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Le marché financier belge depuis cent ans (1830-1930)
CHLEPNER Serge - 1930

CHLEPNER Serge, Le marché financier belge depuis cent ans (1830-1930)

(Paru en 1930 à Bruxelles, aux éditions de la Librairie Falk Fils)

Chapitre IV. Le grand essor industriel et l’expansion à l’étranger (1875-1914)

1. L’essor industriel

(page 72) Les divisions de l'histoire en tranches bien définies sont toujours conventionnelles, surtout quand il s'agit de l'histoire économique. Les dates inscrites en tête de ce chapitre ne doivent donc être prises qu'à titre d'indication approximative. Avant cette période déjà, nous avons vu nos industries se développer, nos relations avec l'extérieur se multiplier.

Toutefois, c'est depuis le dernier quart du siècle passé que ce mouvement de progrès industriel et d'expansion extérieure a pris une envergure particulièrement remarquable et est allé s'accentuant au point de devenir le trait caractéristique et dominant non seulement de notre activité économique, mais encore de toute la vie politique et sociale du pays.

C'est alors que la Belgique devient un pays industrialisé à outrance, à tel point qu'en 1910, 48,5 p. c. de la population active se trouvent engagés dans l'industrie, tandis que l'agriculture n'en occupe plus que 16,0 p. c., soit moins que le commerce qui en retient 16,8 p. c..

La Belgique est de plus en plus engagée dans les échanges internationaux ; elle est unie par des liens industriels, commerciaux et financiers de plus en plus nombreux avec tous les pays du monde. Il est tout naturel que nous retrouvions dans son évolution les phases de la conjoncture économique internationale.

Aussi relevons-nous de 1875 à 1914 plusieurs cycles économiques caractérisés chacun par les phases d'essor, de crise et de dépression, suivies d'une reprise nouvelle marquant le début du cycle suivant.

Après l'essor et le boom de 1870-1873 nous avons jusque vers 1895 une période de ralentissement, que l'on considère généralement comme la phase de dépression du long cycle 1850-1895.

Cependant, dans cette période, nous pouvons distinguer des cycles plus courts et notamment des années de reprise qu'on peut situer approximativement en 1880-1883, 1888-1890, reprises assez modérées, il est vrai.

Remarquons toutefois que, quand il s'agit de ce qu'on appelle les longs cycles, la dépression signifie plutôt une tendance des prix à la baisse, qu'une réduction constante de l'activité.

Cependant, il y eut des années de véritable dépression lorsque l'activité se réduisit au point d'amener un chômage assez intense. Telles notamment les années 1885-1887.

Par contre, à partir de 1895 environ, commence une nouvelle et longue phase d'essor qui persistera jusqu'à la guerre. On a voulu l'attribuer à l'accroissement de la production de l'or, due notamment à la découverte des mines transvaliennes. Sans nier l'influence de ce facteur, nous serions tentés de voir surtout dans cet essor l'effet des inventions et des perfectionnements techniques récents (songeons avant tout aux applications multiples de l'électricité) et de l'extension des relations avec les pays neufs (Amérique du Sud, Russie, Extrême-Orient, etc.).

Cette période 1895-1914 compte aussi quelques années de ralentissement, voire de crise (1900 et 1907), mais peu nombreuses ; c'est bien sous le signe de la prospérité qu'elle se déroule. Pour caractériser dans l'ensemble les progrès industriels de la Belgique à cette époque, nous ne voyons pas de meilleur indice que celui de la force motrice. Voici les chiffres qu'il nous fournit : (successivement : nombre des moteurs - force en chevaux) :

1850 : 2.250 - 54.300

1875 : 12.241 - 510.027

1890 : 17.663 - 903.833

1900 : 22.961 - 1.388.941

1913 : 28.297 - 3.112.770.

(page 73) On constate donc un accroissement constant, mais particulièrement depuis le début du siècle.

Comme nous ne rédigeons pas ici un travail d’histoire économique générale, nous nous limiterons à quelques chiffres pour illustrer les progrès économiques de l’époque à laquelle ce chapitre est consacré.

(Successivement, Commerce extérieur importations - exportations (en millions de fr.) ; production de fontes (en milliers de tonnes) et de houilles (en millions de tonnes))

1873 : 1.423 - 1.159 - 607 - 15,8

1877 : 1.426 - 1.082 - 470 - 13,9

1883 : 1.552 - 1.337 - 783 - 18,2

1886 : 1.347 - 1.182 - 701 - 17,3

1889 : 1.556 - 1.458 - 832 - 19,9

1891 : 1.800 - 1.519 - 684 - 19,7

1895 : 1.680 - 1.468 - 819 - 20.5

1900 : 2.215 - 1.923 - 1.019 - 23.5

1905 : 3.068 - 2.334 - 1.311 - 21,8

1913 : 5.050 - 3.716 - 2.485 - 22.8

Les chiffres de la production de la fonte et, dans une mesure moindre, ceux des exportations, reflètent les principales phases des cycles dont nous avons parlé plus haut. On notera surtout la dépression des années 1877 et 1886. On peut constater aussi que dans l'ensemble les progrès de 1875-1895 ont été modérés, tandis qu'en revanche, de 1896 à 1913, on assiste à un essor vigoureux à peine ralenti par les crises de 1900 et 1907.

Ces chiffres, hâtons-nous de le faire observer, ne donnent qu'une idée générale et insuffisante de l'évolution économique de cette quarantaine d'années qui précédèrent la guerre. Ils dégagent à peine les phases de l'évolution, ils ne montrent pas non plus la multiplicité des industries en Belgique.

Nous ne pouvons cependant nous arrêter sur les détails et passons à l'aspect financier de l'évolution économique d'avant-guerre.

2. L'extension du marché financier

Pendant les périodes déjà étudiées, nous avons vu notre marché financier se développer sensiblement et assez régulièrement en somme. Pendant la quarantaine d'années auxquelles est consacré ce chapitre, nous le verrons prendre une extension rapide, de plus en plus intense, impétueuse même depuis les dernières années du XIXème siècle. Ce développement finit, à certains points de vue, par devenir exagéré et souvent malsain.

Les sociétés anonymes se multiplient constamment, à certains moments elles poussent comme des champignons ; beaucoup n'ont qu'une existence éphémère, il est vrai. Le nombre des titres négociés en bourse va s'accroissant de plus en plus, la clientèle boursière grandit et s'étend ; le nombre des agents de change devient pléthorique ; les banques se multiplient, surtout sous forme d'une foule de petites maisons, banques, caisses, comptoirs ou autres. Plusieurs facteurs contribuèrent à la multiplication des sociétés anonymes. Il y a d'abord, phénomène normal de notre régime économique, l'extension des entreprises industrielles existantes. Précédemment déjà, nous avons vu des entreprises privées se transformer en sociétés anonymes, surtout pour augmenter leurs moyens d'action en plaçant une partie des titres dans le public. Ce processus devient de plus en plus fréquent à l'époque envisagée ici ; en outre nous voyons de plus en plus souvent des affaires se créer d'emblée sous forme de sociétés anonymes.

Le recensement industriel de 1896 permet de mesurer les résultats de cette évolution : nous y constatons que dans plusieurs branches industrielles toutes les entreprises sont des sociétés anonymes. D'autre part, il nous révèle que les sociétés anonymes, formant un demi pour-cent seulement du total des entreprises industrielles, occupent cependant 40 p. c. des ouvriers.

Le recensement de 1910 nous apprend que les sociétés anonymes exploitent 1,1 % du total des entreprises industrielles, et qu'elles groupent 47,4 % du total des ouvriers. C'est dire que la plupart des affaires industrielles de quelque importance ont revêtu la forme de la société anonyme.

Cet aspect de l'expansion de la société anonyme est celui qu'on pourrait qualifier de sérieux, de légitime. Il y en eut malheureusement un autre. La liberté absolue de créer des sociétés anonymes et l'extension de l'esprit spéculatif dans un public manquant d'éducation (page 74) financière, ont permis trop souvent le lancement d'affaires sans aucune base sérieuse, destinées uniquement à faire absorber du papier par le marché, au profit exclusif de leurs créateurs. Aussi ne faut-il pas s'étonner si la mortalité des sociétés anonymes atteignit souvent un taux extrêmement élevé.

Notre statistique des sociétés anonymes est malheureusement tout à fait défectueuse. C'est à peine si l'on peut en tirer quelques renseignements intéressants. Par bonheur, pour la première moitié de la période ici étudiée, nous avons une statistique fort complète dressée jadis par G. de Laveleye, qui, avec l'aide d'un de ses collaborateurs, avait dépouillé toutes les publications légales de la période 1873-1892. Il a donc pu ainsi étudier les effets de la loi de 1873 sur les sociétés anonymes pendant les vingt premières années de son fonctionnement.

Voici les résultats auxquels il aboutissait. Entre 1873 et 1892, il a été créé 1.610 sociétés anonymes au capital initial de 1.990 millions (dont 1.143 millions représentés par les apports). (note de bas de page : Rappelons que pendant le demi-siècle qui précéa la loi de 1873, 540 sociétés avaient été créées.) Les augmentations successives l'avaient porté à 2.236 millions.

Sur les 1.610 sociétés, il en subsistait au début de ce siècle 468, donnant un bénéfice régulier. Leur capital initial de 687 millions avait été porté entretemps à 843 millions ; d'après les derniers bilans, les bénéfices s'élevaient à 78 millions, soit 9,9 % du capital.

D'autre part, 130 sociétés au capital initial de 176 millions, porté ensuite à 184 millions, avaient été liquidées, avec un bénéfice de 11 millions. On peut y ajouter 64 sociétés au capital de 57 millions, entrées en liquidation et dont le sort final n'a pu être établi, mais qui probablement purent rembourser, outre le capital, un bénéfice de 3 millions environ.

Ainsi donc, sur les 1.610 sociétés, 667, avec un capital initial de 915 millions, eurent un sort favorable ; les autres subirent toutes des avatars. Parmi celles-ci, 349, au capital de 366 millions, porté ensuite à 379 millions, disparurent sans laisser de trace. Les 599 sociétés restantes perdirent une partie ou la totalité de leur capital ; sur les 774 millions dont il se composait, la perte s'élevait 277 millions, mais cc chiffre n'était pas définitif.

Au total donc, 60 p. c. des sociétés créées (représentant la moitié environ du capital) eurent des destinées plus ou moins malheureuses. Ce pourcentage est vraiment très élevé.

Pour l'époque postérieure à 1892, les statistiques dont nous disposons sont tout à fait insuffisantes. Il est probable que G. de Laveleye aurait abouti à des résultats moins réjouissants encore, s'il avait poursuivi ses investigations. Car, depuis la fin du siècle, les sociétés peu sérieuses, souvent éphémères, se sont singulièrement multipliées.

Les seuls renseignements dont nous disposions pour cette époque proviennent de la statistique officielle des créations et des dissolutions des sociétés. En voici les chiffres quinquennaux (successivement : nombre de sociétés créées - nombre de sociétés dissoutes) :

1894-1895 : 755 - 205

1895-1900 : 1.806 - 265

1901-1905 : 1.300 - 695

1906-1910 : 1.710 - 722

1911-1913 : 1.396 - 536

Toutefois, les chiffres de la deuxième colonne ne nous indiquent que le nombre des sociétés dissoutes dont l'acte de liquidation a été publié. Ils sont loin de refléter toute la réalité, car une foule de sociétés disparaissent sans laisser d'acte de décès.

Une étude objective quelque peu complète montre que la facilité extrême de créer des sociétés anonymes avait engendré des excès innombrables, notamment l'exagération, parfois fantastique, de la valeur des apports et l'abus des parts de fondateurs

On le voit, si le régime de liberté complète en matière de sociétés anonymes a joué un rôle utile en stimulant les initiatives, il a cependant donné lieu à des excès qui soulevèrent de multiples protestations. En 1913 seulement, nos (page 75) législateurs se décidèrent à réviser la loi de 1873 si vivement critiquée. Nous ne pouvons étudier ici les modifications qui y furent apportées. Disons rapidement qu'elles consistent notamment à exiger plus de renseignements dans les actes de constitution, à imposer la publication d'un prospectus lors de toute émission, à soumettre les augmentations de capital aux mêmes formalités que celles exigées lors de la constitution des sociétés, à restreindre pendant une certaine durée la négociabilité des actions d'apport, à renforcer certaines dispositions pénales, etc.

La loi de 1913 - est-il nécessaire de le dire? - n'a pu supprimer tous les abus. On ne peut d'ailleurs concevoir qu'ils puissent être enrayés radicalement par des dispositions légales : l'éducation du public doit à cet égard compléter la tâche du législateur, si délicate en cette matière. Car, s'il est nécessaire de combattre les abus, il faut éviter aussi d'entraver l'initiative des hommes d'affaires.

On peut dire cependant que, si la loi de 1913 n'a pu mettre fin tous les excès, elle a cependant rendu impossibles certains abus particulièrement criants ; elle n'est pas non plus allée trop loin dans la voie de la réglementation.

Les développements qu'on vient de lire, sur les abus auxquels donna lieu la multiplication des sociétés anonymes, ne doivent pas faire perdre de vue le rôle utile joué par cette forme d'organisation.

Avant 1873 celle-ci était réservée aux entreprises importantes ; on ne la trouvait que dans quelques branches de l'activité économique.

Dans la suite, par contre, elle a pu être utilisée pour des entreprises de moindre envergure et a pénétré dans tous les compartiments de l'organisme économique, l'agriculture seule exceptée. Grâce à cette expansion, la société anonyme a facilité le groupement de l'épargne en même temps que sa mobilité ; elle a favorisé le développement de l'esprit d'initiative, en l'exacerbant même parfois, et a joué le rôle d'un stimulant puissant.


Les chiffres cités plus haut nous donnent le dénombrement des sociétés. Pour avoir une idée plus précise du développement du marché financier, il faut tenir compte de leur capital. A cet effet nous reproduisons les données d'une statistique des émissions que dressait annuellement le Moniteur des Intérêts Matériels. [Ce tableau - qui dresse, par année de 1871 à 1913 la statistique de la création de valeurs belges en les les répartissant selon les émetteurs (pouvoirs publics, établissements financiers et sociétés - n’est pas repris dans la présente version numérisée.]

Dans la deuxième et la troisième colonnes de ce tableau, on retrouve l'influence des cycles dont nous avons parlé plus haut. On constate le ralentissement dans la création d'affaires après le boom de 1871-1873, - ralentissement surtout prononcé en 1877 et 1878 - , un réveil de l'esprit d'initiative en 1879-1882, une nouvelle période de calme en 1883-1887, suivie derechef d'une reprise modérée en 1889-1891, un nouveau ralentissement en 1892-1894 et ensuite un essor presque constant depuis 1896.

On constatera d'autre part qu'en règle générale les émissions des pouvoirs publics se développent aux périodes où la création des valeurs industrielles se ralentit. C'est que ces périodes sont caractérisées ordinairement par une baisse du taux d'intérêt, favorable aux emprunts et aux conversions (ces dernières sont comprises dans la première colonne du tableau).

Les chiffres que nous venons de donner montrent donc, eux aussi, l'extension considérable de l'activité du marché financier, activité particulièrement remarquable depuis les dernières années du siècle passé.


Jusqu'à présent nous n'avons encore parlé dans ce paragraphe que des sociétés ou des valeurs belges. Pour faire un tableau plus complet et plus précis de l'extension du marché financier, il faut tenir compte surtout de la partie la plus active et la plus vivante de ces valeurs, qui sont celles négociées en bourse. Il faut en outre y ajouter les valeurs étrangères négociées en Belgique. Il nous faut donc consulter les statistiques boursières.

Relevons d'abord que le nombre des valeurs négociées à la bourse de Bruxelles a suivi la progression suivante : 1867, à la veille de la loi introduisant le régime de la liberté pour les bourses : 199 valeurs ; 1875 : 400 valeurs ; 1880 : 470 valeurs ; 1890 : 670 valeurs ; 1900 : 1.500 valeurs ; 1913 : 2.200 valeurs . Ajoutons que le nombre des agents de change agréés, qui vers 1872-1873 était de 200, n'a augmenté d'abord que faiblement ; en 1890 il n'était encore que de 250. Mais en 1896 il était déjà de 365 et de plus de 800 en 1900 ; en 1914 il atteignait environ 900.

Enfin, il nous faut aussi consigner ici les résultats de la statistique de la fortune mobilière belge que dressait périodiquement le Moniteur des Intérêts Mobiliers. Bien qu'elle soit loin d'être d'une précision absolue - ses auteurs eux-mêmes ne le prétendaient pas, - elle est cependant très précieuse, surtout si l'on en compare les données à des intervalles assez longs. Il en résulte que la fortune mobilière belge se serait élevée approximativement à 4 milliards en 1875, à 5 1/2 milliards en 1895, à 8 1/2 milliards en 1900, à 10 milliards en 1905 et à 13 1/2-14 milliards en 1914. Si cette statistique est influencée par les variations des cours des valeurs, elle exprime cependant avec éloquence l'accroissement formidable de la fortune mobilière belge.

Dans ce paragraphe, nous n'avons voulu (page 77) donner qu'une idée générale de l'extension extraordinaire du marché financier belge, extension surtout remarquable pendant les deux décades qui précédèrent la guerre. Dans les paragraphes suivants, nous étudierons d'une manière plus détaillée les aspects dominants de ce phénomène.

3. L'expansion belge à l’extérieur

.

Pendant le demi-siècle qui précéda la guerre mondiale, l'internationalisation du marché financier belge allait s'accentuant constamment. Ce phénomène devint finalement un des éléments les plus importants, sinon le point capital, de toute l'activité financière.

Cette internationalisation du marché financier se présente sous deux aspects. D'une part il y eut une expansion remarquable des intérêts belges à l'étranger, d'autre part les intérêts étrangers dans les affaires belges se développèrent. Le premier de ces aspects est de loin le plus important, tant par son volume que par son influence sur l'économie nationale ; le deuxième ne doit pas être cependant négligé.

Nous avons vu précédemment déjà comment le développement de l'industrie belge, surtout de l'industrie fournissant de l'outillage, avait déterminé le placement de capitaux belges à l'extérieur. Pendant la période que nous étudions ici, ce phénomène va s'amplifier et ses modalités se diversifier.

D'autre part, on peut constater aussi une différenciation dans les motifs provoquant ces placements. Auparavant, les placements en titres de sociétés étrangères étaient déterminés exclusivement, ou à peu près, par des intérêts industriels. Nous avons vu que ces titres étaient introduits en Belgique par les banques ayant des relations étroites avec les sociétés industrielles exportatrices ou parfois même par ces sociétés elles-mêmes.

Dans la suite, et surtout depuis la fin du siècle passé, il n'y aura pas toujours une relation étroite et directe entre les exportations de capitaux et les fournitures à l'étranger. A côté de l'expansion capitaliste dérivant d'intérêts industriels se placera une expansion purement financière, sans que la distinction entre les deux puisse toujours être nettement établie.

Les intérêts belges à l'étranger, et d'une manière plus générale les rapports financiers belgo-étrangers, vont prendre un tel développement et seront si enchevêtrés qu'il ne peut être question d'en faire ici une étude quelque peu complète.

Nous essaierons seulement d'esquisser à très grands traits le développement historique et géographique de ce mouvement.

Pendant les années de crise et de dépression 1875-1878, l'activité du marché financier se ralentit sensiblement. Le public manifeste une faveur marquée pour les titres à revenu fixe. Aussi, parmi les rares valeurs étrangères placées à cette époque, trouvons-nous surtout des fonds d'Etat (autrichiens, hongrois, portugais) et quelques obligations étrangères (Crédit foncier de Russie, chemins de fer d'Autriche, du Nord d'Espagne, etc.).

A partir de 1879-1880, nous nous trouvons en présence d'une nouvelle phase d'expansion extérieure. La liquidation de la crise et l'abondance monétaire réveillent l'esprit d'initiative et une reprise industrielle se dessine un peu partout.

Encore une fois les industriels belges se trouvent dans l'obligation de chercher à l'étranger des exutoires à leur production et la Belgique doit derechef financer elle-même ses exportations d'outillage. Nous avons alors une nouvelle période d'expansion extérieure qui dure jusque vers 1883-1884, pour se ralentir ensuite.

