(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr.)
Plusieurs émissaires arrivent au quartier-général du prince Frédéric. - Le prince est induit en erreur par leurs rapports. - Il envoie à La Haye un courrier qui lui rapporte des instructions pour faire une proclamation ; il s'avance sur la ville. -Plan de l'attaque. - Le commandement des troupes est donné nominalement au lieutenant-général Trip. - Présence impolitique du prince Frédéric à l’armée. - Enthousiasme du peuple en apprenant la marche des troupes. - Revue des citoyens armés. - D'Hoogvorst donne sa démission et est remplacé par le comte Vandermere et ensuite par Van Halen. - L'année hollandaise approche de la ville. - On parle de capituler ; mais les chefs des volontaires se montrent déterminés à défendre la ville jusqu'à la dernière extrémité. - Attaque et défaite des troupes. - Évaluation de la perte des deux côtés
(page 43) Tandis que ces événements se passaient à Bruxelles et que le peuple se préparait activement à la défense la plus opiniâtre, des émissaires continuaient à arriver au quartier-général du prince Frédéric, apportant des assurances de la disposition pacifique (page 44) de tous les citoyens respectables et se déclarant autorisés à assurer que les troupes royales n'avaient qu'à se présenter devant la ville pour être accueillies par des acclamations. Ils affirmaient que l'état d'anarchie et de désordre parmi les chefs de la révolte était tel que les barricades et les volontaires disparaîtraient devant la plus légère démonstration de force, et que la garde bourgeoise, dans son désir du rétablissement de la tranquillité, ferait une diversion en faveur du gouvernement, de sorte que les rebelles, pris entre deux feux, n'auraient d'autre alternative que de fuir ou de se rendre à discrétion. Ces assurances furent portées si loin qu'il fut recommandé de laisser libres les routes de Halle, Anderlecht et Ninove, pour laisser aux volontaires et aux paysans trompés, le moyen d'échapper, et pour éviter toute collision entre eux et les détachements des troupes royales.
Les noms les plus respectables étaient cités et ajoutés à ceux des signataires des lettres et des adresses que le prince recevait. En outre, dans plusieurs cas, le rang et la position sociale des émissaires étaient de nature à donner le plus grand poids à leurs assertions. Quand ces personnages, dont plus d'un remplissait des fonctions à la cour, furent dans la suite accusés d'avoir abusé (on pourrait même dire trahi) le prince, ils tentèrent de se disculper en déclarant que (page 45) le prince Frédéric avait tout perdu par ses mesures dilatoires et son hésitation, que s'il avait l'intention de faire acte de force il devait le faire avant que la ville fût pleine d'étrangers, et avant que la commission et la garde bourgeoise eussent perdu toute influence, qu'ils n'avaient jamais pu supposer que les généraux hollandais permettraient que des renforts de canons, d'armes et de munitions entrassent en ville, que de plus ils n'avaient jamais cherché à faire croire qu'eux ou d'autres citoyens compromettraient leur vie et leur fortune en épousant ouvertement la cause royale. Tout ce qu'ils pouvaient faire pour le trône était de protester de leur loyauté et de leur désir de voir le rétablissement de l'autorité légitime. Les seules assurances qu'ils s'étaient proposé d'offrir étaient celles d'une coopération immédiate, autant que les étrangers et les volontaires seraient repoussés et l'ordre rétabli dans la ville, c'est-à-dire qu'ils étaient prêts à recueillir tous les bénéfices sans courir aucun risque, et que lorsque tout le péril serait passé, ils seraient les premiers à aider l'autorité en tombant sur ceux qu'ils n'avaient pas eu le courage d'appuyer, pas plus que celui de les combattre.
Mais malheureusement ce ne fut pas la seule circonstance où les mêmes personnages décelèrent une absence de dévouement et d'énergie des plus fatales à la cause de la maison de Nassau. Ce (page 46) n'était là qu'un prélude à cette série de déceptions, à ce manque absolu de prudence et d'énergie qui marqua toute leur conduite jusque dans ces derniers temps. Peu de mots suffisent pour peindre les hommes de ce parti. Prodigues jusqu'à l'excès, de promesses et d'intrigues, ils furent avares de leur bourse et de leur personne ; se trompant eux-mêmes sur leur influence, ils trompèrent les autres sur l'étendue des ressources dont ils pouvaient disposer. Sans attachement réel pour la terre de leurs ancêtres, et traitant leur patrie en véritables spéculateurs, ils dénièrent tout patriotisme au reste de ses habitants. Prenant le faible écho de leur propre voix pour la voix du peuple, ils parlèrent haut quand le silence et le secret étaient nécessaires, et se turent lorsque la cause royale avait le plus besoin de leur vote et de leur éloquence. Ils reculèrent quand il fallait marcher en avant, et avancèrent, ou plutôt crièrent aux autres d'avancer lorsque le mouvement menait à la mort. Hardis au conseil, mais timides à l'action, ils se montrèrent quand ils pouvaient s'absenter sans nuire à leur cause, et ne parurent jamais lorsque leur présence fut le plus nécessaire.
Il n'y avait pas deux hommes dans le parti qui eussent voulu risquer un cheveu de leur tête ou une obole de leur fortune à la défense d'une cause pour laquelle ils professaient un dévouement (page 47) absolu. Et, cependant, tels furent les hommes sur lesquels le roi des Pays-Bas, le prince d'Orange, et pendant quelque temps le gouvernement anglais lui-même, crurent pouvoir compter pour faire rendre la couronne à la famille des Nassau.
Cédant trop facilement à ces sollicitations réitérées, et se confiant trop dans des assurances de coopération si légèrement données par des émissaires venant de Bruxelles, le prince Frédéric envoya le 19 un courrier à La Haye. Comme les rapports envoyés par S. A. R. coïncidaient avec les représentations de plusieurs membres des états-généraux de la première chambre surtout, qui suppliaient le roi de faire, sans perdre de temps, une démonstration militaire de nature à donner aux habitants de Bruxelles l'occasion de se prononcer en faveur de la cause royale, on assembla un conseil aussitôt après la réception de ces dépêches, et quoique les préparatifs militaires ne fussent pas considérés comme entièrement complets, et que l'intention du gouvernement fût de n'effectuer aucun changement immédiat dans la position des troupes avancées, une proclamation fut à l'instant rédigée et envoyée au prince Frédéric, avec des pouvoirs illimités d'agir comme il le trouverait bon, ou plutôt comme le voudrait le lieutenant-général Constant, son chef d'état-major.
