Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Histoire de la révolution belge de 1830
WHITE Charles - 1836

Charles WHITE, Histoire de la révolution belge de 1830. Livre II

(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr.)

CHAPITRE VII

Lord Ponsonby arrive à Bruxelles. - Difficulté de sa situation et de celle de M. Bresson. - Caractère et position des orangistes. - Manifeste du prince d'Orange. - Politique de la Grande-Bretagne. - Discours de lord Aberdeen sur la question belge. - MM. Van de Weyer et Vilain XIIII sont envoyés en Angleterre. - Ils reviennent après avoir adressé un manifeste énergique à la conférence.-— Protocoles n° 11 et 12. - Le cabinet français refuse de les ratifier. - Embarras créés parla conduite du comte M. Sébastiani. - Les Belges rejettent les protocoles des 20 et 27 janvier. - Injustice du dernier de ces documents en ce qui regarde la Belgique. - Protocole du 19 février. - La France adhère à ce protocole. - Considérations générales sur l'état de la diplomatie. - Rappel de M. Bresson.

(page 206) Le changement de l'administration en Angleterre, sans apporter aucune modification apparente ou immédiate dans la politique étrangère de la Grande-Bretagne, produisit un effet moral sur le continent essentiellement favorable au (page 207) maintien de la tranquillité générale, et dans aucun autre pays plus qu'en Belgique, qui était devenu le point d'où dépendait plus particulièrement la paix ou la guerre. Partageant les préjugés des Français contre le duc de Wellington, préjugés qui ont en grande partie leur origine dans l'immortel triomphe de ce grand capitaine, la Belgique se réjouit de sa retraite ; et, par dessus tout, de celle de lord Aberdeen, qu'elle regardait comme un partisan aveugle du gouvernement des Pays-Bas, et comme essentiellement hostile à la propagation des principes libéraux à l'extérieur, autant qu'il était opposé à la réforme à l'intérieur. Les Belges se montrèrent plus disposés à entrer dans des voies de modération et de négociation, quand ils reconnurent que l'exclusion des Nassau, au lieu d'amener des résultats défavorables, leur avait été avantageuse.

La conférence, au lieu de rompre toute relation diplomatique, redoubla d'efforts, et presque immédiatement envoya lord Ponsonby pour remplacer M. Cartwright, qui fut accrédité près de la diète germanique, en récompense du zèle qu'il avait apporté à remplir ses instructions à Bruxelles ; et certainement si les efforts les plus constants pour maintenir avec son collègue le bon accord si nécessaire au succès de leur mission méritait une récompense, personne n'y avait plus de droit que M. Cartwright. Ce ne fut pas une (page 208) des anomalies les moins extraordinaires de cette période, que de voir deux diplomates, l'un français et l'autre anglais, demeurant sous le même toit, obéissant aux mêmes instructions, et combinant leurs efforts pour le maintien de la paix ; et cela sur la même arène où leurs compatriotes ne s'étaient jamais rencontrés que pour se combattre, le cœur plein de cette rancune mortelle qui anime d'implacables rivaux.

La nomination de lord Ponsonby, qui devait être accompagné de M. Abercromby, fut connue à Bruxelles le 5 décembre, et fut accueillie avec une satisfaction générale. Ses antécédents libéraux, son rang de pair d'Angleterre, ses rapports avec lord Grey furent regardés comme d'un heureux augure avant son arrivée ; tandis que son abord prévenant, son port noble et majestueux, son calme et l'affabilité de ses manières produisirent le meilleur effet, lorsqu'il fut présenté aux membres du gouvernement provisoire, et aux autres personnes influentes. Il était heureux qu'il possédât ces avantages joints à beaucoup d'autres ; car les annales de la diplomatie fournissent à peine un exemple d'une position plus délicate et offrant des difficultés plus grandes que celle dans laquelle les envoyés de la conférence étaient placés à Bruxelles. Tel était au moins le point de vue sous lequel cette mission était regardée par le prince de Talleyrand et lord (page 209) Palmerston, excellents juges de ses complications inextricables.

Quoique poursuivant en apparence le même but, et agissant par la même impulsion, lord Ponsonby et M. Bresson servaient deux maîtres différents et, par conséquent, avaient fréquemment à remplir des devoirs d'une nature assez opposée l'une à l'autre, pour exiger un tact parfait, un calme et une discrétion, capables de prévenir tout malentendu, soit entre eux, soit entre leurs gouvernements. D'un côté, l'envoyé français avait à réconcilier les intérêts de la France avec ceux de l'Europe, et à imposer les injonctions ouvertement faites par la conférence, sans exciter la susceptibilité fébrile du peuple français, ou agir en opposition avec le désir secret du cabinet de Louis-Philippe. Il devait s'unir à l'envoyé britannique pour suivre les instructions qu'ils recevaient en commun de Londres, et toutefois se séparer de son collègue, pour obéir aux ordres contraires qu'il recevait directement de Paris. Il avait à obéir au prince de Talleyrand, sans contrarier le général Sébastiani ; et pourtant, les vues du ministre des affaires étrangères français étaient souvent contraires à celles du Nestor de la diplomatie (Note de bas de page : Le refus du comte M. Sébastiani de ratifier la signature du prince de Talleyrand, apposée au 12e protocole, est une preuve évidente de ce fait). Il avait de plus à sacrifier ses préjugés (page 210) et ses vues pour l'agrandissement de la France, et à se garder contre les séductions et les tentations qui l'assiégeaient sans cesse. Car, tandis que les orangistes n'épargnaient aucun soin pour circonvenir et induire son collègue en erreur, le parti du mouvement et les réunionistes ne désiraient pas moins ardemment d'amener M. Bresson à adopter leurs vues. D'un autre côté, lord Ponsonby, enchaîné par des instructions précises, devait combattre l'influence prédominante de la France, tout en soutenant son collègue français ; il devait prévenir les machinations du parti du mouvement, sans cesser de défendre les principes libéraux ; il avait à neutraliser les efforts du vote d'exclusion, en tâchant de ramener la voix populaire en faveur d'un membre de la dynastie répudiée, tout en évitant une démarche qui pût exciter les passions du peuple belge ; il avait à concilier les intérêts des puissances du Nord, sans blesser ceux de la France, et à se rendre cette dernière favorable, sans porter ombrage aux premières ; il avait à établir l'influence de l'Angleterre, là où tous les sentiments étaient anti-britanniques, et ramener la tranquillité par les moyens les plus propres à exciter la guerre civile, c'est-à-dire, en tâchant d'amener la sympathie de la nation en faveur d'une branche de la maison de Nassau, et cela contre les efforts secrets de la France, en dépit de l'opposition ouverte de la grande masse (page 211) des Belges, et, ce qui est plus extraordinaire, en dépit des déclarations positives du roi des Pays-Bas, qui, au lieu d'être disposé à soutenir ou reconnaître son fils comme souverain, ne se faisait pas scrupule d'assurer « qu'il aimerait mieux voir de Potier sur le trône belge, que le prince d'Orange. » La tâche imposée à lord Ponsonby était gigantesque, et, en ce qui concerne le prince d'Orange, tout à fait impraticable ; fait qui ne fut malheureusement reconnu que lorsque l'on eût perdu un temps précieux, pour faire réussir ces projets chimériques.