A cette époque, l'effort portera non seulement sur les affaires ferroviaires, mais encore et davantage même sur les tramways. Disons immédiatement que par tramways il faut entendre ici non seulement les transports urbains, mais encore les communications interurbaines qu'on appelait alors indifféremment tramways à vapeur, railways à voie étroite, chemins de fer secondaires, etc., de sorte que la distinction entre chemins de fer et tramways n'est pas radicale.

Dans le domaine des chemins de fer créés à l'étranger, c'est la Société Générale qui joue alors le rôle prépondérant. Nous avons déjà signalé sa filiale, la Société belge de Chemins de fer dont l'activité va dorénavant se dérouler surtout à l'étranger. Entre 1877 et 1883 notamment, elle (page 78) obtient, soit seule soit en collaboration avec des groupes étrangers, des concessions pour la construction de plusieurs lignes de chemins de fer en France, en Allemagne, en Autriche, en Italie. L'exploitation de ces lignes est confiée à des sociétés filiales, dans lesquelles la Société belge conserve généralement un intérêt prépondérant. En 1882, elle créa avec un groupe italien la Compagnie Belge-Italienne des Chemins de fer qui obtint plusieurs concessions de chemins de fer et de tramways à vapeur. Celles-ci étant exploitées par des filiales, la Compagnie Belge-Italienne fut dissoute en 1886 et ses participations reprises par les sociétés fondatrices.

Anticipant quelque peu, signalons que vers 1889 les lignes que la Société belge construisait se trouvant achevées, elle se limita dorénavant à gérer ses intérêts dans les filiales. En 1904 elle fut dissoute et ses participations reprises par la Société Générale.

Revenant à la période ici étudiée, signalons encore la formation, en 1881, de la Compagnie auxiliaire belge des chemins de fer. Cette compagnie formée par la Métallurgique, société qui eut ses heures de célébrité et qui possédait des ateliers de construction à Tubize, à Nivelles et à Marchienne, avait surtout pour objet de donner en location du matériel ferroviaire. Son activité s'exerçait à l’étranger déjà avant sa transformation, survenue en 1886, en Compagnie internationale auxiliaire des Chemins de fer. La Société Générale prit une participation dans cette affaire en 1884.

Pendant la période dont nous parlons ici, la Société Générale concentra donc presque toute l'activité à l'étranger dans le domaine des chemins de fer à voie normale. En revanche, la création des railways voie étroite et des tramways est entreprise par plusieurs autres groupes et prend une ampleur remarquable.

Ce mouvement a été favorisé par la création de quelques trusts financiers se consacrant spécialement à cette branche et développant leur activité principalement à l'étranger.

Dès 1874, nous constatons la création de la Société Générale des Tramways ayant pour objet l'exécution et l'exploitation de tous chemins de fer dits américains (tramways) à traction de chevaux, de locomotives ou d'autres moteurs, en Belgique ou à l'étranger.

On notera que la traction à chevaux figure avant celle à moteur. A cette époque, il y a un demi-siècle à peine, les tramways urbains utilisaient la traction chevaline et les tramways interurbains la traction à vapeur. L'électrification ne se fera que vers la fin du siècle.

Les principaux souscripteurs à la Société Générale des Tramways étaient la Banque de Bruxelles, la Banque Belge de Commerce et d'Industrie et J. Errera. Elle obtint plusieurs concessions à l'étranger, pour lesquelles elle forma des filiales (Trieste, Naples, Elberfeld- Barmen, Lemberg). En 1882, elle fut absorbée par la Société des Chemins de fer économiques. Pour suivre l'ordre chronologique, signalons la formation en 1879 de Société d'entreprise générale de travaux (Engetra). Elle a été constituée par le Conseil de la Société Anonyme de Construction de chemins de fer (groupe Philippart) dont les actionnaires eurent un droit de préférence pour la souscription du capital. En 1883 elle passa sous le contrôle d'un groupe liégeois (Banque Liégeoise et Crédit Général Liégeois) et fut transférée à Liége. Elle obtint plusieurs concessions en Italie pour des tramways à vapeur et des tramways intérieurs, comme on disait souvent alors (surtout lignes Brescia-Mantoue, lignes urbaines à Rome, à Bologne, etc.).

Les deux principales créations se placent en 1880. Cette année-là fut fondée par le groupe Banque de Bruxelles - Banque de Paris et des Pays-Bas -Brugmann-Cassel, la Société Générale des Chemins de fer économiques. L'année suivante, elle absorba la Compagnie Générale des Tramways et obtint en outre une série de concessions en Italie (Milan-Bergame-Crémone, Tramways florentins, etc.). On sait l'importance prise dans la suite par les « Economiques » et le développement de leurs intérêts à l'étranger et en Belgique, jusqu'au moment de leur fusion dans l'Electrobel au début de 1929.

C'est en 1880 aussi qu'apparait une autre vedette du compartiment des trusts financiers, la Compagnie Générale des Chemins de fer secondaires (actuellement Chemins de fer et Entreprises). Parmi ses principaux fondateurs (page 79) figuraient la Banque Centrale Anversoise, la banque Philippson-Horwitz et un groupe allemand. Elle obtint aussi diverses concessions en Italie, en Allemagne, en Autriche, et prit une participation importante dans la Banque Hongroise des Chemins de fer.

Enfin, toujours en 1880, se place la création de la Société belge des Tramways et Chemins de fer économiques de Valenciennes à Anzin, devenue en 1883, Société française des Chemins de fer Economiques du Nord. C'était la première création du futur baron Ed. Empain, qui après avoir fait ses débuts à la Métallurgique, créa sa maison de banque à Bruxelles, en 1880, et qui allait devenir un des agents les plus actifs et les plus célèbres de l'expansion belge hors frontières. En 1881, il fondait la Compagnie des Railways à voie étroite qui, au début, exploita des lignes dans la région de Valenciennes et qui obtint ensuite plusieurs autres concessions en France. En 1905, cette Compagnie fut absorbée par une autre création du baron Empain, la Société Railways et Electricité.

Les groupes dont nous venons de parler jouèrent un rôle prépondérant dans la création des tramways et des chemins de fer secondaires à l'étranger. Il y eut aussi des affaires créées en dehors de ces groupes (par Ed. Odet par exemple).

C’est ainsi que naquirent entre 1878 et 1885 plus d'une trentaine de sociétés belges ayant pour but d'outiller en moyens de transport, les villes et les provinces étrangères. (Note de bas de page. Rappelons qu’en 1883 fut créée la Société Nationale des Chemins de fer Vicinaux qui devait doter la Belgique d’un réseau serré de lignes secondaires, complément du grand réseau ferroviaire.) Et cela sans parler des participations belges dans les sociétés étrangères, telle par exemple la part de la Société Générale dans la Société française des Chemins de fer départementaux.

On constatera que les principaux champs d'activité de nos expansionnistes étaient l'Italie (le Nord surtout), l'Allemagne (Munich, Cologne, Dusseldorf, etc.), l'Autriche et la Russie avec deux ou trois entreprises (Kharkoff, Odessa).

Toutes ces affaires ne furent pas heureuses. Il y en eut de mal gérées, d'autres avaient été créées à la légère. Les affaires sérieuses même se heurtèrent aux difficultés du changé (en Italie surtout) et aux tracasseries administratives. A maintes reprises, des sociétés belges refirent la même expérience : les capitaux étrangers sont généralement bien accueillis quand il s'agit de créer des entreprises, mais lorsque celles-ci entrent en exploitation, surtout quand il s'agit d'entreprises d'utilité publique, on leur suscite très souvent toutes sortes de difficultés qu'ignoreraient les affaires indigènes.

Cependant, s'il y eut quelques mécomptes, la plupart de ces affaires s'avérèrent viables et leurs commandes alimentèrent l'industrie belge. Pendant les quelques années de reprise financière, 1880-1883, il y eut outre la création d'affaires belges pour l'étranger, l'émission de quelques valeurs étrangères, principalement de valeurs à revenu fixe : emprunt portugais, obligations de la grande Société des Chemins de fer russes, de la Banque Nationale de Grèce, du chemin de fer Buffalo-New-York et Philadelphie, des chemins de fer andalous, des chemins de fer serbes, etc.

Signalons aussi que la Société française de Reports, établie Paris en 1881, était en somme une création belge calquée sur la Caisse de Reports de Bruxelles et que son capital était placé, en très grande partie du moins, en Belgique.

Le mouvement dont nous venons de parler était surtout intense en 1880-1883 ; ensuite il se ralentit, surtout après 1884, lorsque la dépression économique et la crise boursière déterminèrent une période de grand calme. On créa encore quelques sociétés belges pour l'étranger (Tramways de Madrid et d'Espagne en 1885, Bari-Barletta en 1886), on émit quelques obligations étrangères, principalement des emprunts municipaux ; mais dans l'ensemble le mouvement d'expansion extérieure se ralentit très sensiblement.

Les mêmes causes dans les mêmes circonstances provoquent les mêmes effets : la dépression économique aidée du souvenir de la crise boursière, fit négliger les valeurs industrielles au profit des titres à revenu fixe. Le taux d'intérêt baissa. La rente belge qui, en 1879 déjà, avait été convertie de 4 1/2 en 4 p. c., fut transformée, en 1886, en 3 1/2 p. c. La hausse des cours réduisit en outre le rendement des bonnes obligations indigènes. Il devint difficile d’obtenir un rendement de plus de 4 p. c. en se limitant aux valeurs nationales.

(page 80) Une partie du public s'oriente encore une fois vers les valeurs étrangères qu'il faut aller chercher de plus en plus loin. On négociait déjà en Belgique des fonds d'Etat autrichiens, espagnols, italiens, russes, turques, égyptiens, etc., ainsi que maintes obligations ferroviaires étrangères. Mais l'accroissement de la richesse en Europe et la baisse du taux d'intérêt réduisent le rendement de la plupart de ces valeurs. Aussi ira-t-on chercher outre-mer un revenu plus substantiel, mais évidemment en courant de plus grands risques.

Or, à cette époque, tout un continent immense, à peine entamé - l'Amérique du Sud est ouvert à l'invasion des capitaux européens, invasion qu'il sollicite du reste avec ardeur. Aussi avons-nous, en 1888-1890, la phase argentine, ou plus exactement sud-américaine, de l'expansion extérieure belge. Ce mouvement n'est pas parti de Belgique, c'est en Angleterre que commença l'engouement pour les valeurs argentines et brésiliennes.

Pendant les années 1888-1890, un véritable flot d'émissions de valeurs sud-américaines déferla sur les principaux marchés européens, émissions auxquelles le public belge participa largement. En Belgique, les principaux introducteurs des valeurs sud-américaines furent les banques Philippson, Franck-Model, Mathieu, la Banque de Paris et des Pays-Bas, la Banque de Bruxelles, la Banque Centrale anversoise.

Les valeurs introduites étaient surtout des obligations des Etats, des provinces et des chemins de fer, rapportant - ou plutôt promettant - un intérêt net de 5 1/2-6 p. c. et davantage ; souvent même, en tenant compte de la prime de remboursement, le taux effectif était sensiblement supérieur.

La participation belge à ce mouvement consista donc surtout dans l'achat de valeurs argentines et autres. Mais il y eut à cette époque peu d'affaires sud-américaines créées par des Belges. A signaler cependant la Compagnie des Chemins de fer Sud-Ouest brésiliens créée en 1890 et dans laquelle le groupe Philippson jouait le rôle prépondérant, le Chemin de fer Grand Central Sud-Américain créé en 1889 (groupe Otlet et Empain) et deux ou trois affaires moins importantes (Gaz de Rio, Eaux de Caracas, etc.).

On sait comment ce vaste mouvement fut arrêté brutalement par la crise argentine de 1890. L'exagération des emprunts par la plupart des pouvoirs publics, les prodigalités et les erreurs politiques provoquèrent une faillite générale.

Non seulement les valeurs argentines, mais presque tous les titres sud-américains s'effondrèrent pendant cette année de la « crise Baring », cette maison - principal introducteur des valeurs argentines en Europe - en ayant été la plus importante victime.

Après la proclamation du moratorium, il y eut des négociations longues et pénibles entre les différents pouvoirs publics argentins et les créanciers européens ; c'est alors que furent formés en Belgique 'les premières associations des porteurs de fonds étrangers. Le plus souvent, on aboutit à des arrangements et les pertes ne furent pas aussi lourdes qu'on aurait pu le craindre d'après les cours de panique de 1890-1892 ; néanmoins elles se chiffraient pour l'épargne européenne à des centaines de millions. Malheureusement il n'est pas possible de déterminer la part de la Belgique dans cette catastrophe. Il y eut à cette occasion des interpellations au Parlement, mais les chiffres cités sont difficiles à vérifier. A une ou deux exceptions près, toutes les émissions argentines étaient entreprises par des syndicats internationaux ; les souscriptions étaient ouvertes sur plusieurs marchés européens. La Belgique n'avait donc souscrit qu'une fraction de ces émissions, fraction dont l'importance ne peut être calculée.

Pendant ces années 1888-1890 qui furent marquées par une reprise industrielle en Europe et en Amérique, les capitaux belges ne furent pas sollicités exclusivement par les valeurs sud-américaines. Si celles-ci donnèrent le ton au mouvement financier de l'époque et absorbèrent la plus grosse partie des capitaux belges cherchant aventure au dehors, il y eut cependant aussi des émissions et des introductions d'autres valeurs étrangères.

Outre les emprunts gouvernementaux russes, portugais, hongrois, ottomans, il y eut surtout des émissions d'obligations des sociétés de chemins de fer et de tramways espagnols, italiens, russes, etc.

C'est alors aussi qu'on plaça par introductions en bourse beaucoup d'actions des chemins de fer de Varsovie-Vienne, Fastovo, Koursk-Kharkoff, Canadian ; et cela sans parler des sociétés belges (de tramways notamment), ayant leur siège d'activité à l'étranger et dont un grand nombre augmentèrent leurs moyens d'action.

Il y eut aussi quelques sociétés nouvelles de cette dernière catégorie.

Enfin, n'oublions pas que la pénétration financière belge au Congo commence à cette époque. En 1888, l'Etat Indépendant émit son grand emprunt à lots ; en 1887 est créée la doyenne des sociétés coloniales belges, la Compagnie du Congo pour le Commerce et l'Industrie, en 1888 la Compagnie belge du Chemin de fer du Congo, en 1891 la Compagnie du Katanga.

Ce mouvement d'expansion financière belge à l'étranger eut sa plus grande ampleur en 1888-1889 ; dès 1890-1891 il se ralentit. La crise argentine et les embarras financiers de la plupart des autres Etats sud-américains, la crise des finances publiques de plusieurs Etats européens, la mauvaise récolte de 1891, le ralentissement industriel général, l'affaire de Panama en France, etc. provoquent une profonde dépression boursière. Pendant quelques années, l'activité financière est sensiblement réduite. En 1892-1894 il y eut encore quelques émissions étrangères, mais de peu d'importance. C'est une pause dans l'expansion belge à l'étranger.

Profitons-en pour faire le bilan de l'avoir belge à l'étranger vers 1895, c'est-à-dire à la veille du renouveau financier. Cet avoir est loin d'être négligeable. La Belgique possédait de nombreuses valeurs gouvernementales et municipales étrangères, des intérêts importants dans les chemins de fer espagnols, italiens, autrichiens, brésiliens, etc. Ses intérêts étaient prépondérants dans des sociétés exploitant des lignes de tramways dans plus de trente localités étrangères, sans parler des intérêts indirects possédés par les banques ou les trusts financiers. Elle possédait des participations nombreuses dans la métallurgie luxembourgeoise ; elle commençait à en avoir dans la métallurgie russe et dans diverses affaires minières en Espagne, en Suède, etc. Elle possédait ou contrôlait des usines à gaz, des entreprises de conduites d'eaux dans maintes villes étrangères. Enfin bien que, dans des proportions plus restreintes, elle était intéressée dans diverses affaires (charbonnages, métallurgie, chemins de fer) en Allemagne, en France, en Hollande, au Canada, etc.

Bien qu'aucune évaluation précise ne soit possible, il semble cependant que les avoirs belges à l'étranger dépassaient largement un milliard de francs d'avant-guerre ; probablement même atteignaient-ils deux milliards, s'ils ne les dépassaient.


Les années 1895-1896 inaugurent dans l'histoire économique du monde une nouvelle période d'essor remarquable qui durera, malgré de courtes interruptions, jusqu'à la grande guerre. C'est l'âge de l'électricité et de la mise en valeur des pays neufs. La Belgique, tout en développant son outillage intérieur, participera largement à ce mouvement d'expansion internationale.

Le point de départ de cette nouvelle phase de notre activité extérieure est, cette fois encore, très complexe. Il est à la fois de caractère financier et industriel.

Pendant les années de dépression 1892-1894, le taux d'intérêt avait encore baissé. Vers 1894, les fonds d'Etat de premier ordre rapportaient moins de 3 % ; les fonds des Etats européens au crédit moins solide ne rapportaient que 4 % environ. Voilà une première raison pour rechercher à nouveau les fonds exotiques rapportant un revenu plus élevé.

D'autre part, les industries belges souffraient de l'insuffisance du marché intérieur et l'écoulement de leur production à l'extérieur se heurtait à des difficultés sans cesse accrues par suite de l'aggravation du protectionnisme dans le monde entier. Aussi nos industriels, nos métallurgistes surtout, se décidèrent-ils à établir des filiales à l'étranger.

En outre, la nécessité d'exporter de l'outillage amènera derechef la création à l'étranger d'affaires de transport, d'électricité, etc.

Enfin il ne faut pas perdre de vue le développement du mouvement spéculatif international qui déterminera souvent le placement de diverses valeurs étrangères n'ayant pas le caractère d'un placement sérieux et ne présentant pas un intérêt industriel.

(page 82) Les premières années de cette époque d'expansion extérieure sont marquées avant tout par la croisade des capitaux belges en Russie. Les relations industrielles entre la Belgique et la Russie datent d'assez longtemps. Sans remonter plus haut, rappelons que J. Cockerill est mort en 1840 à Varsovie, au retour d'un voyage à Pétersbourg où il négociait des projets de création d'affaires métallurgiques. Plus tard la Russie devint un des principaux clients de la Société Cockerill.

Lorsque vers 1884-1885 la dépression industrielle s'accentua en Belgique et que l'élévation de barrières douanières multiplia les obstacles à l'exportation, la direction de la Société Cockerill eut l'idée de profiter des relations qu'elle avait en Russie pour essayer d'y créer sur place des entreprises industrielles. Il semble que cette initiative émanait du baron Sadoine, alors directeur général de la Société et l'instigateur d'une grande partie de ses progrès techniques et commerciaux. En 1884-1885, il négociait donc en Russie la création d'un grand chantier de constructions navales à Nicolaeff (sur la mer Noire) ainsi que l'édification d'un système de pipelines de Bakou à Batoum.

Pour préparer la fonte nécessaire sur place, la Société acheta des mines de fer dans le célèbre bassin de Krivoi Rog, dont la mise en valeur débutait à peine. Pour des raisons mal connues, le projet initial fut abandonné et remplacé par un autre. La Société Cockerill s'entendit avec la Société métallurgique de Praha (Varsovie) qui depuis quelque temps projetait de transférer ses établissements dans le Midi de la Russie.

En 1887, la société belge et la société polonaise créèrent donc la « Société métallurgique Dniéprovienne du Midi de la Russie », qui reprit et transporta le matériel de Praha et pour laquelle les ateliers de Seraing édifièrent des installations nouvelles. Grâce aux progrès économiques de la Russie d'alors, la Dniéprovienne devint très prospère après quelques années et prit rang parmi les plus grandes entreprises métallurgiques du monde.

Aussi, lorsque à partir de 1895 1'essor industriel reprit et que le marché financier se ranima, l'exemple de la Dniéprovienne fut-il véritablement contagieux. Toutes les grosses sociétés métallurgiques belges voulurent avoir des filiales en Russie. En 1895, Angleur et Saint-Léonard créent la Métallurgique russo-belge, Espérance-Longdoz érige les Hauts fourneaux de Toula ; en 1896 Ougrée crée la Société métallurgique de Taganrog, Marihaye (qui fusionna avec Ougrée en 1900) la Société d'Ouspensk et Halanzy les Hauts fourneaux d'Olkovaia ; en 1897 la Providence fonde la Providence russe.