Comme malgré les assurances contraires (page 48) reçues de Bruxelles la résistance était possible, le roi trouva prudent de prendre des mesures pour mettre le prince Frédéric à l'abri de ce que pouvait avoir d'odieux l'effusion du sang dans ces circonstances. Le commandement de l'année active fut en conséquence donné au lieutenant-général Trip ; précaution inutile ; car S. A. R., jugeant sa présence nécessaire au quartier-général, devint responsable aux yeux de la nation de tous les maux qui arrivèrent, et attira imprudemment ainsi sur elle-même toute la haine du peuple, tandis que le nom de Trip ne fut guère connu que des escadrons qu'il commandait. On ne peut attribuer cette fatale détermination du prince qu'à un excès de zèle et de confiance. Mais quelle qu'eût été l'issue de l'expédition, il était de la plus haute importance pour lui de demeurer à Anvers, et dans l'éventualité d'un succès, il ne pouvait se rendre à Bruxelles, qu'autant qu'une députation viendrait l'y inviter et seulement pour y apporter le pardon, mais non pas la vengeance. En cas de défaite, il sauvait sa réputation comme soldat et, ce qui était beaucoup plus important, les intérêts de sa famille, en rejetant les mesures odieuses sur le commandant des troupes ; car jamais, à aucune époque, il ne fut plus important pour les membres de la dynastie d'éviter tout acte qui pût affaiblir encore cet édifice chancelant et près d'écrouler. Se laisser influencer par (page 49) des scrupules de délicatesse envers ces individus, quand la royauté était menacée, peut être une preuve de justice et de générosité, mais une telle conduite démontre incontestablement une grande faiblesse politique.
La proclamation devait être faite au nom du roi, et la responsabilité de l'exécution tomber sur le général Trip. Si le sang devait couler, il était absurde de penser que le prince Frédéric, présent au quartier-général, échapperait aux conséquences morales de cet événement. Car pourquoi y était-il ? quel avantage sa présence procurait-elle à l'armée ? Les troupes, si elles eussent été judicieusement employées, étaient plus que suffisantes pour assurer le succès, et S. A. R. pouvait aussi bien se passer de la gloire de cette expédition, que le soldat de tout stimulant extraordinaire. Quelle gloire pouvait-il recueillir dans un tel combat ? Mais s'il n'y avait pas d'honneur à gagner, il y avait de la honte, et cette honte était ce que le gouvernement devait le plus redouter. La victoire ne donnait aucun avantage au prince. La défaite devait amener et amena en effet les plus grandes infortunes pour sa maison. Il est vrai qu'au moment où les troupes avançaient, le succès n'était pas douteux ; mais cette circonstance ne diminue pas ce qu'il y a d'impolitique dans cette conduite ; elle prouve seulement combien le gouvernement s'abusait et (page 50) combien étaient impuissants ceux sur la coopération desquels il comptait.
Le courrier envoyé à La Haye, étant revenu à Anvers dans la nuit du 20, un conseil de guerre fut à l'instant même assemblé. La proclamation ayant été lue et approuvée, elle fut imprimée et distribuée, le 21, avant la pointe du jour. Il est évident que ce document avait été rédigé non seulement sous l'influence de la conviction que les troupes royales triompheraient sans effusion de sang, mais sous l'impression de ces assurances trompeuses trop promptement accueillies par le prince Frédéric et le gouvernement. En effet, il prouvait que les opérations militaires étaient la suite des sollicitations et des représentations erronées d'hommes dont pas un seul n'avait la plus légère intention de se montrer au moment du danger. Cette proclamation importante mérite une sérieuse attention ; elle explique, sans l'excuser, le plan d'attaque suivi avec tant de persévérance par les généraux hollandais. Ce plan, attribué au général Constant, ayant été soumis au conseil de guerre, les ordres furent donnés, le 2l, aux troupes en arrière de Vilvorde de se réunir aux postes avancés ; de sorte que l'armée formait à peu près un demi-cercle autour de la ville, ayant ses avant-postes à environ deux heures de marche de Bruxelles, sa droite appuyée sur la route de Gand, près du village de Zellich, le (page 51) centre en face d'Evers et de Dieghem, et la gauche s'étendant vers la chaussée de Cortenberg au dessus de Woluwe. Le même jour, le quartier-général et la réserve arrivèrent à Malines.
Les forces ainsi concentrées montaient ensemble à près de 12 mille hommes d'infanterie, 1,600 chevaux et 40 pièces de canon, desquels 1,500 hommes d'infanterie, 400 de cavalerie et 8 pièces de canon étaient destinés à marcher sur Louvain, et le reste devait concourir à l'attaque de Bruxelles. En même temps, des forces considérables, sous les ordres du lieutenant-général Cort-Heyligers, débouchaient d'Eindhoven par Hasselt, Tongres et Saint-Trond, menaçant Liége et Louvain.
Le but des généraux hollandais était de se mettre en possession de la partie supérieure de la ville, qui, par sa position élevée, peut en être considérée comme la clef ou la citadelle. Ils prirent les dispositions suivantes :
A l'extrême droite, 4 escadrons de hussards, et 1 bataillon d'infanterie, avec une demi-batterie, sous les ordres du colonel Van Balveren, s'avancèrent par la route de Gand, sur la porte de Flandre, pour occuper les faubourgs ou entrer dans la ville dès que les circonstances l'exigeraient. La colonne du centre droit, comprenant 2 bataillons, 2 escadrons et une demi-batterie, sous les ordres du général-major Favauge, s'avancerait (page 52) par la chaussée de Vilvorde, pour faire une attaque simulée sur la porte de Laeken, à l'effet de détourner l'attention des assiégés de l'attaque principale. Mais pour le cas où il rencontrerait quelques obstacles sérieux, il laissa un demi-bataillon et son artillerie pour protéger le pont de Laeken, et il devait alors exécuter un mouvement par sa gauche, pour servir de réserve au centre gauche. Cette dernière division, composée de 2 bataillons de grenadiers et d'un bataillon de chasseurs, de la garde, de 6 bataillons d'infanterie, de 12 pièces de canon, sous les ordres des généraux-majors Schuurman et Bylandt, devait déboucher des villages de Dieghem et Evers, forcer la porte de Schaerbeeck près du jardin botanique, et pénétrer dans le Parc. La colonne de gauche, composée principalement de cavalerie avec un bataillon et 4 pièces de 6, commandée par le lieutenant-général Trip, ayant sous ses ordres les généraux-majors Post et Boreel, devait entrer par la porte de Louvain, et si ce mouvement était exécuté heureusement, pénétrer rapidement par les boulevards et la rue Ducale, et s'établir en colonne sur l'espace ouvert près des murs du palais du prince et à la porte de Namur. La réserve, consistant en 8 bataillons, devait longer la partie du boulevard extérieur presque vis-à-vis du palais du prince d'Orange, pour jeter un pont sur l'étroit fossé (page 53) de la ville, se former sur les boulevards et tenir ouvertes les communications avec l'extérieur ou fournir des renforts à l'intérieur. La batterie de réserve, formée de 8 obusiers appartenant aux 4 batteries, prit position sur un terrain élevé qui commande le point où le pont devait être jeté. Des détachements de cavalerie devaient faire des patrouilles sur les hauteurs environnantes et maintenir les rapports entre les colonnes. Les portes de Scharbeeck et de Louvain ayant été enlevées et tous les obstacles étant détruits, les troupes devaient faire un mouvement rapide de concentration vers le Parc, les palais et la place Royale, et attendre là l'issue des arrangements à prendre pour entrer en possession des différents postes et corps-de-garde de l'intérieur de la ville. Les ordres les plus rigoureux pour le maintien de la discipline accompagnaient ces instructions.
On avait calculé que deux heures suffiraient amplement pour l'exécution et le succès de ces dispositions ; de sorte qu'en supposant que les troupes arrivassent devant les portes à sept heures du matin, on avait pensé que tout serait terminé, et la tranquillité de la ville rétablie avant midi. En même temps, un corps commandé par le général-major Trip (frère du lieutenant-général), était disposé à faire un mouvement de Malines sur Louvain, tandis (page 54) qu'un autre corps de 2,000 hommes et 6 pièces de canon, commandé par le général-major Evers, avait reçu l'ordre de se détacher de la division de Cort-Heyligers. et, après avoir traversé Tirlemont, de menacer Louvain du côté de Bautersem.
