(paru à Bruxelles en 1927, chez Albert Dewit)
M. Beernaert était depuis deux ans le chef du Cabinet. Il avait été extraordinairement servi par les circonstances, non seulement par l’accalmie qui avait succédé à la crise d’octobre 1884, mais aussi par les divisions croissantes du parti libéral. Cependant il se plaignait beaucoup ; l’excès de travail auquel la faiblesse de plusieurs de ses collègues et son esprit absorbant l’astreignaient, en était la principale cause ; mais, en outre, il était irrité de l’opposition qu’il avait rencontrée, quoique dans une mesure très modérée, parmi ses amis ; il craignait qu’on ne lui imposât certaines réformes. Il est juste cependant de dire qu’en somme il avait rencontré jusque-là peu de difficultés. A la suite des élections de 1886, nos amis demandaient partout une loi électorale et comptaient bien l’obtenir. Il n’entrait pas dans les desseins de M. Beernaert de l’accorder encore ; par contre, il s’était décidé, au mois d’octobre 1888, à se rallier au projet de (page 331) modifications de la loi provinciale et de la loi communale que nous avions élaborée dans l’opposition et dont j’avais été rapporteur. C’était quelque chose, mais pas assez. Pour ce qui me concerne, j’étais bien résolu à travailler tout à la fois avec prudence et fermeté à l’accomplissement de notre programme ; il y avait lieu, me semblait-il, dans chaque session, d’en réaliser quelque chose. Telles étaient les dispositions du Cabinet et mes vues personnelles, lorsque l’on annonça que la session serait ouverte par un discours du Trône.
Le 28 octobre 1886, M. Beernaert m’écrivit : « Si vous aviez une demi-heure disponible demain matin, je voudrais vous montrer le projet du discours du Trône. »
Je lui répondis par retour du courrier que le lendemain matin j’étais retenu au palais de justice. Le 29 au soir, les journaux annoncèrent que le discours du Trône poserait la question du service personnel. Je fus vivement ému de cette nouvelle et j’écrivis incontinent à M. Beernaert la lettre suivante :
« Mon cher Ministre,
« Bien que la plus grande réserve me soit imposée, je crois de mon devoir de vous dire combien la nouvelle donnée par le Patriote, et qui m’est confirmée d’autre part, m’étonnerait.
« Je veux parler d’un projet de loi sur le service personnel qu’annoncerait le discours du Trône.
« Je pensais qu’il était entendu que rien ne se ferait dans cet ordre d’idées sans une délibération préalable de la droite.
« Je pensais aussi qu’il avait été convenu, l’année dernière, que le ministère ne proposerait pas autre chose que les amendements au budget de la Guerre déposés par le général (page 332) Pontus. C’est dans cette pensée que je les ai soutenus et que j’ai entraîné plusieurs de mes collègues. Si j’avais pu supposer le contraire, je les aurais combattus et je le dirai :
« Proposer un projet de ce genre, c’est déchirer le parti ; le déchirer, c’est le ruiner.
« J’espère que vous reculerez devant cette responsabilité.
« J’ai convoqué les délégués des associations conservatrices pour le 8 novembre ; la question militaire est à l’ordre du jour de cette séance ; il y aura lieu d’examiner s’il ne faut pas, comme en 1871, convoquer les associations pour se prononcer sur la question. »
A cet appel loyal et grave, M. Beernaert répondit le 31 octobre en ces termes :
« Il n’est pas possible de consulter la droite au sujet de la rédaction d’un discours du Trône. Mais je me serais fait un plaisir de vous en communiquer confidentiellement le projet, comme je l’ai fait à MM. Jacobs et de Lantsheere. Vous avez été malheureusement empêché de venir ; mais j’espère que vous ne serez pas trop mécontent. »
Ainsi, M. Beernaert, loin de me donner une réponse satisfaisante, refusait de consulter ses amis politiques. Il ne s’agissait pas, dans ma pensée, qu’on le remarque bien, de leur soumettre le discours du Trône, mais seulement de ne pas s’engager, sans prendre leur avis, sur une question où, la plupart d’entre nous, nous avions des engagements à respecter ou les dispositions du corps électoral à ménager.
C’est en présence de ces éventualités menaçantes que les délégués des associations conservatrices se réunirent (page 333) le 8 novembre. Je leur rendis compte de la situation. (Note de bas de page : La veille, M. de Haulleville m’avait écrit : « Dans l’intérêt de votre avenir politique, à vous personnellement, je vous conseille de ne pas prendre une attitude hostile au service personnel. » C’était bien peu me connaître que de me parler ainsi ! (W.)) L’émotion fut très vive. Deux de mes collègues, MM. de Becker et de Bruyn, assistaient à la réunion. On débattit l’attitude à prendre. On finit par décider de consulter les associations. M. de Bruyn dit alors : « Cela est absolument correct. » Cette résolution fut immédiatement mise à exécution par le bureau, qui invita les associations à donner leur avis. Elle a été, depuis, vivement attaquée. On finira cependant par reconnaître que c’était la dernière carte que nous avions dans notre jeu ; du moment où M. Beernaert commettait la faute de ne pas vouloir, avant de prendre position, délibérer avec les droites, nous n’avions plus d’autre ressource que d’appeler le pays à faire entendre sa voix.
Le lendemain, les Chambres furent ouvertes. Le discours du Trône annonça plusieurs projets sociaux et s’exprimait au sujet de la question militaire dans les termes suivants : « Les questions relatives au recrutement de l’armée préoccupent à juste titre l’opinion publique, et il est bien désirable que l’accord patriotique des partis permette à mon gouvernement de lui donner la solution que commandent les intérêts de l’ordre le plus élevé. »
Ainsi, M. Beernaert n’annonçait aucun projet électoral. Bien plus, il devait, dans la discussion de l’adresse, se targuer de cette omission : « L’opposition, dit-il, nous rendra cette justice que, malgré l’appui d’une majorité (page 334) formidable, ce n’est pas à l’examen de mesures de parti que nous la convions. » Je n’ai pas besoin de dire combien le désappointement des catholiques fut grand.
Par contre, et alors que le Cabinet ne leur promettait aucune satisfaction, il ouvrait la question du service personnel de manière à se placer dans une impasse. Dire que les intérêts de l’ordre le plus élevé commandaient la solution de cette question, c’était moralement y lier son existence.
Comment M. Beernaert s’était-il résolu à s’engager dans cette voie fatale et comment, s’y résolvant, avait-il pu le faire dans des termes qui semblaient lui fermer toute porte de sortie ?
M. Beernaert avait toujours été étranger aux questions militaires ; lors du grand mouvement de 1871 contre le service personnel, il se tenait absolument à l’écart de la politique : c’est dire qu’il n’était pas préparé à résister à la pression qu’exercèrent sur lui, dans le cours de 1886, l’élément militaire, certains conservateurs que les grèves avaient affolés, le comte A. d’Oultremont et surtout la Couronne. Mais il est plus surprenant que, parmi les ministres, MM. de Moreau et Vandenpeereboom se fussent ralliés à son avis. M. de Moreau m’avait dit au mois de mai précédent : « Il ne faut pas qu’on vienne parler du service personnel à Namur ! » Je lui demandai comment, dans ces conditions, il avait pu y souscrire. « Ah ! me dit-il un peu plus tard, c’est que M. Beernaert nous avait menacés de sa démission. » Quant à M. Vandenpeereboom, il m’avoua qu’il avait hésité beaucoup, qu’il avait combattu pendant deux séances l’insertion dans le discours du Trône de toute phrase relative au (page 335) service personnel, mais qu’il avait été battu. L’un et l’autre, du reste, déclarèrent qu’ils subordonnaient leur adhésion à des garanties efficaces en faveur des exemptions ecclésiastiques.
