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Histoire diplomatique du traité du 19 avril 1839
DE RIDDER A. - 1920

A. DE RIDDER, Histoire diplomatique du traité du 19 avril 1839

(Paru à Bruxelles en 1920, chez Vromant)

Chapitre VII

1. La commission financière belge, son œuvre. - Envoi à Londres de deux de ses membres : MM. Fallon et Dujardin

(page 132) Au mois de juin 1838, comme nous l'avons vu un peu plus haut, une commission avait été instituée à Bruxelles pour l'examen des questions financières que soulevait le traité des XXIV articles.

Elle était composée du baron E. d'Huart, ministre des finances, de M. I. Fallon, vice-président de la Chambre des représentants et président du conseil des mines, de M. Ch. de Brouckere, ancien ministre des finances et de la guerre, directeur de la Banque de Belgique, de M. B. Dumortier, membre de la Chambre des représentants, et de M. A. Dujardin, secrétaire général du ministère des finances. Ses travaux aboutirent, le 27 juillet, à un mémoire établissant que la dette de la Belgique, en stricte équité et, d'après les principes mêmes adoptés par la Conférence de Londres en 1831 pour le partage du passif du royaume des Pays-Bas, montait seulement à une rente de 2.215.000 florins et non de 7.800.000 florins, comme l'avait décidé le traité des XXIV articles.

(Note de bas de page Le traité des XXIV articles avait fixé le chiffre de la rente à payer par la Belgique à 8.400.000 florins. Dans cette somme se trouvaient compris 600.000 florins. A payer par la Belgique à la Hollande pour avantages commerciaux que celle-ci aurait consentis à notre pays. Au sujet de ces 600.000 florins le rapport de la commission mission financière fait très justement la remarque suivante : « Quant aux 600.000 florins, prix d'avantages de commerce et de navigation, la Commission ne croit pas avoir mandat de s'en occuper spécialement ; mais elle pense que c'est par un traité particulier de commerce et de navigation, où des faveurs réelles et réciproques pourront être concédées de part et d'autre, que cet objet doit être réglé, et non pas dans un traité politique, où ce prix acquiert la forme d'un tribut perpétuel, sans garantie aucune de la persistance éternelle de son équivalent. » (Fin de la note)

(page 133) Ce mémoire fut envoyé aux légations belges à Londres et à Paris. Deux membres de la commission, MM. Fallon et Dujardin, reçurent mission de se rcndre en Angleterre pour y donner, si besoin était, à M. van de Weyer ainsi qu'à la Conférence, les éclaircissements qu'on aurait pu souhaiter.

M. le Hon appréciait de la manière la plus favorable le travail de la commission. « J'ai étudié, écrivait-il le 10 août, la forme et le fond de ce travail et je me suis convaincu qu'il réunit toutes les qualités qui peuvent agir sur l'esprit de la Conférence : caractère purement financier, discussion pure et simple des éléments de la liquidation de 1831, précision, clarté, impartialité. La Commission a évité de dangereux écueils ; point de discussions politiques, point de système nouveau de liquidation. Elle a parfaitement compris que nous avions à éclairer des esprits prévenus, opposés d'avance à la révision du chiffre de 8.400.000 florins et difficiles à convaincre de l'énorme réduction qu'il doit subir. Le redressement qu'elle a fait d'une erreur assez importante qui préjudiciait à la Hollande est un acte de bon goût et d'habileté qui peut être à Londres d'un excellent effet. Assurément, cette manière toute impartiale de signaler l'erreur là où elle est découverte, donne à ce travail un cachet particulier. Je le répète avec sincérité : dans la forme comme dans le fond, la commission a réussi et son rapport est une base de discussion que nous serions heureux de pouvoir faire adopter comme telle » (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 10 août 1838).

Le représentant à Londres du roi Léopold remit à lord Palmerston et au général Sebastiani le mémoire de la commission (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 7 août 1838). Ce mémoire fut expliqué au ministre anglais et à l'ambassadeur français par MM. Fallon et Dujardin dans des entrevues que ces derniers, en même temps que M. van de Weyer, obtinrent des deux plénipotentiaires (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 7 août 1838).

2. Nouvelle opposition de M. de Senfft à la révision de la dette. - Fermeté de lord Palmerston. - Mécontentement des plénipotentiaires du nord

Si la Belgique tentait ainsi de faire admettre par la France et l'Angleterre le bien fondé de ses réclamations, ses adversaires, de leur côté, ne restaient pas inactifs. Le cabinet de La Haye avait plus particulièrement chargé M. de Senfft de la partie financière des négociations. On l'avait initié au secret de bien des opérations (page 134) et il semblait discuter les questions avec une entière connaissance de cause, sinon avec une réelle impartialité. Ses arguments n'avaient pas été sans faire de l'impression sur les esprits. Ainsi que le baron de Bülow et le comte Pozzo di Borgo, il ne cessait d'affirmer que les Puissances du nord ne voulaient pas entendre d'une révision de la dette et qu'elles considéraient les 8.400.000 florins stipulés en 1831 comme une condition sine qua non de notre indépendance et de la reconnaissance de la Belgique par les signataires des actes du Congrès de Vienne (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 10 août 1838).

Mais lord Palmerston, converti à l'idée de la révision par les arguments de M. van de Weyer et par la décision de la France, se refusait à admettre cette théorie.

« Je sais, dit-il, dans une conversation qu'il eut, le 13 août, avec les plénipotentiaires des diverses Puissances représentées à la Conférence, je sais que les 8.400.000 florins de dettes imposées à la Belgique sont, en quelque sorte, une des conditions de son indépendance et de sa reconnaissance, et qu'il ne faut toucher à cette base du traité qu'avec la plus extrême circonspection.. Mais cette base elle-même n'a été posée que sous la réserve exprimée dans le protocole n° 48, s'il est prouvé que les tableaux annexés à ce protocole sont inexacts, s'il est établi que la Conférence a été induite en erreur sciemment ou non. Vous sentez que la question, ainsi présentée, devient grave et importante et mérite que nous la prenions en sérieuse considération. Que si vous contestez à la Belgique le droit de revenir elle-même sur ce point, vous ne nierez point le devoir qu'ont la France et l'Angleterre de ne pas permettre de laisser subsister des erreurs essentielles dans des actes auxquels ces Puissances ont pris part. Vous parlez (et ici lord Palmerston s'adressait particulièrement à M .de Bülow) de la nécessité de forcer la Belgique, par des mesures communes des cinq cours, à exécuter le traité qu'elle a accepté et ratifié ; mais, pour prendre part à ces mesures, le cabinet anglais aurait à recourir au Parlement ; et il ne suffirait pas aux ministres de la reine de dire à cette assemblée que la Conférence est tombée d'accord sur l'emploi de ces mesures ; il faudrait, de plus, prouver qu'on a eu raison d'être d'accord. Or, comment établir cette preuve, si l'une des parties soutient qu'il y a eu erreur, volontaire ou calculée, et que cette erreur consacrerait une criante injustice envers elle. Pour éviter le danger, employons l'un ou l'autre de ces moyens ; que l'ou fixe dès à présent le chiffre de la dette belge, moins tout ce qui a rapport au syndicat d'amortissement ; ou bien, que des commissaires mixtes soient nommés dès ce moment de part et d'autre, et procèdent à. la liquidation de cet établissement. M. de Senfft, mieux informé que nous, prétend qu'en trois mois cette opération pourrait se faire sans difficulté. Ce laps de temps serait employé par nous à discuter et parapher les autres articles du traité ; et, la liquidation terminée, les deux parties posséderaient tous les éléments d'un arrangement équitable et définitif. »

(page 135) M. de Bülow s'éleva vivement contre ces propositions du ministre anglais : « Nous aurions, lui dit-il, autant de difficultés à nous entendre sur ce qui doit être omis comme faisant partie du syndicat, que sur le chiffre primitif de la dette ; et, dans le second cas, la Belgique conserverait, au préjudice de la Hollande, tous les avantages du statu quo et continuerait à ne point payer même ce qu'elle reconnaît devoir légitimement. Cela est impossible. » .

- « Dans ce cas, dit le général Sebastiani, la question est donc insoluble, car nous devons à nous-mêmes, nous devons à la Belgique et au public européen de ne point consacrer une injustice, et de donner aux deux parties l'occasion de débattre contradictoirement ce différend ».

« Non, pas tout-à-fait insoluble, interrompit lord Palmerston, jugeant sans doute que l'ambassadeur français allait trop loin, mais hérissée de difficultés qu'il est de notre devoir d'aplanir. Songeons-y donc sérieusement, chacun de notre côté. »

Les plénipotentiaires d'Angleterre et de France proposèrent ensuite à leurs collègues de Prusse et d'Autriche, soit de faite procéder immédiatement à la liquidation du syndicat d'amortissement et de subordonner la fixation du chiffre de la dette belge à l'accomplissement de cette opération, soit d'abaisser d'une somme à déterminer le chiffre de la dette belge avec l'abandon par la Belgique de ses droits sur l'actif qui aurait dû lui revenir après la liquidation du syndicat (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre. 651, n° 67, page 75). Aucune des deux suggestions ne fut accueillie.

A la suite de l'entretien, qui n'avait eu rien d'officiel, le baron de Bülow ne montra plus la parfaite assurance avec laquelle il parlait antérieurement de la conclusion prochaine de l'affaire. « Nous sommes sur un sable mouvant, disait-il à un membre du corps diplomatique au lendemain de la conversation dont il vient d'être question, et je commence à désespérer d'en finir.»

« Cependant, ajoute M. van de Weyer, après avoir rapporté ces paroles, j'ai lieu de croire que les plénipotentiaires du nord ont reçu de leurs cours l'ordre positif d'arriver à un résultat quelconque dans le plus bref délai possible. Aussi, rien n'égale l'impatience, l'ardeur et la mauvaise humeur du baron de Bülow. Je ne serais nullement surpris, qu'en désespoir de cause, les trois cours ne prissent le parti de se séparer de la France et de l'Angleterre, de dissoudre ainsi la Conférence et de ne prendre conseil que d'elles-mêmes. On redouterait ici et à Paris un pareil résultat et, si on le prévoyait comme prochain, on ferait tout au monde pour l'empêcher » (Lettre à M. de Theux, 14 août 1838).

(page 136) M. de Bülow ne tarda pas à donner une nouvelle marque de l'impatience signalée par M. van de Weyer.

Peu de jours après la conversation que nous venons de mentionner, les plénipotentiaires des cours du nord insistèrent à nouveau sur la nécessité pour eux d'instruire leurs gouvernements de la marche des négociations et des causes qui en arrêtaient les progrès. Lord Palmerston, « pour donner des preuves qu'il n'agissait pas à la légère et que l'examen auquel il se livrait était fondé sur de bonnes et solides raisons, leur communiqua confidentiellement le rapport de la commission belge des finances ainsi qu'un tableau dressé par MM. Fallon et Dujardin et qui en présentait le résumé.

Le ministre de Prusse, le plénipotentiaire autrichien et le plénipotentiaire néerlandais s'empressèrent de procéder à la critique détaillée du rapport. Ce travail ayant été promptement achevé, M. de Bülow l'accompagna de nouvelles propositions et l'envoya à lord Palmerston en lui demandant une entrevue pour le lendemain. Il se disait persuadé qu'une simple lecture suffirait au ministre pour se convaincre du manque de fondement des allégations belges.

Mais lord Palmerston n'admit pas ce mode de procéder quelque peu expéditif. Il répondit en promettant à M. de Bülow d'étudier attentivement les pièces envoyées et de lui faire connaître quelques jours plus tard le résultat de son examen.

Cette réponse, qui lui imposait un nouveau délai, irrita le ministre de Prusse. Il exhala ses plaintes dans une lettre qu'il adressa au ministre britannique et dans laquelle, dominé par une inconscience difficile à expliquer, il ne craignait pas de travestir les faits pour incriminer l'attitude de l'Angleterre.

« Jusqu'à présent, disait-il, je m'étais refusé à croire un bruit venu jusqu'à moi, que l'Angleterre commençait à prêter une oreille favorable aux réclamations des Belges

(Note de bas de page) La correspondance des plénipotentiaires du nord propageait à l'étranger les plaintes dont M. de Bülow se faisait l'interprète à Londres. « La correspondance de MM. Dedel et de Senfft, écrivait le 21 août le ministre de France à La Haye, cause de vives alarmes au cabinet de La Haye. On représente lord Palmerston comme ayant faibli et s'étant laissé gagner par l'influence française. On montre les gouvernements de France et d'Angleterre décidés à réclamer, en faveur de la Belgique, une nouvelle répartition de la dette. « Nous sommes perdus, me disait ce matin une personne honorée de la confiance du roi Guillaume. S. M. a raison d'être inquiète de tous ces délais. Ils ne peuvent tourner qu'à notre détriment ! » Arch du Min. des Aff. étr. à Paris, Pays-Bas, 61, 91, p. 209. (Fin de la note).

« Je vois avec peine que vous vous laissez ébranler et que vous revenez ainsi sur la déclaration faite spontanément par vous à nos cours que, dans le traité à intervenir avec la Hollande, l'Angleterre n'admettrait de changement ni quant au territoire, ni quant à la dette. C'est cependant sur la foi de cette déclaration que nos cours ont redoublé d'efforts auprès du (page 137) cabinet de La Haye, et qu'elles ont réussi à obtenir l'adhésion du roi Guillaume aux XXIV articles.

