(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr.)
Placards séditieux et incendiaires. - Manque d’énergie des autorités. - Garnison de Bruxelles. - Ajournement des illuminations à l'occasion de l'anniversaire du roi. - Émeute dans le Parc, le 24 août. - Troubles au théâtre, le 25. - Attaque des bureaux du National. - Pillage et incendie des maisons de Libry-Bagnano et autres. - Enlèvement des insignes de la royauté. - Pusillanimité des généraux hollandais. - La ville est abandonnée aux bourgeois. - Première formation d'une garde nationale. - Elle fait feu sur le peuple. - Terreur des Anglais résidant à Bruxelles.
(page 231) A mesure que les éléments de conflagration prenaient un nouvel accroissement, toutes les personnes attachées au gouvernement suppliaient le roi de répudier franchement le système suivi par le ministère, de prendre l'avance, et de sacrifier ses convictions et ses préventions aux impérieuses nécessités du moment. La démission de M. Van Maanen et le transfert du National à un autre rédacteur étaient attendus avec une (page 232) extrême anxiété ; on espérait que la cour consentirait à revenir à Bruxelles, où la présence du roi et des princes aurait produit infailliblement un effet favorable. On espérait le rappel de la loi qui établissait la haute-cour à La Haye ; on s'attendait à ce qu'une proposition serait faite à la prochaine session des chambres pour amender la loi fondamentale en ce qui concernait la responsabilité ministérielle. A tout événement, on comptait sur l'énergie du gouvernement pour le maintien de la paix publique.
Mais ces espérances furent continuellement déçues ; le roi et les princes vinrent, il est vrai, à Bruxelles, mais retournèrent aussitôt à La Haye. M. Van Maanen était, disait-on, plus en faveur que jamais, et le fatal éditeur du National continuait sa polémique virulente et impopulaire, l'irresponsabilité des ministres était même défendue par le Journal officiel, et le repos de la cité était confié à des hommes qui n'avaient ni le courage, ni le talent, ni l'énergie que demandait une inévitable crise.
Comme le grondement des flots agités présage la tempête, des bruits sourds répandus dans le public annonçaient une catastrophe imminente. Des bruits séditieux, avant-coureurs de l'insurrection, se répandaient partout le pays.
« Ille etiam caecos instare tumultus
« Saepe monet, fraudesque et operta tumescere bella. »
(page 233) Des groupes se formaient dans les rues ; les représentations théâtrales devenaient bruyantes et orageuses, et les moindres allusions à la révolution française y étaient applaudies avec enthousiasme. Les diligences étaient assaillies à leur arrivée dans les provinces, par une foule inquiète et empressée de connaître l'état de la capitale. Les journaux, en dépit des poursuites nombreuses dont ils étaient l'objet, devenaient de jour en jour plus virulents dans leurs attaques, et étaient lus avec une avidité toujours croissante. Les murailles étaient couvertes d'inscriptions portant : A bas Van Maanen, mort aux Hollandais, plus de National. Enfin, on en vint au point d'afficher dans diverses parties de la ville, des placards contenant l'annonce laconique et menaçante, qui suit : « Lundi feu d'artifice, mardi illumination, et mercredi révolution. » On disait qu'à la prochaine représentation de la Muette de Portici, le mouvement éclaterait, et ce bruit était si généralement répandu au dehors, que plusieurs journaux hollandais rapportaient que des troubles avaient eu lieu au théâtre de Bruxelles, plusieurs jours avant qu'ils n'eussent réellement éclaté. Non seulement ces projets d'émeutes étaient ouvertement annoncés par des placards, mais le gouverneur civil, le baron Vanderfosse, et M. de Knyff, directeur de la police, furent confidentiellement et officiellement informés de tout ce qui se passait.
(page 234) On pouvait, en conséquence, supposer que ces deux fonctionnaires, de concert avec les autorités militaires, prendraient d'actives mesures pour arrêter les troubles aussitôt qu'ils éclateraient, et que tous les fonctionnaires civils et militaires étaient nuit et jour à leur poste, prêts à marcher au premier signal. On pouvait croire que si la garnison était insuffisante pour maintenir une population nombreuse, des ordres secrets seraient donnés par le général de Bylandt, pour l'arrivée de renforts qui pouvaient promptement venir de Gand et d'Anvers, et qu'un plan bien conçu permettrait à la garnison de Bruxelles d'agir selon la nature du terrain et les quartiers où serait le théâtre du mouvement. On peut à peine concevoir comment, dans des circonstances où la promptitude des ordres et un grand déploiement d'énergie étaient si nécessaires, on ne rencontra que langueur, confusion, pusillanimité, et comment il ne fut pas pris une seule mesure préventive. Il est vrai que l'illumination et le feu d'artifice, destinés à célébrer l'anniversaire de la naissance du roi, avaient été différés, sous prétexte que le temps s'y opposait ; mais, outre que ce retard impolitique était des plus insultants pour le roi, il ne remédiait à rien ; il est, par conséquent, difficile de déterminer qui du baron Vanderfosse, gouverneur civil du Brabant, de M. de Kniff, directeur de la police, du lieutenant-général de Bylandt, gouverneur (page 235) militaire de la province, du général-major Aberson, colonel commandant en chef la gendarmerie, ou du général-major G. J. Wauthier, commandant de la place, montra le plus d'incapacité dans les importantes fonctions confiées à chacun d'eux. Malgré le surcroît de précautions que réclamaient les circonstances, il aurait suffi de répartir habilement la garnison de Bruxelles, sans avoir recours à des renforts de l'extérieur, et même si l'on eût voulu, elle n'aurait pas été placée dans la nécessité de tirer un seul coup de fusil. Les troupes sous les ordres du général de Bylandt se composaient du 3e bataillon de grenadiers et du 2e d'infanterie légère de la garde, commandés par les lieutenants-colonels Antingh et Everts ; d'un bataillon du 3e et du dépôt du 1er régiment de ligne ; du corps des sapeurs-pompiers, d'un détachement de la garde municipale, d'un escadron de dragons-légers, d'un autre de gendarmerie, plus, de deux pièces d'artillerie attelées, et de 4 ou 5 pièces réservées pour les salves dans les jours de réjouissances publiques ; ce qui faisait une force d'environ 1800 hommes d'infanterie, de 240 chevaux, et 6 pièces de canon. Les deux tiers étaient des troupes d'élite dévouées à la couronne, et à cette époque, personne en Belgique, ni officier, ni soldat, n'eût songé à manquer à son devoir.
Les insurgés étaient sans armes, sans munitions, (page 236) sans chefs, sans plan conçu à l'avance, et constituaient une masse indisciplinée ; car il est incontestable que jamais les libéraux les plus exaltés, n'avaient songé dans leur plan à faire entrer en ligne de compte l'inaction des autorités constituées au moment du danger, et n'auraient osé espérer qu'elles permettraient que l'émeute du théâtre prît le caractère d'une révolte ouverte et devînt le premier acte d'une révolution nationale.
Il est vrai que la fermentation de l'esprit public était intense, que des menaces séditieuses étaient ouvertement placardées, et que quelques jeunes gens exerçant des professions libérales, ou ayant des rapports avec la presse, entretenaient une animosité violente contre le gouvernement et étaient résolus, si cela était possible, de pousser à la révolte ; mais les placards, aussi bien que les projets de troubles au théâtre, étaient le fait d'un nombre très limité d'individus, avec lesquels les chefs de l'Union et les personnes les plus influentes et les plus respectables des catholiques et des libéraux n'avaient aucun rapport. Il est vrai qu'on avait l'intention de briser les fenêtres du National, du ministère de la justice, et celles d'un ou deux fonctionnaires, comme démonstration préparatoire de l'animosité publique contre M. Van Maanen et autres. Mais on n'imaginait pas que le gouvernement, après les avertissements (page 237) qu'il avait reçus, tiendrait ses troupes l'arme au bras et permettrait à la populace de détruire, brûler, piller et commettre impunément tous ces excès.
