(Paru en 1930 à Bruxelles, aux éditions de la Librairie Falk Fils)
(page 121) Lors de la cessation des hostilités, la joie délirante de tout un peuple célébrant sa délivrance faisait un singulier contraste avec l'état d'épuisement et d'appauvrissement du pays. Les plus optimistes eux-mêmes n'osaient prévoir une restauration rapide. Cependant, moins de dix ans après la fin de l'effroyable tourmente, non seulement les plaies étaient cicatrisées, mais encore la capacité de production et le degré de bien-être du pays dépassaient le niveau d'avant-guerre. Nous ne décrirons ici ni l'état de la Belgique dévastée ni les phases de la reconstitution, dont nos lecteurs ont certes gardé le souvenir et qui, au surplus, ont fait l'objet de maintes études (voir La Belgique restaurée, travail collectif de l'Institut de Solvay (Bruxelles, Lamertin, 1926)).
Cette reconstitution se fit dans des conditions extrêmement mouvementées. Nul n'ignore que, pendant les années d'après-guerre, le facteur monétaire exerça une influence dominante sur la situation économique et même sur toute la vie sociale du pays. Aussi faut-il rappeler brièvement les tribulations du franc belge depuis la guerre.
Nous avons montré dans le chapitre précédent qu'au moment de l'armistice, l'émission des billets belges atteignait en chiffres ronds 2 3/4 milliards, contre 1 milliard environ avant la guerre. La circulation effective se composait cependant essentiellement de marks, dont le montant ne peut être évalué mais qui atteignait certainement un chiffre très élevé. On se souvient qu'à la fin de 1918 eut lieu le fameux « retrait des marks » qui alimente parfois encore les polémiques de presse.
En principe cependant, le remboursement des marks se justifiait et s'imposait même. Sans cette mesure, c'eût été l'effondrement complet de tout le système bancaire, la ruine totale du crédit. Mais on peut critiquer la lenteur de l'opération et l'insuffisance des précautions dont elle fut entourée. Encore faut-il tenir compte de l'état de désorganisation extrême de l'appareil administratif. Toujours est-il qu'un grand nombre de marks furent importés, si bien que le montant total des remboursements s'éleva à 7.592 millions de francs.
Sur ce chiffre, 1.792 millions furent remboursés à l'aide de bons du Trésor, tandis que 5.800 millions étaient avancés par la Banque Nationale. Ainsi se consolida et s'aggrava l'inflation qui débuta avec la guerre.
La formidable avance de la Banque Nationale ne provoqua pas immédiatement un gonflement correspondant de la circulation fiduciaire. Une partie des francs créés pour le retrait des marks resta sous forme de dépôts à l'institut d'émission. Graduellement, à mesure que les affaires reprenaient et que la hausse des prix exigeait plus de moyens de paiements, la circulation se développa par prélèvement sur les comptes courants.
D'autre part, pendant les premières années qui suivirent la guerre, les escomptes de la Banque Nationale furent très faibles. En 1919 1920 on ne vendait pour ainsi dire qu'au comptant ; d'ailleurs, la plupart des commerçants avaient de larges disponibilités. De plus les encaisses des banques ordinaires étaient très élevées. On recourait donc fort peu au crédit de la Banque Nationale. Puis survinrent la crise économique internationale et le ralentissement des affaires. Mais à partir de 1922-1923 une reprise se manifesta tandis que la hausse des prix immobilisait de plus en plus les disponibilités des milieux d'affaires. Aussi le recours à l'escompte de la Banque Nationale alla-t-il se développant constamment. A certains moments d'ailleurs, la Banque essaya de resserrer ses crédits commerciaux, voulant ainsi réagir sur le (page 122) change. Dans l'ensemble cependant, la circulation s'accrut régulièrement. Ensuite, en 1926, lors de la crise qui suivit l'échec de la première stabilisation, l'Etat eut de nouveau recours à la Banque Nationale.
Le tableau ci-dessous montre les mouvements des principaux postes de la Banque Nationale jusqu'au moment de la stabilisation :
(I. en millions de francs. Successivement : encaisse métallique - portefeuille étranger - portefeuille escompte - avances sur fonds publics belges)
30 juillet 1914 : 317,6 - 120,4 - 716,7 - 69,5
Fin 1918 : 289,7 - 100,6 - 311,2 - 83,7
Fin 1919 : 293,5 - 56,9 - 395,2 - 63,3
Fin 1920 : 294,4 - 27,2 - 861,7 - 161,1
Fin 1921 : 307,2 - 20,0 - 458,3 - 208,0
Fin 1922 - 324,0 - 17,4 - 713,1 - 275,3
Fin 1923 - 345,6 - 18,2 - 1.354,8 - 355,1
Fin 1924 - 346,3 - 30,0 - 1.553,4 - 583,9
Fin 1925 : 364,4 - 30,2 - 1.253,6 - 897,7
Fin 1926 : 358,1 - 30,2 - 2.282,9 - 349,8
(II. en millions d’euros. Successivement : avances à l’Etat - billets en circulation - Comptes courants du Trésor - comptes courants des particuliers)
30 juillet 1914 : 0 - 1.119,2 - 15,6 - 108,6
Fin 1918 : 927,0 - 3.210,4 - 0 - 582,6
Fin 1919 : 5.800,0 - 4.785,9 - 242,6 - 2.239,1
Fin 1920 : 5.500,0 - 6.260,5 - 59,5 - 1.099,7
Fin 1921 : 5.500,0 - 6.415,1 - 93,5 - 573,6
Fin 1922 : 5.400 - 6.876,4 - 56,5 - 400,3
Fin 1923 : 5.300,0 - 7.537,2 - 20,6 - 409,7
Fin 1924 : 5.200,0 - 7.813,7 - 1,8 - 435,9
Fin 1925 : 5.200,0 - 7.813,7 - 3,5 - 456,0
21 octobre 1926 : 6.205,0 - 9.405,9 - 31,3 - 736,3
L'inflation de la circulation a donc été un des facteurs principaux, sinon le principal, de la baisse du franc.
A cette cause essentielle s'ajoutait, pendant les premières années d'après-guerre, l'état débiteur de la balance des comptes. Puis, une fois la baisse déclenchée, d'autres facteurs entrèrent en jeu, notamment l'évasion des capitaux, - née de la crainte d'une dépréciation plus profonde du franc et y contribuant, - enfin la spéculation intérieure et extérieure.
Voici quelques chiffres qui, très sommairement, montrent les étapes de la dépréciation du franc= Cour du dollar à Bruxelles (par fr. 5,18) (successivement : cours le plus bas - cours le plus haut) :
1919 : 5,65 - 11,00
1920 : 10,82 - 16,45
1921 : 11,30 - 15,17
1922 : 11,48 - 17,84
1923 : 16,16 - 22,82
1924 : 17,47 - 24,74
1925 : 19,11 - 22,46
1926 : 21,97 - 45,07
L'inflation et l'état de la balance des comptes déterminèrent la dépréciation du franc ; toutefois il est certain que l'intensité de la baisse et surtout l'amplitude des fluctuations étaient dues à cet ensemble de causes qu'on a pris l'habitude de désigner sous le nom de facteur psychologique et sur lesquelles nous ne pouvons nous arrêter ici.
On sait comment l'aggravation de la crise monétaire conduisit aux mesures radicales de 1926 : constitution du Ministère d'Union nationale, consolidation forcée de la dette flottante, création du Fonds d'amortissement alimenté par des impôts extraordinaires et enfin stabilisation légale du franc, sur la base de 175 francs pour la livre sterling. (Sur les phases de la dépréciation du franc et les circonstances de ta réforme monétaire, voir B.-S. CHLEPNER, La dépréciation et la stabilisation du franc belge, Revue d’Economie Politique, Paris, 1927.)
La stabilisation du franc consiste essentiellement dans la fixité du change ; le pouvoir d'achat interne de la monnaie ne pouvait être stabilisé et le mouvement des prix resta un des problèmes essentiels de l'activité économique. Cependant la réforme monétaire d'octobre 1926, en supprimant l'influence perturbatrice des fluctuations du change, permit à l'activité économique de s'acheminer vers un régime plus stable.
L'influence du facteur monétaire persista d'ailleurs, mais dorénavant elle s'exerça dans son sens classique, c'est-à-dire comme un des éléments fondamentaux déterminant le niveau des ressources du marché financier.
Or, la stabilisation monétaire sc produisit dans un ensemble de circonstances qui amenèrent une grande abondance monétaire. En effet, la réforme provoqua d'abord le rapatriement (page 123) d'une notable partie des capitaux belges évadés ; en outre l'étranger fit des achats importants de valeurs belges, tant de titres à revenu fixe que de titres à revenu variable. D'où accroissement constant de l'encaisse de la Banque Nationale et gonflement de la circulation.
Ajoutons que le développement de l'activité industrielle en 1927 et 1928 et la hausse des prix amenèrent en outre le développement des crédits commerciaux. Bref, depuis la stabilisation, nous avons assisté à un accroissement constant de la circulation monétaire, malgré les efforts faits par la Banque Nationale pour l'enrayer.
Les quelques chiffres qui suivent suffiront à donner une idée générale de la situation monétaire depuis la stabilisation, une étude détaillée sortant du cadre de ce travail [Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée]
Dans le paragraphe précédent, nous avons esquissé brièvement la situation monétaire, surtout pendant la période précédant la stabilisation. Nous ne pouvons nous arrêter ici sur les conséquences de la dépréciation et des fluctuations du franc au point de vue général : l'instabilité de l'activité économique, les perturbations survenues dans les situations respectives des diverses classes sociales, les privations subies par les groupes de la population ne disposant que d'un revenu peu élastique, etc.
Dans ce travail il convient de signaler l'influence des perturbations monétaires sur le marché financier. Elles déterminèrent la désaffection graduelle du public pour les titres à revenu fixe et son engouement pour les valeurs à revenu variable. En outre, elles furent le facteur principal du développement de la spéculation boursière, dont nous parlerons plus loin.
D'autre part, à la diffusion de l'esprit spéculatif dans toutes les couches de la population est venu se joindre un autre facteur : l'enrichissement des campagnes pendant la guerre et une dispersion plus caractérisée de l'épargne pendant les années qui suivirent.