« Aujourd'hui, votre revirement inattendu nous place envers ce souverain dans la plus désagréable position et encourage les Belges dans la résistance qu'ils préparent à l'exécution du traité qu'ils ont conclu avec les cinq Puissances, traité qui renferme, sur cette grande question européenne, leurs décisions finales et irrévocables. Or, que l'on ne s'y trompe point, ce n'est pas une simple réduction de la dette que veut la Belgique, c'est la modification des arrangements territoriaux. On veut, par une diminution du chiffre, arriver à conserver, à prix d'argent, les parties cédées du Limbourg et du Luxembourg. Les publicistes belges n'en font point mystère, et il faudrait être aveugle pour ne pas s'apercevoir que le cabinet de Bruxelles vise lui-même à ce but. Dans cet état des choses, je manquerais à mes devoirs si je ne m'empressais de déclarer que, quels que soient les sacrifices que la Belgique veut s'imposer pour parvenir à ce résultat, jamais la Prusse ne consentira à. ce qu'il se réalise. »

M. de Bülow entrait ensuite dans de grands développements, exposant les raisons de politique et de stratégie qui imposaient à son pays le devoir de maintenir les stipulations territoriales des XXIV articles. Lord Palmerston ne répondit pas par écrit à cette missive. Rencontrant, le 19 août, le diplomate prussien chez lord Holland, il lui fit remarquer que sa lettre contenait un anachronisme, puisque la déclaration de l'Angleterre, sur l'irrévocabilité des articles du traité du 15 novembre relatifs à la dette, était non pas antérieure, mais postérieure à l'adhésion du roi Guillaume au traité. Il ajouta que cette déclaration maintenue pour ce qui concernait la question territoriale, le serait aussi pour les questions financières, s'il n'était pas établi que les tableaux fournis par les plénipotentiaires néerlandais contenaient des erreurs essentielles ; que la Conférence, liée par son propre protocole, se devait à elle-même d'étudier les doutes élevés à cet égard et qu'on ne pouvait procéder à l'exécution d'un traité, ou à la con clusion d'un arrangement direct entre les deux parties, sans qu'il eût été procédé à l'examen réclamé par la Belgique (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 août 1838).

3. La conférence et le partage des dettes en 1831, les erreurs commises

Les travaux de la commission des finances avaient établi que, du chef du partage de la dette des Pays-Bas, la Belgique ne pouvait être équitablement chargée que d'une rente de 2.215.000 florins au lieu de 7.800.000 stipulés dans le protocole n° 48. La réduction, on le voit, était énorme et énorme aussi l'erreur imputée à la Conférence.

(page 138) Il était naturel que dans ces conditions on escomptât dans notre pays un tel mécontentement de la Hollande, que ce pays aurait pu être amené, pour rejeter le pesant fardeau pécuniaire qu'un équitable redressement des erreurs commises devait faire peser sur lui, à donner satisfaction aux aspirations territoriales des Belges, satisfaction qui n'eut pas gravement lésé ses intérêts.

Pour procéder au partage des dettes de l'ancien royaume des Pays-Bas, la Conférence avait, en 1831, adopté les principes suivants :

« La Conférence a jugé équitable que les dettes contractées pendant la réunion du royaume des Pays-Bas fussent partagées entre la Hollande et la Belgique dans la proportion de 15/30, ou par moitié égale pour chacune.

« La rente annuelle de la totalité des dettes susdites se montant en chiffre rond à 10.100.000 florins des Pays-Bas, il résulterait de ce chef un passif pour la Belgique de 5.050.000 florins.

« De plus, la dette austro-belge ayant appartenu exclusivement à la Belgique avant sa réunion à la Hollande, il a été également jugé équitable que cette dette pesât exclusivement sur la Belgique à l'avenir.

« L'intérêt à 2 % pour cent de la partie active de cette dette, ainsi que le service de l'amortissement de la partie dite différée, étant évalués en nombre ronds à 750.000 florins des Pays-Bas de rente annuelle, la Belgique aurait à supporter de ce second chef un autre passif de 750.000 florins de rente.

« La Conférence, procédant toujours d'après les règles de l'équité, a trouvé qu'il rentrait dans les principes et les vues qui la dirigent, qu'une autre dette qui pesait originairement sur la Belgique avant sa réunion avec la Hollande, savoir ; la dette inscrite pour la Belgique au grand livre de l'Empire français, et qui, d'après ses budgets, s'élevait par aperçu, à 4 millions de francs ou 2 millions de florins des Pays-Bas de rente, fût mise, encore maintenant, à la charge du Trésor belge. Le passif dont la Belgique se chargerait de ce troisième chef serait donc de 2 millions de florins des Pays-Bas en rente annuelle.

« Enfin eu égard aux avantages de commerce et de navigation dont la Hollande est tenue de faite jouir la Belgique, et aux sacrifices de divers genres que la séparation a amenés pour elle, les plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté, aux trois points indiqués ci-dessus, une somme de 600.000 florins de rente laquelle formerait, avec ces passifs, un total de 13.400.000 florins des Pays-Bas. C'est donc d'une rente annuelle de 8.400.000 florins que la Belgique doit rester définitivement chargée, par suite du partage des dettes publiques du Royaume-Uni des Pays-Bas, d'après l'opinion unanime de la Conférence.

« D'autre part, les plénipotentiaires des cinq cours ont observé que le syndicat d'amortissement institué dans le royaume des Pays-Bas, ayant contracté des dettes dont les intérêts ont été portés pour moitié à charge de la Belgique ; mais ayant aussi, d'après la nature même de son institution, des comptes à rendre et un actif pouvant résulter de ces (page 139) comptes, la Belgique devait participer à cet actif, dès qu'il sentit établi moyennant une liquidation, dans la proportion dans laquelle elle avait participé à l'acquittement des contributions directes, indirectes et accises du royaume des Pays Bas.

« Ce qui a achevé de déterminer la Conférence dans cette occasion, c'est que, fondant ses décisions sur l'équité et considérant le montant des charges du service de la dette totale du royaume uni des Pays-Bas, elle trouve que ce montant s'élève en nombres ronds, à 27.700.000 florins de rente, et que, par conséquent, la Belgique, pendant la réunion, a contribué à l'acquittement de cette rente dans la proportion de 16/31, c'est à dire pour 14 millions de florins ; que maintenant, avec le bénéfice de la neutralité, elle n'aura à acquitter pour sa part que 8,400.000 florins de rente ; et que d'un autre côté, par suite du mode de payement adopté par la Conférence, la Hollande elle-même obtient un dégrèvement considérable, qui peut servir à satisfaire aux diverses réclamations qu'elle a élevées » (Papers-relative to the affairs of Belgium, A. p. 135. Citation de Thonissen, La Belgique sous le règne de Léopold 1er, tome l, page 200).

Le dernier paragraphe semble indiquer que la Conférence avait fait par le partage une grande faveur à la Belgique, puisqu'elle ne lui attribuait plus désormais que moins d'un tiers des charges résultant des dettes du royaume des Pays-Bas, alors que sous le régime de la réunion notre pays en supportait plus de la moitié.

Cette affirmation reposait sur une profonde erreur. Le service de la dette des Pays-Bas n'exigeait pas une rente annuelle de 27.000.000 florins, mais seulement de 17.265.267 florins. C'était par conséquent plus de la moitié et non le tiers de la charge que la Conférence imposait à notre pays (THONISSEN, op. cit., tome 1er, p. 202, note I).

Pour fixer la part de celui-ci dans la dette, la Conférence s'appuya surtout sur des tableaux que lui fournissaient les plénipotentiaires néerlandais, MM. Falk et de Zuylen. Ces tableaux, bien qu'ils eussent reproduit exactement les chiffres requis, avaient cependant été présentés de telle manière que les représentants des cinq Puissances se trouvèrent amenés à commettre les erreurs les plus graves au détriment de la Belgique.

Les critiques qu'émit en 1838 la commission des finances portaient surtout sur la part imposée à nos provinces dans le payement des rentes nécessitées par l'emprunt de 30 millions de florins qu'avait autorisé la loi du 27 mai 1830, par l'emprunt de 110 millions contracté par le syndicat d'amortissement des Pays-Bas en vertu de la loi du 27 décembre 1822, par l'emprunt de 67.292.000 florins contracté en vertu de la loi du 27 décembre 1822 et par ce qu'on a appelé les emprunts austro-belges et français.

(page 140) M. Thonissen a parfaitement résumé ces critiques en quelques lignes que nous lui empruntons.

« L'emprunt de 30 millions de florins à 3 ½ %, écrit-il (THONISSEN, op cit., tome 1er, p. 195), autorisé par la loi du 27 mai 1830, n'était que la caution d'un emprunt de 35 millions, à 4 1/2 %, contracté pour les colonies des Indes orientales. Les véritables débitrices étaient ces colonies ; la mère patrie n'avait rempli que le rôle de caution. Cette dette n'avait jamais figuré au budget du royaume des Pays Bas. Les colonies restant à la Hollande, la Belgique ne pouvait être grevée de la moitié de leurs dettes. Or, dans les tableaux fournis par MM. Falk et de Zuylen, ces 30 millions de florins (fr. 63-492.060) figuraient comme dette de la communauté.

« L'emprunt de 110 millions à 4 1/2%, contracté par le syndicat d'amortissement des Pays Bas en vertu de la loi du 27 décembre 1822, n'était qu'une opération financière ayant pour but de convertir l'ancienne dette hollandaise (dette différée) en emprunt du syndicat. Or, comme une dette ne change ni de nature, ni d'origine quand elle subit une conversion, ces 110 millions représentaient évidemment une valeur équivalente de l'ancienne dette hollandaise : ce n'était pas une dette contractée depuis la formation du royaume des Pays-Bas. Et cependant, dans les tableaux des plénipotentiaires hollandais, ces 110 millions (fr. 232.804.220) figuraient encore comme dette de la communauté.

« Ce n'est pas tout : Parmi les inscriptions au grand livre à 2 1/2%, MM. Falk et de Zuylen plaçaient un emprunt de florins 67.292 000 (fr. 142.226-45) décrété par la loi du 27 décembre 1822. Cette somme de fl. 67.292.000 était destinée au paiement des pensions et autres dépenses extraordinaires du trésor ; mais la loi du 27 décembre 1822 avait exigé que l'émission de l'emprunt ne fût effectuée qu'au fur et à mesure des besoins. Or, 25 millions tout au plus avaient été émis au moment de la séparation des deux pays. A cette date, 42 millions non négociés se trouvaient dans la caisse du syndicat d'amortissement. Un emprunt n'étant consommé qu'au jour de son émission, ces 42 millions devaient évidemment être décomptés du capital. Et cependant les 67,292.000 florins figuraient en totalité dans le tableau des rentes dressé par les négociateurs de La Haye.

« Les notions de la Conférence au sujet des dettes originairement contractées par la Belgique n'étaient ni plus exactes ni plus complètes. L'ancienne dette constituée des provinces belges, en y comprenant la valeur de la dette différée, représentait 300.000 florins (fr. 634.920,60) de rente. A cette dette, incombant incontestablement à la Belgique, la Conférence ajouta fl. 450.000 de rente (fr. 952.380,95) pour la dette liquidée à charge du trésor des Pays-Bas sous le nom de dette austro-belge. Mais celle-ci n'était pas d'origine belge. C'était une dette personnelle de l'Autriche contractée jadis dans nos provinces pour subvenir aux besoins des Etats autrichiens de l'empereur d'Allemagne, engagé dans une guerre coûteuse avec les Turcs. Elle n'avait été contractée ni (page 141) par la Belgique ni hypothéquée sur son sol. La France, par les traités de Lunéville et de Campo-Formio, avait formellement écarté tout ce qui concernait la dette austro-belge. Si le roi des Pays-Bas, par une convention du 11 octobre 1815, a pris cette dette à charge des finances de son royaume, ce n'a pu être que comme dette nouvelle provenant de l'application des traités, et nullement comme dette ancienne d'un des pays soumis à sa souveraineté. La dette austro-belge était un fait de la communauté et par suite la Belgique ne devait en supporter que la moitié, ou florins 225.000 de rente. En ajoutant à cette dernière somme la rente de florins. 300.000 représentant la dette exclusivement belge, on arrivait à florins 525.000 de rente.

« Or, la Conférence nous attribua une rente de florins 750.000.

« Dans les calculs de la Conférence on voit aussi figurer à la charge exclusive de la Belgique, fl. 2.000.000 (fr. 4,232,204,23) de rente, provenant du grand livre de l'empire français. C'était encore une erreur grave. Au moment de la révolution, aucune dette de ce genre ne pesait sur la Belgique. Aucun des budgets présentés aux Etats-Généraux des Pays-Bas, aucun des tableaux officiels de la dette nationale n'en fait mention. En 1830, la dette belge, inscrite au grand livre de l'empire français, se trouvait, depuis plusieurs années, éteinte par des remboursements opérés au moyen de compensations diverses. En fait, cette dette n'existait donc plus que dans l'imagination des membres de la Conférence. »

Le l0 août, comme nous l'avons dit un peu plus haut, MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin eurent une première entrevue d'abord avec lord Palmerston, puis avec le général Sebastiani, entrevue dans laquelle ils donnèrent aux deux plénipotentiaires des éclaircissements sur le travail de la commission financière belge (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 10 août 1838). Lorsque ce travail eut été communiqué officieusement aux représentants des cours du nord, le ministre britannique s'empressa d'envoyer à la légation de Belgique la réponse qu'y opposèrent ces derniers. Cette réponse était faite dans un mémoire confidentiel. Ses auteurs n'avaient pas voulu lui donner un caractère officiel, de crainte, s'ils admettaient cette forme de discussion, de paraître accepter, quoique indirectement, le principe de la révision de la dette Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 18 août 1838).