Quiconque habite une grande ville sait combien il est facile, de nos jours, d'exciter des troubles et des émeutes, surtout dans les théâtres, sans même qu'on se soit concerté à l'avance. Londres en offre des exemples constants, et toutefois les plus sévères investigations prouvent généralement qu'aucun argent n'a été distribué, que les chefs, lorsqu'il y en a, ne sont ordinairement que quelques personnes sans importance, et que le quart des individus qui forment le rassemblement sont plutôt guidés par l'amour du désordre, malheureusement inné dans l'homme, tandis que le reste, d'abord attiré par la curiosité, finit par être entraîné par la force du mauvais exemple, et encouragé par l'absence ou les hésitations de l'autorité.
Dans de telles occasions, la temporisation est d'une politique dangereuse et même cruelle ; quelque grande que puisse être la répugnance du gouvernement à verser le sang du peuple, il vaut mieux employer la force plus tôt que plus tard ; sous peine de voir une cité livrée à l'anarchie et à la destruction, les excès doivent être réprimés et la licence châtiée. La promptitude, dans ces cas, est indispensable : plus il y a de (page 238) longanimité de la part de l'autorité, plus la résistance est terrible et sanglante ; car si le peuple est victorieux, sa victoire entraîne le plus affreux des maux, la vengeance populaire et la tyrannie de la multitude. Si on eût agi vigoureusement à Bruxelles, la monarchie eût été au moins momentanément sauvée, et si la séparation eût eu lieu plus tard, éventualité inévitable selon nous, cette séparation se fût accomplie constitutionnellement, sans licence, sans perte de sang, et la populace n'eût point, par des actes révoltants de violence et de destruction, éveillé les préventions de l'Europe contre la Belgique, préventions qui ne s'effaceront que par la suite des temps.
On a prétendu que les événements d'août étaient le résultat d'arrangements concertés longtemps auparavant entre les différents chefs de l'Union ; que les comtes Vilain XIIII, de Mérode, les barons de Sécus, d'Hoogvorst, MM. Ch. de Brouckère, Van de Weyer et autres étaient derrière le rideau, et non seulement stimulaient des agents subalternes à compromettre la paix publique, mais faisaient les fonds nécessaires pour enivrer et soulever la populace ; rien n'est plus dénué de vérité que cette accusation. Le seul fait qu'on parlait plusieurs jours à l'avance des troubles projetés pour la première représentation de la Muette, était suffisant. Nul autre stimulant n'était nécessaire pour amener la foule qui remplissait (page 239) le théâtre, la place de la Monnaie et les rues avoisinantes.
Aucun des chefs de l'Union ne serait probablement sorti pour arrêter les démonstrations publiques dirigées contre une administration qu'ils avaient l'intention d'attaquer et de renverser, s'il était possible, dans la session prochaine ; mais à peine le bruit de ce qui se passait arriva-t-il jusqu'à eux, qu'ils furent unanimes pour blâmer les excès commis par la multitude, et pour condamner ces fonctionnaires qui n'avaient eu ni le cœur, ni le talent de faire exécuter les lois. Tout concourt à prouver que les unionistes respectables furent exempts de toute participation aux excès qui marquèrent le commencement de la révolution, et que pas un d'eux ne dépensa la plus petite somme pour exciter le peuple ; plusieurs même des personnes dont les noms ont été signalés au nombre des instigateurs ou des auteurs de ces scènes affligeantes, étaient absents de Bruxelles et même de la Belgique.
Il a été généralement reconnu, cependant, qu'ils étaient déterminés à s'opposer à l'adresse, lors de l'ouverture des chambres, et de plus à préparer un mouvement pour le mois d'octobre, à moins que le système du gouvernement ne fût modifié et Van Maanen renvoyé.
Mais la majorité repoussait avec force un moyen si coupable et si inconstitutionnel qui, quoiqu'il (page 240) eût pu avoir pour résultat d'alarmer quelques-uns des députés hollandais, était cependant regardé comme de nature à compromettre essentiellement la dignité et le succès de la cause générale. L'on autorisait ainsi le gouvernement, disaient-ils, à mettre de côté toute modération et à suspendre le cours ordinaire de la justice, à placer la capitale en état de siége, et à faire un exemple terrible de ceux qui concouraient à une attaque ouverte contre les lois.
Ayant la justice, le droit et la volonté nationale pour eux, ils savaient qu'il leur suffirait de poursuivre avec persévérance leur système d'union et de résistance passive, pour obtenir le redressement des griefs, et qu'ils n'avaient pas besoin d'autres armes que des pétitions accumulées du peuple, soutenues de l'éloquence de leurs représentations et du puissant secours de la presse. En outre, l'opposition nationale, à cette époque essentiellement et uniformément anti-ministérielle, n'était que partiellement anti-dynastique. La grande majorité du peuple, spécialement les marchands et les habitants de Bruxelles, étaient loin d'être hostiles à la couronne de laquelle ils tiraient leurs principaux moyens d'existence. Aussi à l'époque du 26 du mois d'août, il n'existait pas vingt personnes dans la capitale qui rêvassent la possibilité de jamais effectuer même une séparation d'administration entre les deux pays. Quoiqu'étonnés de la (page 241) facilité de leur triomphe, ils le furent encore davantage du manque d'énergie et de capacité des autorités qui avaient fait naître une espérance d'émancipation au-dessus de leur attente, et transformait ainsi une révolte de la populace en un grand mouvement national qui semblait défier toutes les puissances de l'Europe.
A mesure que l'époque de l'anniversaire du roi approchait, le bruit général des troubles projetés devint de plus en plus intense, en sorte que les autorités jugèrent à propos d'ajourner les illuminations brillantes destinées à célébrer cette fête, et de borner les réjouissances publiques aux démonstrations ordinaires en de telles occasions. Les candélabres, les lampes, les colonnes et autres ornements préparés, accumulés dans le Parc, furent cependant laissés debout, et attiraient chaque jour de nouveaux rassemblements de malveillants, qui sans en venir à des violences ouvertes, éclataient fréquemment en vociférations de mépris et de haine contre le gouvernement. Car cet ajournement d'une illumination destinée à honorer le souverain était considéré comme un aveu tacite du manque de confiance dans la nation, comme une preuve de faiblesse de la part des autorités, et servit en conséquence à augmenter l'exaspération générale. Ces préparatifs auraient dû, en effet, ne jamais être commencés, ou bien il fallait les achever sans crainte ; de même, la représentation (page 242) de la Muette de Portici devait être entièrement défendue, ou renouvelée assez souvent pour lui faire perdre l'attrait de la nouveauté et détruire par la satiété toute l'impression qu'elle produisait sur le public. Les motifs qui portèrent la régence à tâcher d'éviter tout prétexte d'outrage, surtout dans le voisinage des palais, aurait été digne de considération, dans des circonstances ordinaires ; mais l'émeute était inévitable, et il était hautement impolitique alors de l'attirer dans un quartier de la ville, où la nature du terrain rendait l'action de la force publique si difficile contre les agitateurs.
