Malgré sa résolution de n'apporter aucun changement au traité accepté par le roi de Hollande, les instances du gouvernement belge et les retards que, après le vote des Chambres législatives, il apportait à donner son adhésion à ce traité, peut-être aussi les efforts de Sebastiani qui avait reçu du maréchal Soult l'ordre de ne rien négliger de ce qui était en son pouvoir pour procurer le succès, au moins partiel, des demandes belges et de ne s'arrêter que devant une impossibilité absolue ou devant la crainte de compromettre les plus graves intérêts (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre 652, folio 92), convainquirent la Conférence que, pour obtenir la signature de M. van de Weyer, il fallait qu'elle se prêtât à des concessions. Ces dispositions ne tardèrent pas à se manifester dans les entretiens de lord Palmerston avec le représentant du roi Léopold et M. Nothomb.
Dès le 13 avril, ce dernier mandait au chevalier de Theux que les demandes belges seraient sans succès pour ce qui concernait une réduction de la dette, - cette réduction serait rejetée purement et simplement et sans espoir de retour - et pour ce qui visait l'arrentement du péage de l'Escaut, proposition destinée elle aussi à être rejetée, mais « avec des motifs particuliers ». Par contre, la Belgique, à condition de signer le traité, pouvait espérer obtenir déclaration favorable quant à la frontière à Martelange, quant aux divers points relatifs à l'Escaut, quant au sens du mot « toute » de l'article 18. Elle pouvait espérer, en outre, l'arrangement de l'affaire Skrynecki, une explication bienveillante au sujet des populations cédées et l'expression d'un vœu qu'une négociation fût ouverte entre les gouvernements belge et néerlandais pour l'introduction d'un mode spécial de payement des droits sur l'Escaut au moyen d'une rente, la Conférence étant incompétente pour formuler à cet égard plus qu'un désir. La déclaration de la Conférence serait préalable à la signature du traité.
En transmettant ces renseignements à M. de Theux, M. Nothomb lui demandait d'expédier sans retard à Londres des pleins pouvoirs autorisant M. van de Weyer à signer. Après lecture de la note du 14, lord Palmerston et le général Sebastiani avaient (page 343) demandé : « Si hors le rachat de l'Escaut et la réduction de la dette, la Conférence vous accorde le reste, signerez-vous ? Il faut vous déclarer à cet égard. Avez-vous des pleins pouvoirs ? » MM. van de Weyer et Nothomb répondirent tant bien que mal. Mais ils s'attendaient à être pressés plus vivement lorsque la Conférence aurait discuté sa réponse à la note belge et lorsque lord Palmerston aurait, de la part de la Belgique, demandé au comte Senfft et au baron de Bülow une déclaration relative à la reprise des rapports diplomatiques avec la Prusse et l'Autriche. Il fallait que les deux délégués belges fussent mis en mesure de répondre à la question du général Sebastiani et de lord Palmerston si elle leur était soumise à nouveau.
« Vous savez que, selon moi, écrivait, le 13 avril, M. Nothomb au chevalier de Theux, il faut, dans toute négociation, se rendre compte du possible et agir en conséquence, à moins que l'on n'ait des arrière-pensées.
« J'ose dire que le cercle du possible nous est maintenant connu.
« L'adoption d'une proposition du rachat de l'Escaut par la Conférence est l'impossible :
« Une réduction de la dette, et une autre époque de premier payement, est encore l'impossible.
« Tout ce qui est possible est une déclaration interprétative et tant soit peu extensive sur la position signalée ci-dessus.
« Accompagnée de l'arrangement de l'affaire Skrynecki, qui est pour nous une condition sine qua non.
« A part les deux objets que je vous indique comme l'impossible, je crois pouvoir vous assurer que nous obtiendrons le reste, mais sous forme d'une déclaration interprétative ; et pourvu que nous puissions dire : si vous nous accordez cela nous ferons immédiatement usage des pleins pouvoirs que nous avons ; sinon non.