Ils commençaient leur mémoire par l'affirmation de leur opposition à cette acceptation, et ils justifiaient leur manière de voir à cet égard dans les termes suivants :

« Le plénipotentiaire belge transmit à la Conférence, par une note en date du 14 novembre (1831), l'adhésion de S.M. le roi des Belges aux XXIV articles ; et il demanda, par une seconde note du même jour, que ces articles reçussent la forme et la sanction d'un traité définitif entre les cinq Puissances et sa dite Majesté. La Conférence accéda à cette demande par sa réponse également datée du 14 novembre en (page 142) « prenant acte de l'acceptation pure et simple des XXIV articles » ; et l'on signa, le lendemain 15, le traité dont l'article 13 charge la Belgique de 8.400.000 florins de rente, du chef du partage des dettes publiques du Royaume-Uni des Pays-Bas, sans marquer les titres spéciaux auxquels ce chiffre se rapporte. L'acceptation pure et simple imposée par la Conférence au gouvernement belge, et effectuée par celui-ci, exclut évidemment et annule toute réserve antérieurement faite de sa part ; et la signature d'un traité définitif entre ce gouvernement et les cinq Puissances a également résolu la portée et mis fin à l'effet, à l'égard de ces mêmes Puissances, de leur réserve exprimée dans le 48e protocole, laquelle n'a pu conserver de valeur que tant que la disposition à laquelle elle se rapportait n'avait que celle d'une proposition et non d'une transaction complète et synallagmatique » (Note des plénipotentiaires des cours du nord : « Sur le principe de la révision de la dette »).

4. Critique du rapport de la commission financière par M. de Senfft et de Bülow

Nous avons vu plus haut (page 121) comment M. de Theux avait répondu d'avance à la théorie imaginée par MM. de Bülow et de Senfft et démontré que le protocole n°48 était parfaitement invocable encore en 1838. Nous ne reviendrons donc pas sur cette question et nous nous bornerons à faire deux observations pour compléter la démonstration du ministre belge des affaires étrangères.

1° Le protocole n°48, quoique portant la date du 6 octobre, ne fut rédigé, comme l'écrivent les plénipotentiaires des cours du nord dans la partie de leur mémoire sur la dette franco-belge, que le 18 octobre, « après l'adoption et la communication des XXIV articles à la Belgique et à la Hollande ». La date de cette rédaction établit sans aucun doute possible que le protocole était destiné à servir de commentaire aux XXIV articles et non pas que ceux-ci mettaient fin à sa valeur. Les XXIV articles ne pouvaient avoir d'effet que sur des actes qui existaient au moment où ils furent arrêtés et non sur des actes que la Conférence adopta postérieurement.

2° S'il était possible d'admettre que l'adoption pure et simple des XXIV articles par la Belgique et les cinq Puissances garantes eût enlevé à notre pays tout droit d'en réclamer la modification en vertu du protocole n° 48, encore faudrait-il que les cinq Puissances ne lui eussent pas rendu ce droit, la Russie en prévoyant dans sa ratification la faculté pour la Hollande et la Belgique de modifier le chiffre de la dette par des négociations directes et les autres États en acceptant la réserve russe. Par l'émission de cette réserve et par son acceptation, les Puissances intervenantes superposaient au traité du 15 novembre un traité nouveau modifiant le premier. Il y avait sur ce point un indéniable concours de volontés et nul (page 143) ne contestera qu'un contrat, quelque solennel et important qu'il soit, ne puisse être modifié par un tel concours.

MM. de Bülow et de Senfft faisaient eu outre observer :

« 1° Que la réserve du 48e protocole, subsistât-elle encore, supposerait, pour pouvoir être appliquée, des inexactitudes essentielles dans les tableaux, présentés par les .plénipotentiaires néerlandais, c'est-à-dire des erreurs de fait, et qu'on ne saurait, en aucun cas, fonder sur elle une attaque contre le jugement porté par la Conférence sur une question de principes quel que soit le motif qui serait allégué pour contester la justice de la décision.

2° Qu'un pareil jugement pourrait être d'autant moins remis en question, lorsqu'il serait prouvé que la matière aurait été agitée d'avance et discutée avec les parties avant la décision.

3° Enfin, qu'il faudrait une iniquité palpable et un objet d'une très grande importance pour autoriser une atteinte à porter à un acte de la Conférence, fruit d'une mûre délibération et d'une discussion solennelle et approfondie, telle qu'a été la fixation du chiffre de la rente belge, acte dont la nature ressort surtout de la teneur du 48e protocole et du mémoire joint à la note adressée aux plénipotentiaires néerlandais le 4 janvier 1832, et annexée au 53e protocole, d'où il appert que la Conférence n'a point prononcé dans cette affaire un jugement ordinaire basé sur un compte de clerc à maître, mais qu'elle s'est portée à un acte de justice politique d'une haute portée, dont les motifs embrassent l'ensemble des relations et positions respectives, et se rapportent principalement à l'obligation de compenser les divers sacrifices par lesquels la Hollande avait obtenu en 1814-1815 la réunion de la Belgique. Ces considérations doivent constamment être gardées en vue lorsque, faisant abstraction pour le moment mais sans y renoncer, des fins de non-recevoir qui viennent d'être développées, on va entrer, en forme confidentielle, dans l’examen de la valeur intrinsèque, sous le point de vue de l'équité, des diverses réclamations élevées par la Belgique. »

On peut répondre, pour ce qui concerne le premier et le troisième point, que des erreurs ayant fait porter la dette belge de moins de trois millions de rente à plus de huit millions, sont des erreurs suffisantes pour être qualifiées d'inexactitudes essentielles, produites par une iniquité palpable, d'effet très important, et, par conséquent, revêtues de toutes les conditions requises pour justifier la Belgique d'en réclamer le redressement aux termes mêmes du protocole n° 48.

La note des plénipotentiaires du nord n'était qu'une mauvaise plaidoirie, rédigée sous la pression du baron de Bülow. M. de Senfft se montrait moins irréductible que le plénipotentiaire prussien. Il reconnaissait le bien fondé de certaines réclamations belges. Mais l'intransigeance de son collègue le dominait.

(Note de bas de page) « MM. Fallon et Dujardin ont été, écrit M. van de Weyer à M. de Theux, le 22 août 1838, témoins d'une discussion très vive entre le général Sebastiani et MM, de Senfft et de Bülow. M. de Bülow voudrait repousser tout principe de révision. M, de Senfft, plus modéré, et reconnaissant que quelques-unes de nos réclamations sont fondées, sent la nécessité d'une transaction, Mais il doit insister pour qu'on n'y fasse droit que dans la liquidation du syndicat. « A peu près d'accord sur le fond, dit-il à M. Sebastiani, nous ne différons que dans la forme. Mais cette insistance même que l'on met à proposer une liquidation que le roi Guillaume a constamment rejetée, cache sans doute un nouveau piège » (Fin de la note).

(page 144) Malgré l'opposition qu'ils faisaient à la révision de la dette, les plénipotentiaires du nord croyaient cependant devoir, dans leur mémoire, entreprendre l'examen des diverses réclamations belges. La réfutation qu'ils firent des arguments de la commission financière était, comme le constatent MM. Fallon et Dujardin dans une lettre adressée à M. de Theux le 21 août, très faible et se retranchait en général derrière des fins de non-recevoir, sans s'attacher aucunement à justifier les décisions prises en 1831. A propos de l'emprunt de 110 millions de 1822, aucune allusion n'était notamment faite à ce que cet emprunt se trouvât destiné à amortir une ancienne dette hollandaise et, par conséquent, en vertu des principes mêmes adoptés par la Conférence, devait retomber entièrement à charge de la Néerlande. M. de Bülow ne contestait point non plus que l'emprunt de 30 millions de florins ne constituait pas un emprunt du Royaume-Uni des Pays-Bas, mais un emprunt de ses colonies, dont jamais le budget de la métropole n'avait fait mention. En réalité, il n'avait qu'un argument pour maintenir les stipulations financières des XXIV articles : La Conférence l'a ainsi arrêté, sa volonté doit faire loi. « Pour ce qui concernait la réclamation formulée par la commission financière au sujet de la dette austro-belge, les plénipotentiaires des cours du nord se bornaient à l'écarter elle aussi par des fins de non-recevoir qu'ils déclaraient péremptoires. Ils se refusaient à la prendre en considération parce que l'inscription de cette dette à charge de la Belgique ne provenait pas de renseignements fournis par les plénipotentiaires néerlandais et aussi parce que l'objet de la réclamation était de si peu d'importance qu’il ne pouvait seul « motiver une atteinte portée au chiffre de la rente ».

5. Les dettes autrichienne et française. Le partage de la dette en 1831 non fondé en droit mais compensation accordée à la Hollande pour la perte de ses colonies et de la Belgique

A ces deux motifs les plénipotentiaires des cours du nord en ajoutaient un troisième qu'il importe de faire connaître dans les termes mêmes où ils le développèrent.

« Le nom de la dette austro-belge, disaient-ils, se trouve, pendant toute la négociation qui a précédé le traité du 15 novembre 1831 et dès le 27e protocole (18 janvier 1831) au premier rang des charges à reporter sur la Belgique dans le partage spécial des dettes : et cette qualité n'a jamais été contestée jusqu'à présent. En effet, le nom seul dépose à cet égard contre la prétention actuelle des Belges et il ne saurait être douteux (page 145) que ce ne soit en considération de la Belgique que le roi des Pays-Bas s'en est chargé par la convention du 11 octobre 1815. Au reste, n'ayant pas sous les yeux les pièces citées et notamment la convention du 5 mars 1828, on ne saurait juger de l'assertion des commissaires belges, que des intérêts hollandais seraient entrés dans la transaction passée avec l'Autriche. »

Dans cette réponse on voit une fois de plus un exemple du système de deux poids et deux mesures dont usait M. de Bülow pour la solution du différend hollando-belge. Quand la Belgique demandait à ne pas devoir supporter la charge de la dette assumée par les colonies hollandaises à leur profit exclusif, on lui répondait que la dette ayant été contractée depuis l'union, la moitié lui en incombait en vertu des principes adoptés par la Conférence, et quand elle invoquait les mêmes principes pour repousser la charge exclusive de la dette austro-belge acceptée, elle aussi, depuis l'union, les plénipotentiaires du nord en faisaient litière.

Et comment l'histoire peut~elle apprécier l'argument consistant à dire : Vous invoquez à l'appui de votre réclamation un document. Ce document, nous ne l'avons pas sous les yeux, donc nous n'en tenons aucun compte. - Mais ce document était détenu par une des Puissances du nord, par l'Autriche. Qu'y eut-il eu de plus simple et de plus juste que d'en demander communication à Vienne ? Il n'y avait à le faire aucune difficulté. Il eût suffi de quelques jours pour que cette pièce arrivât à Londres. Et si l'on eût désiré être plus expéditif encore, on pouvait en réclamer une copie à La Haye.

Ne point tenter d'obtenir le texte de la convention du 5 mars 1828 montrait clairement que le siège des plénipotentiaires du nord était fait et qu'ils ne se souciaient pas d'éviter un déni de justice.

Ce qu'il importe de citer aussi, dans toute son étendue, c'est la note de ces mêmes plénipotentiaires relative à la réclamation belge dirigée contre la dette française.

« Cette réclamation, dit la note, n'a aucun rapport avec le tableau des plénipotentiaires hollandais, que les commissaires belges ont pris pour point de départ de leur travail. Elle ne saurait donc être admise sous ce point de vue. Mais la réponse péremptoire au raisonnement ci-contre se trouve dans le memorandum du 7 octobre 1831 joint au 48e protocole daté du jour précédent. Ce memorandum contient la déclaration suivante : « Le second passage qui a été jugé de nature à demander un éclaircissement est celui qui commence aux mots : « La dette inscrite pour la Belgique au grand livre de l'Empire français », et qui se termine aux mots : « laquelle formerait avec ces passifs, un total de 8,400,000 florins des Pays-Bas ». Les plénipotentiaires des cinq cours sont convenus que si, (page 146) dans ce passage, ils avaient cité les 4.000.000 de florins de rente inscrite pour la Belgique dans le grand livre de l'Empire français, c'était pour mieux expliquer leur pensée relative aux charges, à l'acquittement desquelles la Belgique contribuait avant sa réunion avec la Hollande, mais sans que les circonstances particulières qui avaient rapport à la nature ou à la liquidation subséquente de ces inscriptions de 4.000.000 de francs de rente dussent changer les calculs de la Conférence. En général, il est entendu que c'est en considération de dettes contractées en commun par la Hollande et la Belgique, pendant leur réunion, des dettes dites austro-belges, des charges affectées à la Belgique lorsqu'elle faisait partie de l'Empire français, des avantages de commerce et de navigation qu'elle doit obtenir et des sacrifices de divers genres essuyés par la Hollande par la séparation, que la somme de rentes annuelles dont la Belgique restera grevée, avait été portée à 8,400,000 florins des Pays-Bas.