Sans prétendre tirer le voile qui enveloppe la politique des grandes puissances, ou expliquer les motifs qui déterminèrent leur manière d'agir dans ces conjonctures, quelques mots sont nécessaires pour faire connaître le véritable état de la question, dans ses rapports généraux avec le prince d'Orange. Ces développements sont surtout essentiels en ce qui concerne l'Angleterre ; car la conduite et les intentions du cabinet britannique ont été complètement méconnus. Les calomnies les plus basses et les moins croyables ont été répandues contre ceux dont la seule faute est d'avoir fidèlement exécuté les ordres de leurs gouvernements, et peut-être d'avoir trop longtemps ajouté foi aux assurances d'un parti qui, pour servir ses vues, ne se faisait pas scrupule de plonger son pays et l'Europe dans une guerre sanglante et (page 212) interminable. Ces accusations provenaient de deux sources, qui, quoique tout à fait contraires, semblaient se rapprocher, quand il s'agissait de calomnier et de tromper. L'une était le parti des orangistes qui désiraient jeter tout l'odieux de leur défaut de talent, de courage et d'unité sur ceux qu'ils avaient trop longtemps réussi à tromper ; l'autre était le parti du mouvement, plein de rancune contre ceux qui s'opposaient à ses efforts pour amener l'anarchie.

Que ce fût le plus grand désir de la Grande-Bretagne et des autres puissances du Nord, de voir le prince d'Orange appelé au trône de la Belgique, c'est-à-dire, autant que cela pouvait s'effectuer sans troubler l'harmonie qui existait entre la France et les autres cabinets, et sans produire en Belgique quelque violente convulsion qui aurait pu amener des scènes de sang et d'anarchie ; que des instructions à cet effet aient été données aux envoyés britanniques, c'est ce que l'on ne révoquera pas en doute, car l'élection pacifique du prince d'Orange eût été accueillie avec une satisfaction générale, et eût été suivie de la reconnaissance immédiate de tous les souverains de l'Europe. Mais dans les circonstances existantes, et plus spécialement dans le cercle limité dans lequel chaque puissance voyait sa coopération renfermée, cette tentative était chimérique.

(page 213) En premier lieu, quoique la France ne s'opposât pas ouvertement à ce plan, elle était essentiellement contraire au retour de la dynastie déposée, non seulement parce que c'était un exemple dangereux pour ses carlistes, mais parce qu'elle formait des espérances relativement à la Belgique ; c'est-à-dire qu'elle espérait que l'Angleterre pourrait être amenée à permettre un partage. Ensuite désireuse, comme la Grande-Bretagne pouvait l'avoir été, de voir le succès du prince d'Orange, elle était déterminée à borner ses bons offices à une intercession semi-officielle, et de refuser toute autre assistance ou intervention, soit en donnant des subsides, soit même par des remontrances officielles ; système qu'elle suivit strictement, depuis le commencement jusqu'à la fin. Enfin, quoique les autres puissances aient peut-être fourni quelques secours pécuniaires particuliers, elles étaient également résolues à éviter toute intervention ouverte et à laisser le succès de la cause du prince à sa propre énergie et aux efforts de ses partisans. En outre, l'explosion de la révolution polonaise, qui arriva le 29 de novembre, événement dont la nouvelle parvint à Saint-Pétersbourg avant celle de l'exclusion des Nassau, empêcha l'empereur de donner la moindre assistance à son beau-frère ; en sorte que l'immense influence que cette exclusion devait avoir sur les négociations ne tarda (page 214) pas à perdre tout son effet. Les Belges ne manquèrent pas de profiter de cette réunion favorable de circonstances qui neutralisèrent si complètement les intentions hostiles de leurs plus dangereux adversaires.

Les idées les plus erronées étaient répandues sur les forces et les ressources réelles de ce qu'on appelait le parti orangiste en Belgique. Le prince lui-même paraît avoir été trompé sur ce point jusqu'à ce moment, comme il le fut à Anvers, au commencement d'octobre. Soit ignorance, manque de sincérité ou fausse politique, les agents et les partisans de la famille déchue exagéraient constamment leur puissance, tandis qu'ils abaissaient celle de leurs ennemis. Ensuite, non seulement ils se berçaient eux-mêmes de ces fausses espérances, mais ils trompaient les autres sur leurs chances de succès ; de sorte que M. Cartwright quitta Bruxelles, sans connaître l'état réel des affaires, et lord Ponsonby fut à peine arrivé qu'on renouvela, pour l'induire en erreur, les efforts tentés avec succès auprès de son prédécesseur.

Il était extrêmement difficile d'arriver à connaître la vérité, et cela ne pouvait s'effectuer qu'à l'aide du temps. En premier lieu, presque toutes les personnes qui avaient accès auprès du commissaire britannique, affirmaient hardiment que les orangistes étaient si nombreux et si (page 215) puissants, que l'argent et l'attitude des grandes puissances suffiraient pour provoquer un mouvement général en faveur du prince, et pourtant ils ne pouvaient pas ignorer la conspiration formée contre la vie du prince ; ils devaient savoir que des préparatifs avaient été faits dans plusieurs grandes villes des provinces pour arborer les couleurs françaises, si quelque tentative était faite de la part de la conférence pour leur imposer le prince d'Orange. L'armée, la haute aristocratie héréditaire et commerciale, ainsi que la garde bourgeoise étaient, disait-on, dévouées à cette cause. Mais quand le moment de l'action arriva, à peine un seul officier ou soldat voulut-il faire un mouvement, à l'exception du baron Van der Smissen qui avait été élevé du rang de major à celui de général par la révolution, qui, le premier, avait abandonné le roi, et qui alors déserta son pays avec trois ou quatre autres, après avoir stipulé la confirmation de leur rang ou obtenu des promesses d'un avancement ultérieur. Les aristocrates, quoique très attachés au prince, n'étaient pas disposés à hasarder leur vie et leur fortune, et la garde bourgeoise avait aussi peu de tendance à entrer un collision avec le peuple que lorsque le prince Frédéric compta sur son appui au mois de septembre.