En effet, si à cette époque de grosses fortunes se formèrent, l'épargne se développa cependant dans les masses de la population grâce à la hausse des salaires et des bénéfices des intermédiaires. Par contre, nombreuses furent les fortunes anciennes, moyennes - et petites surtout - qui furent entamées par la baisse du franc.
Au total, il semble qu'on puisse parler d'une multiplication du nombre des épargnants, ou, si l'on préfère, de l'extension du public capitaliste ; en outre et surtout, ce public tendait de plus en plus à « faire travailler » son argent, au lieu de faire des placements de tout repos.
Le besoin créant l'organe, l'appareil financier se développa considérablement pour satisfaire aux demandes de la clientèle accrue. Les banques créèrent tout un réseau d'agences, jusque dans les moindres localités ; les petites maisons de banque et de change pullulèrent partout. L'appareil financier du pays prit un développement pléthorique.
Au surplus, si le besoin crée l'organe, celui-ci souvent développe et accentue le besoin. Le gonflement de l'organisme financier et bancaire (et la multiplication des journaux financiers) stimulèrent le goût du public pour les opérations spéculatives.
En somme, les six premières années qui suivent l'armistice se caractérisent par un développement constant et une puissante intensification de l'activité du marché financier.
Pendant les premières années d'après-guerre, les emprunts de l'Etat jouent un rôle important sur le marché financier. Le Trésor est aux prises avec de grosses difficultés. Non seulement il doit faire face à la réparation des dommages de guerre, mais son budget ordinaire même est déséquilibré à la fois par la dépréciation de la (page 124) monnaie et par l'accroissement des attributions de l'Etat. Aussi a-t-il recours à des emprunts répétés. Inutile de suivre ici les phases de l'accroissement de la dette publique. Qu'il nous suffise de signaler qu'au 1er juillet 1926, au moment où elle atteignait son apogée, elle s'élevait à 59 milliards, dont 27 de dette extérieure. Ajoutons cependant que sur les 32 milliards de dette intérieure, 6 milliards étaient dus à la Banque Nationale, dette de nature spéciale. En comparant le chiffre de 26 milliards avec les chiffres d'avant-guerre, on constate donc que la dette intérieure de l'Etat augmente nominalement de plus d'une vingtaine de milliards.
Dans cette étude, les émissions de titres par les sociétés industrielles et commerciales doivent surtout retenir notre attention.
Voici d'abord un tableau résumant les émissions ou plutôt les créations de titres par les sociétés anonymes belges, depuis l'armistice. Ces chiffres ne comprennent pas les titres émis contre apports en nature. D'autre part, ils sont calculés d'après la valeur nominale des titres créés, sans tenir compte des primes d'émission.
Emissions des sociétés anonymes (millions de francs) (Successivement : Actions d’affaires nouvelles, augmentation de capital, obligations, total) :
1919 : 977 - 1.201 - n.d. - 2.178
1920 : 829 - 1.394 - 430 -2.653
1921 : 436 - 744 - 473 - 1.653
1922 : 414 - 897 - 310 - 1.621
1923 : 655 - 1.246 - 124 - 2.025
1924 : 576 - 577 - 40- 2.790
1925 : 918 - 1.175 - 308 - 2.401
1926 : 1.125 - 1.513 - 18 - 2656
(successivement : actions d’affaires nouvelles et augmentation de capital, obligations, total) :
1927 : 5.607 - 273 - 5.886
1928 ; 10.295 - 12 -10.307
1929 : 11.664 - 236 - 11.900
Ainsi donc, pour la période 1919-1929, le total dépasse 46 milliards. Avant de commenter ce chiffre, indiquons comment il se répartit les diverses branches de l'activité économique :
Répartition des émissions 1919-1929 (millions de francs)
Charbonnages 1.732
Mines et industries extractives 2.385
Métallurgie 3.527
Gaz et électricité 3.379
Textiles 2.025
Chimiques 1.850
Verreries et Glaceries 477
Construction 1.555
Transports 3.219
Coloniales et plantations 5.220
Industries agricoles et alimentaires 971
Commerce 1.622
Cinémas, hôtels, théâtres 239
Assurances 359
Banques et opérations financières 14.832
Divers 3.123
Il convient de noter avant tout que le chiffre de 46 milliards, représentant le total des émissions, est un chiffre composite : il comprend des francs dont la puissance d'acquisition est allée se réduisant à peu près régulièrement. Si les chiffres des années 1919-1925 étaient transformés en francs actuels, le total serait évidemment beaucoup plus élevé. Mais d'autre part, il convient de ne pas perdre de vue que ce total ne peut être considéré comme représentant l'accroissement effectif des capitaux réels engagés dans les entreprises. Il comprend un grand nombre de doubles, voire de triples emplois. Non seulement le capital des banques et des sociétés financières sert généralement à souscrire d'autres titres, mais il en est de même d'une partie du capital des sociétés industrielles. D'autre part, si ces chiffres ne comprennent pas les titres émis contre apports en nature, il ne faut pas oublier cependant que dans bien des cas les titres officiellement souscrits contre espèces sont effectivement libérés par des apports. Pour une évaluation de l'épargne ou de la fortune nationale, les chiffres ci-dessus devraient donc subir des réductions appréciables. Mais pour le sujet qui nous occupe ici, ils indiquent bien le montant de titres créés et, par conséquent, l'accroissement considérable de la matière sur laquelle s'exerce l'activité du marché financier.
Si nous examinons le premier tableau ci-dessus, nous constatons que les augmentations de (page 125) capital dépassent les créations de sociétés nouvelles ; avant la guerre on constatait l'inverse généralement. Depuis 1919, l'effort porta donc davantage - surtout si l'on tient compte des primes d'émission - sur l'accroissement des affaires existantes que sur la création d'affaires nouvelles. Nous trouvons ici le reflet financier de la reconstitution industrielle, - reconstitution qui généralement fut accompagnée d'une extension des entreprises et d'un accroissement de leur outillage.
Une autre observation s'impose à propos des émissions. Nous avons vu antérieurement combien étaient nombreuses, avant la guerre, les créations de sociétés belges ayant leur siège d'activité à l'étranger. Bien que les statistiques ne nous fournissent de détails sur ce point que depuis trois années environ, on peut dire cependant que, depuis la guerre, les titres étaient émis principalement par les sociétés ayant leur siège d'activité en Belgique. Ceci s'applique surtout à l'émission d'actions de sociétés nouvelles : il y en eut très peu ayant pour champ d'activité l'étranger. Pour les augmentations de capital la proportion de titres créés par les sociétés exploitant à l'étranger est plus forte, parce que maintes sociétés anciennes ont dû augmenter leurs moyens d'action.
Ici encore nous retrouvons donc un reflet financier de la reconstitution : pendant les années qui suivirent l'armistice, la Belgique se consacra surtout à rétablir et à développer ses entreprises indigènes. (Note de bas de page : La décade qui suivit l’armistice se signale non seulement par le rétablissement des entreprises anciennes une capacité de production fort accrue (voir l’accroissement de la production de la fonte, du coke, etc.), mais encore par la multiplication des entreprises nouvelles : voir notamment l'extension de l'usage de l’électricité, ainsi que le développement de l’industrie de la soie artificielle, des verreries mécaniques. des usines ouvrant les métaux tels que le cuivre, le cobalt, l'uranium, etc., etc.)
En corrélation avec ce ralentissement de la création d'affaires belges pour l'extérieur, il y eut aussi ralentissement des émissions de valeurs étrangères en Belgique. Rappelons à ce propos que, depuis la loi du 4 mars 1919, l'émission de toute valeur étrangère est subordonnée à l'autorisation préalable du Ministre des Finances. Cette disposition édictée à titre temporaire, comme mesure de protection du change, a été prorogée à titre définitif en 1922.
Si l'on examine les introductions en bourse ou les émissions publiques de valeurs étrangères faites depuis l'armistice, on constate qu'il y eut très peu de valeurs nouvelles placées par l'un de ces procédés.
Ceci nous amène à envisager la question des intérêts belges à l'étranger et des intérêts étrangers en Belgique. Cette question se présente actuellement sous des aspects infiniment plus complexes qu'avant la guerre.
Une première constatation s'impose : la dépréciation d'une partie notable du portefeuille étranger ancien. Nous avons vu plus haut l'importance des intérêts belges en Russie. Provisoirement du moins, ces capitaux peuvent être considérés comme perdus, sauf en ce qui concerne les entreprises situées dans les Etats qui se sont détachés de l'ancien Empire des Tsars. De même les capitaux belges placés dans les fonds d'Etat et les obligations en Allemagne, en Autriche, dans les pays balkaniques, etc., furent en grande partie perdus. Il faut ajouter que pendant la guerre et au lendemain de l'armistice, certaines valeurs étrangères furent réalisées et exportées. Bref, on peut affirmer que le portefeuille ancien de la Belgique a subi une réduction notable, sans que l'on puisse cependant en apprécier l'importance.
D'autre part cependant, si, comme nous l'avons dit plus haut, il y eut relativement peu d'émissions de valeurs étrangères nouvelles, cela ne veut pas dire qu'il n'y eut plus de placements nouveaux en valeurs étrangères. Mais, pour des raisons d'ordre fiscal surtout, ces achats eurent lieu principalement aux bourses étrangères. Leur importance est donc particulièrement difficile à apprécier. En outre les banques, les trusts financiers et certaines sociétés industrielles accrurent aussi leurs intérêts à l'étranger : participations dans les banques de l'Europe centrale et orientale, affaires de transport et d'électricité en Amérique latine, en Espagne, en Chine, etc. Enfin, il faut tenir compte de l'accroissement du capital des sociétés belges travaillant à l'étranger et des sociétés étrangères dans lesquelles la Belgique était intéressée.
Dans une étude récente, M. Baudhuin évaluait à 50 milliards l'importance des intérêts belges à l'extérieur, y compris les sociétés belges exploitant à l'étranger. Il est assez difficile de comparer (page 126) ce chiffre à ceux d'avant-guerre à cause de l'incertitude des éléments servant de base aux évaluations. En adoptant pour 1914 les évaluations les plus courantes, - 5 milliards pour les valeurs étrangères proprement dites et 2 milliards pour les sociétés belges exploitant à l'étranger, - on arriverait à la conclusion que le chiffre de 50 milliards, transformé en francs-or, équivaut approximativement au portefeuille étranger d'avant-guerre. Ainsi donc, le travail intense de la dernière décade aurait permis non seulement de rétablir et même de développer les forces productives intérieures, mais encore de reconstituer approximativement notre avoir à l'étranger.