On voit que ce ne fut pas sans tiraillements que M. Beernaert l’avait emporté. Des observations lui furent faites aussi par MM. de Lantsheere et Jacobs. Il ne tint aucun compte de celle de M. de Lantsheere.
M. Jacobs insista, paraît-il, davantage, et il m’a dit depuis que la phrase primitive était plus accentuée encore, et qu’il avait fini par obtenir qu’on y introduisît l’appel « à l’accord patriotique des partis ». J’ai reproché depuis à M. Jacobs sa faiblesse en cette circonstance, et je reste d’avis que si sa résistance avait été plus nette, M. Beernaert aurait probablement cédé.
La gauche s’apprêta immédiatement à tirer profit de la faute de M. Beernaert. Elle se réunit et bientôt nous apprîmes qu’à la presque unanimité elle avait décidé de se rallier au principe du service personnel ; elle se garderait de préconiser une formule, mais elle dirait au Cabinet : Vous faites appel à l’accord patriotique des partis ; nous souscrivons au principe, et dès lors nous vous mettons en demeure de présenter un projet de loi ! Je ne dirai pas que cette attitude était habile ; elle était naturellement indiquée : M. Beernaert tombait dans le piège qu’il s’était dressé à lui-même ! La gauche ne demandait pas mieux que de laisser au ministère l’impopularité d’une mesure de ce genre ; et qu’on ne dise pas qu’elle s’engageait à la partager, car elle réservait la formule ; M. Frère notamment restait grand partisan du remplacement, et cependant il se montrait disposé (page 336) à voter le principe du service personnel ; sa formule à lui était le projet de réserve qu’il avait déposé en 1884.
La commission de l’adresse fut formée d’accord avec M. Beernaert ; il me proposa lui-même pour en faire partie. M. Jacobs fut nommé rapporteur, et voici comment il rédigea la phrase relative au recrutement : « Les questions relatives au recrutement de l’armée ont toujours préoccupé l’opinion publique ; ces questions, qui touchent aux intérêts de l’ordre le plus élevé, ne peuvent être résolues - le gouvernement le constate avec raison - que par l’accord des partis. » Lorsque lecture fut donnée de cette phrase au sein de la commission, M. Bara, qui y représentait la minorité, fit l’observation suivante : « L’adresse va moins loin que le discours du Trône ? - Oui ! » répondit M. Jacobs. M. Bara ajouta : « Je ne dis pas ce que je ferai, mais il y a beaucoup de libéraux qui sont partisans du service personnel. »
L’adresse fut votée en une seule séance. Le lendemain, 17 novembre, M. d’Oultremont déposa son projet relatif au service personnel. En agissant ainsi il faisait preuve d’une grande présomption ; de plus, les attaches de sa famille avec la Cour auraient dû le détourner d’une initiative. Mais il se croyait sûr du succès. Il me dit à ce moment : « Mon projet passera ; j’ai pour moi toute la gauche, la députation de Bruxelles et vingt membres de la droite. » Je lui répondis : « Nous verrons bien ; vous ne connaissez pas le terrain parlementaire. » Il spéculait, je crois, sur les dispositions incertaines de quelques députés, et c’est ainsi qu’il avait acquis la conviction d’une victoire facile.
Sur ces entrefaites, les associations conservatrices (page 337) avaient commencé à se prononcer contre le service personnel, et c’est sous l’influence de leurs premiers vœux que les sections s’assemblèrent. Les rapporteurs avaient été à peu près désignés d’avance, d’accord avec M. Beernaert. Je figurais parmi eux ; M. Jacobs me dit, en me communiquant la liste, que M. Beernaert désirait maintenant que la majorité de la section centrale fût hostile au service personnel. Cependant, le matin du jour où les sections se réunirent, le Conseil des ministres avait décidé que ses membres provoqueraient les sections à se prononcer sur la question de principe : c’était ajouter une maladresse à celle déjà commise. Dans les sections, MM. Vandenpeereboom et de Moreau déclarèrent qu’ils ne voulaient du service personnel qu’avec des exemptions ecclésiastiques efficaces. Les rapporteurs nommés furent MM. Nothomb et Frère, favorables à la réforme, MM. Osy, Reynaert et moi, hostiles, et M. Amédée Visart, douteux. La section centrale devant être présidée par M. de Lantsheere, une majorité de quatre et peut-être de cinq voix était assurée contre le service personnel.
Pendant que tout ceci se passait, un différend grave éclatait entre M. Beernaert et moi. Les délégués des associations conservatrices qui avaient, en 1885, instamment demandé l’abolition des capacitaires du droit, avaient renouvelé leur vœu dans la réunion de 8 novembre. Je leur promis alors de prendre l’initiative d’un projet de loi et cette déclaration fut couverte d’applaudissements ; après quoi, je transmis le vœu à M. Beernaert. On sut bientôt mes intentions dans les régions parlementaires. M. Beernaert convoqua la droite : c’était (page 338) le moyen qu’il employait d’ordinaire pour atteindre ses fins ; il menaçait la droite assemblée de sa démission, et elle cédait. Je m’abstins en conséquence de me rendre à la convocation. Quelques-uns de mes collègues vinrent me prier, au nom de M. Beernaert, d’ajourner le dépôt de tout projet électoral. Je m’y refusai ; M. Beernaert, informé, me fit alors savoir, par M. de Lantsheere, qu’il proposerait l’ajournement de la prise en considération du projet. L’aurait-il fait ? Je l’ignore. Mais on conçoit à quel point je fus froissé ; M. de Lantsheere reconnut que c’était faire usage de violence morale ; jamais M. Frère n’avait employé pareil procédé, même vis-à-vis de l’extrême gauche.
J’écrivis alors à M. Beernaert, le 26 novembre, une longue lettre, dans laquelle je me plaignis vivement de sa conduite à mon égard. Après avoir rappelé les initiatives prises par d’autres membres, notamment par M. d’Oultrernont, je disais : « Vous voulez empêcher d’user du même droit, dans l’intérêt incontestable de notre cause, un homme qui, depuis vingt-trois ans, lutte pour elle sur tous les terrains, un ancien collègue qui, après avoir traversé des jours difficiles en 1884, vous a, par son attitude, facilité l’accès de la haute position que vous occupez, et cela alors qu’il s’agit d’un projet de loi dont vous avez d’avance approuvé, défendu, voté les dispositions ! »
Il me répondit par une lettre pleine de récriminations. « Je suis convaincu, disait-il, que ce serait là une mesure inopportune. Il ne faut pas chaque année proposer des mesures électorales. Et si, comme je l’espère, un projet de loi peut être soumis par nous aux Chambres (page 339) l’an prochain, je le voudrais fort complet. » Il ajoutait : « La présentation d’un projet de loi électorale par un membre de la droite constituerait une critique implicite de l’attitude du gouvernement et à ce titre déjà nous ne saurions l’accepter.» (Note de bas de page : Dans cette lettre il disait encore : « Nous avons maintes fois fait preuve de déférence envers vous. Le projet de loi sur les provocations, la loi sur l’enseignement moyen viennent encore d’en fournir la preuve... Lorsque vous avez insisté pour la présentation de la loi électorale de 1885, j’ai fait céder mes répugnances et je ne suis pas convaincu d’avoir bien fait. » Ces lignes montrent bien que si M. Beernaert n’avait pas été aiguillonné, il n’aurait rien fait au point de vue politique. Toute la question était de savoir si l’intérêt de notre cause ne réclamait pas de nouvelles concessions. (W.)) Je lui enlevai aussitôt cet argument, le seul de sa réponse, en lui faisant savoir que s’il consentait à présenter le projet, je m’effaçais devant lui ; et je ne pus m’empêcher d’ajouter : « L’intransigeance de la part du gouvernement, en écartant forcément cette question, rend la marche et la solution de toutes les autres plus difficiles. » Réclamer sans cesse des concessions et n’en faire jamais, c’était en effet ébranler la confiance et le bon vouloir de la majorité.
