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Révolution belge de 1828 à 1839. Souvenirs personnels (partim)
DE POTTER Louis - 1839

Louis DE POTTER. Révolution belge de 1828 à 1839. Souvenirs personnels

(Paru à Bruxelles en 1839, chez Meline, Cans et compagnie)

Chapitre V. Union des catholiques et des libéraux. - Rapport d'un ministre. - Idées-mères de l'union. - Elles sont adoptées par acclamation dans toute la Belgique

(page 36) Par tout ce que je viens de dire, il est évident que l'union de tous les partis plus ou moins opprimés en Belgique, contre le parti oppresseur, était enfin conclue et l'était irrévocablement. Que les catholiques eussent ou n'eussent pas compris (ce passage a été inséré presque textuellement dans une brochure que j’ai publiée en 1838 et intitulée : l’Union.) qu'au moyen de leurs anciens principes ils ne pouvaient jamais faire aucun progrès dans leur opposition au gouvernement, toujours est-il, et il n'y avait réellement que cela d'important, qu'ils adoptèrent ou qu'ils feignirent d'adopter, cela revenait au même, les principes des libéraux sur la liberté d'opinions et sur celle de la presse : ce qui leur permit d'invoquer avec nous, et dans le même sens que nous, l'exécution franche et (page 37) entière de la loi fondamentale. Les libéraux aussi sentaient que, malgré la justice et l'évidente bonté de leur cause, ils ne pourraient jamais la faire triompher sans la coopération des catholiques, c'est-à-dire de la presque totalité du peuple belge, soumis de cœur et de conviction à ses prêtres, avec lesquels par conséquent il fallait nécessairement se réconcilier de bonne foi, ou du moins s'entendre sur les intérêts communs, la défense commune, et la marche à suivre pour arriver tous ensemble et à la fois au même but.

Il ne restait donc plus qu'à formuler cette situation entièrement nouvelle, et fertile si on savait en tirer tout le parti qu'elle offrait aux amis de la liberté ; il suffisait de constater le fait, de le rendre palpable, d'en prendre acte ; il fallait surtout bien fixer la base sur laquelle ce fait reposait, démontrer la justice sur laquelle il était fondé, et par-là même en faire une propriété sociale et la rendre inviolable comme toutes les idées vraies qui forment le domaine moral de la société humanitaire. Je l'entrepris en publiant, en juin 1829, une brochure intitulée : Union des catholiques et des libéraux dans les Pays-Bas.

J'y avais préludé en rédigeant un Rapport d'un ministre, ami de la patrie et peu attaché à son portefeuille, au roi des Pays-Bas, sur la disposition actuelle des esprits et la situation des choses en Belgique : (page 38) cet écrit parut le 4 avril. Outre que j'y rappelais nos griefs, j'insistais sur la nécessité et l'urgence de les redresser tous et entièrement. A cet effet, je disais ouvertement au roi qu'un de ses ministres (M. Van Maanen, Hollandais) qui n'avait fait que le mal, était devenu si impopulaire qu'il fallait le renvoyer ; qu'un autre (M. Van Gobbelschroy, Belge) n'ayant tout juste que l'énergie indispensable pour aimer le bien, il fallait, s'il ne voulait qu'il devint aussi odieux au peuple que son collègue, lui permettre explicitement, lui ordonner même en quelque sorte de faire le bien. Qu'enfin, pour entrer dans une voie nouvelle, voie de justice et de loyauté, le roi devait nécessairement s'entourer de conseillers nouveaux, par lesquels il remplacerait avantageusement pour la nation et pour lui les courtisans qui longtemps avaient abusé de sa confiance. Il est important de dire que, parmi les griefs que j'avais articulés si souvent, je mentionnai pour la première fois les impôts de la mouture et de l'abatage, qui pesaient surtout sur le peuple, et pour l'abolition desquels seulement le peuple finit par croire que j'avais affronté la colère royale. Cela principalement explique l'immense popularité dont je fus honoré dans la suite. Je reviens à la brochure de l'Union des catholiques et des libéraux.

(page 39) Je posais en principe que l'intelligence de l'homme est essentiellement libre, irresponsable devant les hommes, et par conséquent inviolable par eux, hors de la sphère des institutions humaines et au-dessus de celle que les lois positives régissent et dominent ; que la loi légitime n'a d'autorité que sur les actes extérieurs et consommés, tels qu'elle les a déterminément prévus ; que le triomphe de la vérité doit incontestablement résulter d'une lutte bienveillante entre les esprits et les consciences, lutte sans contrainte et sans entraves aucunes, et qu'il ne peut résulter exclusivement que d'elle seule ; que la liberté ne mérite ce nom que lorsqu'elle est égale pour tous sans distinctions ni catégories ; que l'équité c'est l'égalité par la liberté, comme l'ordre par la liberté c'est la justice ; que la loi ne connaît et ne peut connaître que des citoyens et des devoirs civiques et des droits civiques, et que tout le reste ne la regarde pas ; que conséquemment les qualifications de catholiques et non-catholiques, fidèles et prêtres, moines et religieuses, jésuites même, sont des mots vides de sens à ses yeux ; qu'aider ses adversaires, et surtout ses adversaires, à reconquérir et à conserver leurs droits, c'est travailler au triomphe de la liberté générale et de sa propre liberté qui, si elle était exclusive, serait, non liberté, mais privilège, mais oppression, mais (page 40) despotisme, et entraînerait des réactions sans terme comme sans but, de manière que la violence et la persécution se succéderaient à l'infini pour chaque parti, chaque opinion, chaque secte ; que contribuer à conquérir la liberté de la presse pour les incrédules, est donc aussi avantageux aux catholiques, que d'émanciper l'enseignement pour les catholiques l'est aux libres penseurs ; que la presse philosophique n'est vraiment redoutable au catholicisme que là où il y a censure religieuse, et l'enseignement religieux à la philosophie que là où le clergé est légalement exclu de l'instruction ; que tout peut se penser, se dire, se publier, s'enseigner, mais que rien ne peut se faire de ce que la loi défend, laquelle cependant ne peut défendre légitimement que ce qui viole matériellement les droits d'un individu ou de la société, etc., etc., etc.

Jamais, j'ose le dire, succès ne fut plus prompt, plus complet et plus flatteur. Il arriva ce qui arrive toujours quand on ne fait que résumer les idées de tout le monde, qu'il n'y eut qu'une voix sur mon écrit. Je fus comblé de louanges, porté aux nues par les journaux des couleurs les plus opposées, par le Courrier des Pays-Bas de Bruxelles et le (page 41) Courrier de la Meuse de Liége, le Politique de Liége et le Catholique de Gand, le Belge de Bruxelles et le Courrier de la Sambre de Namur, l'Éclaireur de Maestricht et plus tard le Journal de Louvain, et même par le Bijenkorf de la Haye. J'avais achevé d'effacer jusqu'aux plus petites nuances qui distinguaient encore les anciens partis : l'accord, l'union, car ce mot devint sacramentel, l'union était désormais réelle, parfaite et profonde ; elle avait sa racine dans le cœur de plusieurs et dans l'esprit de tous, et comme je la professais, moi, sincèrement, loyalement et sans restriction aucune, ma franchise fit chaque jour des conversions parmi les esprits soupçonneux qui, jusqu'alors, n'avaient pas osé s'abandonner avec confiance à une réconciliation absolue.