(Paru à Bruxelles en 1981, aux éditions La Renaissance du Livre)
[Remarque : le texte qui suit ne fait pas l’objet, dans la version papier originale, d’un chapitre XVIII particulier mais est inséré à la fin du chapitre XVII]
(page 305) Le manuscrit des Souvenirs politiques se termine ici, mais l'auteur avait accumulé de nombreux documents se rapportant aux événements des années 1944 à 1951 et nous savons que son vif désir était de laisser son témoignage sur ces années cruciales pour notre histoire nationale. Elles virent, en effet, la libération de Bruxelles. puis de tout le pays, la fin de la guerre, la naissance puis le développement et enfin la solution de la douloureuse Question Royale dans le déroulement de laquelle le rôle de l'auteur fut loin d’être négligeable.
A l'aide de ces documents et de nombreux textes déjà tracés de sa main nous allons tenter de rappeler brièvement les événements de ces huit années - en faire l'historique complet n'entrerait pas dans le cadre de ces Souvenirs - et la part qu'y a prise le comte Carton de Wiart.
Rappelons que le 7 juin 1944, quelques heures à peine après l'annonce du débarquement allié, le Roi Léopold est forcé de quitter Laeken et, entouré d'une forte escorte, est déporté en Allemagne. Le 9 juin, la princesse Liliane et les princes royaux sont à leur tour conduits outre-Rhin.
Le 22 août, le comte Carton de Wiart et sa femme quittent Jevigné pour rentrer à Bruxelles. Ils s'y trouvent lors de la libération de la capitale le 3 septembre 1944.
Le ministre d'Etat est aussitôt en contact avec les personnalités belges qui reviennent d'Angleterre. Le jeudi 7 septembre, il rencontre le général Piron et le ministre Tschoffen. Le Gouvernement belge rentre à son tour et se pose immédiatement la question de la Régence puisque le Roi est prisonnier en Allemagne. Certaines personnalités préconisent une régence du prince Charles qui a échappé à la déportation en se cachant dans le maquis, d'autres souhaitent voir la reine Elisabeth, veuve du Roi-Chevalier et mère du souverain prisonnier. investie de la Régence.
Le vendredi 15 septembre. Henry Carton de Wiart est longuement reçu à Laeken par la Reine et par le prince Charles. Nous savons qu'en dépit de sa profonde admiration pour la Souveraine, le Ministre d'Etat voyait mal cette âme si artiste, si musicienne, confrontée avec les durs problèmes politiques du moment. Il pensait que le Prince serait plus à même de remplacer momentanément son frère à la tète de l'Etat puisqu'aussi bien la (page 306) très grande majorité des hommes politiques, le gouvernement tout le premier, ne mettaient pas en doute en ce début de septembre 1944 la reprise par Léopold III de ses prérogatives constitutionnelles, dès sa libération qui ne pouvait plus être lointaine.
L'entretien du 15 septembre à Laeken ne fut sans doute pas étranger au fait que le nom de la Reine ne fut plus avancé pour exercer les fonctions de régente.
Le 19 septembre, les Chambres sont appelées se prononcer sur celui d'un Régent. Le vote a lieu le lendemain. Au premier tour de scrutin, sur 270 votants le prince Charles obtint 169 voix mais il y eut 100 bulletins blancs et un nul, Les socialistes s'étaient abstenus en bloc.
Au deuxième tour de scrutin, 217 parlementaires se prononcent pour le Prince. Il y eut encore 45 votes blancs dont des socialistes aussi en vue que MM. Buset, Anseele et Cailly.
Ces scrutins, le premier surtout, témoignaient d'une froideur voire d'une hostilité certaine de la gauche socialiste à l'endroit de la Famille Royale. Le Gouvernement restait lui, cependant, officiellement loyal au Souverain. Le Premier ministre Pierlot déclarait, en effet, aux Chambres le 19 septembre : « Bientôt les Belges que la tourmente a jetés sur tous les rivages du monde prendront le chemin du retour. Nos prisonniers de guerre, nos prisonniers politiques, nos internés. nos déportés reviendront et avec eux, le Roi et les jeunes Princes, espoir de la Dynastie. Le chef de l'Etat reprendra l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles.
De son côté, dans son discours du 22 septembre devant le Parlement, le nouveau Régent disait : « Membre de la Dynastie, je suis, avec elle, au service de la Nation.
« C'est dans cet esprit que j'ai répondu à l'appel qui m'a été fait et que je reçois le dépôt provisoire de l'autorité constitutionnelle... Au moment d'assurer cette mission, ma pensée se porte vers le Roi. J'aspire à l'heure où nous le verrons, lui aussi libéré avec nos prisonniers, avec nos déportés, où nous le verrons reprendre les pouvoirs constitutionnels qui lui appartiennent... »
On sait aujourd'hui que peu après le retour du gouvernement, le Grand Maréchal de la Cour remit à M. Pierlot le texte du testament politique le Roi, pressentant qu'il pourrait ne pas être présent en Belgique au moment de la libération. avait rédigé le 25 25 janvier 1944. Avec une grande élévation de sentiment et un profond sens social le Souverain y parlait de l'indispensable entente entre Flamands et Wallons, de la nécessaire réorganisation (page 307) des réformes à accomplir dans le domaine de l'éducation, de l’armée, du maintien de l'ordre. Il soulignait la nécessité de sanctions contre les traîtres à la Belgique. Le message se terminait en exigeant une réparation solennelle contre les imputations de la plus haute gravité portées contre la conduite de l'armée et de son chef en 1940, imputations qui avaient causé à la Belgique « un préjudice incalculable et difficile à réparer », « le prestige de la couronne et l'honneur du pays s'opposent, écrivait le Souverain, à ce que les auteurs de ces discours exercent quelque autorité que ce soit en Belgique libérée aussi longtemps qu'ils n’auraient pas répudié leur erreur et fait réparation solennelle et entière. La Nation ne comprendrait ni n'admettrait que la Dynastie acceptât d'associer à son action des hommes qui lui ont infligé un affront auquel le monde a assisté avec stupeur. »
Cette amende honorable, cette réparation solennelle et entière, le gouvernement avait été disposé les faire en juin ou en juillet 1940 alors que, profondément découragé, doutant de la victoire finale, il se montrait prêts à négocier avec l'Allemagne victorieuse. S'étant ressaisi par la suite, ayant rendu à la Belgique par sa présence à Londres durant quatre ans de guerre, d'incontestables services, le gouvernement de septembre 1944 estimait qu'on ne pouvait plus les lui demander. Le Roi avait également, pensait-il, commis des erreurs ; un coup d'éponge général lui semblait seul acceptable. Tout le développement ultérieur de la question royale git dans ce divorce entre l'attitude du Roi en janvier 1944 et le sentiment de révolte du gouvernement de Londres lorsqu'il prit connaissance du testament politique.
L'existence du gouvernement Pierlot fut difficile après la libération. Le 25 novembre 1944, il y eut d'importantes manifestations communistes à Bruxelles. Le 29 novembre, le gouvernement obtenait le vote de pouvoirs extraordinaires.
« Sur ces entrefaites, note Henry Carton de Wiart, intervint vers la Noël de 1944, la contre offensive von Rundstedt dans les Ardennes. Ce brusque retour de flamme avec les graves inquiétudes qu'il provoque, les combats et les ruines nouvelles qu'il accumule en quelques jours remit en question plus d’un problème administratif qu'on croyait déjà en voie de solution et contraria le retour à la vie normale. Le ravitaillement en vivres et en (page 308) combustible s'en ressentit tandis que les régions d'Anvers, de Liège et de Bruxelles au cours de cet hiver connaissaient la dure épreuve des bombardements à longue distance. Les déceptions et les mécontentements qui s'en suivirent ne furent pas étrangers à la chute du ministère Pierlot qui, le 7 février 1945, s'effaça devant le ministère Van Acker. Celui-ci rallia tout d'abord et sans peine les divers partis en un effort commun et méritoire pour le redressement économique et financier, mais, dès le début du mois de mai, il se heurta à un problème d'une gravité sans précédent : le problème royal né de la volonté affirmée par les ordres du jour de nombreux comités politiques et par une violente campagne de presse, d'imposer au Roi, à peine libéré de captivité, une abdication qui aurait trouvé ses motifs dans l'attitude même du chef de l'État soit en mai 1940, soit pendant l'occupation ennemie. Lorsqu'en juillet, M. Van Acker devait prendre nettement position dans le même sens à la tribune de la Chambres, les droites parlementaires protestèrent avec énergie contre une initiative gouvernementale qu'elles dénoncèrent à la fois comme inconstitutionnelle autant qu'injuste. Elles retirèrent leur concours au Cabinet Van Acker et cette rupture d'une « union sacrée » dont les difficulté de l'heure eussent recommandé la prolongation mit en présence et souvent en conflit la majorité gouvernementale et l'opposition. Ce fut dans ces conditions que survint le 8 janvier 1946 et plus tôt qu’on ne l'avait prévu, une dissolution des Chambres avec convocation des électeurs pour le 17 février... »
Ce n'est pas le lieu de faire ici l'historique de la Question Royale. Rappelons seulement qu'après l'effondrement militaire de la France en juin 1940, de nombreux hommes politiques qui avaient condamné avec force à Limoges le roi Léopold III rentrèrent peu à peu au pays et, mesurant le prestige qui entourait le prisonnier de Laeken en cet été de 1940, regrettèrent, les uns du fond du cœur comme Henry Carton de Wiart, les autres du bout des lèvres et par simple opportunisme politique sans doute, les propos qu'ils avaient tenus.
