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Histoire de la révolution belge de 1830
WHITE Charles - 1836

Charles WHITE, Histoire de la révolution belge de 1830. Livre III

(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr.)

CHAPITRE V

Politique du gouvernement belge pour amener la conférence à employer des mesures propres à faire évacuer le territoire. - Manifeste do la Hollande contre la conférence, qui décide l'intervention armée. - Ardeur des Belges pour la guerre. - Cérémonie de la distribution des drapeaux aux communes à Bruxelles. - Convention entre la France et l'Angleterre. - M. Thorn. - Embargo et siège d'Anvers. - Représailles maritimes de la part de la Hollande

(page 216) L'union de Léopold avec une princesse de la maison d'Orléans répandit une satisfaction générale dans toute la Belgique, et produisit les plus importants résultats au dehors. Ces résultats se montrèrent bientôt dans la conduite du gouvernement français, et, dans cette circonstance, les sympathies privées de Louis-Philippe furent d'accord avec les vœux de la nation française et la politique des grandes puissances.

(page 217) La position prise par les parties, après les ratifications, fut telle qu'elle élevait une barrière contre tout progrès diplomatique. L'une, comme nous l'avons déjà dit, refusait opiniâtrement toute négociation ultérieure jusqu'à ce que le traité du 9 novembre eût reçu un commencement d'exécution par l'évacuation du territoire belge ; tandis que l'autre consentait à négocier, mais à des conditions qui tendaient à détruire le traité dans ses dispositions capitales. En conséquence, il était évident qu'à moins que l'une ou l'autre ne pût être amenée à céder, la tâche médiatrice de la conférence devait bientôt finir.

La situation de la Belgique était cependant si précaire, et même si inquiétante pour les autres Etats, que les amis de ce pays, en France et en Angleterre, conseillaient fortement à son gouvernement de sortir du cercle étroit dans lequel il avait renfermé sa sphère d'action. Mais quoique ses ministres connussent l'alternative dans laquelle ils étaient placés et admissent secrètement la nécessité de concessions, toutefois ils s'étaient trop fortement engagés dans les chambres pour pouvoir se rétracter (Note de bas de page : « Le gouvernement ne consentira à prendre part à aucune négociation nouvelle, que lorsque le traité aura reçu un commencement d'exécution dans toutes ses parties, qui ne sont pas sujettes à contestation, c'est-à-dire, ce qui est exactement la même chose, qu'avant tout, le territoire belge doit être évacué. » Discours du ministre des affaires étrangères de Belgique, 12 mai 1832). Pour être conséquents (page 218) avec eux-mêmes, sans s'opposer à la marche des affaires, M. de Muelenaere et ses collègues se retirèrent le 15 septembre, et furent remplacés par le général Goblet. Le but avoué de ce dernier, en acceptant le ministère, était d'ouvrir une négociation directe avec la Hollande, sur les bases du thème de lord Palmerston, ne différant que peu du traité de novembre (Ce thème ou projet de traité forme l'annexe B du 69e protocole). Mais son but secret était de changer de position, c'est-à-dire d'amener le cabinet de La Haye à retirer ses offres de négociations, et ainsi de jeter l'odieux du délai sur la Hollande et de mettre la Belgique en position de demander aux cinq puissances l'accomplissement de tout ou partie de leurs stipulations ; en d'autres termes, de surmonter leurs répugnances à l'emploi des mesures coercitives contre la Hollande.

Le but de cette tactique ne fut découvert ni par les Belges, ni par le cabinet hollandais. Aussi ce dernier fut-il la dupe d'une manœuvre qu'il pouvait facilement tourner contre ses adversaires ; car la reconnaissance virtuelle de l'indépendance de la Belgique, qui eût résulté d'une (page 219) négociation directe, n'eût pas entraîné la reconnaissance positive, ni détruit les principes desquels le roi des Pays-Bas était déterminé à ne pas dévier, tandis que le statu quo, avec tous ses inconvénients territoriaux et financiers, aurait pu être continué et les discussions prolongées jusqu'à une période indéfinie, de telle sorte que les avantages que la Belgique eût pu retirer des négociations directes auraient été contrebalancés par les désavantages du retard. Mais les prévisions du général Goblet se réalisèrent bientôt ; et, pour la première fois, l'adresse des hommes d'Etat de la Hollande fut mise en défaut par leurs rivaux inexpérimentés ; car aussitôt que M. Van de Weyer eut reçu des pleins pouvoirs, le cabinet hollandais se retira, et, le même jour, le 20 décembre, il fit parvenir à la conférence une note si irritante qu'elle rendait tout rapprochement impossible. Ce document réclamait, 1° que la conférence signât le traité de séparation, sur les bases contenues dans les notes des plénipotentiaires néerlandais du 30 juin et du 25 juillet, c'est-à-dire à des conditions déjà déclarées inadmissibles par les plénipotentiaires et les Belges. Il déclarait ensuite : « que le roi ne voulait pas admettre de nouvelles concessions, qu'il déclinait la responsabilité de toutes les complications qui pourraient résulter d'un délai, et proclamait hautement qu'il ne consentirait jamais à (page 220) sacrifier les intérêts vitaux de la Hollande, au fantôme révolutionnaire ; que le peuple libre, aux destinées duquel il était appelé à présider, confiant dans la Providence, savait comment on résistait à tout ce que les ennemis de l'ordre public et de l'indépendance des nations oseraient tenter de prescrire. »

Cette espèce de manifeste, qui semblait destiné à attaquer les principes et les vues d'une partie de la conférence, et qui fut ainsi considéré par elle, reçut pour réponse le mémorandum explicatif du 24, dans lequel les plénipotentiaires demandaient une réponse catégorique à certaines questions, et faisaient entendre que tous les moyens de conciliation paraissant épuisés, il ne lui restait qu'à recourir à d'autres mesures. Ainsi le ton que prenait maintenant le cabinet hollandais pouvait suffire pour éclairer les plus sceptiques. Il était maintenant évident qu'aucune proposition, quelque équitable qu'elle fût, qu'aucune base d'arrangement, quoique satisfaisante pour les cinq puissances, qui tendrait à replacer Anvers sur le même pied qu'Amsterdam et Rotterdam, ou à neutraliser les prétentions territoriales du roi, ne serait jamais acceptée par lui. L'inutilité de toutes négociations, à moins qu'elles ne fussent fondées sur des conventions si favorables à la Hollande qu'elles équivalussent à l'anéantissement de la Belgique, fut reconnue (page 221) par tous ceux qui n'étaient pas directement intéressés à empêcher la solution de la question batavo-belge, question qui avait tenu l'Europe en suspens depuis deux ans, qui avait détourné les hommes d'Etat de s'occuper des affaires de leur propre pays, déjoué l'adresse des plus habiles diplomates, et menacé constamment le repos des nations voisines.

Cependant la question entraînait les plus grandes difficultés et les plus grands embarras pour les grandes puissances. Elle les forçait d'imposer un dur sacrifice à la maison de Nassau, dont les intérêts devaient être en partie immolés au bien-être général. Mais le bien-être individuel, les rapports de famille ne pèsent guère dans la balance des états. L'administration du duc de Wellington avait été la première à reconnaître les principes, par lesquels les peuples de France et de Belgique étaient devenus les arbitres de leurs dynasties. Ses successeurs et leurs alliés avaient consacré ce principe en reconnaissant Louis-Philippe et en ratifiant le traité de novembre, et probablement arrêté, par ce moyen, le torrent de la démocratie, et maintenu la paix générale.