M. Beernaert avait terminé sa réponse du 29 novembre dans les termes suivants : « Il me reste un mot à répondre au reproche que vous me faites de n’avoir pas répondu aux deux communications que vous m’avez adressées au nom de la Fédération des associations conservatrices. J’ai lu ces lettres avec l’attention qu’elles méritaient, mais je n’ai pas même supposé que vous comptiez qu’une correspondance officielle allait ainsi s’engager entre le Cabinet et le Président de la Fédération. Je m’en applaudis d’autant plus, que le rôle auquel vous venez de convier les associations dans la question (page 340) militaire me paraît, pardonnez-moi de vous le dire, absolument antigouvernemental.
J’ai expliqué ci-dessus pourquoi j’avais demandé ce rôle aux associations ; mais les derniers mots que je viens de transcrire dénotaient une vive irritation de la part de M. Beernaert à raison de la question militaire. Cette irritation ne fit que grandir. Elle était provoquée par l’attitude de plus en plus prononcée des associations. A l’association de Bruxelles, M. Nothomb avait été fort malmené ; à Roulers, M. de Jonghe avait été mis en demeure de voter contre le service personnel. A Courtrai, l’association avait décidé de ne plus voter pour les candidats partisans du service personnel, visant ainsi M. Vandenpeereboom et M. le sénateur Lammens qui, très malencontreusement, s’était jeté dans la mêlée ; M. Beernaert se prétendait aussi menacé à Thielt ; à Hasselt même, on s’agitait. Ce qui est certain, c’est que toutes les associations se prononçaient les unes après les autres contre le service personnel.
Le 18 décembre, les délégués des associations conservatrices, conformément à la résolution prise le 28 novembre, se réunirent de nouveau et décidèrent de continuer le mouvement. Mais, immédiatement après, nous apprîmes que M. Beernaert avait résolu, ainsi que ses collègues, de donner sa démission, et qu’une réunion des deux droites allait être convoquée à l’hôtel de Merode pour le 22 décembre.
Les convocations ne tardèrent pas à être lancées par M. de Lantsheere. Dans la mienne, on me priait « instamment » d’assister à la réunion. Je répondis à M. de Lantsheere que je viendrais si on ne me mettait pas sur la (page 341) sellette. Il me promit que rien de pareil ne serait fait. Le 22 au matin, je reçus de nouveau de lui le billet suivant : « Mon cher ami, je compte bien vous voir à la réunion. Ne vous imaginez pas qu’il s’agisse de vous mettre sur la sellette. Il s’agit d’empêcher le ministère tout entier de se retirer. Vous voyez aussi clairement que moi ce qui en serait la suite. Votre présence est indispensable. Vous seriez, si vous ne veniez pas, considéré comme systématiquement hostile, et ce fait donnerait aux ministres l’occasion de persister dans leur résolution. »
Je me rendis à cet appel. La veille, un de mes collègues m’avait demandé ce qui se passerait. Je lui avais répondu : ce sera une comédie en trois actes : acte premier : le ministère se retire ; acte II : on s’explique ; acte III : le ministère reste.
Je n’étais donc nullement ému. En entrant à l’hôtel de Merode, le sénateur de Coninck vint à moi et me dit : « Savez-vous ce qui va se passer ? Non, lui dis-je. » Il répartit : « Discours de Beernaert ; discours de de Becker, et enfin discours de vous. - De moi ? lui dis-je. Je ne savais pas que je fusse dans le programme ! »
La séance s’ouvrit et aussitôt M. Beernaert exposa l’objet de la réunion. Il rappela les conditions dans lesquelles il avait accepté le pouvoir ; on lui avait promis un appui cordial ; cet appui lui faisait défaut ; les associations prétendaient imposer au gouvernement et à la législature un véritable mandat impératif ; dans ces circonstances, ses collègues et lui avaient pris la résolution de se retirer.
M. de Becker se leva immédiatement et, avec les (page 342) éclats d’un orateur de cour d’assises, il dirigea, sans me nommer, un violent réquisitoire contre les associations.
Ce discours, qui fut peu goûté des uns et qui souleva de la part des autres de vives protestations, me força à prendre la parole : je la conservai pendant près d’une heure.
J’écartai d’abord d’un mot le discours de M. de Becker : « Je n’admets pas, dis-je, que des représentants qui ne se montrent jamais et nulle part au feu, se permettent de pareilles attaques contre ceux qui sont constamment sur la brèche. » Puis je rappelai les origines de la Fédération, la création de l’Union pour le redressement des griefs, le but que l’on avait voulu atteindre par la présidence de M. Beernaert et par la mienne ; je montrai que notre parti se composait de trois forces : la droite, les associations et la presse, et que c’était une illusion et, en tout cas, un danger de vouloir gouverner sans tenir compte de ces deux dernières. Je retraçai les faits qui s’étaient passés depuis le mois d’octobre ; je justifiai l’attitude de la Fédération ; je reconnus que nous étions dans une impasse, mais qu’il y avait un moyen d’en sortir, le ministère ayant fait dépendre la solution de l’accord des partis, lequel ne se produisait pas ; et je terminai par un pressant appel au patriotisme de M. Beernaert.
Ces longues explications furent bien accueillies, même de ceux qui ne s’étaient pas associés à moi jusque-là.
M. Beernaert espérait-il un désaveu de la conduite de la Fédération, et une promesse d’agir désormais autrement ? Voulait-il me les arracher ? Je ne sais. Toujours est-il qu’en reprenant la parole, il déclara (page 343) qu’en présence de mon discours, il ne pouvait que maintenir sa résolution. Il ajouta toutefois que la question du service personnel n’en était plus une, l’accord des partis ne s’étant pas fait, et qu’il n’y avait plus lieu d’en poursuivre la solution.
Après M. Beernaert, M. Jacobs et M. de Lantsheere prirent successivement la parole, tous deux pour engager le ministère à ne pas persister dans son projet ; M. Jacobs se permit en outre des attaques injustes contre la Fédération, attaques que je relevai incontinent. Finalement, M. Beernaert consentit, eu égard à la manifestation de la droite, à ne pas donner sa démission ; il recommanda le silence sur ce qui venait de se passer, le Roi n’ayant été informé de rien.
