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Révolution belge de 1828 à 1839. Souvenirs personnels (partim)
DE POTTER Louis - 1839

Louis DE POTTER. Révolution belge de 1828 à 1839. Souvenirs personnels

(Paru à Bruxelles en 1839, chez Meline, Cans et compagnie)

Chapitre XXVI. Discours d'ouverture du congrès. - Qui le prononcera ? - Démission du gouvernement provisoire. -Je remets au peuple le pouvoir qu’il m'avait confié. - Menaces de M. Charles Rogier

(page 208) Le congrès allait s'ouvrir. Le comité central m'avait charge de la rédaction du discours d'ouverture. Je le conçus dans un sens de simplicité et de franchise républicaines qui, selon moi, constituent la dignité gouvernementale élevée à sa plus haute puissance. Mes collègues furent loin de l'entendre ainsi : je leur parus avoir mis trop peu de modestie à relever nos services, et trop d'humilité à confesser nos fautes, dont les principales, à mes yeux, étaient les nominations de beaucoup d'employés indignes de la confiance publique, et sur lesquelles je voulais que nous provoquassions nous-mêmes une commission d'enquête, pour les infirmer, les ratifier ou les régulariser. Au reste, ces fautes, je les avais exposées comme inévitables pour des hommes qui, comme nous, avaient (page 209) été arrachés à leurs habitudes domestiques par une révolution que les circonstances avaient précipitée au delà de toute prévision, et qui avaient cherché à compenser, autant qu'il était en eux, par leur zèle populaire, ce qui leur manquait quant aux lumières et à la pratique de l'administration. Je ne cédai aux objections qui me furent faites que le moins possible, et mon discours, quoique réduit à n'être plus qu'une pâle contre-épreuve de ce que j'aurais voulu dire, fut encore un des meilleurs de ceux dont les trônes constitutionnels bercent les peuples régulièrement tous les ans. Trois mots seulement y avaient été ajoutés par moi au moment de la prononciation : c'était à propos de l'assurance que nous tenions des cinq puissances médiatrices, de la cessation prochaine des hostilités, avec l'évacuation de TOUT notre territoire, SANS CONDITION AUCUNE. Ces derniers mots auraient probablement été biffés par mes collègues, à en juger du moins par la facilité avec laquelle ils souscrivirent dans la suite à toutes les conditions qui leur furent imposées, y compris celle de la non-évacuation d'abord, et puis du démembrement du territoire dont ils étaient chargés de garantir l'intégrité : mais ils n'en eurent connaissance qu'à la séance même.

Le discours étant adopté, la question s'éleva de (page 210) savoir qui le lirait. Quoique je n'eusse émis aucune prétention à cet égard, il parut néanmoins difficile de m'ôter ce qu'on appela un privilège ; seulement on l'expliqua en disant que je n'en jouissais qu'en ma qualité de doyen d'âge. Je l'avoue volontiers ; car il faut rendre justice à la fertile imagination de mes co-gouvernants : jamais, moi, à leur place, je n'eusse trouvé cette subtilité-là. Après donc que, malgré M. de Muelenaere qui, signalé à l'animadversion publique par son dévouement servile au gouvernement déchu, tenait à faire de l'opposition quand même..., aux autorités que le peuple avait investies d'un pouvoir nouveau ; après, dis-je, que nous eûmes été introduits au congrès avec tous les honneurs dus aux représentants de la révolution, je prononçai mon discours, et me retirai tout à la fois de la salle et de ma carrière politique. Avant cependant de redevenir peuple, je laissai tomber du haut du balcon du palais national un regard distrait sur les troupes qui défilaient dans la place en jetant encore des cris en mon honneur, et je reçus, sans en être le moins du monde touché, les félicitations des hauts dignitaires militaires et civils. Avant une semaine, me disais-je, d'autres cris seront à l'ordre du jour, et ceux qui me présentent aujourd'hui le tribut de leurs hommages, ne me jugeront plus digne même des témoignages de civilité (page 211) qu'on doit au citoyen le plus obscur. Ces réflexions m'attristaient ; non que je tinsse à des honneurs qui ne me flattaient en aucune manière, mais parce que, me paraissait-il, ils avilissaient deux fois ceux qui m'encensaient à cause du pouvoir dont j'étais revêtu et qui feindraient de ne plus me connaître dès que j'aurais dépouille ce pouvoir. Aussi me hâtai-je d'écrire ma lettre de démission.