« Il reste d'ailleurs entendu que M. Dedel réitérera en présence de tous les membres de la Conférence à M. van de Weyer directement la déclaration concernant les accessoires de Laeken.
« Telle étant la situation, je crois pouvoir vous écrire que j'attends, pour jeudi ou vendredi, soit les pleins pouvoirs de M. van de Weyer ; soit une autorisation de quitter Londres ; dans ce dernier cas, j'annoncerais que des explications verbales vous sont nécessaires.
« Il est bien entendu que l'envoi des pleins pouvoirs n'emporte pas le droit de s'en servir à tout événement ; l'usage en est subordonné :
« à l'obtention d'une déclaration interprétative dans le cercle indiqué ci-dessus ;
« et à l' arrangement de l'affaire Skrynecki.
« A cet égard, M. van de Weyer, et moi encore plus particulièrement que M. van de Weyer, nous engageons notre responsabilité.
« C'est-à-dire, en d'autres termes, que les pleins pouvoirs ne sortiront pas de mes mains si je ne puis les remplacer par une déclaration interprétative (page 344) de la Conférence et la déclaration des plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse relativement à l'affaire Skrynecki.
« En un mot, vous me reverrez, soit avec ces pièces, soit avec mes pleins pouvoirs intacts » (Lettre de M. Nothomb au chevalier de Theux, 13 avril 1839).
Dès que le chevalier de Theux eût lu les lettres de M. Nothomb et van de Weyer du 12 et du 13 avril, d'accord avec ses collègues du ministère, complété par l'adjonction de nouveaux membres dès après le vote des deux Chambres sur le traité, il proposa au roi d'envoyer immédiatement à M. van de Weyer les pleins pouvoirs demandés (Lettre du chevalier de Theux au roi, 15 avril 1839).
Les résultats obtenus lui paraissaient suffisants pour ne plus prolonger la discussion sans espoir d'en conquérir de meilleurs.
Mais le roi Léopold ne montrait pas le même désir d'en finir. Le résultat final des négociations de Londres ne lui donnait pas satisfaction. « Je ne vois nulle raison, écrivit-il le 16 avril au chevalier de Theux, pour la presse extrême avec les misérables modifications qu'on nous propose ». Il craignait aussi un piège dans l'arrangement proposé pour l'affaire Skrynecki. « Une déclaration de la part de MM. de Senfft et de Bülow, sans autorisation de leurs cours, disait-il à ce sujet à son ministre des affaires étrangères, n'a aucune valeur, et j'ai vu dans une lettre de Berlin qu'on s'attend encore a nous imposer quelque avanie. Ayant signé, on est lié à leur merci. Votre expérience peut vous dire si cela promet. » Le roi aurait même voulu que M. Nothomb revînt de Londres pour rendre compte de sa mission avant que les pleins pouvoirs ne fussent expédiés à M. van de Weyer. »
(Note de bas de page) Le mécontentement que causait au roi Léopold le résultat des délibérations de Londres est exprimé dans sa correspondance avec la reine Victoria. Le 5 avri1 il écrivait à la souveraine :
« Le sentiment le plus fort est contre l'Angleterre ; la nation s'attendait à y voir un appui et elle n'a trouvé chez elle qu'une forte détermination à décider tout contre elle et à ses dépens. S'il y avait un grand mouvement en France, il ne serait pas étonnant de voir le peuple s'y joindre ; bien au contraire ; il serait surprenant qu'il en fût autrement, après la façon bienveillante dont nous avons été traités par les Puissances.
A ces plaintes, la reine Victoria répondait le 9 avril :
« Je regrette d'apprendre que vous êtes toujours inquiet au sujet de vos affaires, mais j'espère que tout sera rapidement réglé. Vous me permettrez toujours, cher oncle, de vous parler franchement ; vous ne serez donc pas fâché, je l'espère, si je prends la liberté de faire quelques observations sur deux ou trois points de votre lettre.