En supposant même qu'une intelligence parfaite eût régné entre les citoyens et les troupes royales, et que les généraux hollandais fussent convaincus que la prise des portes mettrait fin à toute résistance, il est encore douteux que le plan que nous venons de rapporter fut bien calculé. Aussi longtemps qu'il existait une chance de résistance, quelque légère qu'elle fût, il était essentiel d'éviter toute effusion de sang inutile, et d'épargner la vie des soldats. Un des devoirs les plus importants d'un commandant d'armée, quel que soit le mépris que lui inspire son ennemi, est de se préparer, autant que possible, contre les hasards de la guerre, et lorsqu'il a pris toutes les précautions en cas de revers, de chercher à assurer alors la victoire en sacrifiant le moins d'hommes possible ; mais dans cette circonstance, les généraux hollandais agirent comme si le sang de leurs soldais n'était d'aucune valeur, ou plutôt comme si un désastre était impossible. Ils négligèrent de profiter des avantages dont ils pouvaient disposer dans la première attaque, et oublièrent les précautions les plus ordinaires que les (page 55) événements subséquents réclamaient ; c'est ce que nous prouverons bientôt.
La proclamation du prince n'ayant été publiée dans la Gazette des Pays-Bas, que dans la soirée du 22, était peu connue des classes inférieures ; ainsi aucun effort ne semble avoir été fait pour la faire connaître. Ceux dont les instances et les représentations y étaient mentionnées craignaient sa publicité, pouvant être compromis par les allusions qu'elle faisait au désir exprimé par les citoyens bien intentionnés, et à la coopération de la garde bourgeoise et de la commission ; tandis que ceux qui étaient déterminés à résister jusqu'à la fin craignaient qu'elle ne décourageât le peuple sur lequel seul ils comptaient. L'approche des troupes royales fut cependant promptement connue par les habitants ; et quoique les membres de la commission de sûreté et la plus grande partie du conseil de la garde bourgeoise eussent quitté la ville, le peuple, loin d'être découragé, semblait avoir acquis une nouvelle énergie, une nouvelle exaltation.
Les barricades se multiplièrent dans toutes les directions, les rues furent dépavées, des pierres, de la chaux, des blocs de grès, des solives et diverses autres espèces de projectiles furent portés au faîte des maisons, pour être lancés sur les assaillants. Une revue de la garde bourgeoise, ou plutôt de tous les hommes armés, fut ordonnée et environ (page 56) 3.000 hommes pourvus d'armes à feu furent passés en revue sur la grande place. De ce nombre, environ 800 volontaires de Bruxelles sous les ordres de Grégoire, Borremans, Mellinet, Rodenbach et Niellon, et environ quatre cents Liégeois commandés par Rogier. Le baron d'Hoogvorst, ayant refusé la responsabilité de commander les forces actives, donnant pour motif son peu de connaissance de l'art de la guerre, les huit sections choisirent le comte Vandermere qui fut bientôt après remplacé par Van Halen.
A peine cette revue fut-elle terminée, que des paysans des villages environnants arrivèrent dans la ville, annonçant la marche rapide des troupes royales dont les avant-postes étaient arrêtés à environ une portée de canon des faubourgs. A l'instant la plus effroyable scène de confusion et de désordre eut lieu. Les portes et les fenêtres furent fermées. Les habitants du voisinage des portes de la ville abandonnèrent leurs maisons ou se préparèrent à se réfugier dans leurs caves. Les tambours battaient le rappel, et le son sinistre du tocsin de Ste-Gudule et des autres églises augmentait ce tumulte général. Les hommes, les femmes, les enfants couraient ça et là avec des cris de terreur ou des cris de guerre. Quelques-uns, se supposant exclus de l'amnistie, s'éloignaient de la ville. L'attaque était attendue de moment en moment, et à l'exception de deux ou trois mille (page 57) audacieux, le reste des habitants ne croyait pas la résistance possible. La pensée qu'une ville ouverte, sans autre défense qu'un petit nombre de volontaires indisciplinés, presque sans autres munitions que des pavés, repousserait des forces telles que celles qui marchaient contre elles, semblait à tout homme sensé le comble de la folie et du désespoir.
La commission était dissoute et les membres ayant cherché leur salut dans la fuite, la direction de la défense, ainsi que toute l'autorité, demeurèrent aux chefs des volontaires dont la confiance et la témérité semblaient croître avec le danger. Non contents de se préparer à la défense, ils réunirent un corps de 1,500 hommes, et, l'ayant divisé en 3 détachements, ils se déterminèrent à sortir pour aller attaquer les troupes royales. Un détachement, avec 2 pièces de canon, ayant pris la route de Gand, rencontra les vedettes hollandaises, sur la hauteur en avant du village de Zellich, et après avoir échangé quelques coups de fusil, se retirèrent pour ne pas être enveloppés par la cavalerie. Mais les deux détachements sortis pas les portes de Scharbeeck et de Louvain, ayant rencontré les avant-postes ennemis, en avant de Dieghem et Evers, se jetèrent dans des enclos et, couverts par les fossés, les haies et les arbres, commencèrent un feu de tirailleurs très vif qu'ils soutinrent jusqu'à la nuit. Une partie de (page 58) ces bandes irrégulières s'étant avancée trop loin, fut chargée par la cavalerie hollandaise qui en prit un grand nombre. Mais, à l'exception de ce fait, ces escarmouches ne produisirent que peu de perte de l'un et de l'autre côté.
Il est essentiel de remarquer que, dans cette occasion, l'agression fut totalement du côté du peuple et que le premier sang ayant été versé par lui, les règles de la guerre justifiaient pleinement les plus sévères représailles. Mais en admettant que le prince Frédéric ne fût pas disposé à y recourir comme le lui permettaient les forces supérieures qu'il commandait, et comme il y était autorisé par les lois de la guerre, il devait apprécier cette attaque, et en tirer les conséquences que la ville n'était pas aussi disposée à se soumettre qu'on le lui avait annoncé, puisqu'au lieu de fraterniser avec ses troupes elle avait la témérité d'envoyer des détachements pour les rencontrer en rase campagne. Peu importait que ces volontaires fussent conduits par des étrangers ou par des nationaux ; il était évident que les chefs étaient pleins d'énergie et d'audace, et un général prudent aurait à l'instant réglé son plan d'attaque, et se serait préparé aux chances les plus défavorables.