Le 24 arriva enfin et commença par les solennités d'usage. A mesure que la journée avançait, des groupes turbulents s'assemblaient dans différentes parties de la ville, et remplissaient les estaminets. Vers la nuit, quand l'illumination des édifices publics et des maisons particulières commença à éclairer les rues, des rassemblements les parcoururent en tout sens, remplissant l'air du bruit des chants patriotiques et des vociférations les plus séditieuses. A mesure que la nuit avançait, ces rassemblements augmentaient en force et en audace, de manière que les maisons furent fermées, les portes barricadées ; on voyait apparaître aux fenêtres quelques tètes inquiètes et qui semblaient craindre que cette violente fermentation n'amenât quelque collision.
(page 243) Leur crainte n'était pas dénuée de fondement ; un gros de jeunes gens, dont un grand nombre, si on en juge par leur mise, appartenait aux classes aisées, suivi d'une foule de peuple, s'avança vers le Parc, et arriva à l'hôtel du prince de Gavre, grand-chambellan de la maison de la reine ; on poussa alors le cri de À bas les Hollandais ! et ce fut le signal d'une volée de pierres qui brisa les fenêtres illuminées, aux applaudissements de la multitude ; et celle-ci se retira sans être inquiétée par les agents de la force publique. Une semblable démonstration eut encore lieu aux abords de la maison du bourgmestre M. Wellens, où la société de la Grande-Harmonie était assemblée pour lui donner une sérénade. A mesure que l'illumination s'éteignit, les rassemblements se dissipèrent graduellement, sans commettre d'autres excès, et la nuit se passa tranquillement. Ces circonstances étaient néanmoins évidemment le prélude de plus graves événements ; car on entendit les groupes de révoltés s'exciter mutuellement à se préparer pour le lendemain.
Le jour suivant, les affiches du spectacle donnèrent le signal longtemps attendu de la commotion populaire. Des rassemblements plus considérables et plus turbulents que ceux qui avaient eu lieu le jour précédent, encombrèrent la place du théâtre et les rues adjacentes ; à peine les portes furent-elles ouvertes, que la salle s'emplit (page 244) au point d'y étouffer ; des centaines de personnes, obligées de se retirer faute de places, vinrent se joindre à la foule qui occupait la place ou les cafés avoisinants. De cette multitude les quatre-vingt-dix-neuf centièmes ignoraient pourquoi ils étaient assemblés ; tous cependant étaient prêts à faire du bruit et disposés à s'abandonner à des excès ; mais ils manquaient d'objet spécial d'impulsion positive, toutefois ces stimulants leur furent bientôt fournis. En ce moment, un bataillon de troupes sûres, rangé en colonne sur la place, eût suffi pour intimider les masses et arrêter la furie qui peu d'heures après devait avilir l'autorité royale et fouler les lois aux pieds. Les allusions révolutionnaires et patriotiques qui abondent dans la Muette étaient propres à augmenter l'agitation fébrile des esprits turbulents, venus pour s'exciter au tumulte et qui exprimaient la nature non équivoque de leurs intentions par des acclamations bruyantes. Le lever du rideau fut accueilli par des cris d'enthousiasme ; les moindres allusions étaient applaudies, tandis que celles d'une nature plus directe étaient accueillies par de frénétiques acclamations. Le mouvement et l'ardeur de la foule électrisaient les acteurs ; dans les entr'actes, des groupes bruyants et animés, qui remplissaient le foyer et les couloirs, répétaient avec enthousiasme les passages les plus frappants de la pièce, tandis que d'autres causaient avec feu, ou communiquaient (page 245) leurs émotions à leurs amis assemblés sous le péristyle et les arcades du théâtre.
A mesure que la représentation avançait, la fièvre des spectateurs augmentait, des acclamations et des vociférations séditieuses se mêlaient constamment à leurs applaudissements, et à la chute du rideau ce fut un tumulte tel qu'il couvrait les bruyantes explosions qui terminent la pièce. En un instant, le public, dans un état d'extrême exaltation, s'élança par toutes les issues dans la place publique, en criant : Aux bureaux du National ! » Exclamations qui furent accueillies par les nombreux houras de la populace. C'est alors que la masse, mue comme par une seule impulsion, se précipita vers le bureau de ce journal odieux. Le cri Brisons les vitres fut le signal de l'attaque, et en quelques secondes une volée de pavés commença l'œuvre de destruction.
N'étant inquiétés ni par la police ni par la troupe, les révoltés auraient eu bientôt démoli tout le bâtiment, si les cris Chez Libry-Bagnano ! A bas le traître ! n'eussent porté leur attention sur un autre point. Le rassemblement, augmenté considérablement, formait alors un corps formidable qui obéit à cet appel, et aux cris d’A bas Van Maanen ! Vive de Potter ! s'élança furieux vers la librairie polymathique, demeure de l'éditeur détesté du National. En moins de temps que nous n'en mettons à l'écrire, les portes, les fenêtres brisées (page 246) ouvrirent un passage aux assaillants, et toute la maison, de la cave au grenier, fut envahie par la foule. Tandis que les uns brisaient les meubles, les autres, dans un état d'ivresse ou d'exaltation furieuse, cherchaient Libry, qui eût inévitablement été sacrifié s'il ne se fût heureusement échappé à l'approche de cette bande de pillards.
Il est inutile de décrire le spectacle qu'offrit la demeure de Libry-Bagnano ; il suffit de dire que les livres, le linge, les habits, les papiers, tout enfin, jusqu'aux marches des escaliers, fut brisé et détruit. Cette scène se renouvela trois fois, jusqu'à ce qu'enfin il ne resta plus dans les appartements que des murs dégradés.
Excepté quelques gendarmes et une ou deux faibles patrouilles d'infanterie qui furent facilement tenues en échec par les révoltés, pas un homme de la garnison n'apparut, et pourtant la disposition de la rue, formant un défilé long et étroit, offrait toutes les facilités possibles d'employer la force avec succès. Si un mouvement rapide et bien concerté eût été fait par deux demi-bataillons en colonnes, avançant au pas de charge, par les extrémités opposées de la rue de la Madeleine, la foule sans ordre et sans armes eût été obligée de se sauver à travers les passages étroits qui y aboutissent des deux côtés et elle eût vainement cherché à opposer quelque résistance, et en supposant qu'on eût été forcé de répandre le (page 247) sang de quelques brigands occupés à une œuvre de pillage et de destruction, peu de personnes eussent regretté leur perte et la majorité eût applaudi au triomphe de la loi ; car dans ce moment la dévastation n'était qu'un acte de brigandage et de désordre, exécuté par la plus vile populace, et n'avait aucun de ces caractères qui ennoblissent une révolution populaire ; et ces ignobles outrages n'excitaient que le dégoût de quiconque sait se respecter. Car qui voudra avouer qu'il a été pour quelque chose dans des scènes dont les auteurs, ou les provocateurs, ont mérité cette condamnation aux galères qu'on reprochait à Libry-Bagnano ? Les horreurs de cette nuit ne doivent donc pas être confondues avec les résultats auxquels elle donna lieu, pas plus que les causes avec leurs effets, encore moins doit-on confondre les acteurs de ces scènes avec ces hommes honorables qui, dans les chambres ou au moyen de la presse, s'étaient posés les champions constitutionnels des droits de leur pays.