Le second mariage du Roi émut toutefois de larges couches de la population et entama fortement la popularité du Souverain, placé jusqu'alors sur un véritable piédestal. Certains hommes politiques, libéraux et socialistes surtout, reprirent dès ce moment leurs critiques de façon plus ou moins larvée. L'attitude officielle du gouvernement de Londres était cependant, on le sait, de favoriser l'union nationale autour du Roi prisonnier et du gouvernement, et cette attitude persista jusqu'en septembre (page 309) 1944. La popularité du Roi et peut-être même celle de la Dynastie demeuraient cependant atteintes auprès de nombreux parlementaires. Les résultats des votes relatifs à l'élection d'un régent le prouvaient.
On peut croire que la sévérité du Roi vis-à-vis des ministres de 1940 telle qu’elle apparut à MM. Pierlot et Spaak à la lecture du testament politique du 25 janvier 1944, amena ces ministres à rejoindre le groupe des partisans de l’abdication. Ils voulaient bien qu'on ne parlât plus ni de leurs hésitations de l’été 1940 ni des erreurs qu'ils imputaient au Roi mais refusaient d'être les seuls à se rendre à Canossa.
Lorsque la campagne de presse se déchaina contre le Souverain à partir du 28 avril 1945 et que le Bureau du parti socialiste prit la décision, le 4 mai, de réclamer l'abdication du Roi toujours prisonnier à ce moment - il ne sera libéré que le 7 mai à Strobl -— les Droites parlementaires votèrent, de leur côté, un ordre du jour demandant le retour immédiat de Léopold Ill. La délégation ministérielle qui se rendit à Strobl du 9 au 11 mai ne comprenait qu'un seul ministre catholique, le vicomte du Bus de Warnaffe. ministre de la Justice, choisi très vraisemblablement à cause de la tiédeur de ses sentiments envers le Roi. On sait que les ministres venus à Strobl ne présentèrent au Roi que les objections soulevées à son retour par certains milieux sans faire valoir les vœux contraires d'une grande partie de la population, favorable, elle, à la reprise immédiate par le Roi de ses prérogatives.
En la circonstance. M. du Bus de Warnaffe ne se fit pas le porte-parole de ces vœux. Il se borna dire au Roi que le parti catholique lui était favorable mais que néanmoins le Souverain ne pouvait pas rentrer. Il ne dit pas un mot, semble-t-il, du vote des Droites parlementaires. Lorsque, par la suite, et surtout après la publication par la Libre Belgique, le 2 mai 1947, de larges extraits du Livre Blanc rédigé par le secrétariat du Roi mais non publié jusqu'alors, M. du Bus comprit que l'opinion catholique se posait de plus en plus de questions sur son attitude à Strobl les 9, 10 et 11 mai 1945, il demanda à pouvoir s'expliquer devant ses pairs.
« Le 17 mai (1947), note Henry Carton de Wiart, à la demande de M. du Bus de Warnaffe, une Commission composée de trois sénateurs : MM. Van Overbergh, Overbergh, Lohest et de la Barre d'Erquelines, de trois députés : MM. de Vleeschouwer, Merget et moi-même et de MM. Scheyven, Albert Janssen. P.W. Seghers et Michiels pour le Comité National du P.S.C. entend l’ancien ministre de la Justice qui voulait mettre au point un extrait du Livre Blanc publié par la Libre Belgique et d'où il paraît résulter qu'en mai 1945, (page 310) appelé auprès du Roi, il n'a pas fait part à celui-ci du vote unanime de la Droite de le voir rentrer sans retard au pays. Il nous a lu une note écrite par lui à ce moment et qui n'infirme nullement cette imputation. Arrivé à Strobl le 9 mai au soir, il a été reçu par le Roi le surlendemain et ne se rappelle plus s'il a fait connaître au Roi le vœu unanime qu'exprimait la Droite. Il était lui-même d'avis que le Roi ne pouvait rentrer à Bruxelles. Or. c'est de ce retard qu'est venu le drame. C'est à ce moment que le Roi était attendu par la grande majorité de la population. M. du Bus est retourné à Skt Wolfgang (nouvelle résidence du Roi) le 7 juillet. C'est alors que M. Van Acke a mis le Roi devant l'odieux dilemme : l'abdication ou le déballage.
« L'impression que j'ai conservée de cet exposé c'est que M. du Bus, très influencé par MM, Pierlot et Spaak, n'a pas insisté le moins du monde, bien au contraire, pour que le Roi rentre à ce moment en Belgique. »
Dès juin-juillet 1945, mesurant l'hostilité d'une majorité parlementaire à la reprise par le Roi de ses prérogatives constitutionnelles et comprenant que cette majorité issue d'élections antérieures à la guerre, ne représentait plus l'opinion d'une grande partie du pays, sur la Question Royale notamment - les résultats de la consultation populaire de mars 1950 le prouveront à suffisance - Henry Carton de Wiart se montre favorable à une consultation de la Nation qui départagerait partisans et adversaires du Roi et dont chacun accepterait d'avance le verdict. Aussi déposa-t-il le 17 juillet 1945 sur le Bureau de la Chambre une proposition de loi « instituant une Consultation Nationale au sujet de la Question Royale. » La proposition fut prise en considération par la Chambre trois jours plus tard.
Le 14 juillet 1945 déjà, à Skt Wolfgang. M. Van Cauwelaert, Président de la Chambre avait pu dire au Roi en présence du Prince Régent, de MM. Gillon, Président du Sénat, Van Acker, Spaak et du Bus de Warnaffe : « Le groupe catholique reste fidèle au Roi. Il lui prêtera tout son concours. Les catholiques appuient l'idée d'une consultation nationale. M. Carton de Wiart a remis au greffe de la Chambre une proposition dans ce sens. » [Note de bas de page : Le texte à soumettre à la population était : « Convient-il oui ou non que le Roi Léopold III conserve l’exercice de sa haute charge constitutionnelle ? »]
Dans une lettre adressée le 23 juillet 1945 à Sister Mary Philomèna (née Gabrielle Carton de Wiart, cousine germaine du leader de la droite belge, chanoinesse régulière de Saint-Augustin en Angleterre). parlant du lamentable débat parlementaire provoqué par le Gouvernement, que les ministres (page 311) Henry Carton de Wiart démasquer ces mensonges : « I hope count Carton de Wiart will expose the lies that vile man (Spaak) told on Friday.3
Devant la violence de la campagne menée contre le Roi, Henry Carton de Wiart, au nom de la Droite, écrit le 12 juillet 1945 au Premier ministre Van Acker : « Les droites de la Chambre et du Sénat constatent que le Roi est continuellement l'objet d'injures et d'outrages de la part de certains journaux et dans les réunions publiques sans que ces outrages et injures qui tombent sous l’'application de la loi pénale, donnent lieu à l'intervention des autorités judiciaires ou administratives.
« C'est ainsi, notamment, qu'un député libéral a cru pouvoir impunément déclarer dans une réunion publique que le Roi était le premier des inciviques du Royaume. De pareilles attaques sont d'autant plus odieuses que le Roi se trouve dans l'impossibilité de se défendre contre elles.
« Nous vous prions de nous faire savoir quelles sont les mesures que le gouvernement compte prendre pour mettre fin à une situation qui compromet notre prestige aux yeux de l'étranger et qui émeut profondément le sentiment de justice de notre population. »
Cette lettre ne reçut pas de réponse. On sait que le débat de juillet 1945 au parlement se termina par le vote d'une loi subordonnant la reprise par le Roide ses prérogatives constitutionnelles à un vote des Chambres constatant que l'impossibilité de régner a pris fin. Il ne restait plus aux partisans du Souverain pour obtenir ce vote parlementaire que l'espoir de voir de prochaines élections modifier la composition d'un Parlement en majorité hostile pour l'instant au Roi. Ils y œuvrèrent de toutes leurs forces.
Sa position et celle du P.S.C., nouvelle appellation de l'ancien Parti Catholique. Henry Carton de Wiart, Président de la Droite, la résume en octobre 1945, dans une interview accordée à l'hebdomadaire Pourquoi pas (26 octobre 45).
La Question Royale, « c'est un problème qu'il n'est permis personne de prendre à la légère comme on le ferait pour une simple crise de politique intérieure. Vu de haut, il met en danger l'institution monarchique elle-même dont la sauvegarde est capitale pour l'avenir du pays... Tous les catholiques venaient de quitter l'Amiral Keyes, après avoir stigmatisé les mensonges répandus par les ministres Van Acker et Spaak « The lies <ich Van Acker, Spaak and Cy are telling » souligne l'espoir qu'il a de voir (page 312) esprits réfléchis doivent comprendre qu'il existe, - qu'on le veuille ou non un lien fatal de solidarité entre l'institution monarchique elle-même et celui que la personnifie.
« Avant toute enquête sérieuse, sans examen contradictoire, en invoquant unilatéralement quelques indices et quelques documents dont il était impossible de dégager à ce moment la valeur et la portée, il a plu à M. Van Acker de dresser à la tribune du Parlement, en juillet dernier, devant le pays et l'étranger, un cruel réquisitoire contre le Roi dont le pays attendait le retour dans la joie de la libération et l'espoir du relèvement.
« Ce réquisitoire, il l'a fait malgré nos instantes objurgations et sans qu'il put en résulter aucune conclusion pratique puisque l'abdication à laquelle il concluait n'appartient ni au gouvernement, ni au Parlement mais au Roi lui-même. Le seul résultat auquel pouvait aboutir une initiative aussi inconsidérée était d'ébranler le principe même de l'institution monarchique en dénonçant notre Roi comme ayant failli à son devoir et à son serment constitutionnel.