Enhardis par la facilité qu'ils avaient eue à se retirer le soir précédent, la journée du 22 avait à peine commencé que le tambour battait le (page 59) rappel, et qu'un corps de volontaires de près de 1,000 hommes faisait une sortie, et lorsqu'il eut rencontré les troupes royales à peu près dans la même position, renouvelait l'escarmouche, après laquelle il se retira, sans que sa retraire fût le moins du monde inquiétée, quoiqu'il eût été extrêmement facile de l'envelopper et de le détruire. Si le prince n'avait pas sérieusement l'intention d'attaquer la ville, cette longanimité était compréhensible ; mais si S. A. R. était fermement déterminée à entrer par force, il est inconcevable qu'elle ait souffert qu'on l'attaquât et que ses troupes fussent insultées chaque jour par des bandes désordonnées qui s'aventuraient en face de son armée avec plus d'audace que de prudence. Mais tant de fautes furent commises, qu'il est presque impossible de rencontrer une seule circonstance qui ne mérite pas le blâme. Jamais position plus avantageuse ne fut si maladroitement compromise. Jamais la vie de tant de braves soldats ne fut si légèrement exposée par la tactique imprudente de leurs chefs ; car ceux qui croient que ces troupes manquaient de courage sont dans une grande erreur. Les soldats et les officiers, soit Hollandais, soit Belges, firent bravement leur devoir. Toute la responsabilité de la défaite doit tomber sur les chefs.
Malgré l'ardeur des volontaires, le plus profond découragement se répandit dans la ville. (page 60) Plusieurs même des plus exaltés patriotes, après le départ de la commission et la dissolution de la garde bourgeoise, commencèrent à comparer l'inégalité de leurs moyens de défense avec les moyens d'attaque, et trouvèrent qu'il était plus que temps de tenter d'entrer en négociation avec le prince Frédéric. Une capitulation était ardemment désirée ; mais la crainte d'être accusé de trahison empêchait de se prononcer. A la fin, M. Edouard Ducpetiaux, entrevoyant les malheurs qui menaçaient la ville, prit sur lui la responsabilité de se rendre au quartier-général. Le but de sa mission était de détromper le prince sur les assurances fallacieuses de coopération qu'il avait reçues, et de tâcher et de le convaincre que la seule chance d'entrer sans résistance était d'offrir une amnistie générale, et de prier S. A. R. de changer le paragraphe de sa proclamation contre les étrangers, menaçant également les volontaires venus des provinces, et, après avoir obtenu cette concession, de négocier un armistice.
En se présentant aux avant-postes royaux, Ducpetiaux, qui était noté comme un des plus ardents patriotes et des chefs les plus actifs de la révolte, fut à l'instant saisi, et en dépit de ses demandes réitérées d'être conduit devant le prince, fut mené prisonnier à Anvers, sans pouvoir s'acquitter de sa mission. Circonstance malheureuse ! car si cette entrevue avait eu lieu, il serait peut-être parvenu (page 61) à convaincre les princes du danger de compter sur l'assistance des citoyens ; des termes d'accommodement auraient pu être admis et fournir un prétexte à une soumission qui était si généralement désirée.
Le découragement était si grand alors, que même quelques-uns des volontaires liégeois, sous les ordres de Rogier, se retiraient et qu'on jugea nécessaire de convoquer une assemblée des chefs à l'hôtel-de-ville, à 6 heures après-midi, le 22, pour discuter ce qui était le plus convenable de se défendre ou de se rendre. Les opinions furent extrêmement divisées ; plusieurs des plus prudents déclarèrent que la résistance devait nécessairement amener leur porte, ils opinaient pour la soumission. Mais leurs voix furent couvertes par des cris de refus de la part du peuple, tandis que Grégoire, Niellon et Mellinet, Français qui ne possédaient aucune propriété, et Roussel de Louvain, démocrate exalté, juraient qu'ils défendraient la cité, dussent-ils s'ensevelir sous les ruines. Après une violente discussion, l'assemblée se sépara et la résistance fut décidée. Les plus ardents patriotes se retirèrent pour haranguer et encourager le peuple, et les plus modérés prirent des précautions pour la sûreté de leur famille. Cependant, à une heure plus avancée de la nuit, les sollicitations des marchands et des négociants, joints aux habitants les plus riches, devinrent si pressantes (page 62) qu'une seconde assemblée eut lieu, et les plus violents meneurs étant absents, il fut unanimement résolu que la défense était impraticable et la soumission nécessaire. Une pétition ou adresse à ce sujet, signée par 40 notables, fut rédigée à minuit et portée au prince Frédéric.
Mais ces résolutions pacifiques furent plus tard rendues inutiles par la conduite aventureuse du peuple, qui, sans s'embarrasser de ses chefs et de leurs instructions, courut aux armes, avec enthousiasme, et, le 23, à la pointe du jour, se porta instinctivement vers le poste le plus exposé aux attaques de l'ennemi. Dès ce moment, jusque dans la nuit du 26, il continua à combattre sans ordre ni instruction, et sans aucun des moyens les plus nécessaires de la défense, et, ce qui est surtout remarquable, malgré la volonté de la grande majorité des habitants.
Cependant la nouvelle de ce qui s'était passé la veille parvint au prince Frédéric, et quoiqu'il eût désiré attendre la coopération de quelques détachements éloignés du quartier-général, il fit avancer sur quatre colonnes les troupes dont il pouvait disposer, et combina leur marche de manière à ce qu'elles arrivassent aux portes de la ville, le 23, à 7 heures du matin, pour commencer l'attaque selon le plan que nous avons déjà fait connaître. Les ordres du prince furent exécutés de la manière suivante :
(page 63) La colonne de droite, ayant en tête toute la cavalerie (singulier renversement des règles ordinaires d'attaque), traversa les faubourgs et atteignit la porte de Flandre sans difficulté. Ne rencontrant pas de résistance, et supposant qu'il en serait de même dans l'intérieur de la ville, le commandant pénétra imprudemment dans la rue étroite et tortueuse qui commence au pont du canal de Charleroy et conduit au cœur de la ville. Mais à peine les troupes eurent-elles passé la porte, qu'elles furent assaillies par un déluge de pierres, de chaux vive, de cendre chaude et d'eau bouillante, et par un feu meurtrier qui partait des caves, des fenêtres et des greniers. Les hussards, démoralisés, rompirent leurs rangs et se rejetèrent sur l'infanterie qu'ils entraînèrent dans leur retraite ; et toute la troupe, après une lutte opiniâtre mais inutile, où plusieurs officiers et soldats périrent ou furent faits prisonniers, se retira en désordre, heureuse de trouver un abri derrière l'artillerie qui était restée en batterie de l'autre côté du canal.
Le général Favauge, commandant le centre droit, se conforma à ses instructions avec plus de prudence ; ayant fait reconnaître la porte de Laeken et la trouvant à l'abri d'un coup de main, il se contenta d'échanger quelques coups de fusil avec ceux qui la défendaient. Alors, après avoir dirigé un demi-bataillon et 3 pièces de canon vers le (page 64) pont de Laeken, pour en assurer le passage, il jeta un pont sur la partie de la Senne parallèle au canal, et ayant fait faire un mouvement vers la gauche à ses troupes, il les réunit au corps principal d'attaque vis-à-vis de la porte de Schaerbeeck.