« Les paroles en italiques interdisent évidemment tout retour sur l'examen de la question relative aux 2.000.000 de florins de la dette française. Le 48e protocole et le memorandum qui y est annexé ont été rédigés le 18 octobre, après l'adoption et la communication des XXIV articles, quoique sous une date antérieure, uniquement dans le but de motiver et de régulariser pour ainsi dire aux yeux du public les déterminations de la Conférence au sujet du partage de la dette, déterminations qui se fondaient principalement sur les conditions d'équité et de politique énoncées dans le mémoire et la note annexée au 53e protocole, et relatives surtout à ce qui était dû à la Hollande pour compenser en quelque sorte les sacrifices faits pour obtenir la réunion de la Belgique en 1814-1815, tant par la cession des colonies, que par l'abandon d'avantages pécuniaires importants qui lui étaient acquis, tandis que les dix cantons qui avaient été le prix de la renonciation à une partie de ces avantages ont été laissés à la Belgique, le tout à part de la somme considérable qui a été ajoutée pour le district d'Arlon, assigné à la Belgique vers la fin de la négociation à la demande de la France. L'esprit dans lequel ce protocole a été conçu ne permet à aucune des Puissances qui y ont pris part, et qui savent que les motifs qui y ont été allégués ne sont pas ceux qui les ont effectivement guidées dans la fixation du chiffre de la rente belge, de revenir aujourd'hui à des recherches analytiques sur les bases de cette mesure. Vouloir admettre d'autres intéressés à fonder des prétentions sur la lettre fictive du protocole n° 48 et du memorandum, ce serait de la part des Puissances manquer à leur propre conscience et aux obligations mutuellement contractées entre elles. »

Les premières lignes de ce curieux document étaient, en apparence, exactes, mais non point en fait. Sans doute, la dette française ne se trouvait pas inscrite dans les tableaux fournis par les plénipotentiaires néerlandais. S'ils y avaient introduit semblable mention, il eut été trop facile aux plénipotentiaires belges de déjouer la manœuvre et de prouver à la Conférence qu'on tentait de l'induire en erreur. Les représentants du roi Guillaume agirent avec plus de (page 147) malhonnête astuce. Ce fut à leur secrète suggestion que les cinq cours imposèrent à la Belgique ce qu'elles appelaient un complément de charge. Jamais les plénipotentiaires belges ne reçurent communication des pièces confidentielles dont on munit la Conférence au sujet de cette prétendue dette et ils n'eurent connaissance de l'origine du surcroît de charge frappant leur pays que par le memorandum annexé au protocole n° 48, protocole et memorandum qui ne furent eux-mêmes notifiés au gouvernement belge qu'après la rédaction et la signification des XXIV articles. Le cabinet de Bruxelles, avant de convertir ces articles en traité avec les cinq Puissances, envoya M. de Penaranda à Londres et le chargea de donner à lord Palmerston, sur la dette dite française, toutes les explications propres à faire revenir la Conférence de la décision qu'elle avait prise. Le délégué belge reçut comme réponse que ni le fond ni la lettre des XXIV articles ne pouvaient plus être modifiés et ses démarches demeurèrent inutiles (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, l0 août 1838).

Les circonstances dans lesquelles la dette française avait été inscrite au passif de la Belgique, donnaient donc parfaitement à celle-ci le droit, en invoquant l'esprit du protocole n° 48, de démontrer son inexistence.

La suite de la lettre de M. de Bülow disait clairement qu'existant ou non, les dettes austro-belges et française n'étaient qu'un prétexte qui avait servi à la Conférence pour dissimuler, sous une apparence de stricte justice, sa volonté de décharger la Hollande d'une partie de son passif pour l'imposer à la Belgique. En réalité, les plénipotentiaires de Londres avaient joué en 1831 la comédie pour l'Europe.

En 1815, le Congrès de Vienne donna la Belgique à la Hollande afin de dédommager cette dernière des sacrifices pécuniaires et coloniaux qu'on lui imposait en faveur de l'Angleterre et d'autres États. La révolution de 1830 privait le roi Guillaume de ces dédommagements. Les Puissances avaient dû consentir à notre indépendance. Mais celles qui, en 1815, s'étaient enrichies au détriment des Pays-Bas, ne donnèrent pas leur acquiescement sans éprouver quelques remords puisqu'elles gardaient, elles, le profit tiré du Congrès de Vienne. Alors, pour calmer leur conscience, légèrement inquiète, elles s'étaient décidées à charger la Belgique, qui n'avait jamais eu son mot à dire aux combinaisons de politique européenne et n'y avait aucune responsabilité, d'indemniser à leur place la Hollande.

C'était par conséquent notre or qui devait permettre à la Grande-Bretagne de jouir sans arrière-pensée des colonies enlevées aux Pays-Bas et soulager l'Autriche du poids de dettes contractées pour (page 148) le seul intérêt du Saint-Empire. Lord Palmerston ne tarda pas à confirmer sur ce point les allégations de M. de Bülow.

6. Propositions austro-prussiennes pour la liquidation de la dette et les arrérages

Le plénipotentiaire prussien avait accompagné le mémoire des représentants des cours du nord de propositions qui modifiaient en plusieurs points la rédaction de l'article 13 du traité du 15 novembre 1831. Ces propositions réduisaient, « eu égard aux titres de compensation allégués par la Belgique », la somme que celle-ci devait à la Hollande pour les arrérages au chiffre de 9,800,000 florins, sans accompagner ce chiffre d'aucune justification.

Mais s'il faisait cette concession, d'autre part le diplomate prussien voulait, dans une certaine mesure, augmenter le chiffre de la dette. Le § 5 de l'article 13 du traité du 15 novembre avait décidé que de la liquidation du syndicat d'amortissement il ne pourrait résulter aucune charge nouvelle pour la Belgique, la somme de 8,400,000 florins de rente annuelle comprenant le total de son passif. M. de Bülow, répondant aux désirs constants du roi Guillaume, au contraire proposait de décréter dans le nouveau traité que si cette liquidation. donnait un résultat en faveur de la Hollande, ce résultat « serait évalué en intérêts annuels à 4 % pour être la somme des dits intérêts ajoutés à la rente annuelle de 8,400,000 florins à la charge de la Belgique, et ce à dater du jour de la liquidation arrêtée, soit par accord entre les commissaires, soit par décision des Puissances. »

Que faisait-il, en émettant cette proposition, du principe que jusque-là il avait si souvent défendu en faveur du souverain des Pays-Bas, c'est-à-dire que les XXIV articles contenaient, en matière financière aussi bien qu'en matière territoriale, les décisions finales et irrévocables de l'Europe ? Il est singulier que M. de Bülow consentait à abandonner ce principe dès qu'il s'agissait d'augmenter les charges pesant sur la nouvelle monarchie !

Il est vrai qu'il proposait également de dire que « si au contraire, il résultait de ce bilan un surplus en faveur de la Belgique, le montant de celui-ci serait de même évalué en intérêts annuels au taux de 4 % pour être la somme de ces intérêts retranchés de la rente annuelle de 8,100,000 florins due par la Belgique, laquelle en demeurerait ainsi déchargée jusqu'à concurrence de la dite somme d'intérêts ».

Mais, par cette proposition, il n'introduisait aucune modification de principe dans les XXIV articles.

Ceux-ci avaient reconnu notre droit de profiter de l'actif éventuel du syndicat. M. de Bülow ne faisait que régler la manière dont cet actif nous serait payé.

Le 20 août, MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin eurent avec lord Palmerston une entrevue qui dura trois heures.

L'entretien porta sur le mémoire de la commission financière belge (page 149) et sur la réponse qu'y avaient faite les plénipotentiaires du nord. Le ministre anglais ne s'arrêta pas aux fins de non-recevoir de ces derniers ni à leurs observations générales. Il ne fit que rire de l'article relatif au 9,800,000 florins à payer par la Belgique à la Hollande pour les arrérages. Il aborda les trois points principaux, c'est-à-dire les chiffres de 68, 110 et 30 millions. Il entra dans les détails les plus minutieux sur tout ce qui pouvait lui donner une idée de l'institution du syndicat dans ses rapports avec le trésor et la dette publique de l'État, et il parut tout à fait convaincu qu'avant de pouvoir porter aucune portion de ces chiffres au passif de la Belgique, la liquidation du syndicat était indispensable (Lettre de MM. Fallon et Dujardin à. M. de Theux, 21 août 1838). En somme, lord Palmerston parut se rallier presque entièrement à l'avis de ses interlocuteurs.

« En résumé, leur dit-il, la Hollande voudrait que, dès à présent, la Belgique contractât l'obligation de payer annuellement 8,400,000 florins, sauf à obtenir plus tard, au moyen de la liquidation du syndicat, une diminution éventuelle. Mais si l'on remet cette opération après la signature du traité, mille difficultés vous seront suscitées et la Conférence, à qui l'on voudrait faire reprendre les fonctions arbitrales, serait de nouveau appelée, dans trois ou six mois, à prononcer un jugement en dernier ressort. C'est là un arrangement qui ne saurait vous convenir. Il faut que, dès à présent, l'on procède à la liquidation du syndicat, ou bien que la Belgique renonce à cette liquidation, à condition que l'on défalquera de la dette toutes les sommes qui font partie de la dotation de cet établissement. Il me semble que ce dernier arrangement vous serait plus avantageux que le premier. »

7. Lord Palmerston se refuse à la révision des dettes autrichienne et française. Proposition d'une cote mal taillée

Mais cette proposition ne donnait pas satisfaction à la Belgique pour ce qui concernait les dettes austro-belge et française. A l'objection qui lui fut faite, lord Palmerston répondit :

« A cet égard, la Conférence elle-même ne peut pas revenir sur le jugement arbitral qu'elle a porté. Les motifs de ce jugement sont consignés dans le memorandum du 7 octobre 1831, et vous ne seriez point admis à en discuter le mérite. Ce sont des considérations de haute politique. qui ont présidé à cette décision : le chiffre de la dette qui vous est imposée était une condition « sine qua non » de votre reconnaissance et de votre indépendance ; et jamais les cinq Puissances ne seraient arrivées à aucun accord parfait à cet égard, si l'on n'avait donné à la Hollande l'espèce de compensation à laquelle nous avons tous reconnu qu'elle avait droit » (Lettre de M. van de Weyer à. M. de Theux, 21 août 1838).

C'est en vain que MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin combattirent cette manière de voir. Lord Palmerston resta inébranlable. Ses interlocuteurs purent se convaincre qu'il admettait comme justes et vraies les observations faites à cet égard par M. de Bülow (Lettre de M. van de Weyer à. M. de Theux, 21 août 1838 ; lettre de MM. Fallon et Dujardin à M. de Theux, 21 août 1838).

(page 150) Dans la conversation, lord Palmerston demanda si la Belgique se prêterait à une combinaison qui aurait pour objet la renonciation de sa part à la liquidation du syndicat moyennant une somme à convenir et à quel chiffre elle fixerait cette somme. Ni M. van de Weyer, ni MM. Fallon et Dujardin n'avaient d'instructions pour donner suite à une proposition aussi imprévue. Aussi se contentèrent-ils de répondre qu'ils ne croyaient pas à un refus du cabinet de Bruxelles d'entrer en négociation sur ce point, mais qu'il leur semblait que, dans tous les cas, une renonciation telle que celle demandée à la Belgique devait avoir au moins pour effet d'amener le retranchement dans le chiffre de la dette de tout ce qui avait rapport au syndicat.

L'entretien sur ce sujet ne fut pas poussé plus loin ce jour-là (Lettre de MM. Fallon et Dujardin au chevalier de Theux, 31 août 1838).

En sortant du Foreign Office, M. van de Weyer se hâta de se rendre chez le général Sebastiani pour lui exposer ce que lord Palmerston venait de dire au sujet de la dette austro-belge et de la dette française. Ces révélations, dont la portée était grave pour la Belgique, le préoccupaient fort. Il insista vivement près de l'ambassadeur français afin que celui-ci obtînt de faire porter la révision également sur le chiffre de ces deux dettes. Mais, dés le lendemain matin, le général lui fit savoir que lui aussi avait trouvé une résistance invincible sur ce point chez lord Palmerston. Celui-ci « opposait à tous les raisonnements la force de la chose jugée et jugée pour des motifs dont le poids et l'importance avaient été appréciés par la France elle-même » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 août 1838).

Le 20 août au soir, MM. de Senfit et de Bülow avaient livré au ministre anglais un violent assaut dans l'espoir de l'amener à prendre leur proposition en considération. Le 21 M. van de Weyer passa cinq heures à réfuter leurs objections verbales. Il fit comprendre à lord Palmerston combien les propositions austro-prussiennes étaient dangereuses, inadmissibles, impolitiques. Il lui montra qu'au fond elles ne décidaient rien ; qu'elles auraient, si on les adoptait, pour résultat de frapper la Belgique d'une dette certaine et perpétuel1e, sans autre compensation qu'une liquidation qu'on pourrait rendre illusoire et qu'un bénéfice d'autant plus éventuel qu'on le subordonnerait à une nouvelle décision arbitrale de la Conférence. Le ministre reconnut à nouveau, comme il l'avait fait déjà dans l'entrevue précédente, à laquelle elle avaient pris part MM. Fallon et Dujardin, la justesse de ces observations. Le général Sebastiani qui assistait à l'entretien, appuya puissamment la plaidoirie de M. van de Weyer (Lettre de MM. Fallon et Dujardin au chevalier de Theux 21 août 1838).