Tout se terminait ainsi au mieux ; le ministère restait ; il renonçait à réclamer l’adoption du service personnel ; dès lors le mouvement de l’opinion pouvait être arrêté ; nous donnâmes partout des instructions dans ce sens.
On jugea à la suite de cette entente que rien ne s’opposait plus à ce que je fusse nommé rapporteur de la section centrale chargée d’examiner la proposition d’Oultremont. Celle-ci s’était déjà réunie une fois. La gauche nous accusait de vouloir traîner les choses en longueur. Il n’en était rien ; à ma demande, la section continua à s’assembler pendant les vacances de Noël.
M. Beernaert assista à l’une de ces séances ; M. d’Oultremont y était aussi. Nous fûmes alors témoins d’un singulier spectacle MM. Nothomb, Frère et d’Oultremont, se disant tous les trois partisans du service personnel, se combattirent à qui mieux mieux tant il est vrai que le choix de la formule était une difficulté de (page 344) premier ordre ! M. Frère défendit même le remplacement, ce qui provoqua de la part de M. Beernaert cette observation : « Je vois que MM. Frère et Woeste sont à peu près d’accord. » Bref, à la suite d’une discussion approfondie, dans laquelle le chef du Cabinet se refusa péremptoirement à prendre l’initiative d’un projet de loi, le principe du service personnel fut rejeté par cinq voix contre deux, le comte Visart votant avec la majorité ; et c’est par le même nombre de voix que le rapport me fut confié. Le Journal de Bruxelles avait recommandé la nomination de M. Visart ; il ne fut pas écouté. Le 5 février suivant, je déposai mon rapport ; le comité du Journal de Bruxelles défendit à M. de Haulleville de l’attaquer.
On pouvait espérer que les difficultés étaient désormais écartées. On se trompait. Les partisans du service personnel ne se considéraient pas comme battus. M. d’Oultremont comptait toujours rallier la majorité. Il avait cherché à attirer les évêques de son côté ; il avait notamment été voir l’archevêque de Malines avec le prince de Rubempré (Note de bas de page : Le prince de Rubempré, fils du comte de Merode-Westerloo, président du Sénat, qui fut plus tard ministre des Affaires étrangères et, lui-même, président du Sénat, avait été élu député de Bruxelles, le 10 juin 1884. La popularité qui s’attachait tant à sa personne qu’à son nom avait contribué largement au succès de la liste sur laquelle il avait figuré. (T.)) ; il n’avait pas réussi ; cependant l’archevêque semblait par moments hésitant. Le Roi insistait auprès de lui ; il réclama aussi l’intervention du Saint-Siège. Le Pape se décida alors à consulter l’épiscopat ; celui-ci échangea ses vues et se prononça contre le service personnel ; l’archevêque vint lui-même (page 345) m’en donner l’assurance. Par contre, l’élément militaire se remuait vivement, les brochures se multiplièrent ; les principales émanèrent du colonel Lahure et du général van der Smissen ; celui-ci était le lion de plusieurs salons de l’aristocratie bruxelloise ; les Merode, les d’Oultremont, les Antoine d’Arenberg surtout épousèrent chaudement sa cause. Un soir, la comtesse de Grunne vint à moi et me dit : « Monsieur, j’ai été fort mécontente de votre conduite dans ces derniers temps. - Madame, lui répondis-je, je le regrette ; j’espère que nous resterons d’accord sur les autres questions. » Tout le monde de la Cour donnait d’une seule voix en faveur du service personnel. Le Roi environnait M. Beernaert de prévenances ; il venait d’obtenir personnellement pour lui du Roi de Portugal le grand-cordon de la Tour et de l’Épée ; visiblement, il ne renonçait pas à l’espoir de le déterminer à jeter son portefeuille dans la balance ; il devait, du reste, recourir à d’autres moyens encore pour atteindre ses fins.
Cinq mois s’écoulèrent entre le dépôt de mon rapport et l’ouverture de la discussion. J’ai à retracer ce qui se passa pendant les cinq mois et même à reprendre les choses d’un peu plus haut.
La session de 1886-1887 était destinée à s’écouler en conflits entre le ministère et la majorité. Tout au début, après le vote de la loi sur l’enseignement moyen, la Chambre avait abordé la discussion du premier titre du Code de procédure pénale. Le rapporteur, M. Thonissen, proposait d’inscrire un article maintenant aux Cours d’appel le droit, que leur attribuait un décret de 1810, d’enjoindre des poursuites au procureur général ; (page 346) ce droit, dans les mains des Cours composées en grande majorité de libéraux, était fort dangereux ; il était d’ailleurs en opposition avec les principes de la matière. M. Jacobs demanda le rejet de cet article ; M. de Volder se prononça pour son adoption ; il fut battu à une assez forte majorité, M. Vandenpeereboom votant avec nous. La conséquence de ce vote était l’abrogation de l’article 11 du décret du 20 avril 1810 ; M. Begerem la proposa ; la gauche réclama la question préalable ; M. Beernaert, fort nerveux une fois de plus, vota avec la gauche ; mais il n’entraîna aucun membre de la droite, et l’article 11 du décret de 1810 succomba.
Le Sénat eut bientôt à se prononcer à son tour. Dans une réunion préalable, la droite sénatoriale se montra unanime contre le droit d’injonction ; seulement, pour ne pas laisser les ministres seuls, MM. t’Kint et de Namur consentirent à voter pour le maintien de ce droit. Le lendemain, la discussion s’ouvrit ; M. Graux défendit le droit ; il le fit avec habileté, faisant miroiter aux yeux de la droite les dangers pouvant résulter de la présence aux affaires d’un ministre radical, interdisant au parquet certaines poursuites utiles. Une partie de la droite fut retournée et la majorité de l’assemblée se prononça pour le droit d’information. Le projet fut ainsi renvoyé à la Chambre.
Un incident plus grave encore allait bientôt se produire.
M. de Malander, le vaillant bourgmestre de Renaix, avait été condamné, au mois de juillet 1886, par la Cour de Gand, pour extorsion de signature, à quatre mois de prison. Lors d’une émeute qui avait eu lieu à Renaix, (page 347) la vie d’un nommé Gravitz avait été sérieusement menacée ; il n’avait échappé qu’à l’aide de certaines concessions faites à la foule, et l’on reprochait à M. de Malander de les lui avoir arrachées. Quoi qu’il en fût de ce fait, il y a des cas où, pour sauver la vie d’un homme, il convient de ne négliger aucun effort. C’est ce qu’avait fait M. de Malander. Aussi la poursuite dont il avait été l’objet avait fort étonné, et sa condamnation encore plus. Dans nos rangs, tout le monde le considérait comme une victime, M. Beernaert et M. de Volder comme nous. M. de Volder avait compulsé le dossier, et il n’y avait aucunement, me dit-il, trouvé matière à condamnation.
Condamné, M. de Malander se pourvut en cassation ; il vint avec M. Begerem me trouver au mois d’août pour me charger de sa défense ; il ajouta qu’une réparation lui était nécessaire ; que M. Magherman était disposé à quitter la Chambre et qu’il était décidé à le remplacer. Il venait de chez M. de Volder, à qui il avait tenu ce même langage ; le ministre de la Justice lui avait répondu que, si pareille chose se produisait, il donnerait sa démission de représentant d’Audenarde. Ces paroles avaient vivement froissé M. de Malander.