On assurait confidentiellement que, malgré le décret récent du congrès, le prince avait un (page 216) fort parti dans la chambre, dont le désir et la volonté étaient de proposer le rappel du décret d'exclusion ; quand, dans le fait, aucun député orangiste, à l'exception du vénérable Maclagan, d'Ostende, n'eut le courage d'exprimer ses sentiments, et beaucoup moins encore de soutenir une mesure qui aurait attiré la proscription et le pillage sur la généralité. Aussi le marquis de Trazegnies et les autres orangistes influents, au lieu de montrer quelque disposition à soutenir la cause du prince, se retirèrent du congrès et bornèrent leur assistance à rêver des conspirations avortées et à discuter inutilement dans leurs salons, où, à vrai dire, ils n'épargnaient pas leurs malédictions contre la révolution, exprimant leur attachement au prince, dans des discours virulents qui n'avaient aucun retentissement au dehors. Ils vouaient une fidélité éternelle aux Nassau ; toutefois plusieurs d'entre eux auraient préféré la réunion à la France qui, dans leur espoir, leur aurait rendu, non le prince, mais les places qu'ils avaient occupées jadis à cette cour. Ils faisaient des appels pour des subsides ; mais aucun n'était disposé à y contribuer de sa fortune. Ils parlaient, avec détermination,, de sang versé pour la bonne cause, mais aucun n'eût voulu répandre une goutte du sien. Ils faisaient l'éloge de l'empereur de Russie, parce qu'il avait porté la proscription et la mort (page 217) au cœur de la malheureuse Pologne, et ils faisaient des vœux parricides pour que de semblables calamités vinssent tomber sur leur propre pays. Peu leur importait qu'elles fussent amenées par des Kalmouks ou par des Hollandais. Dans leur cercle étroit, ils maudissaient le gouvernement anglais et son agent, parce que l'un était parvenu à découvrir la fausseté de leurs assertions, et que l'autre ne voulait pas se laisser entraîner, avec toute l'Europe, dans une guerre, pour soutenir un système de politique, que les principes de la raison avaient démontré être incompatible avec les intérêts de la Grande-Bretagne.

Liége, Gand et Anvers étaient, suivant des rapports également faux, présentés comme prêts à proclamer le fils de leur ex-roi, et toutefois la seule preuve qu'on pouvait apporter de l'intention où étaient ces villes de fournir une coopération active, consistait en quelques pétitions insignifiantes où les plans d'opérations et les demandes d'argent ne manquaient pas. Mais les plans étaient conçus sans égard aux faits locaux et aux circonstances générales, et les fonds qu'on accorda alors furent prodigués à des hommes d'un caractère équivoque, sans fortune, et qui n'avaient d'autre influence, d'autre puissance sur le peuple que celles que donne le courage ; et même parmi ceux-ci, le lieutenant-colonel Grégoire fut le seul qui prouva qu'il était prêt à payer de sa personne, (page 218) pour l'argent qu'il avait reçu ; en outre, il n'existait ni unité, ni force, ni prudence, ni véritable dévouement. Ils étaient tous prêts à pousser les autres en avant. Aucun, sans en excepter un seul, ne voulut s'exposer lui-même. Tous désiraient profondément des résultats heureux, mais bien peu étaient disposes à courir des chances douteuses.

D'un autre côté, tandis que la presse redoublait d'hostilités contre la dynastie déchue, l'association nationale, active, énergique et obstinée, avait obtenu une telle influence sur le peuple que, par un signe, elle pouvait réduire en cendres la demeure de quiconque était suspecté d'orangisme ; et même le caractère sacré de l'envoyé de la Grande-Bretagne ne put pas sauver son habitation des outrages de la populace, ni protéger ceux qui étaient en relations immédiates avec lui contre des visites domiciliaires et la saisie de leurs papiers.

Si le parti orangiste manquait de tout ce qui était nécessaire au succès d'une entreprise aussi difficile que celle de restaurer une branche de cette famille, il existait des défauts non moins frappants dans les conseils et la conduite du prince lui-même. Son départ pour l'Angleterre fut essentiellement maladroit. S'il avait jugé prudent de quitter la Hollande, et de se détacher ainsi de tout contact apparent avec le cabinet de son père, il (page 219) n'y avait aucune résidence qu'il ne dût préférer à celle de Londres ; il n'en était pas de plus convenable que la France, ou les provinces rhénanes. S'il s'attendait à être rejoint par l'armée de la Meuse, avec laquelle il avait certainement établi des relations partielles, il devait se décider pour les provinces rhénanes, et de là se portant hardiment dans la province du Limbourg, essayer l'effet de sa présence sur le peuple. S'il comptait sur un mouvement en sa faveur à Gand, il devait choisir Paris ou Lille, d'où il pouvait promptement se montrer dans les Flandres, et quoique sa vie eût été en péril, il mettait ainsi à l'épreuve ceux qui faisaient profession de leur attachement pour lui, et pouvait espérer de les entraîner par son exemple. Dans les deux cas il était à portée de profiter des circonstances, et en position de stimuler les efforts qui seraient faits en sa faveur. Son voisinage facilitait les communications, et aurait encouragé ses partisans. Son manifeste du 11 janvier 1831, manifeste qui produisit des résultats contraires à ceux qu'attendaient ses partisans, eût été plus efficace, s'il eût été daté de toute autre ville que de Londres. Car les Belges étaient si jaloux de l'influence britannique, qu'ils se déterminèrent à envoyer une députation à Paris, pour consulter le roi des Français, sur le choix d'un chef de l'Etat, tout en déclinant hautement toute (page 220) communication avec le gouvernement anglais sur le même sujet.

En s'établissant en France, le prince aurait eu l'air d'être appuyé par ce pays, et non d'agir sous l'influence de la conférence, ou plutôt du duc de Wellington, opinion qui, augmentant la méfiance de ses antagonistes, lui était très désavantageuse ; et surtout il eût évité le reproche de perdre son temps, dans l'insouciance et les plaisirs, tandis que le grand procès de la monarchie était pendant ; et il n'eût pas attiré sur lui l'accusation de se livrer à des amusements frivoles, tandis que ses partisans, faute d'un chef et d'un point de ralliement, étaient abandonnés à leurs propres forces, et livrés à des chances de mort et de proscription.