C'est là que l'élite de l'armée était rassemblée sous les ordres immédiats du prince Frédéric et du lieutenant-général Constant de Rebecque. Ils s'attendaient si peu à une résistance sérieuse, le prince désirait tellement éviter toute collision, que le lieutenant-général, accompagné de quelques officiers d'état-major, précéda la marche de la colonne et s'avança à cheval vers la porte, s'attendant à être salué par les acclamations dont s'étaient constitués garants les signataires de l'adresse. Une fusillade, partie des premières barricades, les tira bientôt de leur erreur. Dans ce moment, les colonnes s'ouvrirent et démasquèrent une batterie de 6 pièces de campagne. L'action s'engagea. Les ouvrages extérieurs furent promptement enlevés, et l'artillerie concentra ses efforts contre la porte même. Mais comme les retranchements élevés sur ce point résistaient aux coups de l'artillerie de campagne et que le feu opiniâtre des assiégés était très meurtrier, surtout celui qui partait des maisons voisines, on commanda à un détachement de sapeurs d'aller démolir le mur du fossé à la gauche des aubettes.
La brigade de grenadiers et de chasseurs, (page 65) protégée par le feu de deux bataillons et de quatre pièces de campagne, en batterie sur la terrasse du jardin botanique, pénétra dans la ville par cette brèche, et se forma en colonnes sur le boulevard, après avoir ainsi tourné la barricade pendant que les canons balayaient la rue jusqu'à la place Royale. Après une lutte sanglante, ces troupes se jetèrent bravement dans la rue Royale ; alors s'avançant, l'arme au bras et au pas de charge, ils refoulèrent tout ce qui se trouvait sur leur passage, se jetèrent dans le Parc, et s'emparèrent immédiatement des palais qui l'avoisinent. Ce mouvement ne s'effectua pas sans une perte considérable, car les troupes eurent à passer sous le feu des tirailleurs, depuis la porte de Schaerbeeck jusqu'au Parc. Une seconde brigade d'infanterie, ayant essayé la même manœuvre, fut repoussée et forcée de suivre, non sans perte, la route plus longue des boulevards.
Après une courte halte sur les hauteurs de St.-Josse-ten-Noode, près du grand cimetière d'où il lança quelques boulets sur la porte, le lieutenant-général Trip s'avança rapidement dans le faubourg, à la tête de la colonne gauche, et n'ayant rencontré que peu de résistance, il traversa toutes les barricades et fit occuper par ses troupes, au cri de victoire, le poste qui lui avait été assigné. En même temps la réserve longeant la chaussée extérieure jeta un pont sur le fossé, (page 66) et les obusiers se mirent en batterie derrière la crête du vieux glacis.
Ainsi, avant dix heures, les attaques principales avaient réussi, et les troupes royales occupaient le Parc, les palais, les portes de Schaerbeeck, de Louvain et de Namur, et la totalité des faubourgs, depuis le village d'Etterbeek et celui de Molenbeek. Mais ici s'arrêta leur succès. La première attaque avait été sanglante, mais l'exécution rigoureuse du plan arrêté d'avance promettait un carnage plus sanglant encore. Il était évident que le peuple, quoique forcé d'abandonner les portes, était décidé à disputer chaque pouce de terrain et à reculer, s'il y était forcé, de chambre en chambre, de maison en maison. C'était folie que de compter sur la soumission des insurgés ou sur l'aide des citoyens paisibles. Rien n'était moins dans les intentions des uns et des autres, et l'on doutait si peu de la prise de la ville que toutes les personnes de marque compromises dans le mouvement révolutionnaire, à l'exception des barons d'Hoogvorst et Coppyn (depuis gouverneur de la province du Brabant), se hâtèrent de s'éloigner. Même les volontaires liégeois sous les ordres de Rogier s'étaient retirés, et la nouvelle de la résistance du peuple les trouva à la forêt de Soignes.
D'un autre côté, quelques généraux (page 67) hollandais s'attendaient si bien à une résistance désespérée de la part du peuple, que le général Trip adressa dans l'après-diner au prince Frédéric, un rapport où il établissait qu'il serait impossible d'occuper le reste de la ville, sans assiéger successivement chaque quartier et même chaque édifice, que le mode de défense, adopté par les rebelles, entraînerait la dévastation et le massacre, et que la victoire serait au prix du sacrifice de la prospérité et des intérêts de la résidence royale, et enfin qu'il était inutile de compter sur la coopération des bourgeois, que dominaient les révolutionnaires.
Dès ce moment l'attaque perdit toute son énergie, et se convertit en défense. Désireux de conserver la réputation de modération et d'indulgence, oubliant que l'heure de la modération était passée et que l'indulgence passerait pour de la faiblesse, n'ayant ni l'audace d'avancer, ni le courage moral qu'exige la retraite, ne pouvant se résoudre à abandonner l'espérance trompeuse qui l'avait poussé à sa perte, le prince Frédéric, d'après les conseils du général Constant, se détermina à arrêter tout progrès ultérieur de ses troupes et à ouvrir, s'il était possible, des négociations avec les chefs du peuple. Le lieutenant-colonel Gumoëns (Cet officier a été blessé mortellement au siège de la citadelle, où il serait comme volontaire, et est mort à Anvers), officier brave et distingué, (page 68) fut en conséquence envoyé en parlementaire, et se mit en communication avec les autorités révolutionnaires, afin de demander que quelques-unes d'entre elles vinssent au quartier-général discuter les mesures les plus convenables pour arrêter promptement l'effusion du sang. Mais à peine Gumoëns se fut-il avancé hors de la protection des batteries hollandaises, qu'il fut brutalement assailli par une populace ivre et furieuse, et, malgré son caractère sacré, il serait probablement devenu victime de leur brutalité, si Mellinet et quelques autres chefs, se portant en avant, ne l'eussent arraché des mains de ces forcenés. Cette violation des usages de la guerre fut déclarée une représailles de la captivité de Ducpetiaux. Mais le cas était évidemment différent. Cependant deux, ou trois heures se passèrent avant que Gumoëns pût expliquer l'objet de sa mission, quoique les chefs parussent désirer de négocier ; ils envoyèrent ensuite trois délégués à cet effet, qui ne purent ou ne voulurent pas traverser le feu des combattants ; et le projet fut abandonné.
Cependant, d'Hoogvorst et F. de Coppyn, accompagnés de trois ou quatre chefs influents, se déterminèrent à tâcher de pénétrer auprès du prince. Aussitôt que la nuit fut close, et que le feu (page 69) eut commencé à se ralentir des deux côtés, ces citoyens zélés et dévoués s'avancèrent, porteurs d'un drapeau blanc, au quartier-général du prince, établi dans une maison près du jardin botanique, et, après un court pourparler, ils furent admis en présence du prince alors en conseil avec les généraux Constant et Trip. Après avoir expliqué quelle était physiquement et moralement la véritable situation de la ville, d'Hoogvorst déclara ouvertement qu'il n'y avait qu'un moyen d'obtenir une trève, c'était de publier à l'instant une proclamation annonçant brièvement et d'une manière non équivoque, 1° une amnistie générale, sans réserve ni exception ; 2° l'assurance d'une séparation administrative, et 3° la promesse que les troupes reprendraient la position qu'elles occupaient avant le 21 septembre. Après une discussion qui dura jusqu'à la pointe du jour, c'est-à-dire jusqu'au moment où le tocsin commença à appeler le peuple aux armes, ce prince déclara qu'il n'était pas autorisé à introduire des modifications à la première proclamation, sans avoir reçu des instructions de La Haye. En conséquence, d'Hoogvorst et ses collègues revinrent en ville, et le combat ou plutôt le siège des troupes royales continua avec une nouvelle ardeur (Ce ne fut pas sans un sentiment pénible que le prince et les généraux hollandais, et même d'Hoogvorst et Coppyn virent la conduite peu décente d'une des personnes qui les accompagnaient. Cet individu oubliant ce qui était dû au prince et même à la politesse ordinaire, s'étendit sur une chaise, et plaçant les pieds sur la table, exprima son opinion dans les termes les plus impolis).