(page 151) Lord Palmerston revint alors sur l'idée qu'il n'avait fait qu'esquisser incidemment la veille. « Je ne vois, dit-il, d'autre moyen pratique d'en finir que de convenir d'une somme transactionnelle que vous fixeriez et pour laquelle vous renonceriez à la liquidation du syndicat. De cette manière, le chiffre de la dette se trouverait diminué, et toutes les difficultés extérieures seraient aplanies et le traité définitif pourrait se conclure immédiatement. MM. Fallon et Dujardin pourraient-ils confidentiellement fixer, d'une manière approximative, la somme que vous supposez qui doit vous revenir de la liquidation du syndicat ? »

M. van de Weyer répondit que M. Fallon et M. Dujardin n'avaient d'autre mission que celle de fournir des éclaircissements à l'appui du rapport de la commission financière et qu'ils sortiraient de leur rôle en proposant les éléments d'une transaction. Le diplomate se hâta d'ajouter que la proposition de lord Palmerston, toute officieuse qu'elle fût, pourrait peut-être cependant, si elle était discutée en conseil, obtenir l'agrément du gouvernement du roi. Il proposa de renvoyer MM. Fallon et Dujardin à Bruxelles, persuadé qu'ils ne tarderaient pas à revenir avec une réponse sur le projet d'accommodement.

Mais cette procédure présentait pour lord Palmerston l'inconvénient de faire perdre du temps à la Conférence, alors qu'elle avait hâte d'en finir .

(Note de bas de page) « On écrit de Berlin que les lenteurs des négociations et les difficultés que l'on entrevoit de la mener à bonne fin, jettent M. le baron de Werther dans de vives impatiences, tantôt dans un complet abattement. Il veut à tout prix une prompte solution, et il croit pouvoir la faciliter en cherchant à jeter de la défiance entre les deux Puissances qui nous prêtent leur appui, en louant outre mesure, aux dépens de la France, les bonnes dispositions de lord Palmerston. Le mot d'ordre avait été donné à Töplitz, et ce thème avait été répété trop souvent et avec trop d'affectation pour pouvoir produire d'ailleurs l'effet que l'on s'en promettait. » Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux du 22 août 1838. (Fin de la note).

MM. de Senfft et de Bülow se montraient de plus en plus pressants. « Voyez, dit le ministre anglais en matière de conclusion, consultez MM. Fallon et Dujardin et faites-moi savoir demain ce qu'ils se croient autorisés à faire. Comprenez bien que cela ne vous engage à rien, et que tout se réduirait à un renseignement purement confidentiel. »

Il est presque inutile de dire que les deux délégués financiers, ne purent que se ranger à l'avis de M. van de Weyer, que se refuser à indiquer n'importe quel chiffre transactionnel (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 21 août 1838). Bien que lord Palmerston le leur demandât à titre absolument officieux et confidentiel, il est certain qu'une fois en possession de ce chiffre, il aurait pressenti à son sujet les plénipotentiaires des cours du nord et que ceux-ci n'auraient pas eu de peine à découvrir qui l'avait mis en (page 152) avant. Par la fixation demandée qui aurait été faite par des agents non autorisés à cet effet, mais dont nos adversaires se seraient plus à affirmer la compétence, la Belgique se serait trouvée en quelque sorte liée si elle avait consenti à entrer dans la voie transactionnelle qu'on lui ouvrait. MM. Fallon et Dujardin auraient vinculé d'avance dans une large mesure la liberté de leur gouvernement

On peut se demander quels motifs portèrent lord Palmerston à suggérer ce nouveau mode de donner une solution à la partie financière du problème hollando-belge. Il semble que le rapport de la commission avait fait sur lui une profonde impression. Il y trouvait la preuve de grandes injustices commises au détriment de la Belgique. Rien que la liquidation du syndicat, opérée avec la plus simple équité, devait diminuer dans des proportions énormes la charge imposée à ce royaume et augmenter dans la même proportion la dette néerlandaise. Le redressement des erreurs aurait mis à mal les finances hollandaises et compromis par contre-coup les intérêts de nombreux créanciers anglais du roi Guillaume. Une transaction amenant des sacrifices de part et d'autre, pouvait atténuer les, inconvénients de cette situation.. D'autre part, bien que lord Palmerston se retranchât derrière une fin de non-recevoir, tout comme les plénipotentiaires du nord, pour écarter la révision de la dette austro-belge et française, il lui eut été très désagréable de voir discuter dans la presse et le public les motifs de son refus. Il ne pouvait nier que ces deux dettes n'existassent point et il lui en aurait coûté de devoir avouer qu'elles étaient un prétexte imaginé par la Conférence pour forcer la petite Belgique à dédommager la Hollande de l'acquisition de ses colonies par la puissante Angleterre. Un compromis étoufferait semblable discussion. La Belgique n'aurait plus eu d'intérêt à la provoquer si elle avait accepté de bonne grâce un expédient plus libéral pour ses intérêts que la décision prise par les XXIV articles. Lord Palmerston ne se dissimulait pas non plus que s'il soutenait la Belgique énergiquement en tout ou dans la plus grande partie de ses intérêts pécuniaires, les Puissances du nord, liées à la cause néerlandaise, se seraient peut-être décidées à provoquer la dissolution de la Conférence, ce qui à ses yeux aurait pu compromettre la paix européenne, ou amener, en tous cas, la Prusse et l'Autriche à se séparer complètement de 1'Angleterre, alors que celle-ci cherchait précisément à se rapprocher d'elles en vue de la question d'Orient, à laque1le elle se préparait à donner une solution contraire aux aspirations de la France.

M. van de Weyer se rendit de nouveau au Foreign Office le 23 août. C'est alors que lord Palmerston lui fit la déclaration, rapportée plus haut, au sujet de l'impossibilité pour la Belgique d'obtenir la (page 153) conservation du Limbourg et du Luxembourg au moyen de négociations sur le chiffre de la dette. Puis, ayant abandonné ce sujet, le ministre britannique aborda une fois de plus la question de la dette et de la liquidation du syndicat.

« Après y avoir mûrement réfléchi, dit-il, nous sommes convaincus, le général Sebastiani et moi, que le seul moyen d'en finir d'une manière favorable à la Belgique, c'est de proposer la transaction dont je vous ai parlé hier. Vous me dites que MM. Fallon et Dujardin, liés par leur mandat et par le travail de la commission dont ils ont eux-mêmes fait partie, ne sont point autorisés à nous soumettre, même confidentiellement, un chiffre approximatif qui pût servir de base à une transaction. Il faut en revenir à l'idée que vous aviez émise hier, faire partir ces Messieurs pour Bruxelles, leur recommander la plus grande discrétion, afin que les journaux et le public ne s'emparent point d'une question qui n'est même pas ici parvenue à un degré suffisant de maturité, et demander au gouvernement belge qu'il fixe ses idées, et qu'il fournisse lui-même les éléments d'une solution. »

En même temps, lord Palmerston exprima le désir d'avoir encore une conversation avec MM. Fallon et Dujardin sur les ressources et l'avoir du syndicat.

8. Le général Sebastiani et les dettes autrichienne et française

Avant cette entrevue, les deux délégués belges discutèrent encore avec le général Sebastiani la question des dettes dans tous ses détails et spécialement celle de la dette franco-belge. L'ambassadeur français paraissait avoir été impressionné par les considérations politiques développées par le baron de Bülow, considérations qui auraient motivé, en 1831, la décision de la Conférence au sujet de cette dette. Ses interlocuteurs retirèrent de son attitude et de son langage l'impression qu'il avait reçu de Paris la confirmation des faits invoqués par le plénipotentiaire de Prusse et acquis la certitude que la France elle-même, afin de conserver Arlon à la Belgique, avait consenti à ce qu'on employât un chiffre fictif pour majorer la part de notre pays dans la dette du Royaume néerlandais.

La réalité des faits ne correspondait cependant pas à cette induction. Au contraire, les assertions du baron de Bülow furent fort mal accueillies par le comte Molé.

« De tels arguments, écrivait ce ministre le 27 août au comte Sebastiani, je ne vous le cacherai pas, me causent une réelle surprise ; ceux qui les mettent en avant, en ont-ils bien compris toute la portée ? Se rendent-ils compte de l'impression qu'ils produiraient sur les esprits si on venait à les rendre publics ? Et il le faudrait bien dans le cas où la détermination, à l'appui de laquelle on les invoque, finirait par être adoptée. De tels aveux présenteraient-ils les travaux de la Conférence sous un aspect bien sérieux, bien propre à la faire respecter ? Ces motifs ont été complètement étrangers aux résolutions du gouvernement du roi, qui, en s'associant aux (page 154) actes de la Conférence, a cru sanctionner des décisions rendues dans un esprit d'entière bonne foi (...) Je crois qu'en 1831, les autres cours étaient d'aussi bonne foi que nous dans la persuasion que les documents fournis par la Hollande étaient à peu près véridiques. S'il en eût été autrement, si elles eussent voulu par une confusion calculée ménager au cabinet de La Haye les énormes bénéfices que la lettre des XXIV articles lui accorde en réalité au détriment de la Belgique, elles n'auraient pas fait exprimer dans le protocole du 6 octobre la clause très significative qui, stipulant une bonification en faveur de la Hollande, tant pour les avantages de navigation et de commerce concédés aux Belges, que pour les sacrifices de divers genres que la séparation avait amenés pour elle, limitait cette indemnité à 600.000 florins de rentes. Il était impossible d'établir plus positivement que tout le reste de la somme devait résulter de titres positifs et spéciaux. » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 126-128).

Les interlocuteurs du général lui firent observer que dans le cas où la Conférence aurait voulu faire revivre une dette éteinte, elle ne pouvait cependant rendre l'existence qu'à ce qui avait été. La dette française n'avait jamais atteint que la moitié du chiffre fixé. Les plénipotentiaires ne devaient donc, en tout état de cause, imposer à la Belgique qu'un surcroît de charges de deux millions et non de quatre. Ces observations aussi furent accueillies par le général d'une manière révélatrice de sa conviction que la Belgique avait sur ce point fort peu de chances de succès (Lettre de M. van de Weyer à M. de Theux, 22 août 1838).

9. Nouvelle proposition transactionnelle de lord Palmerston. M. de Senfft et de Bülow acceptent la proposition d'une cote mal taillée et la réduction de la dette belge. Les envoyés belges décident d'en référer à leur gouvernement

Cette entrevue avec l'ambassadeur de France était à peine terminée que lord Palmerston communiquait à M. van de Weyer une note au sujet des arrérages et une nouvelle série de propositions rédigées par MM. de Senfft et de Bülow.

Le premier de ces documents ne reconnaissait à la Belgique le droit de se refuser à payer les arrérages que pour la période comprise entre le 11 juillet 1832, date à laquelle la Conférence avait garanti à notre pays l'exécution des XXIV articles, et le ler juin 1833, date de la ratification de la convention du 2l mai précédent.

La Hollande était par conséquent qualifiée pour réclamer à ses anciens sujets 54,000,000 de florins. MM. de Senfft et de Bülow se basaient sur ces calculs pour faire valoir l'esprit de conciliation et de modération montré par le roi des Pays-Bas, qui était prêt à se contenter d'une somme de 9,800,000 florins.

Quant aux propositions qui accompagnaient cette note, elles maintenaient l'obligation, pour la Belgique, de payer les 9,800,000 florins en question, fixaient pour le paiement de cette somme l'époque où aurait été terminée la liquidation du syndicat d'amortissement et inscrivaient, à l'actif et au passif de cet établissement, les emprunts (page 155) de 110 et 30 millions créés par les lois du 27 décembre 1822 et du 24 mai 1830, bien qu'ils figurassent déjà sur la liste des dettes des Pays-Bas dont la Belgique devait supporter la moitié.

Sans doute, le texte des propositions de M. de Senfft et de M. de Bülow ne parlait formellement des fonds provenant des emprunts de 1822 et de 1830 que pour l'actif du syndicat, mais la suite de l'article indique que le passif en devait également être affecté. En effet, on ne proposait d'inscrire les deux emprunts dans l'actif que pour autant « que les dits fonds, emprunts et crédits, n'auront pas été aliénés ou émis et employés aux usages respectifs déterminés par la loi, avant le 1er novembre 1830 ». Les sommes empruntées disparaissaient donc de l'actif du syndicat dans la proportion où elles avaient été employées. Elles faisaient ainsi l'objet d'un double passif, la première fois en totalité dans le tableau des emprunts du royaume des Pays-Bas, la seconde fois en majeure partie dans le compte de liquidation du syndicat. Celui-ci, pour établir son actif, devait commencer par défalquer des sommes mises à sa disposition celles dont il avait légalement usé. On arrivait ainsi à faire payer deux fois à la Belgique la moitié des emprunts de 1822 et de 1830. On n'en aurait déduit qu'une somme de onze millions environ provenant d'un reliquat de vingt-deux millions sur l'emprunt de 1822. Si nous ne nous trompons, MM. Fallon et Dujardin soutinrent que, si l'on inscrivait parmi les dettes dont la moitié devait être supportée par la Belgique l'emprunt de 1822, on devait inscrire à l'actif du syndicat non seulement les 22 millions de dette non émise, mais aussi les 88 millions de dette hollandaise différée rachetés au profit exclusif de la Hollande au moyen de l'emprunt de 110 millions. Mais cela ne rentrait pas dans les tendances des plénipotentiaires du nord. Selon eux, les quatre-vingt huit millions de l'emprunt de 1822 ayant été employés « aux usages déterminés par la loi » du 27 décembre, il ne pouvait plus en être tenu compte dans l'actif du syndicat. Pour nous résumer, la combinaison imaginée par MM. de Senfft et de Bülow aboutissait au résultat d'inscrire au passif de la Belgique quatre-vingt dix-neuf millions sur les cent et dix stipulés par la loi de 1822. Les XXIV articles, en comprenant l'emprunt de 110 millions parmi les dettes à diviser également entre la Belgique et la Hollande, avaient violé le principe que la Conférence avait proclamé et en vertu duquel chacun des deux pays devait supporter le poids entier de celles de ses dettes contractées avant la réunion. Que serait-il resté de la règle du partage égal des dettes contractées en commun si la Conférence avait adopté le texte que voulaient lui soumettre les plénipotentiaires de la Prusse et de l'Autriche ?