« Vous dites que les Belges en veulent surtout à l'Angleterre. Eh bien, il faut que je vous dise que vous êtes très injuste envers nous et, (si je le pouvais) je vous en voudrais un peu, cher oncle, Nous n'avons exercé de pression sur la Belgique que dans son intérêt, et non dans le nôtre. Cela peut vous paraître dur au premier moment, mais le jour viendra où vous verrez que nous avons raison de vous pousser à ne pas ajourner plus longtemps la signature du traité.
« Je pense que vous ne verrez dans cette franche expression de mes sentiments, aucun désir de vous ennuyer, ni de vous blesser, mais seulement l'ardente préoccupation de prouver que l'Angleterre est l'amie sincère de la Belgique et que mon gouvernement est toujours disposé à faire tout ce qui est possible pour le bien-être, la sécurité, et la prospérité de votre royaume et de son souverain. » Le roi Léopold n'admettait pas cette explication et, le 19 avril, le jour même où le traité se signait à Londres, il écrivait à sa royale nièce.
« Je suis content d'avoir arraché à Votre Majesté quelques étincelles de politique, exprimées très aimablement et très gentiment. Je sais que votre petit cœur généreux n'a désiré à aucun moment que ce qui serait bon pour un pays où vous êtes très aimée. Mais le fait est que votre gouvernement a pris en main le maintien d'un état de choses, dont le temps avait rendu l'acceptation difficile. Les médecins vous diront que souvent une opération qui aurait pu être faite à un certain moment ne pourrait être reprise quelques années plus tard sans grand danger pour le malade. On ne nous a pas écoutés, et des arrangements nous sont imposés qui sont en eux-mêmes pleins de dangers, tandis qu'en consultant les intérêts réels de la Hollande et de la Belgique, on aurait pu placer les deux pays sur le pied d'une paix sincère et d'un bon voisinage. Mon pays se sent maintenant humilié ; il est désenchanté d'une soi-disant indépendance politique, telle qu'il a plu à la Conférence de la définir. Mes gens se dégoûteront d'un régime politique qui blesse leur orgueil et, en conséquence, ne désireront pas sa durée. Deux choses se produiront à la première occasion : ou ce pays-ci sera entraîné dans une guerre afin d'améliorer une situation qu'il estime par trop humiliante, ou il renoncera volontairement à une indépendance nominale, en vertu de laquelle il est enserré entre la France et la Hollande, qui commence à la mer du Nord et se termine, c'est ce qu'il y a de plus drôle au monde, à la Moselle !
« Je crois que le vieux Pirson qui disait à la Chambre que si le traité était exécuté, il était fort probable qui je serais le premier et le dernier roi du pays, n'avait pas tort. Le jour où cela arrivera, ce sera très gênant pour l'Angleterre, et elle l'aura bien mérité. Après huit ans de dur travail, voir des plantations politiques florissantes et prospères, coupées et mutilées par ceux-là mêmes qui ont un réel intérêt à les protéger, c'est vraiment très triste. Je ne dis pas tout cela avec la moindre idée d'amener aucun changement, mais seulement parce que dans la haute et lourde situation où il a plu à la Providence de vous placer, il est bon de vous dire la vérité ; vous devriez peser d'un grand poids et avoir une grande influence sur les affaires d'Europe, car l'Angleterre, puisqu'il lui est impossible de faire des acquisitions territoriales, a un intérêt réel et permanent à maintenir au point de vue politique l'équilibre en Europe.»
La jeune reine termina cette correspondance par le billet suivant, daté du 30 avril 1839 :
« J'ai à vous remercier de votre dernière lettre que j'ai reçue dimanche. Bien que vous ne sembliez pas détester mes bribes de politique, je crois que je ferai bien de ne pas augmenter ces étincelles : à la fin, elles pourraient bien devenir des flammes, puisque je vois avec regret que, sur ce point du moins, nous ne pouvons nous entendre. Je me bornerai donc à exprimer mes plus sincères vœux pour le bonheur et la prospérité de la Belgique ». BARDOUX, La Reine Victoria d'après sa correspondance inédite, Tome 1. page 222, 224 et 227. (Fin de la note)
Pour ce qui concerne l'affaire Skrynecki, le monarque parlait (page 345) sagement. Le comte Bresson avait écrit de Berlin au ministre de France à Bruxelles, M. Serurier, qu'il ne croyait pas à la reprise des relations diplomatiques de la Belgique avec la Prusse et avec l'Autriche sans le départ spontané du général (Lettres de M. de Theux au roi Léopold et à M. van de Weyer, 16 avril 1839). Aussi le chevalier de Theux recommandait-il à M. van de Weyer de veiller à ce que la déclaration sur le rétablissement de ces relations fût rédigée sans aucune condition relativement au général polonais.