Avant cette ère de création d'affaires belges dans l'empire du Tsar, notre marché ne connaissait que quelques valeurs russes. Outre les fonds d'Etat et les obligations hypothécaires, nos bourses négociaient les titres de deux ou trois sociétés ferroviaires, de trois ou quatre tramways et de deux ou trois autres sociétés. A partir de 1895, ce fut un véritable engouement pour les affaires russes. Le succès de la Dniéprovienne, la faveur accordée par le public aux sociétés métallurgiques nouvelles provoquèrent une véritable explosion d'affaires russes qui, pendant quelques années, se multiplient à vue d'œil. D'autres affaires métallurgiques que celles citées plus haut furent créées, puis des entreprises de charbonnages, de tramways, de verreries, etc.

Sans nous arrêter sur les détails de ce mouvement, ce qui nous entraînerait trop loin, disons seulement qu'en 1900 on comptait 130 sociétés belges au capital nominal de 630 millions de francs, ayant leur siège d'exploitation en Russie (dont la moitié dans le Midi). Sur ce nombre, il y avait plus de 40 sociétés métallurgiques et de constructions mécaniques, une douzaine de charbonnages, plus d'une vingtaine d'affaires de tramways, puis des verreries, des glaceries, des usines chimiques, des affaires de pétrole, etc. Il ne s'agit que de sociétés belges, mais il y eut en outre des capitaux belges engagés dans des sociétés russes (sur les sept grandes sociétés métallurgiques citées plus haut, quatre étaient des sociétés russes). Le montant de ces capitaux est difficile à préciser. Il faut d'ailleurs ajouter que tous les titres des sociétés belges ou belgo-russes, comme on les appelait, n'étaient pas placés dans le pays. Il va presque sans dire que (page 83) ce fol engouement du public pour les valeurs russes traînait à sa suite son cortège habituel d'abus et d'exagérations. Certaines sociétés furent créées avec une légèreté coupable, parfois même avec une mauvaise foi manifeste ; des apports furent évalués avec des exagérations excessives. D'autre part, les titres des sociétés sérieuses même, et c'était la majorité, devinrent l'objet d'une spéculation boursière effrénée.

Aussi, lorsqu'en 1900 éclata la crise économique, particulièrement violente en Russie, y eut-il un véritable effondrement à la bourse de Bruxelles. Comparativement aux cours du début de 1900, les cours des valeurs belgo-russes subissaient, vers le milieu de 1901, une baisse de 60 % environ.

Certains titres se relevèrent ensuite partiellement, d'autres se déprécièrent complètement. Dans l'ensemble, l'épargne belge subit une perte considérable.

Après la crise boursière il y eut une période d'assainissement. Certaines sociétés entrèrent en liquidation, d'autres réduisirent leur capital. Cependant toutes les affaires sérieuses subsistèrent, malgré les difficultés de la crise économique suivie de la guerre russo-japonaise et de la première révolution.

A partir de 1905-1906 environ, le mouvement vers la Russie reprend d'ailleurs, mais avec beaucoup plus de pondération. On ne constate plus ni l'engouement d'autrefois, ni les anciens abus, ni un emballement boursier aussi inconsidéré. Les capitaux sont apportés soit pour le développement des affaires anciennes, soit même pour la création d'affaires nouvelles, parmi lesquelles les sociétés d'électricité jouent notamment un rôle important.

Au moment où éclata la grande guerre, l'initiative et les capitaux belges avaient donc créé en Russie un ensemble industriel remarquable.

Au lendemain de la guerre, le Comité de Défense des intérêts belges en Russie entreprit un recensement des avoirs belges dans l'ancien empire slave. Il releva 161 entreprises belges fonctionnant en Russie (sociétés belges ou sociétés russes avec intérêts belges prédominants) représentant une valeur de 2.350 millions de francs-or. En outre, les porteurs belges déclarèrent au Comité des fonds publics russes s'élevant à 640 millions ; soit au total 3 milliards. Bien que ce chiffre ne puisse prétendre à une exactitude absolue, il montre cependant l'ordre de grandeur de nos intérêts en Russie et l'importance de l'effort industriel qui y fut réalisé par la Belgique.

Revenons maintenant vers les années 1895- 1896. L'exode vers la Russie n'avait accaparé ni toutes les initiatives ni toute l'épargne. Les circonstances que nous avons rappelées plus haut favorisèrent une expansion belge, dans toutes les directions, serait-on presque tenté de dire.

Outre les emprunts d'Etat (hongrois, roumains, russes, turques, chinois, etc.), notre épargne participa largement au développement des affaires belges déjà existantes à l'étranger, et à la création d'affaires nouvelles. C'était notamment l'époque de l'électrification des tramways et de la création de centrales électriques pour l'éclairage et la force motrice, de plus, la construction des chemins de fer se développait, surtout dans les pays d'outre-mer.

Signalons ici que depuis cette époque la création d'entreprises belges à l'étranger ou la prise d'intérêts dans les affaires étrangères se poursuit de plus en plus sous l'égide de trusts financiers qui se multiplient depuis 1895-1896 et dont nous parlerons dans un prochain paragraphe. En outre, les nouvelles banques créées à la même époque prennent largement part aux affaires étrangères ou belgo-étrangères.

Dans le vaste mouvement d'expansion qui se déroule depuis 1895-1896 on peut distinguer, outre le courant vers la Russie, deux ou trois autres tendances dominantes.

En premier lieu il faut mentionner le mouvement industriel et commercial au Congo. Il prend un premier développement à partir de 1897-1898 environ. Il est accompagné lui aussi d'erreurs et d'exagérations et aboutit à la crise des valeurs congolaises en 1900-1901. Après une certaine accalmie il reprend avec vigueur et aboutit à un développement de l'outillage colonial qui, en 1913, était loin d'être négligeable. M. Baudhuin évaluait 800 millions les (page 84) dépenses de la Belgique avant la guerre, pour la mise en valeur du Congo (en y comprenant les dépenses du pouvoir central, les pertes des sociétés faillies, les intérêts intercalaires).

Il est particulièrement intéressant de rappeler ici l'orientation de l'activité industrielle belge vers des pays étrangers éloignés.

C'est encore au début de la période que nous étudions à présent, qu'à l'initiative ou du moins suivant les milieux d'affaires belges commencent à s'introduire en Chine.

Au début de 1897 fut constituée par la Société Générale, la Banque de Paris et des Pays-Bas et par plusieurs entreprises métallurgiques belges et françaises, la Société d'Études de Chemins de fer en Chine, au capital modeste de 250.000 fr. Elle obtint la construction du chemin de fer Péking-Hankow, d'une longueur de 1.300 kilomètres. Les fonds nécessaires furent obtenus par un emprunt gouvernemental de 112 millions 500.000 francs, que la Société d'Études se chargea de placer. Interrompue temporairement par la révolte des Boxers, la construction de la ligne fut terminée en 1905. Le matériel fut fourni exclusivement par les entreprises industrielles participant à la Société d 'Etudes. Pendant plusieurs années, la métallurgie belge y trouva un élément d'activité appréciable.

Les brillants résultats de l'exploitation de cette ligne déterminèrent, dès 1908, le Gouvernement chinois à en assumer lui-même la direction en remboursant l'emprunt. La construction de cette ligne avait été dirigée par l'ingénieur J. Jadot, actuellement Gouverneur de la Société Générale.

C'est encore dans une affaire chinoise que nous retrouvons à peu près à la même époque deux autres noms bien familiers à tous les Belges. En 1900, un groupe belge joue un rôle important dans un syndicat anglais qui rachète à une société chinoise le charbonnage de Kaiping et crée pour son exploitation une compagnie européenne. Les études préalables et les travaux de réorganisation en Chine sont dirigés par Em. Francqui qui a comme collaborateur l'ingénicur américain Herbert Hoover. Une fraction importante de titres Kaiping est placée en Belgique.

Le groupe belge auquel nous venons de faire allusion est celui de la Banque d'Outremer et de la Compagnie Internationale d'Orient, dirigées toutes deux à peu près par les mêmes personnalités. La deuxième de ces sociétés a été fondée en 1900 à Bruxelles, à l'initiative de la Banque d'Outremer, par un groupe comprenant la plupart des grandes banques continentales. Elle a joué un rôle important dans la création du charbonnage de Kaiping et des Tramways de Tientsin ; elle prit en outre des participations dans diverses sociétés françaises et anglaises travaillant en Chine (tramways de Shanghai, de Honkong, chemins de fer Shanghai-Nankin, de Shansi, etc.). En 1910 elle a été absorbée par la Banque d'Outremer.

En 1902 a été créée la Banque sino-belge qui, au début, avait un capital et des attributions très modestes, mais qui, dans la suite, se développa et prit une place marquée sur le marché financier chinois. Elle fit des prêts commerciaux et hypothécaires, participa à l'émission d'emprunts chinois et à diverses affaires orientales. En 1910, elle se métamorphosa en Banque belge pour l'Etranger, étendit ses ressources et son champ d'action et devint filiale de la Société Générale.

En 1907 fut fondé par le groupe de l'Outremer allié à un groupe français, le Crédit foncier d'Extrême-Orient qui entreprit l'industrie de la bâtisse et des prêts hypothécaires dans les concessions étrangères du Céleste Empire.

Enfin, peu de temps avant la guerre se placent deux manifestations particulièrement importantes de l'activité belge en Chine. La Compagnie Générale des Chemins de fer et des Tramways en Chine, créée en 1900 par le groupe Empain, conclut, en 1912, un accord avec le Gouvernement chinois pour la construction d'une ligne ferroviaire de 1.800 kilomètres. La Société belge des Chemins de fer en Chine, créée en 1908 par la Société Générale, prend une participation dans cette affaire et, en outre, en 1913, traite en collaboration avec une société française pour la construction d'une autre ligne de 2.000 kilomètres. Il s'agit donc en tout de 3.800 kilomètres, c'est-à-dire d'un développement de lignes équivalant aux trois quarts du réseau ferroviaire total de la Belgique.

La guerre mondiale et les guerres civiles ont ralenti et par moments interrompu les travaux ; (page 85) cependant une partie importante de ce réseau est achevée et livrée à l'exploitation.

C'est encore aux débuts de la même période, en 1895-1896, que la Belgique commence à jouer un rôle important dans le développement économique de l'Egypte. On sait que le grand réalisateur que fut le baron Empain, a été le principal protagoniste du mouvement d'expansion belge en Egypte. En 1895, il crée la Société des Tramways du Caire, en 1896, la Société des Chemins de fer de la Basse-Egypte ; puis viennent la Société des Travaux publics du Caire et enfin en 1906, la célèbre affaire d'Héliopolis (Cairo Electric Railways a. Heliopolis Oases Cy).

D'autre part, un groupe anversois (représenté notamment par Ed. Thys), en collaboration avec un groupe égyptien, créait en 1897 la Société Agricole et Industrielle d'Egypte, puis la Caisse Hypothécaire d'Egypte, l'Agricole du Nil, l'Immobilière d'Egypte, etc. En 1897 aussi, fut créée la Société des Tramways d'Alexandrie. Nos compatriotes prirent aussi des intérêts importants dans des sociétés étrangères fonctionnant en Egypte (par exemple l'Agricultura1 Bank of Egypt). Enfin, les initiatives et les capitaux belges ont joué un rôle considérable dans le développement de maintes affaires égyptiennes (sucreries, cimenteries, brasseries, etc.).

Les développements qui précèdent nous montrent donc que, depuis la fin du siècle, les principaux centres d'attraction des capitaux belges furent la Russie, la Chine, l'Egypte. Il faut y ajouter l'Amérique du Sud et, dans une mesure moindre, l'Amérique Centrale.

Nous avons vu que la Belgique avait participé à l'engouement pour les valeurs argentines auquel la crise Baring mit fin. Après 1890 il y eut quelques années d'accalmie relative. Puis, l'amélioration de la situation économique et financière dans l'Amérique du Sud coïncidant avec une baisse du taux d'intérêt en Europe, détermine un mouvement nouveau vers l'Amérique latine. Des emprunts des Etats et des provinces réapparaissent ; de nouveau on s'intéresse à des compagnies ferroviaires, surtout au Brésil cette fois.

Une particularité curieuse à signaler dans cet exode de nos capitaux vers les républiques sud-américaines est l'importance des affaires hypothécaires. Jusqu'alors, les capitaux belges placés à l'extérieur l'étaient surtout dans les affaires de transports et d'industrie ou des emprunts des pouvoirs publics. Cette fois-ci, le souvenir cuisant de la baisse des fonds publics sud-américains en 1890 et la méfiance dans l'administration financière de ces Etats fit rechercher des placements sûrs et rémunérateurs en dehors des valeurs officielles. Aussi assistons-nous, à partir de 1895-1896, à la création de toute une série de sociétés hypothécaires et foncières pour l'Amérique du Sud.

Anvers, qui avait des relations commerciales fort anciennes avec ces contrées, s'est tout particulièrement spécialisé dans ce genre d'affaires, dont plusieurs furent établies en collaboration avec des éléments indigènes.

C’est ainsi qu'on vit naître, à Anvers, la Compagnie Industrielle et Pastorale Sud-Américaine (1894) qui s'adonna aux prêts hypothécaires et aux opérations immobilières, la Banque belge de Prêts Fonciers (1899) qui, dès l'origine, établit une succursale à Rio, le Crédit Foncier Sud-Américain (1903), le Crédit Immobilier Sud-Américain (1911), etc. A Bruxelles apparurent la Société Hypothécaire Belge-Américaine (1898), la Compagnie Agricole et Hypothécaire Argentine (1905), etc.

Il convient de ne pas négliger beaucoup d'autres affaires belges en Amérique du Sud : la Compagnie Générale des Nitrates (créée en 1895 par le baron Empain), la Compagnie Générale des Tramways de Buenos-Ayres (créée en 1907 par les principaux trusts financiers belges, la Société Générale, la Banque de Bruxelles et un groupe important de banques françaises et allemandes), plusieurs affaires d'éclairage et de traction, enfin les participations très importantes dans le célèbre groupe d'affaires dites canadiennes (Brazil Railway, Brazilian Traction, Argentine Railway, etc.). Il y eut aussi des capitaux belges dans des sucreries, des brasseries, des exploitations agricoles, etc.

En 1913, un auteur argentin estimait h un milliard et demi de francs l'ensemble des intérêts belges dans l'Amérique latine. Ce chiffre n'est qu'approximatif. Il englobe d'ailleurs maintes entreprises créées ou contrôlées par des Belges, mais dont les capitaux proviennent partiellement d'autres sources. Il n'en reste (page 86) pas moins que les placements belges dans l'Amérique du Sud étaient considérables.

Nous avons énuméré ainsi les principales régions vers lesquelles se portaient les capitaux belges pendant les deux décades qui précédèrent le conflit mondial. Il y eut en outre des initiatives et des capitaux belges en rangs plus dispersés, se dirigeant vers toutes les parties du monde.

Contentons-nous de mentionner les intérêts belges dans la métallurgie et les transports en France, dans des tramways et affaires électriques (Espagne, Italie, pays balkaniques, asiatiques, etc.), dans des affaires de pétrole (Roumanie, Galicie), dans les plantations caoutchoutières des Indes néerlandaises, dans des entreprises canadiennes (crédits fonciers, fabriques de papier, etc.), et dans bien d'autres régions et branches.


On a essayé d'évaluer à diverses reprises l'importance du capital belge placé en valeurs étrangères. Les estimations varient généralement entre 5 et 7 milliards de francs d'avant-guerre. D'autre part, on a voulu estimer à 3 milliards les avoirs des sociétés belges exploitant des entreprises à l'étranger. En réalité, il faut bien dire que ces évaluations sont fort arbitraires. Etant donnés la structure du marché belge et l'enchevêtrement de ses relations avec l'étranger, ce genre d'évaluation est ici tout particulièrement difficile.

Au surplus, dans une étude comme celle-ci, des estimations quelque peu précises ne sont guère nécessaires. Ce qui nous intéresse, c'est le sens de l'évolution financière, ses causes et ses caractères. Or, à ce point de vue, il importe et il suffit d'insister sur l'importance des initiatives et des placements belges à l'étranger.

Dans les pages qui précèdent nous avons montré comment, outre les placements en valeurs étrangères proprement dites, nos banquiers et industriels furent amenés à fonder des sociétés pour créer ou exploiter des entreprises à l'étranger. Une statistique dressée en 1914 par le Commissaire des Monnaies Ch. Le Grelle, fournit des indications précieuses sur l'importance de ces affaires.

Le relevé des titres créés (fondations de sociétés, augmentations de capital et émissions d'obligations) pour un certain nombre d'années, fournit les chiffres suivants.

Titres émis par des sociétés ayant leur principal siège d’activité (en millions de francs) (successivement en Belgique et à l’étranger) :

1890 : 107,6 - 69,3

1900 : 223,0 - 459,4

1910 : 319,7 - 420,3

1911 : 386,8 - 530,7

1912 : 428,9 - 593,5

1913 : 351,3 - 452,3

La progression des chiffres des deux colonnes est remarquable. Toutefois la multiplication des sociétés à portefeuille (banques, trusts, etc.), depuis la fin du siècle dernier, a déterminé maints doubles, voire triples emplois. Il convient de ne pas perdre de vue d'autre part que ces chiffres comprennent aussi les apports en nature. Au surplus, ce qui nous importe pour le moment, ce n'est pas le montant même de ces capitaux, mais la comparaison des deux colonnes. Or, elle fait ressortir que les capitaux demandés pour les sociétés exploitant à l'étranger étaient plus élevés que ceux demandés pour les sociétés belges travaillant dans le pays.

Ici cependant une observation s'impose, qui nous conduit à examiner un autre aspect des relations financières internationales de la Belgique. Si notre pays faisait des placements à l'extérieur, il y avait, en revanche, des capitaux étrangers placés en Belgique.

Depuis assez longtemps déjà, il y avait des intérêts étrangers dans certaines industries belges. Par exemple, des valeurs charbonnières belges se trouvaient en assez grand nombre en France, ainsi que d'autres valeurs industrielles ; depuis une époque assez récente, il y avait des intérêts allemands dans certaines industries métallurgiques, etc. Cette pénétration des capitaux étrangers s'était développée surtout depuis la fin du siècle passé. Elle se manifestait tout particulièrement - observation très importante - dans les sociétés belges ayant leur siège d'activité à l'étranger.

La statistique que nous venons de citer nous (page 87) donne à ce sujet des indications précieuses ; elle ne porte que sur la constitution des sociétés, les éléments nécessaires ayant fait défaut pour l'étendre aux augmentations de capital et aux obligations.

[Suit deux tableaux reprend l’évolution des sociétés ayant leur centre principal d’activité en Belgique et à l’étranger. Chacun des tableaux répartit les souscriptions entre habitants du royaume et habitants de l’étranger)et la répartition des souscriptions Sociétés ayant leur centre principal. Ces tableaux ne sont pas repris dans la présente version numérisée.]

Ces chiffres montrent bien la progression des intérêts étrangers dans les affaires belges, particulièrement celles travaillant à l'étranger.

Quelles étaient les causes de ce phénomène ?

Il faut noter d'abord que la Belgique, grâce à sa neutralité, aux bons rapports qu'elle entretenait avec tous les voisins et à l'extrême modicité de ses charges fiscales, était devenue le refuge de nombreux capitaux étrangers. Ils venaient tout particulièrement de France ; on se souvient de l'agitation provoquée dans ce pays par les projets d'impôt sur le revenu. Ils affluaient soit vers les agences belges des banques françaises, soit vers les banques belges. Tout naturellement, les dépôts français étaient utilisés le plus souvent en souscriptions de valeurs créées en Belgique, que cette souscription fût faite par les intéressés eux-mêmes ou par leurs banquiers.

D'autre part et surtout, il faut noter que, grâce aux initiatives hardies de certains milieux financiers belges, grâce aussi à la situation - terrain de rencontre politique du pays notamment pour des intérêts français et allemands, - grâce aussi aux facilités de notre législation sur les sociétés et à celles du régime fiscal, la Belgique était devenue la terre d'élection des grandes combinaisons financières. Bon nombre de sociétés belges, surtout parmi les créations récentes, étaient en réalité des sociétés internationales ayant adopté le statut légal de notre pays. La part des capitaux belges engagés dans ces affaires était parfois très faible, sans parler des sociétés qui n'avaient de belge que l'étiquette et auxquelles nous faisions allusion dans le paragraphe précédent.