(page 70) Malheureusement plus d'un des émissaires qui avaient déjà induit le prince en erreur à Anvers, se présentèrent de nouveau, et contribuèrent, en contrariant les efforts de d'Hoogvorst et de ses collègues, à maintenir le prince dans une fausse position. Ils soutinrent « que l'anarchie régnait dans les parties basses de la ville, et que les quartiers supérieurs étaient abandonnés par les habitants, que toute autorité était méconnue, que la voix même de d'Hoogvorst avait perdu son influence, et que, à l'exception d'un individu nommé Engelspach, qui s'était arrogé le titre d'agent-général, il n'y avait personne à l'hôtel-de-ville, que même ceux qui soutenaient le plus la nécessité de la résistance étaient divisés entre eux, que les autres, désespérant du succès, avaient quitté la ville, qu'à défaut d'un officier belge capable de prendre le commandement, le réfugié espagnol Van Halen avait été choisi comme général en chef, et que les autres chefs des volontaires, étrangers de tous les pays, étaient désunis, ne se connaissaient pas entre eux et, comme la suite le prouva, pouvaient être gagnés. (Note de bas de page : Cette opinion est en partie justifiée par la conduite ultérieure de Grégoire). (page 71) Ils ajoutaient que « le peuple était sans munitions, que les hôpitaux étaient remplis de blessés et de mourants, et que si le prince voulait ordonner à ses troupes de cesser le feu et de mettre ainsi fin au combat, les citoyens respectables pourraient reprendre l'autorité et lui proposer des termes satisfaisants d'accommodement. »
Quoique ces rapports fussent en partie fondés, ils négligeaient de dire que les volontaires liégeois commandés par Rogier étaient rentrés en ville, et que des centaines d'autres continuaient d'arriver par toutes les issues qui avaient été si imprudemment laissées ouvertes d'après leurs conseils, qu'on avait résolu l'établissement d'une commission provisoire administrative, composée de d'Hoogvorst, Rogier et Joly (ancien officier du génie), ayant pour secrétaires le baron F. de Coppyn et J. Vanderlinden, et que l'enthousiasme des classes inférieures allait jusqu'à la fureur, qu'un grand nombre de citoyens qui n'avaient pas d'abord pris part à la défense, irrités par l'incendie et le pillage de leurs maisons, ou excités par l'exemple, s'étaient joints au peuple, et que, bien loin de songer à se soumettre, ils faisaient retentir l'air des cris de victoire et des chants de triomphe ; que la mort attendait le traître qui oserait proposer de se rendre ; que plusieurs personnes influentes s'étaient répandues dans les campagnes, pour lever des guérillas et agir sur les derrières de (page 72) l'armée, que MM. Gendebien et Van de Weyer, à la tête de deux ou trois cents volontaires, étaient rentrés en ville le 25, amenant avec eux 14 barils de poudre, et que, dans l'intention d'exciter encore davantage le peuple, une proclamation non signée avait été affichée aux coins des murs, annonçant une victoire remportée sur les troupes royales par les Lovanistes, et déclarant, quoique cela n'eût pas le moindre fondement, que le prince avait promis à ses troupes de livrer la ville au pillage pendant deux heures.
Ils pouvaient ajouter que l'épée une fois tirée, le sang ayant coulé, il n'y avait plus à avoir de scrupules. L'affront fait à la dynastie était irréparable. Le prince pouvait avancer, se retirer, bombarder la ville ou se résigner à voir patiemment l'élite de ses troupes décimée dans le Parc, sans que rien pût rétablir l'autorité morale du gouvernement ; un autre pouvoir avait déjà été élevé sur les ruines du trône ; car la plupart des membres de la commission de sûreté étaient rentrés le 25 ; ils s'étaient réunis, constitués en gouvernement provisoire, et avaient annoncé leur installation par une proclamation dans l'après-dîner du 26. En conséquence, si le prince conservait sérieusement l'espoir de reprendre la (page 73) ville, les demi-mesures étaient inutiles, il ne restait plus qu'à recourir à toutes les rigueurs de la guerre. Il n'avait que deux voies à suivre : faire retirer ses troupes sur les hauteurs environnantes, et prendre position à une demi-portée de canon, établir ses batteries et menacer la ville d'un bombardement, à moins qu'on ne mit bas les armes, et qu'un certain nombre d'otages lui fût envoyé ; ou bien couper toutes les communications de la ville, et empêcher l'entrée et la sortie, jusqu'à ce qu'elle se fût rendue, faute de vivres.
Il est impossible de supposer que ces moyens infaillibles puissent avoir échappé à l'attention du prince. Mais malheureusement pour sa cause, il fut constamment sous l'influence de cette illusion fatale que les négociations étaient praticables et seraient renouvelées ;en outre son cœur se révoltait à l'idée d'employer les moyens terribles qu'il avait à sa disposition, car ses obusiers de réserve auraient suffi pour réduire Bruxelles en cendres en très peu de temps. Mais si des motifs d'humanité, non sans mélange d'intérêt personnel pour la conservation des palais et des propriétés royales, le détournèrent d'adopter ces mesures extrêmes, il est difficile de comprendre pourquoi il n'a pas adopté le moyen moins sanguinaire, mais non moins efficace, d'un blocus. La situation des troupes royales devenait de moment en moment plus critique : (page 74) entourées de tous les côtés, harassées par un feu continuel plongeant sur eux des fenêtres et des toits, auquel il ne pouvaient presque pas répondre, confinées dans le Parc et les palais, sans pouvoir ni avancer ni se retirer, elles furent sans cesse exposées pendant quatre jours à l'effet démoralisant de leur fausse et fatale position. C'était en vain qu'elles tenaient la clef de la cité, elle se rouillait dans leurs mains ; chaque nuit elles se voyaient de plus en plus resserrées dans leur position, sans gagner un pouce de terrain. Les jours se passaient, et le prince Frédéric, tournant en vain les yeux vers les tours de Sainte- Gudule, dans l'espoir d'y voir flotter la bannière orange, persistait à maintenir sa position et poursuivait son système dangereux et inefficace. Quoique déterminé à se renfermer dans la défensive, il négligeait les précautions les plus ordinaires pour le salut de ses soldats. Pas une tentative ne fut faite, ni le jour ni la nuit, pour enlever quelqu'un de ces hôtels d'où on tirait avec tant de succès sur ses soldats. On ne construisait, pour protéger sou artillerie ou ses tirailleurs, ni épaulement, ni tranchée, ni ouvrage quelconque, à tel point qu'ils étaient obligés de se mettre à l'abri derrière les cadavres de leurs chevaux. Ces braves canonniers, quoique leur perte fût inévitable, servaient leurs pièces au milieu des rues ouvertes et tombaient les uns après les autres, (page 75) sous une fusillade presque à bout portant, jusqu'à ce qu'enfin quelques-uns des canons cessèrent de faire feu par la mise hors de combat de tous les artilleurs, y compris les officiers ; et pourtant il était notoire que, chaque soir, les bourgeois abandonnaient leur poste, et qu'à peine une seule sentinelle demeurait près des barricades, que le feu cessait partout et que, par un coup de main, quelques hommes résolus se seraient facilement emparés à la baïonnette de tous les édifices environnants (Ce fut à cette époque que le brave et malheureux lord Blantyre tomba victime d'un de ces hasards qui si souvent terminent sans gloire la carrière des hommes les plus distingués. Après avoir échappé glorieusement et sans blessures à cinquante combats sanglants, après avoir mené ses héroïques montagnards à autant de victoires que de combats, après s'être retiré pour terminer une vie consacrée tout entière à son pays et à sa famille, il fut frappé d'une balle perdue, tandis qu'il regardait à une fenêtre).