Cette politique était à la fois prudente, éclairée et en harmonie avec l'esprit du siècle. On doit observer cependant que la décision, en ce qui regarde la Belgique, était de nécessité et non (page 222) d'inclination, et que le choix du roi Léopold fut une préférence politique et non individuelle. Ici encore on avait agi avec un grand discernement, car pas un prince, en Europe, ne réunissait à un aussi haut degré les qualités nécessaires.

Mais si la nécessité d'élever Léopold au trône était imminente, l'urgence de placer promptement le trône au-dessus des vicissitudes des événements était encore plus impérative. L'hydre révolutionnaire sommeillait, mais n'était pas détruite ; chaque heure de retard pouvait éveiller quelques-unes de ses têtes. Les délais énervaient les amis de l'ordre, encourageaient les partisans de l'anarchie et menaçaient l'Europe.

Dès le moment où les 18 articles avaient été admis, Léopold, sur la seule promesse de leur fidèle exécution, avait accepté le trône de la Belgique, avec la ferme résolution d'affermir le trône et de procurer à son peuple la plus grande somme de prospérité compatible avec les intérêts de l'Europe et les justes droits de la Hollande. La révolution de septembre avait détruit l'édifice élevé à Vienne, et renversé la position de» Belges, relativement à la France et à l'Europe. Si, pour regagner ce que l'Europe avait perdu par la force des événements, ou plutôt par l'impolitique et l'imprévoyance du gouvernement hollandais, on jugeait convenable de reconnaître le droit d'insurrection, d'abandonner un ancien (page 223) ami, et d'ériger la partie révoltée de son royaume en une monarchie indépendante, il était sans aucun doute d'une saine politique de consolider cet ouvrage, en le plaçant dans une position assurée, et en accordant au peuple des avantages capables d'intéresser son amour-propre et son bien-être au maintien de sa jeune nationalité contre l'influence et les empiétements de la France. L'Angleterre et les puissances du Nord y étaient aussi intéressées que le roi Léopold lui-même, à moins qu'elles ne voulussent que les travaux. et les sacrifices des principes d'alliances et d'affections auxquels elles s'étaient résignées, pendant les dix-huit mois qui venaient de se passer, ne fussent inutiles, et que la barrière de 1831 fût renversée comme celle de 1815.

Employer de mauvais matériaux à construire une digue destinée à résister à une soudaine irruption des eaux, et placer un principe de destruction dans ses fondements, décèle un imprudent architecte. Cette comparaison était applicable à la Belgique ; car le souverain ne pouvait espérer ni sécurité ni avenir pour son trône, ou, en d'autres termes, pour le maintien de la barrière dont il était la pierre angulaire, à moins que ce trône ne reposât sur une base solide, et à moins que ses sujets ne jouissent, sous leurs nouvelles institutions, de plus grands avantages que ceux qu'ils possédaient sous le gouvernement néerlandais ou (page 224) qu'ils pouvaient espérer obtenir d'une réunion à la France. Pour atteindre à ce but, des mesures rigoureuses étaient nécessaires, et tout délai dans leur exécution dangereux. Il serait superflu de s'étendre sur l'urgence des unes et sur l'impolitique de l'autre. Il était clair que, sans l'emploi des mesures coercitives, le roi des Pays-Bas ne renoncerait jamais à ses prétentions ni à son espoir de restauration. On avait employé inutilement les arguments, la médiation, les avis, les menaces. La question avait été discutée à satiété. Il n'était pas un point de vue sous lequel elle n'eût été envisagée. Tout ce qu'une diplomatie sage et impartiale peut faire avait été tenté. Amis et ennemis avaient été également repoussés. Les conseils fraternels des cours de St.-Pétersbourg, Berlin et Vienne, n'avaient pas été plus écoutés que les plus vives remontrances de la France et de la Grande-Bretagne.

Dans tout ce qui intéressait le roi, cette ténacité ne pouvait surprendre ; car, indépendamment du caractère naturellement ferme de ce prince, il était secondé par des ministres habiles et d'adroits plénipotentiaires qui, plus d'une fois, avaient profité des incertitudes et de l'irrésolution de la conférence. Il était appuyé par la sympathie de toutes les puissances, excepté la France, confiant dans son armée, dans sa marine et dans sa position stratégique, soutenu par le patriotisme unanime (page 225) de ses sujets, et encouragé par ses partisans en Belgique, dont les machinations et les persuasions se multipliaient en raison du retard des décisions de la conférence. En outre, le roi Guillaume savait bien que, tandis que toute la nation hollandaise était unie et fidèle, la défiance et la désunion régnaient en Belgique, non moins que dans les chambres où les affaires de la nation étaient souvent sacrifiées à des antipathies personnelles. Le contraste des deux pays était si marqué, qu'il donna lieu aux paroles suivantes, de la part d'un membre de la chambre belge : «Voyez (disait l'orateur), voyez les Hollandais ; ils sont prêts à tous les sacrifices. La ville d'Amsterdam est prête, si cela est nécessaire, à placer ses trésors aux pieds du roi, et les états-généraux à consentir à toutes les demandes du gouvernement. Que voulez-vous que l'Europe dise de nous, si nous nous montrons divisés et en désaccord avec le gouvernement ? Ce qui constitue la force de la Hollande, c'est l'union du peuple et du souverain ; nous pouvons aussi être forts, en suivant la même voie. Si nous éprouvons quelque inimitié envers certaines personnes, disons-le hardiment ! Mais n'oublions pas que toutes les animosités personnelles doivent s'effacer devant les intérêts du pays » (Discours du vicomte Charles Vilain XIIII, du 19 novembre 1832). Mais le danger des troubles intérieurs (page 226) et des différents maux qui résultaient, pour la Belgique, de l'état des affaires était une considération secondaire, quand on la comparait aux grandes questions européennes, que la France et l'Angleterre étaient appelées à balancer et à surveiller. Le bien-être momentané des Belges, les clameurs de la presse et de la nation, ne pouvaient faire dévier les puissances de la ligne de négociations qu'elles jugeaient nécessaire de suivre pour le maintien de la paix. Se précipiter vers une solution précoce, tenter de forcer la Belgique ou la Hollande, avant que les points en discussion eussent été suffisamment examinés, et avant que tous les moyens eussent été employés pour amener les parties à s'entendre, eût été aussi impolitique que de différer l'adoption des mesures coercitives, quand la médiation fut reconnue inutile. « La maturité ou la non-maturité de l'occasion doit toujours être prise en considération. » Cette occasion était arrivée à sa maturité et même au-delà. Cela n'est pas douteux ; personne ne pouvait méconnaître le danger d'une plus longue temporisation.

Admettant l'hypothèse que le danger fût exagéré et que l'état de la Belgique ait été présenté sous un faux jour, les cabinets des Tuileries et de St.-James avaient agi sous l'influence des considérations les plus généreuses et les plus élevées. Ils étaient devenus les appuis naturels de la jeune monarchie. Ils avaient délibéré un traité (page 227) et y avaient irrévocablement adhéré. Ils avaient donné à cet acte important toute la solennité dont les actes des rois et des gouvernements sont susceptibles. L'honneur des rois, la bonne foi des gouvernements, la dignité de la France et de l'Angleterre y étaient attachés. Ils étaient engagés par tout ce qu'on regarde comme sacré, à l'exécution d'un traité qu'ils avaient juré de maintenir. Les Belges avaient le droit de réclamer l'accomplissement de leurs promesses, d'autant plus qu'elles leur avaient été imposées. Et si l'Angleterre et la France eussent refusé, elle était en droit de les accuser d'un manque de foi, et de s'écrier :

« If you deny me, fie upon you law !