« Est-il possible de préserver des effets de cette faute, sinon la personne royale elle-même. du moins notre monarchie et notre dynastie ? Je pense que c'est à quoi doivent s'employer tous les bons citoyens, sans parti-pris ni violence. en s'inspirant uniquement du souci de la vérité et du souci de la justice... Vérité. justice ! Ce sont des sentiments incompressibles dans l'âme populaire et il me semble que déjà, en ces derniers jours, ils remontent à la surface au-dessus de la poussière de nos querelles. Pour donner satisfaction à ce besoin de vérité, l'opinion publique doit, à mon avis, être mise exactement et complètement au fait des documents invoqués contre le Roi tant au sujet de l'entrevue de Berchtesgaden de novembre 1940 que des conditions de sa déportation en Allemagne de juin 1944. Déjà, on a vu se dégager la vérité sur la capitulation du 28 mai 1940. Toutefois, on doit regretter que l'incontestable malentendu qui, en attribuant à cette capitulation le caractère d'un compromis politique, avait valu au Roi d'injustes offenses, n'ait été qu'en partie réparé. Nous voyons aussi la vérité se faire jour sur le comportement du gouvernement belge au lendemain de la défaite française et sur le désir que le gouvernement avait à ce moment de nouer une négociation avec l'Allemagne, désir qui, heureusement pour nous ! n'a pas été réalisé. Conclusion : Au point où nous en sommes, qu'on publie de part et d'autre tous les documents ; que cette publication se fasse sous la forme d'un Livre Blanc unique, qui sera communiqué aux Chambres, par l'intermédiaire de leurs bureaux. Ainsi les (page 313) mandataires de la Nation. c'est-à-dire, la Nation elle-même connaîtra la vérité autrement que par des informations tendancieuses ou incomplètes et pourra en déduire les conséquences en pleine connaissance de cause.
Il resterait encore, puisque le Roi se déclare prêt à s'incliner devant la volonté du pays, à interroger la Nation non pas à l'occasion des élections où le problème royal serait noyé dans les divergences et les revendications des partis, mais dans une consultation générale et loyale de tous les Belges. Cette formule a quelque chose de nouveau et d'extraordinaire, mais elle rentre dans le droit d'enquête dont dispose le Parlement, elle répond bien à l'esprit qui a dicté l'article 25 de la Constitution : « Tous les pouvoirs émanent de la Nation. » Qu'en sortirait-il ? En même temps que la vérité serait connue, je ne doute pas que la justice fasse aussi son œuvre. Le Roi a droit à la justice comme un simple mortel ; je suis convaincu pour ma part qu'il a toujours été inspiré par un ardent désir de bien servir le pays.. L'intérêt du pays, je pense d'ailleurs que les ministres belges qui ont tenu notre drapeau pendant la guerre, n'ont cessé eux aussi d'en être pénétrés. L'intérêt aujourd'hui est dans une reconnaissance loyale des intentions, des actes et peut-être encore des maladresses commises de part et d'autre. Travaillons à l'apaisement, n'accablons pas injustement le Roi au risque de rendre précaire ou fragile l'avenir de la Dynastie.
Le 3 octobre 1945, le journal le Quotidien ayant publié un article : « Le Premier ministre trompe l'opinion » est suspendu sur ordre du Gouvernement et des perquisitions sont faites dans ses bureaux, Henry Carton de Wiart interpelle aussitôt le Premier ministre à la Chambre : « Ces faits rappellent, dit-il le 12 octobre 1945, les souvenirs les plus odieux de l'occupation… »
1945 se terminait ainsi dans la confusion politique la plus complète. L'année 1946 n'allait pas mieux commencer.
La nécessité d'élections était évidente pour tous car le Parlement, élu en 1939, avait depuis longtemps dépassé le terme d'une législature normale. Mais il fallait, pour les tenir, établir de nouvelles listes électorales, de nombreux jeunes gens ayant atteint l'âge de voter. Il fallait en exclure les inciviques. Il fallait surtout accorder le droit de vote aux femmes pour les élections législatives comme elles l'avaient déjà pour les élections communales.
Henry Carton de Wiart avait depuis toujours été, comme le souligna le 11 (page 314) juillet 1946 le Président Van Cauwelaert, « un des plus actifs défenseurs » du vote féminin. Il sera l'auteur d'une nouvelle proposition de loi déposée le 11 juin 1946 permettant aux femmes de voter lors des élections législatives et provinciales comme elles avaient le droit de le faire, depuis 1920, aux élections communales.
Tout en reconnaissant qu'on ne pouvait plus retarder l'octroi du droit de vote aux femmes, les Gauches redoutaient qu'il en résultât un renforcement sensible du P.S.C. par « l'exploitation de l’ignorance et des bigotes », comme l'écrivait un adversaire du suffrage féminin !
Escomptant que la population belge lui serait reconnaissante du début de reprise économique qui se manifestait dans le pays, le gouvernement Van Acker décida de brusquer les élections. Il espérait aussi que l'Union Démocratique Belge qu'il avait, en août 1945, associée au pouvoir pour remplacer les ministres catholiques démissionnaires, remporterait un certain succès et priverait ainsi le P.S.C. d'une série de sièges.
Le mercredi 9 janvier 1946 devait avoir lieu à la Chambre le débat sur le projet de loi adoptant le suffrage féminin. M. Van Acker monta à la tribune, « fit l'apologie de son gouvernement et lut l'arrêté de dissolution des Chambres », sans laisser au Parlement le temps matériel de voter une loi fixant la composition du corps électoral pour les élections provinciales. La dissolution des Chambres renvoyait de plus aux calendes la discussion et le vote sur la loi accordant le suffrage aux femmes.
M. Van Glabbeke, ministre de l'Intérieur, procéda en outre à une vaste épuration des listes électorales en radiant d'office plus de 300,000 électeurs taxés à plus ou moins juste titre d'incivisme. Les « épurés » n'eurent pas la possibilité d'exercer en temps utile un recours devant la justice régulière. C’est dire que le gouvernement usait de tous les moyens pour s'assurer un succès électoral.
Henry Carton de Wiart se dépense sans compter pendant la campagne électorale, prenant la parole au cours de meetings quasi journaliers et notamment à Bruxelles, Hal, Mons...
Le 17 février 1946, le gouvernement doit constater l'échec de ses espoirs. L'Union Démocratique Belge qui comptait pourtant plusieurs ministres n'eut qu'un seul élu à la Chambre et aucun au Sénat, Le Parti libéral payait son alliance avec les socialistes et les communistes et subissait une véritable catastrophe. Le P.S.C., grand triomphateur de la journée, frôlait la majorité absolue au Sénat. Il l'aurait d'ailleurs obtenue si libéraux, socialiste et communistes ne s'étaient associés en un cartel d'étrange nature lors (page 315) de la répartition des sièges de sénateurs provinciaux et cooptés.
Malgré l'avance spectaculaire du P.S.C., les Gauches demeurent obstinément opposées la « Consultation populaire.3
Après un essai de P.-H. Spaak de former un Gouvernement socialiste homogène qui n'obtint pas le 20 mars 1946 la confiance des Chambres, M. Van Acker constitue le 31 mars un nouveau gouvernement de gauche qui ne devait durer que quelques mois.
Le vendredi 12 avril, Henry Carton de Wiart, accompagné de sa fille, la baronne Albert Houtart, est reçu au Reposoir, résidence suisse de Léopold III, et a ainsi l'occasion de mettre le Roi au courant des derniers développements de la politique en Belgique. Il rend aussi visite à la duchesse de Vendôme à Tourronde. La presse tant belge qu'étrangère, se fit à ce moment l'écho de rumeurs suivant lesquelles le ministre d'Etat aurait conseillé au Roi l'abdication. On ne trouve ni dans les papiers d'Henry Carton de Wiart, ni dans les souvenirs de sa fille, rien de nature à accréditer cette hypothèse.
Le lundi de Pâques, 22 avril, en sa qualité de président de l'Union Interparlementaire, Henry Carton de Wiart part pour Copenhague, Oslo - où il prononce un discours au Parlement - Stockholm et la Suède. Les sénateurs Orban et Pholien l'accompagnent. Il note : « la destruction d'Aix-la-Chapelle et de Cologne dépasse tout ce que je prévoyais... comment la population peut-elle vivre dans cet amas de décombres ? Des gens à la mine hâve, des enfants misérables... »
De retour à Bruxelles, à la fin de mai, le ministre assiste au sabotage par les communistes, toujours associés au gouvernement, de la politique des prix et salaires menée par Achille Van Acker.
En juillet 1946, M. Van Glabbeke, devenu ministre de la Justice dans le second cabinet Van Acker, doit démissionner à la suite d'un grave incident qui l'a opposé au Président de la Cour militaire. Le Gouvernement ne peut survivre à ce scandale et démissionne à son tour le 10 juillet.
C'est donc un Premier ministre, démissionnaire depuis la veille, qui félicita le 11 juillet 1946 au Parlement Henry Carton de Wiart à l'occasion du jubilé de ses cinquante ans de mandat parlementaire, jubilé célébré de manière exceptionnelle à la Chambre en présence des plus hautes autorités du pays. Depuis la création de l'État Belge, en 1830, la Belgique n'avait que deux autres cas de semblable longévité parlementaire.
Nous ne parlerons pas des discours d'éloges, cependant mérités, que le ministre entendit ce jour-là. Rappelons seulement ces quelques mots dans la (page 316) réponse du jubilaire aux félicitations qui lui étaient adressées, lorsqu'il fit allusion à la libération de la Belgique en 1944-1945 et au retour des prisonniers : « Nos murs résonnent encore de l'émotion de ce retour et l'hommage qui fut rendu à nos martyrs et à nos absents et au plus grand de nos absents retenu en captivité par un ennemi perfide qui savait bien ce qu'il faisait.3
Le gouvernement était démissionnaire depuis le 10 juillet. Dans un article publié dans la Tribune libre du « Soir » sous ce titre : « La logique se venge », Henry Carton de Wiart avait, quelques jours plus tôt appelé de tous ses vœux une coalition des deux grands partis, P.S.C. et Socialiste, pour tenir compte de la logique démocratique basée sur le résultat des élections du 17 février 1946.