Enfin, faisons encore remarquer que certains groupes financiers belges, ayant des relations particulièrement étendues en France, y plaçaient une partie importante de leurs titres. Les obligations du groupe Empain notamment, s'y trouvaient en grande partie. On serait presque tenté d'écrire que la France absorbait surtout les obligations de ce groupe rapportant un intérêt fixe mais sûr, tandis que ses actions étaient surtout placées en Belgique ; distinction qui n'a certes rien d'absolu.

On a estimé le montant des intérêts étrangers dans les sociétés belges à des sommes variant entre 1,5 et 2 milliards. Un membre de l'Administration allemande en Belgique l'évaluait même à 3 milliards, dans un mémoire imprimé à titre confidentiel en 1916. Inutile de dire que ces évaluations pèchent toutes par manque de certitude.

Observons à ce propos que certains économistes allemands avaient une tendance, dans les écrits parus pendant la guerre, à exagérer le rôle des capitaux étrangers dans l'expansion extérieure de la Belgique. C’est ainsi que E. Jaffé, (page 88) économiste de grande valeur cependant, écrivait : la situation de la Belgique a été jusqu'à présent si favorable, surtout parce qu'à l'aide de capitaux étrangers, elle a pu trouver des débouchés extérieurs pour ses initiatives et ses connaissances techniques.

C'est là une exagération manifeste. L'expansion extérieure, aidée et favorisée par les capitaux étrangers, avait cependant comme base fondamentale les capacités productives de la Belgique elle-même et les excédents de son épargne annuelle.

Le développement des intérêts belges à l'étranger était donc devenu le trait caractéristique de l'activité du marché financier belge. Certaines voix se sont même élevées pour protester contre les achats de valeurs étrangères dont l'exagération, prétendaient-elles, était la cause essentielle de la tension du change belge sur I 'étranger et de l'exportation du numéraire. (Note de bas de page : On sait que, depuis le début de ce siècle surtout, tout particulièrement durant les dernières années qui précédèrent la guerre, la question du change belge préoccupa vivement nos ministres des Finances ainsi que certains milieux de banquiers et d'économistes. La Belgique n'avait plus de circulation-or ; la Banque nationale ne remboursait les billets qu'en monnaies d'argent, et encore y mettait-elle des obstacles. Le change sur l'étranger faisait presque toujours prime ; celle-ci s'élevait généralement à 3 ou 4 p. c. et parfois même à 8 ou 9 p. c. Il y avait en Belgique, avant la guerre déjà, un problème monétaire. Fin de la note de bas de page.) D’aucuns estimaient aussi que ce « drainage » des capitaux belges avait « comme résultat de priver l'industrie belge des appuis financiers nécessaires », d'autant plus, ajoutait-on, que souvent « les placements à l'étranger ont pour but, avoué ou non, d'alimenter, de soutenir les entreprises concurrentes et concernent des adjudications importantes de travaux auxquelles nos industriels ne sont pas appelés. » Les passages entre guillemets sont extraits d'une lettre adressée au Ministre des Finances au début de 1914, par la Fédération des Constructeurs de Belgique.

Comme exemple typique et fréquent, la lettre citait le cas des emprunts négociés par des groupes financiers étrangers qui réservaient à leur pays les commandes industrielles, tandis qu'ils écoulaient les titres à la bourse de Bruxelles. A cette occasion les auteurs de la lettre critiquaient le régime boursier belge et l'absence de toute organisation sérieuse de la profession d'agent de change, mais ils ne donnaient aucune conclusion pratique et se contentaient de prier le Ministre de rechercher par quelles mesures on pourrait remédier à la situation qu'ils dénonçaient. D'autres cependant préconisaient de soumettre toute émission de valeurs étrangères à l'autorisation préalable du Ministre des Finances, assisté d'un comité consultatif spécial.

Il est assez curieux de constater que les milieux industriels qui se sont intéressés à ce problème soient précisément ceux de la construction mécanique, industrie qui travaillait tout particulièrement pour l'étranger et dont le développement avait même déterminé, vers 1860, la première invasion des valeurs industrielles étrangères en Belgique. Mais à cette époque-là, l'exportation des capitaux était étroitement liée à l'exportation industrielle, tandis que depuis la fin du siècle passé ce lien s'était relâché. Si certains groupes bancaires avaient des attaches étroites avec l'industrie, et en règle générale liaient l'expansion financière à l'expansion industrielle, il y eut des groupes financiers n'ayant d'attaches qu'avec la bourse et n'envisageant les opérations financières que pour les bénéfices qu'elles pouvaient rapporter par elles-mêmes, ce qui justifie ou du moins explique les préoccupations de certains milieux industriels.

Notons en passant que cette tendance, assez faible d'ailleurs en Belgique, d'estimer exagérées les exportations de capitaux et de vouloir les lier, éventuellement par une intervention gouvernementale, à une politique d'exportation industrielle, se rattachait à un mouvement d'opinion qui se faisait jour dans plusieurs pays voisins, tout particulièrement en France.

4. Les mouvements boursiers

Nous avons eu l'occasion de mentionner l'extrême extension des opérations boursières datant surtout de la fin du siècle passé, nous avons dit l'accroissement énorme du nombre des titres cotés à Bruxelles et le pullulement des agents de change.

(page 89) Ecrire l'histoire des mouvements boursiers de cette époque est une tâche vraiment épineuse. La multiplicité même des valeurs traitées et la diversité de leurs origines ont déterminé de très nombreuses différenciations dans les situations boursières ; les divers compartiments de la cote et parfois même les divers éléments d'un seul compartiment n'ont pas toujours été soumis à l'influence des mêmes facteurs. Nous n'avons donc pas la prétention de faire ici un exposé quelque peu complet des mouvements boursiers de cette époque, cela nous entraînerait loin. Nous tâcherons seulement de caractériser les moments intéressants de l'évolution boursière, en ne nous arrêtant qu'aux faits saillants.

Après le boom de 1871-1873, la bourse devient nerveuse ; en 1875-1876 elle subit une crise très profonde, la plupart des valeurs se déprécient très sensiblement.

Le Moniteur des Intérêts Mobiliers calculait que pour l'ensemble de la fortune mobilière, les cours de fin 1876 reflétaient une dépréciation de 600 millions environ comparativement aux cours pratiqués à la fin de 1874 (3.857 millions contre 4.428 millions).

Les années 1877-1878 sont marquées par une activité très faible, les capitaux se portent principalement vers les fonds d'Etat et vers quelques obligations industrielles, belges ou étrangères.

En 1879 la bourse se ranime ; elle devient beaucoup plus active en 1880-1881, car la situation industrielle s'est améliorée et plusieurs grandes bourses étrangères font preuve d'optimisme. A Paris notamment, se déroule une campagne de hausse insensée, caractérisée surtout par l'ascension des cours de l'Union Générale (Bontoux). Bruxelles a participé fort activement à cette campagne.

Pour la Belgique, ces années sont marquées surtout par la création d'affaires de tramways à l'étranger. La bourse accueille très favorablement ces titres, ainsi que ceux des premiers trusts de tramways. Par moments les valeurs industrielles suscitent aussi unr certaine animation. Enfin, outre les tramways, les titres de quelques autres sociétés furent introduits. Signalons notamment la Banque Européenne qui en 1879 passa comme un météore en faisant revivre le nom de Philippart, la Société française de Reports et un ou deux autres organismes bancaires (v. le paragraphe suivant).

En 1879-1880 sévit la mode des panoramas ; de nombreuses sociétés furent créées pour exploiter cette idée dans un grand nombre de villes en Belgique et à l'étranger. La plupart de ces affaires, d'ailleurs minimes, s'effondrèrent dans la suite.

En 1880-1881 le mouvement spéculatif fut par moments très vif, sans égaler cependant, même de loin, l'emballement de 1872-1873.

Une partie du public se laissa notamment entraîner dans le mouvement spéculatif de Paris. Il en résulta une tension du change sur la France et une exportation d'écus, et, pour défendre son encaisse, la Banque Nationale dut hausser énergiquement le taux d'escompte. Dans son rapport pour 1881, notre établissement d'émission dénonçait l'esprit de spéculation, la fièvre du jeu « qui semblent prendre chaque jour plus de force. »

A la fin de 1881, le krach Bontoux et la crise de Paris provoquent une réaction à Bruxelles. La bourse entre alors dans une longue période de stagnation. Aux répercussions de la crise de Paris s'ajoutent les contre-coups des difficultés dans lesquelles se débattent certaines affaires récentes (notamment quelques sociétés exploitant des tramways en Italie). La reprise industrielle d'autre part ne persiste pas. A partir de 1882-1883, l'activité boursière est donc très faible ; on crée fort peu d'affaires nouvelles et l'on n'introduit guère de valeurs étrangères. L'épargne se porte avant tout vers les titres à revenu fixe.

En 1885-1886 la dépression industrielle est particulièrement profonde ; la bourse est dans le marasme. Les valeurs industrielles - surtout les charbonnages - et les titres bancaires sont tout à fait négligés et voient leurs cours s'effriter. A titre d’exemples, les valeurs du charbonnage Hornu et Wasmes passent de 5.975 en octobre 1873 à 1.100 à la fin de 1886, Levant du Flenu de 8.500 à 1.500 et Courcelles-Nord de 3.200 à 470.

(page 90) Dans le courant de 1887, un changement d'orientation s'annonce. La situation du marché est complètement assainie, la baisse du taux d'intérêt fait encore une fois rechercher les placements à l'extérieur. En outre, un léger mieux se produit dans la situation de l'industrie.

Nous assistons alors aux débuts de la campagne argentine qui se déroule en 1888-1889 et dont nous avons parlé plus haut. L'année 1889 voit aussi une sérieuse reprise des valeurs charbonnières, métallurgiques, des tramways, etc. Dans les derniers mois de l'année, une vive spéculation s'empare de ces valeurs.

D'aucuns escomptent même un boom analogue à celui de 1873. Cette fois encore, le charbon est le moteur de la hausse et de l'emballement. Mais on ne va pas aussi loin : la prospérité de l'industrie en 1889-1890 est loin d'être comparable à ce qu'elle était en 1872- 1873.

Dans le courant de 1890 survient la crise des valeurs sud-américaines ; l'industrie aussi devient moins prospère. L'année 1891 souffre d'une réelle dépression économique : aggravation de la crise sud-américaine, crise boursière de Paris (chute de la Société de Dépôts), difficultés financières et dépréciation de la monnaie au Portugal, en Espagne, en Grèce, enfin, la famine en Russie.

Nous avons alors quelques mauvaises années boursières ; les difficultés financières de plusieurs pays étrangers s'ajoutant à la dépression industrielle, toutes les affaires sont calmes. Plus que jamais la vogue est aux valeurs à revenu fixe. Les fonds d'Etat haussent constamment. Au début de la période étudiée dans ce chapitre, vers 1875, nous trouvons la dette belge représentée normalement par du 4 1/2 p. c. Elle est convertie en 4 p. c. en 1879, puis, en 1886, en 3 1/2 ; au début de 1895 nous assistons à la conversion en 3 p. c.

Dès 1892 d'ailleurs, le cours moyen du 3 p. c. dépassait le pair sans jamais descendre au-dessous, avant 1898. Ces quelques chiffres suffisent à montrer la réduction impressionnante subie par le taux d'intérêt en moins de vingt ans.

(Note de bas de page (page 92). Un des traits caractéristiques des marchés financiers depuis la fin du siècle passé, est la baisse presque ininterrompue des fonds d'Etats, y compris les grands Etats européens. L'essor industriel pour ainsi dire constant, la mise en valeur des pays nouveaux, le développement de la spéculation firent affluer l'épargne vers les valeurs à revenu variable. D'autre part, la plupart des Etats accrurent leurs dettes soit par suite de guerres (guerre du Transvaal, guerre russo-japonaise, etc.), soit à cause de la course aux armements. II y eut donc une hausse constante du taux d'intérêt et une désaffection des fonds d'Etats notamment. Après chaque crise financière, la baisse des rentes s'arrêtait pour quelque temps, pour reprendre ensuite avec une nouvelle vigueur. En Belgique elle fut particulièrement prononcée depuis 1906. Le 3 % qui était au-dessus du pair en 1896-1897, était entre 93 et 96 en 1908 et entre 74 et 80 en 1913. Fin de la note de bas de page.)

En 1894-1895 s'ouvre une phase nouvelle de notre histoire financière. Malgré quelques interruptions, l'activité boursière poursuit depuis lors un développement d'une puissante ampleur et d'une intensité souvent trop fébrile. Cette activité boursière est en étroite corrélation avec l'essor industriel et l'expansion au dehors dont nous avons parlé précédemment. Mais elle sera accentuée par l'hypertrophie du marché financier.

Nous assistons d'abord aux débuts de la campagne russe et à la Vvogue des tramways, belges ou étrangers, dont l'électrification commence à se généraliser. Dès 1894 nous voyons la bourse très animée. La Dniéprovienne passe, en ces douze mois, du cours de 2.770 à celui de 6.412. C'est un véritable coup de fouet pour le marché. En 1895 l'emballement est manifeste. On crée un grand nombre d'affaires nouvelles, dont les titres sont le plus souvent directement introduits en bourse, sans émission publique et sans publication de notice. A peine introduits la plupart jouissent de primes plus ou moins impressionnantes. « On force aujourd'hui les affaires, écrivait G. de Laveleye, comme on force les plants de vigne en serre ; on conçoit une affaire nouvelle, on passe chez le notaire puis on va en bourse, et les transactions se nouent, les primes s'étagent avant même que l'épreuve du titre, action ou obligation, soit sortie de chez l'imprimeur. »

Un véritable vertige s'empare du marché de Bruxelles. Pendant cinq années environ, il sera constamment agité et, malgré des crises partielles, des heurts et des chocs, il restera orienté vers la hausse.

Comme nous l'avons dit, le trait caractéristique de cette période est l'engouement pour les valeurs russes. Vers 1895-96 la Belgique participa aussi à la campagne anglo-française sur les mines d'or et eut sa part dans les pertes qu'elle entraîna. Mais ce n'était là qu'un incident.

A partir de 1897-1898, les valeurs coloniales (congolaises et autres) se multiplient aussi. Puis aux titres de tramways viennent se joindre les autres valeurs industrielles (charbon, fer, zinc, verreries, etc.), stimulées par la reprise économique qui s'affirme de plus en plus.

L'emballement du marché va s'accentuant constamment, surtout en 1897, 1898 et jusque vers le milieu de 1899.

En 1897 on a introduit à la bourse de Bruxelles pour 300 millions de valeurs nouvelles, (page 91) en 1898 pour 400 millions et en 1899 pour 750 millions, et cela sans parler des augmentations de capital des sociétés anciennes.

En 1897 la plus-value des titres cotés à Bruxelles atteint 270 millions, en 1898 elle dépasse un demi-milliard. Il s'agit de la plus-value résultant exclusivement des variations des cours, abstraction faite des titres nouveaux introduits en bourse.

La hausse avait porté sur presque toutes les rubriques des valeurs à revenu variable, mais elle était particulièrement effrénée dans les compartiments des valeurs russes et coloniales, des tramways, plus tard des métallurgiques et des charbonnages aussi.

Des exagérations criantes ont été commises à cette époque. Des sociétés nouvelles furent créées à la légère, parfois dans le seul but de « fabriquer » du papier ; on fit un abus insensé de parts de fondateurs et d'actions d'apport. Les cours en bourse furent poussés à des hauteurs excessives. L'organisation de la Bourse - si l'on peut qualifier d'organisation un régime sous lequel le premier venu y était admis en payant patente - contribua certainement à ces exagérations. Cette organisation défectueuse favorisait non seulement les mouvements désordonnés des cours, mais encore elle était responsable de la légèreté avec laquelle bien des valeurs ont été admises à la cote.

Vers le milieu de 1899, les effets habituels d'un emballement boursier commencent à se faire sentir. La réaction se produit d'abord parmi les valeurs coloniales, ensuite elle s'étend à toute la cote.

Puis en 1900 survint en Russie et en Allemagne une violente crise économique, qui fut le point de départ d'une crise industrielle internationale. En outre, le taux de l'argent renchérit, et la panique s'empara tant de la spéculation professionnelle que du public. Alors le marché s'effondra. Parmi les affaires coloniales ce fut une véritable hécatombe (citons parmi les tombées alors : le Trust Colonial, r Africaine, la Coloniale Industrielle, la Compagnie Générale Coloniale, le Crédit Commercial Congolais, Ethiopie, etc., etc.) Le compartiment russe fut aussi violemment ébranlé ; là encore bien des sociétés récentes reçurent le coup de grâce. A la bourse, toute la cote était en baisse. La dépréciation subie en 1900 par le portefeuille mobilier belge était estimée par le Moniteur des Intérêts Matériels à 800 millions en chiffres ronds.

Pendant les premiers mois de 1901, il y eut quelques tentatives de reprise, mais vers le milieu de l'année l'aggravation de la crise en Allemagne (chute de la Leipziger Bank) et en Russie, les embarras de quelques établissements bancaires en Belgique, l'agitation résultant des discussions parlementaires au sujet de la reprise du Congo, provoquent un nouvel effondrement des cours. La dépréciation des valeurs cotées Bruxelles s'éleva à 360 millions, soit plus d'un milliard pour les deux années 1900 et 1901.

Si la crise financière de 1900-1901 semble avoir été plus violente que celle de 1875-1876, - la comparaison est difficile, - ses effets se sont fait sentir beaucoup moins longtemps. Après le boom de 1870-1873, l'industrie avait traversé une longue période de marasme ; cette fois-ci la dépression industrielle fut moins profonde et plus courte. Dès 1903-1904 l'activité économique bat son plein, la métallurgie se développe considérablement, l'électricité fait des progrès rapides. Cette même constatation vaut pour toute l'économie mondiale, dont le développement n'a été que temporairement ralenti par la crise de 1900. La phase de grand essor mondial dont les débuts datent de la dernière décade du XIXème siècle continue. A cette époque, initiatives et capitaux européens se portent surtout vers l'Amérique du Sud, l'Extrême-Orient et les Colonies africaines ou asiatiques.

Dans le courant de 1903, le marché de Bruxelles commence à se ranimer quelque peu en 1904 un nouveau mouvement haussier est activité financière qui persistera jusqu'au commencement de 1907.

L'industrie jouit alors d'une grande prospérité, les installations se développent, la production s'accroît, les exportations sont en progrès constant. L'expansion industrielle et financière au dehors s'amplifie dans toutes les directions.

A partir de ces années 1904-1905, il devient particulièrement difficile de caractériser en quelques phrases les mouvements boursiers. Les éléments en présence se développent et se multiplient l'infini. La campagne de 1904-1906 (page 92) n'a pas été cependant aussi intense que celle de 1897-1899. S'il y eut encore des exagérations et des abus, ils semblent n'avoir pas été aussi nombreux.

En 1904, la hausse a porté d'abord sur les affaires de tramways, ensuite sur la métallurgie, les banques et quelques industries spéciales. En 1905, le mouvement, devenu vigoureux, s'étendit à la plupart des rubriques de la cote.

Les vedettes sont toujours les tramways et la métallurgie, puis viennent les coloniales, les glaceries et la plupart des valeurs étrangères négociées à Bruxelles. Dès 1906, la tendance fléchit quelque peu dans plusieurs branches : c'est le contre-coup de la situation internationale assez tendue lors de la conférence d'Algésiras, de la révolution et des luttes politiques en Russie qui affectaient le compartiment belgo-russe ; enfin la tension monétaire commence se faire sentir. Cependant, dans l'ensemble, le ton reste optimiste et quelques rubriques de la cote - les charbonnages notamment cette fois - font ressortir des hausses appréciables. Pendant cette période encore, on crée des affaires nouvelles ; émissions et introductions à la cote sont nombreuses, moins cependant que lors du boom précédent.