Chaque moment de retard de la part des autorités ajoutait à l'audace de la populace et donnait un caractère plus décidé et plus tranché à la révolte. Encouragée par l'apathie de la force publique, la populace s'était divisée en plusieurs bandes, les chefs commençaient à se mettre à leur tête, et ce fut dès-lors que l'on conçut l'idée de s'insurger contre les lois. En conséquence, on (page 248) attaqua les magasins d'armes, qui furent forcés et pillés, et bientôt le peuple, armé de tout ce qu'il trouva, se prépara à se porter à de nouveaux et de plus graves excès. Une bande se dirigeant vers le petit Sablon, assaillit l'hôtel du ministère de la justice, au moment où, non loin de là, une autre bande attaquait et désarmait le poste de garde à la prison des Petits-Carmes.
Les portes du ministère ayant été en un instant forcées, les révoltés y pénétrèrent en poussant des cris. Quelques-uns brisaient et démolissaient tout ce qu'ils rencontraient, tandis que les autres jetaient par les fenêtres tous les meubles qu'ils pouvaient enlever et qu'on rassemblait au centre de la place pour les livrer aux flammes. Le cri de Brûlons la demeure du tyran ! s'étant fait entendre, une cinquantaine de pillards saisirent des brandons allumés et s'élancèrent dans l'édifice ; une longue colonne de fumée et la lueur des flammes annoncèrent bientôt que leurs projets d'incendie avaient réussi ; et les troupes restaient encore impassibles ! Quelques gendarmes dont la caserne était menacée tentèrent seuls de résister ; mais ils furent à l'instant repoussés et obligés, pour leur propre conservation, de rester neutres. Les pompiers de l'hôtel-de-ville se hâtèrent d'arriver ; mais la populace, résolue d'accomplir son œuvre de destruction, empêchait toute tentative pour éteindre les flammes, et les (page 249) pompiers furent obligés de se contenter de préserver les maisons environnantes.
Pendant que ces événements se passaient, une autre bande, conduite, dit-on, par un aventurier étranger, se dirigea vers la demeure du directeur de la police, lequel s'attendait si peu à une semblable attaque que sa femme et ses enfants ne furent éveillés que par les clameurs assourdissantes de la populace qui attaquait la maison. Quoiqu'aucune violence ne leur ait été faite, on peut imaginer quelle fut leur terreur, car la dévastation commença immédiatement. Meubles, tableaux, livres, porcelaines, enfin tout ce qui constitue l'ameublement d'une maison fut détruit, et quoique le principal objet du peuple ne fût certainement pas le vol, des bijoux et de l'argenterie pour une valeur considérable disparurent. Ne trouvant plus rien sur quoi assouvir leur rage, les pillards traînèrent les voitures sur la grande place et les livrèrent aux flammes sous les yeux même des autorités publiques et du poste militaire, qui ne firent aucun effort pour s'y opposer.
L'audace des révoltés semblait s'accroître avec la nuit, et leurs succès contribuaient encore à augmenter leur funeste ardeur. L'hôtel du gouverneur de la province fut attaqué et subit le même sort que celui du directeur de la police. Plusieurs manufactures furent aussi brûlées et dévastées, en sorte que toutes les parties de la cité (page 250) présentaient un affligeant tableau d'anarchie et de brigandage. La colère ou la terreur se peignaient sur toutes les figures ; personne ne pouvait prévoir où ces scènes s'arrêteraient, quelques approbateurs même des manifestations bruyantes qui avaient signalé la représentation de la Muette, étaient terrifiés de ces résultats, et s'unissaient aux citoyens paisibles pour conjurer les autorités de remplir leur devoir. Mais les généraux semblaient stupéfies et ne répondaient à ces appels qu'en envoyant de faibles détachements qui étaient à l'instant même désarmés ou mis en fuite, après avoir fait une ou deux décharges au dessus de la tête des révoltés.
Ce ne fut qu'à la pointe du jour, après que la populace se fût livrée pendant plusieurs heures à une licence effrénée et sans répression, et eût commencé à abattre les insignes de la royauté, qu'enfin, lorsque la révolte eût pris un caractère positif de révolution, et que la difficulté de rétablir l'ordre se fût encore considérablement accrue, que le général de Bylandt et le général Wauthier sortirent de leur léthargie et commencèrent trop tard à déployer les forces dont ils disposaient. Mais alors encore, leurs mesures mal calculées en principe furent inefficaces dans leurs résultats.
Les mouvements des troupes manquèrent de promptitude et de précision ; les généraux de (page 251) résolution et de prudence ; et il était en vérité impossible d'attendre des premières l'accomplissement de leur devoir quand elles avaient un si pitoyable exemple de faiblesse et de manque de présence d'esprit dans leurs chefs.
Il arriva donc qu'elles furent obligées de demeurer spectatrices passibles d'excès qu'elles désiraient châtier, ou bien de souffrir en pleurant de rage et de honte, les insultes les plus grossières et les plus mauvais traitements. Cette longanimité inexplicable fut portée si loin par les officiers supérieurs, que le général Wauthier souffrit pour lui-même une insulte qui mérite d'être rapportée.
Tandis que cet officier était à la tête de ses troupes, un individu sorti de la foule s'avança vers lui et après lui avoir adressé les épithètes les plus injurieuses, avança la main et lui arracha avec audace la décoration qu'il portait, et le général Wauthier avait une épée au côté !!! Après un pareil exemple, pourrait-on être surpris de la démoralisation des troupes et du triomphe du peuple.
Les sous-officiers et les soldats, dont plusieurs étaient de jeunes miliciens, s'aperçurent bientôt du danger de leur position, et sentirent qu'ils ne pouvaient employer leurs armes sans faire le sacrifice inutile de leur propre vie. L'antipathie naturelle des hommes à verser le sang de leurs concitoyens s'augmentait de la certitude où ils (page 252) étaient que les mesures adoptées par les généraux devaient inévitablement amener leur défaite et par suite leur destruction. « Puis-je compter que vos hommes agiront avec énergie (disait un commissaire de police à un officier commandant un détachement isolé envoyé contre les révoltés). Feront-ils usage de leurs armes ?» - « Non, si on ne vient pas les soutenir (répondit l'autre), je ne puis livrer leur vie et la mienne en donnant un tel ordre. » Cette réponse prouve suffisamment la connaissance parfaite que les officiers subalternes avaient de l'incapacité de leurs chefs et de leur position désespérée (Note de bas de page : C'est peut-être le cas de citer ici une réplique faite dans une circonstance semblable, par un officier d'artillerie à cheval, qui stationnait avec deux pièces de canon dans la cour des écuries de Carlton-House, pendant les troubles de Londres à l'occasion de la loi des céréales, et se tenait prêt à avancer au moment convenable. Un des principaux officiers de la maison du régent vint à lui et lui dit. « J'ai ordre de vous demander si vous pensez que vos hommes feront leur devoir et obéiront à l'ordre de tirer, si par malheur cela devient inévitable.» - « Tirer, monsieur ! (répondit l'autre) vous pouvez dire à S. A. R., en lui présentant mes respects, que si je commandais à mes hommes de faire feu sur son palais royal, personne ne pourrait les arrêter que moi-même. »)
Pendant la première partie de la matinée, quelques combats partiels eurent lieu principalement (page 253) en face de la demeure de M. Van Maanen ; mais ces efforts isolés furent inefficaces et ne servirent qu'à augmenter l'audace du peuple. Le 26, avant 10 heures, la garde et la police du centre de la ville avaient été repoussés ou s'étaient tranquillement rendus, et les troupes étaient retirées dans leurs casernes ou concentrées dans les parties supérieures de la ville, en face du palais du roi, et, placées autour de leurs armes qu'elles avaient réunies en faisceaux, elles semblaient avoir renoncé à toute tentative d'arrêter le tumulte.