D'autre part cependant, il paraît probable que l'étranger possède à présent dans les affaires belges des intérêts plus élevés qu'avant la guerre, comme il possède nombre de nos fonds d'Etat et de nos valeurs communales. (Note de bas de page : Nous pouvons faire abstraction des emprunts contractés par l’Etat à l’étranger ; ils sont compensés à peu près par sa créance sur l’Allemagne, dans l’hypothèse de l’exécution régulière du plan Young.) En outre bien des sociétés industrielles émirent des emprunts à l'étranger ; il est vrai que ces emprunts semblent avoir été en grande partie couverts ou rachetés par des capitaux belges. On le voit, les rapports financiers avec l'étranger sont à présent plus complexes encore qu'avant la guerre, aussi les évaluations dans ce domaine sont-elles particulièrement incertaines.
Ces quelques indications sur les émissions et les rapports belgo-étrangers reflètent les facteurs fondamentaux qui influencèrent l'économie belge pendant les années qui suivirent l'armistice : a) la concentration des efforts pour la reconstitution industrielle amène un ralentissement très sensible des émissions étrangères et de la constitution de sociétés exploitant à l'extérieur ; b) l'instabilité monétaire et l'aggravation de la charge fiscale déterminent néanmoins l'émigration de capitaux belges à l'étranger ; celle-ci ne se fait pas cependant sous la forme classique, mais se traduit par la formation de dépôts à l'étranger et par l'achat de titres sur les bourses étrangères ; c) la dépréciation du franc pousse l'étranger à acheter des valeurs industrielles belges ; par suite de la hausse du rendement des valeurs à revenu fixe, il en achète aussi des quantités importantes, surtout au lendemain de la stabilisation .
Comme résultat, la capacité productive du pays est rétablie, elle est même plus puissante qu'avant la guerre ; les intérêts à l'étranger sont probablement aussi importants qu'en 1914 ; enfin les intérêts étrangers en Belgique sont probablement plus élevés qu'auparavant, mais dans une mesure difficile à déterminer.
L'intensification de l'activité financière s'est traduite, en plus des multiples émissions, par un développement constant des opérations boursières.
Les facteurs qui régirent les mouvements boursiers depuis l'armistice furent : les fluctuations du franc, les variations de la situation économique et, depuis la stabilisation, l'abondance monétaire.
Brochant par-dessus tout, l'extension des habitudes spéculatives du public - due surtout à la dépréciation du franc - détermina, à certaines époques notamment, des mouvements haussiers particulièrement violents. Enfin, il ne faut pas négliger la multiplication des maisons de banque et de change et l'extraordinaire pullulement de la presse financière.
Dans le tableau qui suit, nous reproduisons d'abord les principaux indices boursiers [Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée].
page 127) Si nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur les mouvements de la bourse de Bruxelles, nous y remarquons depuis l'armistice plusieurs phases assez nettement caractérisées. Pour les esquisser, nous devons parler séparément des titres à revenu fixe et des titres à revenu variable. Ces derniers surtout imprimèrent à chaque phase son allure caractéristique.
Au moment de l'armistice, la plupart des actions sont à un niveau supérieur à celui de 1913 ; les cours des coloniales notamment avaient en moyenne doublé. Les cotations du début de novembre 1918 dénotaient cependant une réaction par rapport au niveau atteint dans les premiers mois de 1918. En effet, l'approche de la fin des hostilités provoqua une réaction sur toutes les bourses.
Dans le courant de 1919, les cours des valeurs industrielles haussent pour la plupart, notamment les industries exportatrices (textiles, glaceries, verreries, métallurgie). Cette hausse est déterminée surtout par l'abondance des disponibilités, la baisse du franc et la reprise graduelle de l'activité industrielle. On s'en souvient, c'était l'époque de la hausse des prix mondiaux et du boom international.
Au printemps de 1920, l'exagération de la hausse et les prodromes de la crise économique internationale provoquent une réaction. La baisse dure jusqu'au dernier trimestre de 1921 ; cette période est caractérisée par la dépression industrielle et les faibles variations du change.
Pendant le dernier trimestre de 1921 et le premier de 1922, la tendance boursière est hésitante : la crise industrielle s'atténue, mais le change n'a pas de tendance bien caractérisée, en outre la situation diplomatique est complexe, le problème des réparations tantôt paraît proche d'une solution, tantôt paraît s'en éloigner.
Vers le milieu de 1922, une hausse des cours se dessine, stimulée avant tout par la reprise industrielle. A partir de la fin de 1922 elle s'accentue et prend une grande amplitude dans le courant de 1923. C'est avant tout la dépréciation du franc qui provoque, cette fois, l'envolée des cours. La tendance haussière est en outre stimulée par la situation favorable de quelques industries (métallurgie, charbonnages, etc.) avantagées par le chômage de la Ruhr.
Bien qu'entrecoupée de temps à autre par des mouvements régressifs, la hausse persista durant toute l'année 1923 et atteignit son apogée pendant le premier trimestre de 1924. La baisse foudroyante des changes en mars 1924 (résultat de l'offensive Poincaré contre la spéculation, à l'aide de l'emprunt Morgan) amena une réaction générale.
Pendant deux années environ, la bourse reste alors sans tendance générale nettement caractérisée. Par moments, les poussées du change déterminent un mouvement ascensionnel des (page 128) cours, mais les tendances du change elles-mêmes sont irrégulières. D'autre part, la plupart des branches industrielles traversent une période difficile et la situation politique intérieure est peu certaine. Dans l'ensemble, depuis le milieu de 1924 jusqu'à la fin du premier trimestre de 1926 environ, la bourse se montre hésitante et changeante en ce qui concerne les valeurs industrielles, réservant tout son optimisme pour les coloniales.
A la fin du premier trimestre de 1926, après l'échec de la première stabilisation, survint la nouvelle chute du franc suivie de sa conséquence fatale, la hausse des valeurs à revenu variable. Cependant, c'est après la stabilisation définitive, surtout en 1927 et en 1928, que la Bourse de Bruxelles a connu sa plus fameuse période d'emballement et d'exagérations.
Tout un ensemble de circonstances ont déterminé la fièvre spéculative de ces années. La stabilisation monétaire a provoqué la rentrée de nombreux capitaux évadés. En outre, l'étranger s'est intéressé vivement aux valeurs belges, d'abord aux obligations, ensuite, lorsque la hausse se dessina, aux actions. Nous avons dit déjà que la baisse du franc et l'instabilité monétaire avaient développé intensément les habitudes spéculatives de la masse du public, habitudes entretenues par les multiples intermédiaires et le nombre prodigieux des journaux financiers. La mentalité simpliste du public et de la plupart des professionnels donna créance à des théories superficielles qui invoquaient le multiplicateur sept - sept au moins disait-on même, - ou les effets magiques des fusions et des concentrations. (Note de bas de page : Le franc nouveau n'étant que le septième du franc ancien, on en concluait en toute simplicité que les actions devaient atteindre sept fois leurs cours d'avant-guerre. D'autres faisaient encore intervenir la dépréciation de l’or et concluaient au multiplicateur dix. En propageant ces théories on ne tenait pas compte du fait que maintes sociétés avaient depuis la guerre augmenté le nombre des titres représentant leur capital. On oubliait complètement la différence qui existe entre le mécanisme de la formation du prix des marchandises et celui qui régit le prix des titres.)
Il faut aussi tenir compte de la situation satisfaisante de l'industrie et de la facilité avec laquelle les banques accordaient, en général, des crédits à la spéculation. Ajoutons encore l'organisation défectueuse de la Bourse de Bruxelles, et notamment du marché à terme, où le premier venu pouvait prendre des positions dénuées de toute proportion avec ses ressources.
Bref, la Bourse de Bruxelles connut en 1927 et 1928 une phase d'optimisme exagéré et d'emballement intense. Sans doute ce n'était pas la première, mais cette fois le mouvement avait pris une amplitude exceptionnelle, par suite de la conjonction des circonstances que nous venons de rappeler et surtout à cause de l'extension considérable de la clientèle boursière pendant les années d'instabilité monétaire.
L'exagération même de la hausse et des positions spéculatives provoqua une première réaction violente au milieu de 1928, réaction suivie cependant d'une reprise dans la plupart des rubriques, mais d'une reprise nerveuse et incertaine. Au milieu de 1929, les nouvelles exagérations, la nervosité d'une partie du public et les prodromes du ralentissement industriel provoquèrent un nouvel affaissement, transformé en chute profonde par la crise américaine de la fin de 1929. Les indices que nous avons reproduits plus haut permettent de suivre les phases que nous venons d'esquisser.
Les considérations ci-dessus s'appliquent aux titres à revenu variable. L'histoire boursière des valeurs à revenu fixe peut être résumée brièvement : jusqu'à la stabilisation, elles sont l'objet d'une baisse à peu près constante ; quelques reprises momentanées se produisent seulement aux époques où le change s'améliore sensiblement, mais elles sont suivies de nouvelles chutes. Avec la stabilisation, par contre, commence un redressement d'abord lent, qui s'accentue surtout en 1930. Cette évolution est particulièrement caractéristique pour les fonds d'Etat. La rente 3 p. c. cotait 76 environ avant la guerre, 74 à la veille de l'armistice et 40 au milieu de 1926, lorsque les cours étaient influencés non seulement par la situation monétaire mais encore par la crise politique. Au début de 1927 cependant, le cours passait déjà à 55, puis respectivement à 58 et à 63 au début de 1929 et de 1930, pour atteindre le cours de 75-76 au milieu de 1930. Ainsi donc, après seize années, nous rejoignons les cours de la veille de la guerre.
La reprise vigoureuse des fonds d'Etat n'a pas été déterminée seulement par le retour de la faveur du public, après la crise boursière, mais encore par la politique énergique (page 129) d'amortissement suivie par le Gouvernement depuis la stabilisation.