Je l’engageai à ne rien précipiter. Je lui demandai s’il ne se contenterait pas d’un siège de conseiller provincial, et le pressai d’attendre le retour de M. Beernaert.
Le conseil fut suivi. M. Beernaert revenu, M. de Malander se rendit chez lui ; M. de Volder assistait à l’entrevue. Des mots vifs furent échangés. Puis on se radoucit ; M. Beernaert exprima l’avis que M. de Malander ne devait pas briguer de siège parlementaire, mais il lui (page 348) promit de le maintenir comme bourgmestre. Pour le surplus, on résolut d’attendre la décision de la Cour de cassation.
Le pourvoi fut rejeté vers la fin de décembre. Il était à prévoir que le parquet de Gand poursuivrait la destitution de M. de Malander comme notaire. Le 12 janvier, je reçus de M. Beernaert le mot suivant : « Je convoque pour vendredi prochain à 11 1/2 heures du matin, Jacobs, de Lantsheere, Nothomb et Lammens afin de délibérer avec eux du cas de Malander. Je vous prie de vouloir être des nôtres. » Je me rendis, le 14, à la réunion : MM. Magherman, de Volder et Thonissen y étaient aussi. Je rappelai tout d’abord à M. Beernaert l’engagement qu’il avait pris de maintenir M. de Malander comme bourgmestre. Il le reconnut ; mais, dit-il, les choses sont bien changées ; nous ne pouvons maintenir M. de Malander comme bourgmestre ; mais, autant je voyais d’inconvénients à ce qu’il devînt député en septembre dernier, autant j’en verrais peu aujourd’hui ; pourvu que l’élection n’ait lieu que dans deux mois. C’était offrir une base d’entente, et finalement l’arrangement suivant fut arrêté sur la proposition de M. Beernaert : M. de Malander donnera sa démission de juge suppléant et de bourgmestre ; par contre, il recevra du gouvernement grâce de la prison et dans deux mois il deviendra représentant. De plus, plusieurs d’entre nous et M. Beernaert lui-même estimaient que M. de Volder pourrait interdire au procureur général de provoquer la destitution de M. de Malander comme notaire. M. de Volder hésitait ; mais il consentit à faire venir le procureur général pour l’entretenir de ce point.
(page 349) Il s’agissait de faire accepter cet arrangement par M. de Malander. Je le mandai le lendemain. Il résista ; après beaucoup d’efforts, il consentit. Nous allâmes successivement chez MM. Beernaert et de Volder ; ceux-ci confirmèrent les termes de l’arrangement, et c’est à la suite de cela que je dictai, sur le bureau de M. de Volder, à M. de Malander sa démission de juge suppléant ; la démission de bourgmestre suivit, et il adressa une proclamation aux Renaisiens, leur disant qu’il leur laissait le soin « de juger sa conduite en dernier ressort. »
J’avais donc aidé le Cabinet autant que je le pouvais dans cette délicate affaire. J’avais réussi ; seulement le moment des compensations à accorder à M. de Malander n’allait pas tarder.
Le 14, à l’issue de la conférence que je viens de rapporter, M. Beernaert m’avait retenu. Il me raconta que le ministre d’Allemagne, M. de Brandebourg, était venu le voir, et lui avait demandé si la Belgique, en cas de guerre, était en mesure de se défendre ? Sur la réponse affirmative de M. Beernaert, il avait ajouté : « Et la Meuse ? » Presque au même moment, il avait vu le Roi et lui avait posé les mêmes questions sur un ton raide et impérieux, contraire à ses habitudes. M. Beernaert me demanda mon avis ; il me dit : « Faut-il fortifier la Meuse ? » Je lui dis que, s’il était nécessaire de s’y résigner, il serait prudent de ne procéder que par étapes.
A quelque temps de là, il me fit connaître qu’il allait nommer une commission chargée de s’occuper de cet objet. Je l’approuvai. Mais, tout à coup, vers le 20 février, il déposa des demandes de crédits pour fortifier la Meuse. Il avait, paraît-il, dit à M. Jacobs qu’il allait (page 350) les déposer, puis nommer une commission, et comme M. Jacobs lui avait répondu que cela n’était pas logique et qu’il fallait d’abord réunir la commission, il avait renoncé à celle-ci et s’était décidé à réclamer les crédits sans examen préalable.
Son parti pris, il pressa l’examen en sections. La droite était fort combattue ; on ne lui donnait aucune satisfaction politique, et, par contre, les exigences militaires ne faisaient que croître. M. Beernaert parvint cependant à faire nommer une section centrale, décidée en majorité à le soutenir, et M. de Bruyn fut désigné comme rapporteur. Son travail ne satisfit pas M. Beernaert, qui l’émonda largement.
Au moment où le Cabinet engageait l’affaire de la Meuse, il avait à liquider la transaction de Malander. M. de Volder avait fait venir le procureur général de Gand ; celui-ci avait manifesté l’intention de poursuivre la destitution de M. de Malander comme notaire devant le tribunal d’Andenarde ; M. de Volder ne l’en avait pas empêché ; mais il s’était décidé à commuer les quatre mois de prison en 1,000 francs d’amende. M. de Malander ne se contenta pas de cela ; il voulait une réparation sérieuse ; les deux mois étant échus, il demanda à M. Magherman sa démission, et celui-ci l’envoya le 20 mars à M. de Lantsheere. M. Beernaert, aussitôt informé, fut très ému. Il m’écrivit le 21, « qu’au lendemain de la grâce et à la veille de l’audience d’Audenarde, ce serait d’un effet regrettable. A mon sens, M. de Malander devrait attendre son acquittement très probable à Audenarde et donner sa démission de notaire en même temps que M. Magherman donnera la sienne. »
(page 351) Il entendait donc respecter l’engagement pris ; mais il voulait gagner du temps. J’intervins auprès de M. de Malander pour l’engager à attendre quelques jours. Il s’y refusa. Mais on travaillait en même temps M. Magherman, qui, provisoirement, retira sa démission. Les choses en étaient là, quand M. Neujean interpella, le 30 mai, M. de Volder an sujet de la grâce accordée à M. de Malander. L’interpellation fit long feu.
Le lendemain, 31, M. Magherman envoya définitivement sa démission, et sa lettre portait : « Je veux lui fournir (à l’arrondissement d’Audenarde) l’occasion de se prononcer lui-même, et, dans ce but, j’ai l’honneur de vous adresser ma démission de membre de la Chambre des représentants. » C’était poser la candidature de M. de Malander. La lettre ayant été publiée le jour même, la presse libérale s’indigna. Aussitôt M. Beernaert prit l’alarme, et m’abordant le 1er avril à la Chambre, il me dit : « M. Moulinasse vient de m’écrire que la gauche se mettrait en grève le jour de l’arrivée de M. de Malander. Vous nous avez mis là dans un fameux patatras (sic) et, sachez-le, puissiez-vous ne pas en subir les conséquences ! - Vous plaisantez, lui répondis-je ; l’élection de M. de Malander a été arrêtée sur votre proposition » Le soir, je lui écrivis une longue lettre pour lui rappeler les faits ; il ne répliqua pas ; il n’y avait rien à répliquer. Mais quelle ne fut pas ma surprise quand j’appris que la lettre de démission de M. Magherman avait été concertée entre MM. Jacobs et Beernaert à la suite de la séance du 30 mars et sous l’influence de la bonne issue de l’interpellation de M. Neujean ; que le sénateur Pycke avait télégraphié à (page 352) M. Magherman de se trouver le 31 Audenarde ; que là on avait fait copier le texte rédigé par M. Jacobs, approuvé par M. Beernaert, et apporté par M. Pycke ; et qu’enfin c’était M. Jacobs qui avait fait publier dans les journaux la lettre de démission que M. de Lantsheere s’était abstenue de lire Et c’était moi qu’on voulait rendre responsable !