Toutefois, en ce qui concerne la Grande-Bretagne, la question est fort simple ; en effet, dans cette circonstance, comme dans toutes les occasions qui se présentèrent pendant les différentes périodes de la négociation hollando-belge, le cabinet anglais et ses envoyés agirent avec rectitude et franchise envers toutes les parties. Les sympathies de l'Angleterre pour le prince d'Orange n'étaient pas un mystère ; lord Grey les proclama dans la chambre des lords. Mais ces sympathies ne tendaient pas aveuglément à servir le prince ; elles (page 221) avaient aussi pour objet le maintien de la bonne harmonie entre toutes les grandes puissances, et sans blesser la volonté nationale en Belgique. Aussi longtemps que les orangistes réussirent à tromper le gouvernement anglais, en lui faisant croire que le prince d'Orange, à peine assis sur le trône où l'appelait l'immense majorité de la nation, non seulement éteindrait immédiatement le feu de la guerre civile, mais encore présenterait des gages de stabilité pour l'avenir ; aussi longtemps qu'il en fut ainsi, le gouvernement fut porté à encourager ce projet. Mais jamais il n'entra dans la pensée de ce cabinet d'imposer à la Belgique l'objet de sa prédilection ou de le lui offrir comme une pomme de discorde ; encore moins voulait-il telle combinaison qui aurait jeté la Belgique dans les bras de la France, et engendré ainsi cette guerre générale, que l'Angleterre était résolue à éviter, en sacrifiant les principes politiques suivis si longtemps par ses hommes d'Etat, en sacrifiant les plus chères affections de la couronne, comme, les sympathies de l'immense majorité du peuple et surtout de l'armée et de la marine. Les liens politiques pouvait être rompus, et il était nécessaire qu'un système nouveau prévalût à la longue sur des doctrines anciennes et ruineuses qui n'avaient tant ajouté à la gloire de l'Angleterre qu'en dépouillant le peuple. Mais il n'était pas aussi facile de mettre de côté les (page 222) sympathies personnelles. Aussi l'abandon de la cause du prince d'Orange affligea-t-il, en Angleterre, un grand nombre de personnes ; et cet abandon, quoique résultant d'un devoir impérieux, n'en était pas moins affligeant. La Grande-Bretagne avait à choisir entre le prince avec la guerre générale, ou la continuation de la paix sans lui. Si cette alternative avait été soumise au vote du parlement anglais, il est probable que la question eût été résolue à l'unanimité.

Rien ne prouve mieux la sagesse éclairée de la politique étrangère de lord Grey, et l'habileté avec laquelle lord Palmerston conduisit ces négociations si difficiles, que leur succès devant les chambres dans les questions relatives au royaume des Pays-Bas ; succès d'autant plus remarquable qu'il fut obtenu par une forte conviction sur de profondes sympathies et des préjugés de parti que l'opposition soutenait avec tant de talent. Lord Aberdeen lui-même fut contraint de reconnaître « l'indispensable nécessité d'une séparation administrative, » concession remarquable qui tendait implicitement a condamner le traité de Vienne, et à stigmatiser le gouvernement du roi des Pays-Bas. Car il est évident que la nécessité de cette séparation n'était due qu'au vice du traité et à la mauvaise politique du roi. L'union entre la Belgique et la Hollande n'aurait jamais dû être formée ; mais du moment qu'elle existait (page 223) il aurait fallu, pour la maintenir, que le roi suivît un système moins exclusivement hollandais, et se conformât davantage à l'esprit des traités, aussi Lien qu'aux intentions des grandes puissances.

L'animosité ou l'opposition des Belges, avant la révolution (et même au moment de l'entrée du prince d'Orange à Bruxelles), n'était guère antidynastique, de même que l'orangisme ne fut pas dynastique dans la période suivante. Dans ces deux cas, la dynastie ne fut qu'une question secondaire. Si elle ne s'était pas identifiée à des actes iniques d'oppression et de flagrante partialité, jamais elle ne se serait aliéné le cœur des Belges ; et de même si la Belgique rentrait dans les avantages commerciaux dont elle jouissait durant l'union des deux pays, il n'y aurait plus d'orangisme. Car, dans le fait, l'orangisme n'est guère qu'une question commerciale, une question d'intérêt, tout à fait distincte de la politique, du patriotisme et des sympathies personnelles ; c'est ce qui le distingue essentiellement du carlisme en France et en Espagne, et du miguélisme en Portugal. La conduite des légitimistes dans ces pays offre l'exemple d'une abnégation et d'un dévouement chevaleresque qui anoblissent leur cause ; mais en Belgique, il ne s'agit guère que d'orgueil aristocratique, de spéculation commerciale, de calculs dénués de dignité et de désintéressement. Bravant l'exil, la proscription, la confiscation et (page 224) la mort par attachement à leurs anciennes affections, les carlistes de France et de la Péninsule ont en quelque sorte des droits au respect même de leurs ennemis ; mais en Belgique, à peine est-il un seul exemple d'un orangiste qui ait fait un sacrifice volontaire ou se soit exposé au moindre danger pour soutenir l'objet avoué de ses affections (Note de bas de page : Le baron Van der Smissen peut être cité, comme une exception à cette remarque ; mais même il pouvait rentrer avec impunité et voulait, selon toute probabilité, être replacé dans son rang. Borremans peut aussi être cité ; mais il fut bientôt mis en liberté, et reprit dans la société la position dans laquelle la révolution l'avait trouvé et de laquelle ni ses talents ni ses antécédents ne l'appelaient à sortir).

Quand lord Aberdeen, dans son mémorable discours du 22 janvier 1832, accusa lord Grey d'être le seul auteur de l'indépendance de la Belgique, il fut, en quelque sorte, injuste envers lui-même ; car d'abord, les deux premiers protocoles furent ratifiés par lui, environ un mois après que la Belgique eut proclamé son indépendance. En second lieu, il est évident que ces protocoles furent le fondement sur lequel furent basées toutes les négociations subséquentes, non pour une séparation indispensable, car c'était déjà un fait consommé, mais pour la consolidation de la nationalité belge. Ce fut lord Aberdeen qui, le (page 225) premier, envoya un chargé d'affaires anglais, pour négocier avec le gouvernement belge existant, non en le considérant comme formé de sujets révoltés, mais comme représentant une nation indépendante. Il admit implicitement, sinon directement, le droit qu'ils avaient de signer des conventions, en traitant avec eux, comme avec une puissance égale à la Hollande. Il est vrai que cette démarche fut faite dans le dessein de sauver cette dernière des dangers qui la menaçaient, et, ce qui est plus louable encore, avec l'intention d'éviter les calamités de la guerre. Lord Aberdeen était si désireux d'accomplir cet objet important, qu'il signa même le 2e protocole, le lendemain du jour où il quitta le portefeuille, anomalie qu'il rappela dans un de ses discours dans les termes suivants : « Le premier devoir de la conférence était de tâcher de rétablir la paix, en amenant une cessation d'hostilités entre la Hollande et ses provinces révoltées ; le deuxième point dont le gouvernement devait s'occuper était de signer un protocole à cet effet. Je l'ai, en conséquence, signé le lendemain du jour où j'ai quitté le portefeuille, démarche à laquelle je me suis décidé, par mon extrême désir d'arranger cette affaire. » Mais l'intention ne peut se déduire des conséquences, et lord Aberdeen ne doit pas regretter les résultats de sa conduite, à moins qu'il n'ait honte d'avoir largement contribué à sauver l'Angleterre et l'Europe d'une guerre sanglante. (page 226) Quoiqu'il n'entre pas dans nos intentions de priver lord Grey et ses collègues de l'honneur qui leur revient pour avoir complété une œuvre qui, selon l'opinion de tous les hommes d'Etat sans préventions de l'Europe, était essentielle au maintien de la paix, œuvre sans laquelle l'anarchie et la guerre générale étaient inévitables ; toutefois, quand la consolidation de l'indépendance de la Belgique (qui était le seul moyen d'amener ce résultat difficile) leur est reprochée, il est convenable que ceux qui mirent la première main à cette œuvre, prennent leur part de responsabilité de sa création ; lord Aberdeen construisit la route que suivit lord Grey.