Si les généraux hollandais avaient fait leur devoir, cette opération devait s'exécuter dès la première nuit. Il était aussi indispensable d'établir un fort retranchement à l'angle du Parc qui fait face à la place Royale, et la matinée du 24 devait trouver les canons hollandais (dont 4 seulement furent employés à la fois) en batterie derrière un parapet solide. Le terrain sablonneux du (page 76) Parc était singulièrement favorable ; et si on n'avait pas sous la main des fascines ou des sacs à terre, les matelas des palais pouvaient être employés à cet usage. Mais le même manque de prudence, le même oubli des règles ordinaires de la guerre et de tous les principes de conservation qui dicta l'attaque des portes alors qu'elles pouvaient être tournées sans le sacrifice de dix hommes, se fit encore remarquer dans les opérations qui suivirent cette entrée, et semblait combinée pour donner la victoire au peuple et amener la honteuse défaite des troupes royales.
Il serait difficile de trouver une position immédiatement près d'une grande ville qui offrît de plus grandes facilités pour l'attaque et moins de risques que celle qui se présentait d'elle-même au choix des généraux hollandais. De la porte de Louvain à celle de Namur, s'étend une suite d'éminences qui commandent tous les boulevards intérieurs et les rues adjacentes à demi-portée de fusil, et qui offrent beaucoup de facilités pour tirer jusqu'au cœur de la cité, à travers des rues ouvertes à angle droit, jusque dans le Parc qui leur est contigu. Ces éminences, formant des retranchements naturels contre la cité et, allant en pente douce vers la campagne, sont admirablement disposées pour masquer les mouvements d'un nombre de troupes, quel qu'il soit. Deux bataillons, une douzaine de bouches à feu placées en arrière et abritées (page 77) par le terrain, pouvaient couvrir l'entrée de l'armée dans la ville, et faire un feu d'enfilade si destructeur dans les rues et sur les bâtiments voisins, qu'il eût rendu toute résistance impossible de la part des assiégés. Protégée par ce feu, une compagnie de travailleurs actifs pouvait jeter en quelques minutes un pont à travers les fossés, capable de livrer passage à l'infanterie et à l'artillerie qui serait arrivée ainsi en quelques secondes dans le Parc. De cette manière, on aurait tourné toutes les portes et les barricades, sans être dans la nécessité de forcer les unes ou les autres et de compromettre tant de vies précieuses dans les combats meurtriers des rues, où la tactique et la discipline ne donnent aucun avantage, où les soldats, les meilleurs et les plus braves, sont les premières victimes, et où les avantages sont toujours en faveur des assiégés.
De fausses attaques devaient, sans aucun doute, être faites à toutes les portes, et des retranchements garnis de canons placés, en cas de sortie ; mais c'était s'exposer à une perte d'hommes inutile et certaine, que de les faire avancer par des points si éloignés de la position centrale, quand les boulevards situés derrière le palais du prince offraient de si grandes facilités de succès. La persistance dans l'exécution d'un plan tel que celui qui avait été proposé en premier lieu, peut s'expliquer comme une simple démonstration pour (page 78) sonder la résistance ; mais convertir de semblables démonstrations en attaques réelles, quand il était évident qu'une résistance désespérée était résolue, c'était agir contre tous les préceptes de la stratégie et de la raison ; car un de ses premiers principes est de chercher à faire le plus de mal possible à son ennemi, avec le moins de perte pour soi-même, et de l'amener, autant qu'on le peut, à combattre sur le terrain qu'on a choisi. Dans ces circonstances, les Hollandais suivirent une marche opposée à cette maxime, ce qui était littéralement courir à leur perte, ou au moins acheter la victoire par les plus sanglants sacrifices.
Il serait superflu de suivre les opérations qui terminèrent le combat. Il suffira de dire que le prince Frédéric, ne croyant pas de l'intérêt de la couronne d'adopter un plan qui, dans le fait, pouvait lui assurer le succès, eut à peine reçu des instructions de La Haye, qu'il donna l'ordre d'évacuer totalement la ville. En conséquence, un peu avant minuit, les bataillons évacuèrent en silence le Parc et les édifices qu'ils occupaient, et, se retirant en bon ordre et sans être inquiétés, reprirent leurs positions du 21 et les gardèrent deux jours. Les troupes continuant, le 29, leur retraite, le quartier-général se porta à Anvers, et le corps d'armée prit ses cantonnements à Walhem, Duffel, Lierre, Boom et autres places sur les (page 79) Nèthes et le Ruppel. Le due de Saxe-Weimar, étant arrivé à Malines, prit le commandement de l'avant-garde, et établit ses avant-postes au village de Sempst sur la Senne.
La perte des assaillants, pendant ces opérations, fut, d'après leurs propres calculs, de 138 tués dont 13 officiers, 650 blessés dont 38 officiers, y compris le lieutenant-général Constant et le général Schuurman, et 163 prisonniers dont 5 officiers, ce qui formait une perte totale de 951 hommes (La perte des Hollandais est double, d'après le calcul des Belges. Ils portent le nombre des morts à 520, celui des blessés à 830 et celui des prisonniers à 450). Les Belges évaluent leur perte à environ 1,800 hommes, dont 450 tués, 1,270 blessés. Les deux tiers au moins de ces pertes eurent lieu des deux côtés le premier jour de l'attaque. Ainsi se termina une expédition qui, si elle eût été conduite avec promptitude, énergie et sagacité, devait infailliblement être couronnée du succès. Mais calculée sous l'influence de la plus fatale déception, exécutée presque en dépit des règles de l'art, continuée contre toute prudence, et terminée par une retraite inexplicable et sans gloire, elle démoralisa une armée brave et bien organisée, et amena la ruine de la dynastie. Il manquait, pour combler la mesure de cette tragédie, une faute capitale, le (page 80) bombardement d'Anvers. Jusqu'à ce sinistre et impolitique événement, il y avait encore des chances de succès, sinon pour le roi, au moins pour le prince d'Orange. Mais les flammes d'Anvers détruisirent le dernier lambeau de la bannière orange.