Pendant que je travaillais au discours d'ouverture pour le congrès, mes collègues discutaient le mode de remettre à cette assemblée les pouvoirs dont jusqu'à ce moment ils avaient été dépositaires. Je combattis leur résolution par tous les arguments que la raison et l'histoire purent me suggérer ; ce fut en vain : le parti était pris ; il ne restait plus que les termes à fixer. De mon côté, j'annonçai que, n'ayant reçu aucune mission du congrès, je n'avais rien non plus à lui rendre ; et que si la majorité du gouvernement provisoire arrêtait la dissolution de cette magistrature révolutionnaire, je me résignerais à un fait qu'il ne m'aurait pas été possible d'empêcher, et que je déposerais aussi l'autorité dont j'avais été honoré, mais seulement entre les mains du peuple. C'est ce que je mis à exécution le jour même où le congrès fut constitué.

Ma démission consista tout simplement en une (page 212) lettre (13 novembre) à mes ex-collègues, où je motivai mon refus de reconnaître la suprématie du congrès, pouvoir qui, exclusivement constituant et législatif, créé par le gouvernement provisoire, antérieur et, sinon supérieur, du moins indépendant du congrès, était et devait demeurer pouvoir exécutif suprême, émané du peuple. Je démontrai le danger qu'il y avait pour la révolution, pour la Belgique et pour le congrès lui-même, à laisser cette assemblée sans contrepoids, exposée aux entreprises d'une minorité factieuse qui pouvait, en cherchant un appui au dehors, renverser la majorité, plonger la nation dans l'anarchie, ou la livrer au despotisme et l'anéantir sous une contre-révolution. Voilà la faute dont je n'avais point voulu que la patrie et la postérité pussent un jour me faire le reproche, et la raison pour laquelle, sans avoir voulu me prêter à un semblant de retraite, je me retirais, moi, pour tout de bon, sans espoir d'être confirmé par personne. J'envoyai le même jour une copie de cette lettre au congrès, avec quelques mots de blâme sur la légèreté avec laquelle cette assemblée avait accepté la démission de mes collègues, sans provoquer une explication sur ce qui avait pu déterminer la signature de cette pièce par quelques membres du gouvernement provisoire et l'absence de la signature de quelques (page 213) autres. Mes deux lettres furent lues au congrès le 16 novembre, prises pour notification, et bientôt complètement oubliées.

Avant cette lecture, M. Rogier avait essayé de me faire révoquer ma résolution. J'avais reçu une lettre de lui et sa visite, et j'avais écouté avec le même sang-froid ses douceurs et ses menaces. A l'en croire, mon nom pour lequel il professait une si juste estime, était de tous ceux des membres du gouvernement provisoire le seul nom connu hors de Belgique ; je devais par conséquent conserver à ce pouvoir populaire la force et l'éclat dont il avait surtout besoin à une époque où il se mettait en rapport avec l'étranger. Me voyant inébranlable, il chercha à m'effrayer et prédit que je m'en repentirais ; je fis un signe d'incrédulité : il m'écraserait, dit-il alors (c'est le mot dont il se servit) ; je souris de pitié, et nous nous séparâmes pour ne plus nous revoir.

Je rentrais enfin dans la position d'où je n'aurais jamais dû sortir : j'étais redevenu moi-même, et je respirais librement comme avant que j'eusse posé le pied dans cette funeste lice politique, où il s'était commis sous mes yeux tant de bassesses et de turpitudes, où j'avais vu fuir devant moi tant d'heures sans charmes et tant d'illusions à jamais détruites. Il était temps pour ma sante qui commençait à beaucoup (page 214) souffrir de cet état moral d'agitations et de déceptions continuelles. J'avais besoin de me retremper au sein de ma famille, où des sensations plus naturelles et plus agréables eurent bientôt rafraîchi mon sang et rendu le calme à mon âme. Aussi ne me reste-t-il plus à raconter que quelques événements qui furent comme l'arrière-faix de mes six semaines de règne, et qui précédèrent mon départ pour la France.