« Prétendre que le Parti Social Chrétien oppose à pareille coalition des conditions inacceptables pour les Socialistes est un mauvais prétexte qui ne résiste point à un examen impartial. S'agit-il du suffrage féminin ? Tous les partis n'ont-ils pas été d'accord pour le voter dans les sections de la Chambre, il y a plus d 'un an ? La seule réserve formulée au dernier moment par l'amendement de M. Van Glabbeke visait le renvoi de son application au 1er janvier 1947, délai que le P.S C. consent bénévolement à accepter... Quant au problème royal, l'annonce de la Commission qui vient d'être créée par le Roi lui-même y a introduit assurément un élément nouveau. Il paraît sage d'attendre les conclusions de cette commission avant qu'il soit procédé à la Consultation Nationale ou que toute autre solution soit envisagée. Mais si une décision sur cette consultation peut, de ce chef, être tenue en suspens. il n'existe toutefois aucun motif valable pour s'opposer à la prise en considération de la proposition de consultation qui a été déposée au Sénat, pas plus qu'il n'en existait pour une proposition toute semblable qui avait été déposée à la Chambre où la prise en considération fut acceptée à l'unanimité. Une reconnaissance par le gouvernement des intentions manifestement patriotiques qui ont toujours inspiré le Souverain ne ferait que confirmer le sentiment de justice que doit éprouver tout homme de cœur et de bonne foi. Elle aurait le grand avantage de dégager vis-à-vis l'étranger où tant d'erreurs ont été répandues, l'honneur de la Personne Royale auquel l'avenir de la Dynastie et le prestige même de la Nation sont liés par une solidarité évidente. Lorsqu'une issue raisonnable ouvrant de telles perspectives s'offre d'elle-même au pays. celui-ci va-t-il demeura dans l'impasse ? Ce serait à désespérer de son bon sens. »
Cet appel ne fût pas entendu et ce fut une reconduction de l'alliance des (page 317) Gauches : le ministère Huysmans avec une seule voix de majorité, le gouvernement dit de « la mouette sur une patte. »
Les élections communales du 24 novembre 1946 confirmèrent l'avance générale du P.S.C..
« Comme nous l'espérions, note Henry Carton de Wiart, les élections communales du 24 novembre marquèrent pour le P.S.C. une avance sensible sur les gains que nous avaient valus les scrutins des 17 et 24 février. Pour la première fois depuis 1830 nous obtenions la majorité absolue à Gand. Il s'en fallut de peu que nous ne l'atteignîmes à Anvers. Excellents résultats aussi à Bruges, à Alost et en général dans les Flandres, le Namurois et le Luxembourg. A Bruxelles, les libéraux maintinrent à peu près leurs positions. Dans les communes industrielles, les communistes grignotaient de place en place les socialistes. Quelle sera l'incidence de ce scrutin sur la constitution du gouvernement ? M. Camille Huysmans et M. Buisseret annoncent que la séance continue. Mais la majorité du Cabinet est plus que précaire. Parmi les socialistes il en est quelques-uns, M. Van Acker le premier, qui sont disposés à s'entendre avec le P.S.C. pour faire un gouvernement stable... Une réunion que nous tenons le 25 entre leaders du P.S.C. aboutit à la conclusion que voici : nous entrerons dans une combinaison où le P.S.C. aurait 8 ministres, les socialistes 6 et les libéraux 3 ou 4. Nous pourrions accepter M. Van Acker comme Premier ministre... La pierre d 'achoppement reste la Question Royale. Nous exigeons à tout le moins que le nouveau cabinet précise dans sa déclaration qu'il ne met pas en doute ni l'honneur personnel du Roi, ni la sincérité de son dévouement à la Patrie. »
C'était plus que les socialistes ne voulaient accorder et le gouvernement de « la mouette sur une patte » se maintint tant bien que mal au pouvoir jusqu'au 12 mars 1947. Peu avant la chute du gouvernement, dans un vibrant appel lancé à la jeunesse à Mons devant un auditoire groupant des personnalités des mondes politique, des affaires et de très nombreux étudiants de l'Institut supérieur Commercial et Consulaire, Henry Carton de Wiart déclare : « Dans notre pays où tous les pouvoirs doivent émaner de la Nation, ce qui est la vraie conception de la Démocratie, nous avons vu le gouvernement méconnaître ouvertement la volonté de la majorité de la population dans la Question Royale et se refuser à consulter la Nation à ce sujet. Ce fut un véritable coup d'Etat que la constitution, en janvier 1946, d'un corps électoral provincial par un simple arrêté-loi et ce coup d'Etat lui-même n'avait d'autre but que de tenir les femmes à l'écart du scrutin malgré les programmes et engagements des partis de gauche. Au mépris (page 318) flagrant de la Constitution et contre le sentiment évident de la majorité du pays, nous avons entendu un Premier ministre faire à la presse étrangère sans pouvoir même invoquer aucun motif d'opportunité, une profession de foi républicaine, y ajoutant des accusations injustes et outrageuses pour notre Roi et mettant en cause le principe de l'hérédité du trône. Comment agirait-on autrement dans un régime de dictature, Mis en minorité à reprises au Parlement, les ministres se bornent à encaisser les échecs. Tout cela au nom de la démocratie ! »
Devant des attaques de ce genre, reprises et multipliées par d'autres leaders de l'opposition, le cabinet Huysmans dut finalement se retirer.
M. Spaak, chargé par le Prince Régent de former le nouveau gouvernement se tourne alors vers le P.S.C. et met sur pied, le 20 mars 1947, une bipartite socialiste-P.S.C. Lors de sa déclaration ministérielle lue aux Chambres le 25 mars 1947 il disait : « Le vote des femmes ne présente plus de difficultés. Après l'examen des budgets et de quelques lois lesquelles il demandera la priorité, soit donc à la fin de cette année ou, au plus tard, au début de l'année prochaine. le gouvernement priera le Parlement de voter dans son texte primitif la proposition déposée par M. Carton de Wiart sur la Question Royale. » M. Spaak constatait que les deux partenaires gouvernementaux restant chacun sur leur position, le gouvernement avait le devoir de promouvoir un accord entre partis « dans le respect de nos institutions nationales. » On sait que malgré plusieurs entrevues entre le Roi et P.-H. Spaak, la situation ne fut pas débloquée et qu'il fallut attendre les élections législatives du 26 juin 1949 pour voir se produire un changement.
Quant au vote des femmes, reprenant dans la revue La Femme, la Vie, le Monde de décembre 1947 ce qu'il avait déjà écrit dans la Tribune livre du Soir le 3 avril 1946, Henry Carton de Wiart soulignait que la reconnaissance du droit de vote aux femmes était la solution que « le bon sens et l’équité recommandaient depuis longtemps. En effet… le droit de vote est considéré comme un attribut et même un devoir inhérent à la personnalité de tout être humain qui appartient à la collectivité nationale. » Le refuser aux femmes « méconnaît les exigences du bien commun parce que les femmes qui sont chaque jour aux prises avec les mille difficultés de l'existence peuvent apprécier avec une compétence particulière les problèmes de l'éducation, de la santé, du ravitaillement... Ce refus est devenu une véritable injure si l'on songe à la vaillance dont les femmes belges ont fait preuve tout au long de l'occupation et de la Résistance. »
(page 319) Comme il s'y était déjà engagé, le gouvernement socialiste-P.S.C. de M. Spaak fit enfin passer la loi accordant aux femmes le droit de voter aux élections législatives et provinciales. Celles-ci devaient avoir lieu le 26 juin 1949.
Le P.S.C. en attendait beaucoup pour faire avancer la solution de la Question Royale. Dans un retentissant article intitulé « Le premier des Résistants » et paru dans la Libre Belgique le 25 mai 1949, quatre semaines avant le scrutin, Henry Carton de Wiart écrit : « C'est au Roi et au Roi seul nous devons de ne pas avoir été entraîné dans la politique de Vichy en ces semaines décisives (juin-juillet 1940) où les ministres belges voulaient adapter leur attitude à celle du gouvernement français... A la même heure, dans le pays occupé, le Roi ne voulait pas davantage céder aux avis ni aux sollicitations de ceux qui le conviaient à former un autre gouvernement.
« Que serait-il advenu, quel eût été le sort de la Belgique si le Roi n'eut ainsi obstinément résisté ? On frémit en y songeant « et de rappeler les mots du Souverain dans sa proclamation du 30 septembre 1945 : « J'ai le droit d'affirmer que la Résistance passive dans laquelle je me suis raidi a empêché la Belgique de négocier avec l'Allemagne. »
Après une période électorale qui fut très chaude mais qui, dans l'ensemble. ne fut marquée par aucun désordre grave, la journée du 26 juin assura un succès très sensible pour le parti social chrétien et pour le parti libéral, tandis que les socialistes et les communistes en sortaient sérieusement affaiblis.
A la suite de ce scrutin, le P.S.C. disposait de la majorité absolue au Sénat, mais à la Chambre des Représentants, il s'en fallait de deux voix. En effet, il disposait de 105 sièges contre 66 aux socialistes, 29 aux libéraux et 12 aux communistes.
A la nouvelle de ce succès électoral, une haute personnalité des milieux financiers, très attachée à la cause royale écrivait le 29 juin 1949 à Henry Carton de Wiart : « A mon avis, un gouvernement devrait se constituer sur la seule question de résoudre sans retard le problème royal par la consultation populaire... mais il faudrait des élections où les bulletins de tous les arrondissements soient mélangés. » Le danger de voir les diverses régions voter de façon différente était, en effet, évident.