En résumé, nous pouvons dire que parmi les nombreux facteurs qui depuis la guerre agirent sur la Bourse de Bruxelles, ceux dont l'action fut la plus intense furent l'instabilité monétaire et l'extension considérable de la clientèle boursière. Or, par la nature même de son organisation et de son activité, la bourse est le théâtre d'entraînements collectifs et de mouvements exagérés. L'instabilité monétaire et l'extension de la clientèle boursière devaient encore accentuer cette tendance.
Le caractère anormal de l'activité boursière depuis la guerre a donc consisté surtout dans l'accentuation extrême des traits permanents du marché des valeurs.
Pour terminer cet aperçu général du marché financier belge depuis la guerre, il est intéressant de jeter un coup d'œil sur les transformations de la fortune mobilière belge. Nous avons vu déjà que ce terme désigne la valeur des titres belges cotés, telle qu'elle ressort des cours établis un moment donné. Ces chiffres ne tiennent pas compte des valeurs étrangères ni du fait que des valeurs belges sont détenues par des étrangers. Il ne faudrait donc pas les considérer comme représentant la valeur du portefeuille belge.
Ils méritent cependant de retenir l'attention, car ils reflètent les transformations survenues dans le montant des valeurs émises en Belgique, transformations provoquées par les variations des cours et les créations des titres nouveaux (et, dans une mesure restreinte, par les amortissements de titres anciens).
Le tableau qui suit reproduit les évaluations de la fortune mobilière quelques dates caractéristiques, évaluations calculées jusqu'en 1924 par le Moniteur des Intérêts Matériels et depuis 1927 par la Banque Nationale. [Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée, à l’exception des totaux suivants :]
1er mai 1914 : 13.134 dont 6.533 en actions et 6.601 en valeurs à revenu fixe
1er mai 1924 : 45.907 dont 25.215 en actions et 20.693 en valeurs à revenu fixe
1er mai 1930 : 110.937 dont 87.201 en actions et 22.980 en valeurs à revenu fixe
En analysant ce tableau il convient surtout de ne pas perdre de vue les doubles emplois très nombreux. Ils sont plus nombreux encore que dans les chiffres des émissions cités plus haut. En effet, nous en avons éliminé les émissions de titres contre apports en nature. Mais ces émissions provoquent cependant dans certains cas un accroissement des titres existants qui, le plus souvent, finissent par être cotés. Aussi pour supprimer les doubles emplois faudrait-il éliminer non seulement les rubriques « banques » et « trusts » mais encore élaguer sensiblement la plupart des autres rubriques.
Si l'on examine les chiffres totaux pour 1914 et pour l'après-guerre, on est frappé avant tout par la différence dans l'importance relative des titres à revenu fixe et des titres à revenu variable. Tandis qu'avant la guerre ces deux catégories se balançaient à peu près, la première n'intervient, au début de 1930, que pour un cinquième du total. C'est là, on le sait, un résultat de la dépréciation du franc.
(page 130) D'autre part, en ce qui concerne les actions, on peut constater l'accroissement des chiffres jusqu'au début de 1929, accroissement dû à la fois à la hausse des cours, aux augmentations de capital et aux affaires nouvelles. De 1929 à 1930 on constate une très forte réduction, malgré les admissions à la bourse d'un grand nombre de valeurs nouvelles : la baisse des cours a compensé et bien au delà leur effet.
Un examen plus attentif du tableau fera ressortir aussi l'importance prise dans la masse des titres par les valeurs coloniales et les affaires d'électricité et de transports. A noter cependant que dans ces rubriques, les doubles emplois sont particulièrement fréquents.
Concluons. Depuis la guerre le marché financier belge a été constamment dans des conditions particulièrement anormales. Il est probable qu'après l'assainissement qu'entraîne la crise boursière et la dépression économique il fonctionnera d'une manière plus stable et plus régulière.
Cependant, la nature même de l'activité économique actuelle soumet nécessairement les marchés financiers à des influences multiples et changeantes. Par leur essence même ils restent l'élément le plus instable de notre organisme économique.
Depuis la guerre, le rôle des institutions de crédit dans l'économie belge s'est considérablement accru, en même temps que l'organisation bancaire subissait des transformations sensibles.
Nous avons rappelé dans le paragraphe précédent les circonstances qui favorisèrent l'extension considérable de l'activité financière et la multiplication des organismes financiers. Les statistiques officielles de la création des sociétés confondent banques et organismes financiers. Confusion regrettable, certes, mais difficile à éviter, car en Belgique, et en général sur le continent, il n'est guère possible d'établir une distinction nette entre les banques et les autres organismes financiers.
D'après les statistiques officielles, les sociétés bancaires et financières créées chaque année depuis la guerre, se comptent par centaines. Il faut en défalquer les sociétés coopératives qui en majorité sont des organismes modestes de petit crédit mutuel, spécialement de crédit agricole. Il est à noter cependant que certaines sociétés coopératives furent créées pour pratiquer le crédit commercial ou les opérations financières.
Quoi qu'il en soit, si l'on n'envisage que les sociétés anonymes, le nombre des créations annuelles se réduit à quelques dizaines. Parmi ces sociétés, toutes ne méritent pas d'être qualifiées de banque. Beaucoup d'entre elles se livrent exclusivement aux opérations boursières et ne sont d'ailleurs souvent que des maisons de change transformées en sociétés anonymes.
Parmi les multiples créations des périodes d'emballement financier, particulièrement en 1919-1920 et 1927-1928, beaucoup n'eurent qu'une existence éphémère ; certaines s'effondrèrent même dans de krachs retentissants. Les affaires minuscules qui, en principe, ne devraient pas adopter la forme de la société anonyme, étaient très nombreuses. Parfois leur capital n'était que de 50.000 francs ou moins encore et représenté bien souvent par des apports plus ou moins fantaisistes (un vague journal financier, la clientèle, la dénomination sociale, etc.).
Tenons-nous-en aux organismes qui méritent d'être qualifiés de banque. En dresser la statistique est impossible. Notons d'ailleurs que l'extension de l'activité bancaire d'après-guerre consista moins dans la création de sociétés nouvelles que dans le développement des organismes existants. Un certain nombre de groupes bancaires se constituèrent, qui étendirent leurs ramifications sur le pays entier.
Avant d'aborder l'étude de ces groupes, jetons un coup d'œil sur l'ensemble de l'activité bancaire d'après-guerre. Afin d'en dégager les caractères généraux, nous reproduisons d'abord deux tableaux qui condensent les bilans bancaires à quelques dates caractéristiques.
Le premier contient les résultats globaux des statistiques bancaires dressées par le Moniteur des Intérêts Matériels. Il présente l'avantage de comprendre toutes les institutions bancaires de quelque importance. Mais en l'utilisant, il convient de ne pas perdre de vue que les chiffres ne se rapportent pas au même nombre d'établissements. Leur accroissement résulte non seulement de la création d'organismes nouveaux, (page 131) mais encore de l'adjonction à la statistique d'établissements anciens qui auparavant n'y figuraient pas. A noter encore que ce tableau comprend aussi les bilans de certaines banques hypothécaires .
Situations des banques belges (1913 - 1920 - 1925 - 1927 - 1928)
Nombre des établissements : 67 - 72 - 96 -101 - 91
Actif. (En millions de francs.)
Encaisse et avoirs à la Banque Nationale : 172 - 1.231 - 1.354 - 3.030 - 3.341
Portefeuille commercial : 778 - 1.231 - 3.127 - 5.281 - 5.954
Titres et participations : 717 - 2.845 - 4.234 - 4.198 - 5.097
Comptes courants débiteurs : 1.287 - 4.482 - 8.566 - 12.910 - 15.296
Prêts, imm. Mobilier, etc. : 849 - 827 - 1.482 - 2.418 - 3.082
Total de l’actif : 3.802 - 9.182 - 15.796 - 23.502 - 26.348
Passif (en millions de francs)
Capital versé : 496 - 948 - 1.664 - 2.164 - 3.282
Réserves : 235 - 440 - 988 - 1.524 - 2.374
Engagements : 3.009 - 9.182 - 15-796 - 23.502 - 26.348
Bénéfices : 68 - 149 - 326 - 629 - 769
Le second tableau, dressé par nos soins, est moins complet, mais ses chiffres successifs sont plus comparables. Il ne comprend que les situations des 18 établissements cités dans le chapitre précédent. Nous avons entre autres essayé d'y établir, dans l'actif, une distinction entre les fonds publics dans le sens étroit du terme (obligations émises par les pouvoirs publics) et les valeurs industrielles. Dans certains cas, cette distinction n'a été forcément qu'approximative. De même, le manque de précision de certains bilans n'a pas permis d'établir une distinction suffisante entre les avances en comptes courants et les prêts temporaires de caractère spécial, notamment les prêts sur titres. Les chiffres de ce tableau sont donc approximatifs ; pour bien les souligner nous les avons arrondis.
Situation des principales banques belges (en millions de francs) ( 1913 - 1918 - 1919 - 1925 - 1927 - 1929)
Encours et avoirs à la Banque Nationale : 110 - 560 - 935 - 705 - 1.270 - 1.450
Portefeuille-effets : 575 - 215 - 700 - 1.300 -2.440 - 3.500
Comptes courants débiteurs : 740 - 1.065 - 2.570 - 4.120 - 5.930 - 8.300
Prêts divers : 350 - 370 - 280 - 550 - 1.170 - 1.625 -3.085
Actions obligations participations : 420 - 440 - 550 - 1.170 - 1.625 - 3.085
Fonds publics : 190 - 1.000 - 1.450 - 1.000 - 525 - 340
Immeubles : 40 - 45 - 45 - 135 - 133 - 120
Capital versé et réserves : 550 - 600 - 790 -1.650 - 2.240 -5.200
Engagements : 1.835 - 3.080 - 5.680 - 7.125 - 10.400 - 13.200
Bénéfice : 47 - 28 - 55 - 210 - 375 - 480
L'examen des deux tableaux que nous venons de reproduire fait ressortir quelques traits caractéristiques de l'évolution bancaire d'après-guerre. Concernant les moyens d'action des banques, on constatera d'abord l'accroissement sensible de leurs ressources propres, surtout en 1927 et 1928. Cet accroissement résulte avant tout des augmentations de capital et des primes d'émission. Il convient de ne pas perdre de vue que les chiffres du capital et des réserves, relatifs à 1928 ou 1929, résultent de l'addition de francs divers : le capital d'avant-guerre et les accroissements successifs datent d'époques où le pouvoir d'achat du franc n'était pas le même.