(page 346) Après avoir présidé, le jeudi 18 avril, un conseil des ministres, le roi signa les pleins pouvoirs. Le chevalier de Theux en prévint immédiatement M. Nothomb, le priant lui aussi tout spécialement d'assurer l'aplanissement de l'affaire Skrynecki avant de signer le traité. Des renseignements parvenus récemment à Bruxelles avaient signalé les dispositions peu conciliantes à cet égard de la part de~ cours de Prusse et d'Autriche (Lettre du chevalier de Theux à M. Nothomb, 10 avril 1839).
Pendant que l'on délibérait à Bruxelles, les événements se précipitaient à Londres. La Conférence avait reçu la note belge du 14. Elle consacra trois séances à l'examiner ainsi qu'à préparer la réponse qu'elle devait adresser à M. van de Weyer. Avant qu'elle l'adoptât définitivement, lord Palmerston en communiqua officieusement le projet à M. Nothomb et au ministre de Belgique. Ces derniers, y trouvant plusieurs lacunes qui leur paraissaient essentielles, indiquèrent les changements que cet acte aurait à subir pour satisfaire le gouvernement du roi Léopold et dont celui-ci faisait une condition sine qua non de l'acceptation du traité. Lord Palmerston cru devoir prévenir les négociateurs belges que leurs prétentions ne seraient pas admises sans difficultés. Mais MM. van de Weyer et Nothomb, ayant reçu la lettre du chevalier de Theux qui annonçait l'envoi des pleins pouvoirs, le ministre de la reine Victoria d'insister avec force sur l'adoption des changements demandés à la réponse de la Conférence. « Si, dit-il, mes collègues sont, à cet égard, d'accord avec moi, vous aurez obtenu pleine satisfaction et le maximum de ce que vous pouviez espérer, car bien que nous ne donnions à notre réponse que la simple forme d'une déclaration, ce sont, au fond, de véritables modifications et des modifications préalables à la signature du traité, que vous aurez obtenues.
(Note de bas de page) La situation me paraissait si extrême, écrivait le 19 avril, après la signature du traité, M. Nothomb à M. de Theux, que ce résultat dépasse mon attente. Je ne sais à quelle occasion j'avais dit à lord Palmerston : « les mots sont beaucoup pour les hommes ». En nous annonçant que les dix points nous étaient accordés, il a ajouté : ce sont là des « éclaircissements », mais au fond ce sont des modifications ; les mots font tout ; mais vous devez néanmoins voir la réalité des choses »). Dieu veuille que vos pleins pouvoirs vous arrivent au jour indiqué par. M. de Theux ». Lettres de MM. van de Weyer et Nothomb au chevalier de Theux, 19 avril 1839. (Fin de la note).
Peu d'heures après cette conversation, MM. Nothomb et Weyer reçurent l'avis qu'ils obtenaient gain de cause à condition que, moyennant les explications demandées et accordées par la Conférence, le traité serait signé sans plus de retard.