Très longues et laborieuses furent les palabres en vue de la constitution d'un nouveau Gouvernement. Ce ne fut que le 11 août qu'une formule se dégagea définitivement, associant, sous la présidence de M. Eyskens, les deux partis que l'élection du 26 juin avait favorisés. Henry Carton de Wiart (page 320) fit partie du nouveau cabinet avec le titre de Ministre d'Etat sans portefeuille.
Moyennant l'attribution au parti libéral de huit sièges au Gouvernement, nombre égal à celui réservé au parti social chrétien, le programme gouvernemental prévoyait le vote du projet de consultation nationale, auquel une majorité était ainsi acquise, les libéraux conservant toutefois leur opinion sur la reprise par le Roi de ses fonctions constitutionnelles.
La confiance ayant été votée par les Chambres, celles-ci entrèrent bientôt en vacances.
« A part un voyage entrepris du 4 au 14 septembre à Stockholm, pour la Conférence de I 'Union Interparlementaire et un déplacement à Bordeaux dans les tout premiers jours d'octobre, pour y représenter le Gouvernement à un Congrès des Sociétés belges en France, note Henry Carton de Wiart, cette période de vacances fut, en fait, singulièrement active et utile pour l'œuvre gouvernementale et celle-ci eut compter avec une violente secousse provoquée par la brusque dévaluation de la livre anglaise. Cette dévaluation était généralement attendue, mais personne ne prévoyait qu'elle irait jusqu'à 30 p. c., ce qui obligeait la monnaie belge, comme toutes les monnaies européennes, à s'aligner.
« Après des délibérations qui se prolongèrent pendant toute une nuit, le Gouvernement belge fixa à 12,5 p. c., c'est-à-dire avec une grande modération, la dévaluation de son unité monétaire, et les événements prouvèrent que cette proportion avait été sagement fixée car la répercussion de l'aventure ne fut pas très sensible sur notre économie nationale.
« A la vérité, depuis la fin de 1948 déjà, ce qu'on avait appelé le miracle de la prospérité belge paraissait en déclin et du mois d'août au mois septembre 1948, le nombre total des chômeurs, complet et partiel, était passé de 122.000 à 252.000.
« Afin de maintenir dans les limites favorables les salaires et les prix de revient, le Gouvernement présidé par M. Spaak avait adopté un système de subvention et d'intervention qui pesait d'un poids toujours plus lourd sur le budget, allocation pour les économiquement faibles. subvention à concurrence de 2 milliards aux charbonnages. s'ajoutant à un système compensant les bénéfices des uns avec les pertes des autres. enfin intervention pour compenser les déficits des chemins de fer ; toutes ces charges représentaient un montant de plus de 14 milliards se superposant à toutes les autres dépenses de l'Etat. Ou bien il fallait alléger ces mesures grevant notre vie économique, ou bien ajouter de nouveaux impôts à la lourde fiscalité existante.
(page 321) « Le Gouvernement se décida courageusement à fermer le robinet, en supprimant ou en résorbant cette hémorragie de 14 milliards de subventions diverses.
« La suppression de trois départements ministériels, celui de l'Administration générale et des Pensions, celui de la Coordination, celui du Commerce Extérieur, constituait une première économie, moins effective toutefois qu'on le pourrait penser, les cadres de ces départements crées en 1947, étant défendus par le régime de la stabilité de l'emploi, sauvegardés désormais par l'existence du Conseil d'Etat.
Nous arrivâmes, grâce à un excellent esprit d'équipe à la suppression du régime démoralisant de compensations pour les charbonnages, système qui supprimait, pour les exploitations en bénéfice, la vertu de l'effort et de l'initiative, tandis que les exploitations déficitaires perdaient tout intérêt à opérer un redressement industriel. La compensation fut radicalement supprimée le 1er octobre, avec cette seule réserve que les exploitations en perte reçurent désormais des subsides proportionnels à leurs pertes, mais dégressifs pour devoir s'arrêter complètement au bout de 20 mois... »
« Dans le domaine de la sécurité sociale où. par une véritable aberration, il n'avait été attribué,. sur le montant des cotisations établi en décembre 1944 à des salaires, qu'une proportion de seulement 2 p. c. pour le soutien des chômeurs. tandis que 5 p. c. étaient attribués aux congés payés, augmentés du double pécule, un premier correctif fut introduit. Un arrêté du 25 octobre modifia l'admission des femmes mariées au bénéfice des indemnités de chômage. En fait, sur les 23.000 inscrites, plus de la moitié n'avaient travaillé effectivement qu'environ trois mois. et cela au lendemain de la libération. Une entreprise générale de réformes s'impose de toute évidence dans le régime de la Sécurité Sociale qui, comme toute institution, doit connaître une période de rodage. C'est ainsi que l'assurance-maladie-invalidité avec ses 6 p. c. de cotisation, a exigé du trésor, pour l'année 1949, un supplément de 1.697 millions.
« Un comité dit « de la Hache », présidé par le Premier Ministre et où j'assistai avec M. Dierckx siégea à peu près en permanence pendant 4 semaines, faisant comparaître successivement les ministres à portefeuille et leur état-major de hauts fonctionnaires. Le budget pour 1950, qui était primitivement prévu pour 68,5 milliards, fut ainsi ramené à 62,5 milliards ce qui permit de le présenter en équilibre.
« Les Chambres ayant repris leurs travaux, l'atmosphère d'ordre économique apparaissait relativement plus calme et un premier dégrèvement fiscal (page 322) fut proposé et accueilli avec une satisfaction compréhensible. Quant à l'atmosphère politique, elle demeurait toujours chargée, le problème royal continuant à peser sur l'opinion.
« Parmi les éléments nouveaux, une lettre de M. Winston Churchill, adressée à mon frère Edmond et qui fut publiée à l'époque dans le journal Le Soir, avait l'avantage de préciser que la valeur et l'honneur de l'armée belge et de ses chefs étaient hors de cause. Mais l'ancien Premier Ministre britannique ajoutait : « Ce qui m 'occupait était l'attitude du Roi des Belges envers son propre Gouvernement. Le Gouvernement belge me pressait fortement à ce moment, et sur le terrain constitutionnel il me semblait à moi-même et à beaucoup d'autres, que le Roi aurait dû être guidé par l'avis de ses Ministres. »
« Cette dernière considération était assez simpliste, d'autant plus que les Ministres avaient en mai 1940, cru devoir, tous sans exception, quitter le Roi.
« Bientôt commencèrent les débats sur la proposition de loi de M. Struye. qui avait repris la mienne du 17 juillet 1945. La majorité fut acquise sans difficulté à cette proposition, après un débat de 2 ou 3 séances au Sénat. Il n'en fut malheureusement pas de même à la Chambre, où la discussion se prolongea pendant près d'un mois. Une seconde escarmouche s'engagea sur la constitutionnalité de la consultation. A la vérité, l'opposition pouvait faire valoir contre celle-ci son caractère insolite, qui la faisait ressembler à un référendum. La seule réponse à cette objection c'est qu'il ne s'agissait point d'un référendum, mais d'un moyen d'information assez semblable à celui que les Chambres peuvent employer en ordonnant des enquêtes. Le pouvoir résiduaire du Parlement l'autorise à faire tout ce que la Constitution ne lui interdit pas de façon certaine.
« Ce premier cap doublé, l'opposition prétendit soumettre les textes au Conseil d'Etat, ce qui fut écarté sans trop de peine, la perspective de faire censurer ou contrôler par le Conseil d'Etat un article de loi déjà adopté par les Chambres législatives étant de nature à affecter les prérogatives du Parlement.
« L'opposition souleva un débat plus délicat au sujet du statut juridique la seconde épouse du Roi et des enfants nés ou à naître de cette union. Si vive qu'était la discussion, elle s'acheminait vers sa fin, lorsque le parti socialiste demanda le 2 février, un entretien au Premier ministre. Celui-ci réunit, pour entendre les mandataires socialistes, le petit Comité dont je faisais partie avec lui et MM. Devèze et Lilar, petit Comité chargé (page 323) d'assurer, par la liaison permanente entre les deux ailes du Gouvernement, le bon aboutissement gouvernemental. Les mandataires socialistes qui étaient MM. Spaak, Buset et Camille Huysmans suggérèrent que, renonçant à la consultation, les Chambres inviteraient le Roi à rentrer au pays avec ses enfants, cette invitation étant conçue dans les termes les plus honorables. Après quoi l'application de la loi du 19 juillet 1945 ayant déjà été votée et la régence ayant pris fin, le Roi aurait repris, mais pour quelques jours seulement, l'exercice de ses pouvoirs, passant aussitôt la main à son fils aîné.
« Au point où en étaient les choses, cette proposition ne pouvait être envisagée sérieusement. Il importait d'ailleurs que la consultation donnât, aussi bien pour le pays que pour l'étranger, la preuve que le Roi n'était en rien désavoué par la population.
« La proposition de consultation fut votée le mercredi 8 février 1950, par 117 voix contre 92, 13 députés libéraux ayant associé leurs suffrages à celui des députés sociaux chrétiens.
A peine la loi promulguée, la campagne s'ouvrit dans une atmosphère ardente voire fiévreuse, mais une fois de plus, l'expérience démontra que la maturité politique de notre population avait fait de sérieux progrès et il ne se produisit aucun incident de nature tragique.
« Personnellement, je fus surpris de trouver, non seulement à Gand, des auditoires massifs qui étaient ardemment favorables à la cause royale, mais même dans des villes comme Liège où je parlai le même soir au quartier d'Outre-Meuse et au palais des comtes de Méan.