En fait, pour savoir ce que représentent réellement le capital et les réserves des banques, il faut examiner leur contrepartie dans l'actif. Un organisme qui avant la guerre aurait placé son capital en fonds d'Etat ou en autres titres de créance verrait sa valeur réelle se réduire parallèlement à la dépréciation du franc. Il n'en serait pas de même pour une banque dont le capital aurait été placé en valeurs dites réelles.
La situation effective varie donc d'un établissement à l'autre ; très souvent d'ailleurs, les éléments d'appréciation font défaut. En outre, la crise boursière rend l'appréciation difficile pour les organismes dont les ressources propres sont contrebalancées à l'actif par un portefeuille industriel. Il semble cependant que, pour l'ensemble des banques et grâce aux réserves non apparentes, la valeur effective des ressources propres dépasse leur montant nominal.
Au surplus, on sait que le principal moyen d'action des banques provient des avoirs de tiers, qui peuvent se subdiviser en : obligations (page 132) dépôts à terme et dépôts à vue. Les obligations jouent un rôle tout à fait restreint ; d'autre part, la plupart des bilans ne permettent pas de distinguer les dépôts à terme des dépôts à vue. Aussi dans les tableaux ci-dessus les avoirs des tiers sont-ils confondus sous la rubrique « engagements. »
En examinant le premier tableau, il faut ajouter au chiffre de 1928 les engagements du groupe dit de Louvain, on obtient alors un total d'environ 28 à 29 milliards, total qui pour 1929 dépassera sans doute 30 milliards. Ici encore, en réduisant les chiffres de 1928 ou de 1929 en francs de 1914, sur la base de l'indice des prix, on serait tenté de conclure à peu près à une stagnation de l'activité. Pareille conclusion serait cependant erronée. Pour apprécier l'importance de l'activité bancaire, il faut non pas comparer les dépôts actuels à ceux d'avant-guerre, mais leurs accroissements successifs, bien qu'il s'agisse de francs subissant une dépréciation à peu près continue.
En effet, à chaque phase de la dépréciation du franc, les dépôts existants et leur contrepartie (escomptes et débiteurs) ne se revalorisent nullement. Ils ne s'accroissent que par la formation de dépôts nouveaux. L'on pourrait cependant s'étonner de ce que, malgré l'accroissement de la production et le développement des échanges, le total des dépôts, réduit en francs anciens, n'ait guère dépassé le niveau de 1914. Mais il faut tenir compte de l'accroissement très sensible de la vitesse de la circulation et du développement du service des chèques postaux ; il faut se dire aussi que les dépôts sont loin de jouer en Belgique le même rôle que dans les pays anglo-saxons : sauf dans les affaires très importantes, le billet de banque reste le moyen de paiement habituel.
C'est surtout l'examen des postes de l'actif qui permettra de dégager les traits les plus caractéristiques de l'évolution suivie par nos banques depuis l'armistice.
Dans le chapitre précédent, nous avons montré comment celles-ci furent amenées, pendant la guerre, à placer presque toutes leurs ressources nouvelles en obligations provinciales et communales. Aussi voyons-nous, dans notre deuxième tableau, le poste « fonds publics » passer de 190 millions en 1913 à un milliard en 1918.
Ce poste augmente encore en 1919 par suite, d'une part, des emprunts importants de l'Etat, et d'autre part de l'accroissement brusque des ressources des banques, accroissement résultant de l'inflation due au retrait des marks. Mais en même temps nous voyons les comptes courants débiteurs faire un bond formidable : l'industrie demande des avances, soit pour commencer immédiatement les travaux de reconstitution, soit pour accroître le fonds de roulement. Par contre, les opérations d'escompte se développent faiblement en 1919 ; la matière escomptable n'est pas abondante, les opérations commerciales se faisant surtout au comptant.
Dans la suite nous voyons le portefeuille de fonds publics se réduire régulièrement, en partie par amortissements et surtout par réalisations. Par contre, les comptes courants débiteurs vont en augmentant, ainsi que le portefeuille industriel. Ce dernier fait s'explique aisément : depuis l'armistice l'industrie, tout en procédant à des émissions d'actions, accroît sa dette en banque pour développer ses fonds de roulement ; d'autre part, à mesure que le franc se déprécie, les banques cherchent à augmenter leurs placements en valeurs réelles.
D'une manière générale, les tableaux reproduits plus haut font ressortir que, depuis la guerre, le caractère industriel des banques belges s'est sensiblement accentué. Le trait le plus marqué de cette évolution est l'accroissement des participations permanentes des banques dans l'industrie. Le champ de ces participations s'est étendu. Avant 1914, les portefeuilles des banques contenaient principalement des titres de charbonnages, de sociétés métallurgiques, de tramways et, depuis les dernières années d'avant-guerre, des titres coloniaux et électriques. Depuis l'armistice, ces participations se sont sensiblement développées, en outre elles se sont étendues aux industries chimiques, verrières, textiles, aux papeteries, aux sucreries, etc.
Il est à signaler aussi que dans plusieurs cas les banques ne se limitèrent pas à des participations, mais prirent elles-mêmes d'importantes initiatives (créations d'affaires nouvelles ou fusions). Les industries verrières et chimiques ainsi que celles du zinc et des métaux non ferreux provenant du Congo, en fournissent des exemples frappants. A ce propos, rappelons le rôle (page 133) prédominant pris par les banques (surtout par le groupe de la Société Générale) dans le développement économique du Congo.
On pourrait se demander si ces participations industrielles ne présentent pas un danger d'immobilisation. En général cependant, l'accroissement du portefeuille des banques est accompagné d'une augmentation parallèle du capital. Le danger d'immobilisation, il est vrai, réside souvent bien plus dans les avances en compte courant que dans le portefeuille-titres. On se trouve alors devant une question à laquelle aucune réponse générale n'est possible ; on ne peut l'étudier qu'en examinant à fond la situation de chaque établissement, examen pour lequel les bilans à eux seuls ne suffisent pas.
Cependant, dans l'ensemble, la liquidité des banques ne paraît pas menacée. Cette appréciation se base principalement sur l'importance de leurs encaisses et de leur portefeuille commercial, principale ligne de défense en cas de crise, ainsi que sur la forte position de la Banque Nationale.
L'évolution financière belge depuis la guerre se caractérise surtout par un mouvement d'extension et de concentration bancaire. Par cette expression nous entendons un double phénomène : d'une part l'expansion d'un certain nombre de banques par voie de multiplication de leurs agences ; d'autre part les fusions ou la création de liens étroits entre ces banques.
Cette évolution a changé complètement toute la physionomie de l'organisation bancaire belge ; elle mérite donc un exposé assez détaillé.
Dans les chapitres précédents de ce travail, nous avons montré comment les organismes bancaires se sont multipliés en Belgique, surtout depuis la dernière décade du siècle passé. Or, justement depuis cette même époque environ, un mouvement de concentration bancaire se déroulait dans les principaux pays voisins : en Angleterre, les grandes banques de la capitale ou des principaux centres absorbaient en grand nombre les petites banques locales, banques privées ou petites sociétés par actions ; en France, les grands établissements de crédit multipliaient leurs agences, soit en les créant de toute pièce (méthode du Crédit Lyonnais), soit en absorbant les banques locales existantes, suivant la méthode anglaise ; en Allemagne enfin, les grandes banques berlinoises prenaient des participations dans les banques provinciales importantes qui, elles, se rattachaient des banques plus petites, créant ainsi des « konzerns » bancaires ayant leurs ramifications dans le pays entier.
La Belgique restait étrangère à ce mouvement, son organisation bancaire demeurait essentiellement dispersée. La plupart des banques étaient des organismes plus ou moins modestes, aux moyens d'actions limités et travaillant chacune pour son compte, à son siège social, sans agences ni affiliations. Seule la Société Générale disposait de ressources élevées et se trouvait à la tête d'un groupe de banques patronnées, dans lesquelles elle possédait la majorité du capital ; ces filiales étaient établies chacune dans un centre provincial important et disposaient même généralement de quelques agences dans des localités secondaires. Nous avons mentionné quelques-unes de ces filiales dans les chapitres précédents. A part cette unique exception, l'organisation bancaire belge se caractérisait donc par son extrême dispersion.
On peut découvrir aisément les raisons qui maintenaient la Belgique à l'écart du mouvement de concentration. Avant la guerre, l'usage du dépôt et du chèque était très peu répandu chez nous. La Banque Nationale, qui avait des agences dans tous les centres provinciaux, appliquait une politique d'escompte très libérale. Non seulement elle réescomptait avec beaucoup de facilité le papier présenté par les banquiers, mais encore la clientèle industrielle et commerciale y avait facilement accès par l'entremise des comptoirs d'escompte, comités locaux sélectionnant le papier présenté à chaque agence et garantissant son remboursement moyennant une légère commission.
Aussi nous sommes-nous habitués à l'usage du billet et non du chèque ; de plus, les petites banques locales étaient certaines de trouver toujours un appui à la Banque Nationale ; enfin, les banques de la capitale, assurées de pouvoir toujours réescompter leur papier à l'institut d'émission, ne se préoccupaient guère de la (page 134) « chasse aux dépôts » et ne se souciaient pas de créer des agences à cet effet. Il faut ajouter encore qu'avant la guerre, la Banque Nationale ne se contentait pas de réescompter le papier commercial proprement dit, mais consentait même dans certains cas à mobiliser les avances faites par les banques en comptes courants. (Nous reviendrons sur cette question plus loin à propos de la Société nationale pour le crédit à l’industrie.)
D'autre part, rappelons que la plupart des banques belges, surtout celles de la capitale, ne se contentaient pas de faire des opérations à court terme ; elles se livraient aux opérations dites financières, aux émissions notamment. Or, à ce point de vue encore rien ne stimulait les banques de Bruxelles à s'étendre en province. Depuis la loi de 1867 sur la liberté de la bourse, les agents de change se sont multipliés non seulement dans la capitale, mais encore en province. Comme on le sait, leurs opérations ne se bornent pas à l'exécution d'ordres de bourse, ils placent aussi des titres à commission pour le compte de banques ou de sociétés diverses, sans parler des titres qu'ils placent pour leur propre compte. Par conséquent, pour l'écoulement des titres, les banques disposaient de toute une armée d'intermédiaires et n'éprouvaient nullement la nécessite d'être représentées directement en province.