A partir de ce moment, je déclarai que je n’entendais plus m’occuper de cette affaire. Mais l’irritation de M. Beernaert augmentant de plus en plus, le nonce, l’archevêque de Malines et Mgr Lambrecht, coadjuteur de Gand, insistèrent tour à tour auprès de moi, pour que j’arrachasse à M. de Malander un désistement de toute candidature. A tous, je répondis : « Je ne le puis. Qu’on agisse sur M. de Malander, je ne ferai rien pour contrarier ces efforts ; mais, moi, je ne saurais faire ce que vous me demandez. J’ai obtenu de M. de Malander sa démission de bourgmestre et de juge suppléant sous la promesse de certaines compensations. Il ne serait pas d’un honnête homme de chercher à lui imposer maintenant la renonciation à ces compensations. »
M. de Lantsheere tenta un nouvel effort, à la demande des ministres. Il convoqua chez lui, le 17 avril, quelques- uns de ses collègues, et M. de Malander ; il me convia à cette réunion ; je refusai d’y aller ; la réunion n’aboutit pas.
Le 14 avril, l’archevêque m’envoya de nouveau Mgr Grietens pour me « dire les tristes et inévitables conséquences du maintien de la candidature de M. de Malander. De grâce, ajoutait-il, faites un sacrifice dans l’intérêt du parti catholique, de l’Église et du pays »
(page 353) Tout cela était fort exagéré, et je n’avais aucun sacrifice à faire. Ce n’était pas moi qui avais poussé M. de Malander ; M. Beernaert avait souscrit à sa candidature dès le mois de janvier, et depuis le 1er avril je m’étais, comme je l’ai dit, réfugié dans l’abstention. J’annonçai, au surplus que, si on m’y forçait, je m’expliquerais publiquement, et je saisis l’occasion que m’offrit un article de l’Indépendance pour mettre en demeure mes accusateurs de prouver que c’était moi qui avais empêché M. de Malander de se retirer.
C’est dans ces circonstances que M. de Malander fut élu. Les conséquences tant redoutées ne se produisirent pas. M. de Volder donna sa démission de député d’Audenarde, contrairement à l’avis de MM. Simons, de Lantsheere et Jacobs. M. de Malander prêta serment peu après son élection ; la gauche ne se mit pas en grève et il n’y eut dans les rues aucun mouvement.
Bien qu’engagé depuis le début de la session dans des soins multiples, je publiai vers cette époque mon Histoire du Culturkampf en Suisse, formée en grande partie d’articles publiés dans la Revue générale, mais largement révisés et coordonnés. De plus, j’allai présider, les 16 et 17 avril, à Ypres, l’assemblée annuelle de la Fédération des cercles et des associations conservatrices. On nous y fit un accueil splendide ; de nombreuses ovations m’accueillirent, et M. Biebuyck, conseiller provincial, me salua du titre de « ministre de demain. » Je n’attachai pas plus d’importance que de raison à cette qualification ; mais elle devait émouvoir les régions ministérielles. Parmi les décisions prises par l’assemblée, je dois mentionner un vœu hostile à la centralisation (page 354) recommandée par M. A. d’Oultremont en matière d’écoles professionnelles. Au banquet assistait M. Vandenpeereboom. Il fut faiblement applaudi ; les acclamations furent décernées à M. Jacobs et à moi ; je me tournai alors vers le Ministre, et je lui dis : « Voilà le pays catholique ? »
A peine était-je de retour à Bruxelles, que se tint l’assemblée générale annuelle du Journal de Bruxelles. J’avais annoncé que je critiquerais la marche du journal ; aussi, M. de Haulleville avait-il fait appel à quelques actionnaires sur qui il croyait pouvoir compter. Mais il ne fut nullement soutenu : je montrai que le journal était devenu une entreprise de division, et qu’en cinq années (1883 à 1887), ses recettes et celles de la Belgique avaient baissé de 70,000 francs. Le comité, par l’organe de M. de Lantsheere, exprima en termes très nets sa désapprobation de la conduite du rédacteur en chef ; et comme celui-ci se plaignait dans ces circonstances de ne plus savoir comment agir, un membre du comité lui cria : C’est une question de tact ! Le fait est que, depuis quelques mois, M, de Haulleville semblait s’écarter de plus en plus de la droite pour se rapprocher des indépendants de Bruxelles ; il affectait de défendre des thèses que le gros de nos amis repoussait ; à l’occasion du service personnel, il avait été reçu par le Roi, et M. de Lantsheere prétendait que cette audience lui avait tourné la tête.
La Chambre aborda enfin les trois grandes questions de la session : les droits d’entrée sur le bétail, les fortifications de la Meuse et le service personnel.
Les droits d’entrée furent votés par soixante-neuf (page 355) voix contre cinquante-quatre, malgré l’opposition très vive de M. Beernaert.
Les fortifications de la Meuse rallièrent, au contraire, la grande majorité de la droite. Il était impossible, en effet, d’infliger successivement trois échecs au chef du Cabinet, et pour beaucoup le vote qu’ils émirent fut un vote de résignation. Ma situation et celle du reste de mes amis étaient difficiles nous avions renversé sur cette question le général Liagre. M. Beernaert m’avait écrit le 28 février : « J’ai relu vos discours de 1182, et je n’y vois pas du tout que vous vous seriez déclaré hostile à priori à de nouvelles fortifications de la Meuse, comme M. Frère le dira, paraît-il. » Cela était vrai dans une certaine mesure, mais avait besoin d’être expliqué. C’est ce que je fis dans un discours où je me préoccupai non seulement de sauvegarder ma dignité au point de vue du passé, mais encore de protester contre toute aggravation militaire ultérieure, et où je réclamai des indemnités du chef des nouvelles servitudes militaires. Ce discours produit une grande impression. Plusieurs de mes amis me félicitèrent ; les ministériels quand même se montrèrent mécontents. M. Jules de Burlet, avec le ton dédaigneux qu’il savait prendre, s’écria : « Mauvais discours ! » et M. Beernaert, sous le coup de la première impression, déclara que « tout était mauvais dans ce discours ». Je laissai dire, convaincu qu’en m’exprimant comme je l’avais fait, j’avais rendu à mon parti un véritable service (Note de bas de page : M. Frère-Orban, hostile au principe de la défense de la Meuse, combattit le projet. il fut suivi, dans son opposition, par presque toute la gauche. (T.))
(page 356) Les indemnités pour servitudes militaires furent promises par M. Beernaert.