Sans aucun doute, l'armistice préserva la Hollande de grands dangers ; mais, en même temps, il empêcha le casus fœderis de la part de la Prusse, et, de cette manière, prépara directement la voie à l'indépendance belge. L'opinion des vétérans les plus éclairés de la diplomatie, dont les noms se trouvent sur les protocoles, sous la sanction des rois et des hommes d'Etat les plus illustres et les plus éminents de l'Europe, le véritable esprit de ces protocoles, à travers lesquels perce un noble désir de paix, de conciliation et la politique la plus élevée, prouvent que si lord Grey fut l'auteur de l'indépendance belge, il fut ainsi le bienfaiteur non seulement de ce pays, mais de toute l'Europe. Car, l'indépendance de la (page 227) Belgique et la paix de l'Europe étaient corrélatives : l'une ne pouvait être refusée sans compromettre l'autre.

S'il eût été possible d'amener tout d'un coup la France dans la position où elle se trouvait immédiatement après la bataille de Waterloo, ou même si la Belgique eût été couverte de baïonnettes étrangères, comme elle le fut avant cette glorieuse bataille, la possibilité d'une politique différente eût été admissible. Le même pouvoir qui plaça le roi des Pays-Bas sur le trône des provinces-unies pouvait le maintenir à la tête des deux pays, dont la désunion était admise comme indispensable. Mais qu'un homme d'Etat, en Angleterre, pût avancer une théorie aussi dangereuse que celle de la possibilité de restaurer ou de continuer l'union dynastique, après les événements de Bruxelles et d'Anvers, c'est là une inconcevable erreur, démontrant une connaissance imparfaite de l'état réel de l'opinion publique en Belgique et en France. « C'était oublier que le refus de reconnaître l'indépendance de la Belgique, en présence des idées répandues alors, était le moyen d'entraîner l'occupation de ces provinces par la France, et de faire renaître une nouvelle guerre de vingt ans, dans laquelle l'Angleterre devait inévitablement être enveloppée » (Note de bas de page : Lettre à lord Aberdeen par Victor Delamarre. Pamphlet attribué à M. Van de Weyer et qui réfute habilement les arguments avancés par lord Aberdeen, dans son discours du 20 janvier 1832).

(page 228) L'exclusion des Nassau, comme nous l'avons déjà fait observer, fut suivie d'un redoublement d'efforts diplomatiques de la part de la conférence, qui ne tardèrent pas à être suivis de la résolution importante, développée dans le protocole du 20 décembre, n° 7, qui reconnaît franchement les vices du traité de Vienne, et la nécessité d'établir l'indépendance belge. En conséquence, le gouvernement provisoire fut invité à envoyer des commissaires à Londres, « munis de pleins pouvoirs, pour donner leur avis, expliquer et faciliter l'adoption définitive de nouveaux arrangements. » Par là, les Belges furent admis à prendre part aux négociations, et leurs agents, sans être ouvertement reconnus comme envoyés du gouvernement, étaient néanmoins placés indirectement sur le même pied, relativement à la conférence, que l'ambassadeur des Pays-Bas. Mais MM. Van de Weyer et H. Vilain XIIII (Note de bas de page : Le singulier titre de cette famille provient, dit-on, d'une demande faite par un de ses ancêtres qui fut anobli par Louis XIV, pour qu'il voulût lui permettre à lui et à ses descendants d'ajouter à leur nom le chiffre attaché à celui de ce monarque), qui furent chargés de cette mission, ayant reçu des instructions pour réclamer la possession de toute (page 229) la rive gauche de l'Escaut, du Luxembourg (sauf ses relations avec la confédération germanique) et du Limbourg, y compris Maestricht, ces prétentions inadmissibles furent immédiatement rejetées par la conférence, et ces deux agents revinrent à Bruxelles, non cependant sans avoir adressé une note énergique à lord Ponsonby, touchant la libre navigation de l'Escaut, que le gouvernement néerlandais continua d'empêcher jusqu'à la fin de janvier. « La guerre est imminente (disait l'avant-dernier paragraphe de ce document). Si elle éclate, si les Etats voisins et les autres puissances de l'Europe en souffrent, la faute retombera sur le souverain qui aura provoqué une nation patiente et généreuse, mais trop fière pour souffrir que la déférence juste et raisonnable qu'elle a consentie à montrer aux souverains, qui lui ont offert leur médiation bienveillante, soit prise pour de la faiblesse. »

Indépendamment d'une quantité de notes, d'explications et de protestations, huit protocoles furent signés avant la fin de 1830. Cinq nouveaux furent produits pendant le mois de janvier 1831, desquels, ceux des 20 et 27 (n° 11 et 12) furent les plus remarquables. Le premier, qui peut être regardé comme la base sur laquelle tous les travaux subséquents furent fondés, contenait 7 articles, que les plénipotentiaires avaient adoptés comme les bases des limites territoriales qui (page 230) devaient séparer la Belgique de la Hollande, et qui, dans la suite, annonçaient l'intention d'ériger la Belgique en un Etat neutre à perpétuité. Le 2e était principalement destiné aux arrangements financiers ; et il y était proposé de donner a la Belgique les 16/31èmes de la totalité de la dette inscrite au grand-livre des Pays-Bas, et dont les intérêts, à 2 1/2 p. c., montaient à plus de 27,000,000, en considération de laquelle la Belgique était admise à des relations commerciales avec les colonies hollandaises, sur le même pied et avec les mêmes droits et privilèges que le peuple hollandais lui-même. Il était aussi décidé qu'Anvers continuerait à n'être qu'un port de commerce, comme cela avait été stipulé dans le 18e article du traité de Paris, et que la totalité des articles des 11e et 12e protocoles serait réunie en une catégorie formant une espèce de convention préliminaire, sous le titre de : « Base destinée (page 231) à établir l'indépendance et l'existence future de lu Belgique. »