Il faut aussi tenir compte du faible degré de la concentration industrielle en Belgique et du fait qu'un grand nombre de banques provinciales étaient des affaires assez anciennes, contrôlées depuis longtemps par les mêmes intérêts et jalouses de leur autonomie ; souvent c'étaient, plus ou moins, des affaires de famille.
Ne perdons pas de vue, en outre, les dimensions restreintes du pays et la grande facilité des moyens de communications (même avant l'automobilisme) qui permettaient aux banques de Bruxelles de s'intéresser aux affaires de province et de les suivre, sans être représentées sur place. Pour les mêmes raisons, presque toutes les opérations financières quelque peu importantes se concentraient dans la capitale, la Bourse de Bruxelles était « la » bourse du pays. (Parmi les bourses provinciales celle d’Anvers n’était pas négligeable). Aussi était-il possible de toucher de Bruxelles toute la clientèle des valeurs mobilières, bien plus limitée alors qu'à présent.
Enfin le caractère individualiste de l'homme d'affaires belge et l'esprit particulariste si intense chez nous contribuaient certainement aussi à maintenir la grande dispersion de notre organisation bancaire.
Cette dispersion avait même une tendance à s'accentuer. Prenons, par exemple, les tableaux annuels publiés par le Moniteur des Intérêts Matériels et qui comprenaient toutes les banques belges ayant quelque importance. En éliminant 4 banques hypothécaires, nous trouvons, en 1899, 55 établissements de crédit dont les ressources propres (capital versé et réserves) s'élevaient à 384 millions et les avoirs des tiers (dépôts, etc.) à 984 millions.
En tête venaient : la Société Générale, la Banque de Bruxelles, la Caisse de Reports, la Caisse Commerciale de Bruxelles, la Banque d'Anvers et le Crédit Général Liégeois. Ensemble, ces organismes disposaient de 175 millions de ressources propres (dont 83 millions pour la Société Générale) et de 440 millions d'engagements envers les tiers (dont 157 pour la Société Générale).
En totalisant les avoirs propres et ceux des tiers, nous trouvons pour ces 6 établissements 615 millions sur un total de 1.368, soit à peu près 45 %. Ainsi donc, à la fin du XIXème siècle, la Belgique comptait une banque importante, 5 établissements moyens et un assez grand nombre d'organismes petits et même minuscules.
Si nous examinons le tableau se rapportant la fin de 1913, nous trouvons, toujours en éliminant les banques hypothécaires, 63 établissements dont les ressources propres s'élevaient à 705 millions et les engagements envers les tiers à 2.636 millions. Les 6 organismes énumérés plus haut étaient réduits à 5, le Crédit Général Liégeois ayant absorbé la Caisse Commerciale, dont il détenait déjà auparavant une partie du capital-actions. Ces 5 établissements disposaient de ressources propres s'élevant à 270 millions (dont 100 millions pour la Société Générale) et des avoirs de tiers s'élevant à 1.070 millions (dont 380 pour la Société Générale). L'ensemble de leurs moyens d'action s'élevait donc à 1.340 millions sur un total de 3. 341 millions, soit 39 %, contre 45 % en 1899.
Ainsi donc, globalement, les 5 principaux établissements n'ont pas gardé leur importance proportionnelle dans l'ensemble de l'organisation bancaire, ce (page 135) qui dénote un phénomène diamétralement opposé à un mouvement de concentration.
C'est qu'entre-temps, des établissements inexistants ou de peu d'importance en 1899, se sont sensiblement développés. A la veille de la guerre, nous n'avons encore toujours qu'une grande banque, la Société Générale, mais les établissements moyens sont plus nombreux qu'en 1899. A côté de ceux signalés plus haut, nous trouvons : la Banque d'Outremer, la Banque Internationale de Bruxelles, le Crédit Anversois, la Banque de Reports et de Fonds publics (à Anvers), la Banque Belge pour l'Etranger.
Et pourtant, durant les dernières années d'avant-guerre, on constate une certaine fermentation dans le monde bancaire belge et même quelques indices de l'éclosion prochaine d'un mouvement de concentration. On peut dire en somme, que ce mouvement résultait à la fois du développement industriel et de l'exemple de l'étranger. En effet, les progrès de l'industrie, son expansion au delà de nos frontières et les débuts de la mise en valeur de la colonie alimentaient une activité financière grandissante et incitaient les banques à accroitre leurs moyens d'action. D'autre part, dans les milieux d'affaires et dans la presse, on s'occupait de ce qui se passait chez nos voisins : on citait des exemples d'organisation nouvelle en France, en Allemagne surtout ; on citait moins l'Angleterre, dont les méthodes bancaires sont trop différentes des nôtres. Ces observations ne pouvaient manquer d'exercer une influence psychologique.
Aussi constatons-nous d'abord que la Société Générale étend son réseau de banques affiliées. Fin 1899, elles sont au nombre de 11 avec 15 sièges d'activité. Le total de leurs avoirs propres s'élevait à 68 millions et celui de leurs engagements envers les tiers à 200 millions (dont respectivement 26 et 60 millions pour la Banque d'Anvers). Fin 1913, le nombre des banques patronnées s'élève à 18 avec 61 sièges d'activité. Leurs avoirs propres atteignaient 96 millions et les ressources des tiers 461 millions. Il faut encore ajouter à ce groupe la Banque belge pour l'Etranger, affiliée à la Société Générale et qui commençait à prendre une extension marquée. Ainsi donc, nous sommes ici en présence d'un « groupe » très important et « concentré », si l'on peut dire.
D'autre part, à la veille même de la guerre, en avril 1914, la Banque de Bruxelles procède à une importante augmentation de capital et contracte une alliance avec un groupe industriel puissant : elle se prépare visiblement à prendre un grand essor (voir supra, p. 99à. Enfin, après avoir absorbé en 1913 trois banques secondaires, très actives, de Bruxelles (le Comptoir de la Bourse, la Banque Auxiliaire de la Bourse et la Société Belge de Banque), le Crédit Anversois commence à créer des agences en province, selon la méthode du Crédit Lyonnais. Il est donc permis d'affirmer que, sans la guerre et ses suites, le mouvement de concentration bancaire se fût produit, mais il est probable qu'il eût été beaucoup moins intense et moins rapide. Les perturbations économiques et les réactions psychologiques nées de la guerre lui ont donné une impulsion telle qu'on peut le considérer, en somme, comme tout récent.
Les facteurs qui l'ont déterminé ont été mentionnés au paragraphe précédent, lorsque nous parlions du développement récent du marché financier. Pour drainer l'épargne qui s'était répandue dans les campagnes et dans les masses urbaines, les banques voulurent s'établir dans les petits centres ruraux et créer des agences de quartier dans les villes importantes. De même, le développement des placements en valeurs industrielles et des opérations spéculatives les poussa aussi à toucher un public de plus en plus nombreux, afin de recueillir les ordres de bourse et de réaliser les innombrables émissions auxquelles elles procédaient.
Aussi les principales banques provinciales commencèrent-elles, pendant la guerre déjà, à créer ou à multiplier leurs agences. Après la guerre, ce mouvement devint vraiment impétueux. En même temps les principales banques de Bruxelles cherchèrent à établir des liens de plus en plus nombreux et étroits avec les banques provinciales, afin d'être représentées un peu partout dans le pays.
Rappelons encore que, depuis la guerre, les idées de rationalisation et de concentration jouissent chez nous d'une faveur marquée, surtout dans certains milieux bancaires. Ainsi ce sont particulièrement quelques dirigeants de grandes banques qui furent les protagonistes de (page 136) la concentration industrielle. Tout naturellement ils appliquèrent le même principe dans leur propre domaine. La rivalité ou, si l'on préfère, l'émulation entre les principaux groupes n'a pas été étrangère non plus à l'intensification de ce mouvement.
L'ensemble de ces facteurs a donc provoqué, en l'espace de quelques années, un changement profond dans la physionomie de l'organisation bancaire belge. Il ne peut être question de suivre ici pas à pas les diverses phases et les incidents de cette évolution. Contentons-nous d'en exposer les résultats les plus saillants.
Comme nous l'avons dit plus haut, avant la guerre les banques belges étaient indépendantes les unes des autres, sans lien entre elles ; chacune concentrait, en règle générale, son activité au siège social. Seule la Société Générale se trouvait à la tête d'un groupe bancaire, qui commençait à prendre une certaine extension.
A présent, notre organisation bancaire est dominée par quelques groupes puissants, aux ramifications multiples.
En tête vient naturellement la Société Générale, qui reste, et de loin, l'organisme le plus puissant et qui a été l'agent principal du mouvement de concentration. Pendant la guerre, déjà, quelques-unes de ses banques patronnées augmentèrent leur capital et commencèrent à multiplier leurs agences. Depuis la guerre, ce mouvement s'est accéléré, pour aboutir à la situation actuelle ; le nombre des banques patronnées a été réduit de 18 à 16 par suite de fusions intervenues à l'intérieur même du groupe. Mais à présent, tous les établissements du groupe disposent, chacun dans sa région, d'un réseau serré d'agences, quelques-uns en ont au delà de 30 et même de 40. De sorte qu'au total le groupe est représenté dans 400 localités à peu près, contre 61 en 1913.
L'extension de ses filiales n'est pas la seule contribution de la Société Générale au mouvement de concentration bancaire. L'absorption de la Banque d'Outremer est un événement suffisamment récent et qui a fait assez de bruit pour qu'il soit inutile de s'y arrêter.
Il convient aussi de signaler, comme fusions importantes intéressant le groupe de la Société Générale, l'absorption par la Banque d'Anvers de la Banque des Reports et de la Banque de l'Union Anversoise, ainsi que la fusion toute récente de la Banque de Gand avec la Banque de Flandre qui remonte à 1841 (Cf. supra, p. 23). Enfin, il faut aussi tenir compte de l'expansion de la Banque Belge pour l'Etranger, affiliée à la Société Générale.