Heureusement pour le salut ultérieur de la ville, qui dès le milieu du jour était abandonnée à la discrétion du peuple, plusieurs des citoyens les plus riches et les plus influents, indignés de la faiblesse des autorités, et redoutant une autre nuit d'anarchie, s'assemblèrent au poste de la garde communale, et là, de concert avec les officiers de cette garde, ils adoptèrent des mesures immédiates pour l'organisation d'une garde bourgeoise. Un appel fut fait au zèle des habitants, dont un grand nombre s'y rendirent à l'instant ; ayant reçu des armes, ils se formèrent en compagnie ; et tandis que les uns parcouraient les rues, rassemblés en fortes patrouilles, les autres prenaient possession des différents postes qui avaient été abandonnés par les troupes royales.
Un conseil des notables s'assembla à l'hôtel-de-ville, et résolut de faire une proclamation pour (page 254) annoncer aux habitants le renvoi de M. Van Maanen, le rétablissement de la responsabilité des ministres et l'abolition immédiate de la taxe municipale de la mouture. Quoique cette proclamation contint des promesses qu'il n'était ni au pouvoir ni dans les attributions des autorités locales de réaliser, elle était de nature à apaiser l'irritation générale et à produire un effet salutaire sur les classes inférieures, surtout si on l'eût fait suivre d'une autre proclamation plus précise et plus positive.
Ces mesures et le zèle des citoyens qui se hâtèrent de s'enrôler pour maintenir la sécurité générale, produisirent les résultats les plus avantageux, surtout lorsque l'on vit MM. Félix de Mérode, Vanderlinden d'Hoogvorst, de Sécus et autres personnes influentes par leur rang et leur fortune, se dévouer au rôle de simples gardes ; les journaux de l'opposition, quoique ne stigmatisant pas, avec une énergie suffisante, les outrages commis la nuit précédente (car ils pouvaient eux-mêmes être, jusqu'à un certain point, considérés comme les instigateurs du fait), appelaient le public au maintien de l'ordre et prêchaient le respect et l'obéissance, non seulement au roi, mais aux institutions existantes. « Nous conjurons tous les hommes qui possèdent quelque influence (page 255) sur les classes laborieuses d'intervenir promptement (disait le Courrier des Pays-Bas). Que les ouvriers trouvent du travail, fût-il même inutile, tous ceux qui ne concourront pas au retour de l'ordre, seront coupables. » Si ce journal avait tenu un tel langage, les jours précédents, il fût venu plus à propos.
Mais qui aurait pu prévoir les résultats de cette nuit, ou supposer que les personnes chargées d'assurer l'exécution des lois, auraient contribué pour une si grande part à leur violation ? Qui aurait pu prédire qu'un tapage excité par une représentation théâtrale se serait converti en une révolution nationale, capable d'amener immédiatement la dissolution de la monarchie, ou que la levée de boucliers de quelques patriotes exaltés, aurait formé la base de cette émancipation nationale, pour laquelle la Belgique avait vaillamment combattu pendant plusieurs siècles ?
Vers le soir du 26, la révolte avait pris un caractère plus tranché et plus national ; les couleurs françaises, déployées d'abord comme symbole de la liberté, avaient fait place à la vieille bannière rouge, jaune et noire du Brabant, que l'on vit flotter aux fenêtres de l'hôtel-de-ville. Le cri de Vive la France ! avait fait place au cri de Vivent les Belges ! La cocarde orange fut proscrite comme étant l'emblème d'une famille et non celui de la nation ; les armes royales furent (page 256) enlevées des édifices publics et privés, plus peut-être par l'effet de la terreur qu'éprouvaient les habitants que par quelque sentiment hostile à la dynastie. On vit, il est vrai, des exemples d'une noire ingratitude de la part de quelques individus qui devaient leur fortune et leur prospérité à la famille royale, mais ce ne fut que quelques exemples rares sur lesquels il serait injuste de fonder une accusation générale.
Tandis que ces scènes se passaient dans l'intérieur de la ville, les villages voisins de Forêt, Uccle et Anderlecht étaient le théâtre des plus atroces brigandages et des plus infâmes déprédations. Trois bandes de misérables, pour la plupart ivres, sortirent de la ville vers la nuit, et profitant de la confusion et du désordre qui régnaient dans Bruxelles, attaquèrent simultanément les fabriques de MM. Rey, Ball et Wilson, lesquelles, avec une vingtaine de maisons de campagne, furent brûlées et pillées. L'on évalua à plus d'un million de florins la perte occasionnée par ce» actes de brigandage. A la tête des bandits qui les commirent était un homme jouissant d'une certaine aisance, nommé Fontaine, qui, ainsi qu'il résulte du procès dont il fut l'objet, paraît n'avoir eu d'autres motifs de conduite qu'un exécrable esprit de vengeance pour quelques torts réels ou supposés de M. Wilson envers lui.
Les principaux habitants ayant résolu de prévenir (page 257) le renouvellement de ces scènes, se réunirent au nombre de 3,000 à la garde bourgeoisie ; et comme plusieurs bandes formées d'individus de la basse classe s'assemblaient vers le soir, et que la rumeur publique désignait encore plusieurs maisons vouées à la destruction, les citoyens armés déclarèrent leur ferme intention de châtier le plus léger acte d'agression d'une manière exemplaire. Ces compagnies ayant choisi leurs chefs, établirent des patrouilles, qui, parcourant les différentes parties de la ville, dispersèrent les groupes. Ces patrouilles étaient précédées par des bannières sur lesquelles on lisait « liberté ! sécurité !» ou quelques autres devises patriotiques. Quoique les boutiques demeurassent closes, que toutes les affaires fussent suspendues, les marchés étaient approvisionnés comme à l'ordinaire et une multitude de curieux parcouraient les rues pour visiter le théâtre des différentes dévastations. Pendant la nuit, toute la ville était illuminée, les citoyens ayant généralement déféré à l'invitation de l'autorité municipale d'éclairer la façade de leurs maisons, pour dissiper l'obscurité profonde dans laquelle l'absence des réverbères détruits par le peuple aurait plongé la ville. Grâce à la vigilance de la garde bourgeoise, la nuit se passa dans la plus parfaite tranquillité. Cependant les troupes demeuraient consignées dans leurs casernes ou bivouaquaient devant le palais où les généraux (page 258) De Bylandt, Wauthier, Abersonet d'Aubremée avaient établi leur quartier-général. Une convention verbale avait eu lieu entre le premier de ces officiers et les autorités municipales, par laquelle on stipulait que les troupes ne feraient aucun mouvement, jusqu'à l'arrivée des instructions de La Haye. Cependant un renfort composé d'un régiment de hussards, qui était à Gand avec 2 bataillons d'infanterie et 8 pièces de canon, reçut l'ordre d'avancer sur la capitale, avec toute la célérité possible ; précaution qui aurait dû être prise plusieurs jours auparavant, mais qui devenait inutile du moment que les premiers actes de la révolte avaient été consommés, et l'autorité du gouvernement avilie.
Nonobstant ce triomphe du peuple et la disparition des insignes royaux, il n'y eut aucune autre manifestation d'animosité contre la dynastie, et même personne n'exprima le vœu de la séparation des deux pays. La presse et les différents organes de l'opinion publique manifestaient ouvertement le désir devoir l'autorité du gouvernement rétablie au moyen de quelques concessions propres à rallier la nation autour du trône. Il existait bien un parti, parti anti-national dont les yeux se tournèrent vers la France dès les journées de juillet ; mais il ne se serait pas aventuré à déclarer ses sentiments à cette époque.