Les deux derniers paragraphes de ce document important, sont trop remarquables pour être passés sous silence. Car ils fournissent la preuve convaincante des intentions honorables des cinq puissances et de leur résolution de sacrifier toute considération secondaire au maintien de la paix et de la tranquillité de l'Europe. «Voulant maintenir la paix générale (disaient les plénipotentiaires), persuadés que l'unanimité est sa seule garantie, et agissant avec un parfait désintéressement, relativement aux affaires belges, le principal objet des cinq grandes puissances a été de lui assigner (à la Belgique) une position inoffensive dans le système européen, et de lui offrir une existence qui puisse assurer la prospérité et la tranquillité des autres Etats ; elles n'ont pas hésité, en conséquence, à prendre sur elles le droit d'avancer ces principes, et sans préjuger les autres questions graves, sans rien décider relativement à la question de la souveraineté en Belgique, elles déclarent, de concert, que, dans leur opinion, le souverain de ce pays devra nécessairement répondre aux principes d'existence du nouvel Etat lui-même, garantir par sa position personnelle la tranquillité des autres Etats, accepter, en conséquence, les arrangements consignés dans le présent protocole, (page 232) et qui assure leur tranquille jouissance à la Belgique. »

Mais les intentions pacifiques de la conférence devaient être paralysées par deux incidents, résultant immédiatement de la promulgation des bases ci-dessus mentionnées. Les conditions, concernant spécialement les limites et la dette, excitèrent les plus vives clameurs en Belgique. Le 1er février, le congres protesta solennellement contre le 11e protocole ; et le comité diplomatique, représenté par le ministre des affaires étrangères, renvoya à lord Ponsonby le 12e et le l3e, accompagnés d'une note datée du 22 février, déclarant que ces documents étaient entachés d'une partialité non méritée, qu'ils constituaient une violation du principe de non-intervention, et déviaient complètement de celui de simple médiation qui était l'objet avoué de la conférence, et lui déniant en outre le droit d'arbitrage définitif. Cet acte démontrait l'esprit déterminé qui animait le gouvernement belge, sa vigilance et sa résolution de profiter du concours favorable de circonstances qui, si elles ne lui donnaient pas le pouvoir de dicter ses conditions, le mettaient à même, par la menace d'exciter une guerre générale, d'embarrasser la conférence et ainsi de faire changer une conclusion trop promptement proclamée par les grandes puissances.

Cette contrariété avait été précédée et était (page 233) peut-être causée par une autre circonstance que n'avaient pas prévu le prince de Talleyrand et ses collègues, et qui concourut à compliquer les négociations et à compromettre le bon accord qui existait antérieurement entre les grandes puissances. A la surprise de toute l'Europe, le cabinet français, qui avait adhéré au protocole du 20 janvier, refusa de ratifier celui du 27, annulant par là un acte de son plénipotentiaire et encourageant les Belges à renouveler leur opposition et à continuer un système de diplomatie exclusivement français ; il rendait la position des agents de la conférence à Bruxelles extrêmement difficile, et peut-être jetait les fondements de ce manque de cordialité qui exista entre eux dès cette époque jusqu'à l'élection du duc de Nemours ; mésintelligence qui ne peut pas être attribuée à un manque de discrétion ou de tact de la part de ces diplomates, mais à la nature contradictoire des instructions envoyées à M. Bresson, qui paraît avoir été la victime d'une mystification de la part de son propre gouvernement (Note de bas de page : Par une note datée du 11 janvier 1831, M. Bresson informa le comité diplomatique, dont le comte de Celles était président, que le roi et son gouvernement pensaient que l'élection du duc de Leuchtemberg jetterait la Belgique dans de grands embarras, que ce prince ne serait pas reconnu par les grandes puissances, et, « dans aucun cas, par la France. « Toutefois, le 16 du même mois, le comte Sébastiani déclara à la chambre des députés que la France, respectant les droits de la Belgique à élire son roi, « reconnaîtrait ce roi quel qu'il pût être. »)

(page 234) Cette résolution imprévue du cabinet français fut notifiée à M. Bresson par une dépêche du comte Sébastiani, datée du 1er février, laquelle, tandis qu'elle lui ordonnait de ne point concourir à présenter le protocole en question, contenait le mémorable passage, si justement critiqué et si souvent cité par la Hollande, quand le gouvernement français se permit, dans la suite, des actes d'intervention ouverte. « La conférence de Londres est une médiation, et il est dans les intentions du gouvernement du roi, de ne jamais permettre qu'elle perde ce caractère. »

En conséquence de cette communication, la tâche délicate de présenter le protocole du 27 retomba tout entière sur l'envoyé britannique et fit naître l'idée que le gouvernement français n'était pas sincère dans ses protestations de cordialité envers les autres puissances, et qu'il était porté à soutenir les prétentions extravagantes des Belges relativement à la rive gauche de l'Escaut et à Maastricht. Par une singulière coïncidence, et qui avait l'air d'être l'effet d'un calcul, la dépêche du comte Sébastiani arriva à Bruxelles, dans la matinée du jour de l'élection du duc de Nemours, où elle produisit beaucoup d'effet sur le public (page 235) et ajouta à l'illusion de ceux qui comptaient sur l'acceptation de ce prince. Heureusement, les embarras de la Russie et la parfaite union qui existait entre lord Palmerston et le prince de Talleyrand, le calme et l'habileté consommée qu'ils déployèrent et l'immense supériorité du prince de Talleyrand sur le comte M. Sébastiani, neutralisèrent les résultats fâcheux que ce procédé aurait pu entraîner, procédé plus inexplicable encore, depuis que la note du comte Sébastiani à l'envoyé belge à Paris, M. Lehon, en date du 15 avril suivant, vint le placer en contradiction directe avec lui-même en certifiant l'adhésion de la France au protocole du 20 janvier, et terminant par déclarer : « Qu'il pensait ne pouvoir donner une preuve plus convaincante de ses bons sentiments, qu'en conseillant aux Belges d'adhérer sans restriction et sans détour à ce document. » De semblables assurances d'adhésion au protocole du 27 furent adressées à la conférence, et officiellement reconnues par elle dans celui du 17 avril (protocole 21). En revenant ainsi sur ses pas, et en retirant ses objections, le cabinet français dissipa les nuages et la confusion qui, pendant quelque temps, enveloppait les négociations et menaçait des plus graves conséquences. Mais, en même temps cependant, ces incidents avaient procuré les plus grands avantages aux Belges. En retardant la marche des négociations, ils obligèrent les plénipotentiaires (page 236) à examiner avec plus de soin les questions territoriales et financières, et les mirent à même d'imaginer un système de compensation pour l'une et une division plus équitable à l'égard de l'autre.