MM. de Senfft et de Bülow terminaient leurs propositions, comme (page 156) ils l'avaient fait dans le premier projet soumis à lord Palmerston, en exigeant, contrairement aux XXIV articles, que si la liquidation du syndicat amenait un résultat défavorable à la Hollande (et, comme nous venons de le voir, ils violaient les principes de la plus élémentaire équité pour amener ce résultat), la Belgique aurait à en supporter les conséquences par une augmentation du chiffre de la dette fixée par le traité du 15 novembre 183I.

Selon l'expression même de MM. de Senfft et de Bülow, la détermination prise par la Conférence dans ce traité au sujet du partage des dettes, se fondait principalement sur des considérations d'équité et de politique (Note sur « La dette inscrite au Grand-Livre de l'Empire français »). Nul motif donc, à leur avis, ne pouvait en justifier en 1838 la modification au détriment de la Hollande. Mais quand on avait attribué des avantages relatifs à la Belgique, ne s'était-on pas aussi inspiré de motifs d'équité ? Sans doute. Pourquoi, dans ce cas, ce qui avait été équitable en 1831, ne l'était-il plus en 1838, alors que la Belgique n'avait certes pas, par sa soumission manifestée jusqu'alors aux volontés de l'Europe tandis que la Hollande les avait toujours bravées, démérité de l'estime générale ? La réponse à cette question ne sera certes pas au profit de l'impartialité dont se trouvaient animés MM. de Senfft et de Bülow.

MM. van de Weyer, Fallon et Dujardin s'empressèrent d'exposer au général Sebastiani, verbalement et par écrit, la réponse qu'ils croyaient devoir faire aux propositions de MM. de Senfft et de Bülow. L'ambassadeur de France se « montra hautement satisfait » du mémoire dont il lui fut donné lecture. Au Foreign Office, lord Palmerston prit aussi connaissance du travail des envoyés belges et le discuta avec eux (Note de bas de page : Le texte de ce Mémoire se trouve au tome 1er, page 60, de l'Histoire parlementaire du traité de paix du 19 avril 1839).

Les observations faites sur les inconvénients d'une liquidation postérieure à la signature du traité frappèrent une fois de plus le ministre anglais.

(Note de bas de page) MM. Fallon et Dujardin disaient, dans leur réponse à MM. De Senfft et de Bülow : « La disposition de cet article est en contre-sens avec l'opération subséquente à laquelle on subordonne le règlement du chiffre. Cette manière d'opérer est inexplicable. Sauf le cas où il s'agit d'une dette contestée et entièrement liquide, on ne commence pas par formuler le chiffre de la dette avant de l'avoir ca1culée, pas plus qu'en bonne règle de raison on ne débute par poser en fait ce qui est en question. Il y a enfin quelque chose de trop offensant pour la partie avec laquelle on doit compter, que de lui proposer de se soumettre d'abord, par se constituer débitrice des sommes qui sont en contestation sauf à examiner ensuite si la dette s'élève effectivement au chiffre auquel on lui demande de souscrire avant toute vérification. Dès lors que les auteurs de la proposition admettent le principe d'une liquidation préalable à toute exécution, ils reconnaissent que la dette n'est pas liquide, et cette reconnaissance emporte l'obligation de commencer par liquider, On ne fait qu'intervertir les idées, On ne fait que des mots, en constituant d'abord, sous une formule définitive, la Belgique débitrice d'une dette au montant de 8.400.000 florins, tout en réservant d'augmenter ou de diminuer le chiffre par un traité postérieur, et suivant le résultat d'une vérification ultérieure. Comme on vient de le faire remarquer, cette marche a d'ailleurs l'inconvénient de multiplier inutilement les projets d'arrangement définitif. » (Fin de la note)

D'un autre côté, il se montra de plus en plus (page 157) convaincu de l'extrême difficulté qu'il y aurait à s'entendre sur les bases d'une liquidation antérieure, et même simplement sur les sommes relatives au syndicat qu'il y aurait à défalquer pour amener une renonciation à la liquidation. Aussi, d'accord avec le général Sebastiani, revint-il avec plus d'insistance qu'auparavant sur sa proposition de transaction, comme seul moyen pratique et raisonnable d'en finir.

A nouveau, il demanda que MM. Fallon et Dujardin indiquassent un chiffre transactionnel approximatif. Mais les deux commissaires, tout en fournissant à lord Palmerston des renseignements pleins de justesse et d'intérêt sur les avantages qui résulteraient pour la Belgique d'une liquidation consciencieusement réalisée, ne purent que se renfermer dans la déclaration faite de leur part par M. van de Weyer, c'est-à-dire que, liés par leur mandat, il ne leur était point permis de sortir des termes du rapport de la commission. Le ministre de Belgique, de son côté, fit observer qu'à lui aussi il était impossible d'exprimer une opinion à cet égard sans avoir consulté d'abord le cabinet de Bruxelles et sans savoir si celui-ci accepterait le principe même d'une transaction. « Il me semble, dit-il, que, dans l'état actuel des choses, la marche la plus prudente serait de suspendre toute négociation jusqu'à ce qu'on fût d'accord sur ce point. MM. Fallon et Dujardin partiraient pour Bruxelles, soumettraient au gouvernement du roi le projet de transaction et, s'il en admettait le principe, contribueraient, par leurs lumières, à déterminer le chiffre transactionnel de manière à produire un résultat définitif. De leur côté, les plénipotentiaires hollandais, ou plutôt MM. de Senfft et de Bülow, pourraient consulter le cabinet de la Haye et recevoir des instructions positives à ce sujet. Car il serait très fâcheux qu'on nous fît nous expliquer sur ce projet de transaction et qu'on laissât à la partie adverse la faculté d'en repousser le principe après que nous l'aurions admis.» Lord Palmerston approuva cette proposition, tout en ne dissimulant pas qu'elle rencontrerait la plus vive opposition chez les plénipotentiaires prussien et autrichien. Il parla de l'insistance que mettaient ces derniers à vouloir maintenir le chiffre de la dette tel que le traité du 15 novembre l'avait fixé, n'admettant une réduction que par l'effet de la liquidation du syndicat d'amortissement.

Il laissa entendre que les représentants des cours du nord (page 158) renonceraient à la partie de leur projet qui prévoyait une augmentation possible du chiffre de la dette.

En examinant ce qui, dans la note qui venait de lui être remise, se rapportait à la dette austro-belge et à la dette française, lord Palmerston revint sur ses précédentes déclarations pour les confirmer.

« Il ne faut pas que vous vous fassiez illusion, répéta-t-il, et que vous vous berciez de l'espoir d' obtenir sur ces deux points la réduction que vous demandez. La Belgique, liée par le traité du 15 novembre, a consenti purement et simplement à payer la somme de 8.400.000 florins par an. Si nous avons admis le principe de la révision de la dette, c'est parce que la Conférence, dans son protocole n° 48, s'est imposé à elle-même l'obligation de réparer les erreurs où elle pourrait avoir été entraînée par les tableaux qui lui ont été fournis. Ce protocole ne donne indirectement un droit à la Belgique que parce que l'une ou l'autre des cinq Puissances peut exiger que l'on remplisse le devoir que ce protocole impose. Mais il n'en est pas de même pour tout ce qui sort de cet acte et de ses annexes. Là, le traité reprend tout son empire et, ni la France, ni l'Angleterre n'ont elles-mêmes aucun titre à invoquer pour exiger des trois autres Puissances que la révision s'étende à cette partie de la dette. Or, pour vous en affranchir, il faut le concours et le consentement des cinq Puissances qui vous l'ont imposée ; et ce consentement, vous l'obtiendrez d'autant moins que le surcroît de dette dont vous vous plaignez est le résultat d'une espèce de transaction entre toutes les parties et en quelque sorte le prix de votre indépendance et des territoires (les douze cantons, Arlon, etc.), qui vous ont été laissés. Ni le protocole n°48, ni le memorandum qui fait suite à cet acte, n'ont été communiqués à la Belgique. Nous puisons dans les principes du premier les moyens pour soutenir votre demande de révision, mais, en même temps, nous ne vous reconnaissons pas le droit d'attaquer le chiffre et les raisonnements du second. Vous avez raison de vous en faire un moyen de discussion ; vous auriez tort de compter sur un résultat favorable à vos vues » (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 24 août 1838).

M. van de Weyer écrivait au chevalier de Theux que ce système paraissait être celui de tous les plénipotentiaires de la Conférence, mais il n'était pas celui de tous les gouvernements représentés à la Conférence. La France ne l'acceptait pas.

10. Jugement du comte Molé sur les motifs du partage de la dette en 1831

Le contenu des rapports de M. van de Weyer avait été communiqué à M. le Hon et celui-ci en fit le sujet d'entretiens avec le comte Molé. Il reçut du ministre français l'assurance que les instructions données au comte Sebastiani étaient toujours restées conformes aux intérêts et aux désirs de la Belgique. Le gouvernement de Louis-Philippe n'admettait pas la distinction que lord Palmerston (page 159) voulait établir entre une dette révisible et une dette non révisible, Son ambassadeur à Londres avait reçu mission de faire observer au cabinet de Saint-James que les deux millions de florins (ou 4,000,000 de francs) de la dette inscrite au grand-livre de la France, et les 750.000 florins de la dette austro-belge, s'étaient trouvés mis à notre charge à titre de passif propre à la Belgique et comme élément obligatoire de liquidation. La vérité de cette assertion résultait expressément du protocole n°48 et par ce seul motif la rectification de ces deux articles était nécessaire, inévitable dans le cas où l'on démontrerait que les chiffres manquaient d'exactitude. Si l'adjonction des dits articles, disait aussi le ministre français, à ceux consignés dans les tableaux des plénipotentiaires néerlandais, avait eu une cause politique tenue secrète en 1831, cette cause n'était pas plus avouable en 1838 que lors du traité, et surtout, elle n'était pas opposable au principe de la révision quand la Belgique appuyait sa demande sur le protocole n°48 ainsi que sur les règles les plus incontestables en matière de liquidation. Comme conséquence de ces considérations, le général Sebastiani devait insister sur la révision préalable des articles des tableaux néerlandais puisqu'elle ne pouvait être l'objet d'un doute quant à ces derniers ; il n'y avait pas, d'après le comte Molé, lieu à transaction à leur égard si les preuves des griefs belges étaient apportées ; il fallait attendre que les points de difficulté réelle fussent connus et réservés pour discuter, seulement en ce qui les concernait, la question d'une liquidation à forfait (Lettre du comte le Hon au chevalier de Theux, 1er septembre 1838). (Note de bas de page : Le comte le Hon complète l'exposé des instructions données au général Sebastiani en disant : «Ces instructions ont été suspendues par l'effet de l'accession des cours du nord au système d'une transaction générale et immédiate »).

La dépêche du comte le Hon, qui rapporte ces détails, contient aussi des considérations intéressantes sur les motifs qui dictaient la politique anglaise et sur l'attitude que cette politique paraissait indiquer à la Belgique de prendre dans la question de la dette.

« Dans ma pensée, écrit le ministre du roi Léopold à Paris, lord Palmerston n'a pas dit le vrai motif de sa répugnance à la révision des 2.750.000 florins, chiffre total et approximatif des deux articles, Il est probable que l'Angleterre, en 1831, a concouru de toute son influence à faire allouer les deux sommes au roi de Hollande comme indemnité, moins de la perte de la Belgique, que de celle des colonies hollandaises cédées à l'Angleterre en 1814 et en considération de l'accroissement du territoire continental obtenu par la Hollande. Les calculs du cabinet de Saint-James, pour amener à cette époque la cession à son profit de quelques colonies néerlandaises, n'ont peut-être pas été étrangers à la manière si étrange dont on a qualifié dans le traité le projet de réunion de la Belgique (page 160) aux provinces bataves ; la Hollande, stipula-t-on alors, recevra un accroissement de territoire.

« Si, en effet, c'est en raison de l'accroissement continental qu'a été demandé et consenti l'amoindrissement colonial, grande a dû être, en 1831, la disposition de l'Angleterre à nous charger de ses indemnités envers la Hollande et, sous ce point de vue, la résistance opiniâtre de lord Palmerston contre toute révision des articles en dehors des tableaux des plénipotentiaires hollandais s'explique tout naturellement.

« Cette conjecture purement confidentielle, si elle était fondée, aurait pour conséquence de ne nous laisser aucun espoir d’emporter la révision rigoureuse du chiffre des dettes française et austro-belge, l'intérêt britannique élevant contre elle un obstacle insurmontable.