« There is no force in the decrees of Venice. »

(« Si vous me refusez, que sont vos lois ! Les décrets de Venise seront désormais sans force. »)

« La Belgique demande l'exécution du traité, rien que le traité (disait un des membres les plus éclairés du cabinet anglais), elle doit éventuellement entraîner de son côté les puissances contractantes. Si vous l'abandonnez à elle-même, elle gagnera plus, en se retranchant fermement et tranquillement derrière le traité, que par toutes les clameurs de sa presse et de la nation, et par des démonstrations militaires qui ne serviraient (page 228) qu'à compromettre son indépendance. » Cette prédiction fut bientôt réalisée.

Dès le premier octobre, la conférence décida unanimement que des mesures coercitives étaient nécessaires, quoiqu'il y eût dissidence sur les moyens à employer. Les trois cours du Nord opinaient pour des peines pécuniaires, c'est-à-dire, pour autoriser la Belgique à déduire, à dater du 1er janvier 1832, des arrérages qu'elle devait à la Hollande, le montant des dépenses qu'exigeait le maintien de son armée sur le pied de guerre calculé à un million de florins par semaine. Mais l'Angleterre et la France combattaient péremptoirement cette proposition, qui tendait à renouveler les négociations, disant que l'expérience de plusieurs mois avait prouvé à la conférence qu'on ne pouvait plus espérer de traiter, et que ces mesures serviraient à empêcher l'exécution du traité déjà fait, et dont l'inexécution exposait la paix de l'Europe à un péril continuel et toujours croissant (Protocole du 1er octobre 1832 (n°70), qui termina la série de ces documents, et qu'on peut dire avoir été le dernier acte public de la conférence).

L'unanimité des membres de la conférence, à cause de cette différence d'opinion sur le principe de l'adoption des mesures coercitives, avait failli d'être troublée ; mais la sagesse et le calme de (page 229) négociateurs, puissamment secondés par le résultat de la mission de lord Durham à Saint-Pétersbourg et par le désir des cinq cours de maintenir la paix, parvinrent bientôt à surmonter toutes les difficultés ; et la Russie, la Prusse et l'Autriche, quoiqu'elles refusassent toute participation directe ou indirecte, consentirent à demeurer spectatrices passives des mesures proposées par la France et l'Angleterre (Note de bas de page : Une note fut adressée, le 30 octobre, par lord Palmerston et le prince de Talleyrand, au cabinet de Berlin, proposant que la Prusse prît possession des parties du Limbourg et du Luxembourg destinées par le traité de novembre à être conservées par la Hollande, et qu'elle continuât à les garder jusqu'à ce que le gouvernement pût être engagé à remplir les conditions attachées à leur possession. Le gouvernement prussien, considérant ce fait comme une participation aux mesures coercitives, refusa).

La résolution énergique prise par ces deux gouvernements reçut une impulsion plus forte encore par deux notes qui leur furent adressées par la Belgique, les 5 et 23 octobre. Après avoir expliqué les motifs qui lui faisaient désirer d'ouvrir des négociations directes avec la Hollande, et avoir déclaré leur conviction que toute espérance de conciliation était devenue illusoire, le ministère belge protestait contre tout délai dans l'exécution du traité et déclarait que si les stipulations garanties n'étaient pas exécutées au moins (page 230) en partie, le roi serait forcé d'en appeler aux armes, et que l'existence du nouveau ministère dépendait de cette condition » (Il était ainsi composé : Affaires étrangères, MM. Goblet ; Intérieur, Rogier ; Justice, Lebeau ; Finances, Duvivier ; Guerre, Évain). « L'évacuation du territoire doit être effectuée le 3 novembre, soit par des mesures prises par les grandes puissances, soit par l'armée nationale. Cela voulait dire, qu'à moins que la conférence ne se hâtât d'adopter des mesures propres à assurer l'expulsion des Hollandais de la citadelle d'Anvers, les Belges étaient résolus de le faire eux-mêmes, et de commencer une guerre dont les conséquences fatales ne pouvaient être calculées par personne « Telle est l'obligation (ajoutait cette note) qui est imposée au ministère belge par l'état intérieur du pays et par la force des circonstances. »

Telle était la véritable situation des affaires ; car, quoique les principes de l'administration Goblet fussent essentiellement d'accord avec ceux de Casimir Périer et de lord Grey, et par conséquent éminemment pacifiques et conciliatoires, toutefois il n'était pas possible de modérer l'ardeur (page 231) nationale. Les rapports généralement répandus sur des mésintelligences dans la conférence et la crainte d'une rupture entre les grandes puissances, avaient produit l'effet le plus défavorable. Ils décourageaient les amis du repos ; ils affaiblissaient la confiance de la nation dans la stabilité de la monarchie ; ils augmentaient la virulence et la malveillance de ceux qui sont toujours prêts à propager le trouble et la sédition, et qui, dans l'espoir soit d'une restauration hollandaise, soit d'une agression de la part de la France, désiraient la guerre. Mais, dans cette circonstance, ces esprits audacieux n'agissaient pas seuls : citoyens et soldats, commerçants et agriculteurs, la presse et les chambres réclamaient l'emploi de la force. Leur situation présente était si humiliante, que toute idée de la voir se prolonger leur était insupportable. Les immenses sacrifices, faits depuis deux ans, la crainte de devoir les renouveler encore, et l'approche de l'hiver, rendaient le cri de guerre général dans le pays (Note de bas de page : Le budget des voies et moyens de l'année 1832 s'élevait à 83,000,000 de fr., non compris les 17,000,000 d'intérêts annuels dus à la Hollande. Le budget des dépenses excédait 160,000,000 de fr., dont 76,000,000 furent absorbés par le département de la guerre. Le déficit fui couvert par un emprunt). Leur impatience n'était pas seulement excitée par leur (page 232) détresse et la crainte de la voir augmenter encore, mais par un désir ardent de venger leur récente défaite ; et ils avaient quelque droit de compter sur le succès, en se voyant une armée bien organisée de plus de 105,000 hommes d'effectif, dont près de 70,000, avec une artillerie formidable, étaient disposés entre l'Escaut et la Meuse (Note de bas de page : L'année belge d'observation était composée des cinq premières divisions avec 104 pièces de canon. L'armée de réserve consistait dans les 6° et 7° divisions, et 32 pièces de canon ; cette dernière surveillant Anvers, la première gardant les Flandres). Le désir général de recourir aux armes fut encore augmenté par la cérémonie qui devait avoir lieu pour l'anniversaire des journées de septembre, époque qui avait été choisie pour distribuer des drapeaux d'honneur aux communes qui s'étaient distinguées pendant la révolution.

Cette imposante cérémonie eut lieu le 27 septembre. Une estrade d'un goût exquis et décorée avec splendeur, surmontée de trophées militaires, était élevée en avant du péristyle de l'église de St.-Jacques-sur-Caudenberg. Au centre, sous un dais de velours écarlate, bordé de franges d'or, était placé le trône royal, sur les côtés duquel on avait disposé des galeries pour la reine et le corps diplomatique ; à droite et à gauche étaient des places réservées aux députations des provinces et (page 233) aux autorités constituées. Au dessous et en avant régnait un hémicycle destiné aux personnes chargées de recevoir les drapeaux, chaque commune étant distinguée par sa devise particulière. Des masses de cavalerie et d'infanterie remplissaient la place royale et les rues adjacentes. Un immense concours de spectateurs occupait les espaces intermédiaires, et couvrait jusqu'aux toits des hôtels environnants. Les rayons d'un brillant soleil de septembre faisaient resplendir les armes des soldats. Le son d'une musique guerrière, les cris de la multitude, et les salves d'artillerie animaient et grandissaient cette scène.