Quelque peu fondées que puissent avoir été les objections des Belges contre l'esprit général et la teneur de ces protocoles, quelque chimérique que fût l'idée de placer un pays, situé comme la Belgique, dans un état perpétuel de neutralité, les réclamations contre le partage de la dette étaient indispensables. Il est vrai que ces conditions étaient adroitement déclarées de simples propositions ; mais il était impossible aux Belges de les admettre, sous quelque forme que ce fût ; ils ne pouvaient que les rejeter immédiatement. Aussi, la conférence fut bientôt obligée de reconnaître l'injustice qu'il y aurait à charger la Belgique d'une portion aussi grande que les 16/31e de l'intérêt de la dette générale, sans égard à la partie de cette dette qui avait été contractée avant l'union des deux pays. L'injustice d'un semblable arrangement doit être évidente pour les personnes même les plus prévenues, si elles considèrent que le maximum de la dette belge, avant 1815, connue sous le nom de dettes austro et gallo-belge, n'excédait pas 2,750,000 fl. d'intérêt annuel (Observations sur la pièce adressée à la conférence par les plénipotentiaires hollandais, relative à la dette. - Rapport du ministre des affaires étrangères. Bruxelles, 1831).; en prenant un partage égal dans la (page 237) moitié de la dette contractée pendant l'union, la totalité s'élève seulement à 4,847,572 fl., et, en y ajoutant la dette différée, à la somme de 5,800,000 fl. D'un autre côté, au moment de l'union des deux pays, en 1815, la Hollande était chargée d'une dette dont le capital montait à 575,000,000 fl. de dette active, et 1,150,000,000 fl. de dette différée. En conséquence, la juste répartition entre les obligations des deux nations et les créanciers de l'Etat, avant l'union, était dans la proportion de 43 à 2 (Note de bas de page : La dette contractée pendant l'union avec la France, montait à 2 millions de florins, celle austro-belge était de 756,000 florins d'intérêt annuel. Cette dernière, comme son nom l'indique, résultait de certains engagements pris par l'Autriche, quand elle possédait les Pays-Bas. En vertu d'une convention conclue entre l'empereur et le roi des Pays-Bas, datée du 11 octobre 1815, avec un article secret du 5 mars 1818, ce dernier prenait à sa charge ce qui avait été antérieurement supporté par la France, selon l'article 8 du traité de Lunéville). Le 28e protocole rectifia cette injustice ; mais en annonçant que les intérêts des diverses dettes contractées pendant l'union montaient à 10,000,000 fl., dont la moitié retomberait sur la Belgique, il proclamait un fait extrêmement remarquable, savoir : que le gouvernement des Pays-Bas, au lieu de pouvoir diminuer ses (page 238) obligations, pendant quinze ans d'une paix profonde et d'une apparente prospérité, les avait augmentées dans la proportion d'un dixième de la totalité de son budget, qui en 1830 s'élevait à environ 80,000,000 fl. avec un déficit de 5,000,000. Sans aller aussi loin que M. Nothomb, qui demande « si ce fait ne suffit pas pour justifier la révolution, » on peut dire qu'il prouve d'une manière évidente les vices du système financier du gouvernement des Pays-Bas, et démontre que le pays n'était pas dans cette condition florissante, que les étrangers supposent si généralement ; une augmentation de la dette, pendant la paix, est une anomalie d'économie politique, qui justifie les plus vifs mécontentements.

Cependant le cabinet hollandais, auquel ces propositions, surtout en ce qui regarde la dette, étaient éminemment avantageuses, adhéra pleinement au protocole, que rejetaient les Belges, par une note adressée à la conférence le 18 février ; fait important : car, sans reconnaître directement l'indépendance belge, sans renoncer à ses prétentions au trône, le roi des Pays-Bas admettait par ce fait, pleinement et entièrement, les principes de cette indépendance, de même que ceux de l’élection d'un nouveau souverain. M. Nothomb va encore plus loin sur ce point ; car il prétend que « le roi non seulement rétractait par là sa protestation contre le principe de l'indépendance de (page 239) la Belgique (les bases de séparation, selon le protocole du 20 janvier, n'ayant d'autre but que de compléter celui du 20 décembre), mais qu'il abdiquait implicitement la souveraineté de la Belgique ; car le protocole du 27 janvier admettait dans sa conclusion la possibilité de l'élection d'un nouveau souverain. » Cette conclusion découle certainement de la lettre même du protocole en question. Mais il ne s'ensuit pas de ce que le roi des Pays-Bas était prêt à admettre la théorie ou l'opinion de la conférence, sur la possibilité de l'élection d'un nouveau souverain, qu'il voulût la reconnaître comme un fait consommé, et renoncer par là, pour lui et sa famille, aux droits qu'il a défendus jusqu'à ce jour avec la plus inflexible ténacité. Chacun de ses actes subséquents a prouvé que l'admission d'un tel principe était loin de ses intentions. Aussi, a-t-il été accusé de risquer la paix de l'Europe, en sacrifiant toute autre cause à celle de sa famille, sans égard aux véritables intérêts et à la volonté du peuple hollandais. Sans doute, les hommes d'Etat de la Hollande, qui ont donné des preuves irréfragables de sagacité et d'habileté pendant tout le cours des négociations, et dont les relations avec la conférence sont, pour la plupart, des modèles de notes diplomatiques, n'étaient pas capables de se laisser surprendre la reconnaissance d'un principe contre lequel leur souverain (page 240) était déterminé à combattre unguibus et rostro (Telle fut l'expression littérale, employée par le roi des Pays-Bas, dans une conversation avec un diplomate étranger. « Je suis résolu (dit S. M.) de résister avec dents et ongles ; et, au pis-aller, ma famille et moi sommes préparés à suivre l'exemple de ce jeune héros, » en montrant un portrait de Van Speyck qui était dans son cabinet).