L'activité spéculative, très intense, s'étend, du moins dans les villes, à toutes les couches de la population. Dès la fin de 1904 on pouvait lire dans le Moniteur des Intérêts Matériels : « Tout le monde spécule aujourd'hui du sommet au bas de l'échelle sociale. Et la cuisinière ne met plus de côté ses modestes économies pour acheter la traditionnelle « action » de Bruxelles, en vérifiant scrupuleusement les tirages annoncés et en rêvant à l'emploi de la fortune qui va lui tomber du ciel ; elle économise encore, mais pour acheter uniquement « ce qui va monter », tramways, charbonnages, valeurs coloniales, peu lui importe, pourvu que l'agent de change du coin lui ait assuré que cela montera et qu'elle pourra en huit jours ou en un mois réaliser un bénéfice de 50 ou de 100 p. c. »

Le mouvement haussier devenu un peu inégal dans le courant de 1906 fut d'abord ébranlé en mars 1907 par la crise boursière plutôt bénigne qui s'abattit sur quelques marchés, notamment sur Londres. Puis en septembre-octobre survint la débâcle de New-York, point de départ de la dernière grande crise économique d'avant-guerre.

Nous entrons alors dans une période mouvementée et inégale dont le souvenir n'est pas effacé. La dépression industrielle qui suivit la crise ne fut pas longue. La reprise se dessina dès 1909 et s'affermit en 1910. La bourse, déprimée en 1908, reste encore faible en 1909, les valeurs métallurgiques cependant font des progrès appréciables. En 1910 la prospérité industrielle apporte beaucoup d'animation : les valeurs électriques sont les grandes favorites, les caoutchoutières et les valeurs congolaises sont en forte hausse (on introduit le régime de liberté commerciale au Congo), les tramways, si longtemps vedettes du marché, ont des fortunes inégales.

Les années 1911-1913 sont marquées par une série de difficultés et de conflits internationaux : tension franco-allemande (septembre-octobre 1911) guerre italo-turque, guerres balkaniques, complications au Mexique, etc. Les bourses sont sujettes à des accès de faiblesse, voire à des paniques momentanées. Les agitations politiques en France affectent souvent aussi la situation des marchés. Cependant, l'activité industrielle reste dans l'ensemble satisfaisante. Malgré la cherté de l'argent, les bourses connaissent des périodes de grande fermeté, en 1912 surtout. Beaucoup d'affaires nouvelles se créent ; à la cote, la rubrique des valeurs étrangères s'allonge toujours. C'est alors que sc déroule la grande campagne des valeurs caoutchoutières, et que Bruxelles s'emballe pour toutes les affaires se qualifiant « Light and Power. » En même temps l'internationalisation de la bourse de Bruxelles s'accentue, tandis que son organisation anarchique paraît de plus en plus défectueuse.

(page 93) L'insuffisance du régime légal boursier était depuis longtemps reconnue par tout le monde. Déjà lors de la débâcle des valeurs argentines, en 1890, une commission extraparlementaire avait été désignée pour étudier la refonte de toute notre législation financière. Bien qu'elle ait élaboré plusieurs projets de lois (sur les émissions publiques, la réglementation de la profession d'agent de change, etc.), ses travaux furent sans effet pratique. Plus tard d'autres projets encore virent le jour de temps à autre ; la presse, le Parlement, les Chambres de commerce reprenaient le problème.

En 1913 seulement, nous l'avons vu, le Parlement procéda à une refonte de la loi sur les sociétés. Lors de la discussion qui précéda le vote, divers orateurs critiquèrent non seulement le régime légal des sociétés, mais encore celui de la bourse.

On profita du vote de cette loi pour y glisser quelques articles destinés à combattre certains abus pratiqués à la bourse. C'est ainsi que cette loi punissait « ceux qui reçoivent, se font promettre une commission ou tentent d'obtenir une rémunération ou un avantage quelconque à l'occasion de l'admission d'un titre de société à la cote d'une bourse de commerce. » Nous avons mentionné que la loi de 1913 subordonnait à la publication d'une notice toute offre et vente publique de titres, donc y compris les introductions en bourse et qu'elle ordonnait le « blocage » temporaire de toute action d'apport.

Ces dispositions ne visaient cependant que des questions de détail. Les Chambres n'abordèrent pas le problème du régime boursier dans son ensemble. En présence de la carence du législateur, le conseil communal de Bruxelles se saisit du sujet et, après une série de discussions, modifia le règlement de la bourse de la capitale. Le Conseil communal ne pouvait évidemment modifier le régime légal de la profession d'agent de change. Sa réforme consista surtout à entourer de quelques garanties l'admission à la bourse : stage préalable, cautionnement (10.000 francs au début) et interdiction d'exercer une autre profession.

Le règlement nouveau fut promulgué en mars 1914. Il entrait à peine en vigueur lorsque survint la guerre mondiale arrêtant pour quatre années le fonctionnement de toutes les bourses officielles de Belgique.

5. L'activité bancaire

Il est à peine nécessaire de dire que, depuis 1875, l'activité bancaire s'est développée puissamment; les banques se sont multipliées et leurs moyens d'action se sont étendus considérablement.

Tout naturellement, c'est aux périodes de prospérité industrielle et d'animation financière que se créent des organismes bancaires nouveaux, parfois en très grand nombre. Par contre, en temps de crise ou de ralentissement, nous assistons plutôt à des liquidations ou du moins à des assainissements.

Malheureusement, à côté des créations sérieuses, nous ne trouvons que trop de sociétés financières hasardeuses, créées avec une légèreté parfois criminelle et qui n'ont qu'une existence éphémère. Parmi ces organismes éruptifs bien peu méritent d'être qualifiés de banque. L'analyste ne peut cependant les passer sous silence.

Pour donner d'abord une idée très générale du développement bancaire depuis 1875, nous reproduisons un tableau contenant les principaux chiffres des relevés faits par le Moniteur des Intérêts Matériels, à quelques dates déterminées. Ces relevés, bien que n'étant pas tout à fait complets, englobent cependant toutes les banques de quelque importance. Ils sont donc suffisamment représentatifs.

[Ce tableau, repris à la page 94 de l’ouvrage, n’est reproduit que partiellement dans la présente version numérisée].

(Successivement : nombre d’établissement - capital versé - total de l’actif en millions de francs)

Fin 1875 : 46 - 248 - 787

Fin 1880 : 55 - 170 - 810

Fin 1885 : 51 - 186 - 994

Fin 1895 : 52 - 196 - 1.081

Fin 1900 : 59 - 338 - 1.678

Fin 1905 : 61 - 343 - 2.035

Fin 1913 : 67 - 496 - 3.802

Les deux premières colonnes de ce tableau reflètent la crise subie par l'organisation bancaire belge après le boom de 1870-1873.

Outre les organismes importants (Banque de Belgique, Banque belge du Commerce et de l'Industrie, Banque de Bruxelles, Banque Centrale anversoise), dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, il faut encore signaler comme sérieusement affectés par les désastres de 1875-1876, la Banque de Tournai (Parent-Pecher et Cie), le Comptoir Commercial de Renaix (Cantillon-Hautrive et Cie), la Caisse Industrielle de Grammont (G. Spitaels et Cie) et quelques autres sur lesquels nous sommes moins renseignés.

(page 94) Après les secousses violentes de 1875-1876 vinrent donc les années de liquidation. Quelques banques disparurent, d'autres réduisirent leur capital. Les créations nouvelles furent rares. (Note de bas de page L'accroissement du nombre de banques, dans le tableau ci-dessus, entre 1875 et 1880, ne résulte pas de créations nouvelles, mais de ce que certains organismes ne communiquaient pas leurs bilans lorsque le Moniteur commença la publication de ses tableaux. Il s'agit d’ailleurs d’organismes de très minime importance.) Aussi constatons-nous notamment une diminution dans les chiffres du capital qui servit à amortir les pertes.

Vers 1879-1881 nous avons une animation passagère sur le marché financier et un certain nombre de créations nouvelles, quelques-unes sérieuses, d'autres appartenant à la catégorie des banques éruptives : la liste qui se trouve à la fin de ce paragraphe 5 permet au lecteur de suivre ces créations.

Nous trouvons même à ce moment un exemple particulièrement typique de ce genre d'organisme, la Banque Européenne, le dernier avatar du célèbre Philippart. Après l'effondrement de ses affaires, en 1875-1876, et sa faillite personnelle, son nom avait disparu pour quelque temps des annales financières. Mais il parvint à désintéresser ses créanciers personnels et, en juillet 1879, sa faillite fut déclarée close. Immédiatement il lance la Banque Européenne pour favoriser les travaux publics, l'industrie, le commerce et l'agriculture. La société, créée à Bruxelles, avait son siège administratif à Paris où devait se dérouler son activité. Le capital initial était de 25 millions, représentés par 50.000 titres de 500 francs.

Dès la mi-août Philippart met 40.000 titres en souscription, à Bruxelles et à Paris, au prix de 700 francs. Le succès fut énorme, à Bruxelles du moins. Il semble que cette première émission ait été absorbée entièrement en Belgique ; tandis que l'émission suivante a été couverte en grande partie à Paris.

Philippart achète alors le journal parisien La Presse, qui devient son organe officiel ; il s'assure en outre l'appui de plusieurs autres journaux français et belges. On va jusqu'à le traiter de génie. Dès la fin août il ouvre une deuxième souscription qui porte le capital à 85 millions. Philippart se lance alors dans une série d'opérations.

Son principal objectif est derechef la conquête du Crédit Mobilier dont il achète les titres par paquets, au comptant et à terme. Il crée en outre plusieurs affaires nouvelles, entre autres, une compagnie d'assurances au capital élevé, divisé en petites coupures, ce genre d'affaire jouissant alors d'une grande vogue en France. Il s'intéresse dans toutes les affaires qui se présentent en France et même en Algérie.

Les actions de la Banque montent au delà de 800 francs et deviennent l'objet d'une spéculation intense. Pour soutenir les cours, Philippart procède lui-même à de gros achats. Lorsque la bourse fléchit quelque peu, en octobre, il se heurte à de grosses difficultés pour reporter ses positions et disparaît de Paris (au moment de sa disparition Philippart détenait lui-même 100.000 titres de la Banque. Le capital réellement émis ne s’élevait qu’à 35 millions).

Bien que ces opérations fussent anti-statutaires, le Conseil d'administration décide de payer les différences qui s'élèvent à 7 millions. (page 95) Mais, en outre, lors de la deuxième émission, Philippart avait accepté en paiement des actions souscrites, les titres de ses anciennes affaires, entre autres ceux de la Banque Franco-Hollandaise qui venait d'être mise en faillite. Or, ces titres n'étaient libérés que de moitié, le liquidateur de la Banque faillie exigea donc l'autre moitié ; la Banque Européenne finit par verser 6 millions.

Après divers incidents, elle fut mise en liquidation et finalement déclarée en faillite.

Parmi les créations de 1881, nous trouvons trois filiales de la Société Générale. Les peuples heureux n'ont pas d'histoire, dit-on ; il en est de même des banques dont le développement est normal, surtout lorsqu'elles s'adonnent principalement au crédit commercial.

Notons en passant que la tâche de l'historien financier est précisément rendue délicate par ce fait qu'il est obligé de s'arrêter surtout aux organismes dont l'existence fut mouvementée. Il risque d'être accusé de donner une idée fausse du mouvement financier à un lecteur pressé feuilletant rapidement ses écrits. Il est cependant impossible de procéder autrement, surtout dans une étude sommaire, dans laquelle on est obligé de ne signaler que les faits typiques et les événements saillants.

Les années 1880-1881 qui virent se développer un mouvement spéculatif intense à Paris mirent à la mode les caisses de reports. C'est alors qu'apparaît la Caisse Anversoise et deux organismes similaires créés à Paris, mais à l'initiative belge et avec un capital placé en grande partie chez nous : la Société Française de Reports et de Dépôts et la Caisse Française de Reports. Mais après le krach Bontoux, lorsque les bourses retombèrent dans le marasme, les actionnaires se désintéressèrent de ce genre d 'affaires. La Caisse anversoise et la Caisse française furent liquidées ; quant à la Société française, elle fut maintenue malgré les réclamations d'un groupe d'actionnaires ; mais elle finit par passer complètement sous le contrôle français.

L'animation financière de 1880-1881 fut de courte durée. La dépression industrielle, en dépréciant les portefeuilles-titres provoque de nouveau une crise bancaire, d'autant plus que quelques établissements n'avaient pas encore liquidé les pertes de 1871-1876.

Encore une fois s'ouvre une ère de liquidations ou de réductions de capital. Le Crédit Général de Belgique, créé en 1881, au capital de 15 millions dont 6 versés, se met en liquidation en 1886, par voie d'apport à une société nouvelle de même nomination. Sur les 60.000 titres de 100 francs on en rachète 10.000 par voie de soumissions cachetées à des prix variant entre 50 et 55 francs (procédé suivi autrefois déjà par la Banque de Bruxelles). Le capital est ainsi ramené à 5 millions, et la différence entre le pair de 100 et le prix de rachat est appliquée aux amortissements.

Toute une série d'organismes bancaires entrent en liquidation aux alentours de 1885- 1886. Liquidation désastreuse pour la plupart. C'est le cas du Comptoir Général (Eyckholt et Cie), de la Banque des Travaux Publics, de la Banque de Tournai, de la Nouvelle Banque de l'Union, du Comptoir d'Escompte et des Recouvrements, etc. D'autres sont heureux de se tirer d'affaire sans perte ou avec des pertes légères (Banque de Change et d'Emission, Association financière, Caisse Anversoise des Reports).

Les banques les plus solides voient leurs actions se déprécier constamment. La part de réserve qui à la fin de 1874 cotait 4-400 et 2.700 encore, à la fin de 1876, est en dessous de 1.500 à la fin de 1887.

Les quelques rares établissements qui naissent entre 1885 et 1894 sont de peu d'importance. Le tableau ci-dessus et la liste qui se trouve à la fin du paragraphe 5 en font foi (cette liste, il est vrai, n'a pas la prétention d'être complète. Toutefois, seuls de tout petits ont pu échapper.) La dépression industrielle et la crise que venait de traverser l'organisation bancaire détournaient les capitaux de toute initiative nouvelle et importante dans ce domaine.

Cette stagnation va persister jusqu'en 1894-1895, époque à partir de laquelle l'activité financière prend un essor remarquable. Sous l'influence de la reprise industrielle et boursière dont nous avons parlé dans les paragraphes précédents, un très grand nombre d'organismes bancaires et financiers voient le jour.

Parmi ces établissements nouveaux, certains, créés par des hommes d'affaires expérimentés et d'un standing élevé, sont très sérieux ; d'autres (page 96) créés à la légère ou fondés par des hommes sans scrupules disparaissent bientôt ou même conduisent leurs promoteurs en correctionnelle. Le bruit fait par l'affaire Hutt n'est pas oublié encore.

La crise de 1900-1901 va faire une sélection parmi toutes ces créations récentes. Bon nombre d'entre elles - surtout les banques coloniales et les petits organismes destinés spécialement aux opérations boursières - vont disparaître. Les organismes solides mêmes, qui ont eu la malchance de faire leurs premiers pas pendant une période d'emballement, voient leur portefeuille se déprécier et clôturer leurs bilans avec pertes. D'aucuns sont obligés de réduire leur capital, tels notamment la Banque d'Outremer, le Crédit Anversois, le Crédit National Industriel.

Des établissements anciens même sont sérieusement atteints par la crise. Ainsi la Caisse Commerciale de Bruxelles subit de grosses pertes sur certaines participations (notamment la célèbre Trebertrocknung, qui entraîna la chute de la Leipziger Bank) et se fait absorber par le Crédit Général Liégeois. Les participations russes mettent en mauvaise posture la Banque Liégeoise, qui avait d'ailleurs commis l'erreur de travailler avec un capital propre trop faible. Elle se résout à supprimer la valeur nominale de ses actions, tout en faisant échanger ses obligations contre des actions privilégiées.

Toutefois, le ralentissement de l'activité financière dû à la crise de 1900-1901 ne fut que momentané. Bientôt la prospérité industrielle reprend, en outre Bruxelles devient de plus en plus un centre financier international. Aussi la liste qui clôture ce chapitre comporte-t-elle un nombre d'établissements nés sous le signe de cette reprise.


Avant de clore ce chapitre qui nous conduit jusqu'à la guerre, consacrons quelques lignes aux principales banques de l'époque. En premier lieu vient naturellement la Société Générale qui maintint sa situation privilégiée, dépassant de loin en importance toutes ses rivales. [Suit un tableau résume les bilans de cette société entre 1875 et 1913, non repris dans la présente version numérisée. Le total de l’actif est passé de 180 millions de francs en 1875 à 490 en 1913].

Pendant toute cette période l'activité de la Société Générale est restée avant tout celle d'une banque d'affaires. On s'en rendra compte en comparant le très faible développement du portefeuille commercial, comparé à celui du portefeuille industriel et des avances en comptes courants.

Entre 1875 et 1880, - toutes ces dates sont évidemment approximatives, - la Société ne prend guère de participations nouvelles, sauf en « valeurs de toute sécurité », comme elle le dit elle-même dans un de ses rapports. Elle s'adonne au développement de ses banques affiliées et procède à quelques émissions d'emprunts d'État et de villes. L'élément le plus vivant de son activité se concentre surtout alors dans sa filiale la Société belge de Chemins de fer, dont nous avons parlé plus haut.

Après 1880, elle prend de temps à autre des participations dans des affaires ferroviaires ou des sociétés de tramways (Chemins de fer Départementaux, Compagnie Auxiliaire des Chemins de fer, Tramways Bruxellois, Tramways d'Odessa). Elles sont cependant assez espacées. En revanche elle fait beaucoup (page 97) d’émissions de fonds publics belges et étrangers. Dans l'ensemble son activité, à cette époque, est très modérée. On lui en fait même parfois un reproche.

A partir de 1890 environ, son activité s'accélère. Elle participe à des affaires de chemins de fer en Espagne, au Mexique, puis à la Métallurgique Russo-Belge, etc.

Depuis la fin du XIXème siècle surtout, ses initiatives se multiplient. Elle prend une part très importante au développement de certaines industries en Belgique même, elle joue un rôle prépondérant dans l'extension des affaires congolaises, dans la pénétration belge en Chine, etc. Ses participations deviennent si nombreuses que l'énumération seule en serait trop longue pour trouver place ici. Sommairement on peut dire que vers 1875 la Société Générale est surtout la banque des affaires charbonnières et métallurgiques belges ; en 1913 elle est une grande banque internationale ayant des participations dans toutes les parties du monde.

En esquissant l'activité de la Société Générale avant la guerre, il convient de ne pas perdre de vue l'importance de son réseau de banques patronnées. Dès ses débuts elle avait désigné dans la plupart des centres provinciaux des agents indispensables à l'exercice de ses fonctions de Caissier de l'Etat. Ces agents faisaient aussi accessoirement d'autres opérations pour le compte de la Société, ils recevaient notamment des dépôts à sa Caisse d'épargne.

Après avoir abandonné les fonctions de Caissier de l'Etat, la Société maintint cependant ses agents dans les centres les plus importants. A partir de 1870 environ elle transforme, avec la collaboration d'éléments locaux, ses agences en sociétés anonymes, dont une partie du capital est placée dans le public, mais dans lesquelles la société mère conserve un intérêt prépondérant. A la veille de la guerre elle se trouvait ainsi à la tête de 18 banques patronnées qui, avec leurs agences, étaient représentées dans 61 localités du pays.

Ces banques patronnées pratiquaient le crédit commercial et les avances en compte courant, mais s'abstenaient généralement d'opérations dites financières, celles-ci étant réservées à la maison mère. Outre les relations et les bénéfices que rapportait leur activité courante, ces filiales étaient de précieux outils pour les placements de titres dans la clientèle.


Quand, après avoir parlé de la Société Généraie, on se demande quelle était par ordre d'importance la deuxième banque en Belgique, on est assez embarrassé. Nous n'avions en somme aucune autre banque digne de lui être comparée, en dehors - bien entendu - de la Banque Nationale et... de la Caisse Générale d'Épargne. Nous trouvions à ses côtés un groupe d'établissements moyens tous d'importance à peu près égale, et puis un grand nombre d'établissements plus modestes. Nous donnons dans le tableau ci-dessous l'énumération des banques belges - abstraction faite des banques hypothécaires - dont les moyens d'action atteignaient 100 millions de francs, à la fin de 1913.