La jeune reine, rayonnante de jeunesse et de grâces, arrivait midi, accompagnée par le duc d'Orléans, précédée d'une garde d'honneur et d'un corps de cent sous-officiers, portant les drapeaux, destinés aux communes. Quand les différents corps furent arrivés, les salves d'artillerie annoncèrent l'approche du roi, qui arriva à cheval au milieu des acclamations les plus vives, entremêlées cependant des cris de « guerre ! guerre aux Hollandais ! » Étant monté sur son trône, le roi rassembla les députations des provinces autour de lui, et, après une allocution pleine de force et de dignité, il délivra à chacune d'elles le drapeau qui lui était destiné, au milieu d'un profond et imposant silence, interrompu de temps en temps par des fanfares et des (page 234) applaudissements de la multitude. La cérémonie étant terminée, le cortège se rendit au palais, et, après une revue générale des troupes, la journée se termina par un banquet, des feux d'artifices et des illuminations. La nation était si portée à la guerre, l'état d'exaltation était si grand dans toutes les classes, que le roi fut supplié par plusieurs personnes qui avaient joué un rôle important dans la révolution, de donner le signal des hostilités, et que les députations des provinces se réunirent, dans le but de signer une adresse au roi, pour le prier de mettre fin à toute négociation. Un placard fut, à cet effet, affiché et distribué dans toute la ville : « Belges (y lisait-on), c'est aujourd'hui l'anniversaire des immortelles journées de septembre, jours où tant de braves périrent pour l'indépendance de leur pays. Vengeons leur mémoire ! Demandons au roi de déclarer la guerre sans attendre plus longtemps les résolutions interminables de la conférence. Guerre à la Hollande ! oui guerre ! Toute la nation la demande ; c'est le seul moyen de sauver notre honneur et de consolider notre indépendance. »

Déterminés à éviter, entre les parties, une collision qui eût amené une complication inextricable des affaires, lord Palmerston et le prince de Talleyrand conclurent, le 22 octobre, une convention qui fut aussitôt communiquée aux trois (page 235) autres cours, de l'adhésion passive desquelles ils étaient déjà assurés. Cette convention stipulait que la France et l'Angleterre procéderaient immédiatement à l'exécution du traité de novembre, que l'évacuation du territoire devait en être le commencement, que les gouvernements belge et hollandais seraient invités à terminer réciproquement cette évacuation pour le 12 novembre, que des mesures coercitives seraient employées contre celui des deux qui n'aurait pas donné son consentement avant le 2, et que dans l'événement d'un refus de la part de la Hollande, ses navires seraient soumis à un embargo, soit dans les ports des puissances respectives, soit en pleine mer, qu'une escadre combinée surveillerait les côtes de la Hollande ; que, le 15 novembre, une armée française entrerait en Belgique pour faire le siège de la citadelle d'Anvers, et qu'après avoir atteint le but de l'expédition, cette armée devrait se retirer sur le territoire français. »

Pour l'exécution de ces mesures, une escadre combinée de bâtiments anglais et français, égaux en nombre, reçut l'ordre de se rendre dans les Dunes, lieu du rendez-vous. La division française fut commandée par l’amiral Villeneuve ; la division anglaise l'était par sir Pulteney Malcolm, sous les ordres duquel l'escadre était placée. L'armée française du Nord fut mise sur le pied de concentration, et la (page 236) direction de l'artillerie reçut l'ordre de préparer un matériel d'artillerie et tout ce qui est nécessaire pour les opérations d'un siège. Ce fut le 30 octobre, que la convention, qui avait été ratifiée le 27, fut présentée au gouvernement belge par les envoyés d'Angleterre et de France. Le 2 novembre, le général Goblet ratifia le consentement de son souverain à l'évacuation de Venloo et des autres portions du territoire destinées à être cédées à la Hollande, à condition que la Belgique put prendre immédiatement possession d'Anvers et de son territoire occupé par les Hollandais. Pareille sommation fut adressée au gouvernement hollandais ; mais elle fut positivement rejetée. Il en résulta que la flotte combinée bloqua les ports de Hollande, que l'armée française fut tenue (page 237) prête à entrer en Belgique, au moment désigné, et que, par un ordre du cabinet, du 6, un embargo fut mis sur les bâtiments hollandais, dans les ports de France et d'Angleterre.

Ces mesures ne purent pas cependant être mises à exécution, sans réveiller de fortes sympathies et produire de graves manifestations de désapprobation de la part du commerce et des négociants anglais. L'embargo fut considéré comme opprimant la Hollande et comme si nuisible au commerce anglais, qu'une assemblée de plusieurs négociants notables et banquiers eut lieu le 13, et vota unanimement une adresse au roi, portant : « Qu'ils voyaient avec la plus grande douleur et les plus grandes inquiétudes l'emploi d'une escadre combinée contre la Hollande ; qu'ils considéraient une guerre avec ce pays comme dangereuse pour la paix de l'Europe, et priaient S. M. d'arrêter toute mesure coercitive, jusqu'à ce que la volonté de la nation à ce sujet ait été manifestée par ses représentants. »

II était évident que les signataires de cette adresse, quoiqu'excusables de stigmatiser ces mesures comme nuisibles à leurs intérêts, étaient mal informés du caractère des négociations, en ce qui regardait les puissances contractantes, de même que de la situation des affaires au dehors. Car, tandis qu'ils dénonçaient les mesures coercitives comme un commencement de guerre générale, (page 238) il était évident que ces hostilités ou plutôt ces démonstrations d'hostilités étaient destinées à éviter et probablement évitèrent cette même conflagration, qu'ils condamnaient si justement. Le risque d'envoyer des vaisseaux de guerre sur les côtes si dangereuses de la Hollande à cette saison avancée de l'année, ses inconvénients pour le commerce, et la difficulté d'établir un blocus effectif étaient généralement admis. Mais, quoiqu'il y eût des inconvénients et qu'il y eût des risques à courir, il était nécessaire de prendre cette mesure pour convaincre la Hollande de l'inflexible détermination des puissances, et pour prouver au reste de l'Europe l'unanimité qui régnait entre elles. Cette mesure était de la plus grande importance, non seulement pour consolider le crédit et la confiance, mais pour affermir la tranquillité générale.

L'embargo fut ordonné, six jours avant la période prescrite pour l'évacuation du territoire, dans l'espoir que le cabinet hollandais, voyant que la résolution de la France et de l'Angleterre était sérieuse, et reconnaissant l'acquiescement passif des autres puissances, céderait aux sommations du 30, et rendrait inutile le déploiement d'autres forces. Les principes qui dirigeaient ce cabinet n'étaient pas secrets. Ils avaient été exposés d'une manière franche par le ministre des affaires étrangères de la puissance qui, parmi toutes les autres, (page 239) était la plus amie de la Hollande, dans un mémoire dont nous extrayons ce qui suit, et qui est d'autant plus digne d'attention, qu'il prouve que la cour de St.-Pétersbourg même désapprouvait la conduite du roi Guillaume : « Il nous paraît prouvé jusqu'à la dernière évidence (disait le comte de Nesselrode), que le gouvernement néerlandais, loin de négocier pour établir une simple séparation administrative, s'est constamment montré disposé à sacrifier ses droits sur la Belgique, et à établir une séparation politique, qu'il a seulement voulu subordonner sa reconnaissance de l'indépendance de ce pays et de son nouveau souverain à des conditions équitables, et que si le cabinet de La Haye veut faire prévaloir des principes contraires, cette conduite est en opposition manifeste avec les faits aussi bien qu'avec la lettre et l'esprit de sa déclaration à la conférence de Londres, et aux états-généraux de La Haye » (« Paragraphe terminant le mémoire du comte de Nesselrode à l'empereur Nicolas, contenant une analyse des négociations du 4 novembre 1830 jusqu'en novembre 1832. » Documents relatifs à la Belgique déposés au parlement.)