« Dans ce cas, s'il m'est donné d'émettre un avis en ce point, la Belgique .aurait intérêt à entrer dans un système de transaction en masse, qui, ne mettant pas le ministère anglais en lutte avec des engagements particuliers et secrets, et son droit en opposition avec ses intérêts, lui laisserait une suffisante liberté d'action pour nous soutenir, pour appuyer avec la France le chiffre de réduction le plus rapproché de l'exacte justice.

« Les ténèbres du syndicat d'amortissement offrent à lord Palmerston un utile refuge contre toute confrontation avec tel ou tel article déterminé et, si je ne me trompe, c'est là le vrai motif du projet de transaction en masse.

« Les cours du nord, vous le savez, ont fini par accueillir cette idée du ministère anglais. Elles redoutent aussi de se trouver en face d'engagements antérieurs inconciliables avec le protocole n°48 et pourtant elles veulent en finir. Je ne suis pas éloigné de penser que nous avons plus à espérer d'elles dans une transaction globale que dans une révision détaillée.

« Au reste, la France, en regardant comme un progrès l'assentiment des cours du nord à une réduction transactionnelle du chiffre de la dette, demeurera fidèle au principe de révision si on ne parvient pas à s'entendre de toute autre manière.

« J’oserais garantir la persistance du ministère français dans cette ligne aussi longtemps que le ministère britannique ne s'unira pas définitivement aux trois cours pour nous imposer une dette onéreuse, quand même. »

La France continuait, en effet, à ce moment, à défendre nos intérêts financiers. Dans une lettre qu'il écrivait le 27 août au général Sebastiani, le comte Molé condamnait vertement les propositions financières des cours du nord. Il les jugeait d'une exécution impossible et il prescrivait à l'ambassadeur de persister à réclamer la révision du partage de la dette (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, p. 131).

Mais M. Sebastiani se trouvait fortement influencé par lord Palmerston aux suggestions duquel il obéissait plus qu'aux instructions de son gouvernement. Nous avons vu qu'il s'était empressé d'appuyer (page 161) les efforts du ministre anglais pour faire admettre par les délégués financiers belges l'idée d'une cote mal taillée. Cette idée n'avait nullement rencontré d'abord l'adhésion du gouvernement français. Le comte Molé s'était empressé d'exposer à son représentant à Londres ses doutes sur l'utilité de semblable proposition. L'énoncé même de la suggestion de faire réduire la dette belge d'une somme déterminée, moyennant la renonciation du cabinet de Bruxelles à sa quote-part dans l'actif du syndicat d'amortissement, lui paraissait équivoque. Si l'on voulait dire que la réduction représenterait purement et simplement cette quote-part, le ministre français estimait que ce serait abandonner le principe de la révision et cela, le gouvernement français ne consentirait pas à l'admettre. Si l'on entendait au contraire que la somme, dont par la transaction proposée, on voulait décharger la Belgique, devait aussi tenir lieu du dégrèvement (Note de bas de page : Le comte Molé écrivait que, si ce dégrèvement devait se borner à 240.000 florins, il serait tout à fait insuffisant.) que la révision réclamée pouvait lui procurer, le comte Molé pensait qu'il fallait, de toute nécessité, commencer par s'entendre, sinon sur tous les détails des créances contestées, au moins sur leurs bases principales. On ne pouvait pas se soustraire à la nécessité d'aborder d'une manière sérieuse les points litigieux : « Quelque disposé que l'on soit à transiger, disait-il, quelqu'empressement que l'on puisse avoir d'en finir, encore faut-il s'être dit sur quoi porte la transaction » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 654, folio 132). Deux mois plus tard, l'homme d'Etat français avait changé d'avis et, le 17 octobre, il écrivait au comte Sebastiani que, à son avis, le seul expédient vraiment concluant serait de fixer une somme en bloc, tout en ajoutant que la France ne pouvait et ne pourrait jamais souffrir qu'il fût fait aucune violence à la Belgique Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 654, folios 218 et 222).

11. Nouvelles propositions austro-prussiennes pour les arrérages et la liquidation de la dette. Les envoyés belges les repoussent

M. de Theux aurait désiré pouvoir conférer avec MM. Fallon et Dujardin sans que lord Palmerston communiquât aux représentants des cours du nord son projet de transaction. Mais le ministre anglais, avant d'avoir reçu l'expression de ce désir, s'était ouvert de son plan à MM. de Senfft et de Bülow. Ces derniers, conscients de l'impossibilité de maintenir leur intransigeance dans la question de la réduction de la dette, s'étaient empressés d'accepter sa suggestion et lui avaient envoyé incontinent des projets de traités à conclure entre la Belgique et les Pays-Bas. Ces traités renouvelaient les XXIV articles, mais en y ajoutant des clauses explicatives et (page 162) additionnelles relatives à la navigation de l'Escaut, à l'époque où commencerait, par la Belgique, le payement de la rente, aux arrérages, à la liquidation du syndicat d'amortissement, au transfert des capitaux et rentes devant retomber à la charge de la Belgique, et aux jugements rendus en matière civile et commerciale dans les parties du Limbourg et du Luxembourg cédées à la Hollande.

Ces articles additionnels étaient identiques aux propositions dont M. van de Weyer avait entretenu le gouvernement belge dans sa dépêche du 22 août. Ils n'en différaient que par un point : c'est que les litiges éventuels entre les commissaires chargés de la liquidation du syndicat devraient être soumis, non plus à l'arbitrage de la Conférence, mais à un arbitre unique à désigner ultérieurement. Contrairement à ce que lord Palmerston avait dit au ministre de Belgique, les plénipotentiaires du nord n'abandonnaient pas le projet de nous faire payer, pour nous libérer des arrérages, la somme de 9.800.000 florins.

En outre, on laissait au roi des Pays-Bas la faculté de remplacer ceux des articles additionnels et explicatifs se rapportant à la question financière, par une disposition qui supprimait entre la Belgique et la Hollande le partage de l'actif et du passif du syndicat moyennant, pour la première, la réduction de sa dette à un chiffre qu'elle était invitée à proposer.

Ces propositions équivalaient à une victoire réelle pour la Belgique. En effet, pour la première fois, les Puissances du nord admettaient, sinon le principe de la révision de la dette, du moins celui de sa réduction.

13. La Conférence veut poursuivre l'examen du traité. Vive opposition de M. van de Weyer. Léopold Ier décide de cesser provisoirement toute négociation

Mais, en attendant que le gouvernement du roi Léopold se fut prononcé sur la transaction proposée, MM. de Senfft et de Bülow, soutenus cette fois complètement par lord Palmerston, voulaient que les négociations se poursuivissent sur les autres points litigieux des XXIV articles. Comme on le sait, cette procédure était tout à fait contraire aux aspirations du cabinet de Bruxelles, désireux de voir décider avant tout la question financière.

« Tout nous fait un devoir, répondit lord Palmerston aux observations que lui adressait à ce sujet M. van de Weyer, d'employer l'intervalle qui va s'écouler entre l'envoi du projet à Bruxelles et l'arrivée de la réponse de votre gouvernement, à arrêter la rédaction définitive de tous les articles qui doivent faire partie de votre traité avec la Hollande. Je m'attends donc à recevoir de vous, dans le plus bref délai possible, un article complet sur la navigation de l'Escaut d'abord, et ensuite des projets de stipulation sur tous les autres points.

« L'objection que vous me faites que ce serait intervertir l'ordre des idées, et vous forcer à parapher les sept premiers articles du traité avant (page 163) d'avoir obtenu satisfaction sur vos réclamations relatives à la dette, cette objection n'en est plus une. Car, en premier lieu, ces articles sont la reproduction textuelle du traité du 15 novembre ; ce traité vous l'avez accepté et ratifié ; et, en second lieu, le tout a été paraphé déjà dans la négociation de 1833. Dès cette époque et, surtout pendant les trois derniers mois qui viennent de s'écouler, la France et la Grande Bretagne n'ont cessé de répéter à la Belgique qu'en ce qui concerne les stipulations territoriales, le traité du 15 novembre ne saurait subir de modifications, qu'elles sont finales et irrévocables, et qu'un nouveau sacrifice, égal même aux 8.400.000 florins primitivement imposés, ne serait accepté, ni par la Hollande, ni par la Confédération germanique, pour laisser la Belgique en possession des parties cédées du Limbourg et du Luxembourg. Il faut donc que l'on renonce à Bruxelles, et d'une manière formelle, à tout espoir à cet égard ; que l'on respecte les engagements contractés, et que l'on s'exécute de bonne foi. D'ailleurs, la liquidation préalable du syndicat d'amortissement serait elle-même subordonnée à la signature du traité, c'est-à-dire que cette liquidation ne pourrait avoir lieu qu'après que les deux parties auraient paraphé tous les autres articles du traité. L'exécution seule en serait différée jusqu'à ce que cette opération fût terminée ; et force nous serait même de fixer un terme endéans duquel elle devrait avoir lieu. De quelque côté donc que vous envisagiez la question, il vous est impossible de vous soustraire à l'obligation d'entrer en négociation sur les autres points, de nous soumettre des projets d'articles, en réponse à ceux qui nous sont proposés par l'autre partie, et de considérer comme irrévocablement arrêtés les articles qui ont été paraphés en 1833 (Lettre de M. van de Weyer au chevalier de Theux, 28 août 1838).

Cette déclaration mit M. van de Weyer dans une grande agitation et beaucoup d'embarras. La lettre, par laquelle il en rendit compte à son gouvernement, manifeste l'état d'anxiété dans lequel il se trouvait en ce moment en quelque sorte décisif.

« En présence d'une déclaration aussi formelle, disait-il, le 26 août, à M. de Theux, d'un plan de négociation aussi formellement arrêté, il est impossible que je reste envers lord Palmerston dans la position où m'a placé jusqu'à présent le système que nous avons suivi. Il faut que le gouvernement du roi prenne cette position, qui est aussi la sienne, en sérieuse considération. Je l'ai défendue, jusqu'aujourd'hui de toutes mes facultés, mais je sens que je ne puis plus, sans nuire à d'autres intérêts me maintenir sur ce terrain. Il faut, Monsieur le Ministre, que le gouvernement du roi se demande s'il peut et doit déclarer qu'il considère comme nul et non avenu tout ce qui s'est fait en 1833, que les instructions et les pouvoirs donnés à cette époque aux plénipotentiaires du roi sont annulés et révoqués, et qu'en conséquence il se refuse à négocier sur, tout autre point que sur celui de la dette. Le moment est venu où le (page 164) Conseil doit se prononcer à cet égard ; pour moi, je ne dois point lui dissimuler qu'un pareil système serait vivement combattu par la France et la Grande-Bretagne, puissances qui, aux termes de l'article 5 de la convention du 21 mai, se sont spécialement engagées à s'occuper sans délai du traité définitif qui doit régler les relations entre les Etats du roi des Pays-Bas et la Belgique.

« Je ne puis assez le répéter, Monsieur le Ministre, il est de la plus haute importance, dans l'intérêt du traité définitif, qui doit régler nos relations avec la Hollande, que le gouvernement du roi fixe bien ses idées sur tout ce qui précède, que je reçoive, ou des instructions complètes et positives qui me permettent de suivre lord Palmerston sur le terrain de la négociation ou l'ordre de déclarer que la Belgique ne veut point négocier que la question de la dette ne soit tranchée ; car la position d'entre où je suis placé, n'est plus guère tenable et nous nuit singulièrement dans l'esprit du ministre anglais. »

Lorsque les dépêches de M. van de Weyer du 24 et du 28 août parvinrent à Bruxelles, le chevalier de Theux se trouvait momentanément absent de la capitale. Le roi prit connaissance avant lui de cette correspondance et, en la renvoyant à son ministre des affaires étrangères, il y ajouta les instructions suivantes :

« Van de Weyer vient de nous écrire de longues dépêches : la question territoriale est très difficile, mais, pour le moment, il s'agit de la question de la dette. Comme lord Palmerston le désire lui-même, la première chose à faire est d'engager MM. Fallon et Dujardin à se rendre immédiatement à Bruxelles pour faire leur rapport sur les premiers pas de la négociation.

« 2° De faire savoir à van de Weyer qu'il sera inutile pour le moment d'avoir des conférences jusqu'à ce qu'on lui mandera de Bruxelles le résultat des consultations qu'on aura eues avec les dits commissaires.

« 3° Qu'après avoir entendu les commissaires on lui enverra des instructions, s'il y a lieu.

« 4° Qu'il ne peut plus s'agir d'un arbitrage quelconque, mais bien d'une négociation libre, que la Belgique n'a pas la prétention d'imposer ses conditions à d'autres, mais qu'elle n'entend pas non plus se soumettre à d'autres mesures que celles auxquelles elle aura librement consenti.

« 5° Que ce n'est pas elle qui a changé l'immutabilité du traité du 15 novembre 1831, mais bien les trois Puissances du nord. Que maintenant qu'elle a consenti à se mettre dans cette position, on ne peut plus rentrer dans le système de l'arbitrage absolu sans son consentement.

« Voilà ce qu'il faut écrire à van de Weyer »

(Note de bas de page) Ces instructions étaient entièrement de 1a main de Léopold 1er. Les mots en italique avaient été soulignés par lui. Notre premier roi avait l'habitude de souligner tous les mots qui lui paraissaient essentiels dans ce qu'il écrivait. (Fin de la note)

C'est en se basant sur ces instructions, et après en avoir délibéré en conseil des ministres, que M. de Theux répondait le 1er septembre, à M. van de Weyer.