Le cri dominant était le renvoi de Van Maanen. (page 259) « Malheureux choix qui, dicté peut-être par des sentiments généreux (écrivait le Journal d'Anvers), a si longtemps blessé la nation. Que cet homme quitte, pour ne jamais le reprendre, un poste qui exige si éminemment la confiance de la nation. Au reste rapportons-nous-en à la sagesse du roi. »
Le Catholique, journal de Gand, d'un libéralisme exalté, s'exprimait ainsi sur le même sujet : « Il n'y a de salut pour le trône que dans de larges concessions ; les points essentiels qui doivent être accordés sont : l'inviolabilité royale et la responsabilité ministérielle, le renvoi de Van Maanen, la liberté illimitée de la presse, la diminution des impôts, une protection égale pour le commerce, l'agriculture et l'industrie, une juste répartition des emplois, justice et liberté en tout et pour tous, et enfin la stricte observation de la loi fondamentale. »
Le Courrier des Pays-Bas tenait un langage semblable : « La démission de M. Van Maanen doit toujours être la condition de toute pacification et le gage indispensable du retour à un meilleur état de choses. Aussi longtemps qu'il restera en place, les Belges ne peuvent avoir aucune confiance dans les intentions du gouvernement, ni s'endormir dans une fausse sécurité. Nous répétons que nous ne sommes ni en insurrection ni en révolution, nous ne voulons que (page 260) l'adoucissement des griefs dont nous avons si longtemps souffert, et quelques gages d'un meilleur avenir. »
Il n'y avait certes aucune exagération dans ces demandes, ni rien qui fût de nature à blesser la dignité ou compromettre la sécurité du trône, rien qu'on n'eût pu accorder auparavant et qui ne soit le partage des citoyens de la Grande-Bretagne depuis deux siècles.
Si la monarchie pouvait être sauvée par ces concessions, il eût été d'une saine politique de profiter de l'expérience. Henri IV trouvait que Paris valait une messe ; le roi Guillaume exposait sa couronne pour garder un ministre.
Quelques personnes qui méprisent l'opinion de la presse, ne verront peut-être pas dans ces citations l'expression des désirs de la nation, mais seulement la pensée de quelques individus sans mission et qui n'étaient les délégués d'aucun corps. Mais, en cela, elles montreront une grande ignorance de la marche des événements et de la puissance formidable de la presse dans les Pays- Bas pendant l'année 1830. A cette époque, les journaux belges avaient acquis une force immense ; les nombreuses condamnations prononcées contre eux avaient augmenté leur énergie, éveillé la sympathie de la masse de la nation ; et ils leur devaient une considération, un degré d'attention que sans cela ils n'eussent jamais obtenus. Profitant habilement de leur influence, ils acquirent graduellement (page 261) sur l'esprit public une influence telle qu'on peut la considérer comme un des principaux moteurs de la révolution. Certaine d'entraîner les convictions du public, et forte de la terreur dont elle frappait le gouvernement, la presse belge ne puisait pas tant sa puissance dans la logique de ses organes, que dans l'irrésistible domination qu'ils exerçaient sur les esprits.
Pendant les derniers moments de l'union des deux pays, la presse a continuellement marché en avant de l'opinion publique qu'elle traînait à sa suite, tandis qu'en Angleterre le contraire a toujours lieu ; les journaux étant pour la plupart des spéculations pécuniaires avant tout, suivent plutôt qu'ils ne dirigent l'opinion publique, mais avec tant de tact et de rapidité qu'ils semblent marcher sur la même ligne ; toutefois, et nonobstant l'habileté consommée avec laquelle ils sont rédigés, il suffit de les observer de près pour s'apercevoir qu'ils marchent à sa suite plutôt qu'ils ne la précèdent.
Dans la matinée du 27, de nouveaux symptômes d'effervescence se manifestèrent ; la soif du désordre s'était accrue dans la classe inférieure par l'impunité dont elle avait joui pendant la nuit du 25, à tel point qu'il était devenu presque impossible de la contenir. En dépit des efforts de la garde bourgeoise, qui avait été organisée en sections correspondant aux divers quartiers de la ville, (page 262) et sous les ordres du baron d'Hoogvorst, une nombreuse populace se répandit sur la place Royale et dans les rues adjacentes, et pénétra dans le Parc.
A l'instant, les échafaudages des illuminations furent renversés, les lampions, les ornements brisés, et tous ces débris entassés et livrés aux flammes. La garde bourgeoise ayant enfin reçu des renforts, le Parc fut évacué et la tranquillité rétablie sans autres dommages. L'effet démoralisant de cette scène sur les troupes rangées en bataille devant le palais est plus facile à concevoir qu'à décrire. Il eût beaucoup mieux valu les faire sortir de la ville, que les rendre spectatrices de scènes si outrageantes pour leur fidélité.
Jusqu'ici aucune collision notable n'avait encore eu lieu entre la garde bourgeoise et le peuple. Mais encouragée par ses succès de la matinée, et renforcée d'une multitude de pillards et de vagabonds, la populace se montra, vers le soir, disposée à se livrer à de nouveaux excès. Un rassemblement de ces brigands, dont l'objet avoué était l'anarchie et le pillage, se rua contre une patrouille, à la place Royale, et se serait probablement porté aux derniers excès, si le chef de la garde civique n'eût pas eu plus de présence d'esprit que les officiers des troupes royales. Formant à l'instant même sa petite troupe en bataille, il ordonna de repousser la force par la force, et un (page 263) feu bien dirigé ayant tué huit ou dix de ces misérables et blessé quelques autres, le reste se dispersa. Cette mesure prompte et inattendue produisit les meilleurs résultats ; elle abattit l'audace de la populace, donna de la confiance aux citoyens, et c'est à cet acte de fermeté que l'on dut sans aucun doute la tranquillité qui le suivit. Si la force publique eût reculé, si elle n'eût pas obtenu un avantage décidé sur la populace, la sûreté des propriétés et des personnes était gravement compromise.
Le bruit étant généralement répandu en ville que les renforts attendus avançaient rapidement, et que le général avait l'intention de tâcher de rétablir l'autorité militaire, de désarmer les citoyens, et de déclarer la ville en état de siége, la fermentation fut portée au plus haut point. Les chefs du peuple annonçaient ouvertement la résolution de s'opposer à l'entrée des troupes dans la cité. Les deux pièces de canon abandonnées par le général hollandais, furent prises par le peuple qui résolut d'élever des barricades et de déployer l'étendard de la révolte, à moins que la marche des renforts ne fût à l'instant contremandée. L'exaltation était telle que les autorités municipales et les notables crurent prudent d'envoyer une députation au général de Bylandt, pour l'engager à prévenir les malheurs auxquels donnerait lieu l'attaque de la ville par les troupes qui (page 264) arrivaient au secours de l'autorité militaire, et la députation déclara en même temps que ces troupes n'entreraient dans la capitale que par la force. Heureux d'avoir un prétexte de prévenir toute collision entre les soldats et le peuple, le général donna à la députation l'assurance que, pour obtempérer à sa demande, la marche des renforts serait immédiatement contremandée et que la garnison continuerait à rester passive spectatrice des événements, jusqu'au retour de la députation que les citoyens avaient envoyée à La Haye. D'un autre côté, les bourgeois s'engagèrent solennellement à respecter la neutralité à l'égard des soldats, et à maintenir la paix et la sécurité dans la ville. Deux proclamations furent le résultat de cette entrevue .