Il était difficile de comprendre la politique du roi et le but auquel il voulait atteindre, surtout quand il se trouva seul pour résister aux grandes puissances. Quoique chevaleresque, quoique jusqu'à un certain point d'accord avec le patriotisme (page 240) et la fermeté historique du caractère hollandais, ce rejet hautain des dernières ouvertures de la conférence est inexplicable. Il était impossible que sa résistance pût amener pour lui quelque avantage moral et matériel, tandis que des concessions, dans des circonstances où il aurait paru céder à l'action de la force, étaient de nature à laisser ses principes et ses droits dans toute leur intégrité, et l'honneur national sans tâche.

Mais il devait en être autrement. L'enthousiasme du peuple hollandais répondait à l'énergie du gouvernement. Dans les palais comme dans les chaumières, toute la population était animée d'une ferme résolution de suivre l'exemple de Van Speyk, plutôt que de se soumettre. Les réserves furent appelées, et se rendirent à leur poste avec empressement. Les corps de volontaires s'empressaient de rejoindre l'armée active. Des dispositions furent faites pour une levée en masse. Les états-généraux furent unanimes pour applaudir à la conduite du gouvernement. Non seulement la question de l'évacuation territoriale fut résolue négativement dans un conseil de cabinet, tenu à La Haye le 1er ; mais plus d'un membre proposa de regarder la menace d'embargo comme une déclaration de guerre, et que l'armée active reçût à l'instant l'ordre d'attaquer la Belgique, avant que les Français ne pussent arriver à son secours. Quoique cette dangereuse suggestion fût (page 241) repoussée, un décret, du 17, ordonna que « tous les bâtiments français et anglais recevraient l'ordre de quitter les ports hollandais, et que le pavillon de ces deux nations ne serait plus admis dans les eaux de la Hollande, tant que l'embargo ne serait pas levé en France et en Angleterre. »

Des ordres furent envoyés au général Chassé, de compléter ses préparatifs de défense, et, dans le cas où il serait attaqué, de résister jusqu'à la dernière extrémité. En vue de soutenir le courage de la garnison, on lui donna l'espoir qu'une diversion serait faite en sa faveur par l'armée active, aidée par un corps prussien dont on annonçait la concentration dans les provinces rhénanes.

Ce corps, qui n'était que de 22,000 hommes, commandé par le général Muffling, s'assembla, en vertu du 46e protocole de la dicte germanique, qui dénonçait les mesures coercitives comme « une guerre entre la Hollande et les deux puissances tendant à compromettre la paix de l'Europe, et exigeant des mesures de précaution. » Des explications ayant été demandées à ce sujet par la France et l'Angleterre, la cour de Berlin renouvela ses assurances de neutralité et déclara que les mouvements militaires dans les provinces rhénanes, étaient purement démonstratifs et avaient pour but plutôt la tranquillité intérieure que la sécurité de l'extérieur. Cette résolution lut notifiée au cabinet de La Haye, et rendit la défense (page 242) obstinée de la citadelle et le sacrifice inutile de tant de braves soldats encore plus inexplicable ; car, ici encore, le but politique et moral eût été également atteint, si Chassé se fût rendu à l'instant même où les batteries françaises avaient ouvert leurs feux. Tandis que, quoique la France eût pu épargner quelques milliers de projectiles, et la perte de quelques soldats, elle eût eu à supporter presque tous les inconvénients et les dépenses de l'expédition, sans obtenir pour sa jeune armée cette moisson d'honneurs qui était le principal but de Louis-Philippe et de son gouvernement.

Quoique le cabinet hollandais eût défié les puissances, il profita de la divergence d'opinions manifestée dans le 70e protocole pour tâcher de renouer les négociations par l'intermédiaire de la Prusse. De concert avec cette puissance, il présenta un nouveau projet de traité qui fut envoyé à la conférence, le 9. Cependant, indépendamment de la nature inadmissible des modifications proposées, le travail des plénipotentiaires réunis semblait terminé, par leur protocole du 1er octobre ; et il fut en conséquence déclaré, au moins par la France et l'Angleterre, que le temps des négociations était passé et que la soumission à la sommation du 30 devait être le sine qua non de tout rapprochement ultérieur. Trompés dans leur attente, les plénipotentiaires hollandais (page 243) s'adressèrent semi-officiellement à lord Palmerston et ensuite à lord Grey. Mais ces démarches furent regardées comme une dérogation aux formes jusqu'alors observées par les négociateurs, et comme un prétexte pour amener de nouveaux délais. Les ouvertures de MM. Falck et Van Zuylen furent rejetées, et les mesures coercitives furent continuées.

Un arrangement particulier entre les gouvernements anglais et français avait décidé l'emploi d'une escadre combinée. Une convention formelle entre la France et la Belgique, signée à Bruxelles, le 10 novembre, réglait l'emploi de l'armée française. Les principales stipulations de cette convention étaient que les forces auxiliaires « ne pourraient tenir garnison dans aucune des forteresses belges, que 6,000 hommes des troupes belges occuperaient Anvers, mais conserveraient la plus stricte neutralité ; que le corps principal de l'armée nationale se concentrerait sur la droite de l'armée française, et s'abstiendrait de toute agression contre les Hollandais ; que la citadelle et les forts seraient remis aux Belges, aussitôt qu'ils auraient été évacués par les Hollandais, et que, sous aucun prétexte, ces opérations ne pourraient être considérées comme une agression contre le territoire hollandais. » II fut fait des tentatives pour imposer à la Belgique les dépenses extraordinaires de cette expédition. (page 244) Mais son gouvernement ayant protesté, la France ne persista pas dans cette réclamation.

Par une de ces inconséquences qui ont si fréquemment caractérisé les travaux de la législature belge pendant ces événements, ces mesures coercitives, entreprises à de très grands risques et à grands frais, pour le seul avantage de la Belgique, furent hautement désapprouvées par un grand nombre de représentants. Aussi longtemps que l'Angleterre et la France hésitèrent à intervenir, les chambres les accusèrent de mauvaise foi et de mépris des traités, et lorsque l'intervention eut lieu, ils exprimèrent leur désapprobation avec non moins de chaleur. En mai, une forte majorité avait demandé l'évacuation territoriale comme sine qua non. En novembre, elle stigmatisait l'expédition comme injurieuse pour le pays. Naguère le statu quo était déclaré insupportable ; plus tard, elle aurait voulu que toute demeurât sur le pied où il était, et, profitant des dispositions amicales des deux puissances, elle montra des prétentions aussi inadmissibles qu'elles étaient exagérées. Enfin le ministère, sous les auspices duquel les mesures coercitives avaient été prises, ne l'emporta, le 27 novembre, qu'à une majorité de 44 voix contre 42 (Note de bas de page : M. Lebeau et ses collègues donnèrent immédiatement leur démission. Mais une nouvelle administration n'ayant pu su former, ils rentrèrent en fonctions, le 16 décembre).