Pour ce qui concernait l'affaire Skrynecki, il fut convenu que lord (page 347) Palmerston prendrait l'initiative de la reprise des négociations diplomatiques, qu'il adresserait à ce sujet une note à M. van de Weyer, ce qui fut fait. A cette note, le ministre de Belgique répondit en exprimant les regrets du gouvernement belge d'avoir, sans le vouloir, mécontenté la cour de Vienne. Lord Palmerston transmit l'expression de ces regrets aux représentants de la Prusse et de l’Autriche à Londres dans une note du 16 avril où il disait :
« Le gouvernement de sa Majesté espère sincèrement que les explications données aujourd'hui par M. van de Weyer, de la part de son gouvernement, et le complet désavœu qu'il a fait au nom de ce dernier que si ce gouvernement avait eu quelque connaissance des circonstances, quelles qu'elles fussent, dans lesquelles lé général Skrynecki avait le territoire autrichien, et l'assurance que le gouvernement belge n'a eu, à aucun moment, dans cette affaire, la moindre intention de faire quoique ce soit qui pût indiquer un manque de courtoisie et de respect pour le gouvernement autrichien, ces explications et ces assurances peuvent être acceptées par la cour de Vienne comme écartant les dernières causes de dissentiment qui subsistent encore entre cette cour et la cour de Bruxelles à la suite de l'affaire du général Skrynecki. Le soussigné n'a pas besoin de dire combien grande serait la satisfaction du gouvernement anglais, parvenait, grâce à la démarche qu'il vient de faire, à opérer la réconciliation entre le gouvernement autrichien et la Belgique. » (Lettre de MM. Nothomb et van de Weyer au chevalier de Theux, 19 avril 1839. - DE LANNOY, op. . cit.)
MM. de Senfft et de Bülow, qui n'avaient cessé de montrer des dispositions très conciliantes dans cette affaire, répondirent à lord Palmerston, tout en faisant observer qu'ils n'étaient pas munis d'instructions précises et qu'ils exprimaient seulement une opinion personnelle, « qu'ils considéraient les difficultés provenant de l'affaire Skrynecki comme aplanies. » (Lettres de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 19 et 23 avril 1839). Les diplomates autrichien et prussien n'avaient pu se tromper sur la portée que la Belgique devait attribuer à leurs déclarations. Ils savaient qu'elle demandait la reprise, sans conditions, des rapports diplomatiques. Dans les conversations qu'il eut à ce sujet avec le comte de Senfft, M. Nothomb lui dit à plusieurs reprises : « Que votre gouvernement ne se fasse pas illusion sur deux choses : nous ne pouvons pas casser le général et le renvoyer quand nous le voudrions ; nous sommes dans l'impuissance d'être faibles ; le général ne quittera pas volontairement ; il reste parce que précisément il se sent un obstacle et qu'aux yeux des siens il peut devenir le moyen d'empêcher la solution belge ; le parti polonais veut que la question reste ouverte et se félicitera de (page 348) l'incident qui se présente ; c'est agir maladroitement que d'offrir ce moyen d'action au parti polonais » (Lettre de M. Nothomb au chevalier de Theux, 18 avril 1839).
Il semble très improbable, bien qu'ils n'aient affirmé qu'une opinion personnelle, que dans leur réponse à lord Palmerston les plénipotentiaires autrichien et prussien ne se soient pas trouvés d'accord avec leurs gouvernements. Dans cette hypothèse, ce serait un véritable guet-apens que l'Autriche aurait dressé afin d'amener M. van de Weyer à signer le traité. Le baron O'Sullivan, qui avait passé quelques jours à Bruxelles, y avait été instruit du langage conciliant tenu à Londres par les diplomates autrichiens. Rentré à Vienne il entendit le prince de Metternich en tenir un tout différent. Le 7 avril, il reprocha au chancelier cette opposition. Le prince parut fort embarrassé et ne répondit que d'une manière évasive. Mais quoiqu'il eût été mis ainsi au courant des assurances données par le comte de Senfft et le chargé d'affaires d'Autriche et qu'il en eût le temps jusqu'au 19, il ne leur enjoignit pas de changer de langage, sans doute pour que rien ne vînt mettre obstacle à la signature du traité (Lettre du baron O'Sullivan au chevalier de Theux. 1er mai 1839).
Le 19 avril, MM. Nothomb et van de Weyer furent invités à se rendre au Foreign Office où la Conférence se trouvait réunie. Lord Palmerston leur remit une note leur accordant ce qu'ils avaient sollicité. M. van de Weyer, à la demande des plénipotentiaires et convaincu par les assurances de lord Palmerston que l'affaire Skrynecki était arrangée conformément aux désirs du gouvernement belge, signa ensuite les traités qui devaient porter la date du 19 avril 1839 et constituer définitivement le royaume de Belgique.