« A l'avant-veille du scrutin, l'arrivée à Melsbroeck de la Princesse Charlotte, suscita un tel empressement de sympathie, qu'il fallut plus d'une demi-heure pour parvenir à dégager un passage lui permettant de quitter l'avion.
« Quelques jours auparavant,. des visiteurs s'étaient rendus au Cap d’Antibes, où se trouvait le Roi, notamment le 6 mars M. Max Léo Gerard et mon frère. Le 12 mars eut lieu la votation pour laquelle j'avais, depuis plus de 2 mois, pronostiqué 58 p. c.. Elle donna en réalité 27,68 p. c. Restait à dégager la signification de ce vote.
« L'opposition ne manqua point de prétendre que la minorité dans deux (page 324) provinces wallonnes était telle, qu'elle ne pouvait pas donner à la consultation une portée décisive. C'est pourquoi, l'accord ne se fit point au sein du gouvernement pour l'application de la loi du 19 juillet 1945.
« Dès le 18 mars, les ministres libéraux déclarèrent refuser tout concours à la convocation des Chambres et démissionnèrent ; ce qui entraîna la démission collective du Cabinet, M. Eyskens ayant pris à cet égard un engagement lors de ses pourparlers avec le parti libéral. Le lendemain, M. Eyskens était chargé d'une mission d'information dont il demanda à être déchargé le 22, ayant constaté l'impossibilité de constituer un Gouvernement, pour l'application de la loi du 19 juillet 1945, avec le concours de deux ou plusieurs partis. Les libéraux avaient, en effet, adopté une attitude de solidarité et de discipline qui ne permettait pas à ceux de leurs membres qui étaient manifestement très proches de nous, d'entrer dans une combinaison gouvernementale, dont la fin de la Régence serait la raison d'être.
« Ayant été chargé moi-même, le 22 mars au début de l'après-midi, de reprendre cette mission d'information, je m'attachai à voir si une formule de rapprochement ou de conciliation apparaissait possible. C'est pourquoi je convoquai à un large échange de vues tous les ministres d'Etat, dans une séance solennelle qui eut lieu le 23 mars à 17 heures au Palais Royal. L'une ou l'autre formule de rapprochement fut, à la vérité, esquissée à titre personnel. mais aucun écho n'y répondit de la part des partis politiques et de leurs chefs. Le résultat de cette délibération. qui, se prolongea pendant deux heures ct demie, ne fut cependant point négligeable. Il fit réfléchir beaucoup de concitoyens dont les positions étaient d abord intransigeantes. D'autre part, je pus annoncer, au sortir de cette séance, tant à la presse qu'à la radio, que les sentiment des ministres d'Etat s'opposaient à toute agitation, dont l'intérêt politique ne pourrait que souffrir. Cette conclusion n'était point de nature à encourager le programme des grèves générales, imaginé pour le lendemain par le parti socialiste, programme qui, malgré son excitation ne détermina aucun élan général dans le monde du travail. »
(page 325) La convocation des Ministres d'Etat parmi lesquels se trouvaient des adversaires résolus du retour du Roi, n'avait pas été accueillie avec faveur par l'opinion P.S.C., surtout en pays flamand. Puisque le P.S.C. possédait la majorité absolue à condition que les deux Chambres soient réunies en une seule et même assemblée, elle exigeait qu'un gouvernement, fût-il P.S.C. homogène, convoque sans plus tarder les deux Chambres en une réunion commune pour appliquer la loi du 19 juillet 1945. Le Comité National du P.S.C. réuni le même jour que les Ministres d'Etat, constatait sèchement que » la réunion des Ministres d'Etat convoquée ce jour ne peut déplacer la responsabilité de la solution de la crise qui appartient en dernière analyse au parlement seul. » C'est dire que le P.S.C. ne suivait que mollement son vieux leader dans ses efforts pour dégager une solution nationale. Henry Carton de Wiart renonça dès lors, le 24 mars, à sa mission d'information. Le lendemain 25, le Prince Régent chargeait Albert Devèze de former un gouvernement. Le Ministre d'Etat libéral ne réussit pas mieux que son prédécesseur à concilier l'opinion de gauche et celle du P.S.C. qui exigeait toujours la convocation immédiate des Chambres.
Parmi les formules de conciliation auxquelles l'un ou l'autre songeait, selon Henry Carton de Wiart, il s'agissait surtout d'une abdication à terme, c'est-à-dire du retour du Roi avec l'intention manifestée par celui-ci de préparer l'avènement de son fils et de renoncer au trône en sa faveur, le jour où il aurait atteint sa majorité civile, c'est-à-dire le 7 septembre 1951.
« Une autre suggestion, plus curieuse, écrit Henry Carton de Wiart, envisageait une sorte de délégation ou de lieutenance générale, qui serait confiée par le Roi à son fils dès son retour au pays, formule qui invoquait à titre de précédent celle à laquelle la reine Wilhelmine avait eu recours en abandonnant provisoirement l'exercice du pouvoir à la princesse Juliana, avant de lui céder définitivement le trône.
« D'autres encore préconisaient des formules aussi hardies que l'attribution (page 326) de la régence au prince Baudouin ou même à la princesse Joséphine-Charlotte.
« A la vérité, toutes ces formules rencontraient dans les rangs du P.S.C. une opposition absolue et quiconque marquait quelqu'intérêt pour l’une d'elles, s'exposait à être traité de mou sinon de traître.
« Le 26 mars, je fus longuement en conversation avec M. Eyskens et dès le 27, M. Devèze vint me voir chez moi à 9 heures du matin, m'exposant son projet consistant à multiplier ses consultations en vue d'amener un rapprochement sur l'une ou l'autre modalité acceptable par tous à de titre compromis. Après avoir procédé à de nombreuses consultations, M. Devèze avait déjà renoncé à sa mission. lorsque, sur les instances de ses amis politiques il se décida, le dimanche 2 avril, à se rendre son tour à Prégny. Mais, dès son retour à Bruxelles, le 4, il renonçait définitivement. Le lendemain, Mercredi Saint, le Régent chargea M. van Zeeland de former le gouvernement. Le choix même du formateur rendait, à certains points de vue, sa tâche plus difficile, car ses attaches bien connues avec le monde financier et le souvenir de la dévaluation à laquelle il avait procédé, suscitaient contre lui certaines inquiétudes ou oppositions, non seulement du côté des socialistes, mais aussi dans les milieux démocratiques chrétiens.
« Ayant préparé la constitution d'un Ministère composé des ministres P.S.C. du Cabinet Eyskens avec trois sénateurs P.S,C. : MM. Cassian Lohest, Meurice et Robert de Man. plus trois extra-parlementaires libéraux : MM. Forthomme, Heenen et Blanquart, il présenta, le Samedi Saint, la constitution de cette équipe au Prince Régent en réservant la désignation d'un quatrième extra-parlementaire, qui eût été Adrien van der Burch. Le Régent lui demanda, en raison des fêtes de Pâques, d'attendre jusqu'au mardi 11 avril. Mais, dans l'intervalle, les imaginations avaient travaillé de nouveau au service d'une solution d'apaisement qui eût conjuré les difficultés et les menaces d'agitation auxquelles un ministère homogène était exposé.
« Une nouvelle formule se dessinait, qui eût consisté à appliquer la loi 19 juillet 1945, mais à retardement.
« Ainsi que les Chambres l'avaient admis naguère pour l'extension du droit de suffrage aux femmes, la fin de l'impossibilité de régner aurait été ajournée à deux ou trois mois, au plus tard le 1er juillet.
« Dans l'intervalle, un arrêté de dissolution serait intervenu qui aurait permis de constituer, pour le retour du Roi, un Gouvernement reflétant (page 327) exactement l'état de l'opinion. En faveur de cette formule nouvelle, certains arguments ne manquaient pas de valeur, des élections générales devant permettre une représentation aux Chambres de ces 720.000 voix qui, lors de la consultation nationale, étaient venues s'ajouter au chiffre électoral obtenu par le P.S.C., lors du scrutin du 26 juin 1949.
« Réunie d'urgence le 12 avril. la Commission de contact du P.S.C. fit prévaloir, une fois de plus, la thèse de l'intransigeance.
« Bien que les présidents du Comité National et du Groupe Parlementaire de la Chambre eussent fait entendre des considérations de sagesse, le courant général était la constitution, sans plus de retard, d'un ministère homogène et plus d'un orateur s'éleva même contre la perspective, indiquée dans le dernier message du Roi, que celui-ci se réservait d'examiner. au moment de la reprise de ses fonctions, et d'accord avec son Gouvernement, les dispositions que réclamerait l'intérêt général. »
Quelle était la position du Roi ?
Avec beaucoup de lucidité, le Souverain avait jugé les résultats de la Consultation du 12 mars « très peu brillants. » (Jacques Pirenne, Mémoires et Notes politiques, p. 425.) Y avait-il pour son retour « l'indiscutable majorité » dont il avait fait état dans une lettre du 22 juin 1948 à P.-H, Spaak ? Pouvait-il redevenir l'arbitre de la Nation, rejeté qu'il demeurait par une importante minorité des Belges et même par une majorité de Belges francophones ?