(page 245) Un débat animé, à ce sujet, eut lieu lors du vote de l'adresse à l'ouverture de la session. On avançait que les avantages qui pourraient résulter de l'évacuation de la citadelle seraient contrebalancés par la cession de Venloo et des portions désignées du Limbourg et du Luxembourg, dont les populations et les ressources formaient presque un douzième de celles de tout le royaume, que, quoique les Hollandais pussent être expulsés de la citadelle d'Anvers, aucune garantie n'était donnée pour l'ouverture de l'Escaut, de la Meuse, et des eaux intérieures, ni pour l'accomplissement des autres clauses du traité plus nécessaires à la Belgique que la possession d'une forteresse dont le siège entraînerait probablement la destruction de la ville d'Anvers. On déclarait par dessus tout qu'il était dégradant pour l'honneur national qu'une population de plus de 4 millions d'habitants fût obligée de demander l'assistance (page 246) étrangère, pour maintenir ses droits contre une nation qui n'était que la moitié de ce nombre ; et cela en possédant une armée bien organisée, égale en discipline et supérieure en nombre à celle de leurs adversaires. Un ordre du jour annonça aux troupes leur neutralité ; et, quoique l'armée s'y soumît généralement, avec calme et sagesse, quelques officiers supérieurs exprimèrent ouvertement leur mécontentement et leur jalousie. Avec une confiance outrée dans leurs forces et un mépris complet pour les difficultés de l'opération, ils déclaraient que les forces nationales étaient plus que suffisantes pour faire le siège et protéger la frontière contre toute agression (Note de bas de page : La population de la Belgique, y compris tout le Limbourg et le Luxembourg, excepté les deux forteresses, était, au 1er janvier 1832, de 4,122,000 habitants. Celle de la Hollande de 2,410,000. En supposant que le traité de novembre reçoive son plein accomplissement, la population de la Hollande sera de 2,738,000 ; celle de la Belgique sera réduite à 3,882,000. L'augmentation de la population, selon le savant professeur Quetelet, est dans la proportion de 124 sur 10,000 annuellement, ou environ 1 et 1/2 sur cent). Ces clameurs ne furent pas écoutées par le gouvernement, et les différents corps prirent immédiatement les positions qui leur étaient assignées : la gauche à Turnhout, le centre à Diest et Hasselt, et la droite surveillant Maestricht et la Meuse. (page 247) Le grand quartier-général fut placé à Anvers, et la réserve à Tervueren.

Tandis que cette partie importante du drame politique arrivait à sa conclusion, la délivrance de M. Thorn, gouverneur de la province du Luxembourg, dont l'arrestation avait donné matière aux 61e, 62e et 68e protocoles, s'effectua au moyen d'un acte de vigueur de la part d'un fonctionnaire belge (M. d'Huart, aujourd'hui ministre des finances). Quoique l'arrestation de M. Thorn eût été déclarée parl a conférence, un acte arbitraire et violent, désavoué par le gouvernement grand-ducal et désapprouvé par la confédération germanique, et quoique les remontrances les plus vives eussent été faites sur ce sujet, le cabinet hollandais n'écouta aucune sollicitation ; il donnait pour prétexte que la détention de Thorn était une représaille de celle de certains individus qui avaient été arrêtés par les autorités belges, pour avoir tenté un mouvement contre-révolutionnaire dans le grand-duché.

La détention de ces individus donna lieu à un grand nombre de discussions subtiles de la part des Hollandais, et fut désapprouvée par un grand nombre de Belges sensés, comme illégale et impolitique. Les Hollandais soutenaient que, selon le traité dont la Belgique demandait l'exécution, les captifs étaient des sujets hollandais, et non des (page 248) Belges, d'autant plus que l'offense alléguée avait été commise sur la portion du territoire abandonné par la Belgique, et qui n'attendait que la ratification du roi grand-duc pour faire partie de la Hollande.

En outre, quoiqu'ils ne pussent pas être considérés, bona fide, comme sujets hollandais, aussi longtemps que ce traité ne serait pas accompli, la position du Luxembourg était exclusive et exceptionnelle ; et ses habitants devaient, pendant ce temps intermédiaire, être considérés comme appartenant à une province neutre, sous la protection de la diète, et, en conséquence, non soumis à la loi commune de la Belgique. D'un autre côté, on objectait que le traité n'ayant pas été ratifié, ni aucune des stipulations remplies, le Luxembourg ne pouvait être placé sur un pied judiciaire différent du reste des provinces belges ; et qu'en conséquence les prisonniers devaient être considérés comme sujets belges, et soumis aux peines attachées à la trahison et aux attaques tendant au renversement du gouvernement existant. Ainsi les Hollandais et la confédération argumentant du principe de jure, s'appuyant en partie sur des traités antérieurs, et, en partie, sur des traités qu'ils répudiaient, faisaient de la mise en liberté de ces personnes, les conditions sine qua non de celle de M. Thorn ; tandis que les Belges, fondant leurs arguments sur la possession de facto, étaient (page 249) également déterminés à renvoyer les prisonniers devant le jury. Quoique le gouvernement belge fût fortement conseillé de délivrer les prisonniers et de terminer ainsi une discussion impolitique, qui tendait à compliquer la question générale, il persista dans ses intentions, et les parties, ayant été renvoyées aux assises de Namur, furent acquittées. Mais comme ces individus avaient été soumis aux formes et aux risques d'un jugement, et comme un jugement par défaut avait été rendu contre ceux des confédérés qu'on n'avait pu arrêter, le gouvernement hollandais déclara que M. Thorn serait traité de la même manière.

En conséquence, la seule chance d'obtenir le relâchement de ce dernier qui était en prison depuis le 17 avril, était pour les Belges d'exécuter quelque acte vigoureux de contre-représailles. Le hasard mit bientôt dans leurs mains un otage convenable dans la personne de M. Pescatore, président de la commission du grand-duché de Luxembourg.

La nouvelle ayant été reçue que ce fonctionnaire, en revenant de la forteresse de Trèves, devait passer sur le territoire belge, on se mit en embuscade, et il fut saisi, le 19 octobre, et conduit à Namur, où il fut détenu jusqu'à ce qu'un protocole de la diète, du 8 novembre, mit fin à la discussion, en demandant l'échange des deux captifs, à condition que toutes les poursuites seraient (page 250) arrêtées. Ces propositions furent acceptées des deux côtés ; et ainsi se termina, le 23 novembre, une affaire qui avait servi, pendant plusieurs mois, à envenimer les haines nationales et à augmenter les embarras des puissances médiatrices.

Tel était l'état de la question, à l'époque où la conférence termina ses travaux collectifs, et abandonna à la force des armes le commencement d'une solution qui avait défié les subtilités de la plume.

Le terme accordé aux Hollandais pour l'évacuation du territoire étant expiré, l'armée française, consistant en 51 bataillons, 56 escadrons, et 66 pièces d'artillerie, entra en Belgique le 15 ; et le 19, l'avant-garde, commandée par les ducs d'Orléans et de Nemours, était déjà arrivée dans les environs d'Anvers. Cette force fut dans la suite augmentée de 13 bataillons de réserve, et de 12 pièces de canon, formant en tout un effectif de 30,000 hommes d'infanterie destinés aux travaux de tranchée ; indépendamment de 2 divisions d'observation campées sur les deux rives de l'Escaut. Les batteries de siège, les instruments pour la tranchée et les magasins, pesant environ deux millions de kilogrammes, furent embarqués de l'arsenal de Douai sur 14 bateaux (Journal du siège d'Anvers, par le général Neigre), descendirent la Scarpe et l'Escaut, et furent transportés (page 251) jusqu'à Boom, au confluent du Ruppel, où ils arrivèrent, le 27 et le 28, en assez grande quantité pour permettre aux généraux Neigre et Haxo, directeurs en chef de l'artillerie et du génie, de se déclarer prêts à commencer les opérations (Note de bas de page : Ce train d'artillerie de 86 pièces, fut augmenté de 38 pièces de canon, 10 mortiers de 8 pouces, 10 mortiers à la Cohorn, lesquels avec 6 pièces de 24 en fer, dans le fort de Montebello, et le mortier-monstre, formaient un total de 160 pièces).