Société Générale (488 millions)

Caisse Générale de Reports et de Dépôts (442 millions)

Banque Belge pour l'Etranger (165 millions)

Banque d'Anvers (157 millions)

Crédit Général Liégeois (149 millions)

Crédit Anversois (139 millions)

Banque Centrale Anversoise (110 millions)

Banque Générale Belge (104 millions)

Banque de Bruxelles (101 millions)

Banque Internationale de Bruxelles (100 millions)

Banque d'outremer (99 millions)

En ne tenant compte que des ressources dont elle disposait, la Caisse de Reports se classe donc immédiatement après la Société Générale et laisse loin derrière elle les autres établissements figurant au tableau. Mais les ressources seules ne sont pas un critérium suffisant, il faut encore tenir compte du rôle joué par chaque organisme dans le mouvement économique.

Or, à ce point de vue, le rôle de la Caisse de Reports est très spécial. Elle limite son activité à des avances sur titres et n'intervient nullement ni dans la création d'affaires ni dans les crédits commerciaux et industriels.

Nous trouvons ensuite dans notre tableau la Banque Belge pour l'Etranger et la Banque d'Anvers, toutes deux filiales de la Société Générale. Les chiffres qui les concernent ne (page 68) font donc qu'accentuer la distance entre la Société Générale et les autres établissements. Ne pouvant nous arrêter à toutes les banques qu'énumèrent le tableau, nous passons au Crédit Général Liégeois qui, après la Société Générale et la Banque d'Anvers, était le plus ancien du groupe. Il pouvait être considéré comme un établissement typique situé au cœur d'une région industrielle. Depuis sa création il avait pris des participations dans beaucoup d'affaires (Compagnie Générale des Conduites d'Eaux et ses filiales étrangères, Cotonnière Saint-Étienne de Rouvray, diverses sociétés métallurgiques belges et luxembourgeoises, sociétés de tramways, etc.). Il subit des pertes dans certaines affaires ; d'autres, après avoir immobilisé ses ressources, devinrent productives, il en est d'autres encore naturellement qui ne donnèrent lieu à aucune difficulté.

Pour donner rapidement une idée de son évolution, nous reproduisons un tableau résumant ses bilans à quelques dates caractéristiques [Non repris dans la présente version numérisée].

Ajoutons qu’outre ses participations financières le Crédit Général Liégeois faisait beaucoup d’opérations d’escompte, surtout depuis le début du siècle. Mais il repassait une grande partie de son portefeuille à la Banque Nationale, bien plus semble-t-il que les autres établissements.


L'activité du Crédit Anversois se déroulait sur un plan quelque peu différent. Fondé en 1898 au capital de 12 millions, dont une partie importante a été souscrite par la Caisse Commerciale de Bruxelles, le Crédit Général Liégeois, le Comptoir d'Escompte de Paris, il commença lui aussi par prendre diverses participations dans des affaires nouvelles. La crise de 1900-1901 provoqua une dépréciation de son portefeuille. Celui-ci fut alors complètement amorti, cependant certains titres retrouvèrent dans la suite quelque valeur. En vue de cet amortissement le capital fut réduit à 9,6 millions et le Crédit Anversois s'adonna désormais exclusivement aux opérations à court terme, en prenant de participations que dans d'autres banques.

En 1905 il était devenu le représentant officiel de la Bank fur Handel und Industrie. En revanche, en 1911, lors de la dernière augmentation du capital, porté à 30 millions, le Crédit Mobilier français y prit une participation importante.

Durant les dernières années d'avant-guerre le Crédit Anversois étendait sensiblement son champ d'action. Il créait des filiales et des agences en province et apparaissait comme l'un des premiers champions de la concentration bancaire en Belgique. Nous devrons y revenir dans le prochain chapitre.

Suivant l'ordre de la liste ci-dessus, nous rencontrons la Banque Centrale Anversoise qui se livrait presque exclusivement au crédit à court terme, surtout à l'escompte. Depuis la crise de croissance dont nous avons parlé dans le chapitre précédent son développement a été régulier et, dans cette étude sommaire, nous ne pouvons pas nous y attarder.

La Banque Générale Belge ne nous retiendra pas longtemps non plus. Lors du grand développement industriel de la fin du siècle passé, cette banque participa à diverses affaires industrielles. La dépréciation de son portefeuille lui infligea des pertes qu'elle put cependant amortir à l'aide de ses réserves. Depuis lors elle s'orienta principalement vers le crédit à court (page 99) terme, tout en conservant néanmoins des intérêts importants dans quelques affaires industrielles.

Nous arrivons maintenant à la Banque de Bruxelles que certains lecteurs s'étonnent sans doute de voir figurer presque à la fin de notre liste. Voulant faire un classement d'après un critérium strictement objectif, nous avons adopté celui des ressources dont les banques disposaient. Si, au lieu de cela, nous avions tenu compte du rôle joué sur le marché financier par les émissions, les relations, etc., la Banque de Bruxelles n'eût certes pas été reléguée à une des dernières places. Mais ce dernier critérium rendait le classement très malaisé.

On se souvient que la Banque de Bruxelles eut aussi sa crise de croissance pendant les années terribles 1875-1876. Le tableau qui suit reflète son évolution depuis sa convalescence [Non repris dans la présente version numérisée].

On voit par ce tableau que la Banque de Bruxelles est restée longtemps un établissement, aux ressources assez limitées. Elle eut cependant depuis sa création, un rôle important sur le marché de Bruxelles. Elle participa notamment au placement de nombreuses obligations gouvernementales et communales, belges et étrangères. Elle prit aussi des participations dans les affaires industrielles, En 1880-1881 elle prit notamment un intérêt important dans la Société des Chemins de fer Economiques et ensuite dans d'autres affaires de tramways.

Le tableau ci-dessus montre qu'elle engageait une partie importante de ses ressources en reports. Les participations qu'elle prenait étaient généralement modestes et, en somme, elle ne contrôlait guère d'affaires industrielles. Elle ne commence à s'intéresser plus particulièrement à certaines affaires électriques et charbonnières et à jouer un certain rôle industriel qu'une dizaine d'années environ avant la guerre.

Ajoutons que tout la veille du conflit mondial, en avril 1914, la Banque de Bruxelles porta son capital de 30 à 40 millions, la moitié des titres nouveaux étant souscrite par un groupe industriel important (Coppée, Warocqué) contre apport d'un portefeuille de valeurs charbonnières. La Banque de Bruxelles s'orientait ainsi plus nettement vers les participations industrielles ; elle devait encore accentuer après la guerre cette orientation.


La Banque Internationale de Bruxelles a été fondée en 1898, comme le Crédit Anversois, au capital de 25 millions, par un groupe comprenant la Banque Centrale Anversoise, un grand nombre de banques allemandes et quelques banques de Suisse, d'Autriche, des Pays-Bas, etc. Elle a repris la maison de banque Frank, Model et Cie.

Elle participa en 1899 et 1900 à la formation de diverses affaires belgo-étrangères pour l'Italie, l'Espagne, la Russie, etc. Après la crise son portefeuille se déprécia et son bilan clôtura avec une perte, qu'elle put cependant amortir dans la suite. Elle s'appliqua alors à développer les opérations courantes de banque tout en continuant à participer à la création d'affaires et aux émissions. Bien qu'une banque française y ait pris un intérêt vers 1907 et ait délégué un administrateur à son Conseil, la Banque Internationale était considérée comme le représentant principal des intérêts allemands en Belgique, du moins Bruxelles (Anvers avait le (page 100) groupe de Bary). Elle avait pris rang parmi les établissements les plus importants et les plus actifs. On sait qu'elle fut absorbée, en 1917, par la Banque de Bruxelles.

Nous arrivons à la Banque d'Outremer qui serrait de tout près la Banque Internationale d'après le classement ci-dessus, mais la dépassait par l'importance de son rôle sur le marché de Bruxelles. Elle a été fondée au début de 1899, au capital de 32.500.000 francs, par un groupe important de banques belges, la Société Générale en tête, auxquelles s'étaient jointes la Banque de Paris et des Pays-Bas et deux autres banques françaises, ainsi que deux banques allemandes. Le colonel Thys fut son premier administrateur délégué.

Dès le début elle s'est intéressée à un très grand nombre d'affaires dans toutes les parties du monde. Elle faisait d'ailleurs subir à son portefeuille des variations fréquentes.

Comme toutes les banques créées à cette époque, elle fut durement atteinte par la crise de 1900-1901. Son portefeuille subit une très forte dépréciation. Pour l'amortir, le capital fut, en 1903, réduit à 22.500.000 francs.

Les dirigeants de la banque changèrent alors graduellement leur politique. Une partie du portefeuille fut réalisée ; il fut plus stable dorénavant, bien moins cependant que celui des autres banques sérieuses. Néanmoins la direction concentra ses efforts sur le développement de certaines affaires auxquelles elle était particulièrement intéressée. Sa situation se raffermit progressivement, elle resta une banque d'affaires pure et devint un des organismes financiers les plus importants de Bruxelles. Elle favorisa notamment la mise en valeur du Congo, et joua un rôle important dans le développement de certaines affaires à l'étranger, telles le charbonnage de Kaiping, la Belgo Canadian Pulp and Paper, le charbonnage Laura et Vereeniging, etc. En 1910 elle absorba la Compagnie Internationale d'Orient et à cette occasion porta son capital à 40 millions. Il est à peine nécessaire de rappeler que son absorption par la Société Générale fut l'événement le plus sensationnels de l'histoire bancaire belge d'après-guerre.


Les pages qui précèdent n'ont pas la prétention - faut-il le dire ? - de donner un tableau complet du développement de l'activité bancaire belge avant la guerre. Bien des points importants restent à traiter, tels le rôle des banques étrangères en Belgique, le problème de la représentation bancaire belge à l'étranger, etc. Force nous est cependant de nous limiter. Pour terminer nous soumettrons au lecteur une liste des organismes financiers belges créés depuis 1875. Ici encore les lacunes sont nombreuses Nous avons écarté les banques foncières, les sociétés de crédit populaire, agricole, etc. Nous avons omis aussi plus d'un organisme se livrant au crédit commercial et industriel ou aux opérations financières. Nous ne pouvions notamment songer à relever toutes les innombrables sociétés minuscules (notamment les comptoirs, caisses, etc.) créées à foison depuis trente ans. Nous en mentionnons cependant un certain nombre qui, à des titres divers, nous paraissent mériter de retenir l'attention, parfois par la disproportion entre leur nom et leur capital, parfois par la brièveté de leur existence.

(Note de bas de page : Quelques-unes des sociétés citées dans cette liste rentrent plutôt dans la catégorie des trusts. Mais les distinctions ne sont pas toujours faciles à établir. Cela nous évitera d’ailleurs de dresser une liste analogue pour le paragraphe dans lequel nous parlerons des trusts financiers.)

(Successivement : Année de création - nom de l’établissement - capital initial (en millions de francs)- ressources (éventuelle) au 31 décembre 1913 - (remarque éventuelle)

(1) 1874 - Banque de Visé (E. Van de Wall et Cie) - 1 - (Fait faillite en 1884)

(2) 1874 - Banque de Jumet-Roux (Wattelar et Cie) - 0,3 - 1,2 - (Devient société anonyme en 1904)

(3) 1875 - Caisse d’Escompte de Bruges (Vanderhofstadt et Cie) - 0,3 - (Absorbée par le Crédit Général Liégeois en 1901)

(4) 1878 - Banque de Change et d’Emissions - 2 - (Société anonyme à Bruxelles. Création du groupe Balisaix (Banque de Charleroi). Liquidée en 1885)

(5) 1878 - Banque des Valeurs à lots (L. Bulteau et Cie) - (Commandite simple, dissoute en 1883)

(page 101) (6) 1879 - Banque européenne - (Création Philippart. Chute retentissante)

(7) 1880 - Association financière - 12 - (Liquidée en 1885)

(8) 1880 - Société Belge et Française de Banque et d’Emission - (Dissoute en 1881)

(9) 1880 - Banque Française et Belge - 0,3 - (Dissoute en 1885)

(10) 1880 - Crédit Commercial du Pays de Waes - 2,5 - (A Saint-Nicolas. Dissoute en 1883)

(11) 1881 - Banque de Gand - 10 - 63 - (Filiale de la Société Générale. Fusionnée en 1928 avec la Banque de Flandre)

(12) 1881 - Banque de la Flandre Occidentale - 4 - 11 - (Filiale de la Société Générale)

(13) 1881 - Banque Centrale Tournaisienne - 4 - 9 - (Filiale de la Société Générale)

(14) 1881 - Crédit Général de Belgique - 15 - 19 - (Réorganisée en 1886)

(15) 1881 - Caisse d’Escompte (Th. Eyront et Cie) - 3 - (Transformée en société anonyme en 1888. Mise en liquidation en 1891)

(16) 1881 - Caisse anversoise de Reports et de Dépôts - 10 - (Liquidée en 1884)

(17) 1881 - Banque du Petit Rentier - 2 - (Editait un journal « Le Petit Rentier ». Faillite à la fin de 1881)

(18) 1882 - Banque Générale de Liége - 10 - 64 - (Filiale de la Société Générale. En 1921, devient Banque Générale de Liége et de Huy)

(19) 1882 - Banque C.J.M. De Wolf - 5 - (Anvers. En 1893 devenue la Banque de Commerce)

(20) 1882 - Crédit provincial de Belgique - 2,5 - (Opérations de bourse. Dissoute en 1885)

(21) 1882 - Crédit Gantois - (En faillite la même année)

(22) 1882 - Banque Romaine - 20 - (Filiale de la Banque Romaine de Paris. Nom changé en Banque Industrielle de Belgique. Existence éphémère)

(23) 1885 - Société d’Escompte et de Crédit, Anvers - 0,1 - (Créée par quelques grandes maisons de commerce d’Anvers. Dissoute en 1902)

(24) 1885 - Banque d’Escompte de Philippeville (Jean Jean et Cie) - 0,05 - 0,12.

(25) 1886 - Banque Centrale du Luxembourg belge - 1 - (Dissoute en 1916)

(26) 1886 - Banque Paquet, Debrus et Cie, à Liége - 0,4 - (Commandite par actions. Dissoute en 1897)

(27) 1886 - Banque de Chênée - 1 - (Absorbée en 1893 par la Banque d’Escompte et de Comptes-Courants de Liége)

(28) 1887 - Banque de Crédit Ostendais - 0,3 - 7

(29) 1888 - Comptoir d’Escompte de Bruxelles - 45 - 22 - (Reprend affaires de la Nouvelle Banque de l’Union. Absorbée par la Banque d’Outremer en 1919)

(30) 1889 - Banque d’Escompte et de Comptes Courants - 1,7 - 6 - (A Liége. Capital porté à 3 millions en 1895 ; réduit en 1905 à 1,5 par amortissement sur participations russes. Absorbée par Banque Liégeoise, 1917)

(31) 1889 - Banque de Brabant - 2 - (Capitaux français principalement. Dissoute en 1899)

(32) 1891 - Banque d’Epargne et de Crédit - 0,5 - 13,5 - (Société coopérative à Anvers. Transformée en société anonyme en 1896. En 1927 devient la Mutuelle Financière et Commerciale, après absorption de la Mutuelle Industrielle et Financière)

(33) 1893 - Banque de Commerce, à Anvers - 3 - 46 - (Suite de la Banque De Wolf)

(34) 1894 - Vlaamsche Bank - 0,7 - (Dissoute en 1901)

(35) 1894 - Banque Belge de Chemins de Fer - 10 - (Société de participation créée par consortium bancaire international. Passe sous contrôle allemand en 1917. Dissoute en 1922. Remboursement de 15 francs par action de 500 francs)

(36) 1895 - La Mutualité Industrielle - 2,5 - (Société de reprise pour la participations de la Société Cockerill)

(37) 1895 - Banque Auxiliaire de la Bourse - 5 - (Absorbée par le Crédit Anversois en 1913)

(38) 1895 - Crédit National Industriel - 3 - 15 - (Capital porté à 10 millions en 1897. Réduit à 4 millions en 19058, pertes sur participations russes)

(page 102) (39) 1895 - Nouvelle Banque de Mons - 1 - (Capital porté à 2,5 millions en 1896. Pertes sur diverses participations. Entrée en liquidation en 1901. Plus grande partie du capital perdu.

(40) 1895 - Banque du Petit Crédit 0,2 - (Sort inconnu)

(41) 1896 - Comptoir de la Bourse de Bruxelles - 1,5 - (Absorbée en 1913 par le Crédit Anversois)

(42) 1896 - Société de Dépôts et de Crédits - 5 - 18 - (Intérêts français. En 1919 devient Crédit du Nord Belge, filiale du Crédit du Nord, à Lille)

(43) 1896 - Société Financière d’Orient - 10 - (Intérêts français et allemands. Dissoute en 1925)

(44) 1896 - Société Belge de Valeurs industrielles et Minières - 0,5 - (Pour émission de titres, spécialement des Sociétés Sud-Africaines. Dissoute en 1903)

(45) 1897 -Banque Arlonaise - 1 - 7,5

(46) 1897 - Association Financière et Industrielle - 3 - (Groupe anversois. Capital réduit à 1,5 million en 1904. Dissoute en 1913)

(47) 1897 - Comptoir d’Escompte de Tournai - 2 - (Devient en 1905 la Banque d’Escompte de Tournai. Absorbée en 1919 par la Banque Centrale Tournaisienne)

(48) 1897 - Comptoir du Centre (à Morlanwelz - 0,5 - 14 - (En 1913 le capital souscrit était de 5 millions)

(49) 1897 - Centre Général Ixellois - 1,5 - (Dissous en 1900. Partie de capital perdue)

(50) 1897 -Banque de l’Etat de Belgique - 0,6 - (A Saint-Trond)

(51) 1898 - Crédit Anversois - 12 - 140

(52) 1898 - Banque Internationale - 25 - 100 - (Absorbée par la Banque de Bruxelles en 1917)

(53) 1898 - Compagnie Nationale Financière - 6 - (Affaire Hutt. Capital porté à 10 millions en 1901. Chute en 1902)

(54) 1898 - Banque Centrale de Fonds Publics - 1 - (En 1905, capital réduit à 600,000 (amortissement des pertes). Porté ensuite à 1 million. Liquidée en 1927. Capital perdu.

(55) 1898 - Banque intermédiaire de Belgique - 1,5 - (Exploite plusieurs journaux financiers. Crée de nombreuses agences. Dissoute en 1900)

(56) 1898 - Caisse de Crédit et d’Escompte - 0,5 - (Reprend actif de la Bank van Bergen. Fusionnée en 1899 avec la société Financière Industrielle. Banque d’Etude, de Promotion et de Placement. Dissoute en 1900)

(57) 1898 - Finances et Industrie - 1 - (Subit pertes sur diverses participations. Dissoute en 1910.