Le même soir, les citoyens les plus influents s'assemblèrent à l'hôtel-de-ville, où il fut unanimement résolu qu'une adresse au roi, à la fois ferme et respectueuse, exposant les griefs, serait rédigée et portée à La Haye, par cinq personnes choisies parmi les notabilités les plus influentes de chaque classe.
Le bruit de ces événements se répandit rapidement dans les provinces, où il produisit une fermentation extraordinaire. Tous les amis de (page 265) l'ordre voyaient avec dégoût les dévastations de la première nuit, et applaudissaient vivement aux mesures adoptées par les citoyens pour rétablir l'ordre et obtenir en même temps le redressement des griefs si généralement demandé. Mais excepté à Liége et à Verviers, où quelques branches d'industrie désiraient vivement une réunion à la France, il ne se manifestait aucune apparence de dissolution du lien dynastique ; et quoique tous les partis semblassent unis pour demander des concessions, nulle part on n'exprimait même le désir de voir la séparation des deux pays.
Anvers et Gand semblaient parfaitement tranquilles. Cette saison de l'année étant la plus favorable pour le commerce, dans la première de ces villes, la population était, en général, occupée, et les commandes faites par la société de commerce donnaient, dans la seconde, du travail à toutes les classes ouvrières. Quelques symptômes de désordre se manifestèrent à Louvain et à Mons, et dans quelques autres villes, mais sans prendre le caractère d'une révolte. Les troupes de ces différentes garnisons se tinrent prêtes à tout événement, et les gouverneurs des provinces firent des proclamations pour convoquer sous les armes la garde communale. On espérait que la députation envoyée à la Haye rapporterait une réponse favorable à l'adresse, ce qui aurait suffi pleinement pour ramener l'ordre, et rétablir l'action du (page 266) gouvernement en ôtant tout prétexte de mécontentements ultérieurs.
La terreur des familles anglaises qui se trouvaient à Bruxelles pendant les deux ou trois premiers jours est impossible à décrire. Ignorant l'état politique et, par conséquent, peu préparées aux scènes alarmantes du 25 et aux désordres qui les suivirent, les unes s'embarquaient à Anvers, d'autres gagnaient la France, et la plupart se croyaient à peine en sécurité, après avoir passé les frontières, ou atteint les paquebots d'Ostende ou de Rotterdam. Celles qui demeurèrent, s'armèrent ainsi que leurs domestiques, et montaient la garde, soit à la porte, soit à l'intérieur de leur demeure. Les rapports les plus effrayants passaient de bouche en bouche, et étaient rendus avec la plus incroyable exagération par les fugitifs ou par la correspondance de ceux qui demeuraient.
La situation désagréable de ceux qui n'avaient pu partir ou qui avaient eu le courage de demeurer était encore aggravée par le bruit des armes à feu qu'on entendait pendant la nuit, tirer sans raison ou dirigées contre les voleurs qui profitaient de l'occasion pour commettre des actes de déprédation. En outre, la conduite brutale de quelques-uns des bourgeois armés était une nouvelle cause de désagrément ; car, craignant le départ des étrangers, ils demandaient le paiement de leurs mémoires, à la pointe de l'épée, sachant pourtant bien (page 267) que la clôture des bureaux ne leur permettait pas de se procurer des fonds chez leurs banquiers.
A l'occasion des événements de juillet et d'août à Paris et à Bruxelles, on a discuté la question de savoir jusqu'où peuvent aller les gouvernements pour assurer le maintien des institutions existantes et l'exécution des lois. La condamnation du ministère Polignac paraît avoir résolu la question en faveur du peuple ; mais les plus ardents défenseurs de la liberté populaire admettent sans doute que le premier devoir de tout gouvernement est de réprimer la sédition et de prévenir les révoltes par l'emploi de tous les moyens de répression dont ils peuvent disposer. S'agit-il d'une révolte ? le seul agent qu'on puisse employer est la force. S'agit-il d'une révolution ? la question devient plus grave ; il faut alors plus de précautions et non moins d'énergie, car il n'est pas possible de tirer des conclusions de deux faits qui, produisant des résultats semblables, sont pourtant de tous points différents dans leur origine.
Un écrivain spirituel, en cherchant à défendre le ministère français d'avoir tiré sur le peuple, écrivait : « Que, selon tous les rapports, le premier mouvement populaire qui eut lieu à Paris, pour résister à l'exécution des ordonnances du 25 juillet, était l'œuvre d'individus qui n'avaient aucun pouvoir légal, et qui par conséquent ne pouvaient être regardés comme les représentants (page 268) légaux de l'opinion nationale. On ne comptait parmi eux, ni pairs, ni députés, ni juges, ni fonctionnaires administratifs ; jusqu'alors donc, le mouvement ne constituait qu'une révolte, et n'eût point été considéré autrement en Angleterre et en Amérique. Plus tard quelques députés tentèrent, il est vrai, d'entrer en négociations avec le maréchal Marmont, qui eût montré plus de prudence, s'il eût écouté leurs représentations ; mais il n'en est pas moins vrai qu'ils agissaient de leur propre mouvement, et que, les chambres n'étant pas légalement assemblées, ils n'avaient le droit de faire aucune remontrance. Les pairs, d'ailleurs, demeuraient silencieux, et les magistrats suivaient leur exemple ; le soulèvement était par conséquent dénué de toute forme légale, ou plutôt de toute constitutionnalité comme de toute rationalité. Le ministère pouvait donc le considérer comme une révolte, et ordonner de faire feu, non sur ce qu'on appelle le peuple, mais sur ceux qu'on désigne en Angleterre par un mot équivalent au terme français populace (mob). » (Trois lettres au duc de Broglie sut les prisonniers de Vincennes. Gand, 1830).
Ces raisonnements sont infiniment plus applicables aux événements du 25 août qu'à ceux de juillet ; car en admettant qu'il est aussi difficile de tracer une ligne de démarcation entre une (page 269) révolte faite par la populace et une révolution faite par le peuple, que de distinguer deux frères jumeaux à leur naissance, les caractères du mouvement de Paris différaient aussi essentiellement du soulèvement de Bruxelles, que peuvent le faire deux enfants de différents sexes et de différents parents. L'un apparut au monde comme un géant contre lequel toute opposition était un acte de lèse-nation ; il présenta, dès l'abord, tous les traits distinctifs d'une révolution, et se souleva directement et immédiatement non pour renverser un ministère ou pour le rappel de quelques décrets odieux, mais pour renverser une dynastie ; il fut essentiellement et universellement national et populaire ; son but était évident. Il fut exécuté par les classes moyennes, aux applaudissements des classes élevées. Excepté une partie de l'aristocratie du faubourg Saint-Germain et quelques chefs vendéens, qui dans la suite se rallièrent autour de la duchesse de Berry, il ne rencontra aucune opposition. Son triomphe fut aussi complet et aussi peu sanglant que celui de la révolution de 1668 en Angleterre, et réunissant tous les cœurs à l'intérieur, il excita les sympathies de toutes les âmes généreuses au dehors et obtint la ratification instantanée de tous les gouvernements étrangers.