Conformément au système adopté par le gouvernement anglais à l'égard de ses alliés, dans toutes les occasions antérieures, ce gouvernement envoya un agent militaire et diplomatique au quartier-général français. Le lieutenant-colonel Caradoc, qui s'était distingué dans une mission semblable à Navarin, fut choisi pour ce service, et justifia le choix qu'on avait fait de lui par le zèle et l'habileté avec lesquels il remplit ses fonctions.

Une immense provision de gabions, de fascines et d'autres objets de siège ayant été préparée par les corps du génie belge et du génie français (On pourra se former une idée de la surabondance de ces provisions, si l'on considère que ce qui restait après le siège fut repris par le gouvernement belge, au prix de 44,000 francs, dont une partie fut revendue et le reste employé à restaurer les digues près de Burcht), les (page 252) divers arrangements militaires étant terminés et les difficultés diplomatiques et locales concernant l'attaque étant surmontées, le maréchal Gérard porta son quartier-général à Berchem, le 29, et ordonna l'ouverture de la tranchée, le même soir. Quoique le point le plus faible de la citadelle fût celui qui fait face à l'esplanade, il fut décidé que, pour ne pas donner au général Chassé un prétexte pour bombarder la ville, on l'attaquerait seulement du côté du midi. En outre, pour prévenir toute collision possible entre les Hollandais et les Belges, ces derniers furent retirés des postes avoisinant la forteresse, et remplacés par 500 hommes de l'armée française. Une convention réglant la manière de relever chaque jour les postes, et le passage des détachements par la porte de Malines, de même que l'occupation du fort Montebello par l'artillerie française, fut conclue entre le général Buzen. Gouverneur belge, et le maréchal Gérard. L'occupation de cet ouvrage avancé, qu'il était difficile de ne pas considérer comme appartenant au corps de la place, donna lieu à de vives et de justes remontrances de la part du général Chassé, « qui dénonça cet acte comme une infraction à la neutralité, et menaça la ville de représailles, s'il n'était pas abandonné ». (United service Journal, n°52, mars 1833).

(page 253) Mais ces menaces n'eurent pas d'influence sur les assiégeants, convaincus que le général hollandais se soumettrait à cette infraction, plutôt que de nuire à la ville, ce qui aurait attiré sur lui, à l'instant même, le feu foudroyant de 70 mortiers de plus, et d'une grande quantité de pièces de gros calibre, et aurait exposé la garnison à d'effroyables représailles et son gouvernement à une grande responsabilité morale et pécuniaire. Aussi le général Chassé, dans son rapport officiel du 10 décembre, avoua-t-il avec candeur, qu'il était heureux d'assurer la neutralité de la ville. « Car (dit-il), dans le cas contraire, la flottille et la Tête de Flandre eussent été rapidement détruites par le feu supérieur de l'artillerie ennemie. »

Vu l'état défavorable de la saison et les autres difficultés locales, les troupes destinées aux travaux de la première nuit, consistant en dix-huit bataillons, 900 hommes d'artillerie et 500 sapeurs-mineurs, commandées par le duc d'Orléans en personne, ne purent commencer les travaux que le 30 vers les deux heures du matin. Néanmoins la première parallèle, s'étendant du fort Montebello sur la droite, vers la route de Kiel, sur la gauche à une distance de 1,800 mètres, avec des épaulements pour neuf batteries de canons et quatre de mortiers, était déjà fort avancée au point du jour, de manière à mettre à l'abri les travailleurs, qui purent exécuter tous ces travaux, (page 254) sans avoir été inquiétés par la garnison. Mais la sommation adressée par le général Gérard au général Chassé, à la pointe du jour, ayant été péremptoirement rejetée, l'artillerie hollandaise ouvrit son feu à midi, et le maintint jusqu'à la fin du siège, avec un degré de précision et une fermeté qui firent le plus grand honneur aux officiers et aux soldats de cette arme.

Ayant décrit les moyens offensifs et les dispositions des assaillants, il est nécessaire de tracer rapidement un tableau des moyens défensifs des assiégés. Dès le matin du 30 novembre, la citadelle, y compris les lunettes Saint-Laurent et de Kiel, était défendue par environ 4,500 hommes abondamment pourvus de munitions et de provisions, et ayant une artillerie de 134 bouches à feu de différents calibres (Note de bas de page : A l'expiration du siège, il demeurait 50,000 livres de poudre, 12,000 bombes, 11,500 boulets, 100,000 cartouches, 5,237 fusils cl 114 pièces d'artillerie en état. L'étendue totale des tranchées, batteries, etc., construites par les assiégeants était de 14,000 mètres). La Tête de Flandre, les forts de Burcht, Zwyndrecht et Austruweel étaient défendus par environ 500 hommes et 27 bouches à feu, tandis que 11 canonnières et 2 bateaux à vapeur, montés par près de 400 matelots et soldats de marine, stationnaient dans l'Escaut. La totalité des polders contenus dans l'angle formé (page 255) par l'Escaut, au dessus du village de Burcht, à la Pipe de Tabac, au dessous d'Anvers, était inondée par suite de brèches faites aux digues, et mettait ainsi la citadelle, les forts et la flottille à l'abri de toute attaque par la rive gauche. Les infirmités du général Chassé privaient, il est vrai, ses troupes de l'active surveillance de leur commandant. Mais il était habilement secondé par le général Fanvage, par le colonel Gumoens, et par le lieutenant-colonel Selig, commandant l'artillerie, aux efforts duquel, ainsi qu'à ceux de ses braves canonniers, on doit principalement attribuer cette longue et honorable résistance. Ces ressources étaient immenses. Mais, d'un autre côté, les casemates, à l'abri de la bombe, étaient mal aérées et tout à fait insuffisantes pour abriter une garnison double de celle que prescrivent les règles de défense, et qui se trouvait, par conséquent, entassée dans d'étroits passages, et sous des poternes humides et malsaines où elle eut beaucoup à souffrir par l'inaction et le manque d'espace. Les baraques, l'hôpital et autres bâtiments blindés étaient hors d'état de résister et devaient bientôt céder à cette masse de feu qui tombait constamment sur elle. Les souffrances de la garnison furent grandes. Mais ce qui contribua le plus à incommoder les troupes fut la privation d'eau potable ; car les puits et les réservoirs étant pour la plupart hors de service, ceux (page 256) qui restaient n'en fournissaient qu'une faible quantité malsaine et saumâtre.

Pour en revenir à l'attaque, les difficultés que rencontraient les assiégeants par la nature marécageuse du sol, surtout sur la gauche, retardaient considérablement la construction ou plutôt l'armement des batteries. Mais ces obstacles ayant été surmontés, 20 mortiers, 28 obusiers de huit pouces, avec 30 pièces de vingt-quatre et de seize, ouvrirent un feu convergent sur la citadelle, à onze heures du matin, le 4. Ces puissantes batteries furent dans la suite augmentées de 28 mortiers, 6 pierriers, 16 cohorn, et le mortier-monstre de vingt-quatre pouces, formant un total de 138 bouches à feu tirant simultanément (Note de bas de page : Un ordre du jour du 4, ordonna que le feu cesserait pendant la nuit, excepté celui des obusiers. Le feu des canons était limité à 60 coups par jour, celui des obusiers à 40 et celui des mortiers à 30, formant chaque jour un nombre de 2,600 coups de canon, 800 charges d'obusiers et 1,200 de mortiers, lançant un total de 88,760 projectiles pour 19 jours. Mais d'après les tables publiées dans la narration du lieutenant-général Neigre, le total général de la consommation des munitions n'allait pas au-delà de 64,572. Le nombre par jour n'était donc que de 3,400 ou de près d'un quart en moins de ce que prescrivait l'ordre du jour en question. La consommation totale de la poudre fut de 136,679 kilogrammes. On trouve dans le « United service Journal », n" 54, une description détaillée du mortier-monstre dont la bombe pesait mille livres).