(58) 1898 - Société Financière Belge - 2,5 - (Groupe russe, français et belge. Dissoute en 1902)

(59) 1898 - Union Financière Belge - 2,5 - (Groupe français, italien et belge. Dissoute en 1907)

(60) 1898 - Union Industrielle et Financière - 1 - (En 1900 devenue Union Industrielle Internationale)

(61) 1898 - Union des capitalistes - 1 - (Dissoute en 1902. Affaire de W. Vogel. Pertes importantes)

(62) 1898 - Société Financière Internationale - 3 - (Groupe français et belge. Participations et publication d’un journal financier. Dissoute en 1906)

(63) 1898 - L’Africaine, Banque d’Etudes et d’entreprises coloniales - 3 - (Reprend la Banque Legru. Dissoute en 1902)

(64) 1898 - Société Générale Africaine - 12 - (Dissoute en 1908 - Capital perdu)

(65) 1898 - Compagnie Mutuelle Industrielle - 3 - (En 1903 devenue Société Générale Africaine et Banque de Commerce et d’Industrie, au capital de 9 millions. En 1905 fusionnée avec la Banque Sino-Belge)

(66) 1899 - Banque d’Outremer - 32,5 - 65

(67) 1899 - Banque Coloniale de Belgique - 6 - 4 - (En 1906 capital réduit à 3 millions, amortissement sur participations

(68) 1899 - Trust Colonial - 15 - (Par le groupe de l’Africaine. Dissoute en 1911. Capital perdu)

(69) 1899 - La Coloniale Industrielle - 8 - (Pertes sur participation. Dissoute en 1902)

(70) 1899 - Banque Belge et Française de Comptes courants et de valeurs industrielles - 1 - (Intérêts français principalement. Sort inconnu)

(page 103) (71) 1899 - Banque Centrale d’Escompte et d’Emissions - 1 - (Dissoute en 1901)

(72) 1899 - Caisse Centrale de Change et de Fonds Publics - 1,5 - (Reprend une forme d’agent de change et une imprimerie. Dissoute en 1919)

(73) 1899 - Compagnie Générale Industrielle - 1,5 - - (Liquidée en 1902. Partie de capital perdu)

(74) 1899 - Banque Nouvelle des Intérêts Matériels - 5 - (Dissoute l’année même. Rien de commun avec le Moniteur des Intérêts Matériels Pertes importantes)

(75) 1899 - Compagnie Financière Belgo-Française - 2,5 - (Mise en liquidation en 1901)

(76) 1899 - Banque Franco-Belge - 6 - (Dissoute en 1900)

(77) 1899 - Banque des Valeurs Métallurgiques - 1,5 - (Siège administratif à Paris. Publie plusieurs journaux financiers. Dissoute en 1903)

(78) 1899 - Société Financière Industrielle - 1 - (Dissoute en 1900)

(80) 1899 - Comptoir central Bruxellois - 1 - (Reprend une firme d’agent de change et un journal financier)

(81) 1899 - La Rente industrielle - 1 - (Dissoute en 1903)

(82) 1899 - Crédit Belgo-Roumain - (Groupe Crédit Anversois. Fusionné avec Banque Commerciale Roumaine en 1906)

(83) 1899 - Banque Belgo-Hongroise - 10 - (Dissoute en 1900)

(84) 1899 - La Mutualité Coloniale et Industrielle - 7,5 - (Dissoute en 1909)

(85) 1900 - Banque de Reports, de Fonds Publics et de Dépôts -5 - (Groupe Ed. Thys, à Anvers. En 1914 devient Crédit Mobilier de Belgique. Absorbée par la Banque d’Anvers en 1924)

(86) 1900 - Compagnie Internationale d’Orient - 8,5 - (Absorbée par la Banque d’Outremer en 1910)

(87) 1900 - Banque Centrale du Brabant - 1,5 - (Liquidée en 1903)

(88) 1900 - Compagnie Commerciale Belge - 5 - (Anciennement H.-A. de Bary et Cie)

(89) 1900 - Banque de Hal - 0,3 - (Faillite en 1923)

(90) 1900 - Crédit industriel de Belgique - 1,5 - (Dissous en 1901)

(91) 1900 - Comptoir Industriel et Commercial - 1 - (Dissous en 1904)

(92) 1900 - Comptoir Financier de Bruxelles (Financiekantoor van Brussel) - 1,5 - (Dissous en 1914)

(93) 1900 - Banque de Valeurs Mobilières - 2,1 - (Groupe français. Sort inconnu)

(94) 1900 - Comptoir Belge-Néerlandais de Bourse et de Banque - 4 - (Dissous en 1917)

(95) 1901 - Comptoir International de Banque et de Change - 3 - (Dissous en 1903. Capital perdu)

(96) 1901 - Comptoir Français de Change et de Bourse - 1,3 - (Reprend actif de la Compagnie financière Belgo-Française. Dissous en 1902)

(97) 1901 - Comptoir Financier de Bruxelles - 1,5 - (Devenu en 1906 Comptoir Financier International, dissous en 1921)

(98) 1902 - Banque Sino-Belge - 1 -(Devenu en 1913 Banque Belge pour l’Etranger)

(99) 1902 - Société Belge de Banque et de Commerce - 10 - (Reprend l’actif de la Compagnie Anversoise d’Entreprises coloniales et industrielles, fondée en 1899. Dissoute en 1904. Groupe de Bary. Pertes sur participation)

(100) 1902 - Caisse internationale pour le Commerce et l’Industrie - 25 - (Dernière tentative du Groupe Hutt. Dissoute l’année même)

(101) 1902 - Banque Générale pour le développement des affaires industrielles et commerciales - 2 - (Groupe franco-belge. Exploite un journal financier à grand tirage. Dissoute en 1907)

(102) 1902 - Banque de Charbonnages et d’Entreprises Industrielles - 1 - Intérêts français. Dissoute en 1905)

(page 104) (103) 1902 - Union Foncière, Mobilière, Industrielle et Commerciale - 1 - (Groupe franco-belge. Dissoute en 1908)

(104) 1902 - Banque Centrale de Crédit Mobilier et Industriel - 1,2 - (Groupe française et belge. Exploite entre autres un journal financier. Sort inconnu)

(105) 1903 - Banque Général du Centre - 5 - 25 - (Ancienne Agence de la Banque du Hainaut à la Louvière. Filiale de la Société Générale)

(106) 1903 - Caisse d’Escompte et de Crédit - 1,2 - 1,1 - (Dissoute en 1917)

(107) 1903 - Société Belge de Crédit industriel et commercial et de Dépôts - 10 - 62 - (Filiale du Crédit industriel et commercial de Paris)

(108) 1904 - Société Financière Anversoise - 2 - (Dissoute en 1919)

(109) 1904 - Société Industrielle et Hypothécaire - 6 - (Dissoute en 1906)

(110) 1905 - Banque de Malines - 0,1 - 1,3 - (Fusionnée en 1929 avec la Banque de Louvain)

(111) 1905 - Crédit commercial de Mons - 0,8 - 7,3 (à la fin de 1920)

(112) 1905 - Banques et Mines - 0,2 - (Groupe international. Dissoute en 1908)

(113) 1905 - Banque Centrale Gantoise - 5 - (Ancienne Banque Verhaege-de-Naeyer et Cie. Filiale de la Banque de Reports de Fonds publics et de Dépôts (Anvers). Absorbée par la Banque de Gand en 1915)

(114) 1906 - Banque de Roulers-Thielt - 3 - 4 - (Filiale de la Société Générale. Absorbée en 1919 par la Banque de Courtrai)

(115) 1906 - Crédit Tirlemontois - 1 - 49 (à la fin de 1920) - (Suite de la Banque populaire de Tirlemont. Affiliée à la Banque de Bruxelles en 1918)

(116) 1906 - Banque Brugeoise - 1 - 1,3 - (Groupe de la Banque Internationale de Bruxelles. En 1913 devient Crédit Foncier. Absorbée par le Crédit anversois en 1919)

(117) 1906 - Société Financière et Commerciale - 0,5 - 6 (à la fin de 1920)

(118) 1906 - Union des Banques - 1 - (Dissoute en 1907)

(119) 1906 - Comptoir financier international - 0,3 - (Dissous en 1921)

(120) 1907 - Banque Centrale de la Meuse - 1,8 - 8 - (Filiale de la Société Générale. A Dinant. Reprend la Banque Henri et Cie)

(121) 1907 - Crédit Central de Brabant - 0,5 - 1 - (Devenu en 1919 Banque belgo-luxembourgeoise)

(122) 1907 - Omnium Minier et Industriel - 1 - (Dissous en 1921)

(123) 1908 - Banque Bruxelloise d’Escompte et de Crédit - 1 - (Intérêts français. Devenue en 1918 Crédit minier et industriel. Sort inconnu)

(124) 1909 - Banque Anversoise de Fonds Publics et d’Escompte - 2,5 - 9,6 -

(125) 1909 - Banque du Congo Belge - 2 - 18 - - (Banque d’émission pour le Congo. Fermée par principaux établissements bancaires de Bruxelles)

(126) 1910 - Banque de l’Union Anversoise - 20 - 75 - (Groupe Société Générale. Banque de l’Union Parisienne, Bunge. Principalement pour relations avec l’Amérique latine. Absorbée en 1919 par la Banque d’Anvers)

(127) 1910 - Union Financière, à Anvers - 1,5 - (Groupe de Bary)

(128) 1910 - Banque Internationale d’Emission et de Crédit - 1,5 - (Reprend maison d’agent de change. Dissoute en 1913)

(129) 1910 - Société Commerciale et Financière Belge - 2 - (Anvers)

(130) 1911 - Banque Centrale de la Lys - 3 - 7 - (Créée à Courtrai par Banque Crédit commercial à Anvers. Banque Brugeoise, etc. Affiliée à la Banque de Bruxelles, en 1920)

(page 105) (131) 1911- Banque Centrale de Liége - 5 - 83 (à la fin de 1920 - (Reprend la Banque Oury et Cie)

(132) 1911 - Société Belge de Banque - 10 - (A Bruxelles. Fondée par le Crédit Anversois et groupe international. Reprend la banque P. Mayer et Cie. Absorbée par le Crédit Anversois en 1913)

(133) 1911 - Banque Commerciale du Congo - 1 - 3 - (Même groupe que la Banque du Congo Belge)

(134) 1911 - Compagnie Financière d’Anvers - 2 - (En 1913 devient Compagnie Centrale Financière d’Anvers ; en 1920 Banque privée anversoise)

(135) 1911 - Vlaamsche Kredietmaatschappij (Société flamande de Crédit) - 1 - (A Bruges. En 1922 devient Westvlaamsche Hypotheekkas)

(136) 1911 - Société Financière de valeurs américaines - 20 - (Dissoute en 1919)

(137) 1911 - Banque Brésilienne Italo-Belge - 20 - 246 (à la fin de 1918) - (Créée à Anvers. Devenue Banqie Otalo-Belge en 1913)

(138) 1911 - Mutualité Coloniale - 2 - (Création de la Société Générale)

(139) 1912- Banque Centrale du Hainaut - 0,5 - 38 - (En 1913 devient Crédit Central du Hainaut. En 1922 affiliée à la Banque de Bruxelles)

(140) 1912 - Caisse privée du Nord - 0,5 - (Faillite en 1914)

(141) 1913 - Banque Générale d’Ostende - 3 - (Filiale de la Société Générale. Absorbée en 1914 par la Banque de la Flandre Occidentale)

(142) 1913 - Crédit Tirlemontois - 1 - (Création du Crédit Anversois qui l’absorbe en 1919)

(143) 1913 - Banque Meuse et Campine - 1,1 - (Création du Crédit Anversois qui l’absorbe en 1919)

(144) 1913 - Banque de Turnhout - 1 - (Affiliée à la Banque de Bruxelles en 1921)

(145) 1913 - Banque Belge du Travail - 1 - (Création de la célèbre coopérative socialiste Vooruit, de Gand)

(146) 1913 - Crédit Colonial et Commercial - 8 - (Reprend la firme L. et W. Van de Velde)

(147) 1914 - Mutuelle Mobilière et immobilière - 5 - (Devenue en 1927 Mutuelle Solvay)

6. Les trusts financiers

Bien que cette étude n'ait nullement la prétention d'envisager tous les aspects du marché financier belge, force nous est cependant de mentionner le développement des trusts, dont le rôle a été trop important pour être passé sous silence. On sait qu'il est d'usage de distinguer deux grandes catégories parmi les sociétés dont l'activité consiste non dans l'exploitation directe d'une spécialité industrielle, mais dans la gestion d'un portefeuille. Il y a les sociétés ou trusts de placement (investment trusts) et les autres sociétés financières, couramment appelées en Belgique trusts financiers, parfois aussi désignées sous le nom de banques de participation.

La distinction entre ces deux grands groupes doit s'établir d'après le but fondamental poursuivi par chaque société.

Les trusts de placement ont en principe pour but exclusif de fournir aux épargnants un moyen de placement susceptible de rapporter un revenu plus élevé que les grands fonds d'Etat ou autres titres à revenu fixe de premier ordre, tout en présentant le minimum de risques. A cet effet on réunit les ressources d'un grand nombre de capitalistes et l'on partage les placements entre diverses valeurs, de manière à pratiquer la division des risques. Cette dernière préoccupation forme le trait le plus caractéristique des trusts de placement. Les sociétés de ce genre jouent donc théoriquement un rôle à peu près passif. Elles achètent des valeurs (soit seulement des titres à revenu fixe, soit aussi des valeurs industrielles), encaissent les revenus et les partagent entre leurs actionnaires.

La pratique ne correspond pas toujours à cette définition, loin de là. Il existe des trusts de placement, surtout en Angleterre, qui achètent exclusivement des titres émis par des (page 106) pouvoirs publics ou des sociétés ayant déjà fait leurs preuves, qui modifient rarement la composition de leur portefeuille et qui portent à la réserve les bénéfices résultant parfois de la réalisation des titres. Il en est d'autres, un peu plus aventureuses, qui prennent des participations dans des affaires nouvelles ; d'autres encore, aux Etats-Unis surtout, qui modifient fréquemment la composition de leur portefeuille.

Il y a ainsi toute une gamme de sociétés qui se qualifient de trusts de placement, depuis les affaires solides, prudentes, plus ou moins conservatrices, jusqu'aux sociétés qui escomptent exclusivement la plus-value prochaine des titres, voire qui recherchent avant tout le bénéfice des différences en bourse.

Nous sommes ainsi conduits par une graduation insensible aux sociétés de la seconde catégorie, que nous désignerons par le terme générique de trusts financiers. Ce qui les distingue avant tout, c'est que la division des risques est absente de leurs préoccupations ou, tout au moins, n'y joue qu'un rôle secondaire.

On peut d'ailleurs distinguer plusieurs types parmi ces sociétés. Si nous adoptons la classification de l'économiste allemand connu, R. Liefmann, nous rencontrons d'abord les sociétés de contrôle, autrement dit les holdings. Leur but est de grouper un nombre suffisant d'actions de diverses sociétés appartenant généralement à la même branche d'activité, de manière à en centraliser le contrôle. Parfois même une holding contrôle toute une branche ou vise à contrôler toute une branche industrielle. On sait que certains trusts américains ont été constitués sous forme de holding (le terme « trust » est évidemment employé ici dans un sens différent de celui que nous lui donnons lorsque nous parlons de trusts financiers)1. Une société holding a parfois pour but de contrôler une seule affaire industrielle, lorsque les actionnaires de celle-ci ou du moins ses principaux actionnaires se mettent d'accord pour lui apporter leurs titres ; exemple la Compagnie des Tramways de Buenos-Ayres (v. infra).

Comme deuxième type, moins fréquent, nous avons les organismes que Liefmann appelle « Ubernahmegesellschaften », c'est-à-dire sociétés pour la reprise des titres. Celles-ci fonctionnent comme satellites d'autres affaires financières ou même industrielles, - le plus souvent d'une seule affaire, - qui leur cèdent les titres des affaires qu'elles ont créées ou à la constitution desquelles elles ont participé. La société de reprise est donc une société auxiliaire, en somme, qui à l'aide de son capital actions et obligations, décharge la société principale d'une partie de ses participations. Nous en verrons tantôt des exemples en Belgique. Enfin, vient le troisième type, les sociétés de financement. Comme leur nom l'indique, elles ont pour but de fournir des capitaux nécessaires à la création d'affaires industrielles.

Certes, la plupart des banques - sur le continent du moins - et notamment les banques d'affaires, s'adonnent à la même activité. Mais les sociétés de financement se consacrent exclusivement à cette tâche. D'autre part, en principe du moins, les banques après avoir créé une affaire, en placent les titres dans le public à plus ou moins brève échéance, tandis que les sociétés de financement y gardent un intérêt durable. Il faut cependant noter que, contrairement à l'usage allemand ou français, les banques belges conservent généralement un intérêt plus ou moins permanent dans la plupart des affaires qu'elles ont créées. Aussi présentent-elles à la fois les caractères d'une banque de crédit commercial, d'une banque d'affaires, d'une société de financement et même, dans une certaine mesure, d'un trust de placement, Cette observation s'applique surtout aux grands établissements.

Il est noter au surplus que la plupart des sociétés de financement, en Belgique surtout, ne se contentent pas de fournir les capitaux nécessaires à la création d'affaires. Elles jouent un rôle beaucoup plus actif : elles étudient des projets, les réalisent, conservent le contrôle de leurs filiales et centralisent souvent non seulement leur service financier, mais encore une partie de leurs services techniques (études, commandes de matériel, etc.).

Ainsi donc, parmi les sociétés de la seconde catégorie, nous avons trois types principaux : sociétés de contrôle ou holdings, sociétés de reprise et sociétés de financement. Cette classification est très utile : elle nous fournit un fil conducteur pour l'étude des innombrables sociétés de cette catégorie. Dans la pratique (page 107) cependant, si certaines affaires accusent assez nettement les caractères de l'un ou l'autre type, la plupart relèvent plus ou moins de chacun d'eux. Aussi les avons-nous englobées sous le titre commun de « trusts financiers » qui figure en tête de ce paragraphe.

Cette expression, comme celle de banque de participation, est très défectueuse. Mais elle est consacrée par l'usage en Belgique ; nous avons préféré la garder plutôt que de forger un terme nouveau.

Si nous avons donné à ce paragraphe un titre qui n'englobe que les sociétés de la deuxième catégorie, c'est que les sociétés de placement (les investment trusts) sont presque inconnues en Belgique, du moins sous leur forme pure.


Dans certains écrits récents, on a voulu considérer la Société Générale de Belgique comme la première et la plus ancienne société de placement. D'autres lui ont contesté cette qualité. Ces derniers avaient raison, mais les uns et les autres ignoraient la Mutualité, créée par la Société Générale en 1835 et qui, elle, peut être considérée comme la première société de placement (voir plus haut, ch. II, par. 4). Cependant, la Mutualité ne plaçait ses capitaux que dans les affaires créées par la Société Générale ou ses filiales, de sorte qu'on peut la qualifier aussi de société de reprise. Il en fut de même des Actions Réunies, créées par la Banque de Belgique.

Par contre, les deux autres filiales de la Société Générale, la Société de Commerce et la Société Nationale, étaient en principe des sociétés de financement ; le lecteur se souvient que, n'ayant guère pu placer leurs actions dans le public, elles ne furent en somme, dans la réalité, que de simples services de la Société Générale.

Nous avons déjà vu comment ces deux sociétés furent mises en liquidation en 1848. La Mutualité a été liquidée en 1873, à l'expiration de son terme social, et les Actions Réunies furent entraînées, quelques années plus tard, dans la chute de la Banque de Belgique.

Entre-temps, une autre société curieuse s'était constituée, présentant elle aussi les caractères d'un trust de placement. Nous avons eu l'occasion de signaler la crise que subissaient vers 1865-1866 un grand nombre de sociétés ferroviaires, belges et étrangères, qui avaient même suspendu le service d'intérêts de leurs obligations.

C'est alors, au début de 1867, que les dirigeants du Crédit Général Liégeois eurent l'idée de former une société qui grouperait les porteurs d'obligations des chemins de fer, à la fois pour diviser leurs risques et pour défendre en commun leurs intérêts.

Dans la notice que les fondateurs publièrent pour annoncer la constitution de la Société des Obligations réunies, on peut lire : « L'idée qui a présidé la constitution de la Société est de créer une vaste association d'obligataires mettant en commun les valeurs de leur portefeuille. Le Conseil d'administration ayant la gestion de cette fortune commune, veillera à la sécurité et à la solidité des placements et défendra les intérêts de la communauté. Jouissant d'un capital relativement considérable, possédant des relations qui lui permettront de s'enquérir de la valeur des placements, la Société ne reculera ni devant les frais de contrôle, de publicité, de poursuites, et même au besoin de coercition. Les renseignements que l'on refuse à l'obligataire porteur d'un petit nombre de titres, on ne pourra les refuser à une société fortement constituée, ayant son influence à la bourse, possédant un nombre d'actions suffisant pour défendre ses intérêts aux assemblées générales et faire respecter ses droits d'obligataire. » Et plus loin : « En composant l'avoir social d'un grand nombre de valeurs différentes, il s'établit naturellement une compensation des risques qui assure la fixité du revenu. En établissant cette mutualité sur des obligations, titres présentant déjà par eux-mêmes des garanties sérieuses, la sécurité des capitaux engagés est pour ainsi dire incontestable. »

Le capital de la Société, fixé en principe à 10 millions, pouvait être libéré en espèces ou en titres « désignés et cotés par le Conseil (page 108) d'administration. » Le capital effectivement souscrit ne s'éleva ependcant qu'à un million, dont les trois quarts par le Crédit Général Liégeois. La marche de la Société fut favorable, mais la modicité du capital limitait ses moyens d'action. Comme, en outre, la plus grande partie de ce capital était fournie par le Crédit Général Liégeois, l'existence autonome de la Société apparut bientôt superflue. En 1872, les dirigeants décidèrent donc de profiter des circonstances favorables créées par le boom boursier, pour la liquider. Le Crédit Général Liégeois reprit son portefeuille et les actions furent remboursées avec une légère prime.