Henry Carton de Wiart partageait le pessimisme royal. L'opposition que les résultats de la Consultation révélaient entre l'opinion flamande et une majorité de l'opinion wallonne l'inquiétait profondément pour l'unité du pays. D'où ses efforts durant sa mission d'informateur pour amener une solution nationale. Le 3 mai 1951, trois jours avant sa mort, il dicta à sa fille les lignes suivantes : « J'ai poursuivi obstinément le vote des femmes et la Consultation populaire. Elle a plutôt été une déception, pas même 58 p. c. J'ai alors, comme informateur, convoqué les Ministres d'Etat malgré le P.S.C. Beaucoup de gens ne voulaient pas voir clair et allaient à la catastrophe. C'est à la suite de cette réunion au Palais que le Roi, à qui j'avais fait parler par Raoul Hayoit, a compris la nécessité d'un compromis. »
(page 328) Ce compromis, le message royal du 15 avril à la Nation en donnait idée. Le Roi y laissait entendre qu'il ne serait pas hostile à une délégation temporaire de l'exercice de ses prérogatives au Prince Héritier pour autant que son geste soit accepté avec confiance par la grande majorité de l'opinion et que la délégation puisse se réaliser dans le calme avec le concours loyal de tous les groupes politiques.
« J'aurais préféré, poursuivait Henry Carton de Wiart, le 3 mai 1951, qu'il (le Roi) reprenne intégralement l'exercice de ses pouvoirs jusqu'à la majorité du prince Baudouin. Il a préféré une forme de délégation qui en réalité ne pouvait se traduire constitutionnellement que par une forme de régence. Le texte que je proposais à cet effet à M. van Zeeland rencontra l'adhésion de tous et se retrouve textuellement dans la loi du 10 août 1950. »
Convaincu devant les résultats de la Consultation Royale que le Roi aurait de grandes difficultés à reprendre l'exercice normal de son règne, tous les efforts d'Henry Carton de Wiart vont tendre à partir d'avril 1950 à amener les partis à tenir compte de ces résultats pour rendre un hommage national au Roi et lui permettre ainsi de s'effacer à plus ou moins brève échéance en faveur de son fils.
Ce faisant, le Ministre d'Etat avait conscience de heurter une grande partie de l'opinion de son propre parti en pays flamand notamment « où le retour inconditionnel du Roi est ardemment réclamé, écrit-il et que seule la crainte de se mettre ouvertement en opposition avec le message du souverain pouvait retenir dans la discrétion relative des délibérations du Comité National ou de la Commission de contact (du P.S.C.), Celle-ci. réunie le 16 avril, consentit toutefois après un long examen à laisser les coudées franches au formateur (van Zeeland). »
La bonne volonté témoignée par le Roi dans son message du 15 avril ne rencontrera pas. du côté des socialistes et des libéraux, la compréhension qu'on pouvait légitimement attendre. Ils voulaient que le Roi quitte le pays (socialistes) ou à tout le moins Bruxelles (libéraux) pendant la durée de la délégation des pouvoirs. Le Roi ne pouvait évidemment admettre ce second « exil », motivé chez ses adversaires par la crainte qu'il n'influence dans l'ombre les décisions de son fils. Les libéraux ne voulant pas se distancer de la position socialiste, ce fut la rupture et l'échec de la tentative de M. van Zeeland d'amener les trois partis à consentir à une délégation harmonieuse par le Roi de ses prérogatives. « Il demeure inexplicable pour moi, dit Henry Carton de Wiart, ce même 3 mai 1951, que M. Devèze ait, pendant (page 329) la nuit du 28 avril aux Affaires Etrangères, soulevé des complications ultimes au sujet de la résidence du Roi et ait prétendu encore s'assurer l'appui de M. Spaak. »
Devant l'échec de M. van Zeeland, le Régent refusa la démission du Gouvernement offerte par M. Eyskens le 18 mars précédent et signa un décret de dissolution des Chambres. Les nouvelles élections devaient avoir lieu le 4 juin 1950.
Il manquait jusqu'alors deux voix au P.S.C. pour avoir la Chambre des Représentants la majorité absolue qu'il détenait déjà au Sénat. Il pouvait espérer qu'une partie au moins des 720.000 électeurs libéraux ou socialistes qui avaient voté « oui » le 12 mars précédent lors de la Consultation populaire viendrait renforcer les effectifs parlementaires du P.S.C., seul moyen pour les partisans du Roi d'obtenir la convocation des Chambres réunies pour appliquer la loi du 19 juillet 1945.
Henry Carton de Wiart se dépense sans compter dans ce but. Dans de nombreux meetings, notamment à Couillet le 2 juin, devant un public essentiellement ouvrier, le Ministre d'Etat souligna que la Question Royale ne pouvait trouver de solution satisfaisante que par le succès du P.S.C., à la suite surtout, de l'attitude aberrante dont le parti libéral avait fait preuve. mais il n'en déclarait pas moins poursuivre le retour du Roi « dans l'esprit du message du 15 avril. »
L'espoir du P.S.C. ne fut pas déçu. Le 4 juin 1950, il obtenait à la Chambre la majorité absolue qu'il possédait déjà au Sénat. Un gouvernement homogène P.S.C. était dès lors possible. Il pouvait se présenter devant chacune des deux Chambres en étant certain d'y obtenir la confiance sur un programme se résumant essentiellement à l'application de la loi du 19 juillet 1945. Ce fut le Gouvernement Duvieusart formé dès le 7 juin 1945. Henry Carton de Wiart y occupait le poste de ministre de la Justice.
Après des débats passionnés, la Chambre surtout, où l'opposition s'éleva contre le « coup de force légal » préparé par le Gouvernement et annonça que « ce qu'une majorité fait. une autre peut le défaire », la fut votée le 30 juin à la Chambre et le 5 juillet au Sénat.
Dès le 6 juillet les Chambres réunies prenaient séance commune en vue d'appliquer la loi du 19 juillet 1945.
On ne rappellera pas ici les péripéties de ce long débat au cours duquel le leader socialiste Max Buset brandit la menace de la grève politique sans pour autant parler d'insurrection.
Le 20 juillet la déclaration de cessation de l'impossibilité de régner fut (page 330) votée par les 197 parlementaires P.S.C. et par le libéral Lahaye. Il aussitôt décidé que le Roi rentrerait le 22 juillet. Au Conseil des Ministres du 20 juillet tenu quelques instants après le vote des Chambres réunies, on discuta de l'attitude qu'adopterait le Gouvernement lors de l'interpellation de l'ancien ministre libéral Julius Hoste sur la réalisation du Message Royal du 15 avril. M. Duvieusart rappela que le Message du 15 avril était un fait historique sur les modalités de réalisation duquel les partis politiques n'avaient pu se mettre d'accord jusqu'à présent. Il fut appuyé sur ce point par le ministre de la Justice qui estima que le Message existait toujours.
Le 22 juillet, à 7 h 15 1'avion royal se posait à Melsbroeck et le Souverain rentrait à Laeken avec ses fils après six ans d'absence. Le Gouvernement avait invité les ministres d'Etat à une réunion du Conseil de la Couronne qui devait se tenir au début de l'après-midi. Dans la pensée de M. Duvieusart, cette réunion devait être l'occasion pour le Roi de prendre l'avis des ministres d'Etat et d'entamer ainsi un large dialogue pouvant aboutir à la réconciliation nationale. Perdant de vue qu'il avait pris lui-même l'initiative de cette réunion, l'ancien Premier ministre a regretté la manière dont elle fut organisée, comme un simple rite à subir plutôt que comme un moyen de connaître l'opinion des personnalités invitées.
On sait que les ministres d'Etat libéraux arrivés à Laeken s'en retournèrent aussitôt lorsqu'ils apprirent que leurs avis ne seraient pas demandés. Quant aux ministres d'Etat socialistes, ils n'étaient même pas venus, ayant fait savoir qu'ils ne reconnaissaient plus Léopold III comme le Roi des Belges. La réunion se clôtura rapidement après une simple déclaration du Roi à laquelle répondit le Premier Ministre.
On ne retracera pas ici les prises de position de plus en plus dramatiques intervenues au cours de la semaine qui suivit et qui aboutirent à la grève générale, l'échauffourée de Grâce-Berleur, à l'intervention des Prisonniers Politiques conseillant au Roi de s'effacer après un an si son fils n'était pas discuté.
Signalons cependant qu'au Conseil des Ministres du 28 juillet 1950 tenu à 10 heures 15, au cours duquel fut analysée la situation politique très grave où se trouvait le pays et dont le Premier Ministre constata le (page 331) caractère désormais révolutionnaire, le ministre de la Justice remarqua que l'on se trouvait devant une insurrection organisée et rappela le Message Royal du 15 avril 1950. Il déplora que le Message du Roi à la Nation lors de son retour le 22 juillet ait été différent dans son esprit de celui du 15 avril et il estima que l'impression de malaise créé par l'organisation du Conseil de la Couronne du 22 juillet devait être corrigée sinon l'unité belge serait en danger. Il se résuma ainsi : « Le ralliement au Trône ne peut se réaliser qu'au prix de concessions : soit la reprise de message du 15 avril, soit toute autre modalité telle l'abdication différée.. »
L'opinion du ministre de la Justice était largement partagée par d'autres ministres dont M. Eyskens, ministre des Affaires Economiques.
Les 29 et 30 juillet, la situation ne fit que s'aggraver. Les socialistes et les communistes décidèrent une marche sur Bruxelles pour le 1er août. On pouvait craindre des morts. Au Conseil de Cabinet du 31 juillet tenu à 2 heures du matin, M. Eyskens proposa la désignation du Prince Baudouin comme Régent afin de sauver la monarchie. Oscar Behogne, ministre du Travail, et Pierre Wigny, ministre des Colonies sont du même avis. Henry Carton de Wiart. appuyé dans une certaine mesure par Paul van Zeeland, préconise l'application du Message Royal du 15 avril. Il faudrait, dit-il, que le Roi, propose lui-même la délégation de pouvoir le plus tôt possible. Un pareil message, s'il était bien lancé, toucherait le pays au cœur et serait de nature à dégeler l'atmosphère. De façon générale, la plupart des ministres flamands sont hostiles à toute délégation de pouvoir ou autre forme d'abdication. Ils ne veulent de toute façon pas que ce soit le P.S.C. qui conseille au Roi semblable décision et mesurent la déception, voire la fureur qu'elle provoquera dans l'opinion flamande. La séance du Conseil est suspendue à 4 heures du matin pour permettre au Premier ministre, aux ministres de la Justice, de l'Intérieur et des Affaires Étrangères d'aller voir le Roi à Laeken.