Tandis que ces événements se passaient devant la citadelle, la flottille hollandaise, composée d'une frégate, de 2 corvettes, de 2 bateaux à vapeur armés en guerre, d'un bateau à bombes et de 20 canonnières, tentait de se frayer un chemin (page 257) par les forts de la Perle et de Sainte-Marie. Mais, après une vive escarmouche, dans laquelle l'amiral hollandais fut tué, elle fut repoussée par la division qui couvrait la rive gauche. A l'exception d'une dernière tentative également infructueuse pour débusquer un corps de troupes destiné à couper la digue et à inonder les polders, près du Doel, aucun effort ne fut fait pour interrompre le siège. Aussi, quand on connaît la neutralité de la Prusse, et la grande supériorité des armées française et belge, on conçoit qu'il eût été téméraire de la part du prince d'Orange de tenter une attaque. Une force disponible de 11,000 hommes de cavalerie, 90,000 hommes d'infanterie, et près de 200 pièces de canon, formait une armée trop puissante pour offrir quelques chances de succès à une armée qui n'était guère que de la moitié de ce nombre.

Le projet général étant de concentrer l'attaque sur le bastion de Tolède, sur la face gauche duquel on voulait ouvrir la brèche, il fut nécessaire de faire taire le feu du ravelin sur sa droite, (page 258) et de s'emparer de la lunette Saint-Laurent. Cette dernière opération ne put s'effectuer que dans la nuit du 13, après quinze jours de tranchée ouverte. Cet ouvrage insignifiant pouvait sans aucun doute être emporté à une époque moins avancée ; mais, dans les circonstances existantes, un coup de main eût été un sacrifice inutile de soldats, et eût privé le génie français de l'occasion de pratiquer les travaux plus efficaces et moins sanglants de la descente et du passage du fossé. Cette opération, rarement mise en usage dans les sièges modernes, fut habilement exécutée, et donna à l'attaque de la lunette Saint-Laurent une plus grande célébrité qu'elle n'en eût mérité autrement (Note de bas de page : La garnison de ce fort n'était que de 120 hommes, dont la moitié se sauva, lorsque la mine sauta, et le reste mit bas les armes. Une longue pièce de 12, un obusier de 6 pouces et 2 ou 3 mortiers formaient son artillerie). La prise de cet ouvrage avancé, ayant détruit un des principaux obstacles aux progrès des approches, l'attaque fut continuée avec un redoublement de vigueur. Les glacis ayant été couronnés, et les batteries et contre-batteries de brèche, chacune de 6 pièces de 24, ayant été armées dans la nuit du 20, leurs embrasures furent démasquées à la pointe du jour, et leur feu fut maintenu avec une telle vigueur, le jour suivant, que bientôt une brèche praticable et facile fut formée. Les mineurs (page 259) ayant simultanément pratiqué deux descentes à ciel ouvert jusqu'au niveau de l'eau, la contrescarpe du bastion de Tolède étant percée, et les matériaux pour le passage du fossé étant prépa- parés, les batteries rouvrirent leur feu, le 23, à la pointe du jour. A huit heures du matin, un parlementaire, porteur de l'offre de se rendre, se présenta aux avant-postes, et fut conduit au quartier-général à Berchem, où une capitulation ad referendum fut rédigée, et à dix heures du matin, les hostilités cessèrent des deux côtés, après vingt-quatre nuits de tranchée ouverte, dix-neuf jours de feu de la part des assiégeants et vingt- quatre jours d'un feu continuel de la part des assiégés. Le 24, la garnison hollandaise sortit avec les honneurs de la guerre, et ayant déposé les armes aux pieds des glacis, rentra dans la citadelle, pour attendre la décision du cabinet hollandais sur la capitulation (Note de bas de page : Le nombre des prisonniers qui se rendirent par, la capitulation était de 3,936 hommes, y compris 129 officiers, dans la citadelle ; 467 id. dans les forts ; 550 malades et blessés, 382 marins et soldats de marine, formant un total de 5,335. La perte de la garnison, en blesses, tués et prisonniers, fut de 561. Celle des assiégeants, y compris 109 hommes de la division de la me gauche, fut de 851). Mais d'un autre côté, ayant refusé d'évacuer Lillo et Liefkenshoek, au lieu de permettre aux troupes hollandaises de retourner sur parole en Hollande, on se (page 260) détermina à les envoyer en France, comme prisonnières de guerre ; ce qui eut lieu, le 29 et le 31. Le 1er janvier, la citadelle, qui avait été remise à l'armée française, fut rendue aux Belges.

Ainsi se termina une entreprise sans pareille dans les fastes militaires et diplomatiques des nations, et qui réunit tous les attributs menaçants de la guerre, sans causer la plus légère interruption de la paix, entreprise où, d'un côté, une garnison de braves fut sacrifiée par son roi au maintien inutile d'un principe politique, et sans espérances d'avantages pour le pays, et de désavantages pour ses adversaires ; où, d'un autre côté, ce triomphe fut si pacifique que les vainqueurs regardaient en souriant les récompenses qui leur furent prodiguées, pour un service si au-dessous de leur valeur et de leurs immenses ressources. Ce succès fut sagement obtenu, et bien différent dans son but des faits rapides, hasardeux et brillants, qui immortalisèrent les armées de la république et de l'empire. Il était encore plus étrange de voir le nord de l'Europe contraint par la force des événements, étouffant ses jalousies et ses sympathies, abandonner le châtiment de ses plus proches et plus chers alliés à ceux qui ne leur inspiraient ni confiance, ni amitié, à ceux dont le canon n'avait jamais auparavant résonné sur la frontière belge, sans éveiller les échos de la guerre, des bords de la Meuse et du Rhin, jusqu'aux rives du (page 261) Danube et de la Neva. Il semblait que les puissances de l'Europe et la Hollande elle-même conspiraient pour augmenter la popularité de la dynastie française, en offrant à Louis-Philippe une occasion d'exercer ses jeunes soldats et de les décorer du signe de l'honneur, et à ses vaillants fils une occasion de faire leurs premières armes (Note de bas de page : Parmi les récompenses données aux troupes françaises, on compte 392 croix de l'ordre Léopold, ordre qui avait été fondé par le gouvernement belge le 11 septembre 1832. La première personne, à laquelle cette décoration fut donnée par le roi des Belges en personne, dans la tranchée, fut un soldat des sapeurs-mineurs qui venait d'être dangereusement blessé. Une plus noble occasion ne pouvait s'offrir à un plus noble guerrier).

La scène qui se passa sur les rives de l'Escaut en décembre 1832, peut être assimilée à ces pompes sanglantes dont ou ne trouve des exemples que sur les bords du Tibre, où les jeux de la guerre étaient représentés sur un théâtre d'une effrayante grandeur, et où les corps sanglants des captifs gaulois étaient immolés sans pitié pour assouvir la soif de plaisirs de Rome demi-barbare (Cette comparaison est justifiée par ce fait que le toit du théâtre d'Anvers était couvert de spectateurs, qui de là pouvaient être témoins des opérations du siège. Les étrangers étaient invités à ce nouveau spectacle, au moyen de l'avis suivant : « Le public est informé qu'on peut se procurer des places au théâtre des variétés pour voir le siège. ») (page 262) Ici la citadelle était l'arène, les Hollandais et les Français, les gladiateurs, les peuples de l'Europe civilisée, les spectateurs. La lutte fut peut-être plus sanglante ; mais le sacrifice ne fut pas moins inutile.