Restait la question du service personnel. Ses partisans n’avaient pas perdu courage. Le général van der Smissen se croyait sûr du succès : abordant ma femme, vers la fin du mois de mai, à une soirée de la légation d’Angleterre, il lui dit : « Dites à votre mari que dans un an le service personnel sera établi ; dites-lui aussi que, malgré sa conduite, je traiterai très bien ses fils, quand ils seront sous mes ordres. » Le Roi agissait de toutes parts. Au commencement du mois de mai il avait engagé le colonel Lahure, qui me le rapporta, à publier un nouvel écrit, immédiatement après l’adoption des fortifications de la Meuse. Il avait mandé aussi plusieurs de mes collègues, MM. Mélot, A. Visart, de Bruyn, de Liedekerke, etc., mais sans succès. Bientôt le Roi tenta une nouvelle démarche à Rome et, pour réussir, il fit valoir que le service personnel serait certainement admis à brève échéance et qu’il valait, dès lors, mieux qu’il le fût par les catholiques qui concéderaient les exemptions ecclésiastiques. L’argument fixa l’attention du cardinal Rampolla, qui, de nouveau, consulta l’archevêque de Malines. Celui-ci était, de son côté, l’objet de nouvelles instances de la part du Roi. Le bruit courut à la Chambre qu’il pourrait bien céder. Je lui en écrivis. Il me répondit, le 4 juillet : « Les renseignements qu’on vous a donnés sont complètement inexacts. » Je dois ajouter que les autres évêques se montraient d’une grande fermeté ; dans une lettre que m’adressa le 9 juillet l’évêque de Bruges, je lis : « A mes yeux, c’est un crime d’entamer pour des résultats si minimes (page 357) et si incertains cette belle union catholique que nous avons constituée au prix de tant et de si généreux efforts. »
Pendant que le Roi se remuait à Rome et à Malines, le Patriote publia deux articles intitulés, l’un « Léopold II à Rome », l’autre « Léopold II à Malines ». La forme n’en était guère respectueuse ; quelques courtisans se désabonnèrent ; mais l’effet de ces révélations fut considérable et ne contribua pas à avancer les affaires du service personnel.
Quelle allait être l’attitude du Cabinet ? MM. de Lantsheere, Cornesse et Jacobs se rendirent chez M. Beernaert pour l’en entretenir. Dans une première entrevue, M. de Lantsheere émit l’avis que les ministres, étant décidés à ne pas présenter de projet, pouvaient voter contre le principe du service personnel ; d’autres se prononcèrent pour l’abstention, et M. Beernaert paraissait incliner en faveur de ce dernier parti. Mais, le lendemain, il fit connaître à ses interlocuteurs de la veille que les ministres avaient résolu de voter pour, mais qu’ils laisseraient la droite agir sur les douteux. J’appris à ce moment que le Roi avait écrit de Londres à M. Beernaert pour lui demander de ne pas s’opposer au vote du principe.
Les douteux étaient MM. de Baré (travaillé par le comte de Flandre), de Clercq, Mulle de Terschueren (par attachement pour son collègue de Thielt, M. Beernaert), A. Visait, Snoy, de Burlet, Becckman et Janssens. Des efforts furent faits de partout auprès d’eux. De plus, quelques manifestations nouvelles de l’opinion publique se produisaient. Le conseil provincial de la Flandre (page 358) occidentale, les conseillers provinciaux de Thielt en tête, se prononcèrent contre le service personnel ; plusieurs des cantons de l’arrondissement de Hasselt envoyèrent à M. Thonissen des résolutions dans le même sens. Bref, MM. de Clercq, de Baré et Mufle votèrent contre ; M. Janssens resta chez lui ; M. Beeckman, M. A. Visart (dont j’ai cependant rapporté ci-dessus les votes en sections centrales), Snoy et de Burlet s’abstinrent, et c’est ainsi que le principe du service personnel fut rejeté par soixante-neuf voix contre soixante-deux et quatre abstentions.
Ainsi se termina donc cette longue campagne (Note de bas de page : Il convient de remarquer que cette campagne n’avait d’autre objet que le service personnel, qui n’aurait pas donné à l’armée un homme de plus. Le service général n’était pas en cause. (W.)). Mais quelle lutte n’avait-il pas fallu soutenir ! J’ose dire que le discours que je prononçai dans la discussion produisit une vive impression. Je fus, en outre, appelé à m’expliquer sur le rôle de la Fédération et les rapports entre les électeurs et les élus ; ici, M. Beernaert, embarrassé de sa situation personnelle à Thielt, fut de nouveau très irrité. Je renvois mes lecteurs aux Annales parlementaires : ils verront si les idées que j’ai émises au sujet de ces rapports sont sérieusement contestables.
La session s’acheminait vers son terme. Elle avait été franchement mauvaise. M. Beernaert n’avait accordé aucune satisfaction à sa majorité renforcée ; il lui avait imposé les fortifications de la Meuse ; il s’était fait battre dans les questions importantes, et il était visible qu’il ne dirigeait plus la politique du parti catholique. Son autorité, qui avait été si grande, était tombée ; on était (page 359) résolu à le maintenir, parce que, après lui, c’était l’inconnu ; mais la confiance qu’on lui avait vouée était fortement ébranlée. Les journaux libéraux exploitèrent cette situation ; ils me représentèrent avec persistance comme étant le chef de la droite ; les orateurs de l’opposition me décernèrent le même titre, et ce fut là une nouvelle cause de mécontentement pour M. Beernaert. Au milieu des pénibles conflits qui s’étaient produits, M. Beernaert parlait sans cesse de sa démission ; je n’y avais jamais cru ; tout le monde finit par ne plus y croire, mais le procédé agaçait. J’ai toujours pensé que, si M. Jacobs s’était joint à M. de Lantsheere et à moi, nous aurions pu prévenir une partie des fautes commises par M. Beernaert ; malheureusement, M. Jacobs se montra le satellite dévoué de M. Beernaert ; il me traita à diverses reprises assez durement, et je finis par me promettre de ne plus aborder avec lui de sujets politiques.
Beaucoup crurent, à cette époque, que le groupe des indépendants de Bruxelles exerçait de l’influence sur M. Beernaert. Je suis assez porté à penser que M. Beernaert inclinait comme lui, à s’abstenir de toute mesure politique ; mais il évitait de se retrancher derrière lui, et aucun de ses membres n’assistait aux délibérations de la droite. Ce groupe se divisait en trois fractions : les catholiques, comme M. Bilaut, les libéraux comme M. Delebecque, et puis quelques députés qui, sous l’inspiration de M. d’Oultremont, aspiraient à former un centre. Ces derniers cherchaient un programme ; ils n’en avaient pas trouvé. Ils voulaient aussi avoir un journal. Une première tentative avait été faite par M. Somzée (page 360) et avait échoué ; on en essaya une seconde. Le Progrès parut comme journal hebdomadaire et bientôt bihebdomadaire. Il eut d’abord à sa tête, derrière le rideau, M. de Haulleville ; mais, quand la chose devint publique, ce dernier fut invité à opter entre le Progrès et le Journal de Bruxelles ; il opta pour le Journal ; on mit alors à la tête du Progrès M. Alexandre de Burlet.
Peu de temps auparavant, celui-ci s’était déclaré d’accord avec moi sur tous les points de la politique intérieure et, à ma demande, il avait cherché à obtenir de son frère Jules qu’il votât contre le service personnel. Cependant son premier article dans le Progrès fut en faveur du service personnel, et bientôt il y fit une spécialité des attaques contre ma personne. J’en fus affligé, car j’avais jusque-là été lié avec M. Alexandre de Burlet. Mais j’étais convaincu que l’entreprise à laquelle il s’était associé n’était pas viable. Dans une interruption, j’avais dit à la Chambre, au mois de mars, du Progrès : « C’est un journal sans abonnés. » L’ire des rédacteurs fut grande ; mais, six mois après, il avait disparu.