On sait que le Souverain, recevant les quatre ministres leur lut un programme où il préconisait un gouvernement tripartite, la convocation d'une conférence composée des membres des trois partis, représentés chacun par un Flamand et un Wallon, qui présenterait une solution d'ensemble de nature à régler la question royale et le problème de la (page 332) sauvegarde des droits des Wallons. Le gouvernement ne se montra pas favorable à la suggestion royale. Certains ministres tels MM. van et Harmel rejetèrent l'hypothèse d'un gouvernement tripartite parce qu'à leur avis les socialistes refuseraient d'y participer sous la houlette de Léopold III. M. Eyskens pensait, quant à lui, que les idées du Souverain ne pourraient plus amener la détente devenue indispensable. Le gouvernement par contre put réaliser de façon immédiate une espèce de conférence des délégués des trois partis dans l'après-midi du 31 juillet. Les délégués tombèrent rapidement d’accord pour proposer une délégation des pouvoirs du Roi au prince Baudouin (message du 15 avril 1950). Restait à prévoir la durée de cette délégation et le lieu de résidence du Roi pendant cette période. Le P.S.C., sur cette dernière question maintint victorieusement le droit pour le Roi de résider où il voudrait.
On sait que le Roi souhaitait que la délégation des pouvoirs étant faite pour une période déterminée, la possibilité lui serait laissée d'examiner avec le gouvernement responsable à l'issue de cette période la solution qui s'imposerait à ce moment. Mais l'opposition voulait que la délégation soit suivie sans discussion possible de la cession pure et simple des pouvoirs au prince Baudouin, c'est-à-dire une abdication à terme.
Un nouveau Conseil des Ministres se tint en présence du Roi le 1er août à 2 h. 30. Le souverain demanda l'avis de chaque ministre présent. Seul. M. de Vleeschouwer. ministre de l'Intérieur, se montra hostile à l'abdication immédiate ou à terme et à une délégation des pouvoirs même temporaire. Les autres ministres se déclarèrent solidaires de M. Duvieusart qui avait annoncé sa démission au cas où le Roi ne se rallierait pas à la formule du gouvernement. Le compte rendu n°12 du conseil des Ministres du 1er août 1950 rendu public par Jean Duvieusart dans son ouvrage « La Question Royale » signale que le comte Carton de Wiart, ministre de la Justice... « comprend le sentiment élevé qui domine chez le Roi avec le souci de ne pas heurter ces fidèles. Les réalités objectives sont cependant mauvaises et s'il faut y ajouter la retraite du Premier ministre. l'effet serait épouvantable et les chances de ralliement compromises. Il supplie le Roi de comprendre cette situation et ses conséquences. La formule est entrée dans la circulation dès le 15 avril 1950. Le Roi avait cité l'exemple du royaume des Pays-Bas, (page 333) la reine Wilhelmine a agi ainsi et l'issue a été heureuse pour le pays. Il ne faut pas mésestimer les bonnes choses qui sont dans la convention et il faut soutenir les efforts de M. Duvieusart, Premier Ministre. La formule a pour le surplus l'avantage d'éviter une discussion délicate sur le statut de l'épouse du Roi.
« Après la solution d'apaisement, le pays pourra respirer dans le bonheur et la joie. Je me solidarise cent pour cent avec le Premier ministre.
« A 6 h 30, le Roi donnait son accord définitif à la solution de délégation de pouvoirs élaborée par le gouvernement. La marche sur Bruxelles était décommandée, et le calme revint assez rapidement. »
Le Gouvernement se mit aussitôt à l'œuvre pour arrêter le texte du projet de loi attribuant l'exercice des pouvoirs royaux au prince Baudouin. La loi fut, on le sait, votée par les deux Chambres réunies par 351 voix contre 8 abstentions. Le I I août le Prince Royal prêtait le serment constitutionnel et dans un dernier message radiodiffusé à la Nation, le Roi avec sa hauteur de vues coutumière, demandait à tous, à ses nombreux fidèles notamment, d'oublier tout ressentiment et de faciliter au maximum la tâche de son fils.
Le gouvernement Duvieusart donna sa démission sitôt après la prestation de serment du Prince Royal. Le 15 août. un ministère P.S.C. homogène présidé par M. Pholien lui succéda. Expliquant le vote de confiance qu'il allait émettre, Henry Carton de Wiart déclarait à la Chambre : « En raison de la division profonde des esprits et depuis la suggestion proposée par le Message du 15 avril, une solution de cette nature s'avérait inéluctable, Il est extrêmement fâcheux que cette solution qui fut sur le point d'aboutir dans le calme le 28 avril, ait été le résultat d'une véritable insurrection organisée que tout citoyen ayant le sens d'un régime démocratique digne de ce nom, doit réprouver et condamner. Mais d'autre part, il faut reconnaitre que seule cette solution a pu épargner au pouvoir une répression sanglante à laquelle le principe monarchique et l’unité nationale n’auraient peut-être pas résisté. »
On se souvient de la déception et même de la profonde amertume qui submergea l'électeur qui avait voté P.S.C. le 4 juin pour voir le Roi reprendre le cours de son règne. La direction du Parti avait d'ailleurs sa démission devant les manifestations hostiles de la base. Une (page 334) Une commission d'enquête fut aussitôt constituée au sein du P.S.C. pour rechercher si tel ou tel mandataire avait failli à la ligne politique du parti.
Comme ministre de la Justice du cabinet Duvieusart, Henry Carton de Wiart fut l'un des premiers à être entendu le 21 août. On lui demanda s'il y avait relation de cause à effet entre la réunion des ministres d'Etat qu'il avait provoquée au cours de sa mission d'information le 22 mars 1950 et le message royal du 15 avril envisageant une possible délégation des pouvoirs. Le ministre d'Etat ne cacha pas qu'à son avis, le Roi depuis longtemps déjà se rendait compte de la situation et ne croyait pas à un retour pur et simple et il précise : « Je suis de ceux qui n'ont jamais parlé d'un retour inconditionnel. A la réunion de la Madeleine (19 mai 1950) j'ai dit que nous devions poursuivre le retour du Roi dans l'esprit du message du 15 avril... J'en ai conservé le sentiment... J'ai dit à mes collègues (lors des derniers jours de juillet)... ne croyez pas à un retour inconditionnel mais je n'ai suggéré aucune formule bien que le message royal du 15 avril existât : on devait en tenir compte. »
Les commissaires signalèrent alors à Henry Carton de Wiart : il a été dit qu'au lendemain de la Consultation Populaire les présidents des Chambres avaient à Prégny trouvé le Roi en état d'abattement. « On s'attendait à un résultat plus favorable notamment dans l'arrondissement de Bruxelles. répondit le ministre. Ce qui me fait croire au bien fondé de ce qu'on vous a dit, c'est le message d'avril... Le Roi avait pris sa décision dès le 15 avril. Les prisonniers politiques l'ont confirmé puis il a consulté ses ministres. C'est le déroulement d'une situation qui ne pouvait finir autrement. »
La délégation des pouvoirs, l'abdication ultérieure, les émeutes de juillet 1950 auraient-elles pu être évitées ? Le ministre, on le sait, ne pensait plus depuis le résultat de la Consultation populaire que le règne pourrait reprendre son cours comme avant le 28 mai 1940. Le Roi, l'avait aussi compris, d'où son message du 15 avril. Cela avait été selon Henry Carton de Wiart, une erreur imputable à l'entourage du Roi, que le message à la Nation diffusé le 22 juillet à midi. ne fasse pas allusion à ce qui avait été dit le 15 avril. L'opposition avait pu croire qu'il n'était plus question d'une délégation de pouvoirs au prince Baudouin.
« Duvieusart est un homme très honnête, conclut le ministre le 3 mai 1951, mais il a commis plusieurs erreurs : il a cru nécessaire de reconnaître le droit de grève politique sans en exclure, malgré mon insistance. les agents des services publics. D'autre part, il a, sans doute à cause de l'opposition de Pirenne, accepté que le Roi, rentrant à Bruxelles n'ait pas (page 335) immédiatement rappelé son message du 15 avril. Le Premier ministre n'avait pas organisé la réunion des ministres d'Etat convoquée cependant à son initiative. Deux grandes erreurs que nous avons chèrement payées et malgré les rodomontades de quelques-uns, je crois qu'une répression par les armes de l'insurrection qui était déchaînée dans une grande partie du pays, aurait fait glisser la monarchie elle-même et l'unité nationale dans le sang et la fusillade. »
Ne faisant plus partie du gouvernement, Henry Carton de Wiart n'en continuait pas moins à déployer dans de multiples domaines une activité étonnante chez un homme de quatre-vingt-un ans. Il présidait à Monaco en mars 1951 une réunion de l'Union interparlementaire lorsqu'il fut atteint d'un grave malaise. Ramené d'urgence à Bruxelles il parut se rétablir dans le courant d'avril. Une rechute de son mal à la fin du mois rendit nécessaire une hospitalisation à la clinique des Deux Alices. Une intervention chirurgicale fut tentée sans succès. Le 6 mai 1951 Henry Carton de Wiart s'éteignait faisant preuve jusqu'au bout d'une admirable lucidité et d'une profonde foi chrétienne.