Les travaux de la conférence, pendant le mois de février, ne furent pas moins actifs que pendant le mois qui avait précédé, et furent encore plus compliqués par les embarras qui résultèrent de la note du comte Sébastiani, en date du 1er février. Heureusement pour l'indépendance de la Belgique et le repos de l'Europe, les conseils ou les préventions de ce ministre ne prévalurent pas longtemps dans le cabinet français. S'il en eût été autrement, l'antipathie qu'il montrait pour les uns, sentiment qu'il ne portait pas au roi des Pays-Bas, mais qui prenait naissance dans un désir immodéré d'agrandissement pour la France, aurait donné lieu à des conséquences qui eussent compromis la Belgique d'une manière fatale, et amené ces convulsions que les hommes d'Etat de l'Europe étaient si désireux d'éviter. Du 1er au 19 février, ces nouveaux protocoles furent rendus publics. Ceux du 1er et du 7 (n° 14 et 15), consacrèrent le principe que les cinq grandes (page 241) puissances étaient résolues à renoncer au trône de la Belgique, pour tout prince appartenant directement à leur dynastie respective. Le dernier de ces deux documents, stipulant expressément l'exclusion des ducs de Nemours et Leuchtemberg, fut renvoyé par les Belges, comme contraire à la décision du congrès. Quoique le protocole du 7 fût basé sur la déclaration du roi des Français, qui avait solennellement refusé la souveraineté pour son fils, M. Bresson refusa de participer à sa présentation, et laissa encore ainsi à lord Ponsonby le fardeau de l'accomplissement de cet acte, sans le concours de son collègue. Il survint alors entre ces deux envoyés un refroidissement, qui ne se termina qu'au rappel du premier. Une parfaite unité, sinon une parfaite cordialité, était si essentiellement nécessaire au maintien des relations amicales, que le rappel de l'un ou de l'autre de ces deux diplomates était indispensable. La justice guida la conférence dans son choix ; mais une mission à Berlin récompensa bientôt M. Bresson du talent qu'il avait déployé, aussi bien que des ennuis momentanés qu'il avait dû souffrir, en obéissant aux instructions contradictoires du chef de son département.

Le protocole du 19 février (n° 19), l'un des documents les plus intéressants que la conférence ait publiés, peut être considéré comme le symbole politique des grandes puissances, et le (page 242) sommaire de toutes les négociations qui avaient eu lieu jusqu'à cette époque. Un ou deux extraits méritent surtout d'être rapportés. Après avoir brièvement exprimé les motifs qui amenèrent l'union de la Belgique à la Hollande, et ce qui guida la conférence dans sa résolution de modifier les traités de Vienne et de Paris, il continue ainsi : « L'union de la Hollande et de la Belgique est tombée en pièces ; les communications officielles ont suffi pour convaincre les cinq puissances que les mesures destinées, dans l'origine, à la maintenir (l'union) ne peuvent la rétablir maintenant et la conserver dans l'avenir ; que, partant de là, au lieu d'amalgamer les affections et le bien-être des deux peuples, elles ne veulent qu'empêcher leurs passions et leur animosité d'entrer en collision et de causer une guerre et toutes les calamités qui naîtraient de leur choc.

« Il n'est pas du ressort des puissances de juger les causes qui ont amené la rupture des liens qu'elles avaient formés, mais quand elles voient ces liens brisés, il leur appartient encore de sauver l'objet qu'ils s'étaient proposé ; il leur appartient d'assurer, par de nouvelles combinaisons, la tranquillité de l'Europe, dont l'union entre la Belgique et la Hollande formait une des bases. Les puissances sont impérieusement requises de le faire comme elles en ont le droit ; et les événements leur imposent l'obligation d'empêcher (page 243) les provinces belges, maintenant devenues indépendantes, de mettre en danger la sécurité générale et l'équilibre de l'Europe. »

Après avoir fait allusion aux mesures qui ont été adoptées pour empêcher l'effusion du sang, et démontré aux Belges les obligations qu'ils ont envers l'Europe, obligations qui peuvent s'accorder avec leurs vœux pour la séparation et l'indépendance, il continue ainsi : « Chaque nation a ses droits particuliers ; mais l'Europe a aussi les siens, qu'elle tient de l'ordre social. La Belgique, étant devenue indépendante, a trouvé les traités qui gouvernent l'Europe déjà en vigueur ; elle doit, en conséquence, les respecter et non les enfreindre. En les respectant, elle conciliera les intérêts et le repos de la grande communauté des Etats européens ; si elle les enfreint, elle provoque l'anarchie et la guerre. Les puissances peuvent seules prévenir ces malheurs, et puisqu'elles le peuvent, elles le doivent. Il est de leur devoir d'établir ces maximes salutaires que, quoique les circonstances puissent donner lieu à la création d'un nouvel Etat en Europe, elles ne peuvent pas plus donner à cet Etat le droit d'altérer le système général, dans lequel il entre, que changer ce qui peut survenir dans la condition des anciens Etats, et l'autoriser à se considérer comme au dessus de ses engagements antérieurs. Cette maxime est celle de toutes les (page 244) nations civilisées, maxime à laquelle est attaché le même principe, en supposant que ces Etats survivent à leurs gouvernements, aussi bien que les obligations imprescriptibles des traités à remplir par ceux qui les ont contractés, maxime enfin qui ne peut être oubliée, sans faire reculer la civilisation, et dont la moralité et la bonne foi publique des deux parties sont heureusement les premières règles et les premières garanties.

« Comme, au reste (ajoutent les plénipotentiaires), la Belgique a obtenu tout ce qu'elle désire : sa séparation de la Hollande, l'indépendance, la sécurité extérieure, des garanties pour son territoire et sa neutralité, la libre navigation des rivières qui procurent des débouchés à ses produits, et la jouissance tranquille de ses libertés nationales ; tels sont les arrangements contre lesquels la protestation en question oppose l'intention publiquement avouée de ne respecter ni les possessions ni les droits des Etats voisins » (Allusion aux protestations du congrès et du comité diplomatique aux 11e, 12e et 13e protocoles).

Ce document mémorable, rempli des maximes de la politique la plus élevée et la plus éclairée, se terminait par sept articles renouvelant les arrangements déterminés par le protocole du 20 janvier, et le déclarant « fondamental et irrévocable ». Des circonstances cependant eurent (page 245) lieu qui rendirent nécessaires des modifications à ces arrangements, et, par une lettre du 17 mars, adressée au gouvernement français, les quatre puissances, en réponse aux objections de ce gouvernement, au 12e protocole et à certaines parties du 19e, déclarèrent « que le principe émis relativement au partage de la dette était que chaque pays supporterait une juste proportion de la dette créée avant et après l'union, mais qu'il n'était pas destiné à en fixer le montant exact, cette question devant être l'objet d'arrangements ultérieurs. »

Telle fut la marche générale des relations diplomatiques de la conférence pendant la première époque. L'examen de ces négociations diverses et contradictoires dans toutes leurs phases et ramifications, exigerait l'analyse de tous les protocoles. Nous devrons, en conséquence, nous renfermer dans l'examen des événements les plus saillants, qui vinrent donner une apparence de contradiction à tout ce qui avait précédé, en forçant la conférence à poursuivre ce qu'on pouvait appeler l'ouvrage de Pénélope, c'est-à-dire en détruisant par un acte les mêmes stipulations que, peu d'heures auparavant, ils avaient déclarées définitives et irrévocables.