En deuxième lieu, il convient de mentionner l'expansion du groupe de la Banque de Bruxelles. Pendant la guerre, celle-ci absorba la Banque Internationale de Bruxelles et prit un intérêt dans la Banque Liégeoise, la plus ancienne du pays, après la Société Générale. Ce fut là le noyau d'un groupe qui s'étendit ensuite au point de comprendre actuellement 20 établissements avec 385 sièges d'activité.
Une des principales phases de l'expansion de la Banque de Bruxelles a été la « conquête » du Crédit Général Liégeois, établissement assez ancien lui aussi et qui avait de fortes attaches avec l'industrie de la région mosane (v. supra, p. 98).
Il fut d'abord question d'une absorption par la Banque d'Outremer ; les pourparlers n'aboutirent pas cependant et, en 1927, le groupe de la Banque de Bruxelles réussit à obtenir le contrôle de l'affaire et à l'absorber.
Si l'on considère le nombre des établissements affiliés, le groupe de la Banque de Bruxelles paraît donc avoir la même importance que celui de la Société Générale. Mais il convient de noter que la plupart des banques affiliées à la Banque de Bruxelles sont des organismes de création récente : quelques-uns n'ont été créés qu'après la guerre, notamment par la transformation de commandites en sociétés anonymes. Disons à ce propos qu'à la fin de 1929, l'actif total de la Société Générale et de son groupe s'élevait à 17,8 milliards (dont 6 milliards et quart à la société-mère et plus de 4,5 milliards à la Banque Belge pour l'Etranger). L'actif de la Banque de Bruxelles et de son groupe (y compris le Crédit Général du Congo) s'élevait à 6.650 millions environ. Il est à noter (page 137) aussi que les réserves non apparentes sont bien plus élevées dans le premier groupe que dans le second.
Le développement de ces deux grands groupes a donc été le fait le plus saillant de l’évolution bancaire belge d'après-guerre. On peut aussi considérer comme fait significatif la formation du groupe du Boerenbond appelé habituellement jusqu'en ces derniers temps « groupe de Louvain ». Son développement reflète l'ascension économique des classes agricoles, du moins de la partie flamande du pays. Le Boerenbond lui-même, la vaste association qui groupe les intérêts politiques et économiques des campagnes, comprend entre autres dans son organisation une caisse centrale de crédit, à laquelle sont affiliées un millier environ de caisses agricoles locales (du type Raiffeisen). Les dépôts à la Caisse centrale dépassent un milliard de francs.
Depuis longtemps, la Caisse centrale collaborait avec le groupe bancaire dit de Louvain ; récemment elle en prit officiellement le contrôle.
La Banque Populaire de Louvain (ou Volksbank van Leuven) a été créée sous forme de société coopérative, en 1889, par un groupe d'hommes politiques appartenant au parti catholique. Sans grande importance auparavant, elle s'est pendant la guerre, et depuis, fort développée ; en 1919 elle a été transformée en société anonyme.
Elle a créé des filiales dans les principaux centres flamands, filiales qui toutes disposent d'un réseau d'agences. Il y a deux années environ, ce groupe comptait 7 organismes. Mais, à la suite de certaines fusions, il ne se compose plus à présent que de trois établissements. La banque de Louvain elle-même a été fusionnée avec la principale filiale du groupe établie à Anvers, l'organisme qui en résulta prit la dénomination de « Algemeene Bankvereeniging en Volksbank van Leuven ». La Caisse Centrale du Boerenbond intervint dans la constitution de l'organisme nouveau, dont elle souscrivit une fraction du capital.
En province, la Banque est représentée à présent par la Bank voor Oost-Vlaanderen (Banque de la Flandre Orientale), à Gand, et la Bank voor Handel en Nijverheid' (Banque pour le Commerce et l'Industrie), à Courtrai. Ensemble les trois banques possèdent environ 250 agences, situées presque toutes dans la partie flamande du pays. Mais le groupe fait un effort pour prendre pied dans la partie wallonne.
L'actif total du groupe du Boerenbond (y compris la Caisse Centrale) dépasse 2 milliards. Ses rapports ne sont pas très explicites et la composition des portefeuilles-titres n'est pas publiée. Dans son ensemble, il se rapproche en somme du type de la banque mixte. Outre ses opérations de crédit à court terme, il a pris des participations dans des affaires textiles, électriques, chimiques, coloniales, etc. Il possède même, dans le bassin de la Campine, une concession minière, dont la mise en valeur n'est pas encore commencée cependant. D'autre part et depuis assez longtemps la Caisse centrale de Crédit contrôle quelques entreprises se rattachant à l'agriculture (sucrerie, fabriques de conserves de légumes, etc.).
Ces trois groupes, Société Générale, Banque de Bruxelles, Boerenbond, pour les énumérer par ordre d'importance décroissante, sont le résultat le plus saillant du mouvement de concentration. A eux trois ils absorbent une grande partie de l'activité bancaire. On peut estimer qu'ils disposent de la moitié environ, sinon davantage, de sièges ou agences bancaires existant dans le pays.
Pour terminer cette esquisse générale du mouvement de concentration bancaire depuis la guerre, il faut signaler l'expansion du Crédit Anversois. Tandis que dans les passages précédents nous parlions de la formation de groupes à base régionale, nous avons, cette fois-ci, affaire à un établissement poursuivant son expansion, à lui seul, dans le pays entier. Avant la guerre il ne comptait qu'une dizaine d'agences, il en possède actuellement 175 environ. Quelques-unes seulement résultent de la reprise d'une petite affaire locale, presque toutes ont été créées de toutes pièces. C’est donc l'application de la méthode suivie en France par le Crédit Lyonnais.
Abstraction faite de ce dernier cas, la concentration bancaire belge est donc à base régionale. De plus en plus, l'armature de l'organisation bancaire se compose d'établissements situés (page 138) dans les principaux centres provinciaux, possédant dans les diverses localités de la région un réseau d'agences toujours plus serré et affiliés à un des grands groupes bancaires.
Cette méthode de concentration s'est imposée par la force même des choses ; elle résulte d'un concours de circonstances tenant aux conditions économiques et sociales du milieu belge. On sait combien est profond le sentiment particulariste dans ce pays. De plus, la vie régionale y est très intense. Par suite de la grande densité de la population et de la puissante activité économique, la plupart des centres provinciaux, même secondaires, sont le siège d'entreprises industrielles ou commerciales.
Un établissement bancaire régional, ayant déjà des racines dans le pays ou créé avec la collaboration des personnalités de la région, a donc bien plus de chances, d'une part, d'attirer les déposants et, d'autre part, d'apprécier exactement le crédit de la clientèle industrielle et commerciale. Aussi comprend-on que les établissements importants aient préféré s'affilier les organismes régionaux existants, ou, à la rigueur, en créer en collaboration avec des éléments locaux, plutôt que d'établir des agences.
Nous avons dit que le Crédit Anversois seul suit une voie différente. Mais son genre d'activité diffère quelque peu de celui de la plupart des banques belges et notamment de celui des principales banques de la capitale. Après avoir à l'origine pris des participations dans diverses affaires, il les a liquidées après la crise de 1900- 1901 et s'est orienté exclusivement vers les opérations à court terme (v. supra, p. 98.) Il est donc assez éloigné du type de la banque mixte et se rapproche de celui du Crédit Lyonnais, non seulement par ses méthodes d'expansion, mais encore par sa politique générale.
L'exposé du mouvement de concentration nous a conduit à parler des principales banques belges. Dans cette étude très générale nous ne pouvons nous y arrêter davantage. Occupons-nous maintenant tout aussi sommairement de deux ou trois autres établissements qui, depuis l'armistice, ont joué un rôle important dans le mouvement financier.
En premier lieu signalons une création d'après-guerre, la Société Nationale de Crédit à l'Industrie. On sait qu'avant la guerre déjà, le problème du crédit industriel était discuté dans plusieurs pays. En Belgique, la question intéressait surtout les entreprises d'importance moyenne qui ne pouvaient pas recourir à des émissions d'obligations ni obtenir des crédits à long terme pour développer leurs investissements. En fait, par l'entremise de leurs banquiers ou des comptoirs d'escompte de la Banque Nationale, certaines de ces entreprises obtenaient souvent des crédits à plus ou moins long terme auprès de l'institut d’émission, par le procédé d'effets renouvelables. Mais ceci n'allait pas sans inconvénients pour la Banque Nationale, dont le portefeuille finit par s'encombrer d'effets représentant de véritables immobilisations ; aussi cherchait-elle à restreindre cette pratique, qui d'ailleurs ne présentait pas de garanties suffisantes de stabilité ni de durée pour les entreprises qui en bénéficiaient.
Aussi a-t-on élaboré pendant la guerre déjà le projet d'un organisme qui déchargerait la Banque Nationale de ses immobilisations et qui pratiquerait le crédit industriel à l'aide d'émission d'obligations.
La création de la S.N.C.I. a été décidée par une loi du 20 mars 1919 ; l'intervention du législateur s'imposait notamment parce que l'Etat garantit l'intérêt des obligations émises par la Société et parce que celle-ci a été créée par la Banque Nationale, opération qui n'était pas prévue par ses statuts. Le capital initial de la S.N.C.I - 25 millions - a été souscrit par la Banque Nationale à l'aide d'une partie de ses réserves accumulées, de sorte qu'elle a pu distribuer les actions de l'organisme nouveau entre ses propres actionnaires. En fait, jusqu'en 1926, la S.N.C.I. pouvait être considérée en quelque sorte comme une annexe de la Banque Nationale. En 1926 son capital porté auparavant déjà (page 139) à 50 millions l'a été à 150 millions ; la moitié du capital nouveau a été souscrite par les principales banques du pays et les liens officiels avec la Banque Nationale ont été rompus.