(page 165) « Je dois vous informer que j'approuve entièrement le retour de MM. Fallon et Dujardin, afin de pouvoir conférer avec eux. Il sera inutile, pour le moment, et jusqu'à ce que vous ayez reçu des instructions positives de ma part, de pousser plus avant les négociations officieuses. Ma dépêche du 25, que vous devez avoir entre les mains actuellement, vous aura déjà fait pressentir les présentes instructions.

« Je ne puis, Monsieur le Ministre, que vous rappeler mes dépêches précédentes sur la nécessité de se borner, quant à présent, à la discussion des questions financières. Les motifs ont été longuement développés. La Belgique a pris l'initiative de l'acceptation des XVIII et des XXIV articles. La Hollande a repoussé les premiers, et elle a obtenu de meilleures conditions ; elle s'est réservé, pour délibérer sur les seconds, un terme de sept années, attendant toutes les chances favorables d'améliorer sa position et, aujourd'hui, lorsque la Belgique, deux fois victime de sa facilité à accepter des conditions onéreuses, se prévaut des retards de son adversaire et des restrictions que les Puissances du nord ont apportées aux ratifications du traité ; lorsqu'elle demande avant tout justice et qu'elle réclame en premier lieu la révision du partage de la dette, elle a, certes, le droit d'être écoutée. Il serait même injuste d'intervertir cet ordre si naturel des négociations.

« Je conçois que quelques Puissances craignent que la Belgique ayant obtenu justice sur le partage de la dette, la Hollande ne sollicite des modifications au traité, dans la vue de conserver tout ou partie des avantages financiers qu'elle puise dans ce traité ; mais cette appréhension même doit nous faire persister plus que jamais dans la voie que nous avons suivie. Adopter une autre marche, se serait s'exposer à voir rejeter tour à tour toutes nos prétentions ; se serait en quelque sorte consentir l'abandon des réclamations que nous avons déjà présentées sur la dette.

« La tournure que prennent les négociations officieuses ferait croire qu'on perd de vue qu'il ne s'agit plus d'arbitrage mais d'une négociation libre. Nous nous prévalons ici, non seulement des vrais principes de politique internationale, et notamment du principe de l'indépendance des Etats, mais encore du texte même de la convention du 21 mai. La Conférence, après avoir été dissoute, ne s'est réunie à nouveau, en 1833, que de l'assentiment de toutes les parties intéressées, et elle ne s'est pas crue autorisée à dicter la loi à aucune des parties. C'est ainsi que la Hollande a pu rompre la négociation à cette époque, sans qu'il lui soit arrivé aucun dommage. Les réserves des Puissances du nord ont changé l'immutabilité du traité du 15 novembre 1831. Elles n'ont donc aucun droit d'invoquer cette immutabilité à notre détriment. Ces considérations n'ont point échappé à lord Palmerston. Aussi, a-t-il déclaré lui-même, de la manière la plus précise, qu'il envisageait le rôle d'arbitrage de la Conférence comme terminé. »

14. Mécontentement et avertissements de lord Palmerston

Toutes les considérations développées en cette lettre étaient très justes. Malheureusement, la Belgique traitait avec des puissances qui, à l'exception de la France, se trouvaient, les unes animées envers (page 166) la jeune monarchie de sentiments où dominaient le ressentiment d'avoir vu démolir l'œuvre des traités de 1815 et une défiance sans mesure envers la nouvelle nationalité, et les autres par des considérations politiques destructives, elles aussi, des sentiments de justice et d'égalité.

M. van de Weyer avait prévu la réponse de M. de Theux, aussi s'était-il soigneusement abstenu d'accomplir aucun acte, de remettre à la Conférence aucune pièce qui eût été en contradiction avec le système du gouvernement belge. Le ministre britannique l'avait cependant vivement pressé de préparer une série d'articles destinés à compléter le traité du 15 novembre. M. van de Weyer avait poussé la précaution jusqu'au point de ne pas communiquer à lord Palmerston un article relatif à la navigation de l'Escaut rédigé en 1831. Le ministre britannique, pressentant, de son côté, la marche que le cabinet de Bruxelles voudrait continuer à suivre, prévint le diplomate belge, dans une entrevue qu'il eut avec lui le 2 septembre, que cette politique conduirait à de fâcheux résultats pour la Belgique. Il lui répéta que jamais aucune des cinq Puissances ne consentirait à ce que l'on modifiât les arrangements territoriaux ; que quant à la révision de la dette, trois Puissances continueraient à en rejeter le principe, que les autres ne pourraient l'admettre que dans ses rapports avec les tableaux fournis par les plénipotentiaires néerlandais, que tout ce qui sortait du protocole n°48 était irrévocablement jugé et qu'on ne reviendrait ni sur la dette française, ni sur la dette austro-belge (Note de bas de page : Cette assertion, comme on l'a vu plus haut, était inexacte, pour ce qui concerne la France. Celle-ci admettait également la révision de la dette austro-belge et de la dette française) ; qu'en conséquence, ce que, à son avis, il y avait de plus sage à faire, c'était de poser les bases d'une transaction sur la liquidation du syndicat, seul moyen d'empêcher qu'en désespoir d'arrangement la Conférence n'en revînt à l'exécution pure et simple du traité du 15 novembre, traité signé et ratifié par toutes les parties.

M. van de Weyer, comme auparavant, combattit sans succès le système de lord Palmerston. Celui-ci était décidé à ne pas se laisser convaincre. Pour lui, d'autres intérêts dominaient, en ce moment, ceux de la Belgique. Il ne cacha pas au ministre belge que le langage qu'il lui tenait serait répété au roi Léopold, à ce moment attendu à Windsor.

15. Voyage du roi des Belges en Angleterre. Son pessimisme sur la situation. Opinion du comte le Hon

Le roi partit, en effet, pour Londres le 4 septembre. Ce voyage avait été un des motifs pour lesquels il avait fait agir sur (page 167) M. van de Weyer afin que ce dernier ne fît aucune démarche de nature à engager la Belgique sur l'une ou l'autre question. Il avait demandé à M. de Theux d’attendre son retour pour donner une réponse définitive à la proposition d'un chiffre transactionnel (Lettre de M. de Theux au roi Léopold, 7 septembre 1838). Le monarque voulait tenter, par son influence personnelle, de modifier les décisions de lord Palmerston.

Avant de partir, il reçut en audience le ministre de France à Bruxelles. « Un nuage de noble tristesse, écrivit M. Serurier le 1er septembre au comte Molé, voilait en ce moment la figure du roi. S. M. me dit que, si Elle faisait ce voyage, ce ne serait certainement, pas en humble pétitionnaire, qu'Elle y défendrait les intérêts de ses sujets, sans doute, mais en montrant combien la paix de l'Europe et sa consolidation étaient intéressées à la tranquillité de la Belgique et à ce que de trop lourds sacrifices ne lui fussent pas imposés. Le doute planait dans son esprit. Le sentiment du roi sur la question est le sentiment du pays entier et tend journellement à se fortifier. » (Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Belgique, n° 60). Mais, peu de jours après son arrivée en Angleterre, Léopold 1er adressait à son ministre des Affaires étrangères une lettre peu encourageante.

« J'ai chargé van de Weyer, lui disait-il, de vous écrire pour vous mettre au courant de la position des affaires. Elle n'est pas satisfaisante du tout. Je crois bien que le ministère actuel nous serait volontiers favorable, mais il craint le parlement, les détenteurs de fonds hollandais, les accusations de partialité, et désire ménager les Puissances du nord. Dans son propre sein, il existe un parti assez fort qui est, à ce qu'il paraît, contraire à toute rectification de la dette. Il est difficile de comprendre ses motifs, car il consiste dans le parti le plus libéral du ministère qui devrait nous être favorable, mais qui a, au contraire, déclaré à lord Melbourne qu'il ne le soutiendrait pas s'il changeait quelque chose en notre faveur. Gardez cette communication pour vous, mais soyez sûr qu'elle est exacte. Il sera utile pour nous, dans cette position des choses, de gagner du temps. Examinez les communications que les commissaires ont rapportées d'ici, ainsi que l'idée de transaction qui sourit beaucoup à lord Palmerston. Vers la fin du mois, quand nous aurons examiné à fond tout cela, on pourrait renvoyer les commissaires ici. Jusqu'à cette époque, M. van de Weyer attendra ses instructions et ne fera rien du tout.

Vous comprendrez que les difficultés sont grandes et d'autant plus qu'on ne peut jamais compter sur la France quand elle se voit isolée. Vous verrez également que la prudence est plus nécessaire que jamais, car le roi Guillaume fera tout ce qu'il pourra pour détruire notre statu quo actuel et on ne peut pas se cacher que, s'il y réussissait, le pays aurait (page 168) de la peine à se maintenir dans l'attente, la position deviendrait trop précaire. Il faudrait des armements constants et l'inquiélude agirait sur l'industrie et le commerce. Il sera utile d'accoutumer vos collègues à ces changements qui ne sont ni justes, ni équitables, et il faudra voir comment il sera nécessaire de guider la barque pour éviter les écueils »

(Note de bas de page « J'ai pu me convaincre, écrivait-on de Londres,- le 11 septembre, au comte Molé, à propos du voyage de Léopold 1er en Angleterre, - qu'avec la haute sagesse dont il a déjà donné tant de preuves, le roi Léopold avait absolument abandonné l'espoir de toute modification des clauses territoriales du traité du 15 novembre. » Arch. du Min.. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 169. (Fin de la note)

Le comte Sebastiani envoyait au comte Molé des renseignements tout à fait concordants avec les impressions que le roi Léopold recueillait à Londres. L'ambassadeur français considérait que lord Palmerston, en poussant la défense de nos intérêts au delà de l'exonération des arrérages de la dette, avait pris une position personnelle beaucoup plus avancée que celle de ses collègues. Tous les autres membres influents du ministère, lord Melbourne, lord John Russell, lord Howick s'étaient prononcés de la manière la plus formelle contre les exigences belges. Le cabinet se montrait non seulement effrayé du compte que lui demanderait une opposition de trois cent dix membres à la Chambre des Communes au sujet des entraves apportées à la conclusion d'un arrangement définitif avec la Hollande, dans un intérêt qui n'avait rien d'anglais, mais il craignait même d'être abandonné de ses amis (Arch du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 551, folio 155).

De Paris, le comte le Hon n'envoyait pas au chevalier de Theux des renseignements plus satisfaisants sur les dispositions de la Grande-Bretagne.

« L'ambassadeur de France à Berlin informe son gouvernement, écrivait-il le 27 septembre, que l'intention de plus en plus vérifiée et même avouée du roi de Hollande est de terminer le différend hollando-belge et que le système politique de la Prusse tend avec une sorte de chaleur à l'accomplissement de cette intention.

« La correspondance de Londres annonçait hier au ministère français que les plénipotentiaires des trois cours étaient impatients du retard que mettait lord Palmerston à revenir de Windsor à Londres et que deux d'entre eux, le prince Esterhazy et le baron de Bülow, venaient de lui écrire des lettres très pressantes

(Note de bas de page) « Lord Palmerston est toujours à Windsor, écrivait le 25 septembre, le général Sebastiani au comte Molé, et on l'attend au plus tôt vendredi 28, à Londres. Les affaires restent donc ici dans une stagnation complète. Les plénipotentiaires des trois cours du nord éprouvent une vive contrariété de ces retards qui froissent leurs convenances personnelles autant que celles de leurs cours ; car ils ont tous l'intention de quitter l'Angleterre aussitôt que la conférence belge ne réclamera plus leur présence à Londres. Le baron de Bülow a écrit assez vivement à lord Palmerston pour l'engager à presser son retour à Londres.» Arch. du Min. des Aff. étr. à Paris, Angleterre, 651, folio 189. (Fin de la note).

(page 169) « Les trois cours poussent vivement à une conclusion prochaine, dans le sens d'une réduction globale et à forfait du chiffre de la dette. Elles continuent à rejeter la révision et, malheureusement, le ministère britannique incline plus de leur côté que du nôtre. Lord Holland, un des membres du cabinet, qui est ici, dit que l'Angleterre ne peut concourir à écraser la Hollande et qu'il faut un arrangement qui ménage les deux parties sans en sacrifier complètement aucune. En un mot, on craint que la justice à nous rendre ne coûte trop à la nation néerlandaise et ne lui fasse déplorer trop amèrement, dans le parlement anglais ou la presse de Londres, la perte de ses quatre colonies et de l'accroissement territorial qui devait en tenir lieu.

« Le ministère français tient bon, mais je n'oserais affirmer qu’il suivrait invariablement la ligne de nos intérêts telle qu'elle est tracée par le système de révision, rigoureusement juste, si les quatre cours venaient à tomber d'accord sur une de ces transactions qui tranchent les difficultés sans les résoudre.

« Le comte de Saint-Aulaire écrit de Milan que le prince de Metternich se dit très hautement assuré du concours de l'Angleterre pour terminer la question belge sans entrer dans ce qu'il appelle le dédale d'une révision. La France, dit-il, est le seul obstacle.

« Je m'attache avec persévérance à démontrer au comte Molé que le cabinet dont il est le chef ne peut que puiser beaucoup d'honneur et de force dans la défense de notre droit le plus évident, celui d'une liquidation exacte et juste des dettes de la communauté. Je le prie de ne jamais perdre de vue qu'aucune de ces vagues considérations d'intérêt européen n'est applicable aux simples questions d'argent et que la justice, en cette occasion, est le seul moyen de venir en aide à la politique. »