Je reviens à la session. Quelques bonnes lois, dues à l’initiative du gouvernement, avaient été votées. C’étaient les premières lois sociales, la loi sur l’insaisissabilité des salaires, celle sur le paiement des salaires et enfin celle sur l’ivresse publique. Mais ces lois, telles qu’elles avaient été présentées, laissaient à désirer ; de nombreux amendements y furent apportés, non sans provoquer l’irritation de M. Beernaert. Dans la dernière de ces lois, j’introduisis un article pour défendre le débit de comestibles et des boissons dans les maisons de (page 361) débauche. Chose étonnante, M. Beernaert, quoique partisan en principe de la mesure, le combattit en deux longs discours ; c’était aller au-devant d’un échec ; il lui fut infligé.
Je me réjouis beaucoup d’avoir pu faire voter cette interdiction, mais plus encore d’avoir vu la Chambre accueillir favorablement la loi sur le mariage des indigents et des miliciens, que l’avais présentée au cours de la session. Je me suis dit souvent que j’avais ainsi efficacement contribué à prévenir l’immoralité, et la prévenir c’est employer un des moyens - et le meilleur - de résoudre la question sociale.
Mon intervention se manifesta encore dans deux autres questions.
L’Université de Louvain demandait que les universités libres fussent admises à conférer au même titre et avec les mêmes effets que les écoles de l’État le grade d’ingénieur. J’avertis M. Vandenpeereboom que je l’interrogerais à cet égard dans la discussion de son budget. Il me pria de n’en rien faire, M. Beernaert s’étant prononcé contre nous en 1876 dans cette question. Je persistai, et, forcé de s’expliquer, M. Vandenpeereboom s’engagea à consacrer le principe de la liberté.
Je fus moins heureux à l’occasion d’une question d’enseignement. Il y a, çà et là dans le pays des écoles libres excellentes qui ne peuvent être subsidiées, parce que les conseils communaux, par esprit de parti, ne les adoptent pas. Je résolus de présenter, dans le budget de l’Intérieur, un premier amendement leur accordant la modeste allocation de 50,000 francs. La loi le permettait ; du Hainaut surtout on nous priait de légiférer (page 362) dans ce sens. Dès que M. Beernaert apprit mes intentions, il convoqua la droite ; connaissant son jeu, je m’abstins d’aller à la réunion ; il obtint naturellement des membres présents qu’ils ne me suivraient pas. Je présentai cependant l’amendement. Il ne fut pas combattu à droite en principe ; il le fut pour des raisons d’opportunité par M. Thonissen et également par M. Jacobs ; au vote, les deux tiers de nos amis se levèrent en sa faveur ; il échoua par une coalition du reste de la Chambre. Je regrettai beaucoup ce vote. Je faisais partie du comité de plusieurs écoles, et je pouvais ainsi m’assurer combien les catholiques, malgré leur générosité, avaient de la peine à les soutenir : il était fâcheux que le gouvernement refusât de leur venir en aide.
La Chambre était sur le point de se séparer, lorsque M. Beernaert réunit de nouveau la droite, pour « causer de la situation politique ». Il était inquiet du sort que réservaient les élections suivantes aux membres de la droite qui avaient voté pour le service personnel ; il craignait l’action de la Fédération, et il désirait provoquer un vote de la droite en faveur de la réélection de tous les votants. M. Jacobs ne manqua pas à cette occasion d’attaquer de nouveau la Fédération. Je déclarai que la Fédération ne donnerait aucun mot d’ordre et qu’elle laisserait les arrondissements faire leurs affaires eux-mêmes. Le vote que demanda M. Beernaert ne fut pas émis ; mais M. Coomans s’était écrié que nous n’étions pas d’assez mauvais collègues pour désirer l’échec d’aucun d’entre nous ; là-dessus, M. Beernaert conclut en disant que cette manifestation de la droite (page 363) avait son importance et qu’elle était bonne à noter. J’ignorais le parti qu’il comptait en tirer. Il voulait s’en armer auprès des évêques, notamment auprès de l’archevêque et de l’évêque de Bruges, pour qu’ils intervinssent en faveur de MM. Nothomb, Vandenpeereboom, Lammens, etc. Il ne devait pas tarder, en effet, à les en entretenir ; il leur fit connaître, qu’à défaut de la réélection d’un des ministres ou de M. Nothomb, il donnerait sa démission ; et moyennant cette déclaration, il se concilia leur appui le plus dévoué.
La session était à peine terminée, que je me rendis à Liége pour prendre part aux travaux de la seconde session du Congrès des sciences sociales. Les délibérations des sections, notamment celle de la législation, furent plus importantes et plus approfondies encore que l’année précédente ; les séances générales eurent un peu moins d’éclat ; néanmoins une foule de notabilités catholiques belges et étrangères s’y trouvèrent réunies. Dès mon arrivée, M. Collinet me dit : « L’archevêque ne vient pas ; ii a donné deux motifs ; l’un de ces motifs, c’est qu’il craint qu’on ne vous fasse des ovations et qu’elles ne déplaisent à M. Beernaert ; par suite, Mgr Lambrecht ne viendra pas non plus ; l’évêque de Gand le lui a interdit, ne voulant pas se séparer de l’archevêque. » Je fus ému et affligé de cette attitude de Mgr Goossens, à qui j’avais rendu à maintes reprises tant de services. Je le dis plus tard au nonce, qui le lui répéta ; Mgr Goossens répondit par des protestations d’estime.
Le dernier jour, un incident se produisit. L’évêque de Liége, qui présidait les secondes comme il avait présidé les premières assises du congrès, informa les bureaux des (page 364) sections qu’il avait réunis, que, l’après-midi, M. Verspeyen prononcerait un discours en faveur du pouvoir temporel, et que ce discours serait suivi d’un vote de l’assemblée dans ce sens. Il me demanda spécialement ce que j’en pensais. Je lui dis que ce serait placer l’élément parlementaire dans une situation fausse. « Mais, me dit-il, le Saint-Père y tient. - Je ne l’ignore pas, répartis-je ; mais je ne vois pas l’utilité pratique d’un tel vœu dans un petit pays comme le nôtre et, je le répète, il peut entraîner des inconvénients. » A la suite de ces observations, l’évêque me promit de consulter le cardinal de Reims et l’évêque de Tournai. Pendant les débats de la troisième section, M. Collinet vint me montrer la formule de résolution projetée ; je persistai dans l’avis que j’avais émis. L’après-midi, on m’avisa que le vote ne serait pas demandé et que tout se bornerait au discours de M. Verspeyen. Le cardinal Langénieux vint lui-même m’avertir ; me pressant les mains : « Cher Monsieur, me dit-il, nous ne partageons pas vos scrupules ; mais nous en tenons compte, et nous sommes heureux d’avoir pu vous être agréable. » Il n’eût pas été possible d’être plus aimable.
Le congrès laissa à tous les assistants une excellente impression, et successivement devaient naître, du mouvement qu’il avait provoqué, des œuvres sociales de diverse nature.