Avant d'en finir sur ces opérations, il est nécessaire de dire un mot sur un sujet d'une importance vitale pour l'honneur et la réputation des Hollandais. On les accuse de pillages et de toute sorte d'excès. Ces accusations sont, pour la plupart, dénuées de tout fondement. Le prince Frédéric a été accusé d'avoir encouragé le pillage et le massacre et d'avoir manqué de courage personnel. En ce qui concerne le premier reproche, ses ordres du jour sont là pour prouver qu'il a usé de tous les moyens possibles pour conserver la discipline, et qu'il serait impossible à un général d'employer des mesures plus énergiques pour prévenir les excès. En ce qui a rapport au second, des milliers de personnes ont été témoins qu'il s'est exposé beaucoup plus qu'il n'était prudent de le faire dans sa position, et qu'il ne dut la conservation de sa vie qu'à la Providence ; car, indépendamment du danger ordinaire, trois fois une main lâche et cachée tira sur sa personne. Non ! quelles que soient les fautes ou les erreurs que l'on impute à la maison de Nassau, jamais on n'accusera aucun de ses membres d'un manque de courage ou d'humanité. (page 81) Jamais cœur plus brave, plus humain et plus généreux n'a battu sous l'armure d'un guerrier. Ils ont pu manquer des qualités qui constituent les grands capitaines et les hommes d'Etat ; mais Ney, le brave des braves et Wellington, le plus froid et le plus indomptable des soldats, ne se montrèrent ni plus vaillants ni plus insouciants du péril (Entre autres calomnies, on a affirmé que le prince Frédéric avait fui, déguisé en meunier. Une imputation si basse mérite à peine d'être réfutée ; car toute l'armée sail que le prince est littéralement le dernier qui quitta Bruxelles).
Le prince, car sur lui tombe toute la responsabilité, fut dans la suite accusé d'avoir lancé des bombes, des fusées à la Congrève et des boulets rouges sur la ville. Or il est maintenant prouvé qu'il n'avait pas un seul chevalet à la Congrève dans son armée, que pas un seul boulet rouge, pas un seul projectile incendiaire ne furent lancés, et que, quoiqu'un des obus dirigés contre les barricades ait, en s'écartant, mis le feu au manège, la batterie de réserve se retira sans avoir lancé un seul projectile. Que S. A. R. ait pu bombarder la cité, et qu'elle ait reculé devant cette mesure, c'est là une chose incontestable. Et parlant dans un sens militaire et politique, ce fut là une grande faute ; car il supporta tout l'odieux du bombardement et de l'incendie de la ville, sans (page 82) en recueillir les avantages. Sa longanimité fut portée si loin qu'elle fut prise pour de la faiblesse, perdit sa cause à l'intérieur et ruina sa réputation militaire au dehors. Mais il y aurait de l'injustice à blâmer l'excès de sa patience quand son humanité fut punie par la perte de la monarchie. Malheureusement l'histoire ne réserve pas ses pages les plus brillantes pour les capitaines qui portent ces vertus au delà d'une sage prudence. La patience et l'humanité sont admirables comme vertus secondaires chez un général ; mais elles doivent le guider, après et non avant la bataille. La guerre et l'humanité sont choses si opposées l'une à l'autre, qu'un général qui ne sait pas faire taire quelquefois son cœur, prouve la faiblesse de son caractère. Dans les conflits des nations, une bataille gagnée peut donner la paix ; mais dans les guerres civiles, il n'y a pas de milieu, le peuple ou le gouvernement doit succomber, et lorsque l'épée est tirée il n'y a plus de demi-mesures possibles. L'histoire offre-t-elle un seul exemple de patience de la part du peuple aussi longtemps que dure la lutte ? Le prince ou le général, qui s'attend à comprimer une révolte ouverte avec cette arme, montre qu'il ne connaît ni l'histoire des révolutions ni le caractère des peuples.
Les excès les plus répréhensibles furent commis sans doute ; mais quelque graves qu'ils puissent (page 83) avoir été, quiconque connaît les malheurs de la guerre doit convenir que ces excès sont inévitables dans tous les assauts. Ces personnes conviendront que s'il est une occasion dans laquelle les officiers puissent être excusés des désordres commis par leurs soldats, c'est dans ces moments terribles où une troupe cherche à forcer l'entrée d'une ville, et lorsque la fureur des assaillants s'accroît nécessairement en raison de la vigueur de la défense. Animés jusqu'à la rage par le combat des rues, par la vue de leurs camarades mourants, par toutes les horreurs d'une lutte corps à corps, les soldats ne maîtrisent plus leurs passions, s'abandonnent à l'ivresse de la vengeance et à celle des boissons, oublient la discipline, les lois de l'humanité, au point de ne plus distinguer l'innocent du coupable, si toutefois on est coupable en défendant sa maison et sa propriété et peut-être l'honneur de sa famille jusqu'au dernier soupir !
Mais tout en rejetant, comme des fables, la plus grande partie de ces odieuses accusations de violence, de rapine, de froid assassinat, bruits propagés dans le but d'exciter les haines populaires contre les Hollandais, surtout dans les provinces, et en admettant que beaucoup de désordres aient été commis, l'historien belge doit prendre garde de les exagérer. Car les deux tiers des soldats employés étaient nés dans les provinces (page 84) méridionales, et aucun sophisme ne pourrait les garantir de l'accusation d'y avoir participé. On a assuré que les 9e et 10e régiments recrutés à La Haye et à Amsterdam, et le bataillon de punition (straf bataillon), composé de mauvais sujets, avaient été les principaux auteurs des désordres. Mais cette assertion ne peut pas être admise, car les outrages, dont on a parlé, n'ont pas été commis seulement dans les rues occupées par ces corps. Chaque coin de la ville, chaque rue étroite avait son histoire d'horreur qui passait exagérée de bouche en bouche et trouvait facilement crédit chez un peuple dont l'animosité contre les Hollandais était portée au plus haut point, à la vue du sang de leurs parents, et des débris de leurs maisons incendiées. Et pourtant une grande partie de ces incendies fut l'ouvrage du peuple lui-même (Témoin l'incendie de la maison de M. Meeus, de l'hôtel Torrington, des maisons près du palais et autres).
Mais il est temps de quitter ces fatales collisions. Le 27 septembre, Bruxelles passa des scènes de confusion et de terreur aux scènes d'une exaltation immodérée. Des cris et des chants de victoire retentissaient partout ; le bruit effroyable du tocsin qui, pendant quatre jours, avait appelé le peuple aux armes, avait fait place au son des cloches de réjouissance, annonçant la (page 85) délivrance de la ville. Les fugitifs qui avaient cherché la sécurité dans les provinces revenaient chez eux. Tout le péril était passé ; de Potter, ce demi-dieu éphémère de l'adoration du peuple, se préparait à rentrer chez lui, pour jouir des honneurs de l'ovation. L'annonce incroyable de la défaite des troupes royales, avec tout son accompagnement d'exagération, se répandit promptement dans les provinces et y porta la démoralisation et la désaffection. Et ce qui la veille n'était qu'une révolte sans consistance était maintenant une révolution générale, appuyée par les baïonnettes sanglantes du peuple. Le triomphe de la nation dépassait toutes ses espérances, et la victoire était essentiellement populaire ; car elle était incontestablement l'œuvre du peuple, gagnée comme le pain qu'il gagne chaque jour à la sueur de son front, ou plutôt au prix de son sang. L'édifice élevé avec tant de peine par le congrès de Vienne penchait au bord d'un précipice. L'Europe le voyait avec horreur et regret ; mais pas une main ne s'avançait pour l'arrêter dans sa chute. La force des événements, plus puissante que la volonté des cabinets, prononça le fiat de destruction ; son œuvre bravait les alliances, la sentence de la monarchie était portée.