Ainsi donc les premières sociétés de placement - la Mutualité, les Actions Réunies et les Obligations Réunies - disparurent à peu près à la même époque, vers 1873-1876.

Mais à cette même époque est née une affaire qui sera non plus un trust de placement, mais un trust financier. Celui-ci reprendra la tradition de la Société de Commerce et de la Société Nationale (1835-1848), avec cette distinction capitale cependant qu'il ne sera pas une simple annexe d'une banque ; ayant son capital propre, il aura une existence autonome. C'est la Société Générale des Tramways, fondée en août 1874, et dont les principaux fondateurs furent la Banque de Bruxelles, la Banque Belge pour le Commerce et l'Industrie (qui allait tomber entre les mains de Philippart) et J. Errera.

Cette société inaugure la série des trusts financiers modernes. Elle crée et contrôle plusieurs sociétés de tramways à l'étranger, en Italie notamment. Pendant plusieurs années elle est la seule de son espèce ; c'est d'ailleurs une période de dépression industrielle et financière.

En 1879-1881, avec la reprise des affaires, apparaissent la Société d'Entreprise générale de Travaux, les Économiques (qui absorbent la la Société Générale des Tramways), les Secondaires et les Railways à voie étroite (voir supra p. 78). Toutes ces sociétés participent largement à l'expansion des tramways belges à I 'étranger.

En 1880 apparaît aussi l'Association Financière que la presse désignait, avant sa création, sous le terme de mutualité, réminiscence de la Mutualité, liquidée quelques années auparavant. Elle fut créée au capital de 12 millions dont plus de la moitié souscrite par la Banque de Paris et des Pays-Bas, le reste par diverses banques et personnalités bruxelloises. En 1882, la Société Générale y prit aussi une participation.

L'Association participa à la formation de diverses sociétés de chemins de fer, de tramways, etc. et à quelques syndicats d'émission. Pour autant qu'on puisse en juger, elle ne présentait que certains traits des trusts de placement ou des sociétés de financement. Elle se rapprochait plutôt du type de certaines banques d'affaires ; ses participations étaient destinées à être liquidées rapidement.

Au surplus, lorsque la crise et la dépression boursière survinrent en 1883-1884, elle manqua d'éléments d'activité. Aussi fut-elle mise en liquidation en 1885, ses actionnaires pouvant s'estimer heureux de voir leur capital remboursé à une époque de marasme boursier exceptionnel.

Les sociétés dont nous venons de parler furent donc créées entre 1879 et 1882. Pendant dix ans nous n'avons plus rien à signaler. Puis le mouvement reprend, d'abord lentement. En 1892 naît la Compagnie Belge des chemins de fer Réunis (groupe Empain), qui acquiert graduellement de très nombreuses participations dans de multiples affaires de chemins de fer et de transport.

En 1894, la Société Cockerill crée la Mutualité Industrielle, société de reprise, suivant la terminologie que nous avons adoptée plus haut. Son but était exclusivement de reprendre et de gérer le portefeuille de la Société-mère. Celle-ci souscrivit le capital de 2,5 millions, seules les obligations furent placées dans le public. Cette mutualité ne prit cependant guère d'extension.

La même année naissait la Banque Belge de Chemins de fer, au capital initial de 25 millions, que les obligations doublèrent. Les fondateurs étaient la Banque de Paris et des Pays-Bas et un groupe important de banquiers autrichiens et allemands ; la Société avait d'ailleurs deux sièges administratifs, l'un à Bruxelles, l'autre à Vienne. Malgré son titre, cette société était plutôt un trust de placement, mais qui modifiait fréquemment son portefeuille. Elle avait (page 109) des participations importantes dans les chemins de fer américains, mexicains, brésiliens, italiens, etc.

A partir de 1895, avec la reprise industrielle et financière à laquelle nous avons souvent fait allusion, se produit un véritable afflux de trusts financiers. Nous devons renoncer dorénavant à une énumération quelque peu complète ; nous nous bornerons à mentionner les créations importantes ou présentant certains traits particuliers.

Entre 1895 et 1900 surtout, des trusts financiers d'importance et de caractère très inégaux sont créés à profusion. La plupart concernent l'industrie électrique et les tramways, quelques-uns se spécialisent dans une autre branche industrielle, d'autres enfin n'ont aucune spécialité.

Parmi les créations de cette période, il convient de mentionner d'abord les deux trusts électriques les plus anciens et les plus importants. La Société Générale Belge d'Entreprises électriques, fut fondée en 1895 au capital initial de 6 millions, augmenté ensuite à plusieurs reprises. Ses principaux fondateurs étaient la Gesellschaft für Elektrische Unternchmungen (Gesfürel), les Économiques, le Comptoir d'Escompte de Paris, la Banque de Bruxelles, etc. Elle créa diverses sociétés de tramways et d'électricité en Belgique, en Russie, en Italie, en Espagne, ou participa à leur création. Son activité s'est développée constamment jusqu'à sa fusion récente avec les Économiques (datant de 1880) et la Compagnie Générale pour l'Eclairage et le Chauffage par le Gaz, fusion dont est sortie l'ÉEectrobel.

En 1898 apparut la Société financière de Transports et d'Entreprises industrielles, au capital initial de 10 millions. Ses principaux fondateurs étaient la Gesfürel, la Dresdner Bank, la Banque Liégeoise, etc. Le développement pris par la Sofina est trop connu pour qu’il faille s’y arrêter.

En 1895, a été fondée par un groupe de sociétés électriques belges, la Mutuelle des Tramways, dont le capital n'était au début que d'un million. Elle prit des participations dans beaucoup de sociétés en Russie, en Italie, dans les Balkans, etc. Outre la gestion du portefeuille, elle entreprenait, elle aussi, des travaux de construction. Atteinte par la crise de 1900- 1901, elle put cependant amortir ses pertes. Ses opérations prirent une grande extension. Quelques années avant la guerre, elle passa sous le contrôle de la Société Générale. Transformée en 1919 en Société d'Électricité et de Traction, elle a absorbé, en 1929, l'Auxiliaire d'Électricité et de Transports et figure à présent parmi les trusts financiers belges les plus importants.

La Compagnie russe-française de Chemins de fer et de Tramways, créée en 1896 par le groupe Empain, avait ses sièges administratifs à Pétersbourg et à Paris. Elle joua un rôle très important dans le développement de diverses sociétés de chemins de fer et de transports en France (Métropolitain de Paris, Tramways Electriques Nord Parisiens, Tramways de Bordeaux, Electricité de Paris, Chemin de fer du Calvados, etc.) et en Russie (Tramways d'Astrakhan, de Taschkent, etc.). En 1904 elle a été absorbée par une nouvelle création du baron Empain, la Compagnie Générale de Railways et Electricité.

La Fédération française et belge de Tramways, créée par le baron Empain en 1898, était exclusivement une société de contrôle groupant plusieurs lignes vicinales en France et en Belgique (principalement le long du littoral). Devenue en 1923 la Fédération d'Entreprises de Transport et d'Electricité, avec un programme élargi, elle vient d'être absorbée par l'Electrorail.

Du baron Empain, encore, mais dans un domaine différent, la Compagnie Générale des Nitrates, fondée en 1898 et absorbée en 1919 par la Compagnie pour les Industries chimiques.

Parmi les créations du dernier lustre du XIXème siècle, signalons encore : la Compagnie de Traction et d'Electricité ; créée par un groupe liégeois en 1897, devenue en 1903 la Société (page 110) Générale de Tramways et d'Applications d'électricité, elle construisit des tramways et des centrales électriques dans plusieurs villes de la Russie méridionale ; la Société Générale de Tramways électriques en Espagne, créée en 1899 par les groupes Chemins de fer Economiques et Empain ; la Société internationale d'Entreprises et d'Exploitations électriques, fondée en 1898 par un groupe liégeois (Pieper et Crédit Général Liégeois). Cette dernière construisit des stations électriques en Belgique, en Russie, en Algérie, etc., des affaires sérieuses en général, mais la Compagnie ayant fait trop d'immobilisations dut, à plusieurs reprises, céder ses participations dans des conditions désavantageuses. Elle perdit finalement à peu près tout son capital (10 millions) ; en 1906 elle fut liquidée et absorbée par les Centrales Electriques.

Signalons encore comme sociétés malheureuses l'Union des Tramways et le Trust franco-belge de Tramways et d'Electricité dont le capital, de 6 et de 3 millions, a été perdu, la Société Tramways Réunis, dissoute après avoir perdu une partie seulement de son capital ; la Compagnie mutuelle Eau, Gaz, Electricité, etc.

Le Trust Métallurgique belge-français, constitué en 1899 par la Métallurgique, prit surtout des participations dans des sociétés métallurgiques du Nord de la France. Malgré des moments difficiles après la crise de 1900-1901, entraînant la réduction du capital, il put non seulement se maintenir, mais même développer son activité. Depuis la guerre, à ses intérêts français se sont ajoutés des participations dans des sociétés métallurgiques polonaises.

L'emballement financier des dernières années du siècle passé avait porté entre autres - en Angleterre et en France surtout - sur les mines d'or. La participation de la Belgique à ce mouvement s'exprima notamment par la création du Belgian Mining Trust of South Africa, fondé en 1895, au capital de 17,5 millions, par un groupe belge, français, anglais et allemand. Le titre même indique son but, mais au lieu d'être un trust de placement, c'était plutôt un organisme de spéculation. Les opérations ne furent guère heureuses, le capital fut presque entièrement englouti et les débris de l'actif furent apportés en 1903 à la Compagnie Générale des Mines.

En revanche, la Compagnie Générale des Mines d'or australiennes créée par un groupe liégeois en 1897, prit des participations plus permanentes. Elle put rémunérer plus ou moins régulièrement ses titres et finalement fut liquidée par un remboursement intégral du capital.


Les sociétés dont nous avons parlé jusqu'à présent se spécialisaient dans une branche industrielle déterminée ou dans des branches connexes, tramways et électricité surtout. En outre la plupart joignaient à leur activité financière l'étude technique des affaires, voire même la construction directe de tramways ou d'installations électriques. Durant la période 1895-1900 apparurent aussi quelques sociétés moins spécialisées et portant un caractère plus exclusivement financier.

On peut même se demander s'il faut les ranger dans la catégorie des banques d'affaires ou des sociétés de financement. Nous les rattachons cependant à ce dernier groupe, étant donné que leur activité consista essentiellement dans la création d'un certain nombre de sociétés industrielles dont elles conservaient le contrôle, sans se livrer à d'autres opérations financières.

Tandis que les trusts spécialisés eurent des fortunes diverses et que plusieurs d'entre eux devinrent de brillantes affaires, les trusts généraux, si l'on peut dire, créés à cette époque, eurent presque tous une existence mouvementée et une fin malheureuse. Signalons ceux qui firent le plus parler d'eux.

En 1895, le groupe Otlet créait une société au titre très expressif, l'Entreprise. Fondée au capital d'un million et demi, porté successivement à 5 millions, elle émit en outre pour 3,5 millions d'obligations. Elle s'intéressa dans un assez grand nombre d'affaires de toute espèce dans divers pays, surtout en Russie. Elle créa quelques affaires sérieuses ou participa à leur création, mais intervint aussi dans quelques-unes des entreprises les plus fantaisistes de l'époque (telles les Métallurgiques d'Odessa ou de Verchny-Dnieprovsk). Ses actions de 100 francs montèrent en bourse au delà de 300 francs. Lorsque survint la crise de 1900-1901, le portefeuille de la Société subit une dépréciation (page 111) profonde. Après la liquidation, seuls les obligataires retrouvèrent une partie de leur capital.

La Compagnie Auxiliaire Industrielle et la Compagnie Industrielle de Belgique présentaient beaucoup d'analogie avec l'Entreprise. Elles furent créées en 1897 et 1898 par un groupe d'hommes d'affaires gravitant principalement autour de la Banque Auxiliaire de la Bourse. La première avait émis un capital-actions de 1.250.000 francs et un capital-obligations de millions, la deuxième un capital-actions de 10 millions. Le même groupe créa encore la Compagnie russo-belge d'entreprises électriques et la Compagnie Coloniale. Toutes eurent une fin malheureuse.

Enfin, nous pourrions à la rigueur signaler, parmi les trusts financiers de caractère général, la Compagnie Nationale Financière, qui se rapprochait peut-être plus que les autres du type de la banque d'affaires.

Cette société, organisme principal du groupe Hutt, participa donc à toutes ses affaires (Aciéries d'Anvers, Hauts Fourneaux d'Anvers, Belge-Roumaine de Transports, etc.), dont on n'a pas oublié l'effondrement en 1902-1903.

Voici un passage du jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Bruxelles dans cette affaire célèbre et qui caractérise bien l'activité du groupe : « Attendu que la constitution de la Belge-Roumaine et de ses filiales, de la Nationale Financière, des Aciéries d'Anvers, des Clouteries du Globe (toutes sociétés créées coup sur coup avec une rapidité qui déconcerte), apparaît dans le système financier des frères Hutt, comme principalement due, non au désir de créer des organismes durables et rémunérateurs, mais à la préoccupation sans cesse renaissante d'émettre du papier nouveau toujours aux mains, tant comme titres que comme cote, de Hutt frères, ou de leurs avatars, et permettant, grâce à un habile chassé-croisé, de clôturer en bénéfice les bilans au 30 juin à l'aide de titres de sociétés dont l'exercice finit au 31 décembre et vice versa, ou encore permettant aux diverses sociétés de faire paraître dans leur existence, tout au moins par écriture, des valeurs qui viendront arbitrairement gonfler leur bilan ;

« Attendu, à la vérité, qu'il est exact et qu'il faut reconnaître que les frères Hutt n'ont pas fondé des sociétés dénuées de tout objet industriellement exploitable ; qu'ils ont même souvent surveillé et soigné le côté industriel de plusieurs d'entre elles, mais que ces constatations n'enlèvent rien au fondement des reproches formulés ci-dessus ; qu'en effet le but social n'apparaît dans le chef des Hutt que comme accessoire, que le but principal... c'est la distribution de dividendes amenant l'écoulement des titres dans le public. »

L'arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles confirmant et aggravant le jugement du tribunal correctionnel, disait entre autres :

« Attendu que ces moyens [hautement blâmables] consistent en premier lieu, dans l'installation en province et à l'étranger d'agences ayant leur service des démarcheurs chargés de rechercher les capitalistes, de décrier auprès d'eux les valeurs qu'ils ont en portefeuille pour les décider à remplacer celles-ci par les titres du groupe Hutt ; en second lieu, dans l'organisation d'un service de presse dont la mission peu scrupuleuse mais fort salariée par eux, était de prôner et vanter envers et contre tous, les titres à placer, et en troisième lieu, dans la cotation arbitraire de ces titres à la bourse de Bruxelles, ou, maîtres du marché, ils faisaient à leur gré monter les cours des titres à des taux élevés, au delà de toute proportion avec la valeur de leurs entreprises, donnant ainsi penser aux petits rentiers, leurs futures victimes, trompées par ces manœuvres, que ces titres qui leur étaient offerts avaient été sérieusement appréciés et évalués suivant le jeu régulier de l'offre et de la demande ;

« Attendu qu'il résulte de l'instruction que les prévenus ne se sont jamais mépris sur ce que pouvaient valoir dans le présent et dans l'avenir les différentes sociétés dont ils plaçaient les titres par les procédés ci-dessus rappelés ; hommes d'affaires intelligents et pratiques, ils savaient que des industries dont la situation commerciale et financière était mauvaise, comme les usines Delin et Lemaire et les Tramcars de Bucharest, ne pouvaient devenir de bonnes affaires, par le seul fait qu'on les mettait en sociétés anonymes ; ils n'ignoraient pas que, lorsque des apports sont payés à des prix excessifs à raison des commissions et des pots-de-vin prélevés pour eux et d'autres (page 112) intermédiaires peu délicats, les sociétés se trouvent grevées, dès leur naissance, de charges qui les empêchent de jamais prospérer ; soucieux de faire apparaître des bénéfices dans les bilans de leurs sociétés, au moins les premières années, ils les surveillaient d'assez près pour avoir su qu'elles ne donnaient aucun bénéfice industriel. » D'autres attendus trop longs pour être cités, insistent sur des souscriptions fictives de capital, des apports à peu près inexistants et la distribution de dividendes fictifs.

Il est temps de nous arrêter. Nous ne pouvons songer à énumérer ici toutes les créations, heureuses et malheureuses de cette période d'emballement et de spéculation qui va de 1895 à 1900 et qui, à tant de points de vue, rappelle les années 1926-1928.

Si nous nous y sommes quelque peu attardés, c'est qu'elle montre combien les sociétés à étiquette de trust financier peuvent présenter des caractères différents. Après la crise de 1900-1901 la création de ce genre d'affaires cesse pendant quelque temps et lorsqu'elle reprit à partir de 1904-1905, elle se fit à une allure beaucoup plus modérée. En outre, dans les créations des dernières années d'avant-guerre, les trusts anciens et les grandes banques jouaient un rôle prépondérant et le taux de leur mortalité fut beaucoup plus faible.

Quelques-unes des sociétés financières les plus importantes créées alors rentrent dans catégorie des holdings. Elles visaient notamment à unifier les exploitations de tramways ou d'électricité (parfois les deux) d'une localité importante ou d'une région en obtenant le contrôle des sociétés d'exploitation. Comme exemples, citons notamment la Compagnie Générale de Tramways de Buenos-Ayres, créée en 1907, à l'initiative de la Sofina par les principaux trusts électriques elges et la Gesfürel, avec la collaboration des principales banques belges et allemandes, et la société Tramways et Electricité de Constantinople, créée en 1914, encore à l'initiative de la Sofina et à peu près avec les mêmes collaborations belges et internationales. Elle faisait suite au consortium de Constantinople datant de 1911.

La Compagnie Auxiliaire d'Entreprises électriques, créée en 1909, était malgré son titre, une holding ayant exclusivement pour objet le contrôle de la Société russe électrique de Saint-Pétersbourg. Ses principaux fondateurs étaient la Société Générale, la Banque de Bruxelles et la Compagnie Centrale de l'Industrie électrique.

Comme sociétés ayant un programme plus vaste, mentionnons la Compagnie Générale Railways et d'Electricité (1904, groupe Empain), l'Union Anversoise de Tramways et d'Entreprises électriques (1904, dissoute en 1919, insistent sur des souscriptions fictives de capital, création de la Banque de Reports), la Société Tramways et Electricité en Russie (1911, Gén. Belge d'Entreprises électriques, Sofina, etc.), devenue, en 1927, Electricité et Tramways de l'Est de l'Europe, la Compagnie Centrale de l'Industrie électrique (1909, groupe Fraiteur), la Financière des Caoutchoucs (1909), etc.

Pour terminer cette énumération, fort incomplète du reste, il est intéressant de signaler la Société Financière des Valeurs américaines, créée en 1911, au capital de 30 millions, par un certain nombre de grandes banques belges, françaises, allemandes et américaines. L'objet de la société était d'acheter des valeurs américaines grâce à des émissions d'obligations en Belgique (ou plutôt en Europe).

La guerre ayant complètement modifié les rapports financiers entre les Etats-Unis et l'Europe, la société fut dissoute au début de 1919. En revanche, des sociétés américaines commencèrent à se créer alors pour placer des fonds. en Europe. La naissance et la disparition de la Société Financière de Valeurs américaines apportent une illustration intéressante aux effets économiques de la grande guerre.

Pour conclure, insistons d'abord sur ce fait que les trusts financiers ont été parmi les agents les plus importants de l'expansion industrielle et financière de la Belgique à l'étranger et de l'internationalisation de notre marché financier.

D'autre part, la plupart des trusts ayant des relations étroites avec les groupes bancaires, il s'est établi une division du travail assez intéressante ; les trusts se réservant surtout le côté études et préparation technique, les banques intervenant plus spécialement pour le côté financier. Cette division n'a certes rien d'absolu, loin de là. La tendance est cependant intéressante à signaler.

En tout cas, à ce double titre, les trusts méritent une attention particulière dans toute étude du marché financier belge.