Pendant les premières années de son activité, la S.N.C.I. engageait pour ainsi dire l'intégralité de ses ressources pour aider les industries sinistrées (avances sur dommages de guerre). Depuis l'assainissement du budget et le rétablissement des finances de l'Etat, la Société a pu récupérer ses avances et s'orienter vers des activités qui rentrent plus étroitement dans le cadre même de son objet social. Elles est adonnée spécialement à la pratique du crédit à l'exportation pour les contrats de plus ou moins longue durée. Notons d'ailleurs que ses avances doivent être garanties par une signature bancaire, à moins que le Conseil ne décide unanimement que les sûretés réelles ou personnelles proposées dans un cas déterminé sont largement suffisantes pour assurer la totalité du risque. A la fin de 1929 son capital versé et les réserves s'élevaient à 130 millions, les obligations émises à 868 millions et les dépôts à terme 281 millions. Ses moyens d'action atteignaient donc 1.300 millions.
La Mutuelle Solvay est une autre banque industrielle, mais de nature différente. Créée au début de 1914 au capital de 5 millions sous la dénomination de Mutuelle Mobilière et Immobilière, ce n'était alors qu'un modeste investment-trust. Aussi pouvons-nous presque la considérer comme une création d'après-guerre. Son extension date de cette époque. Elle est devenue un grand organisme de crédit industriel ou plus exactement un organisme financier contrôlé par un groupe industriel. Outre les intérêts industriels importants qu'elle possède en Belgique et à l'extérieur, elle a pris des participations importantes dans des banques belges et étrangères, notamment dans la Banque Générale Belge. Ayant des attaches étroites avec la Société Générale et la Banque de Bruxelles, elle n'est cependant alliée à aucun groupe et veille jalousement à maintenir sa complète indépendance. Au bilan de 1929, l'actif total (dans le sens défini plus haut) de la Mutuelle Solvay est de 950 millions environ. Pour apprécier l'influence de cet organisme il ne suffit pas d'envisager son bilan, il faut tenir compte de l'ensemble des intérêts du groupe dont la Mutuelle est l'émanation.
Nous serions incomplets, même dans une étude sommaire de notre évolution bancaire, si nous ne mentionnions pas la Banque Belge du Travail. Sans grande importance financière, elle mérite cependant de retenir l'attention par ses particularités. Si le groupe du Boerenbond ne fait pas mystère de ses attaches avec le parti catholique, la Banque Belge du Travail s'affiche comme banque socialiste. Emanation de la célèbre coopérative gantoise le « Vooruit », elle a l'ambition de devenir l'outil financier par lequel sera créé « un Etat ouvrier dans l'Etat bourgeois. » Créée en 1913, au capital d'un million, elle a repris la clientèle et l'installation d'un agent de change gantois. A l'heure présente, son capital propre est de 20 millions ; le total de son actif s'élève, en chiffres ronds, à 275 millions, dont 50 représentés par son portefeuille-titres. La moitié environ de ses participations est engagée dans l'industrie textile, où elle exerce une influence non négligeable.
Elle possède cinq agences, établies toutes dans la partie wallonne du pays. Elle a aussi des attaches étroites avec le Comptoir de Dépôts et de Prêts, de Bruxelles, qui peut être considéré comme la banque officielle du parti socialiste. Ce Comptoir, établi sous forme de société coopérative, est un organisme beaucoup plus modeste que la Banque Belge du Travail. Il groupe principalement les dépôts de syndicats, de mutualités, etc. affiliés au parti ouvrier.
Au point de vue de son activité, la Banque Belge du Travail ne se distingue guère des autres organismes bancaires. Ses actions, non seulement de capital mais encore de dividende, sont cotées à la bourse, elle prend des participations dans diverses affaires, etc. Peut-être le lecteur sait-il que cette création d'Ed. Anseele a provoqué maintes fois des polémiques ardentes dans la presse et aux congrès socialistes. Un certain nombre de militants lui reprochaient, ainsi qu'aux sociétés anonymes industrielles fonctionnant sous son contrôle, d'adopter tous les procédés du capitalisme financier et de n'avoir rien de socialiste. La forme de société anonyme a surtout été critiquée. Après de longues (page 140) discussions, le Conseil général du parti socialiste vota récemment une résolution qui admet la forme de la société anonyme pour les entreprises socialistes, mais en posant des conditions qui, respectées, rendraient cette forme inefficace et dont certaines d'ailleurs manquent de précision. Les deux conditions principales formulées par le Conseil général méritent d'être reproduites : Le service des capitaux individuels ou collectifs étant assuré [que faut-il entendre par service?] ainsi que les réserves nécessaires au développement de l'œuvre, distribution du surplus des profits aux producteurs, c'est-à-dire, aux travailleurs et aux consommateurs et clients ;
« La direction de la société aux mains de l'assemblée générale, sans pouvoirs excessifs aux conseils d'administration perdant contact avec les actionnaires [où commencent les pouvoirs excessifs ? l, sans actions de vote plural et, d'autre part, avec droit de regard du personnel et respect de tous les droits syndicaux. »
Avant la guerre l'insuffisance de la représentation bancaire belge à l'étranger était le défaut le plus grave de notre organisation financière. La possession d'agences bancaires à l'extérieur facilite, on le sait, l'octroi de crédits à l'exportation ; quand il s'agit de pays neufs peu développés, elle permet souvent aussi d'établir des relations financières et commerciales dont résultent des commandes de matériel ou de fournitures diverses. On sait le rôle joué par les banques anglaises et allemandes, établies à l'étranger, dans l'expansion du commerce extérieur de leur pays.
En Belgique, la solution de ce problème se heurtait à des difficultés toutes particulières. Une banque anglaise ou allemande s'établissant dans un centre étranger y trouve le plus souvent un groupe de nationaux ; cette « colonie » anglaise ou allemande lui fournit le premier noyau de sa clientèle et sert de trait d'union avec les éléments indigènes. Mais nous n'avons guère de « colonies » belges dans les pays éloignés.
Il est à noter aussi que la Belgique, par suite de l'importance de son exportation, avait ses relations industrielles et financières disséminées un peu partout, tandis que les faibles dimensions du pays ne pouvaient permettre de multiplier la représentation bancaire dans toutes les directions. Enfin, n'oublions pas que l'agence d'une banque belge s'établissant dans un centre étranger ne pouvait y jouir du même prestige que celle d'une banque d'un grand pays.
La Belgique bancaire ne commence à être représentée directement à l'étranger qu'au début de ce siècle, encore cette représentation ne se développait-elle qu'avec une extrême lenteur. A la veille de la guerre, la Banque Belge pour l'Etranger avait 3 agences en Chine, une en Egypte et une à Londres, la Banque Italo-Belge avait 4 agences dans l'Amérique du Sud. On pourrait y ajouter les 5 agences de la Banque du Congo Belge.
Depuis la guerre, la représentation bancaire belge à l'étranger a fait quelque progrès. La Banque Belge pour l'Etranger a augmenté ses agences en Egypte, elle s'est installée en Roumanie, en Turquie. La Banque Italo-Belge a porté à 8 le nombre de ses agences dans l'Amérique du Sud.
Signalons aussi qu'en Bulgarie, la Banque Belge pour l'Etranger, au lieu de créer des agences, participa à la fondation de la Banque Franco-Belge de Bulgarie. D'autre part, elle a renoncé récemment à exploiter elle-même ses agences roumaines et les a cédées à la Banque Commerciale Roumaine sur l'administration et la direction de laquelle elle s'est assurée une influence importante. De même, elle fit apport de ses agences égyptiennes à une société nouvelle, la Banque Belge et Internationale en Egypte, créée par un groupe international dans lequel les éléments belges prédominent. Ces transformations sont dues à ce que dans la plupart des pays, surtout dans les pays économiquement jeunes et plus particulièrement depuis la guerre, - qui a développé et exagéré partout le sentiment nationaliste, - une banque étrangère se heurte souvent à des obstacles que ne rencontre pas une société indigène, même si l'influence étrangère y est assez forte.
Ajoutons que depuis la guerre aussi, les principales banques belges ont acquis des participations dans des banques anciennes en Autriche, en Yougoslavie, en Tchécoslovaquie, en (page 141) Espagne, etc. Dans l'ensemble, les liens bancaires avec l'étranger sont donc devenus plus nombreux. Toutefois la prise d'intérêts dans une banque étrangère entièrement administrée des éléments indigènes se ramène souvent à une simple participation financière, sans répercussion sur l'exportation et l'expansion industrielle dans le pays étranger. Elle ne présente donc pas les mêmes avantages que la représentation bancaire directe.
Avant la guerre, plusieurs banques étrangères étaient établies en Belgique. Les grandes banques françaises, notamment, commencèrent à s’implanter chez nous dès 1870. En 1914 nous avions ici des agences de six banques françaises, de deux banques allemandes (Deutsche et Disconto), d'une banque anglaise (à Anvers), d'une banque suisse et d'une banque russe.
Les agences des établissements de crédit français, qui avaient des disponibilités considérables, se livraient à des opérations de crédit à court terme et faisaient même aux banques belges une concurrence assez vive sur le marché de l'escompte. L'agence de la Banque de Paris et des Pays-Bas, de son côté, jouait un rôle important dans les opérations financières. Les autres banques étrangères avaient aussi comme objectif principal la participation à l'activité du marché financier ou le financement du commerce extérieur. Leur but n'était guère de placer ici des capitaux.
Au lendemain de la guerre, les agences des banques allemandes furent liquidées, mais nous vîmes se multiplier les agences des banques anglaises et américaines. Leur activité consistait, surtout à l'origine, en opérations de change ; elles servent en outre d'agents pour les placements de leurs nationaux en Belgique, ainsi que pour leurs opérations commerciales. Quelques-unes, les banques américaines surtout, ont pu se former aussi une clientèle locale assez importante. La multiplication de ces agences est un des indices de l'accroissement des intérêts étrangers en Belgique, accroissement dont nous avons déjà parlé.
Dans le chapitre précédent nous avons consacré un long paragraphe aux trusts financiers. La place nous fait défaut pour parler de leur évolution depuis la guerre. Contentons-nous de signaler que les trusts importants anciens ont vu leur activité se développer considérablement. En ces derniers temps un mouvement de fusion, non terminé encore sans doute, s'est manifesté dans ce domaine aussi. Ainsi naquirent l’Electrobel et l'Electrorail. Depuis la guerre, un assez grand nombre de trusts nouveaux ont été créés. Pendant la dernière période d'emballement financier, en 1927-1929, il y eut notamment beaucoup de créations, dont toutes ne sont pas également sérieuses.