Il ne le fit pas toutefois sans avoir fait observer que la ratification de son gouvernement dépendrait de la reprise des rapports diplomatiques de la Belgique avec la Prusse et l'Autriche et sans avoir préalablement donné lecture de la note suivante :
« Note du 19 avril 1839 :
« Le soussigné, envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de Sa Majesté le roi des Belges près Sa Majesté britannique, a reçu la réponse que Leurs Excellences les plénipotentiaires des cinq Cours ont bien voulu lui faire à la communication qu'il avait eu l'honneur de leur adresser sous la date du 14. Le soussigné regrette que la Conférence n'ait pas pu se saisir de la proposition relative à l'acquittement du péage de l'Escaut au moyen d'une rente annuelle, mode de payement dont leurs Excellences ont néanmoins apprécié les avantages, circonstance qui ne peut manquer d'exercer une favorable influence sur la négociation spéciale et directe à ouvrir à ce sujet entre les deux parties.
(page 349) « Le gouvernement du roi apprendra sans doute avec peine que la Conférence se soit crue dans l'impossibilité d'améliorer la position de la Belgique par une réduction plus forte de la dette.
« Il verra avec satisfaction que si la Conférence n'a pas admis un article additionnel relatif aux garanties civiles et religieuses dues aux populations du Limbourg et du Luxembourg, c'est qu'elle regardait comme sans objet une semblable stipulation, les garanties en question résultant d'actes déjà existants.
« En ce qui concerne les deux points qui, indépendamment des trois propositions ci-dessus rappelées, ont été soumis à leurs Excellences, le gouvernement du roi s'étant rencontré avec la Conférence, se trouve, par les explications qu'il a reçues, pleinement satisfait et rassuré.
« La Conférence, qui avait apporté tant de soin à la rédaction de l'article 9 relatif à une question qui intéresse le monde commercial, a mis la réalisation de son œuvre à l'abri de toute contestation et de tout retard.
« Il reste un devoir à remplir au soussigné pour compléter cette communication. Sa Majesté le roi des Belges a retrouvé avec douleur, dans les projets qui lui ont été soumis, les stipulations territoriales imposées dans des jours de malheur et demeurées sept années sans exécution ; le temps a exercé une bienheureuse influence sur d'autres questions et celle-ci, digne d'une généreuse sollicitude, est restée irrévocablement résolue.
« Il a fallu que ce résultat se reproduisît avec son caractère primitif de nécessité, pour que le pays pût se résoudre à un aussi grand sacrifice ; il a fallu que l'empire des circonstances fût de nouveau constaté de la manière la plus évidente. Sa Majesté devait un dernier effort à des populations qui lui ont montré tant d'affection et de dévouement, et si Elle renonce à les conserver, c'est moins à cause des dangers qui menacent la Belgique entière, qu'en considération des maux qui devraient fondre sur les provinces du Limbourg et du Luxembourg. Jamais Sa Majesté n'a senti plus péniblement toute l'étendue de la tâche qu'Elle a acceptée dans l'intérêt de la paix générale et pour constituer une nationalité devenue une condition nécessaire de la politique européenne. Elle trouvera une consolation dans l’idée que cette nationalité et cette paix sont désormais à l'abri de toute atteinte.
« Le soussigné a été chargé de donner ces explications afin que la marche et le caractère de la résolution de son gouvernement ne pussent être méconnus ; il déclare en conséquence que, vu les éclaircissements renfermés dans la note de la Conférence en date du 18, il est autorisé à signer, aux termes de l'acte du 23 janvier, les traités entre S. M. et les cinq cours et S.M. le roi des Pays-Bas.
« Le soussigné saisit cette occasion de renouveler à Leurs Excellences les assurances de sa plus haute considération.
« Londres, le 19 avril 1839. »