La révolution belge, au contraire, commença par des émeutes sans caractère national ; il est vrai que le cri A bas les Hollandais ! se faisait (page 270) entendre, et que les armes et les emblèmes de la maison d'Orange furent abattus ; mais leur cri de guerre de la première journée était Vive la France ! les trois couleurs françaises, et non celles du Brabant, étaient le signal de ralliement, et les premiers désordres étaient de nature à nuire à la cause de la liberté et à flétrir le caractère national, autant que la conduite atroce des incendiaires de Bristol pouvait flétrir le caractère anglais. Excepté le renvoi de M. Van Maanen et la destruction des presses du National, la foule n'avait aucun but déterminé ; dans le premier moment, cette révolution fut déplorée au dedans et blâmée au dehors ; l'avenir était couvert d'un voile ; elle obéit au hasard et à la force des événements plutôt qu'aux combinaisons d'une saine politique ; et quand un illustre diplomate répondit que la question belge se terminerait par hasard, il montra par cette réponse une connaissance plus approfondie du sujet que ces mots ne semblaient l'indiquer.
Si les troupes, ou plutôt les généraux qui les commandaient, eussent fait leur devoir dans ce premier moment, si le roi et ses fils, en se hâtant d'arriver dans la capitale, eussent fait les concessions qu'exigeaient le bon sens et une saine politique, il est plus que probable que la révolte n'eût jamais pris un caractère sérieux. Helvétius dit : « L'homme le plus évidemment traître envers la (page 271) monarchie est celui qui donne à son roi le conseil de faire peser son autorité trop rudement sur son peuple. » Cette maxime est essentiellement applicable aux conseillers du roi Guillaume dans les jours qui ont précédé la révolution. Mais si jamais l'occasion de traiter la révolte comme une révolte et non comme une révolution, et de faire peser toute la force des lois sur la populace, exista, ce fut pendant la nuit du 25 août.
« Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus inciderit. »
Mais quand le Dieu apparaît ce ne doit être que dans toute la force de sa majesté offensée. En Angleterre, où ces révoltes sont si fréquentes qu'elles deviennent des événements ordinaires, quelques carreaux brisés par ce peuple calment plus tôt son effervescence que les mesures violentes qu'on pourrait prendre contre lui. La police, dans la plupart de ces occasions, arrive trop tard ; la troupe se prépare à marcher, quelques vitres sont cassées et la paroisse paie les frais ; mais si le tapage prend des caractères plus sérieux, la loi contre les attroupements (the riot act) est lue, les perturbateurs mis hors la loi, la police et les soldats font leur devoir, avec une fermeté inébranlable, et s'il en résulte des malheurs, pas un homme raisonnable, ne les déplore ni ne blâme l'autorité publique. Une enquête est faite ; une investigation solennelle, impartiale et minutieuse a lieu ; et un jury (page 272) composé de citoyens acquitte honorablement le gouvernement et ses agents dans les neuf dixièmes des cas. Tel eût probablement été l'issue des événements du 25 août, si le général de Bylandt et la régence eussent fait leur devoir.
La mollesse des autorités, jointe à quelques autres coïncidences, a fait penser que si le mouvement du 25 ne fut pas provoqué par le gouvernement, il ne lui était pas au moins désagréable, et qu'au lieu de l'empêcher par des mesures préventives, il le considérait comme une heureuse anticipation d'une explosion inévitable qui lui fournissait l'occasion d'abattre l'hydre révolutionnaire, avant qu'elle n'ait atteint un degré de force capable de la rendre plus dangereuse. Il est difficile d'admettre l'existence d'une politique aussi machiavélique ; car il est impossible d'imaginer que des hommes capables de concevoir un plan aussi criminel eussent indirectement poussé le peuple au mouvement sans être suffisamment préparés pour le repousser au moment convenable et recueillir les fruits de leurs combinaisons, en l'anéantissant tout d'un coup.
Quoi qu'il en soit de ces soupçons, un mystère impénétrable enveloppe toute cette affaire, et il n'existe aucun document qui puisse l'éclairer. Les soupçons sont fondés sur une ou deux circonstances accessoires et non sur des témoignages directs ; une de ces circonstances repose sur le (page 273) silence absolu garde par deux des généraux, Wauthier et Aberson, dont la conduite fut flétrie dans les termes les plus sensibles à un homme d'honneur, tandis que le général de Bylandt borna sa défense à la publication d'une ou deux brochures écrites en hollandais (Verhaal van het oproer te Brussel op den 25 augustus 1830, St.-Gravehaege, 1830). Ce qui aggrava les soupçons, ce fut la conduite singulière du gouvernement qui ne fit point passer ces trois généraux devant un conseil de guerre, et se priva ainsi du seul moyen qu'il eût de prouver à toute l'Europe, que si ces généraux avaient manqué à leur devoir, le ministère avait fait le sien. Ce qui est d'autant plus extraordinaire qu'il paraît, par la dépêche suivante du ministre de la guerre au général de Bylandt, que ce dernier avait exprimé le désir d'avoir une occasion de se justifier.
« A La Haye, 22 décembre 1830.
« D'après les ordres du roi, j'ai l'honneur de vous informer, en réponse à vos deux lettres adressées l'une à S. M. et l'autre à moi, que S. M. pense qu'il est raisonnable que vous désiriez vous justifier du blâme qui peut peser sur votre conduite, en votre qualité de commandant de la province du Brabant méridional, pendant la révolte de Bruxelles. Le moyen le plus régulier de (page 274) satisfaire ce désir est de vous présenter vous-même devant la haute-cour militaire, en conformité de l'article 52 des règlements provisoires de cette cour, pour vous justifier de ces accusations. Quant à la marche à observer dans ce procès, vous devrez, d'après l'article 75 de ladite instruction, suivre celle adoptée par l'ancienne cour de Hollande jusqu'en 1810.
« DE EEVENS. »
Quoique la lettre ci-dessus ait été insérée par ordre du ministre dans le Journal officiel, ni le général ni le gouvernement ne firent un pas de plus. Leur silence fut en conséquence considéré comme le résultat d'un accord fait entre eux, et donna lieu de penser que le général ne pouvait se justifier sans inculper l'autorité supérieure, et par conséquent sans démasquer l'accusation de machiavélisme qui pèse sur elle.
On a assuré, en dernier lieu, que M. Vanderfosse, gouverneur civil du Brabant, avait à plusieurs reprises averti les ministres de la fermentation dangereuse qui existait dans toute la province, qu'une crise était imminente et qu'il était de la plus haute importance d'éviter toute occasion de réveiller les passions et d'exciter des mouvements populaires, qu'il était important de tenir les troupes continuellement prêtes à agir, (page 275) et que s'il était impolitique de renforcer la garnison, il fallait au moins avertir le général Chassé et le duc de Saxe-Weimar, qui commandaient à Anvers et à Gand, de tenir prêt à tout événement un certain nombre de troupes sur lesquelles on pût compter.
Plus tard, par un zèle malentendu, il fit différer l'illumination préparée pour le jour anniversaire de la naissance du roi, en prétendant que les palais et les différents ministères étant voisins du Parc, il pouvait y avoir du danger pour ces édifices.
Il paraît que le seul des avis du gouverneur qu'on ait pris en considération est celui qui a rapport à cette illumination ; mais tous les amis de la couronne eurent lieu d'être surpris qu'au lieu d'éviter la représentation de la Muette de Portici, source d'émotions populaires, que l'on interdisait depuis plusieurs mois, il ait été expressément ordonné de la donner dans la soirée du 25.
Ce dernier fait donne certainement lieu à de grandes réflexions et est de nature à étonner. Mais ce ne sont là, néanmoins, que de vagues soupçons qui prouvent plutôt une politique incertaine et maladroite que des intentions malveillantes.